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27.10.2025 à 17:27

L’opéra, carte sonore du monde

Frédéric Lamantia, Docteur en géographie et maître de conférences, UCLy (Lyon Catholic University)
À travers une lecture géopolitique et sensible de l’opéra, Frédéric Lamantia questionne les notions de patrimoine, de pouvoir et d’identité culturelle.
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L’opéra de Dubaï (Émirats arabes unis), posé sur l’eau, dans le quartier de Downtown, dont le design évoque la forme d’un _dhow_, navire traditionnel de la mer d’Arabie. Denys Gromov/Pexels, CC BY

En fonction des lieux où il se réinvente, l’opéra nous offre une véritable cartographie sonore du monde – un espace où s’entremêlent héritages, innovations et enjeux territoriaux, attirant des publics diversifiés. Loin du berceau européen, les scènes lyriques deviennent des plateformes de dialogue culturel et des vitrines stratégiques pour les États et les villes, en Asie comme au Moyen-Orient.

À travers cette lecture géopolitique et sensible de l’opéra, Frédéric Lamantia questionne les notions de patrimoine, de pouvoir et d’identité culturelle.

Retrouvez ci-dessous tous les articles de cette série !


L’art lyrique, un marqueur géographique de l’identité culturelle européenne

L’opéra au Moyen-Orient, vitrine culturelle et outil de soft power

Algérie, Tunisie, Maroc : Comment l’opéra est passé d’un héritage colonial à un outil diplomatique

L’opéra en Asie : entre héritage colonial, soft power et appropriation locale

The Conversation

Frédéric Lamantia ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

27.10.2025 à 15:51

Violences de genre dans les arts et la culture : de la nécessité de mobiliser la recherche internationale

Marie Buscatto, Professeure de sociologie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Mathilde Provansal, Chercheure associée en sociologie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Les enquêtes robustes manquent pour orienter les politiques publiques dans la prévention et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans les arts et la culture : il est temps d’y remédier.
Texte intégral (1898 mots)
Les violences de genre physiques et psychologiques, une réalité que l’on retrouve dans différents secteurs des arts et de la culture à travers le monde. Stefania Infante

Le mouvement #MeToo a mis en lumière les violences de genre à l’œuvre dans les arts et dans la culture. Mais leur identification et leur explication restent peu explorées par la recherche – si ce n’est par le biais de l’analyse des représentations. Faisant suite à notre enquête pionnière sur ces violences dans le secteur de l’opéra français, l’ouvrage « Gender-based Violence in Arts and Culture. Perspectives on Education and Work » vise justement à combler cette lacune.


Dans ses recommandations d’avril 2025, la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité préconise de conduire des recherches dans ce domaine. Les enquêtes robustes, quantitatives ou qualitatives, manquent en effet pour orienter les politiques publiques dans la prévention et la lutte contre les violences de genre (VDG) dans les arts et dans la culture.

Fondé sur des études de cas ambitieuses menées dans un large éventail de secteurs artistiques – musique, arts visuels, photographie, cinéma, audiovisuel, théâtre – et dans cinq pays – États-Unis, Finlande, France, Japon, et Royaume-Uni –, Gender-based Violence in Arts and Culture. Perspectives on Education and Work (2025) que nous avons co-édité aborde le « continuum » des violences de genre, des formes de sexisme « ordinaire » aux actes les plus graves répréhensibles pénalement.

L’ouvrage rend ainsi visibles les logiques sociales maintenant et légitimant les inégalités liées au genre dans les arts et dans la culture, et ce, quel que soit le pays ou le secteur concerné. Il vise à offrir une compréhension globale de ce phénomène social, au-delà des affaires médiatiques et des analyses à chaud impliquant les personnalités publiques.

Les violences de genre prennent une grande diversité de formes

Notre ouvrage met en évidence les multiples formes de VDG, peu souvent nommées par les victimes, et pourtant à l’œuvre dans les secteurs artistiques et culturels, à travers notamment les pratiques professionnelles routinières.

Par exemple, dans l’enquête de Chiharu Chujo sur l’industrie des musiques populaires japonaises, les femmes rencontrées n’ont affirmé avoir été confrontées au harcèlement sexuel que lorsqu’elles ont été « interrogées dans le contexte d’une compréhension plus nuancée du “harcèlement sexuel” – comprenant des manifestations, telles que des remarques sexistes, un flirt persistant et des plaisanteries désobligeantes sur la sexualité ou l’apparence ».

La manière dont ces victimes décrivent ces pratiques sexistes récurrentes indique clairement qu’elles sont le plus souvent tolérées par ces femmes au quotidien, non pas parce qu’elles sont inoffensives, mais en raison des relations de pouvoir qui les contraignent à les accepter.

En toile de fond, des processus sociaux cumulatifs

Cet ouvrage saisit également les mécanismes qui produisent une telle omniprésence des VDG dans les arts et dans la culture. Ces derniers sont cumulatifs et font partie intégrante des pratiques et des représentations professionnelles, ce qui rend difficile leur remise en question par les victimes et les témoins.

Mathilde Provansal décrit, par exemple, les multiples processus sociaux participant à créer un « contexte propice » aux VDG dans les écoles d’art : sexualisation des étudiantes ; forte dépendance des étudiant·es à l’égard de leurs professeur·es pour lancer leur carrière ; frontière floue entre les sphères privée, éducative et professionnelle ; déficience des politiques publiques et des dispositifs permettant aux victimes et aux témoins de dénoncer les VDG dans des contextes sûrs et transparents.

Les violences de genre entravent la créativité et la carrière des femmes

Les VDG affectent les carrières féminines de diverses manières. Certaines se retirent pour éviter d’être à nouveau exposées à ces pratiques, comme le montrent clairement les enquêtes sur les étudiantes en photographie affiliées à l’école d’Helsinki, réalisée par Leena-Maija Rossi et Sari Karttunen, ou sur les chanteuses d’opéra, étudiées par Marie Buscatto avec Soline Helbert et Ionela Roharik.

Victimes et témoins ont aussi tendance à voir leur réputation professionnelle et la qualité de leurs œuvres dévalorisées en raison de pratiques dégradantes qui réduisent les femmes à leur corps et à leur attrait sexuel. Certaines, enfin, refusent de se plier à ces pratiques sexistes et risquent de perdre des opportunités professionnelles en étant considérées comme des collègues pénibles ou peu attrayantes.

Les VDG ont également des conséquences sur le travail créatif des femmes qui en sont victimes. Dans son enquête sur la production de contenus liés aux VDG et à la sexualité dans le journalisme, le « factual entertainment », le drame ou la comédie par des femmes qui vivent des VDG sur leur lieu de travail, Anna Bull souligne que cela peut rendre cet environnement professionnel d’autant plus propice aux violences de genre. Mais parfois, cette production devient une ressource permettant aux victimes de parler et de nommer leurs expériences traumatisantes.

Les violences de genre tendent à être passées sous silence

Même si la plupart des femmes considèrent que les violences de genre ont des conséquences négatives, sur le plan tant psychologique que professionnel, elles ont tendance à ne pas les dénoncer. Et ce, même lorsqu’elles sont confrontées à des cas flagrants de violences sexuelles pouvant donner lieu à des poursuites judiciaires : harcèlement sexuel, agression sexuelle, viol.

Toutes les autrices montrent que les processus sociaux qui rendent ces mondes propices aux VDG réduisent également les victimes au silence. La peur semble être le dénominateur commun : peur de perdre son emploi (ou de ne pas être recrutée pour le suivant) dans un environnement précaire et compétitif ; peur d’être exclue ; peur d’être dénigrée publiquement comme étant trop sexy ; peur d’être considérée comme une mauvaise collègue ; peur d’être attaquée personnellement ; peur de ne pas être crue en raison de la réputation de l’agresseur.

Dans son enquête sur le harcèlement sexuel dans le théâtre new-yorkais, Bleuwenn Lechaux montre ainsi que cette crainte constante est essentielle pour expliquer pourquoi si peu d’affaires sont portées devant la justice malgré le développement de mesures supposées permettre de telles dénonciations.

Du silence à la prise de parole : un long chemin à parcourir

Plusieurs types d’action peuvent en partie briser le silence qui pèse sur les violences de genre, comme le montre Alice Laurent-Camena dans son enquête sur le monde des musiques électroniques. Des groupes informels, à travers l’échange d’expériences et d’informations, peuvent permettre aux femmes de qualifier les violences ou d’exclure un agresseur de leurs projets. Des professionnel·les spécialisé·es peuvent aussi être invité·es afin de gérer les situations problématiques, à l’image des coordinateurs et coordinatrices d’intimité sollicité·es sur les scènes de théâtre, d’opéra ou de cinéma.

Les dénonciations publiques d’abus sexuels, via les réseaux sociaux et la presse, peuvent enfin limiter la diffusion du travail et parfois mettre fin à la carrière d’un agresseur. Elles sont cependant très rares, non seulement parce qu’elles nécessitent un grand nombre de preuves et doivent être qualifiées d’actes criminels pour atteindre un tel niveau de dénonciation publique, mais aussi parce que les membres des mondes de l’art préfèrent souvent gérer les dénonciations en interne et éviter, dans la mesure du possible, de telles accusations publiques.

Quelles actions ?

La conclusion de notre ouvrage offre quelques propositions en vue de changements. D’une part, en lien avec nos analyses, nous suggérons aux professionnel·le·s et institutions des arts et de la culture de lutter avec force contre le sexisme ordinaire, et de ne surtout pas se limiter à la répression, certes nécessaire mais insuffisante, des seuls actes les plus graves. Le sexisme quotidien est au cœur des VDG, permettant leur omniprésence et leur perpétuation, même lorsque les agresseurs récidivistes sont condamnés et exclus.

D’autre part, la lutte contre les VDG ne devrait pas se limiter à la seule mise en place, par ailleurs légitime, de contextes éducatifs et professionnels plus sûrs, mais également viser à assurer l’égal accès des femmes et des minorités de genre à la formation, au travail et à la reconnaissance artistique.

Il en va de la liberté de création de chacun et de chacune, dans un contexte marqué par la réduction des financements publics des arts et de la culture et de remise en cause des droits des femmes et des minorités de genre.


Cet article a été coécrit avec Sari Karttunen, chercheuse au Center for Cultural Policy Research (CUPORE) à Helsinki, Finlande.

The Conversation

Mathilde Provansal a reçu des financements de l'EHESS dans le cadre d'une recherche post-doctorale sur les violences de genre en écoles d'art.

Marie Buscatto ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

25.10.2025 à 10:13

Le fabuleux destin des comédies musicales françaises sur le continent asiatique

Bernard Jeannot-Guerin, Enseignant chercheur en études culturelles, Université de Lorraine
Le succès des comédies musicales françaises en Asie ne cesse de croître, captivant un public toujours plus large.
Texte intégral (1842 mots)
En juin 2023 à Xiamen (Chine), la chanteuse Cécilia Cara assure la promotion de la tournée de _Roméo et Juliette, de la haine à l’amour_, de Gérard Presgurvic, créée en 2001. Youtube/capture d’écran.

« Molière », le spectacle musical de Dove Attia, vient d’entamer une tournée en Chine, emboîtant le pas à « Notre-Dame de Paris » et au « Roi Soleil » en Corée du Sud ou aux « Misérables » et à « Mozart, l’opéra rock » au Japon. Souvent boudées par la critique, les comédies musicales à la française s’exportent en Asie, où elles rencontrent un succès grandissant.


En 2023, 35 % des spectacles de comédie musicale en Chine étaient francophones, et les chiffres dépassent de loin les données de production françaises. Passage désormais obligé, la tournée asiatique consacre le spectacle francophone en reconnaissant ce que la France considère précisément comme des défauts mercantiles : le spectaculaire, le vedettariat et le kitsch.

Entre goût populaire et attrait populiste

Si, en France, les pratiques pluridisciplinaires se démocratisent aujourd’hui dans les conservatoires, il existe en Asie une tradition pluridisciplinaire du spectacle vivant. Lee Hyun-joo, Jean-Marie Pradier et Jung Ki-eun montrent qu’en Corée, les acteurs savent performer tant pour la télévision que pour le théâtre et pour la comédie musicale.

La comédie musicale participe du paysage culturel asiatique : les shows de Broadway sont depuis longtemps importés. Mais l’hyperspectacle français attire pour ce qu’on lui reproche ici même : faisant la promotion des tubes au mépris de la diégèse, les productions s’accordent à surmédiatiser la chanson pop, à la véhiculer dans des théâtres traditionnels avec la même volonté politique d’occidentalisation qui présida à l’importation d’un art lyrique issu des opéras.

Il s’agit également de faire valoir la musicalité de la langue française et l’image de ses interprètes. C’est d’ailleurs ainsi que Nicolas Talar, producteur de Notre-Dame de Paris, pense le marché du spectacle vivant : il parle d’une langue commune.

À la frontière de la K-pop : « sweet power » et culture adolescente

Le spectacle de comédie musicale à la française contribue peut-être au « sweet power », tel que défini par Vincenzo Cicchelli et Sylvie Octobre : un attrait pour l’esthétique et une globalisation culturelle qui adoucissent les clichés impérialistes portés jadis par les spectacles plus traditionnels.

En donnant la part belle aux figures juvéniles tiraillées entre révolte, tourments et exaltation, la comédie musicale française se rapproche des idols (ces artistes des deux sexes sélectionnés adolescents, principalement pour leur physique) de la K-Pop dont l’esthétique « cute » séduit les adolescentes. Spécialiste des questions de l’émotion dans la littérature française, Siyang Wang a analysé l’attrait suscité par le spectacle le Rouge et le Noir en Chine et signale que « les spectatrices de moins de 25 ans représentent plus de 50 % du public, tandis qu’elles ne constituent qu’un pourcentage minoritaire (10 %-20 %) du public de la comédie musicale traditionnelle ».

En 2018, en Chine, la ferveur pour le personnage de Mozart, incarné par le créateur du rôle Mikelangelo Loconte, a pris de l’ampleur quand le jeune Yanis Richard a repris le rôle avec extravagance et sensibilité dans la tournée 2024, se faisant surnommer « Kid Mozart ». Côme, finaliste de The Voice en France en 2015, campe de son côté un Julien Sorel timide et mélancolique dans le Rouge et le Noir. En Chine, il est rebaptisé « Julien qui sort du roman » pendant la tournée de 2019.

Les chansons portées par ces figures juvéniles permettent à la communauté de fans – qui a « soif de chaleur humaine » – d’adopter des relations parasociales avec les personnages et leurs interprètes.

Vincent Cicchelli et Sylvie Octobre nous rappellent que le contenu des chansons de K-pop, « dans lesquelles les fans se reconnaissent, explorent ainsi les amours, les joies mais aussi les troubles, les angoisses et les diverses formes de vulnérabilités liées à l’adolescence ».

De Paris à Shanghai, il s’agit d’offrir une pop globale : les voix sirupeuses, la plastique du chanteur de charme ou la verve insolente de la star prépubère sont autant d’éléments humanisant le héros et ralliant le fan à son idole. Le personnage-star devient un ami imaginaire, voire un amour idéalisé.

Les interprètes sont à l’image des groupes préfabriqués de la K-pop qui permettent l’ascension de jeunes artistes. Depuis les années 2000, les performers français des comédies musicales sont globalement issus des télécrochets. Le casting permet à ces nouveaux venus promus par la télévision de se faire un nom dans un show détonnant et de parfaire leur image grâce au jeu médiatique. La projection et l’identification du public – français comme asiatique, d’ailleurs – à ces modèles de réussite spectaculaire contribuent à faire de la scène une fabrique du rêve.

Baroque, paillettes et guitares électriques

Si Roméo et Juliette et 1789, les amants de la Bastille ont été adaptés en langue japonaise, qu’est-ce qui pousse le public asiatique à plébisciter les shows français en langue originale ? La comédie musicale séduit, car elle convoque un sujet patrimonial, socle fondamental d’un livret dont le public n’a besoin que de connaître les grands axes. Seule compte la fable, symbole d’une culture européenne qui fait rêver. L’engouement pour le chant, la danse, les arrangements et les effets de machinerie renforce l’expressivité du mouvement dramatique et nourrit l’attrait populaire.

La spécialiste des contes de fée Rebecca-Anne C. Do Rozario a d’ailleurs montré en quoi l’emphase du sujet historique, mythique ou littéraire suscite l’emphase scénique, et amplifie les émotions du spectateur. La surenchère visuelle dans Molière ou dans 1789 convoque une imagerie affective renvoyant à la magie d’une cour de France imaginaire où dominent strass et dorures.

Le costume est d’une importance capitale pour mobiliser ces images affectives : les tons pastel avoisinent le gothique chic dans l’univers psychédélique de Mozart. Les tenues en cuir de Roméo et Juliette transportent l’intrigue dans le monde d’aujourd’hui, tandis que les formes et les couleurs tenant d’un baroque de convention offrent du pittoresque et de la lisibilité.

Les sujets classiques sont aussi redynamisés par les rythmes pop-rock et l’amplification de la musique électronique sur lesquels le public chante et danse comme dans un concert. Laurent Bàn, performer français ovationné dans les tournées asiatiques, a expérimenté l’aspect récréatif de ces spectacles cathartiques, selon lui plus important qu’en Europe :

« Le public sait que, pendant deux heures, il peut crier, applaudir, hurler, pleurer. »

L’imaginaire français : entre tradition et kitsch

Dans sa thèse, Tianchu Wu explique en quoi Victor Hugo est un des écrivains les plus plébiscités par le public asiatique. Symboles d’une culture française romantique et humaniste, les Misérables (1862, traduit dès 1903, ndlr) et Notre-Dame de Paris (1831, traduit dès 1923, ndlr) circulent largement et sont l’objet d’un transfert culturel qui assoit des valeurs affectives et traditionnelles. Cet imaginaire culturel français prime sur les enjeux réalistes comme le signale Zhu Qi, en affirmant que, dans la réception de ces œuvres, « le romantisme l’emporte sur le réalisme ».

Les tableaux successifs qui composent les spectacles musicaux français campent les lieux communs de la famille, de l’amitié et de l’amour inconditionnel, reçus en Asie comme l’expression de valeurs traditionnelles et appréhendées avec la facilité de lecture d’un livre d’images. Donnant volontiers dans l’imagerie kitsch, ces shows drapent les grandes figures du romantisme de glamour romanesque, sur fond de lyrisme édulcoré.

À la suite des musicals de Broadway adaptés en Asie, le spectacle français y rencontre désormais son public, peut-être plus qu’ailleurs, et devient un modèle de création à l’image des opéras européens, qui y sont importés depuis longtemps.

The Conversation

Bernard Jeannot-Guerin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

23.10.2025 à 16:12

Le « FOMO » ou peur de rater quelque chose : entre cerveau social et anxiété collective

Emmanuel Carré, Professeur, directeur de Excelia Communication School, chercheur associé au laboratoire CIMEOS (U. de Bourgogne) et CERIIM (Excelia), Excelia
L’anxiété d’appartenance, qu'exprime la « peur de manquer quelque chose » (ou, FOMO), constitue un ressort fondamental de nos comportements sociaux que les plateformes numériques amplifient désormais de manière systématique.
Texte intégral (1540 mots)
Un rêve d’ubiquité entretenu par les outils numériques. Roman Odintsov/Pexels, CC BY

La « peur de rater quelque chose » (« Fear Of Missing Out », ou FOMO) n’est pas née avec Instagram. Cette peur d’être exclu, de ne pas être là où il faut, ou comme il faut, a déjà été pensée bien avant les réseaux sociaux, et révèle l’angoisse de ne pas appartenir au groupe.


Vous l’avez sans doute déjà ressentie : cette sensation distincte que votre téléphone vient de vibrer dans votre poche. Vous le sortez précipitamment. Aucune notification.

Autre scénario : vous partez en week-end, décidé à vous « déconnecter ». Les premières heures sont agréables. Puis l’anxiété monte. Que se passe-t-il sur vos messageries ? Quelles conversations manquez-vous ? Vous ressentez la « peur de rater quelque chose », connue sous l’acronyme FOMO (« Fear Of Missing Out »).

D’où vient cette inquiétude ? De notre cerveau programmé pour rechercher des récompenses ? De la pression sociale ? De nos habitudes numériques ? La réponse est probablement un mélange des trois, mais pas exactement de la manière dont on nous le raconte.

Ce que les penseurs nous ont appris sur l’anxiété sociale

En 1899, l’économiste Thorstein Veblen (1857-1929), l’un des théoriciens invoqués dans l’industrie du luxe décrit la « consommation ostentatoire » : l’aristocratie ne consomme pas pour satisfaire des besoins, mais pour signaler son statut social. Cette logique génère une anxiété : celle de ne pas être au niveau, de se retrouver exclu du cercle des privilégiés.

À la même époque, le philosophe allemand Georg Simmel (1858-1918) prolonge cette analyse en étudiant la mode. Il décrit une tension : nous voulons simultanément nous distinguer et appartenir. La mode résout temporairement cette contradiction, mais au prix d’une course perpétuelle. Dès qu’un style se diffuse, il perd sa valeur. Cette dynamique crée un système où personne n’est épargné : les élites doivent innover sans cesse tandis que les autres courent après des codes qui se dérobent.

En 1959, le sociologue Erving Goffman (1922-1982) théorise nos interactions comme des performances théâtrales. Nous gérons constamment l’impression donnée aux autres, alternant entre scène (où nous jouons notre rôle) et coulisses (où nous relâchons la performance). Sa question résonne aujourd’hui : que se passe-t-il quand les coulisses disparaissent ? Quand chaque instant devient potentiellement documentable, partageable ?

Enfin, plus récemment, le philosophe Zygmunt Bauman (1925-2017) a développé le concept de « modernité liquide » : dans un monde d’options infinies, l’anxiété n’est plus liée à la privation, mais à la saturation. Comment choisir quand tout semble possible ? Comment être certain d’avoir fait le bon choix ?

Ces quatre penseurs n’ont évidemment pas anticipé les réseaux sociaux, mais ils ont identifié les ressorts profonds de l’anxiété sociale : l’appartenance au bon cercle (Veblen), la maîtrise des codes (Simmel), la performance permanente (Goffman) et l’angoisse du choix (Bauman) – des mécanismes que les plateformes numériques amplifient de manière systématique.

FOMO à l’ère numérique

Avec la généralisation des smartphones, le terme se popularise au début des années 2010. Une étude le définit comme « une appréhension omniprésente que d’autres pourraient vivre des expériences enrichissantes desquelles on est absent ». Cette anxiété naît d’une insatisfaction des besoins fondamentaux (autonomie, compétence, relation) et pousse à un usage compulsif des réseaux sociaux.

Que change le numérique ? L’échelle, d’abord : nous comparons nos vies à des centaines de vies éditées. La permanence, ensuite : l’anxiété est désormais continue, accessible 24 heures sur 24. La performativité, enfin : nous ne subissons plus seulement le FOMO, nous le produisons. C’est ainsi que chaque story Instagram peut provoquer chez les autres l’anxiété que nous ressentons.

Le syndrome de vibration fantôme illustre cette inscription corporelle de l’anxiété. Une étude menée sur des internes en médecine révèle que 78 % d’entre eux rapportent ces vibrations fantômes, taux qui grimpe à 96 % lors des périodes de stress intense. Ces hallucinations tactiles ne sont pas de simples erreurs perceptives, mais des manifestations d’une anxiété sociale accrue.

Au-delà de la dopamine : une anxiété d’appartenance

De nombreux livres et contenus de vulgarisation scientifique ont popularisé l’idée que le FOMO s’expliquerait par l’activation de notre « circuit de récompense » cérébral.

Ce système fonctionne grâce à la dopamine, un messager chimique du cerveau (neurotransmetteur) qui déclenche à la fois du plaisir anticipé et une forte envie d’agir pour ne rien manquer. Dans le Bug humain (2019), Sébastien Bohler développe notamment la thèse selon laquelle notre cerveau serait programmé pour rechercher constamment davantage de ressources (nourriture, statut social, information).

Selon cette perspective, les plateformes de réseaux sociaux exploiteraient ces circuits neuronaux en déclenchant de manière systématique des réponses du système de récompense, notamment par le biais des signaux de validation sociale (likes, notifications), ce qui conduirait à des formes de dépendance comportementale.

D’autres travaux en neurosciences pointent vers une dimension complémentaire, peut-être plus déterminante : l’activation de zones cérébrales liées au traitement des informations sociales et à la peur de l’exclusion. Les recherches menées par Naomi Eisenberger et ses collègues depuis les années 2000 ont révélé que les expériences d’exclusion sociale activent des régions cérébrales qui chevauchent partiellement celles impliquées dans le traitement de la douleur physique.

Elles suggèrent que le rejet social constitue une forme de souffrance inscrite biologiquement. Ces deux mécanismes – recherche de récompense et évitement de l’exclusion – ne s’excluent pas mutuellement, mais pourraient opérer de manière synergique. Au fond, ce n’est pas tant le manque d’un like qui nous inquiète que le sentiment d’être en marge, de ne pas appartenir au groupe social.

Cette inscription neurobiologique de la peur de l’exclusion confirme, d’une autre manière, ce qu’avaient analysé Veblen, Simmel, Goffman et Bauman : l’anxiété d’appartenance constitue un ressort fondamental de nos comportements sociaux, que les plateformes numériques amplifient désormais de manière systématique.

Reprendre le contrôle de l’attention ?

L’anxiété sociale comparative n’a donc pas attendu Instagram pour exister. Mais il faut reconnaître une différence d’échelle : nos cerveaux, façonnés pour des groupes de quelques dizaines d'individus, ne sont pas équipés pour traiter le flux incessant de vies alternatives qui défile sur nos écrans.

Face à cette saturation, la déconnexion n’est pas une fuite mais une reconquête. Choisir de ne pas regarder, de ne pas savoir, de ne pas être connecté en permanence, ce n’est pas rater quelque chose – c’est gagner la capacité d’être pleinement présent à sa propre vie. Cette prise de conscience a donné naissance à un concept miroir du FOMO : le JOMO, ou « Joy of Missing Out », le plaisir retrouvé dans le choix conscient de la déconnexion et dans la réappropriation du temps et de l’attention.

The Conversation

Emmanuel Carré ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

22.10.2025 à 17:50

Pourquoi nous continuons à chasser les fantômes – et ce que cela dit de nous

Alice Vernon, Lecturer in Creative Writing and 19th-Century Literature, Aberystwyth University
Des séances victoriennes de spiritisme à TikTok, les chasses aux fantômes en disent plus long sur les vivants que sur les morts.
Texte intégral (1602 mots)
Les maisons hantées, lieux de prédilection pour la chasse aux fantômes. Juiced Up Media/Shutterstock

Des séances de spiritisme, très populaires au XIXᵉ siècle, aux vidéos contemporaines qui retracent des « chasses aux fantômes dans des maisons hantées », la quête d’une forme de communication avec l’Au-delà en dit long sur nos peurs et sur notre rapport à la mort.


En 1874, le célèbre chimiste Sir William Crookes était assis dans une pièce sombre, les yeux fixés sur un rideau recouvrant une alcôve. Soudain, le rideau s’est agité, et un fantôme lumineux, celui d’une jeune femme vêtue d’un linceul blanc, en est sorti. Crookes était fasciné.

Mais le fantôme était faux, et l’implication du scientifique dans des séances de spiritisme faillit ruiner sa carrière. Malgré tout, Crookes, comme des milliers d’autres après lui, continua à rechercher des preuves de l’existence des esprits.

La popularité des séances de spiritisme victoriennes et de la pseudo-religion qui y était associée (le spiritisme) se répandit rapidement à travers le monde. Des petits salons silencieux où se réunissaient les personnes récemment endeuillées aux grandes salles de concert, le public était avide de spectacles effrayants.

Aujourd’hui, la chasse aux fantômes reste un sujet culturel extrêmement populaire. Des plateformes, telles que YouTube et TikTok, regorgent désormais d’enquêteurs amateurs qui parcourent des bâtiments abandonnés et des maisons hantées bien connues afin de recueillir des preuves.

J’ai passé ces dernières années à faire des recherches sur l’histoire sociale de la chasse aux fantômes pour mon nouveau livre, Ghosted : A History of Ghost-Hunting, and Why We Keep Looking (cet ouvrage n’est pas traduit en français, ndlr), afin d’examiner les fantômes du point de vue des vivants. Pourquoi continuons-nous à nous accrocher à l’espoir de trouver une preuve de l’existence d’une vie après la mort ?

La chasse aux fantômes est devenue un phénomène international en 1848, lorsque les jeunes sœurs Kate et Mary Fox ont popularisé un code pour communiquer avec le fantôme qui, selon elles, hantait leur ferme à Hydesville, dans l’État de New York : il s’agissait, pour l’esprit invoqué, de frapper un certain nombre de coups pour former des réponses.

Cinq ans plus tard, on estimait qu’elles avaient amassé 500 000 dollars (soit près de 17 millions d’euros aujourd’hui). Le spiritisme s’est répandu dans le monde entier, en particulier au Royaume-Uni, en France et en Australie. Il a été favorisé par les nombreuses pertes humaines qui ont suivi la guerre civile américaine et, au début du XXe siècle, par les pertes massives causées par la Première Guerre mondiale.

Les gens se tournaient vers le spiritisme et la chasse aux fantômes pour obtenir la gloire et la fortune, mais aussi pour cultiver l’espoir et chercher inlassablement des preuves que la mort n’était pas la fin.

L’essor du scepticisme

Parallèlement au spiritisme, cependant, des sceptiques désireux de découvrir la vérité sur les fantômes ont fait leur apparition. Les critiques les plus virulents du spiritisme étaient les magiciens, qui estimaient que les médiums tentaient de copier leur art, mais en adoptant une approche moralement répréhensible. Au moins, le public d’un magicien savait qu’il était délibérément trompé.

Le célèbre illusionniste Harry Houdini, par exemple, se disputait souvent avec son ami proche et fervent spirite, l’écrivain britannique Sir Arthur Conan Doyle, au sujet des pratiques frauduleuses des médiums.

Avec l’essor des laboratoires scientifiques modernes et le développement des appareils portables d’enregistrement du son et de l’image au XXe siècle, la chasse aux fantômes est devenue un passe-temps de plus en plus populaire et sensationnel. Harry Price, chercheur en parapsychologie, auteur et amateur professionnel, a utilisé la chasse aux fantômes pour créer un culte de la personnalité, dénichant toute apparition intéressante susceptible de lui apporter de la notoriété.

C’est lui qui a introduit la chasse aux fantômes dans les médias comme forme de divertissement. En 1936, il a réalisé une émission en direct sur la BBC depuis une maison hantée.

Le programme lancé par Price est le précurseur oublié de la chasse aux fantômes telle que nous la connaissons aujourd’hui. Les émissions de téléréalité imitent le format de son émission de 1936, avec des exemples tels que Most Haunted qui a su fidéliser son public depuis sa première diffusion sur Living TV en 2002. Bien qu’elle ne soit plus produite pour la télévision, l’équipe de Most Haunted continue de filmer et de publier de nouveaux épisodes sur sa chaîne YouTube.

Most Haunted est apparue pour la première fois à la télévision en 2002, mais est désormais disponible sur YouTube.

Elle a également clairement influencé des copies internationales telles que Bytva ekstrasensov en Ukraine et Ghost Hunt en Nouvelle-Zélande. Les réseaux sociaux ont également changé notre façon de chasser les fantômes. Ils ont permis à des groupes d’amateurs et à des enquêteurs d’atteindre un public immense sur diverses plateformes.

Mais la chasse aux fantômes est également marquée par une forte concurrence, les groupes et les enquêteurs cherchant à se surpasser les uns les autres pour obtenir les meilleures preuves. Pour beaucoup, cela signifie s’équiper d’outils dignes des ghostbusters. Il peut s’agir de gadgets et de capteurs clignotants, notamment des détecteurs de champs électromagnétiques, des enregistreurs audio high-tech et même des jouets pour chats à LED activés par le mouvement.

Tout cela dans le but d’obtenir les preuves les plus « scientifiques » et, par conséquent, la popularité et le respect de leurs pairs. Il semble que plus nous prétendons être scientifiques dans la recherche de fantômes, plus nous laissons les théories pseudoscientifiques envahir la chasse.

Une histoire de sociabilité

Pourtant, nous n’abandonnons jamais. C’est ce qui m’a fasciné lorsque j’ai entrepris mes recherches. Je voulais savoir pourquoi, après des siècles, nous ne sommes toujours pas plus près d’obtenir des preuves concluantes de l’existence du paranormal, tandis que la chasse aux fantômes est plus populaire que jamais.

J’ai même participé à quelques chasses aux fantômes pour essayer de comprendre ce mystère. Ma conclusion ? La chasse aux fantômes sert à créer des liens sociaux et en dit plus long sur les vivants que sur les morts.

J’ai vécu les expériences les plus amusantes de ma vie lors de ces chasses, qui m’ont permis d’entrer en contact, non pas avec des fantômes, mais avec de nouvelles personnes et aussi d’en apprendre davantage sur l’histoire des bâtiments « hantés ».

Ce que j’ai appris, c’est que la chasse aux fantômes concerne davantage les vivants que les morts ou les fantômes que nous essayons de trouver. La chasse aux fantômes, lorsqu’elle est pratiquée de manière éthique, est une activité sociale de première importance. Elle nous permet de surmonter notre chagrin, d’affronter notre peur de la mort et d’explorer ce que signifie être en vie.

The Conversation

Alice Vernon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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