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03.05.2024 à 12:23

Les mômes à la shlage

L'équipe de CQFD

Lundi 22 avril dernier, le premier Sinistre Gabriel Attal s'est rendu dans un lycée niçois, pour vanter fier comme un coq les mérites de la dernière trouvaille sortie de son chapeau autoritaire, l'« internat éducatif » à destination des élèves décrocheurs – sommés d'y passer leurs vacances. Il s'y est notamment livré à un hideux exercice de com' face à une dizaine de mômes âgés de 13 à 16 ans, rechignant clairement à l'exercice et humiliés dans les grandes largeurs. « Est-ce que vous êtes (…)

- CQFD n°230 (en kiosque)
Texte intégral (558 mots)
par Caroline Sury

Lundi 22 avril dernier, le premier Sinistre Gabriel Attal s'est rendu dans un lycée niçois, pour vanter fier comme un coq les mérites de la dernière trouvaille sortie de son chapeau autoritaire, l'« internat éducatif » à destination des élèves décrocheurs – sommés d'y passer leurs vacances. Il s'y est notamment livré à un hideux exercice de com' face à une dizaine de mômes âgés de 13 à 16 ans, rechignant clairement à l'exercice et humiliés dans les grandes largeurs. « Est-ce que vous êtes contents d'être là ? » demande-t-il. « Nan », marmonne un minot, peu à l'aise dans son uniforme tricolore. « Bah c'est rassurant, sermonne-t-il, tel un père fouettard, parce que si vous étiez contents d'être là, on se dirait que c'est pas utile pour vous. » Plus tard, il somme les mômes pris en otage de l'opération médiatique de définir le terme discipline. « C'est le respect de soi, des autres », répond un môme hésitant, qui se fait tout de suite rembarrer, par un Attal méprisant : « Et ? Et ? Et ? … C'est le respect des règles. […] Ne pas respecter les règles conduit toujours à l'échec. » Un mix de Pétain et de Pascal le Grand Frère.

À l'instar des vidéos utilisées pour propagander le Service national universel (SNU), ces images provoquent des bouffées de haine (ou d'angoisse, selon les tempéraments) à quiconque s'intéresse un chouïa à la question du bien-être des adolescents ou aux idéaux d'une éducation émancipatrice. Mais elle résume parfaitement la politique éducative d'un gouvernement qui, entre le recours à l'uniforme (obligatoire dès la rentrée 2026), la grotesque interdiction de l'abaya et l'obsession du « réarmement civique » fouille dans les poubelles de l'histoire pour ressusciter des dispositifs autoritaires les plus facho-friendly. Les enfants, et en premier lieu ceux des banlieues, n'auraient besoin que d'une chose, d'« autorité », mot utilisé la bagatelle de 32 fois dans un discours prononcé par le même Attal le 18 avril à Viry-Châtillon, dans lequel il prenait soin de ne pas oublier leurs « parents démissionnaires » à « responsabiliser ».

Il paraît que cette monomanie autoritaire est une stratégie à destination des boomers, ces vieux réacs qui pencheraient de plus en plus vers le RN. « Tu casses tu répares, tu salis tu nettoies, tu défies l'autorité on t'apprend à la respecter », comme mantra, c'est vrai que ça peut séduire les plus séniles scotchés à CNews. En tout cas, bien joué les champions ! Après n'avoir pas démérité dans la destruction de l'hôpital, du droit du travail, de la protection sociale ou de l'école, le dernier étage de la fusée est glorieux : détruire la jeunesse. C'est comment qu'on les freine ?

03.05.2024 à 12:11

« Sur la chaîne du génocide, il n'y a pas de petits maillons »

Étienne Jallot

Le 1er avril dernier, une manifestation était organisée à Marseille devant l'usine du fabricant de maillons pour munitions militaires Eurolinks. Les militant·es dénonçaient la vente de ce matériel à destination d'Israël et la complicité militaire de la France dans la guerre en cours. Reportage. Sur le trajet qui mène devant l'usine Eurolinks, des tags fleurissent « Eurolinks = morts » ou « Sur la chaîne du génocide, il n'y a pas de petits maillons » alors que les manifestant·es scandent : (…)

- CQFD n°230 (en kiosque) /
Texte intégral (1761 mots)

Le 1er avril dernier, une manifestation était organisée à Marseille devant l'usine du fabricant de maillons pour munitions militaires Eurolinks. Les militant·es dénonçaient la vente de ce matériel à destination d'Israël et la complicité militaire de la France dans la guerre en cours. Reportage.

par Clément Buée

Sur le trajet qui mène devant l'usine Eurolinks, des tags fleurissent « Eurolinks = morts » ou « Sur la chaîne du génocide, il n'y a pas de petits maillons » alors que les manifestant·es scandent : « Eurolinks assassine les enfants de Palestine ! ». À l'appel d'une trentaine d'orga­nisations1, 400 manifestant·es se sont déplacé·es ce 1er avril vers le « technopôle » du quartier Château-Gombert, dans le 13e arrondissement de Marseille, pour manifester contre l'usine Eurolinks, spécialisée dans la fabrication de maillons pour les munitions militaires. Quelques jours auparavant, à la fin du mois de mars, une information révélée par Marsactu et Disclose a défrayé la chronique : Eurolinks a envoyé en Israël, en octobre 2023, 100 000 maillons et le doute persiste sur leur utilisation dans les combats en cours à Gaza2. L'occasion pour les militant·es de dénoncer le soutien militaire de la France à Israël et de réfléchir à de nouvelles stratégies pour stopper la guerre en cours.

Le doute face aux marchands d'armes

Devant l'usine, un barrage de flics bloque l'entrée. C'est ici que les manifestant·es s'arrêtent et que démarrent les prises de paroles : « Alors que cela fait six mois que la guerre a débuté, nous nous retrouvons devant Eurolinks qui fait son business sur la guerre à Gaza.

« La simple suspicion d'un usage des maillons Eurolinks par Israël devrait suffire à exiger l'arrêt immédiat des livraisons »

La simple suspicion d'un usage des maillons Eurolinks par Israël devrait suffire à exiger l'arrêt immédiat des livraisons. Nous exigeons que plus aucun colis ne soit envoyé ! » explique une militante. Et pour cause. Dans les révélations de mars dernier, on apprend que dix caisses de maillons contenant au total 100 000 maillons « M27 » qui permettent de lier des balles de calibre 5,56 mm – notamment utilisées par des mitrailleuses israéliennes – ont été envoyées en direction de la société IMI Systems, entreprise d'armement israélienne basée dans le nord de Tel-Aviv.

Après la publication de l'enquête, le ministre des Armées Sébatien Lecornu a assuré que le matériel livré à IMI Systems « ne concerne que de la réexportation » et que la licence3 « ne donne pas droit à l'armée israélienne d'utiliser ces composants », sans pour autant fournir de preuves matérielles à ses déclarations. Alors qu'IMI Systems se présente comme « le fournisseur exclusif des forces de défense » d'Israël, le PDG d'Eurolinks a joué cartes sur table, déclarant à Marsactu que « même si la licence précise que ça ne doit pas être utilisé par les forces armées du pays, personne ne peut le garantir […] Je n'ai évidemment pas d'agent pour surveiller ce que fait IMI Systems. »

Ce que confirme Aymeric Elluin, responsable du plaidoyer armes à Amnesty International France dans l'émission 28 Minutes : « La France a fait le choix de contrôler l'armement en amont mais pas en aval. [Difficile dès lors] de contrôler sur le terrain la destination de ces armes. »

Quand la France arme Israël

Au-delà du cas Eurolinks, les militant·es critiquent aussi les livraisons d'armes de la France en direction de l'État hébreu. Le ministre des Armées l'a affirmé en janvier dernier ; du matériel a bien été livré à Israël, mais uniquement « afin de lui permettre d'assurer sa défense 4 ». « C'est illusoire de penser que les armes livrées à Israël servent à sa défense, alors que depuis 75 ans Israël massacre les Palestiniens. Comment peut-on parler d'armes défensives pour une armée coloniale ? » s'insurge une militante au micro. Elle poursuit : « Alors que la Cour internationale de justice a reconnu qu'il existait un risque de génocide à Gaza, et que les Pays-Bas, la Belgique ou le Canada ont cessé leurs exportations, la France continue de livrer des armes à Israël. » Un choix qui pourrait également aller à l'encontre du Traité sur le commerce des armes (TCA) de l'ONU dont la France est signataire depuis 2013, et qui interdit la livraison d'armes à un pays susceptible de commettre un génocide, des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre.

La collaboration militaire entre la France et Israël n'est pas nouvelle, comme l'explique au micro Pierre Stambul, militant à l'Union juive française pour la paix (UJFP) : « Dès les années 1950, la France fournissait des armes à Israël et elle a continué à le faire dans toutes les guerres qu'Israël a menées, y compris aujourd'hui ! » Dans le rapport annuel sur les exportations d'armes présenté par le ministère des Armées en juillet 2023, en dix ans, la France a vendu pour 208 millions d'euros de matériel militaire à Israël, dont 25,6 millions seulement pour 2022.

« Eurolinks, on vous lâche pas ! »

L'usine de maillons est un point stratégique sur lequel les militant·es souhaitent faire pression.

« On pourrait intensifier cette pression contre d'autres usines françaises qui arment Israël, comme Thalès ou Dassault »

« Il suffit que les livraisons s'arrêtent trois jours pour qu'Israël soit à sec ! » s'exclame Robert, militant propalestinien. « On pourrait intensifier cette pression contre d'autres usines françaises qui arment Israël, comme Thalès ou Dassault », explique une représentante du collectif Technopolice. Pour un membre du mouvement BDS5, il s'agit surtout de multiplier les stratégies de lutte : « On pourrait se rendre dans les salons d'armement pour faire des manifs ! Il faut aussi multiplier les recours avec l'aide des avocats, interpeller les parlementaires et les conseils municipaux qui laissent ces entreprises s'implanter ! »

De nombreuses manifestations et actions de blocage devant des sites d'armements ont eu lieu à travers le monde depuis novembre dernier. Une usine d'armement Elbit System a même été contrainte de vendre ses locaux dans la ville de Tamworth au Royaume-Uni à la fin du mois de mars après des actions répétées d'activistes anglais. En France, les actions symboliques se multiplient devant des usines ou sièges d'entreprises comme à Lyon, Toulouse, Créteil ou Brest. Côté juridique, onze ONG ont attaqué la France en justice pour qu'elle suspende les livraisons d'armes en direction d'Israël en raison du risque d'être utilisées dans les attaques à Gaza. De quoi inspirer les militant·es marseillais·es, prêt·es à continuer le combat pour la cause palestinienne. Sous la clameur des militant·es réuni·es au pied de l'usine, l'une d'elles crie : « Quoi qu'il arrive, Eurolinks on vous lâche pas ! »

Par Étienne Jallot

1 Dont des groupes aussi variés que Révolution Permanente Marseille, BDS Provence, les Soulèvements de la Terre 13, XR Marseille, action Palestine Marseille, Urgence Palestine Marseille, Tsedek, Sud Éduc 13, Stop arming Israël…

2 « Guerre à Gaza : la France a fourni en secret des équipements de mitrailleuses à Israël », Disclose, 25/03/2023.

3 C'est le gouvernement, réuni en commission interministérielle sous la responsabilité du Premier ministre, qui fournit les licences d'exportations. Il est seul à juger si ces licences respectent les traités signés par la France à l'international et il n'existe pas de mesures juridiques pour les suspendre.

4 « Guerre à Gaza : la France vend-elle des armes à Israël ? Les réponses ambiguës de Sébastien Lecornu », L'Humanité, 28/02/2024.

5 Pour Boycott désinvestissement sanction, une campagne de boycott visant Israël.

03.05.2024 à 12:11

Virer Debord

Laurent Perez

V'là que soudain tu réfléchis. Et que tu fais ce bilan. Parmi tous les artistes que tu as écoutés, regardés et lus dans ta jeunesse, une grosse partie étaient des mecs. Pire : beaucoup avaient des facettes toxiques. Ce mois-ci, place à Guy Debord, le tonton impressionnant dont on s'aperçoit trop tard que c'était en fait un vieux vicelard. Quand j'ai commencé à lire Guy Debord, j'avais seize ans. Debord était mort deux ans plus tôt (en 1994) et il était à la mode. Il avait fait la une des (…)

- CQFD n°230 (en kiosque) / ,
Texte intégral (1757 mots)

V'là que soudain tu réfléchis. Et que tu fais ce bilan. Parmi tous les artistes que tu as écoutés, regardés et lus dans ta jeunesse, une grosse partie étaient des mecs. Pire : beaucoup avaient des facettes toxiques. Ce mois-ci, place à Guy Debord, le tonton impressionnant dont on s'aperçoit trop tard que c'était en fait un vieux vicelard.

Sleven

Quand j'ai commencé à lire Guy Debord, j'avais seize ans. Debord était mort deux ans plus tôt (en 1994) et il était à la mode. Il avait fait la une des Inrocks. La Société du Spectacle venait de sortir en poche, bientôt suivie des Commentaires et du recueil du bulletin de l'Internationale lettriste Potlatch. On rééditait la revue Internationale situationniste, on entamait la publication de la Correspondance. Je parle d'un temps où internet n'existait pour ainsi dire pas en France, où les textes circulaient sur papier. Bref, pendant la petite dizaine d'années que la mode a duré, j'ai tout dévoré. À chaque déménagement, j'écrème ma bibliothèque, mais du Debord et des situs, il m'en reste un mètre linéaire. Ça doit bien faire dix ans que je n'ai rien relu : à chaque fois que j'essaie, j'ai l'impression de sentir un étau presser mes tempes.

*

Qu'est-ce qui chez Debord a tellement enthousiasmé l'ado et le post-ado intello que j'étais, tendance révolutionnaire ? La radicalité, d'abord. La radicalité la plus extrême, l'ultra-gauchisme dans sa variante la plus snob. Radicalité dans le discours, hein, s'agissait pas de prendre les armes ni même un manche de pioche. Ce sont, sur un mur, ces mots : « Ne travaillez jamais ». Et Dieu sait que l'idée de devoir travailler un jour me terrorisait – l'ennui, les horaires contraints, la subordination. Mais jamais, ça veut dire jamais. (Que se passe-t-il si tu travailles ? Eh bien, tu es méprisable, c'est Debord lui-même qui le dit dans Panégyrique.) Dans les saumâtres années 1980-1990, la radicalité debordienne, ce n'était même pas no future, c'était no present. Il n'y avait plus rien à sauver, tout était foutu – et si tu aimais quoique ce soit du monde qui t'entourait, tu étais soit un collabo, soit un pigeon. Pour décorer tout ce désespoir, il y avait ces références cryptiques, les grands moralistes du XVIIe siècle, et ce style que les fans de Debord ont longtemps continué à singer. Séduction du snobisme. Il paraît qu'en privé, Debord aimait transmettre ; dans ses livres, il était puant. Et, comme beaucoup de jeunes fans de Debord depuis un demi-siècle, j'étais un petit mec puant, que la lecture de Debord n'a fait qu'encourager là-dedans.

À bien y regarder, il y avait pourtant, déjà à l'époque, de quoi me mettre la puce à l'oreille. Certains avaient tiqué en voyant Debord signer chez Gallimard pour la réédition de ses œuvres, puis chez Canal+ pour son dernier film, diffusé un mois après sa mort. Question pureté révolutionnaire, ça la foutait mal. Ce que ça venait rappeler, c'est que Debord était avant tout un rejeton de la grande bourgeoisie, très à l'aise avec les affaires d'argent. Dans sa biographie, Christophe Bourseiller raconte qu'à l'époque où il écrivait « Ne travaillez jamais » sur un mur de la rue de Seine, à Paris, il renvoyait toutes les semaines son linge sale à sa grand-mère, à Cannes. Je suppose qu'à 18 ans, j'ai trouvé ça stylé. Je n'avais pas percuté tout ce que ça change, dans la vie, de naître avec ou sans argent – dangereuse erreur, quand on appartient à la seconde catégorie. Les situs, c'est pas une école de lutte des classes1. Quelque part dans La Société du Spectacle (si je me souviens bien), Debord définit le prolétariat comme la classe des révolutionnaires. Si tu es – si tu te dis – révolutionnaire, même si tu as hérité ou que tu vis de la sueur de tes locataires, t'es un prolétaire. Pratique. Il y avait aussi ces lettres gênantes, publiées par son ex-disciple Jean-François Martos, où on voyait Debord contrecarrer la publication en français de L'Obsolescence de l'homme de Günther Anders, dont il n'avait aucune idée, accusant le traducteur de « debordiser » sa pensée. Et pour cause : Anders y exprimait, dès 1956, un grand nombre des idées que Debord énoncerait onze ans plus tard dans La Société du Spectacle. De fait, une bonne partie de ce que j'ai appris chez Debord, je l'ai retrouvé ailleurs : la critique des médias chez Karl Kraus, celle de la culture de masse chez Adorno et Horkheimer, l'art de la promenade chez Walter Benjamin2. Mais, à peu de chose près, j'ai dû le chercher par moi-même. Car ce que révélait l'attitude de Debord envers Anders, c'était une mesquinerie présomptueuse qui est parfois un (mauvais) trait de caractère de certains autodidactes – comme Debord l'était, et moi aussi dans une large mesure : le fait de rejeter, de traiter par avance et systématiquement avec mépris ce qu'on ne connaît pas, de peur d'être pris en défaut. Au lieu de reconnaître ses dettes, de discuter les penseurs proches de lui et de donner des billes à son lecteur pour qu'il se fasse sa propre idée, Debord dézingue tous ceux qui risqueraient d'un peu trop marcher sur ses plates-bandes.

*

J'ai peu à peu arrêté de lire Debord, sans trop savoir pourquoi. Le déclic est venu plus tard, en plein réexamen de mes attitudes merdiques, en lisant sa biographie par Jean-Marie Apostolidès. Le bouquin est malveillant, plein de commentaires psy à la truelle, mais solidement référencé. D'un bout à l'autre, c'est le catalogue classique des mœurs d'une avant-garde et de son gourou : les décisions arbitraires, les caprices, les ruptures (sentimentales comme politiques), les porte-flingues tyrannisés, exploités. Et pressurés : quand on a des goûts de luxe, pas d'argent et envie ni d'en gagner ni de prendre de risques, la seule issue, c'est de taper les autres (ou d'envoyer bosser sa meuf.) Mais surtout, le portrait que dresse Apostolidès est celui d'un manipulateur pervers, ne connaissant de relation à l'autre que dans la possession, la sujétion. Le tableau de la vie de bohème du jeune Debord et de ses copains, romantisée dans Potlatch et dans les livres de sa première femme Michèle Bernstein, était particulièrement peu reluisant.

Réflexion faite, tout ça apparaissait déjà en toutes lettres dans l'œuvre de Debord, dans ses livres et surtout dans sa correspondance, que j'avais dévorée. À 15 ans, 20 ans ou 25 ans, je n'ai pas su le lire. Ça correspondait sans doute en partie à ce que j'étais alors, et ça n'a pas arrangé les choses. Je ne vais pas raconter ma life ici – rien de plus vomitif que les mecs quadragénaires qui monopolisent le crachoir pour expliquer combien ils étaient des connards, avant. Mais quand un jeune homme se trouve sur un fil, en équilibre instable entre la pression des rôles sociaux – la famille, le virilisme ambiant – et l'image du type bien qu'il aimerait être malgré tout, un auteur comme Debord pèse lourd pour le faire pencher du côté petite merde toxique.

*

En novembre, cela fera 30 ans que Debord est mort. Ses archives sont à la Bibliothèque nationale de France (BnF). On s'en souvient : en 2008, l'université de Yale ayant fait une offre d'achat à la veuve, la ministre de la Culture de Sarkozy avait classé le legs « trésor national » afin qu'il soit préempté par l'État. Reconnaissant l'un des leurs, des mécènes ultra-friqués avaient mis la main à la poche pour la BnF. Une grande expo a fêté tout ça en 2013. Dix ans plus tard, j'ai l'impression qu'à part quelques mondains de l'art, Debord n'intéresse plus grand monde. Ce n'est pas forcément très grave.

Par Laurent Perez

1 Ce qui, parmi les différentes traditions de la critique du travail, et sous l'allure hégélo-marxiste de son discours, rattache plutôt Debord à une éthique aristocratique. D'où la séduction qu'il exerça sur un dandy bourgeois comme Philippe Sollers.

2 Reste la question de la place de Debord dans l'histoire de la pensée marxienne, que décrivait Anselm Jappe en 1995 dans sa remarquable petite biographie intellectuelle. Jappe est aujourd'hui l'un des principaux théoriciens de la critique de valeur et, sauf erreur, il ne mobilise plus guère dans ses livres que le Debord métaphysique, moraliste – le contempteur de la disparition du goût et du sens rationnel, et du grand remplacement de la culture (populaire comme bourgeoise) par l'industrie des loisirs.

03.05.2024 à 12:11

JO 2024 : Paris lave plus blanc que blanc

Émilien Bernard

Faubourgs de Marseille, fin avril 2024. Le portail d'entrée est défoncé, ouvert à tous les vents, ça m'arrange. Jonchée d'ordures les premiers mètres, l'allée goudronnée s'avance entre des grilles vertes, délimitant d'un côté un centre social dans la cour duquel des gamins se déhanchent sur « Suavemente » de Soolking, de l'autre un parc envahi de poussettes et d'adeptes de la sieste printanière. Une grosse centaine de mètres et l'ambiance se fait moins bucolique. Surplombant un grand parking (…)

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Texte intégral (1890 mots)
Gwen Tomahawk

Faubourgs de Marseille, fin avril 2024. Le portail d'entrée est défoncé, ouvert à tous les vents, ça m'arrange. Jonchée d'ordures les premiers mètres, l'allée goudronnée s'avance entre des grilles vertes, délimitant d'un côté un centre social dans la cour duquel des gamins se déhanchent sur « Suavemente » de Soolking, de l'autre un parc envahi de poussettes et d'adeptes de la sieste printanière. Une grosse centaine de mètres et l'ambiance se fait moins bucolique. Surplombant un grand parking désert, deux gros bâtiments jaunis de huit étages dressent leur laideur fonctionnelle à l'écart des regards, gérés par le prestataire social Adoma – ex-Sonacotra. Pas un bruit, tout semble dépeuplé. Je fais le pied de grue au bas des tours, quand un jeune homme finit par sortir. Très timide, il confie s'appeler Lamine et venir de Gambie. Il vit dans les lieux depuis quelques semaines. La suite ? Il ne sait pas trop. Encore quelques jours ici, et il ne bénéficiera plus de ce foyer, sera dispatché dans les environs ou partira pour Paris. C'est d'autant plus flou qu'il n'a pas l'air en forme et tousse comme un damné.

La capitale, Lamine l'a quittée dans un bus affrété par la préfecture de Paris, direction Marseille, « comme les autres », dit-il. Je le suis vers un petit bâtiment qui sert de QG administratif. Venant à notre rencontre, un salarié d'Adoma s'étonne de me voir là : « C'est une zone privée ! » Après m'avoir confirmé que sont logées ici pour trois semaines une cinquantaine de personnes récemment arrivées de Paris l'Olympienne (cela constituerait un tiers des personnes installées ici plus durablement1), il me demande de partir. Croisés devant le portail, deux jeunes hommes d'origine subsaharienne visiblement de mauvaise humeur rechignent à discuter, me disent juste qu'ils veulent repartir à Paris, qu'ici c'est pourri.

De Marseille à Geispolsheim

Ici c'est un coin paumé du quartier de la Capelette, dans le 10e arrondissement de Marseille, loin du centre-ville, loin des regards. Le bâtiment où vivent temporairement les personnes affrétées de Paris fait partie du dispositif mis en place dans une dizaine de régions françaises pour opérer un « désengorgement », via des « sas de desserrement régionaux ».

Logés pendant trois semaines, ils seront ensuite, selon leur situation administrative, remis à la rue ou placés dans des dispositifs d'accueil locaux déjà débordés

Logés pendant trois semaines, ils seront ensuite, selon leur situation administrative, remis à la rue ou placés dans des dispositifs d'accueil locaux déjà débordés.

Régi par une circulaire de mars 2023, ce type de dispositif fait évidemment réagir les associations suivant les personnes précaires. Quatre-vingts d'entre elles, dont ATD Quart Monde, Médecins du Monde ou la Ligue des droits de l'Homme, se sont regroupées dans un collectif intitulé Le Revers de la médaille2 et appellent à cesser le « nettoyage social » en cours, qui se fait dans la plus grande discrétion. « Les sas ont été activés et mis en place sans prévenir la ville et les élus, sans aucune construction avec les acteurs associatifs locaux et les ressources possibles », explique Jean, qui bosse pour Médecins du Monde. Un amateurisme qui a des conséquences : « Gérés par le réseau Adoma, ces lieux sont assez vite dépassés sur les situations complexes, notamment en matière de consommation de drogues, sachant qu'il y a par exemple des personnes venant de la porte de la Chapelle où il y a une présence du crack. »

Marseille n'est pas la ville accueillant le plus de personnes délocalisées, sans doute parce que la ville a aussi des sites olympiques, notamment pour les épreuves de voile. Fin mars, le ministre du Logement Guillaume Kasbarian annonçait que 3 800 personnes avaient déjà été déplacées hors de Paris. Selon une enquête de StreetPress3, les lieux d'accueil sont généralement fort peu adaptés à leur mission : « Comme souvent dans l'hébergement d'urgence, les personnes sont placées dans des hôtels bas de gamme au fin fond de zones industrielles, loin de tout. StreetPress a identifié quatre sas dans ces configurations : Rennes-Montgermont, Beaucouzé en périphérie d'Angers (49), Olivet à dix kilomètres d'Orléans (45) ou Geispolsheim, à 12 km au sud de Strasbourg (67). Gabriel, membre du collectif des migrants de Strasbourg, connaît bien le dernier endroit. Il résume : “Un hôtel miteux très difficile d'accès. Il y a un bus qui passe une fois par heure, et pas tout le temps, qui vous dépose à l'entrée d'un chemin lugubre. Il faut marcher 15 minutes le long de l'autoroute.” » Royal.

Paris, capitale des expulsions

Les images sont connues, de Calais à Paris : une armée de bleus caparaçonnés entourant les tentes de personnes exilées et les sommant plus ou moins gentiment de décamper. Mais depuis quelques mois elles s'accompagnent généralement d'une proposition, qu'ils seraient pour l'instant libres de décliner : monter dans un bus les conduisant dans l'un de ces sas de desserrement évoqués plus haut, pour trois semaines de logement garanti. Cela se fait généralement au très petit matin, comme le 30 mars sur un quai de Seine, quand 150 exilés, pour la plupart mineurs non accompagnés, sont réveillés par des CRS. L'un d'eux témoigne avoir déjà fait l'expérience de cet exil temporaire avant de se retrouver à la rue dans une ville inconnue – retenter le coup ? Très peu pour lui4.

Ces opérations d'expulsion, qui s'accélèrent ces derniers temps, concernent aussi des squats, dont certains servaient de refuge à des centaines de personnes. Le dernier en date était situé à Ivry. Considéré comme le plus grand de France et abritant environ 450 personnes, il a été évacué au matin du 17 avril. Un exemple parmi d'autres.

Un nettoyage social des personnes considérées comme indésirables, exilés et SDF, sommées de ne pas faire tâche quand les touristes débarqueront

Alors que la capitale a vu le nombre de SDF augmenter de 16 % en 2023 (coucou Macron et sa promesse de zéro personne à la rue), que les résidences Crous vont mettre à la porte 2 000 étudiants et que de nombreux hôtels autrefois dévolus à l'hébergement social se recyclent en vue des lucratifs JO, cette vague d'expulsions accroît encore la précarité et le traitement inique des indésirables, ballottés au gré des rues et des villes selon les bons vouloir d'un pouvoir accro à l'autoritarisme. « Plus on va s'approcher des JO, plus on va saturer l'espace public de policiers », s'est enflammé le préfet de Paris Laurent Nuñez en avril 2023. La fête s'annonce grandiose. Alors que des associations dénoncent des intimidations lors des maraudes, que des vidéos de CRS gazant les affaires de personnes à la rue sont récemment sorties, que le harcèlement policier semble grimper d'un cran de jour en jour5, on peut se demander si la politique « zéro point de fixation » appliquée à Calais depuis quelques années, pour des résultats désastreux, n'a pas été importée à Paris. Qu'elle soit totalement inefficace en matière de réduction du nombre de candidats au passage n'y change rien. Quand il s'agit de harceler les plus faibles et les plus précaires, la police française répond toujours présente. De vrais champions, pour le coup, portant haut les valeurs de l'Olympie, et notamment le slogan officiel choisi par le comité Paris 2024 : « Ouvrons grand les jeux ! » Médaille d'or de novlangue olympique.

Par Émilien Bernard

2 Plus d'infos sur leur site : lereversdelamedaille.fr.

4 Migrants : un “nettoyage” social à Paris avant les JO 2024 ? », vidéo de France 24, 09/04/2024.

03.05.2024 à 12:11

Fatch, y'en a du vent

L'équipe de CQFD

Mais quel printemps pourri, nom d'un schnaps ! Avril à Marseille, c'était sous les rafales de vent, et comble du comble, sous la pluie. On s'est trainé·es tout le mois des températures « en dessous des normales de saison ». Non seulement ça caillait, mais en plus le vent avait une fâcheuse tendance à nous arracher nos tasses de café et notre feuille de choux des mains. Des jours et des jours de vent fada, le mistral qui rend fou. De quoi déserter les terrasses. Livia, qui débarque de (…)

- CQFD n°230 (en kiosque)
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Par Baptiste Alchourroun

Mais quel printemps pourri, nom d'un schnaps ! Avril à Marseille, c'était sous les rafales de vent, et comble du comble, sous la pluie. On s'est trainé·es tout le mois des températures « en dessous des normales de saison ». Non seulement ça caillait, mais en plus le vent avait une fâcheuse tendance à nous arracher nos tasses de café et notre feuille de choux des mains. Des jours et des jours de vent fada, le mistral qui rend fou. De quoi déserter les terrasses. Livia, qui débarque de Grenoble pour nous aider à boucler (bienvenue !), a même fait remarquer qu'il faisait meilleur là-bas, l'archouma climatique. On se croirait presque à Paris. Beurk.

Sans compter que c'était les vacances scolaires. Certes, le comité de rédaction ne sait pas trop ce que c'est (sauf quand on balance un numéro d'été principalement composé de jeux marrants pour mômes décérébrés, et qu'aucun·e abonné·e ne remarque le pot au feu). N'empêche. Notre graphiste – l'homme à la doudoune jaune poussin, pour les intimes – à travers qui on vit par procuration les aléas du calendrier zone B, a dû écourter ses vacances dans un trou d'Héraut : sa tente menaçait de s'envoler, et sa gamine aussi. Après avoir goûté toutes les variantes de tielles du coin et de s'être extasié sur le 20e pâté de sable de sa joyeuse progéniture, on finit par déchanter des charmes du hors-saison à la Cabrel. Dans tes dents, le poussin déserteur.

Mais peut-être qu'on va pouvoir se rabibocher avec le temps pourri et apprécier de bouffer nos cheveux toute la journée : le Belem, l'espèce de bateau à gueule de Pirates des Caraïbes qui a pour mission sacrée de ramener au Vieux-Port le foutu brasier olympique débarquera le 8 mai, sans doute (nous dit Météo-Rance) dans le vent et les orages ! Si c'est pour gâcher le début de « la grande fête populaire », on est avec toi le Mistral ! Et n'hésite pas à éteindre la flamme en passant, pour bien annoncer le début des hostilités…

5 / 10

 

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