LUNDI SOIR LUNDI MATIN VIDÉOS AUDIOS
10.03.2025 à 18:21
Pour un antifascisme organique
Contribution à un débat qui n'a pas eu lieu
Pierre-Aurélien Delabre
Texte intégral (5185 mots)

Ni patrie ni exil que les mots,
mais passion du blanc
pour la description des feuilles d'amandier.
Ni neige ni cotons. Qui sont-elles donc
dans leur dédain des choses et des noms ?
Si quelqu'un parvenait
à une brève description des fleurs d'amandier,
la brume se rétracterait des collines
et un peuple dirait à l'unisson :
Les voici, les paroles de notre hymne national !
—Mahmoud Darwich, Anthologie (1992-2005), Acte Sud, p. 261-262.
Préambule. Il ne se passe plus rien
Je ne sais à quel niveau de maturité se situe ma rationalité mais je la crois confrontée à des impasses qui ne touchent pas tant à ma rigueur ou à ma sincérité qu'à un constat que je partage avec l'auteur de ces brèves : il ne se passe plus rien. Plus précisément, je ne partage pas tant ce constat, mais l'idée disons, ayant partie liée avec notre impuissance politique, que nous assistons au déploiement d'un procès historique global et meurtrier auquel nous ne sommes pas en capacité d'opposer d'une façon nette, consistante, efficace un coup d'arrêt. Du point de vue de nos capacité à transformer ici et maintenant nos conditions matérielles d'existence, s'agissant d'enrayer le nettoyage ethnique en Palestine, ou encore de freiner le désastre écologique, en effet, il ne se passe rien, ou pas grand chose.
Est-ce pour autant décent, dès lors que le monde s'embrase, que les victimes de la gestion néolibérale de la phase actuelle du capitalisme, des guerres impérialistes et de la crise climatique s'accumulent, de dire qu'il ne se passe rien ? Ne serait-ce nier que nous vivons une accélération de l'Histoire, nier les victimes de celle-ci, et nier, bien que pauvres et disparates, nos résistances bien réelles ?
Alors, oui, il ne se passe plus rien au sens où jamais depuis l'entrée dans la modernité capitaliste occidentale, « nous » n'avons à ce point mis en question un Progrès qui ne cesse cependant de nous emporter dans ses limbes. Il ne se passe plus rien car « nous » sommes assommés par le spectacle d'un fascisme historique qui en couve un autre, un fascisme nouveau que nous avons tant de difficulté à penser et à combattre. Il ne se passe rien car, en Occident du moins, depuis le choc de la crise sanitaire de 2020-2021, le mouvement réel est au point mort et, si on pense à des capitales populaires telles que Naples ou Marseille, des foyers de résistance spontanée se sont trouvés muselés, corps et mémoire, par un accroissement inédit de la spéculation immobilière et un aggravement de la division capitaliste de l'espace.
Situation. Qui sommes-nous ?
Mais, au fait, qui sommes-nous ? Norman Ajari a raison (cf. une émission récente disponible sur Paroles d'Honneur), il me semble, de dire que « nous » avons tendance à euphémiser le tragique de l'histoire : à regarder loin devant soi, ou juste derrière, sans être capable de regarder vraiment qui « nous » sommes et d'où « nous » venons : les enfants d'un monde bâti sur le meurtre de masse et la déportation coloniale, et, à l'heure où les héritiers des bourreaux d'hier se font les arbitres des destins du monde, les spectateurs passifs d'un génocide et les commentateurs sidérés de ses abominables justifications.
J'ajouterais à cela que nous avons également tendance à nier une idée simple et pourtant si peu commune : le nouveau fascisme, tout comme l'ancien, n'est pas un accident dans « notre » histoire, mais l'exacerbation de ses structures originaires, raciales et patriarcales (à propos des premières, et d'une confrontation honnête entre la pensée radicale noire et la tradition marxiste, lire de toute urgence Marxisme noir, dont la traduction française a paru en 2023 chez Entremonde). Pour l'instant, ce nouveau fascisme « nous » épargne. Il épargne celles et ceux qui, comme moi, ont le temps et la force d'écrire ces lignes. A contrario, il n'épargne pas les musulmans des USA et de France, il n'épargne pas les Palestiniens, il n'épargne pas les victimes des dérèglements climatiques, il n'épargne pas le prolétariat informe et massif de ceux qui comptent pour rien au regard des nouvelles normes productives, sociales et politiques désormais en vigueur en Occident.
Qu'on se le dise, « nous », gauchistes, militants, travailleurs intellectuels de France ou d'Italie, d'Espagne ou de Belgique, nous serons les derniers touchés, et, quand nous le serons, il sera trop tard. On me rétorquera que les militants sont déjà réprimés, que les travailleurs intellectuels sont plongés dans une précarité inédite, et c'est vrai. Quand je dis que nous serons les derniers touchés, je souhaite dire simplement qu'il y aura des milliers de Ramy, de Nahel, de victimes des polices de Meloni et de Macron, des dizaines de milliers de morts à nos frontières, des dizaines voire des centaines de milliers de réfugiés parqués, torturés, assassinés, sans parler des suicides en masse qui ont déjà commencé, d'employés précarisés, de paysans, de brutalisation des femmes et des enfants dans un contexte de réaction généralisée où ces derniers subissent une violence qui n'est pas nouvelle, mais qui se manifeste désormais sous la bénédiction explicite de gouvernements toujours plus iniques, dont les membres les plus éminents sont quelques fois coupables, d'autres fois complices de monstruosités que nul ne peut ignorer.
Je crois que « nous » sommes responsables de tout ça. « Nous » sommes responsables de tout ça car, non seulement nous ne savons pas nous parler, mais, plus crucial encore, quelque chose « nous » échappe, quelque chose que nous refusons de considérer, de reconnaître.
Ce qui « nous » échappe, je crois que c'est précisément ce qui n'avait pas échappé à Pasolini, ce sur quoi il a fondé une œuvre, une pensée, obstinément, sa tendresse : c'est le langage de l'opprimé.
De la théorie. Les impasses de la Raison
Contrairement à la tendresse, la Raison ne tient rien, ne tient à rien — elle identifie et examine depuis son exil volontaire, orgueilleux, depuis ses hauteurs de vue, le Mal dans l'histoire comme déploiement d'une faute épistémologique ou d'un manque de méthode qui auraient à trait au fondement même de la connaissance, et donc, partant, dès lors que cette connaissance porte sur l'histoire, à la conscience historique.
Pour l'ex-lukácien, marxiste rationaliste que je suis, cela me ferait presque sourire. La Destruction de la Raison (cf. Delga, 2006, 2010, 2017), voilà donc, selon Lukács, la principale cause subjective du fascisme. Rien n'est moins matérialiste et concret qu'une telle affirmation. Alors bien sûr, avec Lukács, bien que certaines de ses vues sur l'esthétique soient étriquées (incapacité à lire et à penser la moindre forme non romanesque de littérature), il est utile d'y revenir. La Destruction de la Raison n'aura jamais raison du grand legs de la totalité (dans ses travaux sur le roman historique), ni de son effort magistral pour repenser une ontologie matérialiste et dialectique (cf. Delga, 2009, 2011, 2012).
Là où je ne suis aucunement d'accord avec l'auteur de ces brèves, c'est à propos de cette foi en la Raison comme condition et limite de la conscience historique, qui était celle de Lukács dans sa Destruction, et qui me semble manquer terriblement de corps et de classe, et, plus que tout, épouser tranquillement la justification néolibérale ultime, celle d'une tradition révolutionnaire liquidée.
Une telle foi dans la Raison, prenant ici appui sur une mobilisation de tout un corpus libéral et quelques fois fascisant (Oswald Spengler, par exemple, dans un texte que l'auteur des brèves, vraisemblablement, a publié la semaine suivante ; je précise que j'ai conscience de la distance critique que ce dernier entretient avec la pensée de l'ennemi), me paraît extrêmement douteux dans la mesure où elle me semble épouser (quasiment sans le savoir) ce qui constitue le noeud syntaxique associé à la pensée des vainqueurs, une position de surplomb, la destruction de toute hypothèse contradictoire, l'idée que le progrès, somme toute, de la raison et de l'histoire, se confond avec un aplatissement du temps et de la conscience spatiale, cet infiniment statique qui caractérise l'histoire bourgeoise. Plus encore : elle renonce à cette organicité réelle (prolétaire) depuis laquelle toute pensée et toute action révolutionnaire a le devoir de se déployer.
C'est d'ailleurs également ce qui caractérise, selon Gramsci, la méthode de groupuscules maurassiens du début du siècle dernier : « Le prétendu “centralisme organique” [qu'il oppose à une organicité réelle, un ancrage et une action depuis la classe] se fonde sur le principe qui veut qu'un groupe politique soit sélectionné par “cooptation” autour d'un “porteur infaillible de la vérité”, de quelqu'un qui, “illuminé par la raison”, a découvert les lois naturelles infaillibles de l'évolution historique, lois infaillibles même si elle ne le sont qu'à long terme et si les évènements immédiats “semblent” leur donner tort. L'application aux faits sociaux des lois de la mécanique et de la mathématique, qui ne devrait avoir qu'une valeur métaphorique, devient le seul, hallucinant, moteur intellectuel (à vide). Le lien entre ce [prétendu] centralisme organique et les doctrines de Maurras est évident. » (« Cahier 13 », Cahiers de prison. Anthologie, Gallimard, Folio, 2021, p. 446.)
Tandis que Walter Benjamin pense bel et bien l'action révolutionnaire comme étirement des coordonnées spatiaux-temporels, distorsion des formes de l'entendement, et conjointement comme actualisation de la tradition des opprimés. La dialectique à l'arrêt, pour le dire plus techniquement, revitalise le rapport antagonique, pulvérise la forme strictement logiciste de la contradiction, permet l'effraction du politique sur la scène « pacifiée » de l'Histoire.
De façon plus générale, je crois qu'on aurait tort de penser unilatéralement, dans son œuvre, à propos de la magie, de l'aura ou de la tradition, un pur principe liquidateur, en négligeant le principe concomitant de sauvegarde. Le geste brechtien auquel Benjamin est sensible (isoler, manipuler, détruire ; cf. Me-Ti. Le livre des retournement, L'Arche, 1978, p. 55) n'est qu'un aspect de sa méthode, qui doit être compris à la lumière de celui du concept de Jetztzeit (actualisation ou temps-présent ; cf. Philippe Ivernel, Walter Benjamin. Critique en temps de crise, Klinckseick, 2022, p. 114), qui garantit à la chose liquidée une forme autre, à la fois dialectique et effective, vivante. En d'autres termes, oui, il s'agit de liquider la tradition comme chose, mais non comme actualisation d'une très ancienne promesse de bonheur et de justice.
Interlude. Entreprendre de libérer politiquement le rêve
Quand Houria Bouteldja mobilise Otto Strasser (cf. son intervention intitulée « Rêver ensemble » lors des rencontres “Bourgs et Tours ? Chiche !”, disponible sur Paroles d'Honneur), étonnement, je n'ai jamais douté de l'usage critique qu'elle en faisait. Quand certains ont voulu y voir de l'ambiguïté suspecte, voire une forme d'appel cryptique aux sectes néonazies, je n'y ai vu que le courage d'une pensée qui tente de comprendre et de combattre les causes profondes de nos défaites. En examinant le point de vue de nos ennemis les plus menaçants, en tentant de comprendre là où le matérialisme historique a failli, ne fait-elle pas le boulot, dans le fond, que nous étions censés faire ? Personnellement, je n'ai pas attendu Bouteldja pour m'interroger sur le caractère défaillant du matérialisme historique dont je me réclame pourtant. Ce que j'ai cherché chez Benjamin ou chez Pasolini, ce n'est pas autre chose qu'un certain rapport dialectique, neuf, tumultueux, entre tradition et émancipation, et si j'ai identifié chez les deux compères une forme théorique ou poétique assez convaincante, ce sont chez Maria Attanasio (Concetta et ses femmes, Ypsilon, 2021) ou Elio Vittorini (Conversation en Sicile, Gallimard, Imaginaire, 2023) que j'en ai eu la représentation la plus vive.
Dans le fond, il ne s'agit pas tant de savoir si Bouteldja a raison, mais de considérer d'abord ce qu'elle propose comme digne d'être entendu. Je me suis reconnu dans ces marxistes romantiques qui rêvent seuls. Et j'aimerais être moins seul à rêver, je le confesse sans honte.
Nous rêvons à l'intérieur de structures matérielles et symboliques cadenassées, un recours autre à la tradition pourrait nous permettre de faire un rêve différent, un rêve collectif et révolutionnaire, un rêve que porte la possibilité d'alliances nouvelles, un rêve qui ne soit pas de ces rêves qui extirpent leur sujet à la fange mais qui le font reconsidérer cette fange, et l'inévitable beauté qui peut s'y loger, malgré toutes les censures et toutes les paniques bourgeoises.
Mais la première condition, pour ne pas rêver seul, c'est de reconnaître le langage de l'opprimé. Qui n'est pas tant le langage d'un individu ou d'un groupe social qu'un certain rapport au monde. Je crois que ce sont ce genre de rêves et donc de rapports au monde qu'il s'agit de libérer. Ce qui implique de redescendre sur terre et de dresser l'oreille, d'aiguiser son regard, de détecter parmi les formes aliénées de nos manifestations sociales ce qui couve une beauté qu'il s'agit de défendre. Précisément parce que ce ne sont ni Sardou ni Bardella qui apparaissent comme porteurs de logiques affectives et identificatoires en mesure de servir le rêve d'une révolution communiste et décolonial. Soyons sérieux.
Deleuze disait que nous ne délirons jamais sur papa-maman mais sur de la géographie. J'ajouterais sur l'histoire. Moi, bougnat d'origine, issue d'une histoire familiale plutôt triste, je n'ai pas attendu Bouteldja pour aimer ceux que mes ancêtres biologiques ont sans doute haïs, et me choisir d'autres filiations, d'autres héritages :
De la même manière que nous, en France, on dit aux Français que le Vietnam, Diên Biên Phu, qui est considéré dans le récit national comme une défaite de la France, nous, nous disons que c'est une victoire des Français, du peuple français. La guerre d'Algérie, l'indépendance de l'Algérie, c'est une victoire du peuple français. Alors ceux des Français qui considèrent que c'est une défaite, ceux-là sont nos ennemis. [...] Ceux des Blancs qui considèrent que l'indépendance de l'Algérie est leur victoire à eux, je ne peux rien leur demander de plus : ce sont des frères et des soeurs. [...] C'est en cela qu'on n'est pas figé dans la blanchité ; c'est ça le choix des ancêtres. Un Français n'est pas obligé d'accepter d'avoir comme ancêtre Napoléon ou le général de Gaulle. Il peut préférer Aimé Césaire. Il peut préférer Sitting Bull. Il peut préférer les indépendantistes algériens. Il peut dire : “ce sont eux mes ancêtres”. Robespierre, les communards... [...] Il s'agit de reconnaître une filiation des luttes d'émancipation du fait colonial, du fait esclavagiste, du fait capitaliste. On ne peut pas rejoindre la filiation des droitards qui se revendiquent de l'autochtonie par le sang. » (cf., Des barbares, on veut des barbares, Éditions de la rue Dorion, 2025.)
Non, je n'ai pas attendu Bouteldja pour me reconnaître plus facilement dans les révolutionnaires qui libérèrent l'Algérie du joug colonial français, dans une histoire à la fois communiste et internationaliste, plutôt que dans cette histoire de bougnat plutôt sinistre, mais je la remercie de penser ainsi, car il s'agit d'une pensée généreuse, qui tend à la débiologisation radicale de l'héritage et de la mémoire (ce qui mérite quand même d'être souligné venant d'une prétendue identitaire farouche au chapeau pointu). Ce qui ne signifie pas que j'abandonne mes volcans d'Auvergne mais, dans la mesure où ma mémoire est affectée par une histoire de résistances dont je me fais l'héritier volontaire (entendez : dont je n'ai pas hérité naturellement ou légalement), que j'y reviens autrement, à cette mémoire, à ces volcans.
Le véritable amour ne saurait être pur, il doit faire l'épreuve d'une négativité. Il s'agit quelques fois d'arpenter des routes désertes, jonchées de cadavres pour, comme le dit Darwich, « vaincre l'excès de mort par moins de mort et échapper au gouffre » (op. cit., p. 307.) L'attitude communiste a à voir avec cette solitude à la fois volontaire et subie : on ne saurait lutter contre ce qui nous opprime sans s'en extraire un tant soit peu. Mais elle a conjointement à voir avec le tenere latin du tenir et de la tendresse qui le soutient. Tenir au monde est impossible sans tendresse, aucune volonté (même révolutionnaire) n'en est capable. Tenir à ce monde dégueulasse qui est le seul que nous ayons et auquel il n'est pas permis de se soustraire, au risque de se rendre incapable de reconnaître les forces vives qui s'y logent.
Le « rêver en masse » de Bouteltja, je le comprends ainsi. Et je suis prêt à le discuter, et notamment cette affaire trop lordonienne et psychanalysante de capot nauséabond, comme si l'inconscient n'était pas également une usine à produire du rêve et du langage (mêlés), comme si tout était si dégueulasse, après tout, et comme s'il n'existait pas, toujours, ainsi que Pasolini l'écrit, une sorte de sourire prolétaire (malgré toutes les aliénations, toutes les mesquineries, tous les racismes) qui excède déjà les clôtures d'un monde dominé par l'exploitation systématique du vivant et l'annihilation de nos joies. Selon Pasolini, ce qui est dégueulasse, du point de vue de la bourgeoisie, ce n'est d'ailleurs pas tant la fange qui environne ce sourire, mais ce sourire lui-même, insolent et injustifiable.
De la pratique. Antifascisme réthorique, antifascisme organique
Puisqu'il est question de Nation et de ses destins problématiques, proposons de repartir de la notion d'organicité de Gramsci pour tenter de traiter à nouveaux frais la question de nos résistances, petites et grandes.
C'est une notion que l'on connaît communément à propos de l'intellectuel organique, l'intellectuel bourgeois, par exemple, étant organiquement lié à sa classe, toute sa production (même sans le savoir) tend à en garantir la perpétuation.
Mais s'il existe un corps bourgeois, avec sa Raison, ses membres exécutifs, ses déchets et sa voracité, il existe également un corps prolétaire dont le postulat marxiste fondamental est qu'il serait ontologiquement politique.
Repartir de Gramsci et de sa conception de l'organicité des processus historiques, si nous cherchons à penser l'articulation du local au global, du national à l'international, revient à dépasser l'opposition stérile entre les campistes froids et les fanatiques d'une agentivité à géométrie variable. Plus précisément, nous dit Gramsci, « Toute innovation organique dans la structure modifie organiquement les rapports absolus et relatifs dans le domaine international… » (cité par Jean-Marc Piotte, in La pensée politique de Gramsci, Lux éditeur, 2010, p. 166). Les rapports internationaux, s'ils reposent donc sur l'organicité des nations, leur capacité de résistance à une domination impériale, par exemple, fragilisée dès lors que ces dernières sont isolées et petites, constitue toujours un point de départ de ses modifications, et donc de la lutte des classes à l'échelle mondiale.
À partir de là, deux concepts de nation doivent être compris ici et, si je ne doute pas que ni l'un ni l'autre n'aura la faveur de Lundimatin, je crois qu'il est utile de s'y attarder (sans s'appesantir car le cœur du propos est ailleurs).
Deux concepts de nation, donc, qui reposent sur deux modèles antagoniques, la nation fondée sur un principe de souveraineté populaire (d'inspiration française et révolutionnaire) et la nation ethnique ou ethno-religieuse (sur le modèle de l'État bismarckien, puis nazi, et aujourd'hui israëlien). Ajoutons peut-être l'État voyou de Crispi, dans la jeune Italie du Risorgimento, reposant sur un principe national relativement élastique, et dont plusieurs historiens et écrivains ont identifié en puissance des éléments du futur État mussolinien.
Repartir de la nation, tel que le propose Bouteldja, en l'occurence française, c'est faire valoir, évidemment, le premier des modèles. Mais cela n'est pas suffisant : il s'agit d'actualiser une mémoire et de choisir pour cela d'autres éléments fondateurs qui puissent coïncider avec les exigences du mouvement décolonial. Pourquoi ne pas penser, dès lors, durant la révolution française, à la marche spontanée des ouvriers parisiens pour leurs frères noirs de Saint-Domingue, celle-ci pouvant constituer un ancrage mémoriel pour une nation française décoloniale, un modèle pour toute forme d'antifascisme organique ancrée dans une mémoire à la fois communiste et décoloniale.
Bien entendu, il ne s'agit que d'une façon toute Jamesienne (cf. Les Jacobins noirs, Amsterdam, 2008) de repenser la centralité des processus révolutionnaires, et cela ne pourrait prendre réellement corps que dans une praxis collective et située, une actualisation de cette mémoire depuis le mouvement réel qui abolit déjà l'ordre des choses.
Qu'importe son degré de sidération ou d'aliénation, rien ne se fera sans le prolétariat. Et rien ne se fera sans les minorités menacées d'Occident et d'ailleurs. Rien sans les minorités musulmanes (les plus en danger) ou homosexuelles (pour n'en citer que deux que la réaction mondiale constitue aujourd'hui, à des degrés distincts, comme cibles privilégiées). À conditions bien sûr que nous parvenions à œuvrer organiquement (non rhétoriquement) avec ces minorités, que nous réussissions à persuader le prolétariat blanc que son intérêt réel, matériel et spirituel, a les mains liées avec elles. C'est là, je crois, tout le sens de notre travail politique.
Hypothèses stratégiques. Néoléninisme ou autonomie organisée ?
Face à une conception étriquée de l'avant-garde, il s'agit de faire valoir une action collective intempestive, qui ne se définit ni par sa Raison ni par sa position sociale, mais par sa volonté infaillible d'investir tous les fronts ouverts de la lutte tout en occupant le terrain (social et spécifique) de la résistance antifasciste populaire.
Cette organicité garantit à notre résistance son efficacité. Elle implique par contre de se salir les mains. Comme toute forme d'engagement qui n'est ni strictement discursif ni exclusivement rhétorique, elle suppose d'avaler et de digérer les contradictions de notre monde et de penser contre soi, de chercher, douter, se tromper, tout en se logeant viscéralement à la surface du monde, sans aucune position de surplomb ni pureté militante esthétique ou morale.
Nous ne rejouerons pas la psalmodie des Cendres, mais nous pouvons nous inspirer de ce sourire ou de ce rire prolétaire dont Pasolini nous dit qu'il excède toujours-déjà la fausse réalité bourgeoise. Car c'est bien à la surface du monde qu'il nous est permis de penser et d'agir en un sens vraiment révolutionnaire. Détecter les formes de langage qui s'y enracinent et échappent à la pacification sociale, reformuler depuis elles une conscience commune de la catastrophe, voici, peut-être, un modeste point de départ pour notre pensée stratégique et nos actions militantes.
Que ce communisme doive se replier sur la multiplication de ses formes localisées (ou localistes), ou qu'il nécessite, pour se perpétuer et gagner en efficacité, de reposer la question de la conquête de l'État, je ne le tranche pas ici. Je propose de recommencer à partir de cette organicité de la pensée et de l'action révolutionnaire, ce qui suppose de nous ancrer dans les conditions matérielles et les dispositions spirituelles du prolétariat, de ne jamais devancer le mouvement réel, mais de l'accompagner, quelques fois de s'y diluer, en tout cas d'accepter qu'il excède toute forme de radicalité abstraite, abolisse toute position de surplomb. Cette proposition, je le crois, si modeste soit elle, aura toujours plus d'efficacité concrète sur le mouvement réel qu'un rêve formulé depuis le lieu symbolique et matériel du pouvoir que « nous » cherchons à abolir.
Épilogue. Hannibale devant Rome
Hannibal, comme le suggère l'auteur de ces brèves (en s'appuyant sur l'interprétation psychanalytique d'inspiration jugienne de Marie-Louise von Franz) aurait renoncé à détruire Rome car il était incapable de rêver, de penser et d'agir hors de la romanité au sein de laquelle il avait appris à rêver, penser et agir. L'histoire lui donne-t-elle tort ? Je propose deux autres hypothèses (pragmatique, puis idéaliste) : Hannibal n'avait pas les moyens ni le temps de détruire Rome, il a donc choisi la paix ; Hannibal ne souhaitait tout simplement pas détruire Rome.
Quand Bouteldja voulait détruire Rome, on lui reprochait sa soif indigène de destruction. Quand Bouteldja cherche à pactiser avec Rome, on lui reproche sa blanchité inconsciente et pathologique, celle qui aurait conduit Hannibal à préserver la capitale de l'Empire qu'il combattait.
A-t-on songé ici, et sérieusement, qu'une Rome décoloniale, ce n'est quand même plus tout à fait Rome, qu'une Rome décoloniale, c'est une idée folle car absolument neuve. C'est une idée qui n'a peut-être aucun destin politique, mais c'est une idée suffisamment folle et neuve pour qu'on prenne le temps de la discuter sans la réduire à la portée libidinale du buste imberbe de Bardella. Par ailleurs, c'est une idée portée par une femme, musulmane, militante révolutionnaire, avec laquelle on peut être en désaccord sur tout mais que nous n'avons pas d'autre choix que de respecter pour l'obstination avec laquelle elle combat le pacte racial depuis tant d'années, et pour ce geste enfin explicite consistant à nous tendre la main, à nous, communistes, internationalistes, et doux rêveurs (la tendresse me perdra).
Qu'on soit moins enthousiaste que moi, je le comprends et je l'accepte. Je n'ai aucune raison de m'offenser, je peux débattre, tout simplement. La seule chose qui me semble fondamentale, c'est de se souvenir de qui nous sommes et de ce que nous souhaitons être. À ce titre, il ne me semble pas farfelu de nous demander quelle heure il est à l'horloge de l'Occident, et si nous souhaitons réellement en briser communistement le cours. Et si nous souhaitons réellement en briser communistement le cours, cela implique d'identifier nos véritables ennemis. Bouteldja, qui cristallise déjà une couche inouïe de fantasmes islamophobes dans tous les médias réactionnaires de France, assurément n'en est pas une, et ses propositions sont dignes d'être examinées, non depuis la Raison et ses impasses, mais depuis la signification politique qu'il est permis de donner à une amitié potentiellement révolutionnaire.
Ce texte a pour fonction d'alimenter amicalement l'espace d'un différend dont les contours ne sont aujourd'hui connus que d'un petit monde. Je le résumerai ainsi : Houria Bouteldja, depuis Beauf et barbares (La Fabrique, 2023), esquisse la possibilité d'une alliance entre deux composantes du prolétariat, cette alliance ayant pour vocation d'occuper le terrain de l'État et de la Nation en un sens révolutionnaire et décolonial. L'État n'est pas, ou pas seulement, selon elle, l'instrumement de la bourgeoisie, mais un champ stratégique à investir (Cf. Gramsci + Poulantzas + apport de la pensée décolonial). Quant à la Nation, il s'agit de la considérer comme un catalyseur d'affects et de logiques identificatoires qui devront se voir subvertir. En ce sens, et pour rêver ensemble, un rêve qui ne soit pas seulement un rêve solitaire, impuissant, mais un rêve productif, un rêve en masse, Bouteldja propose de réinvestir décolonialement le signifiant France. Ce que peut lui reprocher l'auteur de ses brèves, c'est précisément cela. La question se discute. Si l'on considère ce que dit Norman Ajari, par exemple, dans « L'anti-essentialisme contre l'histoire » (cf. sur le site du PIR, 2020), du point de vue de l'histoire et de la mémoire noires, les conditions de l'investissement d'un tel signifiant sont une forme d'anti-essentialisme négateur de cette histoire et de cette mémoire et implique donc un « dispositif d'exclusion, maintenant à l'écart toutes les réflexions politiques fondées sur la réalité matérielle de la race et qui tirent leurs ressources intellectuelles de l'histoire que cette position subalterne a imposée ». Quant à ce qui a valu la réaction de notre camarade Camille Escudero (dont le texte refusé en l'état par Lm a été publié sur le site du QG décolonial), celle-ci touche à la langue, à son lieu, au comptoir, à un refus viscéral, somme toute, de se situer au-dessus de la vie des gens ordinaires, et à la question, enfin, du temps historique et de nos priorités politiques. Par mon texte, je ne réconcilierai personne, mais souhaite que nous puissions mieux nous parler à l'avenir et, par-delà les quelques personnes concernées ici, ajuster au mieux nos capacités de résistances aux dangers réels auxquels nous faisons indubitablement face. (La tendresse me perdra, 2 fois.)
10.03.2025 à 12:33
Barbares nihilistes ou révolutionnaires de canapé
Un lundisoir avec Chuglu, les artistes du zbeul
- 10 mars / Avec une grosse photo en haut, Littérature, 2, lundisoirTexte intégral (4693 mots)

Le groupe Chuglu hante Marseille et le monde. Mais il est le contraire d'un spectre. Si vous voyez des gens déménager des meubles sans savoir où ils vont, des clémentines qu'il faut se mettre à dix pour n'en manger qu'une seule, des transhumances urbaines de centaines de ballons de foot rapiécés, des manifestations d'enfants autoritaires, des soupers de pierre servis en pleine rue et des cavernes sur le vieux port où l'on vend pour gratuit des vêtements trop chers, c'est probablement que vous avez été témoins d'une malice de Chuglu, que vous avez été frappé par le Chuglu, qu'il vous a joué une farce impossible et qu'il ne vous est plus possible de discerner le quotidien de la révolte.
À voir lundi 19 mars à partir de 20h :
Craignez du haut de votre Hilarité l'attaque soudaine de ces ex-« barbares nihilistes » de l'art, ce Groupe qui n'est pas un Collectif, ce Collectif piqué de réunionnite incessante, dont la seule forme d'unité est l'embrouille. Si vous vous dîtes, au détour d'une rue d'une de ces capitales, témoin d'un geste infinitésimal où se produit un tout petit écart, que c'en est trop, qu'il faut se révolter et qu'y en a marre d'être liés comme des rôtis, c'est probablement que vous avez été pris par une fièvre, cette fièvre, on l'appelle CHUGLU.
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10 questions sur l'élection de Trump - Eugénie Mérieau, Michalis Lianos & Pablo Stefanoni
Chlordécone : Défaire l'habiter colonial, s'aimer la terre - Malcom Ferdinand
Ukraine, guerre des classes et classes en guerre - Daria Saburova
Enrique Dussel, métaphysicien de la libération - Emmanuel Lévine
Combattre la technopolice à l'ère de l'IA avec Felix Tréguer, Thomas Jusquiame & Noémie Levain (La Quadrature du Net)
Des kibboutz en Bavière avec Tsedek
Le macronisme est-il une perversion narcissique - Marc Joly
Science-fiction, politique et utopies avec Vincent Gerber
Combattantes, quand les femmes font la guerre - Camillle Boutron
Communisme et consolation - Jacques Rancière
Tabou de l'inceste et Petit Chaperon rouge - Lucile Novat
L'école contre l'enfance - Bertrand Ogilvie
Une histoire politique de l'homophobie - Mickaël Tempête
Continuum espace-temps : Le colonialisme à l'épreuve de la physique - Léopold Lambert
« Les gardes-côtes de l'ordre racial » u le racisme ordinaire des électeurs du RN - Félicien Faury
Armer l'antifascisme, retour sur l'Espagne Révolutionnaire - Pierre Salmon
Les extraterrestres sont-ils communistes ? Wu Ming 2
De quoi l'antisémitisme n'est-il pas le nom ? Avec Ludivine Bantigny et Tsedek (Adam Mitelberg)
De la démocratie en dictature - Eugénie Mérieau
Inde : cent ans de solitude libérale fasciste - Alpa Shah
(Activez les sous-titre en français)
50 nuances de fafs, enquête sur la jeunesse identitaire avec Marylou Magal & Nicolas Massol
Tétralemme révolutionnaire et tentation fasciste avec Michalis Lianos
Fascisme et bloc bourgeois avec Stefano Palombarini
Fissurer l'empire du béton avec Nelo Magalhães
La révolte est-elle un archaïsme ? avec Frédéric Rambeau
Le bizarre et l'omineux, Un lundisoir autour de Mark Fisher
Démanteler la catastrophe : tactiques et stratégies avec les Soulèvements de la terre
Crimes, extraterrestres et écritures fauves en liberté - Phœbe Hadjimarkos Clarke
Pétaouchnock(s) : Un atlas infini des fins du monde avec Riccardo Ciavolella
Le manifeste afro-décolonial avec Norman Ajari
Faire transer l'occident avec Jean-Louis Tornatore
Dissolutions, séparatisme et notes blanches avec Pierre Douillard-Lefèvre
De ce que l'on nous vole avec Catherine Malabou
La littérature working class d'Alberto Prunetti
Illuminatis et gnostiques contre l'Empire Bolloréen avec Pacôme Thiellement
La guerre en tête, sur le front de la Syrie à l'Ukraine avec Romain Huët
Abrégé de littérature-molotov avec Mačko Dràgàn
Le hold-up de la FNSEA sur le mouvement agricole
De nazisme zombie avec Johann Chapoutot
Comment les agriculteurs et étudiants Sri Lankais ont renversé le pouvoir en 2022
Le retour du monde magique avec la sociologue Fanny Charrasse
Nathalie Quintane & Leslie Kaplan contre la littérature politique
Contre histoire de d'internet du XVe siècle à nos jours avec Félix Tréguer
L'hypothèse écofasciste avec Pierre Madelin
oXni - « On fera de nous des nuées... » lundisoir live
Selim Derkaoui : Boxe et lutte des classes
Josep Rafanell i Orra : Commentaires (cosmo) anarchistes
Ludivine Bantigny, Eugenia Palieraki, Boris Gobille et Laurent Jeanpierre : Une histoire globale des révolutions
Ghislain Casas : Les anges de la réalité, de la dépolitisation du monde
Silvia Lippi et Patrice Maniglier : Tout le monde peut-il être soeur ? Pour une psychanalyse féministe
Pablo Stefanoni et Marc Saint-Upéry : La rébellion est-elle passée à droite ?
Olivier Lefebvre : Sortir les ingénieurs de leur cage
Du milieu antifa biélorusse au conflit russo-ukrainien
Yves Pagès : Une histoire illustrée du tapis roulant
Alexander Bikbov et Jean-Marc Royer : Radiographie de l'État russe
Un lundisoir à Kharkiv et Kramatorsk, clarifications stratégiques et perspectives politiques
Sur le front de Bakhmout avec des partisans biélorusses, un lundisoir dans le Donbass
Mohamed Amer Meziane : Vers une anthropologie Métaphysique->https://lundi.am/Vers-une-anthropologie-Metaphysique]
Jacques Deschamps : Éloge de l'émeute
Serge Quadruppani : Une histoire personnelle de l'ultra-gauche
Pour une esthétique de la révolte, entretient avec le mouvement Black Lines
Dévoiler le pouvoir, chiffrer l'avenir - entretien avec Chelsea Manning
Nouvelles conjurations sauvages, entretien avec Edouard Jourdain
La cartographie comme outil de luttes, entretien avec Nephtys Zwer
Pour un communisme des ténèbres - rencontre avec Annie Le Brun
Philosophie de la vie paysanne, rencontre avec Mathieu Yon
Défaire le mythe de l'entrepreneur, discussion avec Anthony Galluzzo
Parcoursup, conseils de désorientation avec avec Aïda N'Diaye, Johan Faerber et Camille
Une histoire du sabotage avec Victor Cachard
La fabrique du muscle avec Guillaume Vallet
Violences judiciaires, rencontre avec l'avocat Raphaël Kempf
L'aventure politique du livre jeunesse, entretien avec Christian Bruel
À quoi bon encore le monde ? Avec Catherine Coquio
Mohammed Kenzi, émigré de partout
Philosophie des politiques terrestres, avec Patrice Maniglier
Politique des soulèvements terrestres, un entretien avec Léna Balaud & Antoine Chopot
Laisser être et rendre puissant, un entretien avec Tristan Garcia
La séparation du monde - Mathilde Girard, Frédéric D. Oberland, lundisoir
Ethnographies des mondes à venir - Philippe Descola & Alessandro Pignocchi
Enjamber la peur, Chowra Makaremi sur le soulèvement iranien
Le pouvoir des infrastructures, comprendre la mégamachine électrique avec Fanny Lopez
Comment les fantasmes de complots défendent le système, un entretien avec Wu Ming 1
Le pouvoir du son, entretien avec Juliette Volcler
Qu'est-ce que l'esprit de la terre ? Avec l'anthropologue Barbara Glowczewski
Retours d'Ukraine avec Romain Huët, Perrine Poupin et Nolig
Démissionner, bifurquer, déserter - Rencontre avec des ingénieurs
Anarchisme et philosophie, une discussion avec Catherine Malabou
La barbarie n'est jamais finie avec Louisa Yousfi
Virginia Woolf, le féminisme et la guerre avec Naomi Toth
Françafrique : l'empire qui ne veut pas mourir, avec Thomas Deltombe & Thomas Borrel
Guadeloupe : État des luttes avec Elie Domota
Ukraine, avec Anne Le Huérou, Perrine Poupin & Coline Maestracci->https://lundi.am/Ukraine]
Comment la pensée logistique gouverne le monde, avec Mathieu Quet
La psychiatrie et ses folies avec Mathieu Bellahsen
La vie en plastique, une anthropologie des déchets avec Mikaëla Le Meur
Anthropologie, littérature et bouts du monde, les états d'âme d'Éric Chauvier
La puissance du quotidien : féminisme, subsistance et « alternatives », avec Geneviève Pruvost
Afropessimisme, fin du monde et communisme noir, une discussion avec Norman Ajari
Puissance du féminisme, histoires et transmissions
Fondation Luma : l'art qui cache la forêt
L'animal et la mort, entretien avec l'anthropologue Charles Stépanoff
Rojava : y partir, combattre, revenir. Rencontre avec un internationaliste français
Une histoire écologique et raciale de la sécularisation, entretien avec Mohamad Amer Meziane
LaDettePubliqueCestMal et autres contes pour enfants, une discussion avec Sandra Lucbert.
Basculements, mondes émergents, possibles désirable, une discussion avec Jérôme Baschet.
Au cœur de l'industrie pharmaceutique, enquête et recherches avec Quentin Ravelli
Vanessa Codaccioni : La société de vigilance
Comme tout un chacune, notre rédaction passe beaucoup trop de temps à glaner des vidéos plus ou moins intelligentes sur les internets. Aussi c'est avec beaucoup d'enthousiasme que nous avons décidé de nous jeter dans cette nouvelle arène. D'exaltations de comptoirs en propos magistraux, fourbis des semaines à l'avance ou improvisés dans la joie et l'ivresse, en tête à tête ou en bande organisée, il sera facile pour ce nouveau show hebdomadaire de tenir toutes ses promesses : il en fait très peu. Sinon de vous proposer ce que nous aimerions regarder et ce qui nous semble manquer. Grâce à lundisoir, lundimatin vous suivra jusqu'au crépuscule. « Action ! », comme on dit dans le milieu.
10.03.2025 à 11:22
Vers une fin effroyable ?
« La fraction la plus abrutie des habitants de cette planète a donné un formidable coup d'accélérateur à la ruée de l'humanité vers son suicide. »
- 10 mars / Avec une grosse photo en haut, Positions, 2Texte intégral (766 mots)

« C'est comme si, en l'espace de dix ans, nous étions revenus à l'âge de pierre. Des types humains que l'on croyait disparus depuis des siècles - Le derviche tourneur, le chef de brigands, le grand inquisiteur, sont soudain réapparus, non pas derrière les murs d'un asile de fous mais à la tête des Etats. »
George Orwell
Time & tide, 6 avril 1940
En portant sur les trônes des Etats les plus puissants de notre monde des gougnafiers aussi salopards qu'imbéciles, la fraction la plus abrutie des habitants de cette planète a donné un formidable coup d'accélérateur à la ruée de l'humanité vers son suicide. Les querelles entre ces vampires se disputant les veines des peuples menacent de mener le monde vers le point ultime du chaos destructeur qui y est déjà à l'œuvre. S'ils continuent à appuyer sur le champignon, il peut devenir nucléaire. Alors les autruches perdront même la tête, comme tout le reste de la faune du globe.
La voracité hystérique de ces saigneurs de l'humanité est la confirmation ultime du principe qui préside à leur règne tel qu'il s'est toujours manifesté au fil de l'Histoire : Si je convoite ce que possède mon voisin, je n'ai qu'à l'assommer pour lui voler. Elle entérine la loi occulte qui gouverne leurs sociétés : Les plus forts et les plus vicieux ont toujours raison de piétiner tous ceux qui se trouvent sur leur chemin pour s'approcher du veau d'or. Peu importent les dégâts que feront ces assauts, y compris chez leurs troupiers, et même dans leurs palais et jusqu'au fond de leurs bunkers. L'important est de se goinfrer.
Le « progrès » rapide, ces jours-ci, de cette « logique » ravageuse fait brutalement sentir aux peuples à quel point ils sont démunis sous le règne de ces mafias ; à quel point ils sont condamnés à subir les décisions de leurs « parrains » jusqu'à leurs caprices les plus délirants et les plus meurtriers.
Voilà, aujourd'hui, ces « citoyens » chimériques -car dépourvus de toute souveraineté- contraints de s'en remettre à une bande bancale de petits Manitous pour essayer de ne pas subir les scalps dont les menacent les grands Sachem. A défaut d'avoir su se dégager des carcans les tenant asservis à la machinerie qui les détrousse et les bousille, ils doivent compter sur ceux qui les maltraitent « modérément » pour les protéger de ceux qui promettent de les maltraiter plus méchamment. Contre les ogres géants, qui menacent de les cuire au feu nucléaire pour mieux les bouffer, il leur est fortement conseillé de soutenir les croque-mitaine qui promettent de continuer à les mordre de manière « civilisée » : sans les dévorer complètement. L'heure n'est pas à poursuivre l'envie de « dégager » ces sangsues qui avait gagné certaines de leurs victimes et produit quelques soulèvements séditieux. Le désir d'une société meilleure, que manifestaient hier encore ces rétifs au « bonheur » marchand, ils peuvent l'enfouir dans leurs poches avec par dessus, un mouchoir plein de crachats. Quand l'ennemi est aux portes de la cité, ce n'est pas le moment d'essayer d'échapper à la galère. Il faut, au contraire, que ceux qui sont enchaînés dans sa cale, rament plus fort, car c'est leur seul abri. Pour vivre encore, il faut qu'ils acceptent de mal vivre ; de vivre prisonniers d'une cage capitonnée, en admettant qu'on réduise leur « ordinaire » toujours plus.
Qu'ils se taisent, donc, ceux qui maintiennent que seule la construction d'une société libérée des saigneurs qui l'oppriment et du système qu'ils servent pourrait arrêter la course mondiale de l'humanité vers le gouffre, et que, quitte à tomber sur un champ de bataille, autant que ce soit celui de la guerre sociale. L'invocation de l'urgence à se serrer les coudes entre truands et truandés doit servir à bâillonner ces perturbateurs. Que personne ne se souvienne de l'esprit de certains résistants d'hier, dans une situation similaire : résister véritablement aux tyrans c'est abattre le système qui les a fait naître.
Gédicus,
Le 9 mars 2025
04.03.2025 à 10:54
La lune au fond de l'eau
Texte intégral (2301 mots)

Quand mon quotidien me laisse dans une impression de désœuvrement, que j'erre dans les rues pour tromper ma fatigue ou ma mauvaise humeur et n'ai pas les ressources pour retrouver du sens et de l'allant, je pars les retrouver loin du centre, au café-librairie La Lune au fond de l'eau. Dans une petite rue ombreuse, d'apparence assez misérable, ce lieu cachait bien ses trésors dans ses premiers mois d'existence, mais sa jolie devanture en bois et une enseigne ont depuis été exécutées par deux amies du collectif qui l'a créé [1].
C'est un établissement qui a beaucoup évolué depuis ses débuts, de manière empirique, mais son principe essentiel est resté inchangé. Il s'agit de se plonger dans un siège moelleux et dans un livre, pour quelques minutes, ou plusieurs heures.
Ma principale angoisse est de ne pas trouver un coin où m'asseoir lorsque j'y pénètre. Il n'y a guère que quatre vieux canapés (les plus prisés car ils sont les sièges dans lesquels on s'enfonce le plus profondément), et quelques fauteuils et vieilles chaises disséminés çà et là.
Le lieu pourtant n'est pas minuscule, mais seul l'espace central est dévolu à la détente. Autour, contre deux murs, l'espace librairie finit immanquablement par m'arracher à mon fauteuil convoité et aussitôt investi par une prédatrice en quête d'une place assise ; je me plonge alors dans la contemplation des nouveaux livres présentés aux lectrices, les feuillette, me rassois sur un bord de marche.
La Lune au fond de l'eau, ce ne sont jamais que cent livres : chacun est présenté sur l'ouvroir vertical de l'un des cent casiers répartis sur les deux murs latéraux du local – à l'intérieur de ces boîtes, quelques exemplaires neufs sont proposés à l'achat. Il m'arrive de revenir plusieurs jours de suite pour lire intégralement un livre présenté. J'aime tordre un peu ces ouvrages passés entre de nombreuses mains, parfois soulignés comme si on avait voulu me dire « Là, regarde ! » La lecture en devient une activité moins solitaire. Parfois, malgré tout, je finis par acheter un exemplaire neuf, non par honte de n'avoir pas payé, mais parce qu'il m'est devenu cher et intime.
Chaque livre est accompagné d'une fiche bristol sur laquelle la personne qui l'a sélectionné explique les raisons de son attachement pour lui et mentionne son nom. Je fais partie des gens qui, parfois, ajoutent quelques mots à ces avant-propos externes. Les habituées finissent donc par savoir avec quelle libraire elles partagent le plus d'affinités, mais aussi avec quelles lectrices. Chaque personne participant à l'organisation de ce lieu renouvelle deux livres de son choix par mois. On trouve tout aussi bien des essais que des bandes dessinées, de la poésie, de la littérature jeunesse,… Aux classiques incontournables, majoritaires les premiers mois d'ouverture, ont succédé plus de raretés. Les visiteuses les plus régulières finissent par imprimer un peu leur marque aussi. J'ai moi-même eu le plaisir de voir des lectrices feuilleter Notre part de nuit (que j'avais fait lire à ma libraire favorite avant qu'elle ne le mette en présentation), guettant avec avidité leur réaction tout en faisant semblant d'être plongée dans mon livre. Cent livres, c'est peu, mais ce sont cent livres choisis, qui changent petit à petit, nous évitant ce sentiment de submersion que l'on peut éprouver dans les librairies traditionnelles.
À La Lune au fond de l'eau, il semble que tout ce qui vient vers vous vous est véritablement adressé. Ainsi, si un morceau de musique est diffusé (cela arrive une fois par heure peut-être), vous pouvez être sûre qu'il n'est pas simplement là pour combler quelque vide, mais qu'une personne l'a dégoté comme elle a déniché pour vous des livres, se faisant par avance un plaisir de le partager. Je ferme mon livre alors, et j'écoute.
Lorsque je m'attarde à La Lune, je suis heureux de trouver un livre inconnu, mais je crois l'être plus encore lorsque je découvre une affinité commune pour un ouvrage que j'ai déjà lu, qui me donne immanquablement l'impulsion de partager mon enthousiasme avec la libraire qui l'a choisi : retrouver le cycle de Titus d'Enfer, L'Ange des ténèbres de Sábato ou Les Aventures de la marchandise dont j'ai longuement parlé avec Xavier,... a soulevé en moi la même joie que si j'avais recroisé une vieille amie après des années sans nouvelles… L'intérêt de ce lieu, plus encore que la découverte de véritables pépites livresques (pourtant si précieuse lorsqu'on atteint un certain âge), réside dans les occasions de conversations, formant le point de départ de relations continuées en dehors de La Lune. Les libraires font tout pour favoriser ces interactions, repoussant régulièrement l'heure de fermeture pour organiser des moments de conversation collective autour de références devenues communes.
Je me souviens des ricanements avec lesquels mes amis et moi parlions des gens incapables de soutenir une discussion sans ériger Google en arbitre des conversations, avant de céder nous-mêmes, défaits. J'ai aussi bravement, orgueilleusement résisté des années aux sollicitations des réseaux, avant de me soumettre à Whatsapp, sans lequel toute vie sociale est devenue si compliquée. Depuis, malgré ma reddition tardive, je sens mon téléphone me lancer, à tout moment, comme une faim, comme une poussée de mes nerfs. Je ne parviens jamais longtemps à lui résister. Aucune activité, aucune conversation ne peut être menée sans qu'il ne vienne rompre sa continuité.
Aussi ai-je gardé pour la fin la particularité la plus marquante de La Lune au fond de l'eau, qui contribue à cette facilité de rencontres qui y saute aux yeux : il s'agit de l'interdiction de l'usage du téléphone.
Une inscription bien nette sur la vitrine, « No Phone Zone », vous prévient que ce problématique accessoire est prohibé au sein du café-librairie. Un petit comptoir à droite de l'entrée sépare le client d'une étagère à casiers, bâtie sur le modèle des boîtes-à-doudous des crèches ; vous êtes prié de déposer votre téléphone. Vous êtes infantilisé mais vous l'avez bien mérité. Une petite étiquette numérotée vous permet de le récupérer lorsque vous repartez. Tout le temps que vous passez dans ce lieu sera donc dévolu à ce qui y est contenu : les livres, les libraires, les gens ; désormais, mes proches et mes relations professionnelles savent que si je ne réponds pas, c'est que je suis à la Lune. Une bonne part du succès de ce lieu, j'en suis persuadé, réside dans cette ablation.
Cette règle ne s'applique pas toujours sans heurts ; les libraires ont nombre d'anecdotes intéressantes à ce sujet. Il y a les contestataires qui argumentent autant qu'ils peuvent à l'entrée ; ceux qui trichent et prétendent ne pas avoir de téléphone avant d'être surpris, comme à l'époque du lycée,… J'ai moi-même vu une personne s'indigner violemment, moins par esprit libertaire que par révulsion à l'idée qu'un espace, aussi restreint soit-il, échappe au règne de la communication par écran interposé. C'est la partie la plus désagréable du travail du collectif de La Lune, qui génère des crises quasi-quotidiennes, mais il y a toujours des habitués pour leur prêter main forte auprès de ces récalcitrants. Il est plus amusant de voir chaque fois qu'on approche de la librairie, à côté de l'habituel groupe de fumeurs en manque de nicotine, un autre composé d'accros au téléphone, prenant eux aussi leur dose entre deux plongées dans ce commerce anachronique, même dans les rigueurs de l'hiver. Des mauvaises langues disent qu'on aurait vu, à des heures plus discrètes, une certaine licence s'appliquer en ce qui concerne la consommation de tabac au sein de la librairie, mais l'interdiction du téléphone, elle, y est rigoureusement respectée.
J'ai très vite remarqué que grâce à cette précaution, à La Lune, je lis mieux. Pas de sonneries intempestives, pas de personne impolie décrochant avec un air plus ou moins désolé, pas de sollicitation absurde (la nouvelle vidéo du Palma show au milieu d'une phrase de Musil ou d'une conversation stimulante). Je dirais même que j'y ai réappris à lire, à retrouver la continuité de mon attention ; d'autres habitués avouent qu'ils viennent précisément pour que leur téléphone leur soit retiré. Il semble bien qu'on en soit arrivé là.
Cette interdiction, associée à toutes les particularités d'agencement et d'organisation de ce lieu, explique à quel point La Lune au fond de l'eau est favorable à l'apparition d'ambiances inconnues ailleurs. J'y éprouve moi-même régulièrement comme une impression de décrochage. Suivant le moment du jour où je choisis de venir, l'atmosphère change, depuis le calme du matin propice à plus de concentration dans la lecture, jusqu'à l'approche de la fermeture où clairement tout le monde est là pour discuter, en passant par l'heure plus familiale du goûter.
Mais ce qui m'étonne toujours est que tous ces moments partagés dans ses murs me paraissent dégager une égale puissance contestataire : les réunions du soir assez nombreuses, après la fermeture, rendent évidente cette volonté de se servir de ce lieu comme tête de pont d'actions de résistance, voire, dit-on, de nuisances [2] ; mais je me suis un jour surpris à éprouver cette même satisfaction contestataire alors que je m'accordais le plaisir simple de faire découvrir à une petite fille Max et les Maximonstres. Je crois pouvoir dire que ce sentiment s'explique par le fait qu'à La Lune on respire un même air, un air moins vicié que celui qu'on inhale presque partout ailleurs. Je ne suis pas naïf, ce lieu reste un commerce. Mais il demeure dans les esprits de ses créateurs comme un moyen pour financer autre chose : un nouveau moment collectif tel qu'un concert, le soutien à une action politique ou à un autre groupe en péril,...
Tout n'est pas idyllique dans l'arrière-cuisine de La Lune au fond de l'eau. J'ai même ouï-dire que ce n'est pas sans dissensions ni implacables exclusions que la décision de se désintéresser de l'indéniable potentiel lucratif de ce commerce a été prise. Mais si un jour la Lune devait couler jusqu'à disparaître dans la vase des bas-fonds, si elle devait se dévoyer, je ne serai pas de ceux qui se félicitent d'un tel échec pour se conforter dans l'idée que toute initiative de ce genre est vouée à la corruption. Le plus important est que, à un moment, ça a marché. Si la petite flamme qui m'y réchauffe si souvent finit par s'éteindre, je n'oublierai pas qu'elle a un temps brûlé ; et c'est une exception vraiment notable au milieu de tous ces espaces commerciaux qui véritablement sentent le cadavre. [3]
[1] Les noms de groupes sont au féminin dans la première section de ce texte et au masculin dans la seconde.
[2] La récente interpellation de l'auteure du très réussi « Faire de la Côte d'Azur un nouveau Gaza » graffé sur le mur de la préfecture, suivie d'une visite houleuse de la police dans le café-librairie, sont ainsi deux événements dont les amis de La Lune ont pu tirer un juste orgueil.
[3] Ce texte s'inspire librement d'un splendide article de George Orwell (The Moon Under Water). Sa traduction est disponible dans le tome 3 d'Essais, articles et lettres, recueil publié par l'Encyclopédie des Nuisances et Ivrea.
04.03.2025 à 10:43
Livraisons à domicile et plateformisation du travail
Un lundisoir avec le sociologue Stéphane Le Lay
- 3 mars / lundisoir, 2, Positions, Cybernétique, Avec une grosse photo en hautTexte intégral (4486 mots)

Fabien Lemozy et Stéphane Le Lay, sociologues du travail, ont mené une vaste enquête sur les livreurs à vélo qui pédalent toute la journée dans le cœur des métropoles pour rassasier la petite bourgeoisie pressée. Ils y voient le déploiement d'un nouveau stade du capitalisme, sa plateformisation ; ou comment les plateformes numériques et les nouvelles technologies qui tiennent dans nos poches révolutionnent l'organisation même du travail, c'est-à-dire l'exploitation et la domination des corps.
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Voir les lundisoir précédents :
Le droit est-il toujours bourgeois ? - Les juristes anarchistes
Cuisine et révolutions - Darna une maison des peuples et de l'exil
Faut-il voler les vieux pour vivre heureux ? - Robert Guédiguian
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Avec les mineurs isolés qui occupent la Gaîté lyrique
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La barbarie n'est jamais finie avec Louisa Yousfi
Virginia Woolf, le féminisme et la guerre avec Naomi Toth
Françafrique : l'empire qui ne veut pas mourir, avec Thomas Deltombe & Thomas Borrel
Guadeloupe : État des luttes avec Elie Domota
Ukraine, avec Anne Le Huérou, Perrine Poupin & Coline Maestracci->https://lundi.am/Ukraine]
Comment la pensée logistique gouverne le monde, avec Mathieu Quet
La psychiatrie et ses folies avec Mathieu Bellahsen
La vie en plastique, une anthropologie des déchets avec Mikaëla Le Meur
Anthropologie, littérature et bouts du monde, les états d'âme d'Éric Chauvier
La puissance du quotidien : féminisme, subsistance et « alternatives », avec Geneviève Pruvost
Afropessimisme, fin du monde et communisme noir, une discussion avec Norman Ajari
Puissance du féminisme, histoires et transmissions
Fondation Luma : l'art qui cache la forêt
L'animal et la mort, entretien avec l'anthropologue Charles Stépanoff
Rojava : y partir, combattre, revenir. Rencontre avec un internationaliste français
Une histoire écologique et raciale de la sécularisation, entretien avec Mohamad Amer Meziane
LaDettePubliqueCestMal et autres contes pour enfants, une discussion avec Sandra Lucbert.
Basculements, mondes émergents, possibles désirable, une discussion avec Jérôme Baschet.
Au cœur de l'industrie pharmaceutique, enquête et recherches avec Quentin Ravelli
Vanessa Codaccioni : La société de vigilance
Comme tout un chacune, notre rédaction passe beaucoup trop de temps à glaner des vidéos plus ou moins intelligentes sur les internets. Aussi c'est avec beaucoup d'enthousiasme que nous avons décidé de nous jeter dans cette nouvelle arène. D'exaltations de comptoirs en propos magistraux, fourbis des semaines à l'avance ou improvisés dans la joie et l'ivresse, en tête à tête ou en bande organisée, il sera facile pour ce nouveau show hebdomadaire de tenir toutes ses promesses : il en fait très peu. Sinon de vous proposer ce que nous aimerions regarder et ce qui nous semble manquer. Grâce à lundisoir, lundimatin vous suivra jusqu'au crépuscule. « Action ! », comme on dit dans le milieu.