12.11.2024 à 17:41
Philippe Gaborit, Professeur en informatique, Université de Limoges
Les agences de sécurité du monde entier sont en train s’armer pour que les communications sécurisées sur Internet le restent quand les ordinateurs quantiques débarqueront.
Pour trouver des algorithmes résistants aux futurs ordinateurs quantiques, un organisme américain a lancé un grand concours, auquel participent de nombreuses équipes de recherche. La France est en pointe dans le domaine – explications par un des chercheurs impliqués.
La cryptographie est au cœur de la sécurité des systèmes d’information, dont Internet, et en particulier de la sécurité des paiements en ligne. Pour utiliser l'image simple d'une effraction dans un appartement: la cryptographie s’occupe d’assurer la solidité de la porte et qu'on ne puisse l'ouvrir qu'avec la clef. Pour cela, on code les informations, et seule la clef permet de les décoder.
La cryptographie repose sur des problèmes mathématiques suffisamment complexes pour que les ordinateurs actuels ne puissent pas les résoudre en un temps raisonnable, par exemple le problème de la factorisation des grands nombres. Mais quantité de ces problèmes seront vulnérables aux attaques de futurs ordinateurs quantiques, plus puissants que les ordinateurs actuels.
En 2015, devant le risque que faisait peser sur la cryptographie le développement d’un ordinateur quantique suffisamment puissant, la National Security Agency (NSA) a enjoint l’administration américaine à changer de paradigme pour passer à une cryptographie résistante aux ordinateurs quantiques, dite « cryptographie post-quantique ».
Suite à ce communiqué, l’Institut des standards américains (NIST) a lancé un concours international : pour gagner, il faut proposer de nouveaux algorithmes cryptographiques résistants aux attaques quantiques. Les gagnants deviendront les standards du domaine : ils auront vocation à être utilisés pour sécuriser toutes les communications dans le monde.
Les enjeux traversent les frontières. S’il est difficile d’évaluer précisément le moment où les systèmes cryptographiques actuels pourront être cassés par un ordinateur quantique, on est sûrs que la transition technique vers un nouveau système prendra du temps, et il faut commencer à la préparer dès maintenant.
Bien que le premier algorithme destiné à être exécuté sur un ordinateur quantique ait été décrit en 1994, le développement d’ordinateurs quantiques réels se fait très lentement. En effet, ils posent des problèmes techniques physiques particulièrement compliqués à résoudre : la puissance d’un ordinateur quantique dépend du nombre de « bits quantiques » (ou qubits) qu’il contient, mais ceux-ci sont difficiles à assembler en grand nombre… à tel point que les premiers ordinateurs quantiques ne possédaient que quelques qubits opérationnels, et ne servaient pas à grand-chose pour calculer.
Ainsi, pendant les années 2000, la puissance des ordinateurs quantique augmentait très lentement, ce qui poussait certains à penser qu’un ordinateur quantique suffisamment puissant pour poser des problèmes de sécurité ne verrait jamais le jour.
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Les choses ont changé au début des années 2010 lorsque les grands groupes américains du GAFAM se sont mis à s’intéresser à l’ordinateur quantique et à financer de manière très importante de tels projets, qualifiés par certains de « projet Manhattan du XXIe siècle ».
En quelques années, on est passé de quelques bits, à quelques dizaines de qubits, à plus de 1000 qubits aujourd’hui. Si la situation a considérablement évolué en 20 ans, la réalisation d’un ordinateur quantique suffisamment efficace pour casser un système de cryptographie n’est probablement pas pour demain, tant il reste de nombreux défis physiques à résoudre… mais le sujet est aujourd’hui au premier plan au niveau international, et des start-up font de nouvelles avancées chaque jour. En France, on peut citer en particulier Pasqal et Candela.
Et même s’il reste probablement une bonne dizaine d’années avant de pouvoir éventuellement arriver à casser concrètement un système de type RSA (un système cryptographique très utilisé aujourd’hui), la « menace quantique » a déjà commencé : avec des attaques de type « harvest now and decrypt later », on peut envisager qu’un attaquant collecte des données aujourd’hui et les déchiffre lors de l’avènement de l’ordinateur quantique.
Une cryptographie résistante aux attaques d’ordinateurs quantiques reposera sur une catégorie particulière de problèmes mathématiques : celle des problèmes réputés « difficiles », qui résisteront a priori aux ordinateurs quantiques.
De tels problèmes difficiles sont connus depuis des années : le premier, dit « système de McEliece » a été introduit en 1978. Mais ces problèmes difficiles ont souvent l’inconvénient d’être plus gros en taille que les systèmes classiques.
Il est important de bien comprendre qu’un ordinateur quantique ne sera pas capable de casser facilement n’importe quel type de problème difficile (en fait, on connaît très peu d’algorithmes quantiques qui cassent des problèmes efficacement), mais la catégorie des problèmes résolus beaucoup plus efficacement par un ordinateur quantique englobe tous les problèmes utilisés pour les systèmes de cryptographie à clé publique actuels.
En pratique, on utilise aujourd’hui un processus de cryptographie en deux étapes, le « chiffrement hybride » : les ordinateurs quantiques ne devraient a priori pas mettre en danger la première étape (dite « partie symétrique ») car il suffira de doubler la taille des clés pour que même un ordinateur quantique ne puisse pas les attaquer. En revanche, la seconde étape (dite de « partage de secret ») est rendue inutilisable par le premier algorithme quantique inventé en 1994, l’algorithme de Shor. C’est pour cette seconde partie qu’il convient de trouver des systèmes alternatifs résistants aux attaques quantiques.
Des concours publics internationaux ont déjà été organisés avec succès par le NIST pour définir les précédents standards de la cryptographie en 1996 et en 2008.
Le concours post-quantique a débuté en novembre 2017 et a pour objet de trouver des algorithmes de chiffrement, de partage de secret et de signature, les trois principaux types d’algorithmes de la cryptographie à clé publique moderne.
Soixante-quatre algorithmes de chiffrement ont été soumis. Au fur et à mesure d’un processus transparent qui s’est déroulé sur plusieurs années et à travers plusieurs tours qui filtraient les candidats. Il s’agit d’un processus complexe où l’on cherche des algorithmes à la fois efficaces et sécurisés et où les chercheurs sont invités à tester la robustesse des algorithmes pressentis, ainsi certains concurrents ont même été éliminés très tard dans le processus parce qu’ils ont été attaqués efficacement et donc démontrés non robustes (par exemple le système SIKE à l’été 2022).
En 2022, le NIST a choisi un premier groupe d’algorithmes pour la standardisation : KYBER pour le chiffrement ainsi que trois algorithmes (Di Lithium, Falcon et Sphincs) pour la signature.
Il espère aussi annoncer cet automne (2024) un ou deux nouveaux standards pour le chiffrement, choisis parmi les algorithmes encore en course : McEliece, HQC and BIKE.
En parallèle, le NIST a commencé un nouveau concours en juin 2023 spécialement pour les signatures post-quantiques pour augmenter la diversité des algorithmes. Le concours vient juste de commencer et a accueilli 40 candidats. Les résultats du premier tour sont arrivés en octobre 2024 et 14 candidats passent au second tour.
Durant tout le processus, la France a été très représentée dans de nombreuses soumissions sur tout type de problèmes difficiles. Le pays est très en pointe pour la cryptographie post-quantique, notamment grâce aux financements France 2030 et grâce aux efforts dans la durée de la part d’organismes de recherche nationaux comme le CNRS et l’INRIA.
D’une manière générale, les nouveaux algorithmes post-quantiques sont plus gros en termes de taille de paramètres. Dans certains cas, la taille des données cryptographiques envoyées (petite à la base) peut être multipliée par 10 ou 20, ce qui oblige à faire évoluer aussi une partie de la chaîne globale de la sécurité et un travail d’adaptation général sur un certain de protocoles de sécurité existants qui utilisent la cryptographie en boite noire. Les chercheurs et les industriels travaillent sur le sujet depuis des années pour rendre la transition vers ces nouveaux algorithmes cryptographiques la plus efficace et sécurisée possible.
D’un point de vue plus concret, il existe des groupes de travail dans divers campus de cybersécurité à la fois au niveau national et en régions et l’ANSSI (l’agence de sécurité française qui régule l’utilisation de la sécurité et de la cryptographie en France) est en train de mettre en place des procédures de certification pour des produits utilisant la cryptographie post-quantique, avec pour but que les entreprises aient pu faire une transition d’ici 2030, c’est-à-dire… demain.
Le projet CBCRYPT a été soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.
Philippe Gaborit a reçu des financements de France 2030 (PEPR Quantique) et de l'ANR (projet CBCRYPT https://anr.fr/Projet-ANR-17-CE39-0007).
12.11.2024 à 17:35
Ouafa El Idrissi, Enseignant chercheur en biologie et écologie marine, Université de Corse Pascal-Paoli
Sonia Ternengo, Maître de conférences HDR en biologie et écologie marine, Université de Corse Pascal-Paoli
Les oursins se révèlent être de précieux bioindicateurs pour suivre la contamination des environnements marins par les éléments traces (longtemps appelés métaux lourds). Un exemple en Corse, lieu privilégié d’étude des écosystèmes côtiers, à proximité d’une mine fermée depuis plus de 50 ans.
Interfaces fragiles entre les milieux terrestres et marins, les écosystèmes côtiers sont soumis à une pression croissante due aux activités anthropiques. L’expansion des secteurs industriel, agricole et urbain entraîne l’introduction d’une quantité considérable de produits chimiques dans ces écosystèmes.
Ces substances présentent souvent des propriétés toxiques susceptibles de causer des dommages multiples à l’échelle des organismes, des populations et des écosystèmes, menaçant non seulement la biodiversité marine mais aussi les services écosystémiques qu’ils fournissent.
Les éléments traces, autrefois appelés métaux lourds, font partie des contaminants les plus répandus dans l’écosystème marin. En raison de leur toxicité, leur persistance et leur capacité à s’accumuler dans les organismes marins, ces derniers sont considérés comme de sérieux polluants dans l’environnement marin.
Bien que naturellement présents dans l’environnement à faible concentration, les éléments traces peuvent rester en solution, s’adsorber sur des particules sédimentaires, précipiter au fond ou encore s’accumuler et connaître « une bioamplification » dans les chaînes alimentaires atteignant ainsi des niveaux toxiques. Une surveillance constante de leur présence et leur concentration est donc essentielle face à ces menaces.
Afin d’évaluer les niveaux de contaminants dans l’écosystème, des organismes peuvent être utilisés comme bioindicateurs. Ces organismes ont la capacité d’accumuler des polluants dans leurs tissus permettant ainsi d’évaluer la qualité de leur environnement.
De par sa large distribution, son abondance dans les écosystèmes côtiers, sa facilité de collecte, sa longévité, sa relative sédentarité et sa bonne tolérance aux polluants, l’oursin violet Paracentrotus lividus (décrit par Lamarck en 1816) est un organisme reconnu pour son rôle de bioindicateur.
L’utilisation de biomarqueurs représente également une approche clé dans la biosurveillance marine permettant d’évaluer les liens entre l’exposition aux polluants environnementaux et leurs impacts sur les individus et les populations. Les effets des polluants dans les écosystèmes marins peuvent être mesurés à travers des paramètres biochimiques.
De nombreuses études suggèrent que l’exposition à divers éléments traces est susceptible d’entraîner des dommages irréversibles chez les organismes marins via la production de molécules oxydantes. Dans ce contexte, il est essentiel d’évaluer, au sein de ces organismes, les activités d’enzymes antioxydantes qui jouent un rôle clé dans la défense contre le stress oxydant. Les teneurs de certains marqueurs d’oxydation dans les tissus des organismes constituent également des indicateurs précieux pour évaluer l’intensité du stress oxydant.
En raison de ses côtes fortement peuplées, la mer Méditerranée est soumise à de nombreuses pressions anthropiques. Située au nord-ouest de ce bassin, la Corse constitue un site d’étude privilégié pour les écosystèmes côtiers. Ses eaux, souvent considérées comme peu affectées par des sources anthropiques majeures, permettent d’identifier plus facilement les sources de contamination.
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Afin d’obtenir des informations sur la qualité environnementale des eaux marines autour de l’île et d’identifier les zones de contamination locale, des prélèvements ont été réalisés. Ces travaux avaient pour objectif de suivre la dynamique spatio-temporelle de 22 éléments traces dans des oursins prélevés sur le littoral corse et d’estimer les effets de cette contamination sur le stress oxydant de P. lividus.
Des indices de pollution, calculés à partir de données issues de la littérature, ont permis de comparer les niveaux de contamination de la Corse à ceux d’autres régions méditerranéennes, comme l’Algérie, la Grèce, l’Italie et l’Espagne. Bien qu’il existe quelques cas de contamination élevée en Corse, les niveaux demeurent faibles en raison de la faible pression anthropique dans la région.
La plupart des contaminations significatives qui ont été relevées sont attribuées à des sources localisées ou à des caractéristiques spécifiques des sites étudiés. Ainsi, de fortes teneurs en cobalt, chrome et nickel ont été mesurées dans les organes reproducteurs (les gonades) d’oursins à proximité de l’ancienne mine d’amiante à Canari en Haute-Corse. Ces niveaux résultent de déblais non traités rejetés en mer pendant la période d’activité de la mine d’amiante entre 1948 et 1965.
Malgré la fermeture de la mine depuis plus de 50 ans, le procédé utilisé pour récolter des résidus miniers le long du littoral ainsi que la composition géologique du sous-sol (constitué de roches dénommées serpentinites naturellement riches en éléments traces) contribuent encore à la dispersion de ces éléments dans l’environnement marin.
L’évaluation de la qualité des écosystèmes nécessite donc une bonne connaissance du contexte géochimique naturel afin de distinguer les éléments traces naturellement présents dans l’environnement de ceux résultant des activités anthropiques. Cet exemple illustre également comment les activités humaines, même anciennes, peuvent encore avoir un impact sur les écosystèmes.
Le calcul d’un indicateur appelé « Trace Element Pollution Index » – basé sur les concentrations en éléments traces dans les gonades et les tubes digestifs de l’oursin – a permis de déterminer un gradient de contamination avec des teneurs plus élevées au sud de l’ancienne mine d’amiante. Ce phénomène résulte de la migration des déchets miniers vers le Sud, entraînés par la houle et les courants marins dominants.
Cette observation souligne le rôle du milieu marin dans la diffusion et la distribution des contaminants dans l’environnement. Par conséquent, les éléments traces peuvent être largement diffusés à partir des sites sources rendant leur surveillance plus complexe.
Plusieurs études suggèrent que l’exposition à la contamination par les éléments traces peut induire une cascade d’événements qui stimulent des activités d’enzymes antioxydantes chez les oursins.
Dans le cadre de notre recherche, les activités spécifiques les plus élevées des enzymes antioxydantes ont été observées dans la zone sud de l’ancienne mine d’amiante, là où justement la contamination est la plus importante. Toutefois, aucune différence significative entre les sites n’a été mise en évidence. Ces données suggèrent que le système enzymatique antioxydant de P. lividus a protégé son organisme de manière efficace contre les dommages oxydants.
La contamination en éléments traces varie selon les saisons, avec des concentrations généralement plus élevées en automne et en hiver et plus faibles en été. Cette variation s’explique par des changements physiologiques chez l’oursin. Lors de la production des cellules sexuelles ou gamètes (spermatozoïdes et ovocytes), un phénomène de dilution des concentrations en éléments traces est constaté dans les organes reproducteurs tandis qu’en dehors de cette période la concentration augmente.
Par ailleurs, certains éléments sont essentiels et leur concentration élevée durant la production des cellules sexuelles est considérée comme normale. C’est notamment le cas du zinc étroitement lié au processus de maturation des ovocytes ou cellules sexuelles féminines (l’ovogenèse) et dont les niveaux sont particulièrement élevés chez les femelles.
En conséquence, pour une utilisation optimale des oursins en tant que bioindicateurs, il est crucial de considérer divers facteurs dits « biotiques » et « abiotiques ». Les facteurs biotiques incluent la reproduction et le sexe des oursins qui influencent les concentrations d’éléments traces dans les gonades. Les facteurs abiotiques tels que la température de l’eau, le pH, la teneur en oxygène et la salinité influencent la biodisponibilité des polluants et la capacité des oursins à les accumuler.
Par ailleurs, nos résultats ont démontré que les macroalgues et les tubes digestifs d’oursins bioaccumulent plus d’éléments traces que les gonades ce qui les rend particulièrement utiles pour identifier les contaminations locales. Le tube digestif des oursins, en particulier, pourrait être un outil plus précis pour les études écotoxicologiques car il présente généralement des concentrations d’éléments traces plus élevées et est moins affecté par les facteurs liés à la reproduction.
Ainsi, bien que les oursins soient d’excellents bioindicateurs, une approche intégrée avec d’autres organismes tels que des bivalves (les moules notamment) ou macroalgues permet d’obtenir une vision plus globale de la contamination dans les écosystèmes côtiers.
Ces recherches sont cruciales pour comprendre les pressions anthropiques exercées sur les écosystèmes marins et développer des stratégies de gestion environnementale efficaces visant à préserver la biodiversité ainsi que les services écosystémiques essentiels fournis par ces milieux.
Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 4 au 14 octobre 2024), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « océan de savoirs ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.
Ouafa El Idrissi a bénéficié de la bourse de la Fondation de la Mer, un financement dans le cadre du programme MISTRALS (Mediterranean Integrated STudies at Regional And Local Scales).
Sonia Ternengo a reçu un financement dans le cadre du programme MISTRALS (Mediterranean Integrated STudies at Regional And Local Scales).
12.11.2024 à 17:33
Valérie Lannoy, Post-doctorante en microbiologie, Sorbonne Université
Nos aînés jouent parfois le rôle de station météo ! Grâce à leurs douleurs articulaires, ils peuvent prédire le temps qu’il fera dans la journée. Mais qu’en est-il vraiment ?
Les rhumatismes regroupent environ 200 maladies qui touchent les composantes des articulations, soit l’os et le cartilage articulaire. Ils affectent aussi leurs parties molles, comme les ligaments sur les os ou les tendons reliant les muscles aux os. Ils sont classés selon leur origine, en rhumatismes non inflammatoires et inflammatoires. Les premiers comprennent l’arthrose et l’ostéoporose, concernant surtout les personnes âgées, les troubles musculosquelettiques ou la fibromyalgie. Les rhumatismes inflammatoires englobent notamment les formes d’arthrite, telles que la spondylarthrite ankylosante et la polyarthrite rhumatoïde, deux maladies auto-immunes. Aujourd’hui, plus de 16 millions de Français souffrent de rhumatismes.
En 2019, une équipe de l’Université de Manchester a étudié les symptômes de plus de 2500 malades pendant 15 mois. Plusieurs pathologies étaient représentées, comme l’arthrose, la polyarthrite rhumatoïde et la fibromyalgie. Les symptômes ont été recueillis via une application sur smartphone, avec des informations incluant météo, humeur ou activité physique. C’est l’une des premières expériences de science participative à utiliser une application.
Les auteurs suggèrent que ce type de dispositif peut être proposé aux patients pour prévoir leurs douleurs. Ils ont trouvé que ce sont l’humidité relative, c’est-à-dire la saturation de l’air en vapeur d’eau, et la pression atmosphérique, qui corrèlent le plus avec les douleurs articulaires.
Cette corrélation, bien que significative, reste modeste. Par exemple, la modification simultanée des deux variables météorologiques n’entraîne qu’une faible augmentation de la douleur. Trois ans après, une équipe de la même université a décidé de réanalyser les mêmes données. Ils ont déterminé qu’il y a bel et bien un lien entre climat et douleur articulaire, mais qu’il concerne environ 4 % des volontaires. Ces chercheurs expliquent que la douleur est subjective et codée par le cerveau. La réaction varie donc selon les malades, et dépend des différences interindividuelles de l’activation nerveuse.
Le lien entre douleurs articulaires et météo fait l’objet de débats houleux entre scientifiques ! En 2017, une collaboration internationale, menée par le Dr Jena, permit l’analyse des symptômes d’environ 1,5 million d’Américains de plus de 65 ans. Leur conclusion est qu’il n’y a aucune corrélation entre douleurs articulaires et jours de pluie. Quatre jours après, la réponse à cet article scientifique ne s’est pas fait attendre ! Voici comment le Dr Bamji, rhumatologue retraité, débute sa réponse : « La raison pour laquelle le Dr Jena et ses collègues n’ont pas réussi à trouver un lien entre les douleurs articulaires et la pluie est simple. Ils se sont trompés de variable – et à ma connaissance, personne n’a pris en compte la bonne. »
Comment la pluie ou l’humidité relative pourrait influer la douleur des patients… Alors que notre organisme n’a aucun moyen de détecter les fluctuations du taux d’humidité ? Le Dr Bamji précise que l’articulation est une structure permettant la proprioception ou sensibilité profonde. Il s’agit de la capacité, consciente ou inconsciente, à percevoir la position des parties du corps sans utiliser la vision. Dans les tendons sont logés des « propriocepteurs », des récepteurs sensibles à la pression induite par la contraction musculaire. Les propriocepteurs sont également sensibles aux changements de pression atmosphérique.
La pression atmosphérique suit en fait les variations de l’humidité relative. Quant aux propriocepteurs, ils transmettent leurs signaux à des nerfs sensitifs qui transitent vers le cerveau.
Les douleurs articulaires sont liées directement à la pression atmosphérique, et indirectement à l’humidité relative. Chaque patient a un ressenti dépendant de son propre système nerveux central. Le plus important est d’écouter sa douleur, par exemple en tenant un journal quotidien des symptômes !
Valérie Lannoy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
10.11.2024 à 19:38
Bruno Castanié, Professeur en Structures Composites, Institut Clément Ader, INSA Toulouse
Arthur Cantarel, Maître de conférence - Institut Universitaire de Technologie de Tarbes , IMT Mines Albi – Institut Mines-Télécom
Florent Eyma, Professeur - Institut Universitaire de Technologie de Tarbes, IMT Mines Albi – Institut Mines-Télécom
Joel Serra, Ingénieur-Chercheur en mécanique des structures et matériaux composites, ISAE-SUPAERO
Ce mardi 5 novembre, le tout premier satellite en bois a été lancé dans l’espace. Il a été développé par des scientifiques de l’Université de Kyoto. Une preuve que le bois peut être envisagé comme un matériau de construction du futur.
Depuis l’invention de la roue, estimée à 4 000 ans av. J.-C., le bois a été utilisé par l’humanité pour ses déplacements terrestres. Hormis dans le nautisme, il est peu connu que son usage était encore fréquent à la fin du XXe siècle. Parmi les nombreux exemples documentés dans nos articles l’un des meilleurs avions de la Deuxième Guerre mondiale était le Mosquito, produit par De Havilland à 7 781 exemplaires, capable de voler à 680 km/h et dont la structure était faite de bouleau, douglas et balsa.
Jusqu’à aujourd’hui la société Robin Aircraft, établie à Dijon a produit le DR 400 en construction bois et toile à 2 700 exemplaires. Côté automobile, la société anglaise Morgan utilise encore le frêne pour une partie de ses châssis. Mais un des plus beaux exemples était la Costin Nathan Le Mans 1967 dont la structure était en contreplaqué pour un poids de seulement 400 kg, c’est la moitié de la Ferrari P4 de la même année.
Ces exemples montrent à la fois la légèreté et la résistance du bois mais aussi un savoir-faire en partie perdu. En effet, seule la marque anglaise Morgan utilise encore le bois pour ses voitures en petite série aujourd’hui.
La question de son utilisation est intimement liée à la ressource disponible. Si dans l’hémisphère Sud, la couverture forestière disparaît majoritairement à cause de son utilisation comme bois de chauffe, dans l’hémisphère Nord elle continue à augmenter. Pour l’Union européenne, l’augmentation du stock de bois sur pied a été de 30 % sur la période 2000-2020 et la couverture forestière représente 39 % de la surface des états membres. En France la couverture forestière a doublé en 100 ans. Malheureusement, ce sont essentiellement les résineux qui sont exploités alors qu’une utilisation structurale pour des véhicules nécessiterait des feuillus comme le peuplier ou le bouleau qui sont des essences locales et abondantes.
Nos recherches ont d’abord porté sur la caractérisation mécanique du contreplaqué seul ou pris en sandwich avec d’autres matériaux comme l’aluminium ; les fibres de carbone, de verre mais aussi de lin. Si les résistances trouvées sont satisfaisantes, le contreplaqué s’avère un matériau très complexe du fait de son mode d’obtention. On va trouver des caractéristiques différentes en fonction de la position du bois dans l’arbre (bois juvénile ou adulte, de printemps ou d’été). À cette complexité s’ajoute aussi une forte sensibilité du bois à son environnement en termes d’humidité et de chaleur.
Toutes ces complexités influent sur les caractéristiques mécaniques des plis qui constituent le contreplaqué et pour y remédier nous avons développé des méthodes d’identification grâce aux thèses de John Susainathan et d’Axel Peignon, du postdoctorat d’Hajer Hadiji et de l’ANR BOOST.
Les véhicules d’aujourd’hui doivent permettre d’absorber les chocs lors d’accidents. Ce sont le plus souvent des tubes en acier ou aluminium qui servent d’absorbeur d’énergie. Il était donc important de connaître la réponse du bois à des crashs. Lors de la thèse de Romain Guélou, nous avons testé des tubes fabriqués avec plusieurs essences (peuplier, bouleau et chêne) avec ou sans des peaux intérieures ou extérieures, en tissus de fibres de verre ou de carbone. Le comportement au crash du bois est très bon. Un tube avec des peaux en carbone et une âme en plis de bouleau a pu absorber l’énergie d’une masse de 170 kg lâchée à 4,2 m de hauteur. On a aussi pu montrer la contribution significative du bois puisqu’en passant de 2 à 6 plis de bouleau, l’énergie absorbée est multipliée par 2.
Récemment un groupe d’étudiants du département de génie mécanique de l’INSA Toulouse a montré que sur un véhicule léger, librement inspiré de l’Africar (une voiture avec un châssis bois extrêmement robuste conçue dans les années 1980 pour l’Afrique), les contraintes sont faibles et parfaitement supportables par un contreplaqué de bouleau ou de peuplier.
Les études menées à l’INSA Toulouse et à l’Institut Clément Ader depuis 12 ans montrent les possibilités de ce matériau historique que la nature a rendu très avancé pour une mobilité durable. Ces études s’inscrivent dans un mouvement de redécouverte et de réemploi. En France, la société Aura Aéro, basée à Toulouse a développé l’Integral R, avion d’acrobatie bois-carbone en cours de certification. À Belfort, les avions Mauboussin, avec qui nous collaborons, développent un avion dont la structure est en bois en s’inspirant du Mosquito.
À travers plusieurs programmes de recherches, le professeur Ulrich Müller et son équipe autrichienne ont démontré que le remplacement et le calcul de pièces de véhicules par du bois étaient avantageux économiquement et permettaient d’alléger les structures.
Mais le plus surprenant est l’utilisation du bois dans l’espace. Deux études sont actuellement en cours, au Japon et en Europe (Finlande), pour utiliser le bois comme matériau de structure de petits satellites.
L’étude japonaise LignoSat Space Wood vient de lancer un satellite en bois de magnolia sur une orbite terrestre basse. En plus d’être respectueux de l’environnement lors de sa fabrication et de brûler complètement dans l’atmosphère terrestre une fois désorbité, un satellite en bois sera largement transparent aux ondes radio. Les antennes de communication et de recherche pourraient ainsi être internes car le bois est transparent aux ondes radio, évitant ainsi des opérations de déploiement hasardeuses. Les tests effectués sur des échantillons de bois à la Station spatiale internationale (ISS) par des chercheurs de l’Université de Kyoto ont confirmé la détérioration minime et la bonne stabilité du bois dans l’espace. Le satellite européen est fabriqué en contreplaqué de bouleau finlandais, mais dopé pour l’aider à résister aux conditions spatiales.
Il existe donc un intérêt croissant pour le bois dans des domaines des transports parmi les plus variés. Si de nombreuses recherches ont été effectuées sur le bois en utilisation génie civil, il reste un domaine quasi vierge pour le contreplaqué dans le domaine des transports malgré un énorme potentiel en termes de développement durable. Des applications aéronautiques et spatiales ont déjà vu le jour mais pour les transports, hormis quelques réalisations d’amateurs éclairés, il n’y a pour l’instant aucune application industrielle.
Castanié Bruno a reçu des financements de l'ANR sur ce sujet.
Arthur Cantarel a reçu des financements de l'ANR.
Florent Eyma et Joel Serra ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.
07.11.2024 à 17:16
François Vannucci, Professeur émérite, chercheur en physique des particules, spécialiste des neutrinos, Université Paris Cité
Il y a tout juste 50 ans, un groupe de physiciens découvrait un nouveau quark, « brique » de base des protons et des neutrons. Récit par l’un de ses découvreurs.
Au début des années 1970, les physiciens des particules disposaient de deux imposants centres d’accélérateurs pour étudier l’infiniment petit : l’européen CERN à Genève et l’américain Brookhaven près de New York. Chacun abritait un accélérateur de protons de 620 m de circonférence pouvant atteindre l’énergie alors faramineuse de 25 GeV. L’unité d’énergie est ici l’électron-volt (eV), 1eV étant l’énergie d’un électron traversant une tension de 1V. On emploie les multiples : keV (103), MeV (106) et GeV (109). Cela reste infinitésimal rapporté au monde ordinaire. 1 GeV, équivalent de la masse du proton, correspond à une énergie qui élèverait d’un milliardième de degré la température d’un gramme d’eau !
Grâce à ces machines, la physique multipliait le nombre de particules élémentaires en suivant une recette simple : bombardant une cible avec un faisceau de protons accélérés, on analysait les particules qui sortaient. On accumula ainsi environ 200 types d’objets élémentaires, en particulier de nombreuses résonances.
Qu’est-ce qu’une résonance ? Alors que les particules telles que protons, électrons, pions, kaons… peuvent être suivies sur des distances macroscopiques, les résonances se désintègrent dès leur création en donnant deux ou trois particules qu’il s’agit d’associer pour retrouver la résonance originelle. Empiriquement, on remarqua que plus leur masse était élevée, plus leur temps de vie était court jusqu’à atteindre 10-23 s. La discipline languissait depuis plusieurs années sans direction bien assurée devant un zoo hétéroclite à l’aspect assez brouillon.
200 objets élémentaires pour construire le monde, ce ne pouvait pas être le mot de la fin. Heureusement, les physiciens Murray Gell-Mann d’une part, et George Zweig d’autre part suggérèrent l’existence de constituants plus élémentaires à la base des particules répertoriées. Gell-Mann les appela quarks et montra que les 200 espèces connues pouvaient se comprendre comme assemblages de trois quarks différents qu’on nomme u, d et s. Zweig les appela « as » mais « quark », qui vient du roman de James Joyce Finnegans Wake, s’imposa.
Les quarks portent des charges électriques qui sont une fraction de la charge élémentaire de l’électron, respectivement +2/3 pour u et -1/3 pour d et s. Avec ces trois objets de base et trois antiquarks associés portant la charge opposée, on reconstruit deux familles de particules :
les baryons qui sont des triplets de quarks, par exemple uud et udd forment respectivement les protons et les neutrons ; les charges +1 et 0 sont bien restituées.
les mésons qui sont des paires associant un quark et un antiquark,
Avec les trois seuls dés à disposition, la nature construisait toutes les particules connues. Une association manquait, celle du baryon correspondant au triplet sss. C’était la prédiction du modèle. Une recherche fut menée et le « grand Ω » fut découvert à Brookhaven en 1964 à la masse prédite. Gell-Mann reçut le prix Nobel en 1969.
Toutes les particules connues ont une charge électrique +1, 0, -1 celle de l’électron. Des charges non entières supposées caractériser les quarks n’ont jamais été observées librement. Pourtant les quarks existent dans la mesure où ils opèrent au moment des interactions entre particules. Mais, dès qu’ils sont créés, ils « s’habillent » avec d’autres quarks ou antiquarks pour former les particules « réelles », baryons ou mésons. À notre niveau, les quarks restent des objets virtuels, nécessaires pour interpréter les observations.
Les quarks constituent le niveau le plus élémentaire de la matière explorée à ce jour. Leur « taille » est inférieure à 10-18 m alors que les particules qu’ils composent possèdent une taille mille fois supérieure.
En sus des deux laboratoires majeurs cités, il existait des centres plus modestes. En France, une machine à protons fonctionnait à Saclay et une à électrons à Orsay. Il y avait aussi un dispositif en développement sur le campus de Stanford, cœur de la Silicon Valley, au sud de San Francisco. Le laboratoire, appelé SLAC, avait construit un accélérateur « dans le parking », c’est-à-dire entièrement financé sur les frais de fonctionnement, sans demande spécifique de budget, ce qui mérite aujourd’hui d’être souligné ! C’était un dispositif accélérant en sens inverse des électrons et des positrons dans un collisionneur de 80 m de diamètre, d’énergie maximale 4 GeV par faisceau. Il prit le nom de SPEAR, « Stanford Positron Electron Accelerator Ring ».
Autour d’un point d’interaction entre positrons et électrons, un détecteur de conception nouvelle fut construit pour mesurer au mieux tous les produits de la collision. C’était le premier détecteur hermétique qui couvrait tout l’espace pour ne rien laisser s’échapper. On l’appela Mark1.
L’expérience commença à prendre des données dès 1973 et elles étaient embarrassantes. L’ordinateur qui gérait la prise de données enregistrait environ une collision toutes les deux à trois minutes qu’il signalait en émettant un bref son. Ce taux était plusieurs fois supérieur à ce que prédisait la théorie.
On variait l’énergie en un balayage relativement grossier, en pas de 50 MeV : ainsi, on mesurait le taux de collisions à 2,550 GeV puis 2,600 GeV puis 2,650 GeV… Deux problèmes apparaissaient. Tout d’abord, comme déjà mentionné, le taux d’interaction s’avérait nettement plus élevé que prédit. De plus, les données prises à l’énergie nominale de 3,100 GeV en trois périodes différentes n’étaient pas en accord entre elles, deux périodes donnant des taux beaucoup plus élevés que la troisième. La reproductibilité de la physique semblait violée.
Et alors, quelqu’un eut l’idée de faire un balayage beaucoup plus fin en énergie. Au lieu d’augmenter de 50 MeV en 50 MeV, on varierait l’énergie en pas plus serré de 2 MeV en 2 MeV. Et là, le miracle se révéla le 10 novembre 1974, c’était un dimanche. Nous étions trois ou quatre dans la salle de contrôle quand l’ordinateur, qui émettait son petit son à chaque nouvelle collision, au lieu de crépiter toutes les deux ou trois minutes, commença à accélérer le rythme. Ce fut le signal magique que tous nous espérions : entre les énergies de 3100 et 3120 MeV, le taux d’interactions, et donc le signal sonore de l’ordinateur, augmenta soudain d’un facteur 100. La « fusillade » dura quelques minutes. Puis, le pic découvert étant dépassé, l’ordinateur reprit son train-train de un coup en deux minutes.
Une structure manifeste s’était révélée, on venait de révéler une « résonance étroite » de masse 3096 MeV et de largeur 87 keV. Cette largeur indiquait un temps de vie 100 fois supérieur à l’attendu. On cherchait un profil de colline jurassienne et on découvrait un pic alpestre. Un phénomène totalement nouveau apparaissait.
Une publication fut vite écrite, signée par un groupe d’une trentaine de physiciens, contingent qui à l’époque semblait monstrueux et qui aujourd’hui s’avère bien modeste. Elle renouvela la vision du monde de l’infiniment petit et l’événement fut appelé la « révolution de novembre 74 »
Il fallait donner un nom. Quelques lettres grecques restaient libres et on choisit Ψ. Pourquoi cette particule possédait-elle une vie aussi longue ? L’interprétation n’était pas évidente. Deux écoles se disputèrent pendant une fébrile semaine au troisième étage du laboratoire où bivouaquaient les théoriciens, entre les tenants de la libération des couleurs, nouvelle « charge » imaginée pour associer les quarks entre eux, et ceux prônant l’apparition d’un nouveau quark. Le verdict tomba : l’expérience venait de découvrir le quatrième quark, appelé c pour charmé. Ceci complétait la liste des constituants élémentaires au-delà des trois quarks u, d et s introduits par Gell-Mann.
Et si un nouveau quark existe, il annonce toute une famille de particules charmées correspondant à toutes les combinaisons permises entre quatre quarks. Déjà, le 17 novembre, on trouvait le méson Ψ’ de masse 3700 MeV, autre avatar de ce qu’on a appelé le charmonium, qui associait un quark c à son anti-c.
Comme pour les nouveau-nés, le nom charme vient de la facétie d’un parrain. En astronomie, les planètes portent les noms de dieux antiques. Pour les particules, on aurait pu les numéroter, on choisit de les classer selon l’alphabet, grec de préférence. Ainsi Δ, μ, Φ, Σ, Λ… presque toutes les lettres furent mises à contribution. Le grec était favorisé pour que la physique égale en respectabilité sa sœur, la philosophie. Mais, vers les années 1960, le langage évolua. Les nouveaux scientifiques, moins imprégnés de culture classique, passèrent à des noms plus prosaïques. Les particules étranges avec leur quark s (strange) avaient balisé la voie. Charm fut adopté pour le c, et l’histoire se répétera avec le quark b beau (ou bottom) et le quark t vrai (truth ou top). On sait aujourd’hui qu’avec ces six objets la liste des quarks est au complet, il n’y a plus rien à découvrir sur ce front.
Pour clore l’histoire, la même résonance fut découverte indépendamment en collisions de protons à Brookhaven, et là le groupe choisit le nom J. Cette lettre, étrangère au grec, ressemble à un caractère chinois qui s’épelle comme le patronyme de son découvreur. Et pour ne froisser personne, les physiciens continuent à appeler le méson charmé du nom un peu baroque de J/Ψ.
François Vannucci ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
06.11.2024 à 15:40
Clément Ganino, Maitre de Conférence en Sciences de la Terre, Université Côte d’Azur
Le ralentissement spectaculaire de la croissance démographique il y a 74 000 ans, la chute de la civilisation minoenne, la Révolution française, la migration d’Européens vers les États-Unis au XIXe siècle… Derrière chacun de ces événements, l’influence possible d’une éruption volcanique.
Les grandes éruptions volcaniques sont des phénomènes spectaculaires qui peuvent de fait avoir des répercussions sur l’activité humaine, de façon locale ou globale, et ainsi avoir une influence sur l’histoire des civilisations et des arts. D’un point de vue géologique, une éruption consiste en l’émission de magma incandescent (sous forme de coulées ou d’éjectas) de cendres, de poussières et de gaz (vapeur d’eau, dioxyde de carbone ou gaz soufrés) le tout en proportions variables. Le dioxyde de carbone s’il est émis en grande quantité sur une courte période peut avoir un effet direct sur le climat via l’effet de serre.
Les gaz soufrés forment, eux, des aérosols, c’est-à-dire des particules dans l’atmosphère qui occultent une partie du rayonnement solaire. Ces aérosols peuvent ainsi contribuer à ce qu’on appelle un « hiver volcanique » avec une chute brutale des températures. S’ils sont émis en quantité, ces gaz peuvent changer significativement la composition globale de l’atmosphère et ses propriétés optiques. Enfin, après une éruption, le réservoir souterrain d’où provient le magma, « la chambre magmatique », peut se vider entièrement et provoquer ainsi un effondrement du sol en surface qu’on nomme caldeira.
Tâchons de revenir sur quelques éruptions qui ont, de par ces processus d’émission ou d’effondrement, marqué l’histoire, les arts, et peuvent également éclairer quelques enjeux du changement climatique actuel.
Si certaines éruptions n’ont pas laissé de traces écrites, elles ont pourtant considérablement impacté l’humanité.
L’éruption de Toba en Indonésie (environ 74 000 ans avant notre ère) a ainsi provoqué un hiver volcanique d’une durée de plusieurs années. Certains auteurs suggèrent qu’elle aurait de ce fait déclenché un goulot d’étranglement démographique chez les premiers Homo sapiens, réduisant la population humaine mondiale à quelques milliers d’individus et ralentissant l’expansion de l’humanité.
Les premiers témoignages de phénomènes éruptifs connus du paléolithique prennent ensuite la forme de peintures rupestres. Dans la grotte Chauvet en Ardèche, par exemple, en plus des représentations d’animaux généralement dangereux et puissants (lions, ours, mammouths, rhinocéros réalisées avec des pigments d’ocre rouge et de charbon), on trouve des gravures figurant le plus ancien témoignage d’éruption volcanique. Un dessin distinctif en gerbes paraboliques a été assimilé à une représentation de fontaines de laves typiques des éruptions dites « stromboliennes ».
Ces dernières sont caractérisées par des explosions d’intensité modérée éjectant à quelques dizaines de mètres de hauteur des particules de lave incandescentes de tailles variées (cendres, lapilli et bombes). La comparaison de l’âge d’occupation de ce site (37 000 à 33 500 ans) avec l’âge des plus jeunes volcans d’Ardèche (entre 19000 ans et 41000 ans) montre qu’il est possible que les habitants aient vécu et témoigné à travers ce dessin d’une éruption volcanique.
Cet exemple ne laisse cependant pas présager des conséquences humaines et matérielles des éruptions et il faut attendre le néolithique et la fresque de Çatal Höyük en Turquie pour avoir un témoignage probable des effets d’une éruption. Cette fresque dans une maison néolithique (6 600 avant J.-C.) montre ce qui semble être un volcan en éruption (vraisemblablement le mont Hasan), projetant des cendres ou de la lave vers une série de motifs en damier pouvant être interprétés comme les habitations de cette ancienne ville d’Anatolie centrale en proie à une éruption.
Ces deux exemples témoignent de l’influence des éruptions volcaniques, à minima sur l’imaginaire et sur l’histoire des prémices de l’art dans ces temps très reculés. Mais au-delà du spectacle local d’une éruption telle qu’elle peut être observée à proximité d’un volcan, les « grandes » éruptions volcaniques ont parfois eu un impact reconnu sur les populations de l’antiquité.
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L’éruption de Théra (Santorin, Grèce) vers 1600 av. J.-C. a été l’une des plus puissantes de l’histoire. Elle a eu un impact majeur sur la florissante civilisation minoenne et des répercussions sur la proche civilisation mycénienne, commercialement liée aux Minoens. Une quantité massive de cendres a recouvert l’île de Santorin et lors de la formation d’une caldeira, une partie de l’île a été submergée dont la ville antique d’Akrotiri. Cette éruption pourrait d’ailleurs avoir inspiré le mythe de l’Atlantide, raconté par Platon dans ses Dialogues.
Au-delà de ces impacts majeurs mais locaux, l’éruption de Théra a projeté une immense quantité de cendres et d’aérosols dans l’atmosphère, provoquant des changements climatiques temporaires. L’« hiver volcanique » lié aux aérosols a pu modifier le cycle des moussons et sécheresses contribuant à de mauvaises récoltes dont témoigne le Papyrus égyptien d’Ipou-Our, décrivant de telles famines, ainsi que diverses catastrophes naturelles sous le règne d’Ahmôsis Iᵉʳ (vers 1550-1525 avant J.-C.).
Par la suite, d’autres éruptions majeures ont marqué l’histoire et notamment à la fin du XVIIIe siècle (1783-1784), lorsque le volcan Laki (Lakagigar) entra en éruption en Islande : 12 km3 de lave s’échappèrent alors d’une fissure de 30 km de long libérant de grandes quantités de fluorures dans l’atmosphère. Ces composés, une fois retombés sur les pâturages, provoquèrent une contamination massive intoxiquant le bétail (maladies osseuses, dentaires et mort de nombreuses bêtes). Près de 50 % du bétail islandais aurait péri et 20 % de la population islandaise (soit environ 10 000 personnes) aurait succombé à la famine créée par cet évènement causant l’une des plus grandes catastrophes démographiques dans l’histoire de l’île.
Au-delà de l’Islande, les émissions de gaz soufrés du Laki ont été suffisamment massives pour entrainer un refroidissement global (hiver volcanique) et un hiver particulièrement froid en Europe, affectant les récoltes, notamment en France, et contribuant à des pénuries alimentaires qui ont exacerbé les tensions économiques et sociales. Ces conditions ont été le terreau de la Révolution française (1789) qui elle-même a inspiré multiples soulèvements en Europe et dans le monde. L’histoire politique a ainsi été mise en mouvement par une éruption volcanique pourtant très peu explosive, et dont les volumes émis peuvent paraître dérisoires, notamment s’ils sont comparés à d’autres évènements éruptifs documentés aux échelles de temps géologiques comme la mise en place des grandes provinces magmatiques (Deccan, Sibérie, etc.).
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Au contraire, l’éruption du Tambora en Indonésie en 1815, a été extrêmement explosive. Elle a entrainé « l’année sans été » de 1816 qui a vu les températures mondiales chuter de plusieurs degrés, provoquant des récoltes désastreuses en Europe et en Amérique du Nord, et entrainant famines et troubles sociaux, cette fois-ci moteur de migrations massives, notamment aux États-Unis. Cette éruption, projetant d’énormes quantités de cendres et de particules dans l’atmosphère, a engendré des couchers de soleil spectaculaires et un « ciel strié » pendant plusieurs mois.
Selon certains auteurs, ils ont pu inspirer des peintres comme William Turner (Le Dernier Voyage du Téméraire ; Le bateau négrier) et Caspar David Friedrich, dont des paysages romantiques, tels que dans le célèbre Voyageur au-dessus de la mer de nuages (1818), pourraient également refléter un ciel teinté par les cendres et les particules résultant de l’éruption.
L’éruption cataclysmique du Krakatoa, à la fin du XIXe (1883), en plus des tsunamis dévastateurs qui ont tué des dizaines de milliers de personnes en Indonésie et ses environs, a également entrainé des phénomènes lumineux mondiaux remarquables liés aux particules dispersées dans l’atmosphère. Une étude a ainsi établi un lien entre l’éruption du Krakatoa et le spectaculaire crépuscule qui a inspiré l’une des peintures les plus célèbres du mouvement expressionniste : le Cri. Ce lien entre l’éruption du Krakatoa et l’œuvre de Munch reste débattu, certains auteurs préférant voir dans ce ciel inquiétant une figuration du phénomène purement météorologique des « nuages nacrés ».
Outre l’expressionnisme de Munch, certains auteurs estiment que l’impressionnisme de Claude Monet a pu être également influencé par le ciel chargé en aérosols volcaniques du Krakatoa. S’ils inspirent les volcanologues, les grands peintres inspirent également les géochimistes de l’environnement, qui préfèrent eux voir dans certaines de leurs toiles une représentation de phénomènes optiques liés à la pollution atmosphérique croissante en pleine révolution industrielle.
Le XXe siècle n’a pas été exempt d’éruptions, mais il a vu apparaître toute une série de mesures destinées à minimiser leurs impacts sur les populations. L’éruption de la montagne Pelée en 1902, dévastant la ville de Saint-Pierre en Martinique, a fait plus de 30000 victimes et engendré un déplacement massif de populations, modifiant la perception des risques volcaniques : les systèmes d’alerte ont été réévalués et des mesures de sécurité se sont développées et déployées dans les régions volcaniques.
De ce fait, l’éruption du Pinatubo (1991), aux Philippines, même si elle a été l’une des plus violentes du XXe siècle, a fait relativement peu de victimes (moins de 100) malgré la synchronicité de cet événement avec le passage du typhon Yunya. La surveillance volcanique couplée à des évacuations massives, a probablement sauvé des milliers de vies. Les systèmes actuels de surveillance des volcans combinent plusieurs techniques : des sismomètres mesurant les vibrations causées par les mouvements de magma, divers capteurs inspectant un éventuel bombement de la surface préalable à une éruption, des satellites de télédétection, des webcams et drones, ainsi que des dispositifs mesurant les émissions de gaz volcaniques. Des campagnes de sensibilisation et d’information et des procédures d’évacuation sont également préparées, limitant l’impact de possibles futures éruptions.
Très récemment, l’éruption sous-marine du Hunga Tonga, survenue le 15 janvier 2022 dans l’océan Pacifique Sud, a été d’une intensité extraordinaire, propulsant des cendres jusqu’à 58 km dans l’atmosphère et déclenchant des tsunamis dans plusieurs régions (l’Océanie mais également le Pérou ou la Californie).
Elle est considérée comme l’une des plus puissantes de l’histoire moderne, déployant une énergie cent fois supérieure à celle de la bombe nucléaire d’Hiroshima. Cette éruption a injecté environ 150 mégatonnes de vapeur d’eau dans la stratosphère, augmentant de 10 % la teneur stratosphérique en vapeur d’eau. Les températures dans la stratosphère tropicale ont de ce fait diminué d’environ 4 °C en mars et avril 2022. Les immenses quantités de vapeur d’eau injectées dans l’atmosphère par ce volcan ont, d’une certaine façon, permis de réaliser une expérience naturelle de géo-ingénierie, cette solution étant parfois envisagée comme une lutte de dernier recours contre le changement climatique.
Les éruptions volcaniques et leur étude n’ont sans doute pas fini d’influencer notre histoire.
Clément Ganino a reçu des financements de l'ANR et du CNRS.
06.11.2024 à 14:37
DIRIS Jean-Pierre, Coordinateur interministériel IRS ² et GOVSATCOM, Centre national d’études spatiales (CNES)
The ongoing transition to a digital economy has already had one observable consequence: a sharp rise in the need for connectivity enabling rapid data transmission. In a global market where connectivity offers are evolving quickly, satellites are now achieving technical and economic performances close to those of terrestrial solutions. The enormous advantage is their steady deployment cost, whatever the geographical area, and particularly in “white” zones not covered by terrestrial infrastructures.
The European IRIS² satellite constellation (is part of this transition, which requires more and more data-sharing infrastructure – currently dominated by US players. A satellite constellation enables different users to be connected via multiple satellites, providing a continuous and complete coverage of the planet.
With several public (China, US) and private (Oneweb, Starlink and Kuiper) constellation initiatives being developed and put into service to meet data processing and connectivity needs, the telecommunications sector is more strategic than ever for France and Europe. The IRIS2 programme is designed to meet this challenge.
After some attempts in the early 2000s, constellations have finally emerged, and projects are now credible and largely financed by public and private funds. Several factors have contributed to this emergence: advances in electronic miniaturisation, the performance of integrated digital components, the drastic reduction in launch costs and the industrial capacity to produce satellites in small series at lower cost.
Faced with the development of satellite telecommunications in low earth orbit (an area of the earth’s orbit up to 2,000 kilometres above sea level), the European Commission has adopted an approach, involving both the public and private sectors, that aims to strengthen Europe’s position in the constellation race to benefit European citizens and their institutions.
The European Union’s secure connectivity satellite constellation programme was decided on in March 2023. IRIS2 (Infrastructure for Resilience, Interconnectivity and Security by Satellite) will be the first multi-orbital satellite network in Europe. Some 300 satellites will be designed, manufactured and deployed in the first phase.
The constellation will provide a secure communications infrastructure for EU government bodies and agencies. The various communication links between users and the satellite command and control links will be protected, and the ground infrastructure will be secured.
The system will guarantee the EU’s strategic autonomy in the field of secure government communications. IRIS2 will also provide commercial services and seek to maximise synergies between government and commercial infrastructures. The constellation will strengthen the position of Europe, its industries and its operators in the world.
IRIS2 is associated with the EU’s existing GOVSATCOM programme, which provides secure government communications based on capacity from licensed operators or member states.
The EU funds IRIS2 with €2.4 billion under the Multiannual Financial Framework (MFF) 2021-2027; additional funding is being considered under the MFF 2028-2035. The funding is complemented by the European Space Agency (ESA) with €600 million (subscribed to in the ESA’s ministerial conference of November 2022), and by private commercial players under a concession contract.
Following validation of the EU’s regulation on the secure connectivity constellation programme in March 2023, the European Commission launched a call for tenders for the main IRIS2 development contract in May 2023. The tender was finalised by a consortium of three operators (Eutelsat, SES and Hispasat) associated with industrial subcontracting partners (Airbus, Thales, OHB, Deutsche Telekom and Orange) for a bid submission on September 2, 2024. The European Commission has examined the offer and just confirmed the contract award, with a view to sign the 12-year IRIS2 concession contract before the end of 2024.
In summer 2023, the European Commission launched a call for tenders to host the constellation’s ground infrastructure, and in April 2024 selected France (Toulouse) Italy (Fucino) and Luxembourg (Bettembourg) to host the IRIS2 control centres.
France’s former prime minister Elisabeth Borne decided to set up a French interministerial coordination for IRIS2 and GOVSATCOM, for which I have been tasked as coordinator, with the participation of representatives from the various ministries and agencies. The main objectives are to coordinate all French activities contributing to the development and operation of these programmes, to ensure a continuous relationship with European contacts (EU, ESA and the European Union Agency for the Space Programme) and to lead the French community of users of the connectivity provided by these programmes.
The aim of IRIS2 is to provide an autonomous and sovereign digital service to every member state of the European Union. Nowadays, space connectivity is indispensable, as it is the most reliable option when terrestrial telecommunication systems do not exist or have been damaged by a conflict or natural disaster, for example.
The programme will provide a wide variety of services to European governments and citizens. The system enables surveillance of borders and remote areas. The programme is indispensable for civil protection, particularly in the event of crises or natural disasters. It improves the delivery of humanitarian aid and the management of maritime emergencies, whether for search or rescue. Numerous smart connected networks – energy, finance, healthcare, data centres, etc. – will be monitored thanks to the connectivity provided by IRIS2. The system will also enable the management of various infrastructures: air, rail, road and vehicle traffic. Added to this are institutional telecoms services for embassies, for example, and new telemedicine services for intervention in isolated areas. Finally, IRIS2 will improve connectivity in areas of strategic interest for foreign security and defence policy: Europe, the Middle East, Africa, the Arctic, the Atlantic and Baltic regions, the Black Sea and the Mediterranean Sea.
The constellation’s satellites will be placed in two different orbits: low (up to 2,000 kilometres) and medium (between 2,000 and 35,786 km). By covering this range, IRIS2 will be able to provide low-latency communications services – i.e., ultra-fast information transmission comparable to the performance of terrestrial networks – and to complement other European space programmes.
IRIS2 is based on advanced technologies, with a relatively limited number of satellites compared with mega-constellations, which consist of many thousands. Its satellites will be designed to meet the environmental and regulatory standards of Europe’s future space law.
DIRIS Jean-Pierre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
05.11.2024 à 16:07
Sara Webb, Lecturer, Centre for Astrophysics and Supercomputing, Swinburne University of Technology
En analysant les mouvements de certains objets du système solaire situés au-delà de Pluton, on note que les observations ne collent pas avec la théorie et que l’explication la plus simple serait la présence d’une neuvième planète. Les astronomes mènent l’enquête.
Notre système solaire est un endroit particulièrement encombré. Des millions d’objets s’y déplacent, qu’il s’agisse de planètes, de lunes, de comètes ou d’astéroïdes. Et chaque année, nous découvrons de plus en plus d’objets (généralement de petits astéroïdes ou des comètes) qui élisent domicile dans le système solaire.
En 1846, les astronomes avaient déjà trouvé les huit planètes principales. Mais cela n’a pas empêché les scientifiques d’en chercher d’autres. Au cours des 100 dernières années, nous avons découvert des corps lointains plus petits que nous appelons planètes naines, ce qui correspond à la classification actuelle de Pluton.
Chaque semaine, nos scientifiques répondent à vos questions.
N’hésitez pas à nous écrire pour poser la vôtre et nous trouverons la meilleure personne pour vous répondre.
Et bien sûr, les questions bêtes, ça n’existe pas !
La découverte de certaines de ces planètes naines nous a donné des raisons de penser que quelque chose d’autre pourrait se cacher à la périphérie du système solaire.
Ce n’est pas pour rien que les astronomes passent des centaines d’heures à essayer de localiser une neuvième planète, ou « planète X ». En effet, le système solaire tel que nous le connaissons n’a pas vraiment de sens sans elle.
Tous les objets du système solaire tournent autour du Soleil. Certains se déplacent rapidement, d’autres lentement, mais tous obéissent aux lois de la gravité. Tout ce qui a une masse est soumis à la gravité, y compris vous et moi. Plus un objet est lourd, plus il est soumis à la gravité.
La gravité d’une planète est si importante qu’elle influe sur la façon dont les choses se déplacent autour d’elle. C’est ce que nous appelons son « attraction gravitationnelle ». L’attraction gravitationnelle de la Terre est ce qui maintient tout sur le sol.
Par ailleurs, notre Soleil exerce la plus forte attraction gravitationnelle de tous les objets du système solaire, et c’est essentiellement pour cette raison que les planètes gravitent autour de lui.
C’est grâce à notre compréhension de l’attraction gravitationnelle que nous obtenons notre plus grand indice sur la possibilité d’une Planète X.
Lorsque l’on observe des objets très éloignés, tels que les planètes naines situées au-delà de Pluton, on constate que leurs orbites sont quelque peu inattendues. Elles se déplacent sur de très grandes orbites elliptiques (en forme d’ovale) et sont groupées.
Lorsque les astronomes utilisent des ordinateurs pour modéliser les forces gravitationnelles nécessaires pour que ces objets se déplacent ainsi, ils découvrent qu’il aurait fallu une planète d’une masse au moins dix fois supérieure à celle de la Terre pour provoquer ce phénomène.
C’est fascinant, mais la question qui se pose alors est la suivante : où se trouve cette planète ?
Le problème qui se pose aujourd’hui est d’essayer de confirmer que ces prédictions et ces modèles sont corrects. Le seul moyen d’y parvenir est de trouver la planète X, ce qui est certainement plus facile à dire qu’à faire.
Les scientifiques du monde entier sont à la recherche de preuves visibles de la présence de la planète X depuis de nombreuses années.
D’après les modèles informatiques, on pense que la planète X est au moins 20 fois plus éloignée du Soleil que Neptune. On essaie de la détecter en recherchant la lumière solaire qu’elle peut refléter, tout comme la Lune brille grâce à la lumière solaire réfléchie la nuit.
Cependant, comme la planète X se trouve très loin du Soleil, on s’attend à ce qu’elle soit très peu lumineuse et difficile à repérer, même pour les meilleurs télescopes de la Terre. De plus, on ne peut pas la chercher à n’importe quel moment de l’année.
On ne dispose que de petites fenêtres nocturnes où les conditions doivent être parfaitement réunies. Plus précisément, il faut attendre une nuit sans Lune et où l’endroit d’où nous observons est orienté vers la bonne partie du ciel.
Mais ne perdez pas espoir pour autant. Au cours de la prochaine décennie, de nouveaux télescopes seront construits et de nouvelles études du ciel seront lancées. Ils nous donneront peut-être l’occasion de prouver ou d’infirmer l’existence de la planète X.
Sara Webb ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
04.11.2024 à 17:18
Sara Bouchenak, Professeure d'Informatique - INSA Lyon, INSA Lyon – Université de Lyon
Les données utilisées pour entraîner les IA reflètent les stéréotypes et les préjugés de la société, par exemple envers des groupes sous-représentés. Pour conserver la confidentialité de données sensibles, comme les données de santé, tout en garantissant qu’elles ne sont pas biaisées, il faut adapter les méthodes d’apprentissage.
Plusieurs scandales ont éclaté ces dernières années, mettant en cause des systèmes d’aide à la décision basés sur l’intelligence artificielle (IA) qui produisent des résultats racistes ou sexistes.
C’était le cas, par exemple, de l’outil de recrutement d’Amazon qui exhibait des biais à l’encontre des femmes, ou encore du système guidant les soins hospitaliers dans un hôpital américain qui privilégiait systématiquement les patient de couleur blanche par rapport aux patients noirs. En réponse au problème de biais dans l’IA et les algorithmes d’apprentissage automatique, des législations ont été proposées, telles que le AI Act dans l’Union européenne, ou le National AI Initiative Act aux États-Unis.
Un argument largement repris concernant la présence de biais dans l’IA et les modèles d’apprentissage automatique est que ces derniers ne font que refléter une vérité de terrain : les biais sont présents dans les données réelles. Par exemple, des données de patients ayant une maladie touchant spécifiquement les hommes résultent en une IA biaisée envers les femmes, sans que cette IA ne soit pour autant incorrecte.
Si cet argument est valide dans certains cas, il existe de nombreux cas où les données ont été collectées de manière incomplète et ne reflètent pas la diversité de la réalité terrain, ou encore des données qui incluent des cas statistiquement rares et qui vont être sous-représentés, voire non représentés dans les modèles d’apprentissage automatique. C’est le cas, par exemple, de l’outil de recrutement d’Amazon qui exhibait un biais envers les femmes : parce que les femmes travaillant dans un secteur sont statistiquement peu nombreuses, l’IA qui en résulte rejette tout simplement les candidatures féminines.
À lire aussi : Le cruel dilemme des données de santé à l’ère de l’IA : vie privée ou équité ?
Et si plutôt que refléter, voire exacerber une réalité actuelle dysfonctionnelle, l’IA pouvait être vertueuse et servir à corriger les biais dans la société, pour une société plus inclusive ? C’est ce que proposent les chercheurs avec une nouvelle approche : l’« apprentissage fédéré ».
Les systèmes d’aide à la décision basés sur l’IA se basent sur des données. En effet, dans les approches classiques d’apprentissage automatique, les données provenant de plusieurs sources doivent tout d’abord être transmises à un dépôt (par exemple, un serveur sur le cloud) qui les centralise, avant d’exécuter un algorithme d’apprentissage automatique sur ces données centralisées.
Or ceci soulève des questions de protection des données. En effet, conformément à la législation en vigueur, un hôpital n’a pas le droit d’externaliser les données médicales sensibles de ses patients, une banque n’a pas le droit d’externaliser les informations privées des transactions bancaires de ses clients.
À lire aussi : Emploi, sécurité, justice : d’où viennent les « biais » des IA et peut-on les éviter ?
Par conséquent, pour mieux préserver la confidentialité des données dans les systèmes d’IA, les chercheurs développent des approches basées sur une IA dite « distribuée », où les données restent sur les sites possesseurs de données, et où les algorithmes d’apprentissage automatique s’exécutent de manière distribuée sur ces différents sites – on parle également d’« apprentissage fédéré ».
Concrètement, chaque possesseur de données (participant à l’apprentissage fédéré) entraîne un modèle local sur la base de ses propres données, puis transmet les paramètres de son modèle local à une entité tierce qui effectue l’agrégation des paramètres de l’ensemble des modèles locaux (par exemple, via une moyenne pondérée selon le volume de données de chaque participant). Cette dernière entité produit alors un modèle global qui sera utilisé par les différents participants pour effectuer leurs prédictions.
Ainsi, il est possible de construire une connaissance globale à partir des données des uns et des autres, sans pour autant révéler ses propres données et sans accéder aux données des autres. Par exemple, les données médicales des patients restent dans chaque centre hospitalier les possédant, et ce sont les algorithmes d’apprentissage fédéré qui s’exécutent et se coordonnent entre ces différents sites.
Avec une telle approche, il sera possible pour un petit centre hospitalier dans une zone géographique moins peuplée que les grandes métropoles – et donc possédant moins de données médicales que dans les grands centres hospitaliers, et par conséquent, possédant a priori une IA moins bien entraînée – de bénéficier d’une IA reflétant une connaissance globale, entraînée de manière décentralisée sur les données des différents centres hospitaliers.
D’autres cas d’applications similaires peuvent être mentionnés, impliquant plusieurs banques pour construire une IA globale de détection de fraudes, plusieurs bâtiments intelligents pour déterminer une gestion énergétique appropriée, etc.
Comparé à l’approche classique d’apprentissage automatique centralisé, l’IA décentralisée et ses algorithmes d’apprentissage fédéré peuvent, d’une part, exacerber encore plus le biais, et d’autre part, rendre le traitement du biais plus difficile.
En effet, les données locales des participants à un système d’apprentissage fédéré peuvent avoir des distributions statistiques très hétérogènes (des volumes de données différents, des représentativités différentes de certains groupes démographiques, etc.). Un participant contribuant à l’apprentissage fédéré avec un grand volume de données aura plus d’influence sur le modèle global qu’un participant avec un faible volume de données. Si ce dernier est dans d’une certaine zone géographique qui représente un groupe social en particulier, celui-ci ne sera malheureusement pas, ou très peu, reflété dans le modèle global.
Par ailleurs, la présence de biais dans les données d’un des participants à un système d’apprentissage fédéré peut entraîner la propagation de ce biais vers les autres participants via le modèle global. En effet, même si un participant a veillé à avoir des données locales non biaisées, il héritera du biais présent chez d’autres.
De plus, les techniques classiquement utilisées pour prévenir et corriger le biais dans le cas centralisé ne peuvent pas s’appliquer directement à l’apprentissage fédéré. En effet, l’approche classique de correction du biais consiste principalement à prétraiter les données avant l’apprentissage automatique pour que les données aient certaines propriétés statistiques et ne soient donc plus biaisées ?
À lire aussi : Apprendre à désapprendre : le nouveau défi de l’intelligence artificielle
Or dans le cas d’une IA décentralisée et d’apprentissage fédéré, il n’est pas possible d’accéder aux données des participants, ni d’avoir une connaissance des statistiques globales des données décentralisées.
Dans ce cas, comment traiter le biais dans les systèmes d’IA décentralisée ?
Une première étape est de pouvoir mesurer les biais des données décentralisées chez les participants à l’apprentissage fédéré, sans avoir directement accès à leurs données.
Avec mes collègues, nous avons conçu une nouvelle méthode pour mesurer et quantifier les biais dans les systèmes d’apprentissage fédéré, sur la base de l’analyse des paramètres des modèles locaux des participants à l’apprentissage fédéré. Cette méthode a l’avantage d’être compatible avec la protection des données des participants, tout en permettant la mesure de plusieurs métriques de biais.
Mais il peut aussi y avoir plusieurs types de biais démographiques, qui se déclinent selon différents attributs sensibles (le genre, la race, l’âge, etc.), et nous avons démontré qu’atténuer un seul type de biais peut avoir pour effet collatéral l’augmentation d’un autre type de biais. Il serait alors dommage qu’une solution d’atténuation du biais lié à la race, par exemple, provoque une exacerbation du biais lié au genre.
Nous avons alors proposé une méthode multi-objectifs pour la mesure complète des biais et le traitement conjoint et cohérent de plusieurs types de biais survenant dans les systèmes d’apprentissage fédéré.
Ces travaux sont le fruit d’une collaboration avec des collègues chercheurs, doctorants et stagiaires : Pascal Felber, (Université de Neuchâtel), Valerio Schiavoni (Université de Neuchâtel), Angela Bonifati (Université Lyon 1), Vania Marangozova (Université Grenoble Alpes), Nawel Benarba (INSA Lyon), Yasmine Djebrouni (Université Grenoble Alpes), Ousmane Touat (INSA Lyon).
Le projet CITADEL est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.
Le projet ANR CITADEL (ANR-24-CE25-6501) soutient en partie ces travaux.
03.11.2024 à 18:46
DIRIS Jean-Pierre, Coordinateur interministériel IRS ² et GOVSATCOM, Centre national d’études spatiales (CNES)
Le programme IRIS2 (Infrastructure de résilience, d’interconnectivité et de sécurité par satellite) constituera le premier réseau de satellites multi-orbitaux en Europe. Cette constellation sera constituée d’environ 300 satellites et devrait voir le jour en 2030.
La transition de plus en plus forte vers l’économie numérique a une conséquence déjà observable : une augmentation forte du besoin de connectivité permettant la transmission rapide des données. Sur un marché mondial où les offres de connectivité évoluent rapidement, le satellite atteint désormais aujourd’hui des performances techniques (débit, latence en orbite basse) et économiques proches des solutions terrestres (fibre optique). L’énorme avantage est son coût de déploiement constant, quelle que soit la zone géographique, et notamment pour les zones « blanches » non couvertes par les infrastructures terrestres.
La constellation européenne IRIS2 s’inscrit dans cette transition, qui nécessite de plus en plus d’infrastructures de partage de données, dominées actuellement par des acteurs américains. Une constellation de satellites permet de connecter différents utilisateurs au travers de multiples satellites offrant ainsi une couverture instantanée permanente de la planète.
Dans le contexte actuel de développement et de mise en service de plusieurs initiatives de constellations tant publiques (Chine et États-Unis) que privées (Oneweb, Starlink, Kuiper) répondant aux besoins actuels de traitement de données et de connectivité découlant de la transition numérique, le secteur des télécommunications est plus que jamais stratégique pour la France et l’Europe. Le programme IRIS2 vise à répondre à cet enjeu.
Après des tentatives au début des années 2000, les constellations ont enfin émergé et les projets sont désormais crédibles et largement financés par des fonds publics et privés. Plusieurs facteurs ont permis leur émergence, les progrès en matière de miniaturisation électronique, les performances des composants numériques intégrés, la diminution drastique des coûts de lancement et la capacité industrielle de produire en petite série des satellites à moindre coût.
Face au développement des télécommunications par satellites en orbite basse (zone de l’orbite terrestre allant jusqu’à 2 000 kilomètres d’altitude), l’approche adoptée par la Commission européenne associant le secteur public et le secteur privé a pour objectif de renforcer l’Europe dans la course aux constellations au bénéfice des usages du citoyen européen et de ses institutions.
Le programme de l’Union européenne (UE) de constellation satellitaire de connectivité sécurisée a été décidé en mars 2023. Ce programme, appelé IRIS2 (Infrastructure de résilience, d’interconnectivité et de sécurité par satellite) constituera le premier réseau de satellites multi-orbitaux en Europe. Cette constellation sera constituée d’environ 300 satellites.
Cette constellation fournira une infrastructure de communication sécurisée aux organismes et agences gouvernementales de l’UE. Les différents liens de communication entre utilisateurs et les liens de commande et contrôle des satellites seront protégés, les infrastructures sol sécurisées.
Le dispositif garantira l’autonomie stratégique de l’UE dans le domaine des communications gouvernementales sécurisées. La constellation devra également fournir des services commerciaux et cherchera à maximiser les synergies entre les infrastructures gouvernementales et commerciales. Enfin, la constellation devra permettre le renforcement du positionnement de l’Europe, de son industrie et de ses opérateurs dans le monde.
IRIS2 est associé au programme existant GOVSATCOM de l’UE qui consiste à fournir des communications gouvernementales sécurisées sur la base de capacités provenant d’opérateurs agréés ou des États membres.
IRIS2 est un programme financé par l’UE à hauteur de 2,4 milliards d’euros sur le Cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027 ; des financements additionnels sont envisagés sur le CFP suivant 2028-2035. Ce financement est abondé par l’ESA à hauteur de 600M€ (souscription au Conseil ministériel de novembre 2022) et des acteurs privés commerciaux dans le cadre d’un contrat de concession.
Après validation du règlement de l’Union européenne sur l’initiative de constellation de connectivité sécurisée dès mars 2023, la Commission européenne a lancé l’appel d’offres relatif au contrat principal de développement de la constellation IRIS2 en mai 2023. L’appel d’offres a été finalisé avec un consortium de 3 opérateurs (Eutelsat, SES, Hispasat) associé à des partenaires industriels sous-traitants (Airbus, Thales, OHB, Deutsche Telekom, Orange) pour une remise d’offre le 2 septembre 2024. Cette offre est en cours d’examen par la Commission européenne dans l’objectif de signer le contrat de concession IRIS2 d’une durée de 12 ans, avant la fin 2024.
La Commission européenne a lancé à l’été 2023 un appel à candidatures pour l’hébergement d’infrastructures sol de la constellation et a retenu en Avril 2024 pour les centres de contrôle d’IRIS2 la France (Toulouse), l’Italie (Fucino) et le Luxembourg (Bettembourg).
La Première ministre, Elisabeth Borne, a décidé d’établir en France une coordination interministérielle sur IRIS2 et GOVSATCOM, dont il m’a été confié la mission avec la participation des représentants des différents ministères et agences.
Ce point focal national a pour objectifs principaux de coordonner l’ensemble des activités françaises contribuant au développement et à l’exploitation de ces programmes, d’assurer une relation permanente avec les interlocuteurs européens (UE, ESA, EUSPA), d’animer la communauté française des utilisateurs de la connectivité sécurisée fournie par ces programmes.
En termes d’usages l’objectif d’IRIS2 est de fournir un service digital autonome et souverain à chaque État membre de l’Union européenne. De nos jours, la connectivité spatiale est indispensable, celle-ci étant l’option la plus fiable en l’absence de systèmes de télécommunication terrestres (lorsqu’ils n’existent pas ou ont été endommagés par un conflit ou une catastrophe naturelle par exemple).
Le programme fournira une large variété de services aux gouvernements et citoyens européens. Le système permet la surveillance des frontières et des zones reculées. Le programme est indispensable à la protection civile, notamment en cas de crise ou de catastrophe naturelle. Il améliore l’envoi d’aide humanitaire et la gestion des urgences maritimes, que ce soit pour la recherche ou le sauvetage. De nombreux réseaux intelligents connectés – énergie, finance, santé, centres de données, etc. – seront contrôlés grâce à la connectivité fournie par IRIS2.
Le système permettra également de gérer différentes infrastructures : air, rail, route, trafic automobile. À cela s’ajoutent des services de télécommunications institutionnels par exemple pour les ambassades, et de nouveaux services de télémédecine pour l’intervention dans des zones isolées. Enfin IRIS2 améliorera la connectivité de zones d’intérêt stratégique dans le cadre de la politique étrangère de sécurité et de défense : Europe, Moyen-Orient, Afrique, Arctique, Atlantique et les régions de la Baltique, la mer Noire et Méditerranée.
Du côté architecture environ 300 satellites pourraient être conçus, fabriqués et déployés dans un premier temps. Les satellites seront placés sur deux orbites différentes : basse (jusqu’à 2 000 km) et moyenne (entre 2 000 et 35 786 km). En couvrant cette large gamme, la constellation sera en mesure de fournir des services de communication à faible latence – soit une transmission ultra-rapide des informations comparable aux performances des réseaux terrestres – et de compléter les autres programmes spatiaux européens.
DIRIS Jean-Pierre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
30.10.2024 à 16:47
Thierry Poibeau, DR CNRS, École normale supérieure (ENS) – PSL
Les grands modèles de langue, comme celui derrière ChatGPT, sont « fermés » : on ne sait pas comment ils sont mis au point, sur quelles données et avec quels paramètres. Même les modèles dits ouverts ne le sont que très partiellement, ce qui pose des problèmes de transparence et de souveraineté évidents. Développer des modèles ouverts est une alternative réaliste et souhaitable à moyen terme.
De la traduction automatique à la génération de contenu, les modèles de langue (ou modèles de langage) reposent sur des ensembles massifs de données et des algorithmes complexes. L’une des grandes questions pour la communauté de l’Intelligence artificielle est de savoir si ces modèles doivent rester fermés – contrôlés uniquement par quelques grandes entreprises – ou être ouverts et accessibles au public – en particulier aux chercheurs, développeurs et institutions publiques.
Un modèle ouvert présente plusieurs avantages. Premièrement, il permet une plus grande transparence. Les utilisateurs peuvent voir comment le modèle a été formé, quelles données ont été utilisées et quelles décisions algorithmiques sous-tendent ses prédictions. Cela favorise la confiance dans les résultats produits et permet à la communauté scientifique de vérifier et de corriger les biais qui pourraient être présents. Deuxièmement, un modèle ouvert encourage l’innovation. En permettant à d’autres chercheurs, développeurs et entreprises de travailler avec ces modèles, on peut accélérer le développement de nouvelles applications et résoudre des problèmes complexes de manière plus collaborative.
Les modèles fermés quant à eux posent des problèmes importants. Leur opacité rend difficile l’identification des responsabilités juridiques, car il est presque impossible de déterminer quelles données ont été utilisées lors de l’entraînement ou comment les décisions du système ont été prises. Cette opacité crée donc des risques potentiels de discrimination algorithmique, de désinformation et d’utilisation abusive des données personnelles. En outre, ces modèles fermés renforcent les monopoles technologiques, laissant peu de place à la concurrence et limitant ainsi les possibilités de mise au point de solutions concurrentes.
Si, aujourd’hui, les modèles de langue réellement ouverts (open source) sont encore relativement marginaux, ils restent une option envisageable à moyen terme. Pour qu’ils se développent, il faudra non seulement surmonter des obstacles techniques, mais aussi repenser les modèles de financement et de régulation, afin de garantir que l’innovation ne soit pas réservée à une poignée de géants technologiques. Il en va de l’avenir de l’intelligence artificielle ouverte et de son potentiel à bénéficier à l’ensemble de la société.
Un lobbying intensif est mené auprès des gouvernements et des instances de régulation pour avancer l’argument selon lequel l’ouverture complète des LLM pourrait mener à des dérives. La crainte d’un mauvais usage, qu’il s’agisse de diffusion massive de fausses informations ou de cyberattaques – voire le fantasme d’une prise de pouvoir par des machines supra-intelligentes, est mise en avant pour justifier la fermeture de ces modèles.
OpenAI, avec d’autres, proclame qu’ouvrir les modèles serait source de danger pour l’humanité. Le débat est en fait souvent difficile à suivre : certains parlent de danger, voire demandent un moratoire sur ce type de recherche, mais continuent d’investir massivement dans le secteur en parallèle.
Par exemple, Elon Musk a signé en mars 2023 la lettre du Future of Life Institute demandant une pause de six mois des recherches en IA, tout en lançant en juillet 2023 xAI, un concurrent d’OpenAI ; Sam Altman, qui dirige OpenAI, parle aussi fréquemment de danger tout en visant des levées de fonds de plusieurs milliards de dollars pour développer des modèles toujours plus puissants.
Si certains croient sans doute vraiment qu’il y a là un danger (mais il faudrait définir lequel exactement), d’autres semblent manœuvrer en fonction de leurs intérêts et des immenses sommes investies.
Face à cela, d’autres sociétés, comme Méta avec ses modèles Llama, ou Mistral en France, proposent des modèles dits « ouverts ». Mais ces modèles sont-ils réellement ouverts ?
L’ouverture se limite en effet le plus souvent à l’accès aux « poids » du modèle, c’est-à-dire aux milliards de paramètres qui se voient ajustés lors de son entraînement grâce à des données. Mais le code utilisé pour entraîner ces modèles, et les données d’entraînement (ces masses de données cruciales qui permettent au modèle d’analyser et de produire du texte) restent généralement des secrets bien gardés, hors de portée des utilisateurs et même des chercheurs, limitant ainsi la transparence de ces modèles. À ce titre, peut-on vraiment parler de modèle ouvert si seuls les poids sont disponibles et non les autres composantes essentielles ?
L’ouverture des poids offre toutefois des avantages certains. Les développeurs peuvent adapter le modèle sur des données particulières (à travers le « fine tuning ») et surtout, ces modèles offrent une meilleure maîtrise que des modèles complètement fermés. Ils peuvent être intégrés dans d’autres applications, sans qu’il s’agisse de boîte noire uniquement accessible par « prompt engineering », où la façon de formuler une requête peut influer sur les résultats, sans qu’on sache très bien pourquoi.
L’accès aux poids favorise également l’optimisation des modèles, notamment à travers des techniques comme la « quantisation », qui réduit la taille des modèles tout en préservant leur performance. Cela permet de les exécuter sur des machines plus modestes, des ordinateurs portables voire des téléphones.
En rendant les modèles partiellement ouverts, les sociétés propriétaires bénéficient ainsi de l’intérêt de milliers de développeurs, ce qui permet des progrès potentiellement plus rapides que pour les modèles fermés, mis au point par des équipes forcément plus réduites.
Mais peut-on envisager demain la création de modèles de langage réellement open source, où non seulement les poids, mais aussi les données d’entraînement et les codes d’apprentissage seraient accessibles à tous ? Une telle approche soulève des défis techniques et économiques importants.
Le principal obstacle reste la puissance de calcul nécessaire pour entraîner ces modèles, qui est actuellement l’apanage des entreprises dotées de ressources colossales (Google, Meta, Microsoft, etc.) ; OpenAI, ou Mistral en France, ont recours à de la puissance de calcul proposée par différents acteurs, dont les géants de l’informatique suscités. C’est en partie pour couvrir ces coûts – l’accès la puissance de calcul – que ces entreprises doivent régulièrement lever des fonds importants. Le coût énergétique, matériel, et en ressources humaines est prohibitif pour la plupart des acteurs.
Pourtant, des initiatives existent. Des communautés de chercheurs et des organisations à but non lucratif cherchent à développer des modèles ouverts et éthiques, basés sur des jeux de données accessibles, ou du moins transparents.
Ainsi, Allen AI (centre de recherche privé à but non lucratif, financé à l’origine par Paul Allen, le cofondateur de Microsoft décédé en 2018) a mis au point les modèles Olmo et Molmo (modèle de langue et modèle multimodal), qui sont complètement ouverts.
SiloAI, une entreprise finlandaise, en collaboration avec l’Université de Turku a mis au point un modèle multilingue complètement ouvert, Poro, performant pour les langues scandinaves.
En France, Linagora et d’autres travaillent aussi à mettre au point des systèmes ouverts, dans la continuité de Bloom (un modèle complètement ouvert, mis au point par un collectif de chercheurs sous l’impulsion de la société Hugging Face en 2022).
Le modèle économique de ces initiatives reste à déterminer, de même que le retour sur investissement à terme des sommes colossales actuellement en jeu sur ce thème au niveau international.
En pratique, ces modèles sont souvent entraînés sur des infrastructures publiques (Lumi en Finlande pour Poro, Genci en France pour Bloom) : il s’agit souvent de collaborations entre universitaires et entreprises privées pouvant ensuite commercialiser les solutions développées, puisqu’un modèle ouvert n’est pas synonyme de complètement gratuit, et des services annexes comme l’adaptation des modèles pour des besoins particuliers peuvent contribuer au financement de telles initiatives.
Une autre piste se situe dans le développement de modèles de langue spécialisés, moins coûteux en termes de données et d’infrastructure, mais qui pourraient répondre à des besoins spécifiques, ce qui permettrait à des entreprises ou des acteurs plus modestes de tirer leur épingle du jeu.
Thierry Poibeau est membre de l'Institut Prairie-PSAI (Paris AI Research Institute - Paris School of Artificial Intelligence) et a reçu des financements à ce titre.
29.10.2024 à 16:38
Valérie Lannoy, post-doctorante en microbiologie, Sorbonne Université
Il est difficile de faire nos courses sans qu’il ne nous soit proposé des produits pour protéger notre microflore ! Notre corps hébergerait dix fois plus de bactéries que de cellules. Vraiment ?
La microflore ou microbiote est l’ensemble des micro-organismes qui résident normalement dans notre corps. Ses secrets ont été vulgarisés par la Dre Giulia Enders dans son livre « Le charme discret de l’intestin ». Ce best-seller a largement contribué à l’engouement autour du sujet ! Pourtant, la découverte de la microflore intestinale a plus d’un siècle. Nous la devons au microbiologiste Élie Metchnikoff, prix Nobel de médecine en 1908. Avec le temps, les avancées technologiques ont facilité l’étude du microbiote, et c’est en 1977 que le célèbre ratio d’une cellule humaine pour dix bactéries est publié par le microbiologiste américain Dwayne Savage.
En 1972, le biochimiste Thomas Luckey a évalué que chaque gramme de selles humaines renfermait cent milliards de bactéries et que l’appareil digestif en contenait un kilo. En multipliant, et en considérant que la majorité des bactéries se loge dans les fèces, l’estimation de la quantité dans le corps était donc de 100 000 milliards de bactéries. En 1977, l’équipe du Pr Savage a ramené ce nombre sur le nombre de cellules humaines (10 000 milliards), d’où le fameux ratio. Ce rapport d’un sur dix s’est vite répandu dans la communauté scientifique, car il est facile à retenir et rend concrète la notion de microflore intestinale. Le ratio est encore diffusé dans les cours de biologie ou activités de vulgarisation.
Chaque semaine, nos scientifiques répondent à vos questions.
N’hésitez pas à nous écrire pour poser la vôtre et nous trouverons la meilleure personne pour vous répondre.
Et bien sûr, les questions bêtes, ça n’existe pas !
Près de quarante ans après, en 2014, le microbiologiste Judah Rosner a publié une lettre dans l’ancien journal scientifique « Microbe » pour questionner l’intangible proportion d’un sur dix. Le début de son texte est d’ailleurs intéressant et révèle un paradoxe : « La science se régit par une réanalyse critique de faits. […] Mais une fois qu’un fait entre dans la littérature scientifique, au bout d’un moment, il devient difficile à effacer. » Le Pr Rosner souligne que l’estimation de 10 000 milliards de cellules est d’abord sortie dans un livre en 1970, mais que l’information n’y est pas référencée. Il avertit aussi que l’appréciation de la quantité de cellules humaines représente en fait un défi. Il conclut que, même si le ratio devait être contredit, cela ne remettrait pas en cause l’implication du microbiote dans la santé humaine.
Deux ans après la lettre mentionnée, des travaux israéliens ont démenti l’inébranlable ratio. L’équipe du Professeur Ron Milo a sélectionné l’organe dont le nombre de bactéries était représentatif des bactéries dans l’organisme. La microflore de la bouche, des poumons ou de la peau n’a pas été comptabilisée, car la quantité de bactéries y est cent fois moins riche que dans le gros intestin. Ils ont pris en compte que le côlon contient 400 grammes et non un kilo de selles fraîches. Ensuite, l’équipe s’est inspirée d’un article scientifique italien, qui évaluait le nombre de cellules humaines, non pas de manière globale, mais organe par organe puisque les tailles et masses des cellules sont très variables à travers le corps.
Le nombre de cellules humaines devient alors trois fois plus élevé, soit 30 000 milliards. La proportion de bactéries par cellule est ainsi affinée à 1,3. Bien qu’inférieur à 10, le rapport est supérieur à 1, donc les bactéries restent supérieures en nombre.
Néanmoins, chaque fois vous déféquez aux toilettes, il se rééquilibre et ce sont les cellules humaines qui deviennent supérieures en nombre !
Nous parlons de bactéries, composante du microbiote intestinal la plus analysée aujourd’hui. Cependant, elle n’exprime pas toute la complexité de votre microflore. Bactéries, levures, protozoaires (animal microscopique à une seule cellule) et virus, voici le petit monde inoffensif que vous hébergez ! Notre « virobiote » a longtemps été considéré comme représentant l’écrasante majorité de l’organisme. En 2021, des études revoient cette donnée à la baisse, et rapprochent le nombre de virus dans notre corps à celui des bactéries. Par conséquent, ces effectifs sont semblables aux cellules humaines.
Mais n’oubliez pas qu’en les additionnant, bactéries et virus groupés ensemble sont majoritaires !
Valérie Lannoy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
28.10.2024 à 16:53
Antonin Robinet, doctorant en sciences des incendies, INSA Centre Val de Loire
Khaled Chetehouna, Sécurité Incendie ; Combustion ; Pyrolyse ; Milieu poreux, INSA Centre Val de Loire
Beaucoup d’additifs utilisés pour lutter contre les incendies se sont révélés être très nocifs pour l’environnement, il est donc nécessaire d’étudier de nouvelles pistes. Aussi surprenant que cela puisse paraître, les alcools pourraient se révéler être de bons candidats.
Contrairement à ce qui est souvent montré au cinéma, un véhicule endommagé n’explose pas. En revanche, les incendies sont tristement courants. Nos voitures et autres véhicules de transport à roues sont des machines très complexes qui possèdent de nombreux points de défaillances. En 2022, les sapeurs-pompiers comptabilisaient 45 588 interventions pour des feux de véhicules.
Le compartiment moteur d’un véhicule est une zone sensible. C’est un endroit très chaud (jusqu’à plusieurs centaines de degrés Celsius), rempli de substances combustibles diverses (carburant, huiles de synthèse, graisses, flexibles, plastiques) et soumis à un apport d’air régulier grâce au ventilateur du circuit de refroidissement. Le compartiment moteur réunit donc les trois composantes du triangle du feu qui sont la carburant, l’oxygène de l’air et une source de chaleur.
Les dernières réglementations en vigueur posent des défis pour la protection incendie. Les normes permissibles d’émissions de polluants ont généralisé le déploiement de filtres à particules qui doivent se régénérer, c’est-à-dire éliminer ces particules, à une température comprise entre 550 °C et 650 °C.
Les constructeurs capitonnent les compartiments moteurs avec de l’isolant pour diminuer le bruit perçu par les usagers mais cela a pour effet secondaire de piéger l’air chaud dans le compartiment moteur et d’en augmenter la température ambiante.
Alors que des réglementations sur les moyens d’extinction automatique des incendies pour les véhicules de transport public se mettent en place, intéressons-nous aux nouveaux défis de ce domaine.
Au cours du XXe siècle, on découvre que les halons, des gaz à base de brome, sont des agents extincteurs très efficaces. Dès le début des années 1980, il est cependant reconnu qu’ils participent à la dégradation de la couche d’ozone et leur utilisation est progressivement éliminée depuis l’adoption du protocole de Montréal en 1987.
Les hydrofluorocarbures (HFC) ont depuis lors été utilisés comme des alternatives. Ces gaz ne dégradent pas la couche d’ozone mais leur pouvoir de réchauffement global est plusieurs milliers de fois plus important que le CO₂. L’amendement Kigali, signé en 2016, a ajouté les HFC à la liste du protocole de Montréal.
De manière générale, l’ensemble des molécules contenant des halogènes comme le fluor sont progressivement marginalisées. La réglementation européenne prévoit l’interdiction prochaine des PFAS, ces « polluants éternels ». Ils sont utilisés dans la formulation des mousses anti-incendie employées par les sapeurs-pompiers pour lutter contre certaines classes de feux. On constate donc que toute la filière de l’extinction incendie doit se réinventer, dans un contexte de changement climatique global et alors que les normes sont des plus en plus restrictives.
Pour éviter de rejouer un scénario tel que celui qui a conduit à l’adoption des HFC, il convient d’étudier soigneusement chaque solution alternative potentielle, de se plonger dans la littérature scientifique passée et présente et d’identifier les impacts de ces technologies du point de vue de la performance anti-incendie mais également sur l’environnement et la santé humaine. C’est cet écueil que nous cherchons à éviter au sein de notre unité P2CFE du laboratoire PRISME et qui fonde mon travail de thèse, en menant la recherche sur une technologie propre : le brouillard d’eau.
Les gouttes d’un brouillard d’eau sont très petites. Cela permet d’attaquer la flamme de trois manières. Premièrement, elles permettent de refroidir la flamme et la surface du combustible. Deuxièmement, les gouttes d’eau qui se vaporisent prennent beaucoup de place et chassent l’oxygène. Enfin, la densité du brouillard lui permet d’atténuer le rayonnement thermique de l’incendie et l’empêche ainsi de se propager en réchauffant à distance du combustible environnant. Le brouillard d’eau agit alors comme un écran de protection.
Dans notre laboratoire, le brouillard est composé de gouttes d’un diamètre d’une centaine de micromètres. Nous avons pu montrer que c’est le mécanisme de refroidissement de la flamme qui est privilégié lors de l’aspersion. Ce mécanisme est accentué lorsque le brouillard est pulvérisé avec une grande vitesse sur l’incendie. Cela engendre beaucoup de turbulence, ce qui brise la structure de la flamme, comme lorsqu’on souffle sur une bougie.
L’utilisation du brouillard d’eau pour la protection incendie d’un compartiment moteur ne coule pas de source car il est nécessaire d’intégrer sur le véhicule un réservoir d’eau d’une capacité de quelques dizaines de litres.
Un autre défi est le moteur lui-même, qui est un obstacle potentiel entre la buse du brouillard et la flamme. Il faut donc privilégier une forte vitesse initiale des gouttes et un faible diamètre afin de favoriser la distribution des gouttes dans l’ensemble du compartiment.
Le ventilateur de refroidissement est à même de souffler les petites gouttes du brouillard d’eau. Nous avons donc étudié l’influence de cette ventilation sur les performances du brouillard d’eau. Une faible ventilation transversale permet d’améliorer le temps d’extinction (de 14 secondes sans ventilation à 7 secondes pour une vitesse de ventilation de 3 mètres par seconde) en ramenant une partie du brouillard vers la flamme tandis qu’une forte ventilation transversale balaie systématiquement le spray et décroît fortement les capacités de refroidissement et d’extinction du brouillard (la flamme n’est pas éteinte en moins de 30 secondes). Pour contourner ce problème, il faut privilégier les cônes d’aspersion avec un angle élevé et orienter la projection dans le sens de la ventilation.
L’amélioration de la performance peut également passer par la modification de la solution pulvérisée. Afin d’innover, nous avons mené un travail exhaustif de revue de la littérature scientifique sur ce sujet.
Nous avons notamment pu mettre en évidence une nouvelle classe d’additifs pour le brouillard d’eau : les solvants. Parmi ces solvants, on trouve de nombreuses espèces hautement inflammables, comme l’éthanol.
Ajouter de l’éthanol dans l’eau pour améliorer la performance du brouillard d’eau peut sembler paradoxal. C’est pourtant l’effet que nous avons pu tester et confirmer au sein de notre laboratoire, sur une catégorie d’alcools allant du méthanol à l’heptanol.
L’augmentation du taux de refroidissement par rapport à l’eau seule est indéniable mais son origine est encore mal comprise. Les hypothèses privilégiées concernent une diminution du diamètre des gouttes par l’ajout d’alcool dans l’eau ou une accélération du processus d’évaporation des gouttes grâce à la présence d’alcool.
L’utilisation potentielle d’alcools comme additifs répond également à un impératif environnemental. La revue a mis en évidence un manque d’intérêt des scientifiques pour l’impact sur la santé et l’environnement des additifs pour le brouillard d’eau, alors même que la recherche sur ce brouillard d’eau ne peut pas se décorréler de l’interdiction progressive d’autres technologies d’extinction incendie. Dans cette optique, les alcools sont des additifs intéressants car ils sont biodégradables et possèdent de bonnes propriétés antigel et anticorrosion. Le brouillard d’eau additivée en est encore au stade d’études au laboratoire mais il ne fait aucun doute que le besoin réglementaire va fortement accélérer son développement dans les prochaines années.
Antonin Robinet a reçu des financements publics de l'Agence Innovation Défense et de la Région Centre-Val de Loire pour ses travaux de thèse
Khaled Chetehouna ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
27.10.2024 à 11:09
Forganni Antonella, Professeure de droit, ESSCA School of Management
Benjamin Pothier, Chercheur en Anthropologie, ethnobotanique et histoire de l'art, Artiste spatial et specialiste du facteur humain dans les missions spatiales habitées, Explorateur, University of Plymouth
Les missions spatiales coûtent trop cher pour laisser quoique ce soit au hasard. Alors, les agences spatiales les préparent en grand détail sur Terre, notamment dans des répliques d’environnements lunaires ou martiens, avec des volontaires prêts à s’isoler pendant de longs mois pour tester les scaphandres et leur résistance psychologique. Un de nos auteurs, qui a vécu l’expérience, fait le rapprochement avec les rites initiatiques traditionnels.
Le 25 septembre dernier une installation tout à fait particulière a été inaugurée par l’Agence spatiale européenne (ESA) et le Centre aérospatial allemand à Cologne : elle s’appelle LUNA et a pour objectif d’aider dans la préparation des prochaines missions lunaires, en permettant de reconstituer un environnement similaire, pour certains aspects, à celui du satellite naturel de notre planète.
Avec une surface de 700 mètres carrés, LUNA reconstitue au mieux l’ambiance lunaire, notamment grâce aux 750 tonnes de « sable » spécifiquement altéré pour simuler le régolithe (le sol lunaire), d’un « simulateur solaire » pour reproduire l’alternance de lumière et ténèbres sur la Lune, et d’autres stratagèmes pour effectuer des tâches comme les prélèvements. Autrement dit, elle fait partie de ce que l’on appelle les « analogues ».
Ce projet s’inscrit dans le contexte d’une accélération des efforts des acteurs majeurs du spatial pour atteindre le progrès scientifique nécessaire afin de réaliser de nouvelles ambitieuses missions, notamment retourner sur la Lune, comme prévu par les accords Artemis – la Lune représentant une étape intermédiaire pour ensuite se diriger vers Mars.
Au niveau européen, l’ESA soutient le développement de l’industrie spatiale européenne, et y apporte ses valeurs de coopération et d’ouverture.
Les analogues sont des structures qui ont été développées dès les premières missions spatiales, surtout lors du programme Apollo, mais avec une recrudescence ces dernières années, avec déjà au moins une vingtaine d’analogues présentés par la NASA, afin de tester des équipements, des robots, des technologies, et les interactions humaines dans des conditions particulières sur Terre, pour préparer les vraies missions spatiales lors de missions fictives organisées sur Terre.
Dans la plupart des cas, les participants ne sont pas de futurs astronautes, mais ils répondent à des critères précis en lien avec l’objectif de chaque analogue.
Les missions spatiales étant à haut risque, il est essentiel d’effectuer sur Terre et dans des environnements spécifiques des tests pour anticiper les possibles problèmes que l’on pourrait rencontrer. Les analogues sont donc situés dans des environnements isolés, confinés et extrêmes, qui reproduisent en partie les conditions que les astronautes retrouvent au-delà de l’atmosphère terrestre – par exemple l’Antarctique.
Les tests réalisés lors des missions fictives dans les analogues peuvent concerner les équipements, tels que les combinaisons des astronautes, mais aussi des conditions de travail inhabituelles comme l’apesanteur, en exploitant l’environnement sous-marin, et le « facteur humain », c’est-à-dire comment un groupe de personnes arrive à travailler ensemble en bon entente, quels types de qualités humaines sont nécessaires à la réussite d’une mission – par exemple la résistance au stress et au confinement prolongé, la concentration, la résilience…
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Pour cette raison, il est intéressant de solliciter des profils très différents, des artistes aux ingénieurs, des militaires aux anthropologues, comme dans le cas de Benjamin Pothier (un des auteurs de cet article), ayant à son actif des expériences de recherche universitaire en anthropologie, de créations artistiques dans le domaine de la photographie, de la cinématographie et du space art, et enfin des expériences d’explorations géographiques en milieux extrêmes, un « plus » pour ce type de projet.
Ayant participé sur le terrain à plusieurs missions sur des analogues spatiaux, Benjamin peut apporter son témoignage de première main sur ce que signifie d’endurer la vie dans ces conditions extrêmes, où il faut parfois cohabiter avec des inconnus, dans des espaces limités, pour une période qui peut être relativement longue, sans ou avec très peu de contacts avec l’extérieur.
Dans son essai, il explique les similitudes frappantes, ainsi que les différences, entre les missions au sein d’analogues spatiaux et les rituels d’initiation.
Il cite, parmi les exemples d’analogues célèbres, l’habitat HI-SEAS, installé par la NASA dans un environnement volcanique hostile à Hawaï, pour simuler des missions sur Mars. La simulation incluant ici des contraintes comme des réserves d’eau limitées, une nourriture préparée comme pour les missions dans l’espace, l’utilisation de reproductions des combinaisons des astronautes, etc.
Un ensemble de contraintes « psychophysiologiques », qui trouvent un écho dans la manière dont sont structurés les rituels initiatiques.
En effet, de nombreux rites de passage, et notamment ceux de passage à l’âge adulte, montrent dans leur phase liminaire une propension à l’enfermement, à l’exposition à des épreuves d’endurance physique et psychologique : « privation de sommeil, jeûne, exposition au froid ou au soleil), à la douleur (coups, flagellations, piqûres d’insectes) » (selon Julien Bohomme), voire à des interdits alimentaires et des situations vexatoires qui trouvent un écho indéniable dans les processus à l’œuvre dans les missions analogues pour les besoins de la simulation de la dure réalité de la vie dans l’espace : privation de sommeil, confinement, régimes alimentaires spécifiques, accès réduit à l’eau courante pour la toilette quotidienne et relative promiscuité, épreuves d’endurance physique, exposition au froid, au danger, au stress et à la fatigue et manque de sommeil sont autant de facteurs propres aux missions analogues.
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Il convient également de noter que de nombreux sites d’essais analogues tels que les grottes souterraines, les volcans et les montagnes sont aussi, oserait-on dire « depuis la nuit des temps », des lieux dédiés à des rites de passage et autres expériences mystiques ou religieuses, comme des environnements propices à l’isolement, au dépassement de soi, à la confrontation au danger, etc.
Le niveau de réalisme peut être cependant très différent d’un analogue spatial à l’autre : selon l’objectif spécifique pour lequel ils ont été créés, les analogues peuvent viser à isoler à l’intérieur d’un espace sécurisé mais très limité un groupe de personnes pour tester les réactions et le défi psychologique, ou à les éloigner dans des environnements hostiles pour permettre des tests d’équipement lors des sorties extravéhiculaires, par exemple.
L’analogue LUNA, installée à Cologne, en Allemagne, où se trouve le centre de formation des astronautes de l’ESA est dans les fait plus similaire à des bases analogues telles que le projet MARS500 de l’Institut des problèmes biomédicaux de Moscou et construit dans les années 2010 pour simuler un voyage et une mission martienne, ou le projet HERA de la NASA, situé dans un building du Johnson Space Center et utilisé pour simuler des missions spatiales de longue durée.
Parmi les différents atouts de cette installation, nous voulons souligner sa nature ouverte, car accessible aux agences spatiales, aux universitaires, ainsi qu’à l’industrie spatiale, du monde entier.
Cette approche s’inscrit dans la tendance tout européenne d’accès libre dans le cadre de la politique spatiale, que nous retrouvons aussi dans d’autres projets de l’Union européenne (EU) comme Copernicus, le programme d’observation de la Terre de l’UE qui permet la collecte de données rendues disponibles pour tous.
Par sa nature même, l’espace est considéré comme la prochaine frontière pour l’humanité. Les progrès technologiques accélérés de ces dernières années nous amènent à nous interroger sur les prochaines étapes de son exploration et d’un séjour plus long des êtres humains dans cet espace.
La commercialisation de l’espace, avec des acteurs du secteur privé en première ligne, tels que SpaceX, pose des questions de gouvernance et réglementation. Dans ce contexte, l’Europe est porteuse d’une approche plutôt coopérative que de rivalité avec les autres acteurs de la communauté internationale, et de valeurs d’ouverture aux autres plutôt que d’exclusion, comme l’accessibilité de l’analogue LUNA nous le démontre.
Benjamin Pothier est membre de l'Explorers Club, il était expert au sein du comité des vols spatiaux habités de la fédération internationale d'astronautique de 2019 à 2022.
Forganni Antonella ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
27.10.2024 à 11:09
Bing Bai, Doctorant en Marketing à l'Université de Montpellier - Attaché d'enseignement à l'EDHEC Business School, Université de Montpellier
Laurie Balbo, Professeure Associée en Marketing _ Directrice des Programmes MSc Marketing et MSc Digital Marketing & Data Analytics, Grenoble École de Management (GEM)
Marie-Christine Lichtlé, Professeur des Universités, Université de Montpellier
Envisagez-vous d’acheter moins de bouteilles d’eau en plastique à l’avenir ? Peut-être pas, mais maintenant que la question vous a été posée, vous allez forcément y penser. Cet effet psychologique pourrait être utilisé pour inciter à diminuer à la consommation de plastique.
Avec un taux de croissance de 73 % au cours de la dernière décennie, le marché de l’eau en bouteille est l’un de ceux qui connaissent la plus forte augmentation au niveau mondial. Malheureusement, cette consommation a des conséquences environnementales néfastes : augmentation des déchets plastiques, émissions de gaz à effet de serre liées à la production, le transport et la distribution des bouteilles ou encore surexploitation des ressources en eau pour produire de l’eau en bouteille. Ces impacts ne font qu’aggraver la crise écologique actuelle. Face à cette situation, la réduction de notre dépendance à l’eau embouteillée émerge comme un enjeu environnemental crucial.
En 2020, une étude de Futerra et OnePulse révèle que 80 % des sondés se disent prêts à changer leurs habitudes pour lutter contre le changement climatique et 50 % d’entre eux envisagent de limiter leur usage de plastique. Cependant, peu de recherches ont été dédiées aux stratégies de communication qui permettraient de diminuer la consommation d’eau en bouteille.
Nos recherches explorent l’impact de ce que nous appelons les autoprophéties sur la réduction de l’achat d’eau en bouteille plastique aux États-Unis, en nous appuyant sur un échantillon de 269 personnes. Les autoprophéties désignent un phénomène psychologique selon lequel le simple fait de poser des questions aux individus sur leurs comportements futurs (par exemple : « Allez-vous recycler vos emballages ? ») peut accroître la probabilité qu’ils adoptent ces comportements. Notre étude analyse ce processus et examine comment des facteurs individuels peuvent en moduler les effets.
Des chercheurs ont montré que l’on peut expliquer les effets des autoprophéties grâce à la théorie de la dissonance cognitive. Lorsqu’une personne est invitée à prédire son comportement futur, elle peut prendre conscience d’un écart entre ses croyances normatives (ce qu’elle considère comme socialement désirable ou acceptable) et ses comportements. Cette incohérence suscite une dissonance, c’est-à-dire une contradiction, qui motive souvent les individus à modifier leurs actions pour mieux les aligner avec leurs valeurs.
Dans notre étude, nous montrons le mécanisme émotionnel par lequel la demande d’autoprophétie influence les comportements pro-environnementaux, par l’intermédiaire de la culpabilité anticipée. Dans son ouvrage intitulé Une théorie de la dissonance cognitive, le psychosociologue américain Leon Festinger décrit la dissonance comme un état caractérisé par un inconfort psychologique, provoquant ainsi une aversion et une motivation à changer de comportement. Toutefois, il ne précise pas explicitement la nature de cet inconfort. Des théoriciens ultérieurs de la dissonance ont identifié la culpabilité comme une émotion provoquée par la dissonance dans certaines situations.
Nous avons exploré cette idée en nous concentrant spécifiquement sur la culpabilité, en formulant l’hypothèse que les individus anticipent ce sentiment lorsqu’ils envisagent de ne pas adopter un comportement écologique. C’est notamment le cas lorsque ce comportement est en accord avec leurs croyances normatives (c’est-à-dire les attentes sociales ou culturelles auxquelles se conformer dans certaines situations). Ainsi, cette anticipation de la culpabilité conduit à répondre à des demandes de comportements alignés sur des valeurs écologiques, pour éviter ce sentiment négatif.
Pour tester cette hypothèse, nous avons mesuré la culpabilité chez des participants exposés à une publicité contenant une question de prédiction dont le but était de réduire leurs achats d’eau en bouteille plastique. Ces participants ressentaient à l’avance davantage de culpabilité que ceux du groupe de contrôle, exposés à une publicité sans question de prédiction. Cette culpabilité anticipée réduit, à son tour, leur intention d’acheter de l’eau en bouteille.
Nous avons exploré deux facteurs pouvant influencer l’efficacité de la technique des autoprophéties : les croyances normatives et les motivations qui poussent les personnes à s’engager dans une action.
Des recherches antérieures ont souligné l’importance des croyances normatives. Les individus fortement attachés à leurs croyances sont plus enclins à prédire qu’ils adopteront des comportements en accord avec celles-ci et à les mettre réellement en place. Nous avons examiné comment différents types de normes influencent les intentions. En effet, certaines normes sont descriptives (ce que la majorité des gens font), d’autres sont injonctives (ce que nous pensons qu’il est attendu de nous) et enfin certaines sont personnelles (nos propres standards moraux internes).
Les résultats montrent que ces trois types de normes influencent directement le sentiment de culpabilité anticipée. Les participants pensent que la plupart des gens achètent moins de bouteilles, qu’il est socialement attendu de le faire, et que cela correspond à leurs convictions personnelles. Plus ces normes sont fortes, plus la culpabilité anticipée en cas de non-conformité augmente. Cependant, nous n’avons observé aucune interaction entre les normes et la question de prédiction. Cela suggère qu’une question de prédiction ne rend pas les croyances normatives plus saillantes au moment de la prédiction, et qu’elles ne guident donc pas les participants dans leur prise de décision.
Par ailleurs, nous avons étudié la motivation d’approche, c’est-à-dire le désir de s’engager dans des actions qui procurent des expériences positives ou des récompenses. Ainsi, nous pouvons mesurer un score dit de BAS (pour behavioral approach system, ou système d’approche comportementale) : les individus avec les plus forts scores ont plus tendance à essayer de remplir leurs objectifs, qu’ils soient concrets (par exemple atteindre ou saisir un objet), ou plus abstraits (par exemple l’altruisme ou la productivité). Ces individus fournissent des efforts accrus pour atteindre les buts qui leur procurent du plaisir, réduisant ainsi l’écart entre les objectifs qu’ils se sont fixés et ce qu’ils font en réalité.
Contrairement à notre hypothèse, les individus qui ont une faible sensibilité aux récompenses et à la recherche d’expériences positives ressentent davantage de culpabilité que ceux avec un fort score. Notre interprétation est que bien que les individus qui ont un score faible à ce test soient moins motivés à agir pour atteindre leurs objectifs, ils prennent d’autant plus conscience de l’écart entre leurs comportements actuels et leurs normes personnelles lorsqu’on leur pose une question à ce propos. Cette conscience accrue de l’inadéquation entre leurs actions et leurs normes, même en l’absence d’une forte motivation, génère un sentiment de culpabilité anticipée plus fort. Par conséquent, bien qu’ils aient moins d’impulsion à agir, cette anticipation de la culpabilité accroît leur intention de réduire leur consommation de bouteilles en plastique.
À l’inverse, les individus avec un score élevé semblent intrinsèquement disposés à aligner leurs actions avec leurs normes, ce qui réduit leur dissonance cognitive. Ils semblent agir de manière proactive pour combler l’écart entre leurs comportements et leurs objectifs, diminuant ainsi la culpabilité anticipée.
Les résultats de notre étude ouvrent des perspectives pour les campagnes de sensibilisation environnementale. Les agences gouvernementales et les ONG peuvent aisément intégrer des questions de prédiction dans leurs communications pour favoriser des comportements écologiques.
Contrairement à de précédents résultats, nos résultats n’ont pas mis en évidence l’effet des croyances normatives sur l’efficacité des autoprophéties. Si un tel effet avait été observé, nous aurions constaté que plus les participants adhéraient à des croyances normatives fortes, plus leur comportement aurait été influencé par l’autoprédiction, en particulier en adaptant leurs actions pour correspondre à ces normes. Toutefois, la littérature montre que les normes personnelles influencent la façon dont les individus forment leurs intentions et adoptent des comportements écologiques. Nous recommandons donc d’avoir recours aux normes personnelles dans les campagnes utilisant des autoprophéties, par exemple en créant des messages qui mettent en avant la nécessité d’actions pro-environnementales et les conséquences de l’inaction.
Il convient également de noter que cette étude se concentre sur les intentions comportementales. Des recherches antérieures ont cependant montré les effets des autoprophéties sur les comportements réels (et non anticipés) et répétés dans le temps. Par exemple, certaines études ont documenté des améliorations dans le recyclage sur des périodes de quatre semaines après le protocole, ou encore une augmentation de la fréquentation des clubs de sport sur des périodes allant jusqu’à six mois après la prédiction. Ces différents résultats nous permettent de constater qu’une simple question, en exploitant un levier émotionnel, peut réellement inciter le public à changer ses pratiques.
Bing Bai a reçu des financements de la chaire Marketing responsable et bien-être de l'Université de Montpellier.
Laurie Balbo et Marie-Christine Lichtlé ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.
24.10.2024 à 15:07
Anjana Susarla, Professor of Information Systems, Michigan State University
En cette « année électorale » 2024, où vote la moitié de la planète, la présidentielle américaine est cruciale pour l’avenir des nouvelles technologies. En particulier, nombre des géants du numérique sont américains.
Ainsi, le ou la prochain président américain aura une influence sur les lois qui chercheront, ou pas, à équilibrer les contributions des systèmes d’intelligence artificielle, à protéger la vie privée des citoyens, ou à ajuster les situations de monopoles commerciaux. Quels sont les bilans des deux candidats sur ces sujets ?
Il n’est pas surprenant que la réglementation des technologies soit un thème important de la campagne présidentielle américaine de 2024.
Les technologies numériques – des algorithmes des médias sociaux aux systèmes d’intelligence artificielle basés sur des grands modèles de langage – ont profondément affecté la société ces dix dernières années. Ces changements se sont étalés sur les administrations Trump et Biden-Harris et ont suscité une forte demande auprès du gouvernement fédéral pour qu’il réglemente les technologies et les puissantes entreprises qui les manient.
Je suis chercheuse en systèmes d’information et en IA et j’ai examiné le bilan des deux candidats à l’élection présidentielle américaine de ce 5 novembre en matière de réglementation des technologies.
Voici les principales différences.
Les outils d’intelligence artificielle étant désormais très répandus, les gouvernements du monde entier doivent aborder la difficile question de la régulation de ces technologies aux multiples facettes.
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Les candidats à la présidentielle américaine proposent des visions différentes de la politique américaine en matière d’intelligence artificielle. Une des différences notables tient à la reconnaissance des risques liés à l’utilisation généralisée de l’IA.
En effet, l’IA affecte tous les pans de la société de façons qui passent parfois inaperçues mais peuvent avoir des conséquences importantes. Ainsi, les biais dans les algorithmes utilisés pour les prêts et les décisions d’embauche pourraient finir par renforcer un cercle vicieux de discrimination. Par exemple, un étudiant qui ne peut pas obtenir de prêt pour l’université aurait moins de chances d’obtenir l’éducation nécessaire pour sortir de la pauvreté.
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Lors du sommet sur la sécurité de l’IA (AI Safety Summit) qui s’est tenu au Royaume-Uni en novembre 2023, Kamala Harris a évoqué les promesses de l’IA, mais aussi les dangers que représentent les biais algorithmiques, les « deepfakes » et les arrestations abusives.
Joe Biden a signé un décret sur l’IA le 30 octobre 2023, qui reconnaît que les systèmes d’IA peuvent présenter des risques inacceptables d’atteinte aux droits civils et humains et au bien-être des individus. Parallèlement, des agences fédérales telles que la Federal Trade Commission ont pris des mesures d’applications de lois existantes pour protéger les utilisateurs contre les préjudices algorithmiques.
En revanche, l’administration Trump n’a pas pris position publiquement sur la limitation de ces mêmes risques algorithmiques, et Donald Trump a déclaré qu’il voulait abroger le décret sur l’IA du président Biden. Toutefois, il a récemment évoqué lors d’interviews les dangers liés à des technologies telles que les deepfakes, ainsi que les défis posés par les systèmes d’IA en termes de sécurité, suggérant une volonté de s’attaquer aux risques croissants liés à l’IA.
L’administration Trump a signé le décret sur l’initiative américaine en matière d’IA (American AI Initiative) le 11 février 2019. Ce décret promet de doubler les investissements dans la recherche sur l’IA et établit la première série d’instituts nationaux américains de recherche sur l’IA. Le décret comprend également un plan pour standardiser et établir des normes techniques pour l’IA et établit des orientations pour l’utilisation de l’IA par le gouvernement fédéral.
Le 3 décembre 2020, M. Trump a également signé un décret promouvant l’utilisation d’une IA digne de confiance au sein du gouvernement fédéral.
L’administration Biden-Harris a tenté d’aller plus loin. Harris a convoqué les dirigeants de Google, de Microsoft et d’autres entreprises technologiques à la Maison Blanche le 4 mai 2023, pour prendre une série d’engagements volontaires afin de protéger les droits des individus.
De plus, le décret de l’administration Biden contient une initiative importante visant à sonder la vulnérabilité de modèles d’IA de très grande taille et à usage général entraînés sur des quantités massives de données : le but est de déterminer les risques que des modèles comme ChatGPT d’OpenAi ou DALL-E se fassent pirater par des hackers.
L’application de la législation antitrust – qui restreint ou conditionne les fusions et acquisitions d’entreprises pour limiter les monopoles – est un autre moyen pour le gouvernement fédéral de réglementer l’industrie technologique.
En termes de droit de la concurrence, l’administration Trump a tenté de bloquer l’acquisition de Time Warner par AT&T – mais la fusion a finalement été autorisée par un juge fédéral après que la FTC, sous l’égide de l’administration Trump, a intenté une action en justice pour bloquer l’opération. L’administration Trump a également intenté une action antitrust contre Google en raison de sa position dominante dans le domaine de la recherche sur Internet.
Côté démocrate, le 9 juillet 2021, Joe Biden a signé un décret visant à faire appliquer les lois antitrust découlant des effets anticoncurrentiels des plates-formes Internet dominantes. Le décret vise également l’acquisition de concurrents naissants, l’agrégation de données, la concurrence déloyale sur les marchés de l’attention et la surveillance des utilisateurs. L’administration Biden-Harris a engagé des procédures antitrust contre Apple et Google. Les lignes directrices sur les fusions en 2023 de l’administration Biden-Harris ont défini des règles pour déterminer quand les fusions peuvent être considérées comme anticoncurrentielles.
Ainsi, bien que les deux administrations aient engagé des procédures antitrust, la pression de l’administration Biden semble plus forte en termes d’impact sur la réorganisation potentielle ou même l’orchestration d’un démantèlement d’entreprises dominantes telles que Google.
Les candidats ont des approches différentes de la réglementation des crypto-monnaies.
Vers la fin de du mandat de l’administration Trump, ce dernier a tweeté en faveur d’une réglementation des crypto-monnaies et le réseau fédéral Financial Crimes Enforcement Network a proposé une réglementation qui aurait obligé les sociétés financières à collecter l’identité de tout portefeuille de crypto-monnaie auquel un utilisateur a envoyé des fonds. Cette réglementation n’a pas été promulguée.
Depuis, Trump a modifié sa position sur les crypto-monnaies. Il a critiqué les lois américaines existantes et appelé les États-Unis à devenir une superpuissance du bitcoin. La campagne de Trump est la première campagne présidentielle à accepter des paiements en crypto-monnaies.
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L’administration Biden-Harris, en revanche, a défini des restrictions réglementaires sur les crypto-monnaies avec la Securities and Exchange Commission, ce qui a donné lieu à une série de mesures d’application. La Maison Blanche a opposé son veto à la loi sur l’innovation financière et la technologie pour le XXIe siècle (Financial Innovation and Technology for the 21st Century Act) qui visait à clarifier la comptabilité des crypto-monnaies, un projet de loi favorisé par le secteur des crypto-monnaies.
Le décret sur l’IA de Joe Biden invite le Congrès à adopter une législation sur la protection de la vie privée, mais ne fournit pas de cadre législatif à cet effet.
L’initiative américaine sur l’IA de la Maison Blanche de Trump ne mentionne la protection de la vie privée qu’en termes généraux, appelant les technologies d’IA à respecter « les libertés civiles, la vie privée et les valeurs américaines ». Le décret ne mentionne pas la manière dont les protections existantes de la vie privée seront mises en œuvre.
Aux États-Unis, plusieurs États ont tenté d’adopter une législation portant sur certains aspects de la confidentialité des données : à l’heure actuelle, il existe une mosaïque d’initiatives au niveau des États et une absence de législation globale sur la confidentialité des données au niveau fédéral.
La rareté de ces mesures fédérales visant à protéger les données et la vie privée indique clairement que, si les deux candidats à l’élection présidentielle américaine s’attaquent bien à certains des défis posés par l’évolution de l’IA et des technologies numériques plus généralement, il reste encore beaucoup à faire pour réguler ces secteurs dans l’intérêt du public.
Globalement, les efforts de l’administration Biden pour réguler les technologies et la concurrence afférente semblent alignés sur l’objectif de maîtriser les entreprises technologiques et de protéger les consommateurs. Il s’agit également de réimaginer les protections monopolistiques pour le XXIe siècle. Il semble que ce soit là la principale différence entre les deux administrations.
Anjana Susarla a reçu des financements du National Institute of Health.
23.10.2024 à 16:35
Olivier Pourret, Enseignant-chercheur en géochimie et responsable intégrité scientifique et science ouverte, UniLaSalle
Lonni Besançon, Assistant Professor in Data Visualization, Linköping University
La Déclaration de Barcelone marque un tournant dans la manière dont sont produites, partagées et utilisées les informations relatives au pilotage de la recherche scientifique. Elle a été signée par douze institutions françaises.
Des crises telles que les pandémies et les changements climatiques, ainsi que des avancées technologiques comme l’automatisation et le big data, posent des défis importants au XXIe siècle. Pour y faire face, il est essentiel que la science soit accessible à tous. Il est crucial que les citoyens aient le même accès à l’information que les chercheurs, et que les scientifiques disposent de référentiels de connaissances interconnectés et de haute qualité pour faire progresser notre compréhension du monde et démocratiser le savoir.
Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire de revoir et de réformer les méthodes d’évaluation de la recherche. Actuellement, les critères d’évaluation favorisent souvent les publications dans des revues prestigieuses, ce qui peut limiter l’accessibilité et l’impact des recherches, surtout pour les scientifiques des pays moins favorisés. Il est nécessaire de privilégier des systèmes d’évaluation qui tiennent compte de la valeur intrinsèque de la recherche et de son impact réel sur la société, indépendamment du lieu ou de la langue de publication, afin de soutenir une science plus inclusive, équitable et ouverte.
Actuellement, les évaluations reposent souvent sur des données inaccessibles et des indicateurs opaques (facteur d’impact des journaux, nombre de citations…), ce qui nuit à la qualité et à l’équité des décisions concernant les carrières des chercheurs et le financement des projets. En adoptant des systèmes d’évaluation qui privilégient l’accès libre aux données et la reproductibilité des analyses, nous pouvons garantir que les évaluations soient basées sur des preuves complètes et transparentes. Cela permettra de corriger les erreurs et biais potentiellement présents dans les bases de données propriétaires sur abonnement (comme Web of Science ou Scopus), d’améliorer la confiance dans les résultats de la recherche et de renforcer l’efficacité globale du système de recherche scientifique.
Les presque 100 signataires de la Déclaration de Barcelone, dont douze institutions universitaires ou de recherche françaises, sur l’information ouverte des données de la recherche s’engagent à transformer la manière dont l’information sur la recherche est produite et utilisée, en prônant une nouvelle norme d’ouverture des informations sur la conduite et la communication de la recherche.
Actuellement, de nombreuses décisions stratégiques dans le domaine de la recherche reposent sur des informations non accessibles au public (nombre de citations), souvent enfermées dans des infrastructures propriétaires. Web of Science et Scopus sont deux composants essentiels de l’écosystème de recherche actuel, fournissant la base des classements universitaires mondiaux ainsi que de la recherche bibliométrique. Cependant, les deux plates-formes seraient structurellement biaisées et ne considèrent pas une partie de la recherche produite dans des pays non occidentaux, la recherche en langues autres que l’anglais et la recherche dans les domaines des arts, des sciences humaines et sociales.
Les indicateurs et analyses issus de ces informations manquent de transparence et de reproductibilité, affectant les décisions relatives aux carrières des chercheurs et aux orientations des organismes de recherche, lorsqu’elles ne sont pas directement manipulées. Aussi les indicateurs se focalisent principalement sur des mesures telles que le nombre de citations des articles et le facteur d’impact des journaux (un indicateur qui estime indirectement la visibilité d’une revue scientifique. Pour une année donnée, le FI d’une revue est égal à la moyenne des nombres de citations des articles de cette revue publiés durant les deux années précédentes) dont on sait qu’elles sont souvent manipulables par plusieurs acteurs du système de recherche (de certains auteurs à certains éditeurs), tout en faisant l’impasse sur d’autres indicateurs bien plus importants pour la conduite d’une recherche éthique et reproductible.
Des indicateurs possibles sont, par exemple, la disponibilité des données produite par un essai clinique, le protocole d’étude complet, le code d’analyse des données, ou la présence d’un accord éthique (ainsi que son numéro et ses modalités d’acceptation), malheureusement souvent problématiques ou questionnables.
Les informations de recherche, ou métadonnées, englobent les détails relatifs à la mise en œuvre et à la communication de la recherche, incluant les données bibliographiques (titres, résumés, auteurs, affiliations, lieux de publication), les métadonnées sur les logiciels et instruments de recherche, les informations sur le financement et les contributeurs. Elles se trouvent dans des bases de données bibliographiques, des archives de logiciels, des entrepôts de données et des systèmes d’information de recherche. Les informations de recherche ouvertes sont des métadonnées accessibles librement et sans restrictions de réutilisation, suivant idéalement les principes FAIR (trouvable, accessible, interopérable et reproductible). Cela implique des protocoles standardisés, l’utilisation de licences Creative Commons CC0, et des infrastructures transparentes avec des normes ouvertes. Les métadonnées jouent un rôle crucial dans l’évaluation des chercheurs et des institutions et la définition des priorités des organisations. Cependant, de nombreuses données restent enfermées dans des infrastructures propriétaires, souvent biaisées géographiquement et linguistiquement. Assurer l’ouverture des informations de recherche permet à toutes les parties prenantes d’accéder pleinement aux données, enrichissant ainsi la prise de décision, l’évaluation scientifique, et la correction de la littérature scientifique lorsque c’est nécessaire.
Par exemple, un chercheur en biologie publie un article, et ses métadonnées incluent le titre, les auteurs, leur affiliation universitaire, et le résumé. Ces données sont accessibles librement dans des bases comme PubMed, facilitant la recherche pour d’autres scientifiques. Un deuxième exemple, les détails d’une subvention octroyée par une institution comme le National Institutes of Health (NIH) sont rendus publics. Cela inclut le montant, la durée, et l’objectif du financement, permettant une transparence et une collaboration accrue au sein de la communauté scientifique.
Les organisations signataires (12 en France) se sont engagées à :
Favoriser l’ouverture des informations de recherche : les informations utilisées pour évaluer les chercheurs, les institutions ou pour prendre des décisions stratégiques seront ouvertes par défaut, sauf si cela n’est pas approprié. Cela concerne aussi les informations sur les activités et résultats de recherche.
Travailler avec des systèmes qui soutiennent cette ouverture : les plates-formes de publication et de gestion des informations de recherche doivent rendre ces données librement accessibles via des infrastructures ouvertes, en utilisant des standards existants quand ils sont disponibles (e.g., Crossref).
Soutenir les infrastructures ouvertes : les signataires aideront à maintenir et financer les systèmes qui facilitent l’ouverture des informations de recherche, tout en veillant à une bonne gouvernance et à leur durabilité.
Promouvoir la collaboration pour accélérer cette transition : Il est important de partager les expériences et de coordonner les actions pour passer des systèmes fermés à des systèmes ouverts.
Ainsi, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a mis en place en France un partenariat pluriannuel avec OpenAlex en décembre dernier. Sorbonne Université s’est désabonnée de l’outil propriétaire et sur abonnement « Web of Science » et projette de s’appuyer désormais sur des bases bibliographiques libres telles que OpenAlex pour analyser la production de sa recherche. La déclaration a également été signée par des organismes de financement (par exemple la fondation Bill & Melinda Gates ou l’Agence Nationale de la Recherche).
La Déclaration de Barcelone s’aligne avec les conclusions du Conseil de l’Union européenne de 2021, ou de l’Unesco qui recommandent l’accès libre aux données et bases de données bibliographiques utilisées pour évaluer la recherche. Elle est aussi en accord avec la loi française de 2016 pour une République numérique, qui promeut l’ouverture par défaut des données administratives. De plus, la déclaration respecte les principes de la CoARA (Coalition for Advancing Research Assessment), qui préconisent l’indépendance et la transparence des données nécessaires à l’évaluation de la recherche.
Ces engagements visent à garantir que les politiques scientifiques soient basées sur des preuves transparentes et des données accessibles et vérifiables, soutenant ainsi le mouvement mondial en faveur de la science ouverte.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
22.10.2024 à 16:59
Sara Webb, Lecturer, Centre for Astrophysics and Supercomputing, Swinburne University of Technology
L’univers a-t-il une fin ou un bord ? Les scientifiques ne peuvent pas trancher cette fascinante question mais ont des idées, des théories et des mesures pour discuter.
Cette question sur les limites de l’univers fait partie des interrogations que les humains continueront, sans doute, à se poser jusqu’à la fin des temps.
Nous ne sommes pas sûrs, mais nous pouvons essayer d’imaginer ce que pourrait être la limite de l’univers, s’il y en a une.
Avant de commencer, nous devons remonter dans le temps. Le ciel nocturne a semblé avoir toujours eu la même apparence au cours de l’histoire de l’humanité. Il a été si stable que les humains du monde entier se sont inspirés des motifs qu’ils voyaient dans les étoiles pour s’orienter et explorer.
À nos yeux, le ciel semble infini. Avec l’invention des télescopes, il y a environ 400 ans, nous avons pu voir plus loin que nos yeux ne l’avaient jamais fait. Nous avons continué à découvrir de nouvelles choses dans le ciel et trouvé davantage d’étoiles, puis avons commencé à remarquer qu’il y avait beaucoup de nuages cosmiques à l’aspect étrange.
Les astronomes leur ont donné le nom de « nébuleuse », de mots latin signifiant « brume » ou « nuage ». Il y a moins de 100 ans, nous avons confirmé pour la première fois que ces nuages cosmiques ou nébuleuses étaient en fait des galaxies. Elles ressemblent à la Voie lactée, la galaxie dans laquelle se trouve notre planète, mais elles sont très éloignées.
Ce qui est étonnant, c’est que dans toutes les directions où nous regardons dans l’univers, nous voyons de plus en plus de galaxies. Sur cette image du télescope spatial James Webb, qui observe une partie du ciel équivalente à la zone que recouvre un grain de sable quand on le tient à bout de bras, on peut voir des milliers de galaxies.
Il est difficile d’imaginer qu’il existe une limite où tout cela s’arrête.
Cependant, il existe techniquement une limite à notre univers. Nous l’appelons l’univers « observable ». En effet, nous ne savons pas si notre univers est infini, c’est-à-dire s’il se poursuit à l’infini.
Malheureusement, nous ne le saurons peut-être jamais à cause d’un élément gênant : la vitesse de la lumière.
Nous ne pouvons voir que la lumière qui a eu le temps de voyager jusqu’à nous. La lumière se déplace à la vitesse exacte de 299 792 458 mètres par seconde. Même à cette vitesse, il lui faut beaucoup de temps pour traverser notre univers. Les scientifiques estiment que la taille de l’univers est d’au moins 96 milliards d’années-lumière, et probablement encore plus grande.
Si nous voyagions jusqu’à l’extrême limite de l’univers que nous pensons exister, qu’y aurait-il en réalité ?
De nombreux autres scientifiques (dont je fais partie) pensent qu’il y aurait simplement… plus d’univers !
Chaque semaine, nos scientifiques répondent à vos questions.
N’hésitez pas à nous écrire pour poser la vôtre et nous trouverons la meilleure personne pour vous répondre.
Et bien sûr, les questions bêtes, ça n’existe pas !
Comme je l’ai dit, il existe une théorie selon laquelle notre univers n’a pas de limite et pourrait continuer indéfiniment.
Mais il existe aussi d’autres théories. Si notre univers a une limite et que vous la franchissez, vous pourriez vous retrouver dans un univers complètement différent. (Pour l’instant, il vaut mieux garder cela pour la science-fiction).
Même s’il n’y a pas de réponse directe à cette question, ce sont précisément des questions comme celles-ci qui nous aident à continuer à explorer et à découvrir l’univers, et qui nous permettent de comprendre la place que nous y occupons.
Sara Webb ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
21.10.2024 à 16:56
Patrick Di Martino, Professeur des Universités de Microbiologie, CY Cergy Paris Université
Algues, bactéries, champignons… les microbes partent à l’attaque des vieilles pierres, dont certaines sont des monuments historiques. En comprenant mieux leurs modes d’action, on peut limiter les dégats – par exemple en utilisant des bactéries pour nettoyer les graffiti ou en testant des huiles essentielles sur le Colisée, à Rome.
Dans la grotte ornée de Lascaux, le surtourisme a entraîné le développement massif de champignons noirs Ochroconis lascauxensis à cause de la condensation d’eau sur les parois, des élévations de température, de la concentration en CO2 et en matière organique. La présence massive d’humains dans une grotte restée fermée des milliers d’années a modifié l’équilibre des communautés microbiennes et favorisé la prolifération de certains microorganismes… ce qui a nécessité sa fermeture au public.
Aujourd’hui, grâce à une meilleure maîtrise du climat dans la grotte, et à la limitation de l’accès à un nombre restreint de conservateurs et de scientifiques, la grotte va mieux mais la situation reste fragile. La création du fac-similé Lascaux IV permet à un large public de visiter une représentation de l’intégralité de la grotte originale.
Verdissement d’une toiture par développement de microalgues, de cyanobactéries ou de mousses ; jaunissement de parois de grottes ornées à cause de bactéries ; pourrissement des charpentes et boiseries dont se nourrissent les champignons lignivores et certaines moisissures ; perte de matière par des lichens ou des « biofilms » microbiens à la surface de la pierre… la « biodégradation » peut se définir par tout changement indésirable des propriétés d’un bien culturel causée par l’activité d’organismes vivants.
Si ces effets sont nombreux et familiers, c’est parce que les microorganismes sont partout, sous tous les climats, sur toutes les surfaces. Ils sont véhiculés par l’eau, par l’air, par les animaux, par l’homme. Ils ne sont pas tous néfastes, bien au contraire – les décomposeurs jouent ainsi un rôle central dans le recyclage de la matière organique.
La recherche sur la biodégradation a un rôle essentiel pour améliorer la préservation des biens culturels des attaques biologiques. Elle est très active en Europe, certainement parce que notre continent recèle un patrimoine culturel exceptionnel. La recherche se focalise notamment sur une meilleure compréhension des mécanismes de biodégradation.
La stratégie est de comprendre pour mieux prévenir, mieux diagnostiquer et mieux traiter.
La maîtrise des conditions environnementales (température, hygrométrie, lumière, qualité de l’air, dépoussiérage) est un élément clé de la conservation préventive du patrimoine culturel dans les musées.
En particulier, la prévention de la biodégradation passe par la limitation de l’apport en eau et en nutriments nécessaires au développement des microorganismes ; ainsi que par la limitation de l’apport en lumière, source d’énergie des « phototrophes », en limitant l’éclairage artificiel.
L’installation d’un toit permet de protéger un site extérieur des intempéries et de la lumière. C’est le cas du site de la Polledrara di Cecanibbio au nord-ouest de Rome qui comporte les ossements fossilisés de plus de 20 000 vertébrés, enfouis dans des sédiments volcanoclastiques des volcans de Sabatino il y a plus de 300 000 ans.
Les développements technologiques en imagerie permettent d’étudier les interactions entre microorganismes et surfaces, ainsi que la dégradation des matériaux, notamment la microscopie électronique à balayage, que l’on peut coupler à l’analyse élémentaire ou à la spectroscopie Raman pour obtenir la composition chimique, et la microscopie confocale à balayage laser.
Avec la métagénomique (analyse bio-informatique des séquences d’ADN issues de prélèvements environnementaux), les chercheurs dévoilent la biodiversité des microorganismes associés à la biodégradation.
Avec la métabolomique (analyse de l’ensemble des petites molécules issues de l’activité du vivant), ils déterminent les voies enzymatiques et les molécules mises en œuvre dans les processus de biodégradation.
Ces technologies permettent de répondre à différentes questions : quels sont les microorganismes présents ? Lesquels sont néfastes ? Comment interagissent-ils entre eux et avec les matériaux ? Quelles sont les activités microbiennes impliquées dans la biodégradation ? Quels sont les mécanismes de la biodégradation ?
La recherche sur la biodégradation des biens culturels s’oriente également vers les biotraitements.
La porosité de la pierre des monuments historiques permet des mouvements d’eau dans les pores, qui véhiculent des sels dissous. Ces sels de sulfates ou de nitrates pourront recristalliser et induire la formation d’efflorescences ou de croutes en surface ainsi qu’un détachement de matière.
Les bactéries Desulfovibrio desulfuricans et Pseudomonas stutzeri qui dégradent les sulfates ou les nitrates peuvent être utilisées pour « bionettoyer » ce type de croute.
La bactérie Rhodococcus erythropolis ou la levure Candida parapsilosis peuvent être utilisées pour dégrader et bionettoyer les graffiti.
À l’inverse de ces nettoyages, un ajout de matière par bio-renforcement de la pierre calcaire peut être réalisé à l’aide de bactéries qui favorisent la précipitation de carbonate de calcium comme Bacillus cereus et Myxococcus xanthus.
Des enzymes microbiennes (plutôt que des microorganismes vivants) peuvent aussi être utilisées, comme des lipases pour enlever des patines noires ou des couches de peinture recouvrant des œuvres originales, ou des protéases pour enlever des colles animales.
Des antimicrobiens naturels sont testés en remplacement des ammoniums quaternaires et de l’eau de Javel, deux biocides artificiels largement utilisés pour traiter le noircissement et le verdissement de la pierre.
De nombreuses plantes contiennent des molécules bioactives aux propriétés antibactériennes, antifongiques ou insecticides, qui sont extraites et concentrées dans les huiles essentielles. Elles peuvent être appliquées en spray, sous forme de gel déposé sur un objet ou apportées par des nanoparticules pour contrôler leur libération et optimiser les doses appliquées et la durée d’efficacité du traitement. Bien que basés sur des principes actifs végétaux, il faut s’assurer que ces biotraitements n’ont pas d’effet indésirable sur les matériaux des biens culturels et ne sont pas toxiques pour l’homme aux doses d’usage.
La recherche sur la biodégradation apporte des outils aux différentes étapes de la préservation du patrimoine, de la conservation préventive à la conservation curative jusqu’à la restauration. Et parfois, après avoir établi un diagnostic, le meilleur choix est de n’appliquer aucun traitement, en veillant à préserver le bien culturel en l’état pour le transmettre aux générations futures.
Patrick Di Martino est membre de l'International Biodeterioration and Biodegradation Society (IBBS). Les travaux à l'abbaye de Chaalis et à la grotte du Sorcier mentionnés dans l'article ont été soutenus financièrement par la Fondation des Sciences du Patrimoine et CY Cergy Paris Université. Les photographies des travaux au Colisée ont été réalisées lors d'une mobilité financée par le programme Erasmus +.
20.10.2024 à 10:38
Patrick Augustin, Ingénieur de recherche, Université Littoral Côte d'Opale
Le phénomène d’équilibre thermique, qui explique pourquoi notre café refroidit dans sa tasse, se produit aussi à l’échelle de la planète. Avec des conséquences notables sur le climat : c’est notamment lui qui est à l’origine de la « brise de mer », vent marin relativement froid et humide caractéristique du climat des régions littorales.
Vous avez certainement déjà constaté que lorsque vous ne buvez pas votre café chaud, au bout d’un certain temps, il se refroidit. Inversement, un yaourt froid sorti du réfrigérateur et laissé sur la table se réchauffe au fil du temps.
Ce phénomène est appelé « l’équilibre thermique » : le café, plus chaud que l’air ambiant, va transférer sa chaleur vers l’air environnant. Au fil du temps, le café refroidit jusqu’à ce que sa température s’égalise à celle de l’environnement. De la même manière, le yaourt, plus froid que l’air ambiant, va absorber la chaleur de l’air et se réchauffer, pour atteindre la température ambiante. Ainsi, qu’il s’agisse du café qui refroidit ou du yaourt qui se réchauffe, l’équilibre thermique qui se produit dans la nature fait tendre les températures vers une température uniforme, sans effort de notre part.
Ce phénomène se produit également à plus grande échelle, et il n’est pas sans conséquence : l’équilibre thermique entre la terre et les mers ou les océans est un processus clé dans la régulation du climat global. Voici ce que nous en savons.
L’eau a une capacité thermique beaucoup plus élevée que la terre. Cela signifie que les mers/océans absorbent et libèrent la chaleur plus lentement que les surfaces terrestres. Ainsi, l’eau se réchauffe et se refroidit beaucoup plus lentement que la terre.
Dans ces conditions, un déséquilibre thermique peut se former entre ces deux systèmes. Cette différence de capacité thermique joue un rôle crucial dans la circulation atmosphérique, la formation des vents et les variations climatiques à court et à long terme.
En effet, les variations de température sur la terre sont rapides et importantes, entraînant, par exemple, des étés chauds et des hivers froids dans les zones continentales. La mer/océan agit comme des régulateurs thermiques, en emmagasinant la chaleur durant l’été et en la restituant durant l’hiver, ce qui contribue à adoucir les climats côtiers.
La conséquence de l’existence d’un déséquilibre thermique entre la terre et la mer/océan est aussi perceptible dans le cycle diurne, durant lequel ces deux systèmes réagissent différemment sous l’effet du rayonnement solaire. Durant la journée, les surfaces des terres se réchauffent plus rapidement que les surfaces marines. Ainsi, au voisinage des zones côtières, l’air réchauffé en contact du sol monte (sous l’effet de la poussée d’Archimède), accompagné d’une diminution de la pression atmosphérique.
Au-dessus de la mer, le réchauffement de l’air en contact de la surface de la mer/océan étant plus lent, l’air est plus dense et la pression est plus grande. Cette différence de pression entre l’air au-dessus des terres et au-dessus de la mer/océan engendre le déplacement de l’air froid et humide provenant de la mer et se dirigeant vers les terres (figure 1). Ce mécanisme correspond à un phénomène météorologique local appelé brise de mer.
Ce vent marin relativement plus froid et humide (plus dense), s’écoule horizontalement vers l’intérieur des terres pour remplacer l’air plus chaud et sec (moins dense), qui s’élève au-dessus de la surface des terres. La zone d’interface entre l’air marin (situé à l’avant du courant de brise) et l’air au-dessus des terres, est appelée front de brise de mer. Le passage du front est souvent marqué par des changements brusques de température, d’humidité, de direction et vitesse de vent. Ce contraste thermique et dynamique peut d’ailleurs favoriser, sous certaines conditions, la formation de nuages.
En effet, lorsque l’air chaud des terres rencontre l’air marin au niveau du front de brise, une zone de convergence se forme favorisant une poussée vers le haut des deux masses d’air appelé courant ascendant. Cette ascension de l’air chaud et humide entraîne la condensation de la vapeur d’eau, formant des nuages, généralement de type cumulus. Ces nuages se forment souvent le long du front de brise de mer, où les deux masses d’air se rencontrent.
Dans certaines situations, lorsque la différence de température entre la terre et la mer est particulièrement marquée, l’air chaud peut s’élever rapidement, formant non seulement des nuages cumulus, mais aussi des cumulo-nimbus, pouvant conduire à des averses ou des orages locaux en fin de journée.
Ce mouvement d’air frais contribue à rééquilibrer les températures en rafraîchissant les zones terrestres chauffées, tout en réduisant la différence thermique entre la surface de la terre et la mer. En apportant de l’air plus frais, la brise de mer adoucit les températures terrestres, surtout pendant les périodes de chaleur intense, et rétablit ainsi un certain équilibre thermique. La brise de mer joue donc un rôle crucial dans l’amélioration du confort thermique. Elle atténue la sensation de chaleur excessive pour les habitants, améliorant ainsi leur bien-être.
Dans certaines situations, la brise de mer peut se renforcer à mesure que la différence de température entre la terre et la mer augmente, ce qui peut entraîner un vent plus fort près des côtes. Elle peut avoir un impact significatif sur la production d’énergie éolienne, particulièrement dans les régions côtières, surtout si les vents terrestres sont faibles. En effet, ce phénomène météorologique peut générer des vents réguliers et prévisibles permettant une production plus efficace et prévisible, réduisant ainsi la variabilité de la production d’énergie éolienne. Ces vents sont souvent plus forts en fin de matinée et dans l’après-midi, ce qui en fait une source d’énergie précieuse pour les éoliennes situées près des côtes.
Par ailleurs, elle peut aussi influencer la concentration et la distribution des polluants atmosphériques puisqu’elle peut disperser les polluants. En effet, elle peut participer au renouvellement de l’air au-dessus des terres, en remplaçant l’air stagnant plus ou moins pollué par un air provenant de la mer. Cependant, dans certaines zones côtières où la pollution industrielle/automobile est importante, la brise de mer peut transporter la pollution des zones côtières vers l’intérieur des terres. Dans certaines conditions, elle peut contribuer à la formation d’une couche limite emprisonnant l’air pollué près du sol, ce qui limite la dispersion verticale des polluants et peut aggraver la qualité de l’air localement.
L’équilibre thermique entre ces deux systèmes est un mécanisme fondamental qui régule le climat. Cet équilibre est donc essentiel à la stabilité des écosystèmes et des sociétés humaines. Il nécessite une attention particulière pour maintenir les régulations naturelles face aux pressions croissantes liées au changement climatique global.
Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 4 au 14 octobre 2024), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « océan de savoirs ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.
Patrick Augustin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
20.10.2024 à 10:31
Marie-Anne Cambon, Chercheur en écologie microbienne et symbioses sécialisées dans les grands fonds, Ifremer
Plongez à près de 4 000 mètres de profondeur à bord d’un sous-marin scientifique pour découvrir et ressentir un monde obscur révélant une biodiversité folle.
Longtemps considérés comme désertiques, froids et obscures, les grands fonds marins, à plus de 500 mètres de profondeur, où la lumière du Soleil ne pénètre plus, peuvent se révéler être de véritables oasis de vie, à proximité d’émissions de fluides ressemblant à des geysers, qui sortent des entrailles de la croûte océanique, formant alors de grandes cheminées : les sources hydrothermales.
Ces sources hydrothermales que l’on trouve par exemple le long des dorsales médio-océaniques qui lézardent la croûte océanique en profondeur, n’ont été observées pour la première fois qu’en 1977, par des géologues décidés à en découdre avec la tectonique des plaques. Par grande profondeur, dans le noir obscur et donc sans lumière pour assurer la photosynthèse à la base de la vie sur Terre, les géologues ont été très surpris d’observer des vers géants, des crevettes ou des crabes. En effet dans ces milieux, la vie est possible non par grâce à la photosynthèse basée sur l’énergie lumineuse, mais grâce à la chimiosynthèse microbienne, qui utilise l’énergique chimique disponible dans les fluides émis par les sources hydrothermales (sulfure, hydrogène, fer, méthane…) afin de construire les briques de la vie : sucres, protéines, lipides. La vie s’est donc adaptée.D’où vient-elle ? La question reste grande ouverte !
C’est au milieu de l’Atlantique qu’une petite crevette de 5 cm du nom de Rimicaris exoculata, a été découverte en 1986 en plein milieu de l’Atlantique.
Elle vit en agrégats très denses et mobiles le long des parois des fumeurs, on en compte jusque 2 500 par mètre carré ! Cette crevette a très vite attiré le regard des biologistes avec sa grosse tête hypertrophiée, une peu comme des bajoues de hamster après un bon repas. Ne parlons pas de son comportement : elle semble manger des cailloux ! Quelques photographies de sa carapace plus tard, on découvrait un dense tapis de bactéries qui la colonisait.
C’est ainsi que nous nous sommes rencontrées en 2001, au cours de discussion avec un chercheur qui terminait sa carrière et moi, microbiologiste, passionnée de géologie et de volcan, qui commençait. Comment cette crevette, avec de telles densités pouvait-elle vivre et se développer ainsi dans des milieux extrêmes, toxiques (sulfures, méthane, hydrogène, métaux lourds…), et que mangeait-elle ? Il n’en fallait pas plus pour aiguiser ma curiosité : Il fallait aller voir de plus près son mode de vie… Mais pour cela il faut y aller : 3600 mètres de profondeur sous la mer pour la rencontrer.
C’est ainsi que j’ai commencé à me former pour utiliser un sous-marin, aussi précieux que rare. Il n’y en a même pas une dizaine dans le monde, Le Nautile, qui peut nous emmener vers les grands fonds marins jusqu’à 6000 m de profondeur.
Quelques tests médicaux d’aptitude et un test en caisson hyperbare plus tard, j’embarque sur une campagne scientifique et plonge pour la première fois en 1999. Depuis j’ai eu l’extrême privilège de plonger 17 fois, en mission d’essais avec les technologues qui développent l’engin, ou en mission scientifique. Intriguée et avec le goût de comprendre j’ai alors fait l’exercice de devenir co-pilote scientifique !
Une campagne à la mer, c’est une aventure humaine, d’explorateur moderne, et la volonté d’en savoir plus et de comprendre comment la vie se développe, s’adapte, colonise les grands fonds marins, loin du regard des humains, cachée par des milliers de mètres d’eau salée. C’est là que je travaille à mi-chemin entre les Canaries et les Antilles, pendant 45 jours. La campagne BICOSE3 fin 2023 nous a ainsi emmenés pendant 46 jours sur site avec le navire baptisé le « Pourquoi pas ? » et le Nautile pour 27 plongées, une par jour.
Et pas question d’oublier quelque chose avant de partir… on reste en mer à bord du navire au milieu de l’Atlantique au-dessus des sites, alors la préparation est longue et minutieuse.
Chaque caisse, container, outil est préparé avec tout le matériel de laboratoire pour travailler à bord. L’équipe scientifique est composée de 31 personnes, dont un cinéaste, 9 opérateurs du sous-marin et les 35 marins du navire. Les trois équipes travaillent de concert pour apporter un maximum de résultats, le chef de mission doit organiser les journées de plongée et les nuits d’opérations tels des dragages ou des carottages.
Chaque plongée est unique, préparée sur plusieurs jours à l’avance. Les pilotes et les scientifiques échangeant les demandes et les possibles. Les « non » succèdent aux « peut-être », les négociations vont bon train puis le plan de plongée est établi entre le pilote et la cheffe de mission.
La veille de la plongée, le scientifique révise alors son plan de plongée, tout est cadencé. On a 6 heures sur le fond, il ne faut pas perdre de temps à se demander ce que l’on doit faire, on doit être actif et indiquer au pilote le travail, les mesures, les prélèvements.
La soirée arrive, repas léger, couchée tôt. La plongée à venir tourne dans la tête, les cartes, les actions, les expériences à faire pour toute l’équipe, chaque plongée est résolument pluridisciplinaire.
Levée 6h30, petit repas très léger puis la check liste commence. Tout est contrôlé chaque matin, les opérateurs testent tout sur le sous-marin, la puissance, la propulsion, l’informatique, les lumières, les bras, caméras, radio… 6 heures de travail sur le fond, environ 3h de descente et de remontée, soit 9h dans l’engin.
8h30 nous sommes prêts, on se change avec une combinaison ignifugée et nous voilà devant l’entrée de la sphère sur la mezzanine. Le co-pilote descend et j’entre, puis le pilote se met en place, assis sur le dessus du sous-marin. Le sous-marin recule sur le pont, on entend les chaînes qui permettent de reculer avec la crémaillère.
Je m’installe, allongée le nez au hublot sur la droite du sous-marin. J’installe le PC de contrôle des analyseurs de chimie, les cartes, carnet et crayon attaché avec sa ficelle, je prépare ma polaire, chaussettes et bonnet car la sphère va vite se refroidir au cours de la descente. Nous sommes sur le point de mise à l’eau, le pilote entre et ferme la trappe de la sphère et s’installe sur le côté gauche du sous-marin, allongé, le co-pilote est lui assis derrière nous.
« Portique à la mer » et nous voilà basculés au-dessus de l’Océan, puis nous descendons et nous touchons l’eau. Le tablier arrière du navire est devant mes yeux, l’eau est claire et les poissons passent, puis on s’éloigne petit à petit.
Les plongeurs font les dernières vérifications, tout est OK nous pouvons prendre la plongée. C’est parti pour 1h30 de descente environ, on s’assoit et on repasse rapidement la plongée et les actions à faire, contact avec la surface toutes les 30 minutes.
L’extérieur d’un bleu lumineux s’assombrit peu à peu, 200m, ça devient gris, 300m, puis noir très vite avant 500m. Le silence s’impose, le calme, la descente continue, 800m, 1000m, 1500m… On mange un repas préparé par la cuisine ce matin. Puis les pings de détection du fond se font entendre au sondeur, on se met en position : bonnet en place, tête appuyée au bord du hublot froid, polaire et chaussettes.
Et c’est parti pour 6h sur le fond. Les lumières sont allumées, et on observe devant nous. Le co-pilote assure la navigation et nous nous dirigeons vers la cheminée à étudier et ses crevettes. De petites taches blanches attirent l’œil, ce sont des galathées (des crustacés qui ont de grandes pinces devant et l’abdomen replié sous le ventre) et anémones, preuve que nous ne sommes pas loin du site. Puis on commence à voir le relief, les cheminées sont devant nous avec leur panache noir tourbillonnant faisant penser à une nuée ardente.
Et là des milliers de crevettes nagent entre l’eau de mer froide mais oxygénée leur permettant de respirer, et les fluides enrichis en minéraux et autres composés chimiques permettant de faire fonctionner la chimiosynthèse nutritive. En effet cette crevette héberge dans la carapace de la tête des milliers de bactéries de plusieurs espèces qui la nourrissent directement par la tête ! Elle a toujours un système digestif qui semble fonctionnel mais dont on ne connaît pas encore bien le rôle.
C’est un émerveillement de voir le comportement de ces animaux, parfaitement adaptés à ces conditions de vie extrêmes. Les grands fonds sont très colorés, rouges, noirs, gris, blancs, jaunes, orange, même pailletés avec les particules de sulfures. Les animaux pullulent, pas seulement les crevettes mais aussi des anémones, des crabes, des poissons, des moules parfois : une véritable oasis de vie. Nous tournons autour du site pour trouver une zone où travailler, il faut se poser et être stable 15 minutes pour les mesures de chimie. On se pose, un savant mélange de propulsion et d’appuis sur la cheminée. Nous commençons de mesures de chimie, finement au centimètre près autour des agrégats de crevettes, afin de caractériser les conditions de vie.
Tout à coup le sous-marin bouge, soulevé par une volute de panache. On se déplace et on trouve une autre zone plus calme. Nouvelle mesure de chimie. Nous prélevons de l’eau dans les poches. On ouvre le panier pour attraper une boite appelée PBT (petites boites isothermes), je demande des échantillons de roches que le sous-marin manipule grâce à la dextérité du pilote.
La boite est rangée, le panier refermé. Nous faisons de la vidéo avec le co-pilote, 4K aujourd’hui, afin de partager nos découvertes ! Puis il faut attraper l’aspirateur à faune pour prélever différents échantillons de crevettes, les adultes à grosse tête, plutôt blanches, les juvéniles rouges presque fluo, afin de mieux comprendre leurs capacités d’adaptation et le fonctionnement de leurs symbioses avec les bactéries.
Une myriade de crevettes passe devant mon hublot, ça grouille littéralement. On s’avance doucement, on recule, on se penche un peu pour attraper un dernier échantillon.
Le temps passe vite, nous partons sur le deuxième site pour prélever des fluides à haute température. Le site est devant nous, il faut se positionner en douceur. Sortie de la sonde de température, 322 °C, 351 °C, 375 °C, 388 °C, le fluide à la base est clair. La sonde est rangée, il faut ouvrir le panier et prendre la seringue titane, la mettre en position sur la sortie de fluide, tout en maintenant le Nautile en place, le pilote est très concentré. Je dois surveiller la purge et demander le déclenchement de prélèvement dès qu’elle est claire. Tout se passe en quelques secondes, il ne faut pas bouger pour ne pas diluer le précieux fluide avec de l’eau de mer.
La bouteille est remise dans le panier après 35 minutes de bataille avec les éléments, puis nous descendons à la base de la cheminée faire de la vidéo et des mesures de chimie sur les habitats. Les 6h défilent, le responsable de surface nous indique que nous devons amorcer la remontée… Trop court, on voudrait rester, tant de choses merveilleuses sous les yeux. On est humble devant cette nature majestueuse, ces écosystèmes qui semblent loin de nous et pourtant si proches qu’on voudrait tendre la main pour les toucher. Cette extraordinaire capacité de la vie à coloniser tous les biotopes, même les plus improbables vus d’un œil humain !
Nous voilà en surface, ballotés par la houle, les plongeurs sont autour de nous et nous rattachent. On est hissés hors de l’eau, puis basculés sur le pont, posés sur le charriot. C’est fini pour cette plongée. Les scientifiques courent devant le sous-marin pour récupérer les précieux échantillons et partent vite dans les laboratoires. On peut alors sortir de la sphère, et c’est le debrief avec les collègues. Quelle journée !
Cet article a été publié à l’occasion des 40 ans de l’Ifremer où vous pourrez assister à un ciné-débat autour du film « Abysses, la conquête des fonds marins » le 24 octobre à La Seyne-sur-Mer.
Marie-Anne Cambon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
20.10.2024 à 10:30
Jacques Treiner, Physicien théoricien, Université Paris Cité
We’ve all been there – caught outside without an umbrella as the sky opens up. Whether it’s a light drizzle or a heavy downpour, instinct tells us that running will minimise how wet we get. But is that really true? Let’s take a scientific look at this common dilemma.
You’re out and about, and it starts to rain – and naturally you’ve forgotten your umbrella. Instinctively, you lean forward and quicken your pace. We all tend to believe that moving faster means we’ll spend less time getting wet, even if it means getting hit with more rain as we move forward.
But is this instinct actually correct? Can we build a simple model to find out if speeding up really reduces how wet we’ll get? More specifically, does the amount of water that hits you depend on your speed? And is there an ideal speed that minimises the total water you encounter on your way from point A to point B?
Let’s break it down while keeping the scenario simple. Imagine rain falling evenly and vertically. We can divide your body into two surfaces: those that are vertical (your front and back) and those that are horizontal (your head and shoulders).
When moving forward in the rain, vertical surfaces such as a person’s body will be hit by more raindrops as speed increases. From the walker’s perspective, the drops appear to fall at an angle, with a horizontal velocity equal to their own walking speed.
While walking faster means encountering more drops per second, it also reduces the time spent in the rain. As a result, the two effects balance each other out: more drops per unit of time, but less time in the rain overall.
When the walker is stationary, rain only falls on horizontal surfaces – the top of the head and shoulders. As the walker begins to move, she or he receives raindrops that would have fallen in front, while missing the drops that now fall behind. This creates a balance, and ultimately, the amount of rain received on horizontal surfaces remains unchanged, regardless of the walking speed.
However, since walking faster reduces the total time spent in the rain, the overall amount of water collected on horizontal surfaces will be less.
For those who enjoy a mathematical approach, here’s a breakdown:
Let ρ represent the number of drops per unit volume, and let a denote their vertical velocity. We’ll denote Sh as the horizontal surface area of the individual (e.g., the head and shoulders) and Sv as the vertical surface area (e.g., the body).
When you’re standing still, the rain only falls on the horizontal surface, Sh. This is the amount of water you’ll receive on these areas.
Even if the rain falls vertically, from the perspective of a walker moving at speed v, it appears to fall obliquely, with the angle of the drops’ trajectory depending on your speed.
During a time period T, a raindrop travels a distance of aT. Therefore, all raindrops within a shorter distance will reach the surface: these are the drops inside a cylinder with a base of Sh and a height of aT, which gives:
ρ.Sh.a.T.
As we have seen, as we move forward, the drops appear to be animated by an oblique velocity that results from the composition of velocity a and velocity v. The number of drops reaching Sh remains unchanged, since velocity v is horizontal and therefore parallel to Sh. However, the number of drops reaching surface Sv – which was previously zero when the walker was stationary – has now increased. This is equal to the number of drops contained within a horizontal cylinder with a base area of Sv and a length of v.T. This length represents the horizontal distance the drops travel during this time interval.
In total, the walker receives a number of drops given by the expression:
ρ.(Sh.a + Sv.v). T
Now we need to take into account the time interval during which the walker is exposed to the rain. If you’re covering a distance d at constant speed v, the time you spend walking is d/v. Plugging this into the equation, the total amount of water you encounter is:
ρ.(Sh.a + Sv.v). d/v = ρ.(Sh.a/v + Sv). d
This equation gives us two key insights:
The faster you move, the less water hits our head and shoulders.
The water hitting the vertical part of your body stays the same regardless of speed, because the shorter time spent in the rain is offset by encountering more raindrops per second.
To sum it all up: it’s a good idea to lean forward and move quickly when you’re caught in the rain. But careful: leaning forward increases Sh. To really stay drier, you’ll need to increase your speed enough to compensate for this.
Jacques Treiner ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
17.10.2024 à 15:21
Sébastien CELESTIN, Professeur des Universités en Physique, Université d’Orléans
Les nuages d’orage restent très mystérieux. Les éclairs en sont une manifestation visible, mais ils émettent aussi des rayons X très énergétiques, que l’œil humain ne décèle pas. Deux nouvelles publications remuent la communauté scientifique : ces phénomènes sont plus fréquents et plus variés qu’on le pensait, et ils sont peut-être liés au déclenchement des éclairs.
Deux articles scientifiques publiés dans la revue Nature le 2 octobre 2024 rapportent la détection d’intenses flux de photons de haute énergie (rayons X et au-delà) au-dessus d’orages tropicaux.
À bord d’un avion ER-2 de la NASA (dérivé de l’avion-espion U-2 conçu pendant la guerre froide), volant à 20 kilomètres d’altitude au-dessus des cœurs convectifs de systèmes orageux, de très nombreux événements de haute énergie ont été détectés par la mission ALOFT coordonnée par l’Université de Bergen en Norvège.
La découverte de la production de rayonnement de haute énergie par les nuages d’orage dans les années 1980 et 1990 a révolutionné notre compréhension des orages et de leurs interactions avec l’environnement spatial proche. Jusqu’à présent, seuls deux types de phénomènes étaient observés. Non seulement les nouvelles études détaillent un nouveau type de flashs de haute énergie, elles montrent aussi que ces phénomènes sont beaucoup plus fréquents que nous le pensions jusqu’à présent.
Ces mesures sont enthousiasmantes pour la communauté scientifique, notamment parce qu’elles donnent de nouveaux indices sur ce qui déclenche les éclairs lors des orages – une question qui résiste aux chercheurs depuis des décennies !
Mais il s’agit aussi d’évaluer le risque radiatif des passagers à bord d’avions traversant des nuages d’orages. L’exposition aux rayonnements ionisants peut en effet augmenter les risques de cancer.
Il existe plusieurs types de rayonnements de haute énergie provoqués par les orages.
Les « lueurs gamma » sont des augmentations du flux de photons énergétiques relativement longues (de quelques secondes à plusieurs minutes) et étendues (de l’ordre de quelques kilomètres). Dans de nombreux cas, ces lueurs gamma s’éteignent soudainement en corrélation avec le déclenchement d’éclairs. Lorsqu’ils se déclenchent, les éclairs neutralisent en effet les charges responsables des champs forts soutenant l’accélération des particules chargées.
Les premières détections ont été effectuées par avion dans les années 80, puis par des ballons-sondes traversant les orages verticalement dans les années 90. En 2015, des mesures in situ – au sein même des nuages d’orage – sont réalisées à l’aide d’un jet Gulfstream V. On a aussi détecté ces lueurs gamma depuis le sol, depuis des stations de haute altitude ou depuis le niveau de la mer au Japon, où les orages d’hiver ont des altitudes extrêmement basses (quelques centaines de mètres au-dessus du sol).
À la différence des lueurs gamma, les flashs gamma terrestres (TGF) durent moins d’une milliseconde et leurs énergies montrent qu’ils sont produits par d’intenses accélérations d’électrons.
Les TGF peuvent être produits par des orages de toutes tailles, allant de petits orages isolés aux systèmes convectifs de méso-échelle (taille supérieure à 100 km). Les TGF sont associés à la phase initiale de propagation des éclairs intra-nuage positifs (transportant de la charge négative vers le haut) – même si la chronologie exacte entre décharges précurseurs, éclairs, sous-événements radio, et production de TGF est complexe et encore mal comprise. Les sources des TGF sont généralement situées entre 10 et 15 kilomètres d’altitude.
Ils sont généralement observés depuis l’espace par des instruments conçus pour l’astrophysique des hautes énergies, tels que les sursauts gamma. Ces flashs gamma sont couramment observés par des satellites en orbite basse et à bord de la Station Spatiale Internationale.
La nouvelle campagne ALOFT bouleverse nos connaissances sur ces événements. En effet, alors que seules quelques « lueurs gamma » et quelques rares TGF étaient attendus par les scientifiques, les équipes d’ALOFT rapportent l’observation de plus de 500 lueurs gamma et plus de 90 TGFs.
Concernant les TGF, on comprend maintenant que les estimations obtenues à partir des mesures satellites étaient faussées car ces derniers n’observent que la « partie émergée de l’iceberg », puisque pour la grande majorité, les TGF observés par ALOFT sont trop peu brillants pour être détectables depuis l’espace.
Une telle explication semble naturelle dans le cadre de certaines théories actuelles de production de TGF par les éclairs. Avec des collègues, nous avons en effet construit un modèle montrant que les éclairs pouvaient produire des TGF avec des flux dépendant de leurs potentiels électriques. Pour le prouver, il faudrait également envisager la possibilité que les faisceaux d’électrons produisant les TGF ne soient pas tous orientés vers le haut, ce que les équipes d’ALOFT n’ont malheureusement pas pu faire pour l’instant.
Le nombre inattendu de lueurs gamma semble quant à lui être une spécificité des orages tropicaux pour lesquels aucune observation de haute altitude n’avait encore été réalisée. Cette interprétation devra être confirmée avec de nouvelles mesures aux latitudes moyennes et dans la région intertropicale.
Une des deux nouvelles publications présente également un nouveau type d’événement gamma, que les auteurs nomment flickering gamma-ray flashes ou FGF, qu’on pourrait traduire par « scintillations gamma ». D’après ces auteurs, ces événements représentent un chaînon manquant entre lueurs gamma et TGF. Ils sont en effet moins brillants et de durées plus longues que les TGF, mais plus brillants et plus courts que les lueurs gamma.
Il est intéressant de noter que des événements avec la même dynamique ont été détectés par la mission spatiale Compton Gamma Ray Observatory (NASA) et référencés comme de simples TGF de formes atypiques. Ces scintillations gamma sont encore assez mystérieuses car, contrairement aux TGF, elles ne semblent être accompagnées d’aucun signal optique ou électromagnétique, ce qui suggère l’absence d’éclairs ou plus généralement de décharges atmosphériques sous-jacentes. Il est ainsi possible que ces événements soient produits par des mécanismes d’amplification de particules relativistes déjà théorisées pour les TGF.
En outre, des décharges précurseurs d’éclairs sont détectées peu après certains événements de scintillations gamma, ce qui tend à montrer que ces derniers ont un rôle dans le déclenchement des éclairs, une question qui reste ouverte malgré les nombreux efforts de recherche sur le sujet.
Les TGF sont extrêmement intenses. Le grand nombre d’électrons à la source nécessaire pour produire de tels flux, combiné à l’altitude des sources, qui est proche de celle des altitudes de vols commerciaux, a amené un groupe de chercheurs à évaluer la dose efficace reçue par des passagers à bord d’avions en cas d’irradiation dans la source du TGF. Avec l’aide de collègues de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) et d’Air France, nous avons effectivement estimé que les doses reçues peuvent excéder 1 Sv, laquelle dose présente un danger immédiat pour la santé et un risque de fatalité.
Cependant, en cartographiant la probabilité d’occurrence des TGF observés par le satellite Fermi, nous avons aussi montré qu’il est probable qu’aucun vol commercial n’ait été touché par un TGF dans toute l’histoire du trafic aérien mondial.
Néanmoins, ces résultats sont remis en question par les nouvelles publications du projet ALOFT.
À la suite de ce succès, il est probable que de nouvelles campagnes ALOFT voient le jour.
Des campagnes de mesures par ballons stratosphériques dont j’ai la responsabilité scientifique sont aussi en cours de préparation dans le cadre de projets soutenus par l’agence spatiale française (CNES) afin de réaliser des mesures in situ (projet OREO) ainsi que dans le cadre du projet de développement instrumental STRATELEC (coordonné par Eric Defer, LAERO) pour la mission Stratéole-2 (resp. scientifique : Albert Hertzog, LMD) avec des ballons super-pressurisés volant à 20 kilomètres d’altitude pendant plusieurs mois dans la zone intertropicale (prochaine campagne prévue fin 2026).
Des détecteurs de particules dédiés ont été développés et les résultats récents d’ALOFT sont très utiles pour le bon dimensionnement des instruments. Ces mesures ballon, qui permettent une observation de la dynamique intrinsèque des événements depuis une position relativement statique, viendront encore enrichir nos connaissances sur ces accélérateurs de particules naturels qui existent au sein des systèmes orageux.
Les travaux de recherche de Sébastien CELESTIN ont reçu des financements du CNES et de l'Institut Universitaire de France (IUF).