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17.05.2025 à 13:20

Quand les fromages arrivent en ville

Anne Parizot, Professeur des universités en sciences de l'information et de la communication émérite, Université Bourgogne Europe
Oh lait lait à Bordeaux, Les Frox à Annecy, Marengo à Bayonne… à l’instar des micro-brasseries, les laiteries urbaines font (ou refont) leur apparition dans les villes.
Texte intégral (1730 mots)
Pour se rapprocher de leurs consommateurs gourmets, de plus en plus de laiteries urbaines ouvrent dans l’Hexagone. La manne financière est importante : les Français en mangent 26,5 kg par personne chaque année. Vaillery/Shutterstock

Oh lait lait à Bordeaux, Les Frox à Annecy, Marengo à Bayonne… à l’instar des micro-brasseries, les laiteries urbaines font (ou refont) leur apparition dans les villes. L’image d’Épinal de la laiterie localisée en pleine campagne et liée à une ferme s’estompe. La production de fromages au lait cru a désormais sa place en zone urbaine.


Le locavorisme et les circuits courts ont la cote. En 2020, 63 % des Français étaient prêts à consommer le plus de produits locaux possible pour soutenir l’économie. La pandémie de Covid-19 a modifié le comportement des consommateurs, entraînant de nouveaux modes ou lieu de production et de nouvelles vocations.

Ce phénomène n’est pas nouveau. Au XIXe siècle déjà, des laiteries à Paris, Londres et Copenhague existaient, comme le souligne l’historien Fabien Knittel. Elles répondaient à l’essor croissant de l’urbanisation et la nécessité de fournir du lait frais aux populations. Ces derniers s’approvisionnaient auprès de fermes en périphérie des villes ou développaient des systèmes d’élevage urbain posant des problèmes sanitaires. Leur essor s’établira à partir des années 1860-1880 avec les techniques de pasteurisation et l’industrialisation du lait.

Alors pourquoi son retour au XXIe siècle ?

Boom partout en France

Les laiteries urbaines actuelles transforment le lait issu de circuits courts – fermes périurbaines ou rurales proches –, pour en faire des fromages, du beurre, de la crème. Le phénomène reprend vigueur dans les années 1970 à la suite de la dynamique des circuits courts, d’agriculture urbaine et de relocalisation de la production alimentaire. Ces initiatives répondent à une demande croissante des consommateurs pour les produits locaux, frais et traçables, tout en sensibilisant le public aux enjeux de l’élevage et de la production laitière. Et les Français sont de grands consommateurs de fromage : 27 kg par personne et par an en 2022.

En France, la Laiterie de Paris en 2013 est l’une des premières à transformer du lait local en yaourts et fromages directement en ville. En Europe la Stadtkäserei ouvre à Zurich en Suisse et en Amérique du Nord, le même phénomène se répand. Depuis 2020 l’accélération du phénomène est sensible en France, Belgique et Londres.

L’ouverture des laiteries urbaines n’est pas l’apanage d’une région ou d’une ville. Elles fleurissent sur tout le territoire, souvent dans les moyennes ou grandes villes : Annecy, Bordeaux, Pau et Bayonne, Marseille, Metz et Nancy, Limoges, Brest, Toulouse, Rennes, Avignon, Paris, Saint-Ouen. Et bien sûr la liste est loin d’être close.

Proximité relationnelle

Ces fromagers souhaitent recréer du lien entre consommateurs et producteurs, que la grande distribution a distendu. Face à la main mise sur le secteur des géants du lait, en soutien à l’agriculture en crise et aux commerces de proximité, les consommateurs découvrent ces nouveaux lieux de production, en ville. Cette proximité se fait à un triple niveau :

  • Le lait provient de producteurs locaux, en général de moins de 50 km.

  • La proximité du lieu de vente invite les consommateurs urbains à redécouvrir les productions artisanales au cœur de leur ville.

  • La proximité relationnelle du producteur et du consommateur qui veulent partager des valeurs identiques, des valeurs du terroir.


À lire aussi : Le lait de foin arrive dans nos magasins et ce n’est sans doute pas ce que vous pensez


Le lait de foin, provenant d’animaux nourris exclusivement d’herbe fraîche ou de foin, est par exemple un des produits emblématiques de ces laiteries urbaines. Il renforce le caractère authentique, rural et sain de la production fromagère dans l’imaginaire des consommateurs et qui se fait réalité.

Quête de sens

Ces crémiers de temps modernes recherchent du sens. Ces fromagers urbains sont souvent issus de reconversion, délaissant leur ancien métier au profit d’un engagement. Ce changement radical dans leur vie correspond à leurs valeurs tournées vers le local, l’artisanal et aussi à un engagement plus profond envers la société et ce qu’ils ont envie de vivre. « En 2021, j’ai quitté mon emploi pour me recentrer sur un métier qui a du sens ». Délaisser un travail intellectuel au profit d’un travail manuel pour trouver une satisfaction dans la réalisation concrète des produits.

« Notre boutique située rive droite offre une vue directe sur le laboratoire pour vous dévoiler les différentes étapes de transformation », lit-on sur le site de la Laiterie brestoise.

Cette quête de sens se manifeste aussi par la transparence : de la traçabilité du lait, de la fabrication pour le partage avec les clients. Les opérations de production, d’affinage donnent à voir aux clients sous diverses formes : espaces aménagés, ateliers, fromagers ouverts au public ou encore ateliers de formations professionnelles dans un souci de partage.

Éthique et zéro déchet

Le prix du lait est souvent affiché dans un souci éthique vis-à-vis du producteur comme à la Laiterie de Lyon ou à Paris. Les mots clés « bio, urbain, local et artisanal » sont souvent écrits sur les bouteilles du précieux breuvage.

« C’est simple, on double le prix du lait. On achète leur lait environ 8O centimes d’euros le litre alors que Lactalis est à 35 centimes », rappelle Pierre Coulon, le fondateur de la Laiterie de Paris.

Certaines laiteries urbaines vont encore plus loin dans leur engagement écologique. Elles proposent des consignes pour les bouteilles de lait ou de yaourts comme à Marseille ou valorisent le zéro déchet comme à Limoges.

Innovations gustatives

Si la France est le pays du fromage, la liste des produits n’a pas fini de s’enrichir… Ces laiteries-fromageries urbaines développent leurs propres créations alliant savoir-faire traditionnel et innovation. La transformation en ville permet d’expérimenter de nouveaux profils sensoriels et des méthodes d’affinage atypiques : croûtes atypiques, textures particulières ou arômes qui évoluent différemment de ceux produits en milieu rural traditionnel.

À Marseille, la laiterie urbaine revendique une identité voir un terroir lié à cette production avec saveurs méditerranéennes : zaatar, épices, coagulation à la figue et au citron. La laiterie de Paris propose un « sakura », un chèvre affiné à la fleur de cerises.

Au-delà du simple produit, ces initiatives visent souvent à éduquer le public aux enjeux de la production locale durable. Ces lieux deviennent des lieux de rencontres et d’échanges où la démarche artisanale et écologique est mise en avant. Ces laiteries urbaines reposent souvent sur une vision éthique et écologique où l’humain est aussi au centre tant côté producteur de lait que consommateur. La laiterie de La Chapelle accueille des classes pour former les jeunes enfants. De futurs amateurs de lait, de beurre et de fromage ?

The Conversation

Anne Parizot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

15.05.2025 à 16:21

Pourquoi le « recyclage bashing » est une erreur

Agathe Jarry, Coordinatrice du Pôle Recyclage, Ademe (Agence de la transition écologique)
Cécile Mugnier, Cheffe du service Ecoconception et Recyclage à l'ADEME (Agence pour la transition écologique), Ademe (Agence de la transition écologique)
Raphaël Guastavi, Chef du service Ecoconception & Recyclage, Ademe (Agence de la transition écologique)
Le recyclage peut s’améliorer et ne doit pas se substituer à la réduction de la pollution à la source. Mais continuer à le développer reste indispensable.
Texte intégral (1888 mots)

De plus en plus critiqué, le recyclage, en particulier celui des déchets plastiques, souffre d’une image parfois injuste. S’il ne doit pas se substituer à la sobriété pour préserver les ressources, il n’est pas réaliste d’envisager la transition écologique sans lui. Plutôt que d’opposer le recyclage au réemploi ou à la réparation, utilisons-le comme un marchepied pour faire évoluer l’industrie et les consommateurs vers des méthodes de production et des habitudes au moindre impact environnemental. De quoi renforcer par la même occasion notre souveraineté économique.


Le recyclage fait régulièrement l’objet de critiques, en particulier dans la presse grand public. Parmi les reproches adressés, citons le faible taux de recyclage des plastiques, la focalisation sur l’insuffisance des efforts individuels, ou encore, le risque de greenwashing associé. Si tout peut être recyclé, à quoi bon consommer moins ? Le risque serait d’omettre le cœur du problème, à savoir nos modèles économiques : le fait que la production et la consommation de plastique continuent d’augmenter.

Ces critiques sont audibles et comportent une part de vérité. Les technologies de recyclage demeurent imparfaites et compliquées. D’abord parce qu’il faut traiter un large panel de matériaux dotés de qualités différentes, souvent difficiles à séparer, voire utilisés en mélange. Cela est vrai pour les résines plastiques et leurs nombreux « grades » (c’est-à-dire, formulations pour répondre à des besoins de qualité différents), souvent dans le viseur. Cela vaut aussi pour les alliages métalliques, les textiles, etc.

De fait, le recyclage ne doit pas être le premier levier de la transition écologique. La priorité principale reste la réduction de nos déchets à la source, d’abord en produisant et en consommant moins en amont, puis en généralisant des pratiques comme l’écoconception des produits, le réemploi, la réparation, le reconditionnement et la remanufacture (remise à neuf industrielle).

Des solutions que les pouvoirs publics, notamment via l’Agence de la transition écologique (Ademe), encouragent par des dispositifs d’aide et d’informations aux entreprises et aux citoyens, comme Longue Vie aux objets ou l’indice de réparabilité. Mais ils requièrent une volonté politique forte et un plan de développement de longue haleine, que ce soit à l’échelle de l’Europe ou de la France.

Faut-il pour autant rejeter en bloc le principe du recyclage au motif de ses insuffisances ? Dénigrer massivement cette pratique paraît, malgré ses limites, contre-productif, voire dangereux.

Une industrie imparfaite mais indispensable

Sur les 3,7 millions de tonnes de déchets plastiques liés à la consommation qui étaient générés annuellement en 2021 (dont près de 2/3 d’emballages ménagers, industriels et commerciaux), 930 000 tonnes ont été collectées en vue du recyclage. Ce flux est complété par les déchets de fabrication de l’industrie manufacturière afin d’alimenter les usines de recyclage françaises et européennes. Les plasturgistes français réincorporaient ainsi 715 000 tonnes de matières recyclées dans leurs produits en 2020.

Comme tout procédé industriel, le recyclage est imparfait. Les rendements associés sont forcément inférieurs à 100 %, le procédé consomme de l’énergie (essentiellement électrique et décarbonée en France, pour le recyclage mécanique de plastique) et de l’eau.

Il induit également un risque de pollutions autour des sites : dans le cas des plastique, le risque de fuites microplastiques est réglementé. Il reste toutefois largement moins significatif, en termes d’ordre de grandeur, que les 4,8 à 12,7 millions de tonnes de plastique non traité qui s’accumulent dans les océans chaque année.

Enfin, ces impacts sont moins importants que si l’on utilisait, à usage équivalent, des ressources naturelles vierges. Le recyclage mécanique d’une tonne de plastique permet ainsi d’économiser 2,7 tonnes de CO₂ eq par tonne de plastique recyclé, tout en évitant les effets négatifs de la production de plastique vierge et de l’incinération ou de l’enfouissement du déchet final.

Se passer du recyclage des biens de consommation en fin de vie est impossible. Et cela, y compris quand tous les autres leviers évoqués plus haut (réemploi, reconditionnement, réparation…) seront activés à leur maximum. En bout de chaîne, il vaudra toujours mieux les recycler que les enfouir ou les incinérer. Le traitement de ces déchets se déroulera toujours dans de meilleures conditions dans une usine française ou européenne qu’ailleurs, grâce à des réglementations plus protectrices de l’environnement.


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Le recyclage permet ainsi de diminuer la production de plastique vierge à partir de pétrole pour fabriquer les mêmes objets et la pollution associée (extraction des ressources fossiles, émissions de GES…). Au-delà des plastiques, ce raisonnement est valable pour tout type de matériaux.

Même dans une économie qui sera, à terme, fondée sur la sobriété, il restera toujours des objets indispensables à produire. Certains peuvent l’être avec du plastique recyclé dès aujourd’hui. D’autres, de conception plus complexe ou à plus haute valeur ajoutée, exigent d’améliorer les technologies de recyclage actuelles. En amont, cela impose aussi d’améliorer la recyclabilité des produits fabriqués.

Favoriser la démarche d’écoconception

Par recyclabilité, on entend la capacité d’un bien à être collecté, trié et retransformé en matière de qualité dans les infrastructures opérationnelles de la chaîne du recyclage.

Il doit pour cela être écoconçu. Pour recycler davantage et mieux les déchets de demain, il faut dès aujourd’hui fabriquer les objets en privilégiant des matériaux facilement recyclables au vu des techniques actuelles et des circuits de collectes existants, en créant des pièces détachables et remplaçables, en proscrivant des matériaux non séparables ou en mélange ou le recours à des substances additives et couleurs perturbatrices de recyclage, voire contaminantes ou préoccupantes.

Ainsi, l’exigence de recyclabilité d’un produit favorise l’action sur d’autres leviers. Une démarche visant à produire un bien recyclable mène souvent les industriels à élargir leur démarche pour concevoir en un produit réparable, réemployable, reconditionnable, et plus respectueux de la santé du consommateur et de l’environnement.

Les différents leviers pour réduire notre production de déchets sont donc compatibles avec le fait d’améliorer la recyclabilité de ces déchets. De fait, opposer les approches peut s’avérer contre-productif.

Inciter à des changements de comportements

De la même façon, encourager le tri même si le procédé de recyclage est encore imparfait peut favoriser des changements de comportements individuels plus profonds à terme. Or certains messages tronqués peuvent aujourd’hui décourager le citoyen de trier. Qui n’a pas entendu que moins de 5 % des pots de yaourt étaient recyclés ?

En réalité, il devrait plutôt être dit qu’environ (et seulement) 5 % des pots de yaourt consommés sont collectés dans les poubelles dédiées aux emballages. Mais que la bonne nouvelle est que la très grande majorité de ce petit volume collecté est trié puis recyclé dans une filière dédiée.

Mal contextualisés, ces chiffres peuvent donner au consommateur le sentiment que trier est inutile, voire l’en dissuader.

Pourtant, le tri est sans doute le changement de comportement en faveur de l’environnement le plus immédiatement accessible à toutes et tous. Et ceci sans distinction de revenus, de temps disponible ou d’horaires de travail, d’âge, de localisation géographique ou de mobilité. Ce n’est pas encore le cas de la consommation bio, locale ou en vrac, par exemple. Avec la bonne information, tout citoyen a à sa disposition les outils pour trier ses déchets. Il peut en cela être une première marche vers une réflexion sur sa consommation.

Cette désincitation à trier peut aussi avoir des effets négatifs sur la chaîne du recyclage. En effet, la pérennité économique de ces filières est un équilibre entre offre et demande. Plus l’industrie aura de matière à recycler grâce au tri des citoyens, plus elle investira dans des projets innovants pour mieux recycler ces déchets. Inversement, sans tri, les gisements ne seront pas suffisants pour investir dans le recyclage, profitant ainsi à l’extraction de matières vierges et au gaspillage de ressources…

Bien sûr, des progrès organisationnels, logistiques et technologiques sont encore nécessaires. Ils permettront de déployer le tri à la source, améliorer la qualité du surtri après collecte, innover en matière de décontamination et de recyclage mécanique ou encore de fabriquer à partir de matière recyclée des produits à haute valeur ajoutée.

Les possibilités sont nombreuses : incitations au tri auprès des citoyens avec la tarification incitative, centres de tri plus performants, recyclage chimique (solution de la dernière chance pour les produits les moins recyclables et les débouchés les plus exigeants), etc. Les efforts de sensibilisation du consommateur, d’aide à la R&D et à l’investissement pour soutenir cette dynamique de progrès en cours doivent être poursuivis. Cela n’est en rien incompatible avec une politique de déploiement massif de tous les autres leviers de réduction de consommation de matières.

À l’heure où se négocie le traité mondial contre la pollution plastique, et où la France paye à l’Europe 5 milliards d’euros par an au titre de ses emballages plastiques non recyclés, toutes les solutions doivent être intensifiées en parallèle.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

15.05.2025 à 12:22

Peut-on concilier relance minière en France et préservation de la biodiversité ?

Gwenaelle Flieller, Ingénieur d'étude, Université Savoie Mont Blanc
Andrea Rangel Guevara, Postdoctoral researcher, Université Savoie Mont Blanc
Aude Pommeret, Full Professor, IAE Savoie Mont Blanc
Face aux tensions qui pèsent sur l’approvisionnement en métaux critiques, la France songe à relancer son industrie minière. Mais reste à savoir si c’est compatible avec la protection de la nature.
Texte intégral (2578 mots)

Face aux tensions qui pèsent sur l’approvisionnement en métaux critiques, la France et l’Union européenne songent à relancer l’industrie minière. Mais reste à savoir si ce renouveau minier est compatible avec la protection de la nature. Un projet de recherche entend fournir au législateur les outils pour répondre à cette question.


Pour faire face à l’urgence climatique, différentes mesures de politique publique ont été prises au sein de l’Union européenne pour assurer la transition énergétique. En 2019, la Commission européenne a adopté le pacte Vert, qui ambitionne d’atteindre un objectif de zéro émission nette d’ici à 2050.

Pour y parvenir, il est crucial de décarboner l’économie, ce qui passe par le développement des énergies renouvelables et de la mobilité électrique. Dans un contexte de tensions sur l’approvisionnement en plusieurs matières premières critiques pour la décarbonation, notamment des métaux (lithium pour les batteries électriques, par exemple), l’UE a également légiféré sur cette question en 2024.

La question du renouveau minier en France est ainsi au cœur du débat avec de nombreux questionnements sur les risques géopolitiques de tensions sur les marchés, le risque de pollution lié notamment aux activités d’extraction et de raffinage des métaux et le risque de perte de biodiversité.

En effet, dans le même temps, l’Union européenne a également adopté une stratégie en faveur de la biodiversité, qui doit restaurer un certain nombre d’écosystèmes à l’horizon 2030. Ces deux objectifs – relance minière en France et préservation de la biodiversité – sont-ils conciliables, et à quelles conditions ?

Des métaux critiques pour la transition

De nombreuses matières premières sont nécessaires à la production d’énergie renouvelable (par exemple pour fabriquer des éoliennes ou des panneaux solaires), ou encore pour pouvoir utiliser de l’électricité décarbonée (batteries, véhicules électriques, etc.). Certaines de ces matières premières ont été classées par l’Union européenne comme étant critiques à cause de leur nature stratégique et des risques de tensions sur leur approvisionnement.

Prenons l’exemple des véhicules électriques. Le Parlement européen souhaite orienter l’achat vers des véhicules à émissions nulles, en interdisant la vente de voitures diesel et essence neuves à partir de 2035.


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Ce changement de législation devrait faire augmenter la demande en métaux critiques comme le cobalt, le lithium, le nickel et le graphite, essentiels pour la production des batteries des véhicules électriques. Le cuivre aussi est indirectement concerné : il est principalement utilisé dans les réseaux électriques, les panneaux solaires et les éoliennes.

La demande de cuivre, de cobalt et de lithium devrait ainsi exploser au cours des prochaines années, selon les analyses de l’Agence internationale de l’énergie (AIE).

Prévision de l’évolution de la demande de cuivre, de cobalt et de lithium au cours du temps, selon deux scénarios (en trait plein : zéro émission nette d’ici à 2050 ; et en pointillé : politiques actuelles). Critical Minerals Data Explorer, Agence internationale de l’énergie (IEA), 2024, Fourni par l'auteur
Principaux pays miniers pour le cuivre, le cobalt et le lithium. Critical Minerals Data Explorer, Agence internationale de l’énergie (2024), Fourni par l'auteur

L’Union européenne ne dispose que de 1,2 % des réserves mondiales de lithium, 1,6 % de celles de cuivre et de 4,4 % de celles de cobalt.

Ceci en fait une région dépendante du reste du monde pour son approvisionnement dans un contexte d’augmentation de la demande.

C’est pourquoi, l’Union européenne a mis en place une stratégie pour gagner en indépendance vis-à-vis de ces matières critiques, à travers le Critical Raw Material Act (CRM Act), signé en 2024.


À lire aussi : Batteries lithium-ion : l’Europe peut-elle s’extraire de la dépendance chinoise ?


Comment parvenir à un usage raisonné du sous-sol en France ?

Le gouvernement français aussi se préoccupe de la disponibilité de ces matériaux stratégique. Il a lancé, en 2023, le programme de recherche Sous-sol, bien commun, qui regroupe plus de 30 institutions et laboratoires partenaires.

Ce programme étudie notamment la pertinence d’extraire ces matières premières critiques en France, mais il a également pour but d’évaluer au mieux les conditions nécessaires à une utilisation durable du sous-sol. Il réunit des experts de différentes disciplines : géologie, économie, sociologie…

La possibilité d’ouvrir de nouvelles mines en France fait débat et requiert une analyse qui tient compte des effets sur l’environnement. C’est ce que propose de faire l’une des tâches de la partie consacrée à l’économie de ce programme de recherche sur laquelle nous travaillons et qui devrait aboutir d’ici 2030.

Si l’ouverture de mines implique de sacrifier une part de nature, il est nécessaire de savoir évaluer ce sacrifice, c’est-à-dire de pouvoir donner une valeur à la nature.

La nature n’existe pas isolément des activités humaines. Un nombre croissant de chercheurs reconnaissent que « l’économie est ancrée dans la nature et en dépend ». Selon la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), il existe trois catégories de bénéfices ou de valeurs de la biodiversité :

  • les valeurs instrumentales (par exemple, la récolte du bois d’une forêt) ;

  • les valeurs relationnelles (par exemple, l’attachement à une forêt sans s’y promener, chasser, ou récolter du bois) ;

  • et les valeurs intrinsèques (c’est-à-dire, la nature vue comme une fin en soi).

Le problème est que certaines de ces valeurs sont quantifiables – comme le coût du bois pour une forêt – alors que d’autres sont plus difficiles à définir avec certitude, comme l’attachement.

De plus, elles sont souvent calculées pour un cas précis et ne peuvent pas être généralisées.

Enfin, les méthodologies pour réaliser ce genre de calculs et pour estimer la valeur monétaire de la nature à partir des services qu’elle nous fournit ont un certain nombre de limites.

En gardant à l’esprit que la biodiversité a plusieurs dimensions et que les valeurs définies précédemment sont difficiles à calculer si l’on se base sur les seuls bénéfices que l’on en retire, nous proposons une approche basée sur des calculs coût-efficacité.

L’enjeu dépasse la seule question du renouveau minier en France. Fixer une valeur à la biodiversité est essentiel pour pouvoir implémenter les objectifs de « zéro artificialisation nette (ZAN) » fixés en 2021. Cela peut se limiter au coût d’opportunité du sol (c’est-à-dire, de ce que l’on s’empêche de faire lorsqu’on protège la nature, et qui peut être estimé par les coûts du foncier) ou aller jusqu’à prendre en compte les coûts nécessaire pour protéger les sols (en tenant compte des coût des actions de restauration et de renaturation).

Une fois calculée cette valeur de la nature, elle pourra être utilisée pour éclairer les décisions d’ouverture de nouvelles mines mais aussi toutes les autres décisions relatives à l’utilisation du sol (foncier, champs de panneaux solaires, etc.).


À lire aussi : « Zéro artificialisation nette » : combien coûte vraiment la renaturation des sols urbains ?



Le projet ANR-22-EXSS-0004 est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. L’ANR a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.

The Conversation

Gwenaelle Flieller a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche (ANR). Le projet ciblé 3 ANR-22-EXSS-0004 bénéficie d'un financement du gouvernement français

Andrea Rangel Guevara a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche (ANR). Le projet ciblé 3 ANR-22-EXSS-0004 bénéficie d'un financement du gouvernement français

Aude Pommeret a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche (ANR). Le projet ciblé 3 ANR-22-EXSS-0004 bénéficie d'un financement du gouvernement français

15.05.2025 à 11:54

Un nouvel inventaire des ressources minérales pour renforcer la souveraineté de la France

Blandine Gourcerol, Ingénieur chercheur, chef de projet au BRGM, BRGM
La France a lancé l’actualisation de l’inventaire de ses ressources minérales. Ce dernier doit inclure des substances critiques comme le lithium ou le tantale qui en étaient jusqu’ici absentes.
Texte intégral (3300 mots)

Dans un contexte de tensions internationales sur l’approvisionnement en ressources minérales stratégiques, la France a lancé la mise à jour de son inventaire national. Celui qui a été réalisé entre 1975 et 1995 se focalisait sur les métaux d’alliages essentiellement et donc ne couvre pas forcément et systématiquement les substances critiques du moment, telles que le lithium, le gallium ou le germanium.


En février 2025, à l’occasion de sa visite au Service géologique national (BRGM), le ministre de l’industrie et de l’énergie Marc Ferracci a officiellement lancé un nouvel inventaire des ressources minérales disponibles sur le territoire français.

Cette initiative est née dans un contexte de tensions croissantes sur les approvisionnements en métaux rares et aux enjeux croissants de souveraineté industrielle.

De fait, elle s’inscrit dans la continuité du précédent inventaire du BRGM, qui avait été lancé dans les années 1970 dans le sillage du premier choc pétrolier qui avait révélé la vulnérabilité de la France pour ce qui est de ses approvisionnements en ressources énergétiques et minières.

Quels enseignements tirer de cette première expérience ? Et en quoi ce nouvel inventaire répond-il aux enjeux contemporains ? Panorama.

Un impératif de souveraineté industrielle

À l’heure où les transitions énergétique et numérique s’accélèrent, sécuriser l’approvisionnement des ressources minérales critiques et stratégiques devient une priorité absolue pour la France et l’Union européenne.

Ces substances – telles que le lithium, le graphite, l’antimoine, le tungstène – sont indispensables à la fabrication de technologies bas-carbone. Par exemple, les batteries, équipements électroniques et autres composants cruciaux pour le déploiement des énergies renouvelables.


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Or, pour sécuriser au mieux la chaîne de valeur de ces matériaux, encore faut-il bien connaître le potentiel géologique du sous-sol national en amont. C’est dans ce cadre que la France a engagé, début 2024, une actualisation de son inventaire des ressources minérales. Portée par le président de la République, cette démarche a été intégrée au programme France 2030 de l’Agence nationale de la recherche (ANR) au travers de la planification écologique. La mission a été confiée au BRGM, en collaboration étroite avec les ministères compétents et les collectivités territoriales.

L’objectif est clairement défini : identifier et cartographier les zones qui favorisent, au plan géologique, la présence de substances critiques et stratégiques. Ceci en mobilisant les outils d’acquisition et d’analyse les plus avancés et innovants possibles.

Des connaissances héritées des années 1970

Ce nouveau programme ne part pas d’une feuille blanche. Il s’appuie sur un précédent exercice similaire réalisé entre 1975 et 1995, dans un contexte déjà marqué par les tensions géopolitiques sur l’énergie et les matières premières du fait du 1er choc pétrolier.

Sondage sur un indice de fluorine, Morvan, vers 1980. BRGM

À l’époque, l’État avait confié au BRGM la mission de dresser un état des lieux du potentiel minéral de la France hexagonale, de la Guyane et de la Nouvelle-Calédonie. Ce travail, focalisé sur les métaux non ferreux et d’alliage (cuivre, aluminium, plomb, zinc, étain, antimoine…), visait à repérer les zones favorables à d’éventuelles exploitations futures de ces métaux sur cette période.

En France hexagonale, près de 125 000 km2 – soit environ 20 % du territoire – ont ainsi été étudiés, principalement dans les massifs anciens (Massif central, Massif armoricain, Alpes, Pyrénées). Ce programme a donné lieu à une campagne de prospection exclusivement géochimique, avec plus de 345 000 échantillons de sédiments de ruisseau et de sols prélevés puis analysés, couvrant un total de 296 cartes géologiques au 1/50 000.

État des lieux des connaissances du potentiel minier en métaux de base en France hexagonale, qui va être mis à jour et complété par le nouvel inventaire des ressources minérales. BRGM

À l’issue de cet inventaire, plus d’une centaine de cibles d’intérêt avaient été identifiées dans l’Hexagone et près d’une vingtaine en Guyane. Trois ont été mises en exploitation : les Brouzils (antimoine), Lecuras et Gareillas en extension du Bourneix en Limousin (or) et Changement en Guyane (or).

Dans les décennies suivantes, quelques levés géophysiques aéroportés sont venus compléter cet ensemble de données, améliorant notre compréhension de la structure du sous-sol sur les 200 à 500 premiers mètres de profondeur.

Un inventaire réinventé pour le XXIᵉ siècle

Près d’un demi-siècle plus tard, les dynamiques géopolitiques et les besoins en métaux ont connu d’importantes évolutions. La montée en puissance des technologies vertes, la guerre en Ukraine, les tensions commerciales et la mise en œuvre du Critical Raw Material Act (CRM Act) au niveau européen imposent une révision en profondeur de notre stratégie d’exploration minérale.

Le nouvel inventaire s’inscrit dans une logique de souveraineté renforcée. Cela passe par une approche :

  • plus diversifiée, en élargissant la palette des substances minérales d’intérêt ;

  • plus approfondie, grâce à l’évolution des méthodes utilisées ;

  • plus innovante, notamment par l’intégration de l’intelligence artificielle ;

  • et enfin, plus qualitative dans l’identification des cibles finales.

Contrairement à l’approche historique, le nouvel inventaire portera sur une soixantaine d’éléments, contre seulement une vingtaine dans le précédent. Il s’agit de substances qui étaient soit absentes des analyses lors des premières campagnes de l’inventaire historiques, soit détectées avec des limites de détection bien trop élevées pour en évaluer le réel potentiel géologique et parfois économique. De nouveaux éléments, considérés aujourd’hui comme critiques et stratégiques (comme le lithium, le tantale, le césium, le gallium, le germanium, le hafnium…), seront étudiés avec grand intérêt.

L’inventaire s’ouvre également à des zones géologiques jusqu’ici peu étudiées, voire totalement inexplorées, comme certains bassins sédimentaires peu profonds situés en marge des massifs cristallins (Pyrénées et Cévennes, par exemple), qui peuvent constituer de véritables zones d’intérêt du fait même de leur rôle de réceptacle géologique.

Campagne d’acquisition par géophysique héliportée. Alexandre Magnan/BRGM

Par ailleurs, il mobilise des méthodes à la pointe de la technologie, en particulier en géophysique et en géochimie, permettant une lecture tridimensionnelle fine du sous-sol et l’identification de cibles en profondeur. Par exemple, la géophysique aéroportée, qui repose sur des technologies d’imagerie non invasives embarquées à bord d’un avion ou suspendues sous un hélicoptère, qui permettent une acquisition rapide de données à une échelle régionale.

Dans le cadre de cette actualisation, cinq zones géographiques ont été identifiées comme prioritaires, en raison de leur fort potentiel de découverte :

  • l’ouest du Massif central,

  • la zone Morvan-Brévenne,

  • les Vosges,

  • l’Occitanie-Cévennes,

  • et le sillon nord de la Guyane.

Localisation des cinq zones géographiques ciblées par l’inventaire des ressources minérales (IRM). BRGM

Ce périmètre a été défini en prenant en compte les caractéristiques géologiques des régions ciblées, les contraintes budgétaires et les réalités opérationnelles.

Dans l’Hexagone, les zones retenues présentent soit des ressources connues, dont les contours – ou extensions possibles – restent encore mal définis, soit un potentiel de découverte avéré pour des métaux critiques et stratégiques.

Les terrains étudiés couvrent majoritairement des socles anciens, incluant à la fois des massifs magmatiques (Massif central, Vosges) et des formations sédimentaires (Pyrénées, Cévennes), afin de favoriser la diversité des cibles métalliques.

Les terrains d’affinité magmatique, comme le nord du Massif central et les Vosges, offrent des opportunités prometteuses pour le lithium. Le Morvan-Brévenne, par exemple, est reconnu pour son potentiel en fluorine, antimoine, uranium, ainsi que pour des gisements polymétalliques (notamment cuprifères) dans le Beaujolais et les monts du Lyonnais.

Les terrains sédimentaires, comme les Pyrénées orientales et la Montagne Noire, présentent un intérêt particulier pour le tungstène et le germanium. Plus au nord, les Cévennes recèlent un potentiel en gisements plomb-zinc, avec des minéralisations associées en cuivre, antimoine et étain.

En Guyane, la partie nord du territoire se compose de bassins géologiques nommés les ceintures de roches vertes. Elles renferment des roches parmi les plus anciennes de la planète, bordées par de grandes failles régionales.

Cette région est associée à une grande diversité de minéralisation, incluant l’or, le cuivre, le plomb, le zinc, le lithium, le niobium et le tantale. La nature ancienne de ces roches, conjuguée à la complexité tectonique et à la succession d’événements géologiques, confère à cette zone un potentiel exceptionnel pour la découverte de métaux critiques.

De quoi identifier les ressources minérales du sous-sol de façon plus précise et aussi peu intrusive que possible, tout en assurant une restitution de qualité à l’État. Cet inventaire, prévu sur la durée de cinq ans, vise avant tout à améliorer la connaissance du sous-sol français. Pourrait-il, à terme, inspirer de nouveaux projets liés à la valorisation des ressources ? Quoi qu’il en soit, entre l’identification d’un potentiel et une éventuelle utilisation, les délais sont longs et encadrés.


France 2030 est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. L’ANR a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.

The Conversation

Blandine Gourcerol a reçu des financements de l'ANR ou de Horizons Europe dans le cadre de projets de recherche.

14.05.2025 à 17:29

Le lait de foin arrive dans nos magasins et ce n’est sans doute pas ce que vous pensez

Anne Parizot, Professeur des universités en sciences de l'information et de la communication émérite, Université Bourgogne Europe
Lait de vaches nourries à l’herbe et au foin, le lait de foin est un nouveau label européen au nom trompeur, mais aux nombreux bienfaits pour l’environnement, le bien-être animal et la santé humaine.
Texte intégral (2310 mots)

Lait de vaches nourries aux herbes et au foin, le lait de foin est un nouveau label européen au nom trompeur, mais aux nombreux bienfaits pour l’environnement, le bien-être animal et la santé humaine.


Quiconque s’arrête au rayon produits laitiers d’un supermarché peut constater que de nombreux idéaux et ambitions sont désormais liés à ces aliments. L’idée d’authenticité, de local, de nature, la prise en compte du bien-être animal, la santé du consommateur émergent en effet de plus en plus, dans ce domaine de l’agroalimentaire tout particulièrement. L’offre est devenue ainsi variée et parfois un peu déroutante pour le consommateur.

On peut donc trouver du lait d’origine animale diverse, lait de vache, de brebis, de chèvre. On peut aussi acheter du lait cru (qui ne sera donc pas pasteurisé) du lait entier, demi-écrémé ou écrémé selon la teneur en matière grasse, du lait AOP (appellation d’origine protégée pour le terroir) ou encore du lait de montagne qui crée un imaginaire autour de la nature. Un temps les consommateurs ont également pu acheter des laits végétaux, à base de soja, d’avoine ou de riz. Mais le terme de lait n’est désormais plus autorisé, car il a été considéré comme trop ambigu et s’est donc vu interdit par l’Union européenne en juin 2017. Ces produits sont aujourd’hui vendus comme des boissons végétales.

Depuis peu, il est également possible d’acheter du lait de foin. Mais qu’est-ce donc que ce nouveau produit ? Est-il d’ailleurs si nouveau ?

Retour sur l’alimentation traditionnelle

Bouteille de Heumilch. Holapaco77, CC BY

Le lait de foin, traduction littérale de Heumilch, a fait son apparition en Autriche, dès 2009, pour désigner le lait provenant d’animaux nourris exclusivement d’herbe fraîche ou de foin. C’est aussi en Autriche qu’a été défini le cahier des charges de ce produit. On y compte aujourd’hui 8 000 producteurs et 60 laiteries et fromageries engagés dans la production de Heumlich.

La production s’élève à 480 millions de litres de lait certifiés « de foin », soit 15 % du volume du lait autrichien.

Si le lait de foin a émergé dans ce pays, ce n’est sans doute pas un hasard : la tradition d’élevage laitier y est forte, fondée sur des pratiques extensives en montagne. Depuis des siècles, les vaches y sont nourries d’herbe fraîche en été et de foin l’hiver, sans recours aux ensilages fermentés. L’ensilage fermenté est une méthode de conservation du fourrage, sans oxygène, pour provoquer une fermentation lactique. Alors que le foin est de l’herbe séchée à l’air libre, l’ensilage fermenté est stocké dans des silos, des ballots recouverts de film plastique. Cet ensilage produit au passage du méthane, un puissant gaz à effet de serre.

Le cahier des charges pour le lait de foin exige, lui, une alimentation composée à 75 % d’herbe et de foin et favorise le bien-être animal avec un pâturage en plein air et une alimentation traditionnelle (herbe et légumineuses l’été et foin l’hiver). Il se veut également respectueux des besoins physiologiques des vaches sans ensilage pouvant provoquer un inconfort métabolique et physiologique, mais avec un accès régulier à l’extérieur permettant une adaptation naturelle aux températures et une liberté d’action qui réduit le stress chez les animaux. Le lait de foin s’inscrit également dans une démarche durable répondant ainsi aux attentes des consommateurs soucieux de l’environnement, car ce mode d’élevage contribue à la biodiversité, en valorisant les pâturages et les prairies permanentes, et émet moins d’émissions de gaz à effet de serre de l’industrie laitière industrielle.

Ce lait de vache a obtenu en 2016 le label européen de spécialité traditionnelle garantie (STG), en reconnaissance de son mode de production. En 2018, cette certification a été étendue aux laits de chèvre et de brebis. Une association regroupant divers agriculteurs a, dans la foulée, vu le jour pour défendre le lait de foin en France et y faire appliquer la « spécialité traditionnelle garantie lait de foin ».

Il s’agit de la deuxième STG officialisée en France après les fruits de mer moules de Bouchot qui bénéficie de ce même label depuis 2013. Cette première STG française n’impliquait cependant pas une provenance, mais plutôt des qualités (composition, fabrication ou transformation) fondées sur la tradition sont nécessaires.

Concernant le lait de foin, des initiatives ont été prises en France pour développer ces filières comme en Lorraine (2019), ou encore en Bretagne (éleveurs membres de Segrafo, l’association de promotion du séchage en grange), où elles côtoient notamment le bio, car ces techniques sont complémentaires.


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Lait de foin : rien que du bon

Mais en quoi l’alimentation des vaches peut-elle être déterminante pour la fabrication du lait ?

Il faut ici savoir que dans la majeure partie des élevages intensifs, les vaches reçoivent une alimentation souvent concentrée pour maximiser la production laitière. Elles sont ainsi nourries avec une combinaison de fourrages fermentés (herbe, maïs), de concentrés (grains et céréales : maïs, blé, orge ou soja), de suppléments nutritionnels (compléments minéraux et vitaminiques), voire de fourrage sec en faible quantité, le pâturage à l’air libre restant limité.

Or, l’alimentation animale est essentielle, car elle influe sur la qualité, le goût du lait et sur les fromages qui en découlent. La richesse botanique des prairies permanentes utilisées pour le pâturage des vaches contribue à des profils aromatiques distincts. Des études scientifiques sur le lait de chèvre aboutissent aux mêmes conclusions.

De même, la biodiversité du paysage, le développement durable sont préservés lorsque les vaches se nourrissent d’herbes fraîches ou de foin tout en améliorant le bilan carbone de la filière.

Une étude a également souligné les aptitudes à la transformation fromagère des laits de foin biologiques. Les résultats indiquent que l’absence d’aliments fermentés dans l’alimentation des animaux favorise une meilleure qualité du lait pour la production de fromages de haute qualité et une transformation fromagère plus facile.

De plus, le lait issu de vaches nourries à l’herbe et au foin, est bon pour la santé des consommateurs, car le rapport en acides gras Oméga 6 et Oméga 3 serait bien meilleur que le lait standard selon l’Institut de l’élevage.

Si les bienfaits de ce type de lait ne sont donc plus à démontrer, on peut en revanche s’interroger sur la dénomination Heumilch, ou lait de foin, en revenant aux origines.

Choix stratégique de la dénomination

L’appellation Heumilch n’est de fait pas descriptive comme l’aurait été, par exemple, « lait issu d’herbe et de foin » qui rend compte de la réalité de ce que les vaches ingèrent. La terminologie qui a été choisie est, elle, plus courte et fait l’impasse sur l’herbe fraîche.

Ce terme simple a semblé suffisamment évocateur en Autriche pour se différencier du « lait standard » (Standardmilch) ou conventionnel (Konventionelle Milch), souvent produit avec des fourrages fermentés et des aliments industriels. Heumilch correspond à une construction syntaxique identique pour un lait ayant une identité forte et différenciée, en lien avec une agriculture respectueuse et traditionnelle.

L’utilisation de Heumilch est ici métonymique, puisque Heu (foin) représente l’ensemble du mode d’alimentation : il est l’élément distinctif par rapport aux autres systèmes d’élevage. Il s’est donc imposé et, en France, la STG l’a inscrit comme référence officielle. Le lait de foin est ainsi promu comme produit naturel et durable répondant aux attentes des consommateurs modernes.

Mais si ce terme est compréhensible pour les consommateurs autrichiens, il reste encore flou pour les Français.

Une dénomination claire pour le consommateur français ?

Lait de foin renferme de fait une particularité sémantique : comme jus de pomme ou huile d’olive, on pourrait comprendre qu’il désigne un lait fait à partir de foin. Cependant, ce lait provient de la vache et non directement du foin. L’appellation qualitative lait de foin fonctionne donc en fait plutôt comme celles de vin de garde (que l’on peut « garder » à la cave) ou pain de campagne, qui est produit comme on en avait l’habitude à la campagne.

L’appellation s’inscrit donc dans une logique proche des labels alimentaires valorisant un mode de production tel que « beurre de baratte » (mode de fabrication), « œufs de plein air » (condition d’élevage) ou « fromage fermier » (origine artisanale). Le nom du produit est associé à un complément jouant un rôle distinctif et valorisant. La différenciation donne une dimension rustique, naturelle et rend la promesse plus tangible pour le consommateur qui visualise le pré ou le foin.

Mais le consommateur peu familier de cette appellation pourrait associer spontanément « lait de foin » à une boisson végétale comme le lait de soja, d’amande ou encore d’avoine, même si ces dernières appellations étaient désormais illégales en Europe.

Le lait de foin, en revanche, ne contrevient pas à la réglementation, puisqu’il s’agit bien d’un lait animal.

Si une confusion est possible sur le plan linguistique et dans l’esprit des consommateurs, elle sera donc peut-être évitée à terme puisque les laits végétaux sont désormais des expressions inappropriées. Les acteurs du secteur mettent souvent en avant des arguments comme la tradition, le goût authentique et les pratiques d’élevage respectueuses pour rendre le concept plus lisible, à l’instar des poulets fermiers élevés en plein air. Un contexte bien cadré (étiquetage, visuels et communication) permettra d’évacuer totalement la méprise.

Utilisable sur tout le territoire français, pour l’ensemble des produits laitiers dans le respect du cahier des charges européen, la STG lait de foin a de beaux jours à vivre en France, car elle n’en n’est qu’à ses débuts.

The Conversation

Anne Parizot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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