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13.11.2024 à 17:08

De la physique à la météo, une petite histoire de la turbulence

Waleed Mouhali, Enseignant-chercheur en Physique, ECE Paris

De l’atmosphère aux océans, de la Terre aux autres planètes en passant par le Soleil, les turbulences sont partout. Comment leur compréhension a-t-elle progressé dans l’histoire, où en est-on aujourd’hui ?
Texte intégral (3399 mots)
La météo et la circulation océaniques sont dirigés par des phénomènes turbulents. Norman Kuring, Earth Observatory, NASA, CC BY-NC

La turbulence est un phénomène qui intrigue les physiciens depuis longtemps, et une des raisons pour lesquelles certains phénomènes météo sont encore aujourd’hui difficiles à prévoir.


On attribue à Werner Heinsenberg, physicien connu pour ses travaux en physique quantique et popularisé par la série Breaking Bad, la citation suivante :

« Quand je rencontrerai Dieu, je lui poserai deux questions : pourquoi la relativité ? Et pourquoi la turbulence ? Je crois vraiment qu’il aura une réponse à la première. » Werner Heisenber, vers 1946

Nombreux sont les esprits hantés par la question de la turbulence… et depuis bien longtemps. Si l’histoire de la compréhension de ce phénomène sur des bases scientifiques est le fruit d’un très long processus, ce sont surtout les observations qui ont permis d’en comprendre quelques caractéristiques.

De Vinci, qui avait l’œil de l’artiste et les talents d’observation du scientifique, s’est attelé à représenter ce que l’on nommera au XXe siècle « turbulence » (le terme fut introduit par Taylor et Von Karman). Hiroshige, en voulant représenter le tourbillon de Naruto, fait apparaître les structures complexes du phénomène.

Ce qui se dégage de ces visions d’artiste, c’est que le phénomène fait apparaître du mouvement en forme d’agitation capricieuse et de désordre esthétique représenté sous la forme d’insaisissables tourbillons de différentes tailles.

Deux visions d’artistes de la turbulence : celle de Léonard de Vinci à gauche, datant de 1510, et celle de Utagawa Hiroshige à droite, réalisée en 1855. Wikimedia
photo de nuages et de tourbillons formés par la présence d’une île
Une vision moderne de la turbulence des nuages : un vortex de Von Karman observé en 1999 au large du Chili par le satellite Landsat 7. NASA Goddard Space Flight Center, CC BY

Ces turbulences jouent un rôle crucial dans nombre de phénomènes, par exemple les phénomènes météorologiques et océanographiques (formation des nuages et dynamique des courants océaniques), impactant ainsi les climats terrestres et les événements météorologiques extrêmes. Elles sont aussi importantes en météorologie solaire, qui étudie notamment les éruptions solaires et leurs impacts sur Terre.

Les premières contributions

Au XVIIIe siècle, Daniel Bernoulli et Leonhard Euler, sont les premiers scientifiques à avoir posé les premières bases de la mécanique des fluides avec leurs équations décrivant l’écoulement idéal des fluides, c’est-à-dire sans viscosité. La viscosité représente toute la résistance interne que réalise le fluide pour lui-même. Elle a pour effet de diminuer la liberté d’écoulement du fluide et dissipe son énergie.

Un fluide non visqueux s’étale plus vite qu’un fluide visqueux (Synapticrelay/Wikipedia).

Cela parait contre-intuitif, pourtant, la viscosité va jouer un rôle important pour une description réaliste de la turbulence. Au XIXe siècle, les travaux de George Stokes et Hermann von Helmholtz ont permis d’inclure les effets de la viscosité dans les équations des fluides, ce qui a ouvert la voie à une compréhension plus subtile du phénomène avec le nombre de Reynolds.

Les travaux d’Osborne Reynolds et l’invention du « nombre de Reynolds »

C’est aussi à cette époque qu’ont eut lieu les premières tentatives pour comprendre la transition entre écoulements laminaires (réguliers) et turbulents émergèrent, notamment à travers les études sur les instabilités hydrodynamiques, un phénomène où un écoulement fluide stable devient instable et évolue vers la turbulence sous l’effet de petites perturbations ou fluctuations.

Une étape décisive dans l’histoire de la turbulence est marquée par les expériences d’Osborne Reynolds dans les années 1880 : de l’eau est injectée dans un tube horizontal avec un filet d’encre colorée. À faible vitesse, le filet d’encre reste droit, illustrant un écoulement laminaire où le fluide se déplace de manière ordonnée. À mesure que la vitesse augmente, le filet se disperse de façon erratique, montrant un écoulement turbulent marqué par des tourbillons et des irrégularités. On parle de transition laminaire/turbulent, comme le montre cette vidéo moderne. Source : Le projet Lutetium.

On comprend que le comportement des fluides est contrôlé par un nombre issu d’un rapport entre la dynamique de son « mouvement » et sa viscosité : ce rapport s’appelle le nombre de Reynolds. Cette découverte a jeté les bases pour une classification des régimes d’écoulement en fonction de ce nombre, permettant ainsi de prédire la transition vers la turbulence. On parle d’écoulement faiblement turbulent et de turbulence développé.

L’expérience de Reynolds
Illustration tirée de l’article historique de Reynolds (1883) sur la formation des écoulements turbulents. L’eau s’écoule depuis le réservoir au niveau de l’expérimentateur jusqu’au sous-sol à travers une tuyauterie transparente. La nature turbulente ou laminaire de l’écoulement peut ainsi être observée précisément. Osborne Reynolds/Wikipedia

Des ailes d’avion à la turbulence…

La portance et la trainée (ou flux d’air) autour d’une aile d’avion vue en coupe. Michael32710/Wikipedia, CC BY-SA

Au début du XXe siècle, inspiré par les problèmes d’aérodynamique notamment sur le lien entre la forme géométrique d’une aile et sa performance en vol (portance et traînée), Ludwig Prandtl, développe la théorie des « couches limites ».

Cette théorie se focalise sur une mince région de fluide située près d’une surface solide, appelée « couche limite », où la vitesse du fluide passe de zéro (à la surface solide) à celle de l’écoulement principal (loin du solide). Elle permet d’analyser séparément les effets de frottement visqueux, facilitant ainsi l’étude des portance et traînée et de la manière dont la turbulence se développe près des surfaces solides et dans les écoulements à grande vitesse.

La révolution de l’approche statistique

Dès 1895, Reynolds avait ouvert la voie à une approche statistique de la turbulence en émettant l’hypothèse que les écoulements turbulents peuvent être décrits en une somme d’un « comportement moyen » et de fluctuations.

Puis, dans les années 1920, Geoffrey Ingram Taylor et Lewis Fry Richardson proposent indépendamment de considérer les écoulements turbulents comme étant constitués de plusieurs échelles, tant spatiales que temporelles. En effet, les écoulements turbulents sont caractérisés par des tourbillons de tailles et de durées de vie variées, qui sont à l’origine de mouvements complexes à différentes échelles spatiales et temporelles.

À leur suite, Kolmogorov développe une approche basée sur des probabilités – un peu comme la physique quantique, qui s’est développée via la probabilité.

Cette approche statistique reste encore aujourd’hui un cadre essentiel pour comprendre les écoulements turbulents. En effet, elle permet de modéliser un comportement « imprévisible » en se concentrant sur des grandeurs moyennes et les fluctuations autour de ces valeurs, plutôt que de chercher à prévoir chaque mouvement individuel. Par ailleurs, les concepts clés de la théorie du chaos, tels que les attracteurs étranges et la sensibilité aux conditions initiales, sont aussi un ensemble d’outils mathématiques très utilisés pour caractériser l’apparition de phénomènes complexes.

schéma de cascade turbulente
La cascade turbulente désigne le processus par lequel l’énergie cinétique des grands tourbillons est progressivement transférée vers des tourbillons de plus en plus petits, qui finissent par la dissiper sous forme de chaleur. Waleed Mouhali, Fourni par l'auteur

D’ailleurs, Heisenberg, lors de sa résidence surveillée à Cambridge en 1945 comme prisonnier de guerre, s’attaqua au problème de la turbulence et retrouvât les prédictions de Kolmogorov… alors qu’il ignorait tout de ses travaux publiés en russe.

Clairement, la description statistique de Kolmogorov a introduit une nouvelle conception des choses (en plus d’expliquer les observations expérimentales) : la turbulence ne serait qu’une manifestation d’un phénomène de cascade d’énergie, où l’énergie injectée à grande échelle est transférée aux petites échelles avant d’être dissipée par l’intermédiaire de tourbillons de différentes échelles. En d’autres termes, cette approche révèle les mécanismes physiques sous-jacents à la turbulence.

La turbulence aujourd’hui

Encore aujourd’hui, une meilleure compréhension de cette cascade d’énergie permettrait de réaliser des prédictions, offrant ainsi des applications cruciales, telles que l’amélioration de la performance des éoliennes, une meilleure gestion des catastrophes naturelles, une meilleure prévention d’évacuation pendant les saisons des ouragans et la sécurisation des trajets aériens. Ces avancées offriraient des bénéfices considérables en termes de performance et de sécurité dans divers domaines.


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Bien que des progrès significatifs aient été réalisés, notamment grâce aux simulations numériques, le comportement turbulent reste un phénomène difficile à prédire et à contrôler en raison de sa nature chaotique et multi-échelle. Il n’y a toujours pas de théorie explicative universellement acceptée.

Pour étudier les turbulences, deux approches sont couramment utilisées aujourd’hui : d’une part l’analyse statistique d’un grand nombre de réalisations d’un même écoulement pour en extraire les comportements moyens et dominants (par exemple, certains radars d’aéroport sont utilisés pour repérer la turbulence atmosphérique), et l’examen détaillé d’une seule réalisation pour identifier les structures dynamiques fondamentales responsables des mouvements observés.

The Conversation

Waleed Mouhali ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

12.11.2024 à 17:41

Cybersécurité: un grand concours pour résister à la menace des ordinateurs quantiques

Philippe Gaborit, Professeur en informatique, Université de Limoges

Difficile de savoir quand précisément les ordinateurs quantiques seront capables d’attaquer les communications sécurisées, mais la cryptographie commence déjà à s’adapter.
Texte intégral (1830 mots)

Les agences de sécurité du monde entier sont en train s’armer pour que les communications sécurisées sur Internet le restent quand les ordinateurs quantiques débarqueront.

Pour trouver des algorithmes résistants aux futurs ordinateurs quantiques, un organisme américain a lancé un grand concours, auquel participent de nombreuses équipes de recherche. La France est en pointe dans le domaine – explications par un des chercheurs impliqués.


La cryptographie est au cœur de la sécurité des systèmes d’information, dont Internet, et en particulier de la sécurité des paiements en ligne. Pour utiliser l'image simple d'une effraction dans un appartement: la cryptographie s’occupe d’assurer la solidité de la porte et qu'on ne puisse l'ouvrir qu'avec la clef. Pour cela, on code les informations, et seule la clef permet de les décoder.

La cryptographie repose sur des problèmes mathématiques suffisamment complexes pour que les ordinateurs actuels ne puissent pas les résoudre en un temps raisonnable, par exemple le problème de la factorisation des grands nombres. Mais quantité de ces problèmes seront vulnérables aux attaques de futurs ordinateurs quantiques, plus puissants que les ordinateurs actuels.

En 2015, devant le risque que faisait peser sur la cryptographie le développement d’un ordinateur quantique suffisamment puissant, la National Security Agency (NSA) a enjoint l’administration américaine à changer de paradigme pour passer à une cryptographie résistante aux ordinateurs quantiques, dite « cryptographie post-quantique ».

Suite à ce communiqué, l’Institut des standards américains (NIST) a lancé un concours international : pour gagner, il faut proposer de nouveaux algorithmes cryptographiques résistants aux attaques quantiques. Les gagnants deviendront les standards du domaine : ils auront vocation à être utilisés pour sécuriser toutes les communications dans le monde.

Les enjeux traversent les frontières. S’il est difficile d’évaluer précisément le moment où les systèmes cryptographiques actuels pourront être cassés par un ordinateur quantique, on est sûrs que la transition technique vers un nouveau système prendra du temps, et il faut commencer à la préparer dès maintenant.

Les futurs ordinateurs quantiques, une menace pour les systèmes cryptographiques actuels

Bien que le premier algorithme destiné à être exécuté sur un ordinateur quantique ait été décrit en 1994, le développement d’ordinateurs quantiques réels se fait très lentement. En effet, ils posent des problèmes techniques physiques particulièrement compliqués à résoudre : la puissance d’un ordinateur quantique dépend du nombre de « bits quantiques » (ou qubits) qu’il contient, mais ceux-ci sont difficiles à assembler en grand nombre… à tel point que les premiers ordinateurs quantiques ne possédaient que quelques qubits opérationnels, et ne servaient pas à grand-chose pour calculer.

Ainsi, pendant les années 2000, la puissance des ordinateurs quantique augmentait très lentement, ce qui poussait certains à penser qu’un ordinateur quantique suffisamment puissant pour poser des problèmes de sécurité ne verrait jamais le jour.


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Les choses ont changé au début des années 2010 lorsque les grands groupes américains du GAFAM se sont mis à s’intéresser à l’ordinateur quantique et à financer de manière très importante de tels projets, qualifiés par certains de « projet Manhattan du XXIe siècle ».

En quelques années, on est passé de quelques bits, à quelques dizaines de qubits, à plus de 1000 qubits aujourd’hui. Si la situation a considérablement évolué en 20 ans, la réalisation d’un ordinateur quantique suffisamment efficace pour casser un système de cryptographie n’est probablement pas pour demain, tant il reste de nombreux défis physiques à résoudre… mais le sujet est aujourd’hui au premier plan au niveau international, et des start-up font de nouvelles avancées chaque jour. En France, on peut citer en particulier Pasqal et Candela.

Et même s’il reste probablement une bonne dizaine d’années avant de pouvoir éventuellement arriver à casser concrètement un système de type RSA (un système cryptographique très utilisé aujourd’hui), la « menace quantique » a déjà commencé : avec des attaques de type « harvest now and decrypt later », on peut envisager qu’un attaquant collecte des données aujourd’hui et les déchiffre lors de l’avènement de l’ordinateur quantique.

Des problèmes mathématiques difficiles même pour un ordinateur surpuissant

Une cryptographie résistante aux attaques d’ordinateurs quantiques reposera sur une catégorie particulière de problèmes mathématiques : celle des problèmes réputés « difficiles », qui résisteront a priori aux ordinateurs quantiques.

De tels problèmes difficiles sont connus depuis des années : le premier, dit « système de McEliece » a été introduit en 1978. Mais ces problèmes difficiles ont souvent l’inconvénient d’être plus gros en taille que les systèmes classiques.

Il est important de bien comprendre qu’un ordinateur quantique ne sera pas capable de casser facilement n’importe quel type de problème difficile (en fait, on connaît très peu d’algorithmes quantiques qui cassent des problèmes efficacement), mais la catégorie des problèmes résolus beaucoup plus efficacement par un ordinateur quantique englobe tous les problèmes utilisés pour les systèmes de cryptographie à clé publique actuels.

En pratique, on utilise aujourd’hui un processus de cryptographie en deux étapes, le « chiffrement hybride » : les ordinateurs quantiques ne devraient a priori pas mettre en danger la première étape (dite « partie symétrique ») car il suffira de doubler la taille des clés pour que même un ordinateur quantique ne puisse pas les attaquer. En revanche, la seconde étape (dite de « partage de secret ») est rendue inutilisable par le premier algorithme quantique inventé en 1994, l’algorithme de Shor. C’est pour cette seconde partie qu’il convient de trouver des systèmes alternatifs résistants aux attaques quantiques.

Un grand concours pour trouver de nouveaux algorithmes

Des concours publics internationaux ont déjà été organisés avec succès par le NIST pour définir les précédents standards de la cryptographie en 1996 et en 2008.

Le concours post-quantique a débuté en novembre 2017 et a pour objet de trouver des algorithmes de chiffrement, de partage de secret et de signature, les trois principaux types d’algorithmes de la cryptographie à clé publique moderne.

Soixante-quatre algorithmes de chiffrement ont été soumis. Au fur et à mesure d’un processus transparent qui s’est déroulé sur plusieurs années et à travers plusieurs tours qui filtraient les candidats. Il s’agit d’un processus complexe où l’on cherche des algorithmes à la fois efficaces et sécurisés et où les chercheurs sont invités à tester la robustesse des algorithmes pressentis, ainsi certains concurrents ont même été éliminés très tard dans le processus parce qu’ils ont été attaqués efficacement et donc démontrés non robustes (par exemple le système SIKE à l’été 2022).

En 2022, le NIST a choisi un premier groupe d’algorithmes pour la standardisation : KYBER pour le chiffrement ainsi que trois algorithmes (Di Lithium, Falcon et Sphincs) pour la signature.

Il espère aussi annoncer cet automne (2024) un ou deux nouveaux standards pour le chiffrement, choisis parmi les algorithmes encore en course : McEliece, HQC and BIKE.

En parallèle, le NIST a commencé un nouveau concours en juin 2023 spécialement pour les signatures post-quantiques pour augmenter la diversité des algorithmes. Le concours vient juste de commencer et a accueilli 40 candidats. Les résultats du premier tour sont arrivés en octobre 2024 et 14 candidats passent au second tour.

Durant tout le processus, la France a été très représentée dans de nombreuses soumissions sur tout type de problèmes difficiles. Le pays est très en pointe pour la cryptographie post-quantique, notamment grâce aux financements France 2030 et grâce aux efforts dans la durée de la part d’organismes de recherche nationaux comme le CNRS et l’INRIA.

Concrètement, que changent les nouveaux algorithmes post-quantiques par rapport aux systèmes de cybersécurité actuels ?

D’une manière générale, les nouveaux algorithmes post-quantiques sont plus gros en termes de taille de paramètres. Dans certains cas, la taille des données cryptographiques envoyées (petite à la base) peut être multipliée par 10 ou 20, ce qui oblige à faire évoluer aussi une partie de la chaîne globale de la sécurité et un travail d’adaptation général sur un certain de protocoles de sécurité existants qui utilisent la cryptographie en boite noire. Les chercheurs et les industriels travaillent sur le sujet depuis des années pour rendre la transition vers ces nouveaux algorithmes cryptographiques la plus efficace et sécurisée possible.

D’un point de vue plus concret, il existe des groupes de travail dans divers campus de cybersécurité à la fois au niveau national et en régions et l’ANSSI (l’agence de sécurité française qui régule l’utilisation de la sécurité et de la cryptographie en France) est en train de mettre en place des procédures de certification pour des produits utilisant la cryptographie post-quantique, avec pour but que les entreprises aient pu faire une transition d’ici 2030, c’est-à-dire… demain.


Le projet CBCRYPT a été soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.

The Conversation

Philippe Gaborit a reçu des financements de France 2030 (PEPR Quantique) et de l'ANR (projet CBCRYPT https://anr.fr/Projet-ANR-17-CE39-0007).

12.11.2024 à 17:35

Les oursins comme bioindicateurs de la pollution marine

Ouafa El Idrissi, Enseignant chercheur en biologie et écologie marine, Université de Corse Pascal-Paoli

Sonia Ternengo, Maître de conférences HDR en biologie et écologie marine, Université de Corse Pascal-Paoli

Les oursins servent de bioindicateurs pour suivre la contamination des écosystèmes côtiers par les éléments traces (longtemps appelés métaux lourds). Un exemple en Corse près d’une ancienne mine.
Texte intégral (2160 mots)

Les oursins se révèlent être de précieux bioindicateurs pour suivre la contamination des environnements marins par les éléments traces (longtemps appelés métaux lourds). Un exemple en Corse, lieu privilégié d’étude des écosystèmes côtiers, à proximité d’une mine fermée depuis plus de 50 ans.


Interfaces fragiles entre les milieux terrestres et marins, les écosystèmes côtiers sont soumis à une pression croissante due aux activités anthropiques. L’expansion des secteurs industriel, agricole et urbain entraîne l’introduction d’une quantité considérable de produits chimiques dans ces écosystèmes.

Ces substances présentent souvent des propriétés toxiques susceptibles de causer des dommages multiples à l’échelle des organismes, des populations et des écosystèmes, menaçant non seulement la biodiversité marine mais aussi les services écosystémiques qu’ils fournissent.

Les éléments traces : une menace invisible

Les éléments traces, autrefois appelés métaux lourds, font partie des contaminants les plus répandus dans l’écosystème marin. En raison de leur toxicité, leur persistance et leur capacité à s’accumuler dans les organismes marins, ces derniers sont considérés comme de sérieux polluants dans l’environnement marin.

Bien que naturellement présents dans l’environnement à faible concentration, les éléments traces peuvent rester en solution, s’adsorber sur des particules sédimentaires, précipiter au fond ou encore s’accumuler et connaître « une bioamplification » dans les chaînes alimentaires atteignant ainsi des niveaux toxiques. Une surveillance constante de leur présence et leur concentration est donc essentielle face à ces menaces.

Le cas de l’oursin violet comme bioindicateur de contamination

Afin d’évaluer les niveaux de contaminants dans l’écosystème, des organismes peuvent être utilisés comme bioindicateurs. Ces organismes ont la capacité d’accumuler des polluants dans leurs tissus permettant ainsi d’évaluer la qualité de leur environnement.

De par sa large distribution, son abondance dans les écosystèmes côtiers, sa facilité de collecte, sa longévité, sa relative sédentarité et sa bonne tolérance aux polluants, l’oursin violet Paracentrotus lividus (décrit par Lamarck en 1816) est un organisme reconnu pour son rôle de bioindicateur.

L’utilisation de biomarqueurs représente également une approche clé dans la biosurveillance marine permettant d’évaluer les liens entre l’exposition aux polluants environnementaux et leurs impacts sur les individus et les populations. Les effets des polluants dans les écosystèmes marins peuvent être mesurés à travers des paramètres biochimiques.

De nombreuses études suggèrent que l’exposition à divers éléments traces est susceptible d’entraîner des dommages irréversibles chez les organismes marins via la production de molécules oxydantes. Dans ce contexte, il est essentiel d’évaluer, au sein de ces organismes, les activités d’enzymes antioxydantes qui jouent un rôle clé dans la défense contre le stress oxydant. Les teneurs de certains marqueurs d’oxydation dans les tissus des organismes constituent également des indicateurs précieux pour évaluer l’intensité du stress oxydant.

La Corse, un site d’étude privilégié

En raison de ses côtes fortement peuplées, la mer Méditerranée est soumise à de nombreuses pressions anthropiques. Située au nord-ouest de ce bassin, la Corse constitue un site d’étude privilégié pour les écosystèmes côtiers. Ses eaux, souvent considérées comme peu affectées par des sources anthropiques majeures, permettent d’identifier plus facilement les sources de contamination.


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Afin d’obtenir des informations sur la qualité environnementale des eaux marines autour de l’île et d’identifier les zones de contamination locale, des prélèvements ont été réalisés. Ces travaux avaient pour objectif de suivre la dynamique spatio-temporelle de 22 éléments traces dans des oursins prélevés sur le littoral corse et d’estimer les effets de cette contamination sur le stress oxydant de P. lividus.

Des indices de pollution, calculés à partir de données issues de la littérature, ont permis de comparer les niveaux de contamination de la Corse à ceux d’autres régions méditerranéennes, comme l’Algérie, la Grèce, l’Italie et l’Espagne. Bien qu’il existe quelques cas de contamination élevée en Corse, les niveaux demeurent faibles en raison de la faible pression anthropique dans la région.

Des éléments traces présents naturellement ou liés aux activités humaines

La plupart des contaminations significatives qui ont été relevées sont attribuées à des sources localisées ou à des caractéristiques spécifiques des sites étudiés. Ainsi, de fortes teneurs en cobalt, chrome et nickel ont été mesurées dans les organes reproducteurs (les gonades) d’oursins à proximité de l’ancienne mine d’amiante à Canari en Haute-Corse. Ces niveaux résultent de déblais non traités rejetés en mer pendant la période d’activité de la mine d’amiante entre 1948 et 1965.

Malgré la fermeture de la mine depuis plus de 50 ans, le procédé utilisé pour récolter des résidus miniers le long du littoral ainsi que la composition géologique du sous-sol (constitué de roches dénommées serpentinites naturellement riches en éléments traces) contribuent encore à la dispersion de ces éléments dans l’environnement marin.

L’évaluation de la qualité des écosystèmes nécessite donc une bonne connaissance du contexte géochimique naturel afin de distinguer les éléments traces naturellement présents dans l’environnement de ceux résultant des activités anthropiques. Cet exemple illustre également comment les activités humaines, même anciennes, peuvent encore avoir un impact sur les écosystèmes.

Le calcul d’un indicateur appelé « Trace Element Pollution Index » – basé sur les concentrations en éléments traces dans les gonades et les tubes digestifs de l’oursin – a permis de déterminer un gradient de contamination avec des teneurs plus élevées au sud de l’ancienne mine d’amiante. Ce phénomène résulte de la migration des déchets miniers vers le Sud, entraînés par la houle et les courants marins dominants.

Cette observation souligne le rôle du milieu marin dans la diffusion et la distribution des contaminants dans l’environnement. Par conséquent, les éléments traces peuvent être largement diffusés à partir des sites sources rendant leur surveillance plus complexe.

Plusieurs études suggèrent que l’exposition à la contamination par les éléments traces peut induire une cascade d’événements qui stimulent des activités d’enzymes antioxydantes chez les oursins.

Dans le cadre de notre recherche, les activités spécifiques les plus élevées des enzymes antioxydantes ont été observées dans la zone sud de l’ancienne mine d’amiante, là où justement la contamination est la plus importante. Toutefois, aucune différence significative entre les sites n’a été mise en évidence. Ces données suggèrent que le système enzymatique antioxydant de P. lividus a protégé son organisme de manière efficace contre les dommages oxydants.

Intégrer aussi les caractéristiques de l’eau (température, acidité, oxygène, etc.)

La contamination en éléments traces varie selon les saisons, avec des concentrations généralement plus élevées en automne et en hiver et plus faibles en été. Cette variation s’explique par des changements physiologiques chez l’oursin. Lors de la production des cellules sexuelles ou gamètes (spermatozoïdes et ovocytes), un phénomène de dilution des concentrations en éléments traces est constaté dans les organes reproducteurs tandis qu’en dehors de cette période la concentration augmente.

Par ailleurs, certains éléments sont essentiels et leur concentration élevée durant la production des cellules sexuelles est considérée comme normale. C’est notamment le cas du zinc étroitement lié au processus de maturation des ovocytes ou cellules sexuelles féminines (l’ovogenèse) et dont les niveaux sont particulièrement élevés chez les femelles.

En conséquence, pour une utilisation optimale des oursins en tant que bioindicateurs, il est crucial de considérer divers facteurs dits « biotiques » et « abiotiques ». Les facteurs biotiques incluent la reproduction et le sexe des oursins qui influencent les concentrations d’éléments traces dans les gonades. Les facteurs abiotiques tels que la température de l’eau, le pH, la teneur en oxygène et la salinité influencent la biodisponibilité des polluants et la capacité des oursins à les accumuler.

Prendre également en compte d’autres bioindicateurs comme les moules et les algues

Par ailleurs, nos résultats ont démontré que les macroalgues et les tubes digestifs d’oursins bioaccumulent plus d’éléments traces que les gonades ce qui les rend particulièrement utiles pour identifier les contaminations locales. Le tube digestif des oursins, en particulier, pourrait être un outil plus précis pour les études écotoxicologiques car il présente généralement des concentrations d’éléments traces plus élevées et est moins affecté par les facteurs liés à la reproduction.

Ainsi, bien que les oursins soient d’excellents bioindicateurs, une approche intégrée avec d’autres organismes tels que des bivalves (les moules notamment) ou macroalgues permet d’obtenir une vision plus globale de la contamination dans les écosystèmes côtiers.

Ces recherches sont cruciales pour comprendre les pressions anthropiques exercées sur les écosystèmes marins et développer des stratégies de gestion environnementale efficaces visant à préserver la biodiversité ainsi que les services écosystémiques essentiels fournis par ces milieux.


Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 4 au 14 octobre 2024), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « océan de savoirs ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.

The Conversation

Ouafa El Idrissi a bénéficié de la bourse de la Fondation de la Mer, un financement dans le cadre du programme MISTRALS (Mediterranean Integrated STudies at Regional And Local Scales).

Sonia Ternengo a reçu un financement dans le cadre du programme MISTRALS (Mediterranean Integrated STudies at Regional And Local Scales).

12.11.2024 à 17:33

Est-ce vrai que les rhumatismes sont plus douloureux par temps humide ?

Valérie Lannoy, Post-doctorante en microbiologie, Sorbonne Université

Nos aînés jouent parfois le rôle de station météo ! Grâce à leurs douleurs articulaires, ils peuvent prédire le temps qu’il fera dans la journée. Mais qu’en est-il vraiment ?
Texte intégral (944 mots)
Chez certaines personnes, l'humidité peut aggraver les douleurs liées aux articulations. Geetanjal Khanna/Unsplash, CC BY

Nos aînés jouent parfois le rôle de station météo ! Grâce à leurs douleurs articulaires, ils peuvent prédire le temps qu’il fera dans la journée. Mais qu’en est-il vraiment ?


Les rhumatismes regroupent environ 200 maladies qui touchent les composantes des articulations, soit l’os et le cartilage articulaire. Ils affectent aussi leurs parties molles, comme les ligaments sur les os ou les tendons reliant les muscles aux os. Ils sont classés selon leur origine, en rhumatismes non inflammatoires et inflammatoires. Les premiers comprennent l’arthrose et l’ostéoporose, concernant surtout les personnes âgées, les troubles musculosquelettiques ou la fibromyalgie. Les rhumatismes inflammatoires englobent notamment les formes d’arthrite, telles que la spondylarthrite ankylosante et la polyarthrite rhumatoïde, deux maladies auto-immunes. Aujourd’hui, plus de 16 millions de Français souffrent de rhumatismes.

Pluie ou humidité ?

En 2019, une équipe de l’Université de Manchester a étudié les symptômes de plus de 2500 malades pendant 15 mois. Plusieurs pathologies étaient représentées, comme l’arthrose, la polyarthrite rhumatoïde et la fibromyalgie. Les symptômes ont été recueillis via une application sur smartphone, avec des informations incluant météo, humeur ou activité physique. C’est l’une des premières expériences de science participative à utiliser une application.

Les auteurs suggèrent que ce type de dispositif peut être proposé aux patients pour prévoir leurs douleurs. Ils ont trouvé que ce sont l’humidité relative, c’est-à-dire la saturation de l’air en vapeur d’eau, et la pression atmosphérique, qui corrèlent le plus avec les douleurs articulaires.

Cette corrélation, bien que significative, reste modeste. Par exemple, la modification simultanée des deux variables météorologiques n’entraîne qu’une faible augmentation de la douleur. Trois ans après, une équipe de la même université a décidé de réanalyser les mêmes données. Ils ont déterminé qu’il y a bel et bien un lien entre climat et douleur articulaire, mais qu’il concerne environ 4 % des volontaires. Ces chercheurs expliquent que la douleur est subjective et codée par le cerveau. La réaction varie donc selon les malades, et dépend des différences interindividuelles de l’activation nerveuse.

L’articulation est un baromètre

Le lien entre douleurs articulaires et météo fait l’objet de débats houleux entre scientifiques ! En 2017, une collaboration internationale, menée par le Dr Jena, permit l’analyse des symptômes d’environ 1,5 million d’Américains de plus de 65 ans. Leur conclusion est qu’il n’y a aucune corrélation entre douleurs articulaires et jours de pluie. Quatre jours après, la réponse à cet article scientifique ne s’est pas fait attendre ! Voici comment le Dr Bamji, rhumatologue retraité, débute sa réponse : « La raison pour laquelle le Dr Jena et ses collègues n’ont pas réussi à trouver un lien entre les douleurs articulaires et la pluie est simple. Ils se sont trompés de variable – et à ma connaissance, personne n’a pris en compte la bonne. »

Comment la pluie ou l’humidité relative pourrait influer la douleur des patients… Alors que notre organisme n’a aucun moyen de détecter les fluctuations du taux d’humidité ? Le Dr Bamji précise que l’articulation est une structure permettant la proprioception ou sensibilité profonde. Il s’agit de la capacité, consciente ou inconsciente, à percevoir la position des parties du corps sans utiliser la vision. Dans les tendons sont logés des « propriocepteurs », des récepteurs sensibles à la pression induite par la contraction musculaire. Les propriocepteurs sont également sensibles aux changements de pression atmosphérique.

La pression atmosphérique suit en fait les variations de l’humidité relative. Quant aux propriocepteurs, ils transmettent leurs signaux à des nerfs sensitifs qui transitent vers le cerveau.

Les douleurs articulaires sont liées directement à la pression atmosphérique, et indirectement à l’humidité relative. Chaque patient a un ressenti dépendant de son propre système nerveux central. Le plus important est d’écouter sa douleur, par exemple en tenant un journal quotidien des symptômes !

The Conversation

Valérie Lannoy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

10.11.2024 à 19:38

Voitures, avions et même satellites : le bois, un matériau de construction d’avenir

Bruno Castanié, Professeur en Structures Composites, Institut Clément Ader, INSA Toulouse

Arthur Cantarel, Maître de conférence - Institut Universitaire de Technologie de Tarbes , IMT Mines Albi – Institut Mines-Télécom

Florent Eyma, Professeur - Institut Universitaire de Technologie de Tarbes, IMT Mines Albi – Institut Mines-Télécom

Joel Serra, Ingénieur-Chercheur en mécanique des structures et matériaux composites, ISAE-SUPAERO

Le tout premier satellite en bois a été lancé dans l’espace. Il a été développé par des scientifiques de l’Université de Kyoto.
Texte intégral (2136 mots)
Le premier satellite en bois de l'histoire vient d'être lancé dans l'espace. Université de Kyoto

Ce mardi 5 novembre, le tout premier satellite en bois a été lancé dans l’espace. Il a été développé par des scientifiques de l’Université de Kyoto. Une preuve que le bois peut être envisagé comme un matériau de construction du futur.


Depuis l’invention de la roue, estimée à 4 000 ans av. J.-C., le bois a été utilisé par l’humanité pour ses déplacements terrestres. Hormis dans le nautisme, il est peu connu que son usage était encore fréquent à la fin du XXe siècle. Parmi les nombreux exemples documentés dans nos articles l’un des meilleurs avions de la Deuxième Guerre mondiale était le Mosquito, produit par De Havilland à 7 781 exemplaires, capable de voler à 680 km/h et dont la structure était faite de bouleau, douglas et balsa.

L’avion De Havilland Mosquito était construit partiellement en bois. Wikimedia, CC BY

Jusqu’à aujourd’hui la société Robin Aircraft, établie à Dijon a produit le DR 400 en construction bois et toile à 2 700 exemplaires. Côté automobile, la société anglaise Morgan utilise encore le frêne pour une partie de ses châssis. Mais un des plus beaux exemples était la Costin Nathan Le Mans 1967 dont la structure était en contreplaqué pour un poids de seulement 400 kg, c’est la moitié de la Ferrari P4 de la même année.

Ces exemples montrent à la fois la légèreté et la résistance du bois mais aussi un savoir-faire en partie perdu. En effet, seule la marque anglaise Morgan utilise encore le bois pour ses voitures en petite série aujourd’hui.

La question de son utilisation est intimement liée à la ressource disponible. Si dans l’hémisphère Sud, la couverture forestière disparaît majoritairement à cause de son utilisation comme bois de chauffe, dans l’hémisphère Nord elle continue à augmenter. Pour l’Union européenne, l’augmentation du stock de bois sur pied a été de 30 % sur la période 2000-2020 et la couverture forestière représente 39 % de la surface des états membres. En France la couverture forestière a doublé en 100 ans. Malheureusement, ce sont essentiellement les résineux qui sont exploités alors qu’une utilisation structurale pour des véhicules nécessiterait des feuillus comme le peuplier ou le bouleau qui sont des essences locales et abondantes.

Le bois, un matériau résistant mais complexe

Nos recherches ont d’abord porté sur la caractérisation mécanique du contreplaqué seul ou pris en sandwich avec d’autres matériaux comme l’aluminium ; les fibres de carbone, de verre mais aussi de lin. Si les résistances trouvées sont satisfaisantes, le contreplaqué s’avère un matériau très complexe du fait de son mode d’obtention. On va trouver des caractéristiques différentes en fonction de la position du bois dans l’arbre (bois juvénile ou adulte, de printemps ou d’été). À cette complexité s’ajoute aussi une forte sensibilité du bois à son environnement en termes d’humidité et de chaleur.

Toutes ces complexités influent sur les caractéristiques mécaniques des plis qui constituent le contreplaqué et pour y remédier nous avons développé des méthodes d’identification grâce aux thèses de John Susainathan et d’Axel Peignon, du postdoctorat d’Hajer Hadiji et de l’ANR BOOST.

Des applications concrètes dans l’automobile

Les véhicules d’aujourd’hui doivent permettre d’absorber les chocs lors d’accidents. Ce sont le plus souvent des tubes en acier ou aluminium qui servent d’absorbeur d’énergie. Il était donc important de connaître la réponse du bois à des crashs. Lors de la thèse de Romain Guélou, nous avons testé des tubes fabriqués avec plusieurs essences (peuplier, bouleau et chêne) avec ou sans des peaux intérieures ou extérieures, en tissus de fibres de verre ou de carbone. Le comportement au crash du bois est très bon. Un tube avec des peaux en carbone et une âme en plis de bouleau a pu absorber l’énergie d’une masse de 170 kg lâchée à 4,2 m de hauteur. On a aussi pu montrer la contribution significative du bois puisqu’en passant de 2 à 6 plis de bouleau, l’énergie absorbée est multipliée par 2.

Tour de chute utilisée à l’Institut clément Ader pour les essais de crash de tube. On voit la masse de 170 Kg à 4,2 m de hauteur. Fourni par l'auteur

Récemment un groupe d’étudiants du département de génie mécanique de l’INSA Toulouse a montré que sur un véhicule léger, librement inspiré de l’Africar (une voiture avec un châssis bois extrêmement robuste conçue dans les années 1980 pour l’Afrique), les contraintes sont faibles et parfaitement supportables par un contreplaqué de bouleau ou de peuplier.

Les études menées à l’INSA Toulouse et à l’Institut Clément Ader depuis 12 ans montrent les possibilités de ce matériau historique que la nature a rendu très avancé pour une mobilité durable. Ces études s’inscrivent dans un mouvement de redécouverte et de réemploi. En France, la société Aura Aéro, basée à Toulouse a développé l’Integral R, avion d’acrobatie bois-carbone en cours de certification. À Belfort, les avions Mauboussin, avec qui nous collaborons, développent un avion dont la structure est en bois en s’inspirant du Mosquito.

À travers plusieurs programmes de recherches, le professeur Ulrich Müller et son équipe autrichienne ont démontré que le remplacement et le calcul de pièces de véhicules par du bois étaient avantageux économiquement et permettaient d’alléger les structures.

Du bois dans l’espace

Mais le plus surprenant est l’utilisation du bois dans l’espace. Deux études sont actuellement en cours, au Japon et en Europe (Finlande), pour utiliser le bois comme matériau de structure de petits satellites.

L’étude japonaise LignoSat Space Wood vient de lancer un satellite en bois de magnolia sur une orbite terrestre basse. En plus d’être respectueux de l’environnement lors de sa fabrication et de brûler complètement dans l’atmosphère terrestre une fois désorbité, un satellite en bois sera largement transparent aux ondes radio. Les antennes de communication et de recherche pourraient ainsi être internes car le bois est transparent aux ondes radio, évitant ainsi des opérations de déploiement hasardeuses. Les tests effectués sur des échantillons de bois à la Station spatiale internationale (ISS) par des chercheurs de l’Université de Kyoto ont confirmé la détérioration minime et la bonne stabilité du bois dans l’espace. Le satellite européen est fabriqué en contreplaqué de bouleau finlandais, mais dopé pour l’aider à résister aux conditions spatiales.

Il existe donc un intérêt croissant pour le bois dans des domaines des transports parmi les plus variés. Si de nombreuses recherches ont été effectuées sur le bois en utilisation génie civil, il reste un domaine quasi vierge pour le contreplaqué dans le domaine des transports malgré un énorme potentiel en termes de développement durable. Des applications aéronautiques et spatiales ont déjà vu le jour mais pour les transports, hormis quelques réalisations d’amateurs éclairés, il n’y a pour l’instant aucune application industrielle.

The Conversation

Castanié Bruno a reçu des financements de l'ANR sur ce sujet.

Arthur Cantarel a reçu des financements de l'ANR.

Florent Eyma et Joel Serra ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

07.11.2024 à 17:16

Physique des particules : il y a 50 ans nous découvrions le quatrième quark

François Vannucci, Professeur émérite, chercheur en physique des particules, spécialiste des neutrinos, Université Paris Cité

Il y a tout juste 50 ans, un groupe de physiciens découvrait un nouveau quark, « brique » de base des protons et des neutrons. Récit par l’un de ses découvreurs.
Texte intégral (2086 mots)

Il y a tout juste 50 ans, un groupe de physiciens découvrait un nouveau quark, « brique » de base des protons et des neutrons. Récit par l’un de ses découvreurs.


Au début des années 1970, les physiciens des particules disposaient de deux imposants centres d’accélérateurs pour étudier l’infiniment petit : l’européen CERN à Genève et l’américain Brookhaven près de New York. Chacun abritait un accélérateur de protons de 620 m de circonférence pouvant atteindre l’énergie alors faramineuse de 25 GeV. L’unité d’énergie est ici l’électron-volt (eV), 1eV étant l’énergie d’un électron traversant une tension de 1V. On emploie les multiples : keV (103), MeV (106) et GeV (109). Cela reste infinitésimal rapporté au monde ordinaire. 1 GeV, équivalent de la masse du proton, correspond à une énergie qui élèverait d’un milliardième de degré la température d’un gramme d’eau !

Grâce à ces machines, la physique multipliait le nombre de particules élémentaires en suivant une recette simple : bombardant une cible avec un faisceau de protons accélérés, on analysait les particules qui sortaient. On accumula ainsi environ 200 types d’objets élémentaires, en particulier de nombreuses résonances.

Qu’est-ce qu’une résonance ? Alors que les particules telles que protons, électrons, pions, kaons… peuvent être suivies sur des distances macroscopiques, les résonances se désintègrent dès leur création en donnant deux ou trois particules qu’il s’agit d’associer pour retrouver la résonance originelle. Empiriquement, on remarqua que plus leur masse était élevée, plus leur temps de vie était court jusqu’à atteindre 10-23 s. La discipline languissait depuis plusieurs années sans direction bien assurée devant un zoo hétéroclite à l’aspect assez brouillon.

Le jeu de Lego des quarks

200 objets élémentaires pour construire le monde, ce ne pouvait pas être le mot de la fin. Heureusement, les physiciens Murray Gell-Mann d’une part, et George Zweig d’autre part suggérèrent l’existence de constituants plus élémentaires à la base des particules répertoriées. Gell-Mann les appela quarks et montra que les 200 espèces connues pouvaient se comprendre comme assemblages de trois quarks différents qu’on nomme u, d et s. Zweig les appela « as » mais « quark », qui vient du roman de James Joyce Finnegans Wake, s’imposa.

Les quarks portent des charges électriques qui sont une fraction de la charge élémentaire de l’électron, respectivement +2/3 pour u et -1/3 pour d et s. Avec ces trois objets de base et trois antiquarks associés portant la charge opposée, on reconstruit deux familles de particules :

  • les baryons qui sont des triplets de quarks, par exemple uud et udd forment respectivement les protons et les neutrons ; les charges +1 et 0 sont bien restituées.

  • les mésons qui sont des paires associant un quark et un antiquark,

Avec les trois seuls dés à disposition, la nature construisait toutes les particules connues. Une association manquait, celle du baryon correspondant au triplet sss. C’était la prédiction du modèle. Une recherche fut menée et le « grand Ω » fut découvert à Brookhaven en 1964 à la masse prédite. Gell-Mann reçut le prix Nobel en 1969.

Toutes les particules connues ont une charge électrique +1, 0, -1 celle de l’électron. Des charges non entières supposées caractériser les quarks n’ont jamais été observées librement. Pourtant les quarks existent dans la mesure où ils opèrent au moment des interactions entre particules. Mais, dès qu’ils sont créés, ils « s’habillent » avec d’autres quarks ou antiquarks pour former les particules « réelles », baryons ou mésons. À notre niveau, les quarks restent des objets virtuels, nécessaires pour interpréter les observations.

Les quarks constituent le niveau le plus élémentaire de la matière explorée à ce jour. Leur « taille » est inférieure à 10-18 m alors que les particules qu’ils composent possèdent une taille mille fois supérieure.

La révolution du 10 novembre 1974

En sus des deux laboratoires majeurs cités, il existait des centres plus modestes. En France, une machine à protons fonctionnait à Saclay et une à électrons à Orsay. Il y avait aussi un dispositif en développement sur le campus de Stanford, cœur de la Silicon Valley, au sud de San Francisco. Le laboratoire, appelé SLAC, avait construit un accélérateur « dans le parking », c’est-à-dire entièrement financé sur les frais de fonctionnement, sans demande spécifique de budget, ce qui mérite aujourd’hui d’être souligné ! C’était un dispositif accélérant en sens inverse des électrons et des positrons dans un collisionneur de 80 m de diamètre, d’énergie maximale 4 GeV par faisceau. Il prit le nom de SPEAR, « Stanford Positron Electron Accelerator Ring ».

Autour d’un point d’interaction entre positrons et électrons, un détecteur de conception nouvelle fut construit pour mesurer au mieux tous les produits de la collision. C’était le premier détecteur hermétique qui couvrait tout l’espace pour ne rien laisser s’échapper. On l’appela Mark1.

L’expérience commença à prendre des données dès 1973 et elles étaient embarrassantes. L’ordinateur qui gérait la prise de données enregistrait environ une collision toutes les deux à trois minutes qu’il signalait en émettant un bref son. Ce taux était plusieurs fois supérieur à ce que prédisait la théorie.

Les physiciens dans l’expectative devant le résultat de l’expérience. Fourni par l'auteur

On variait l’énergie en un balayage relativement grossier, en pas de 50 MeV : ainsi, on mesurait le taux de collisions à 2,550 GeV puis 2,600 GeV puis 2,650 GeV… Deux problèmes apparaissaient. Tout d’abord, comme déjà mentionné, le taux d’interaction s’avérait nettement plus élevé que prédit. De plus, les données prises à l’énergie nominale de 3,100 GeV en trois périodes différentes n’étaient pas en accord entre elles, deux périodes donnant des taux beaucoup plus élevés que la troisième. La reproductibilité de la physique semblait violée.

Le signal magique

Et alors, quelqu’un eut l’idée de faire un balayage beaucoup plus fin en énergie. Au lieu d’augmenter de 50 MeV en 50 MeV, on varierait l’énergie en pas plus serré de 2 MeV en 2 MeV. Et là, le miracle se révéla le 10 novembre 1974, c’était un dimanche. Nous étions trois ou quatre dans la salle de contrôle quand l’ordinateur, qui émettait son petit son à chaque nouvelle collision, au lieu de crépiter toutes les deux ou trois minutes, commença à accélérer le rythme. Ce fut le signal magique que tous nous espérions : entre les énergies de 3100 et 3120 MeV, le taux d’interactions, et donc le signal sonore de l’ordinateur, augmenta soudain d’un facteur 100. La « fusillade » dura quelques minutes. Puis, le pic découvert étant dépassé, l’ordinateur reprit son train-train de un coup en deux minutes.

Une structure manifeste s’était révélée, on venait de révéler une « résonance étroite » de masse 3096 MeV et de largeur 87 keV. Cette largeur indiquait un temps de vie 100 fois supérieur à l’attendu. On cherchait un profil de colline jurassienne et on découvrait un pic alpestre. Un phénomène totalement nouveau apparaissait.

Une publication fut vite écrite, signée par un groupe d’une trentaine de physiciens, contingent qui à l’époque semblait monstrueux et qui aujourd’hui s’avère bien modeste. Elle renouvela la vision du monde de l’infiniment petit et l’événement fut appelé la « révolution de novembre 74 »

Il fallait donner un nom. Quelques lettres grecques restaient libres et on choisit Ψ. Pourquoi cette particule possédait-elle une vie aussi longue ? L’interprétation n’était pas évidente. Deux écoles se disputèrent pendant une fébrile semaine au troisième étage du laboratoire où bivouaquaient les théoriciens, entre les tenants de la libération des couleurs, nouvelle « charge » imaginée pour associer les quarks entre eux, et ceux prônant l’apparition d’un nouveau quark. Le verdict tomba : l’expérience venait de découvrir le quatrième quark, appelé c pour charmé. Ceci complétait la liste des constituants élémentaires au-delà des trois quarks u, d et s introduits par Gell-Mann.

Et si un nouveau quark existe, il annonce toute une famille de particules charmées correspondant à toutes les combinaisons permises entre quatre quarks. Déjà, le 17 novembre, on trouvait le méson Ψ’ de masse 3700 MeV, autre avatar de ce qu’on a appelé le charmonium, qui associait un quark c à son anti-c.

Pourquoi « charme » ?

Comme pour les nouveau-nés, le nom charme vient de la facétie d’un parrain. En astronomie, les planètes portent les noms de dieux antiques. Pour les particules, on aurait pu les numéroter, on choisit de les classer selon l’alphabet, grec de préférence. Ainsi Δ, μ, Φ, Σ, Λ… presque toutes les lettres furent mises à contribution. Le grec était favorisé pour que la physique égale en respectabilité sa sœur, la philosophie. Mais, vers les années 1960, le langage évolua. Les nouveaux scientifiques, moins imprégnés de culture classique, passèrent à des noms plus prosaïques. Les particules étranges avec leur quark s (strange) avaient balisé la voie. Charm fut adopté pour le c, et l’histoire se répétera avec le quark b beau (ou bottom) et le quark t vrai (truth ou top). On sait aujourd’hui qu’avec ces six objets la liste des quarks est au complet, il n’y a plus rien à découvrir sur ce front.

Pour clore l’histoire, la même résonance fut découverte indépendamment en collisions de protons à Brookhaven, et là le groupe choisit le nom J. Cette lettre, étrangère au grec, ressemble à un caractère chinois qui s’épelle comme le patronyme de son découvreur. Et pour ne froisser personne, les physiciens continuent à appeler le méson charmé du nom un peu baroque de J/Ψ.

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François Vannucci ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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