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23.06.2025 à 17:04

Investir dans l’art contemporain : comment est déterminée la valeur d’un artiste ?

Benoît Faye, Full Professor Inseec Business School, Chercheur associé LAREFI Université de Bordeaux Economiste des marchés du vin, de l'art contemporain et Economiste urbain, INSEEC Grande École
Comment est déterminée la cote d’un artiste sur le marché ? Vaut-il mieux être hyperspécialisé ? Ou diversifier son travail ?
Texte intégral (1249 mots)

Comment est déterminée la valeur d’un artiste sur le marché de l’art ? Une variable joue un rôle non négligeable. Qui de l’artiste hyperspécialisé ou du touche à tout a le plus de chance d’avoir la cote la plus élevée ? Une étude indique des pistes à explorer.


Le marché de l’art contemporain a retrouvé des couleurs. En 2024, selon l’observatoire d’Artprice, les ventes aux enchères ont retrouvé leur niveau d’avant la pandémie. Pourtant, investir dans l’art reste une aventure semée d’incertitudes, où le rendement dépend uniquement du prix futur de l’œuvre.

Dans ce contexte, un choix stratégique se pose aux artistes comme aux investisseurs : faut-il miser sur des artistes aux pratiques diversifiées ou sur des créateurs profondément ancrés dans une seule discipline ? Cette question touche à la valeur même de l’œuvre, à sa reconnaissance, et bien sûr… à son prix.


À lire aussi : De l’atelier au marché de l’art : les ressorts du succès de POUSH, un jeune lieu créatif


Creuser… ou s’éparpiller ?

Deux philosophies s’affrontent. La première, défendue notamment par Gilles Deleuze, célèbre la maîtrise d’un médium unique, poussée à son plus haut niveau d’expertise. Deborah Butterfield et ses sculptures équines, Chéri Samba et ses scènes de vie colorées, Lynette Yiadom-Boakye et ses portraits peints à la palette brune, ou encore Desiree Dolron et ses portraits photographiques sombres, incarnent cette fidélité à une esthétique, à une grammaire artistique. Associant la création à une forme d’expertise radicale, ils creusent un sillon, affirment un langage, un style.

À l’opposé, une seconde école, incarnée par Mathias Fuchs, défend l’interdisciplinarité comme moteur de créativité. L’artiste y devient un explorateur, franchissant sans cesse les frontières entre peinture, sculpture, photographie, installation ou design. Rosemarie Trockel, Jan Fabre ou Maurizio Cattelan illustrent cette logique : des trajectoires multiples comme autant de réceptacles d’un même processus créatif.

Mais, au-delà de ces postures créatives, que disent les données sur la reconnaissance artistique et la valeur marchande que ces choix impliquent ? Une récente étude publiée en avril 2025 dans la revue académique Finance Recherche Letters, menée auprès de 945 artistes vivants, issus du Top 1 000 du classement Artprice apporte des réponses inédites à ce dilemme.

Un marché peut être irrationnel… mais pas sans logique

Dans un monde où l’art reste un actif faiblement rentable et coûteux à acquérir et détenir, comprendre ce qui fait (ou défait) la valeur d’un artiste est crucial. Sociologues et économistes s’accordent à dire que la reconnaissance artistique ne se mesure pas objectivement. Elle repose sur une convention entre trois parties : les instances artistiques (musées, galeries, institutions, collectifs d’artistes), le marché (enchères, galeries) et les médias (presse spécialisée ou généraliste, réseaux).

Tous contribuent à établir, à maintenir ou à contester la légitimité d’un artiste. Les parties ne sont pas nécessairement exclusives et partagent certains de leurs membres (galeries et experts des maisons d’enchères, par exemple). Reste qu’un accord dans la convention, favorable ou défavorable à l’artiste, définit la qualité et qu’un désaccord crée une incertitude. C’est aussi dans cet espace indéfini que la spéculation peut prendre place.


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Notre étude, s’est intéressée à l’impact de la diversification artistique sur deux indicateurs clés : la valeur marchande cumulée (somme des valeurs de vente entre 2000 et 2020), mesurée par Artprice, et la reconnaissance artistique, mesurée par le classement ArtFacts. La diversification artistique est mesurée grâce aux données provenant d’Artnet sur la répartition des ventes de l’artiste par discipline. Nous avons contrôlé de nombreuses variables (âge, genre, origine, volume de production, mouvement artistique, etc.) et utilisé les données de Google Trends comme indicateur de notoriété médiatique.

La diversité paie… mais pas pour tout le monde

Premier constat : plus un artiste pratique de disciplines différentes, plus il est reconnu par les instances artistiques et valorisé par le marché. Ce lien est quasi linéaire, à une exception notable : chez les photographes, la concentration sur un seul médium renforce la légitimité.

Cependant, la diversité des disciplines n’est pas dissémination de la production. Explorer plusieurs médiums tout en restant centré sur un seul n’a pas le même effet que de répartir équitablement sa production. Globalement, cette dissémination, mesurée par un indice de concentration, n’a pas d’impact significatif sur la valeur marchande, mais accroît la reconnaissance artistique.

Explorer ces relations entre dissémination et valeur ou reconnaissance artistique, selon le niveau de prix ou la discipline d’origine, ajoute quelques nuances. L’effet de la dissémination sur la valeur marchande se révèle significativement positif pour les peintres, les photographes et les artistes les moins valorisés. En revanche, la relation croissante entre dissémination et reconnaissance artistique reste vraie, quelle que soit la discipline d’origine ou le niveau de reconnaissance.

B smart 2025.

L’interdisciplinarité est donc un levier de reconnaissance artistique voire pour certains de valorisation marchande. Mais de tels résultats soulèvent de nombreuses questions. D’une part, l’artiste n’est pas seul à établir une stratégie créative, et une approche plus qualitative, relationnelle, des déterminants de ses choix de carrière s’avère nécessaire. D’autre part, dans un monde où les frontières de l’art se déplacent sans cesse – avec l’émergence de l’art numérique, des NFT ou de la création assistée par intelligence artificielle –, la question de l’interdisciplinarité ne fera que gagner en importance.


Avec la précieuse collaboration de Jeanne Briquet et d’Ylang Dahilou.

The Conversation

Benoît Faye ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

22.06.2025 à 00:03

« Les Trois Mousquetaires » : comment l’œuvre d’Alexandre Dumas influence la perception de l’Histoire de France

Philippe Ilial, Professeur de Lettres-Histoire. Chargé de cours en Histoire Moderne. Chercheur associé au CMMC, Université Côte d’Azur
De la littérature française à Hollywood, entre fidélité historique et liberté créative, retour sur une œuvre qui a profondément marqué l’imaginaire culturel collectif.
Texte intégral (2028 mots)

Avec sa trilogie les Trois Mousquetaires, Alexandre Dumas mêle réalité historique et fiction héroïque, contribuant à façonner une perception populaire et parfois idéalisée de certaines époques de l’Histoire de France.


La trilogie composée par les Trois Mousquetaires (1844), Vingt ans après (1845) et le Vicomte de Bragelonne (1850), se déroule dans la France du XVIIe siècle, une période tumultueuse marquée par des intrigues de cour, des conflits politiques et des guerres.

Alexandre Dumas père (1802–1870) transforme cette époque en un décor épique où les mousquetaires, figures de loyauté et d’héroïsme, incarnent des valeurs de bravoure, d’amitié et de fidélité.

Ces ouvrages ont diverti les lecteurs, mais ont aussi nourri la perception de l’Histoire française des lecteurs puis plus tard des spectateurs – dès qu’Hollywood s’est emparé du thème. Entre fidélité historique et liberté créative, cette œuvre a profondément marqué l’imaginaire culturel collectif.


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Entre fidélité historique et liberté créative

Dumas utilise l’Histoire comme une toile de fond, un canevas sur lequel il brode des intrigues souvent complexes. Pour écrire les Trois Mousquetaires, il s’appuie sur des documents tels que les Mémoires de Monsieur d’Artagnan, rédigées par Courtilz de Sandras en 1700, un polygraphe et ancien mousquetaire lui-même, une source qui lui permet de s’imprégner des événements et personnages de l’époque. Cependant, Dumas ne se soucie pas de la précision historique au sens strict. Il est romancier et choisit de sacrifier la rigueur historique à la vivacité de son récit, comme en témoigne la chronologie très libre de certains événements ou l’invention de personnages qui n’ont jamais existé.

La démarche de Dumas se situe à mi-chemin entre le roman historique et le roman d’aventures. Certains faits sont authentiques comme la rivalité entre Richelieu et Buckingham au siège de la Rochelle, point d’orgue de l’opposition entre la France et l’Angleterre soutien des protestants, mais l’auteur se permet d’ajouter des éléments fictifs pour mieux captiver son lecteur, n’oublions pas que l’œuvre est avant tout conçue comme un feuilleton littéraire (paru dans le journal La Presse dès 1844). Il préfère dramatiser les faits plutôt que de les relater avec exactitude. Il insiste, par exemple, sur les rivalités et les duels alors que le fameux siège de la ville est avant tout un évènement militaire.

Ce parti pris témoigne de son ambition : donner à l’histoire une dimension romanesque où l’action, le suspense et l’émotion priment sur la véracité des événements. Ainsi sa trilogie n’est surtout pas à prendre comme un livre d’histoire.


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Les figures historiques telles que Richelieu, Louis XIII ou encore Anne d’Autriche sont au cœur de la trilogie. Dumas les adapte à son intrigue, créant des personnages plus grands que nature. Richelieu, par exemple, devient un symbole de manipulation politique et d’intrigues secrètes, bien plus machiavélique dans le roman que ce qu’il fut en réalité. D’Artagnan, Athos, Porthos et Aramis, bien qu’inspirés de personnages ayant peut-être existé, sont eux aussi construits comme des archétypes de l’honneur, du courage et de l’amitié.

Dumas construit ses personnages comme des mythes, des incarnations de vertus ou de vices. En cela, il contribue à une perception de l’histoire où l’héroïsme prend le pas sur le réel. Bien que complexes, les antagonistes sont réduits à une dimension presque « monomaniaque », ils deviennent des stéréotypes comme celui du méchant, du comploteur, de l’espion…

Portrait de l’écrivain français Alexandre Dumas (1802–1870)
Alexandre Dumas père (1802–1870) par Nadar (1855). Wikicommons

Les sauts temporels entre les Trois Mousquetaires et Vingt ans après ou encore le Vicomte de Bragelonne permettent à Dumas d’aborder des époques distinctes tout en conservant une continuité narrative. Les romans couvrent ainsi plusieurs décennies d’Histoire française et donnent au lecteur une impression d’enchaînement logique mais cette liberté narrative conduit à une vision linéaire et simplifiée de l’Histoire.

Une vision héroïque de l’Histoire de France

Par le biais de ses mousquetaires, Dumas construit une vision héroïque et valorisante de l’Histoire de France. D’Artagnan et ses compagnons représentent l’esprit français, capable de résister aux complots et aux conflits pour défendre des idéaux de justice et de loyauté. À travers les aventures des mousquetaires, Dumas véhicule aussi une forme de patriotisme : il montre des personnages qui, malgré les querelles et les luttes de pouvoir, restent attachés à leur pays et à leur roi.

Dumas invente et diffuse une version accessible et romancée de l’Histoire de France. Cette popularisation s’est amplifiée avec les nombreuses adaptations cinématographiques qui ont fait des trois mousquetaires des personnages mondialement reconnus. De Douglas Fairbanks incarnant D’Artagnan en 1921 à Gene Kelly en 1948 dans le film de George Sidney, la trilogie de Dumas compte à ce jour plus de 50 adaptations cinématographiques.

Bande annonce des Trois Mousquetaires, de George Sidney, sorti en 1948.

Le succès de ces adaptations a créé une familiarité avec cette période de l’Histoire chez le grand public. Mais cette popularisation a considérablement simplifié la perception du public concernant des événements comme la Fronde ou les intrigues de Richelieu, négligeant la complexité réelle de ces épisodes historiques dans le sens d’un mythe national comme la rivalité entre Richelieu et Buckingham.

Le but premier de Dumas restait de distraire, passionner son lectorat, pas de lui faire un cours d’histoire. Mais c’est parce que l’histoire est omniprésente, à la fois comme cadre et pourvoyeuse d’intrigues et de personnages, que le lecteur/spectateur à l’impression que tout est vrai.

Dumas s’est permis de nombreux anachronismes en même temps que de grandes libertés avec les faits historiques – comme l’histoire d’amour adultérine entre Anne d’Autriche et Buckingham qui n’a pas existé. Ces inexactitudes sont des choix de narration qui servent l’intrigue. Certains faits sont condensés ou déplacés pour accentuer les tensions dramatiques, comme la surreprésentation de Richelieu dans certaines intrigues. Si ces libertés ont été critiquées par des historiens, elles n’ont pas empêché le public d’adhérer aux aventures des mousquetaires.

Les mousquetaires : figures emblématiques du patrimoine français ?

Les personnages de d’Artagnan, Athos, Porthos et Aramis sont devenus des figures emblématiques du patrimoine culturel français. Ils incarnent des idéaux nobles tels que la bravoure, la camaraderie, et le sens de l’honneur, ce qui fait d’eux des héros intemporels. Dumas a créé des archétypes qui dépassent la littérature et sont devenus des symboles dans l’imaginaire collectif.

Au moment de leur parution, au XIXe siècle, les aventures des mousquetaires font écho aux préoccupations sociales de l’époque, période de bouleversements politiques et sociaux pour la France (révolutions de 1830 et de 1848 notamment). La loyauté des mousquetaires envers leur roi, même en dépit de leurs différends personnels, peut être lue comme une réflexion sur le patriotisme et la fidélité envers l’État dans un contexte postrévolutionnaire.

Enfin, la trilogie des Trois Mousquetaires a exercé une influence durable sur le genre du roman historique, non seulement en France mais aussi à l’international. Dumas a su créer une forme de littérature où l’histoire devient une aventure palpitante sans être pour autant un simple prétexte. Il a en quelque sorte fondé un modèle de fiction historique romancée, qui sera repris et adapté par de nombreux auteurs ; on pense à Paul Féval et son Bossu !

Aujourd’hui encore, cette approche influence la manière dont l’histoire est abordée dans les romans, et même dans les médias audiovisuels comme le cinéma et la télévision. La trilogie des Trois Mousquetaires reste une référence incontournable pour quiconque veut mêler l’histoire à la fiction.

The Conversation

Philippe Ilial est enseignant au lycée ainsi qu'à l'université Côte-d'Azur, il est également rédacteur en chef de plusieurs revues de vulgarisation historique.

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