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17.07.2025 à 15:48

La Terre retient bien plus de chaleur que ne le prévoient les modèles climatiques, et ce n’est pas une bonne nouvelle

Steven Sherwood, Professor of Atmospheric Sciences, Climate Change Research Centre, UNSW Sydney
Benoit Meyssignac, Associate Research Scientist in Climate Science, Université de Toulouse
Thorsten Mauritsen, Professor of Climate Science, Stockholm University
Les mesures de la quantité de chaleur piégée par la Terre dépassent largement les prévisions des modèles climatiques, et les scientifiques ont encore du mal à l’expliquer.
Texte intégral (2167 mots)
Surface de la Terre vue depuis l’espace, on peut observer la fine couche de l’atmosphère qui la recouvre et le Soleil qui brille au-dessus. Nasa, CC BY-NC-ND

L’énergie du rayonnement solaire qui arrive sur Terre est en partie absorbée par son atmosphère, où elle est piégée sous forme de chaleur : c’est l’effet de serre. Mais les modèles climatiques semblent s’être trompés. La chaleur s’accumule désormais deux fois plus vite qu’il y a vingt ans, le double de ce que la théorie prévoyait.


Comment mesurer le changement climatique ? L’une des méthodes consiste à enregistrer la température à différents endroits sur une longue période. Même si cette méthode fonctionne bien, les variations naturelles peuvent rendre plus difficile l’observation de tendances à long terme.

Mais une autre approche peut nous donner une idée très claire de ce qui se passe : il s’agit de suivre la quantité de chaleur qui entre dans l’atmosphère terrestre et la quantité de chaleur qui en sort. Cela revient à dresser le budget énergétique de la Terre, et il est aujourd’hui bel et bien déséquilibré.

Notre étude récente a montré que ce déséquilibre a plus que doublé au cours des vingt dernières années. D’autres chercheurs sont arrivés aux mêmes conclusions. Ce déséquilibre est aujourd’hui beaucoup plus important que ce que les modèles climatiques estimaient.

Au milieu des années 2000, le déséquilibre énergétique était d’environ 0,6 watts par mètre carré (W/m2) en moyenne. Ces dernières années, la moyenne était plus proche de 1,3 W/m2. Cela signifie que la vitesse à laquelle l’énergie s’accumule à la surface de la planète a doublé.

Ces résultats suggèrent que le changement climatique pourrait bien s’accélérer dans les années à venir. Pis, ce déséquilibre inquiétant apparaît alors même que l’incertitude concernant les financements états-uniens d’études du climat menace notre capacité à suivre les flux de chaleur.

Équilibre de ce qui entre et de ce qui sort

Le budget énergétique de la Terre fonctionne un peu comme un compte en banque, où l’énergie sert de monnaie, et peut entrer et sortir. En réduisant les dépenses, on accumule de l’argent sur le compte. La vie sur Terre dépend de l’équilibre entre la chaleur provenant du Soleil et celle qui sort vers l’espace. Cet équilibre est en train de basculer d’un côté.

L’énergie solaire frappe la Terre et la réchauffe. Les gaz à effet de serre qui piègent la chaleur dans l’atmosphère retiennent une partie de cette énergie. Mais la combustion de charbon, de pétrole et de gaz a ajouté plus de deux billions (soit deux mille milliards) de tonnes de CO2 et d’autres gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Ces gaz emprisonnent de plus en plus de chaleur, l’empêchant de s’échapper.

Une partie de cette chaleur supplémentaire réchauffe la Terre ou fait fondre les banquises, les glaciers et les nappes glaciaires. Mais cela ne représente qu’une infime partie de l’énergie que reçoit la Terre : 90 % de cette chaleur est absorbée par les océans en raison de leur énorme capacité calorifique.


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La Terre perd naturellement de la chaleur de plusieurs manières. L’une d’entre elles consiste à réfléchir la chaleur entrante sur les nuages, la neige et la glace et à la renvoyer dans l’espace. Notre planète perd aussi une partie de son énergie sous forme de rayonnement infrarouge qui est également émis vers l’espace.

Depuis le début de la civilisation humaine jusqu’à il y a tout juste un siècle, la température moyenne à la surface était d’environ 14 °C. Le déséquilibre énergétique qui s’accumule a maintenant fait grimper les températures moyennes de 1,3 à 1,5 °C.

Mesurer le bilan énergétique depuis l’espace et sur Terre

Les scientifiques suivent le bilan énergétique de deux manières. Tout d’abord, nous pouvons mesurer directement la chaleur provenant du Soleil et retournant dans l’espace, en utilisant des radiomètres, des instruments embarqués sur des satellites de surveillance. Cet ensemble de données et ses prédécesseurs existent depuis la fin des années 1980.

Ensuite, nous pouvons suivre avec précision l’accumulation de chaleur dans les océans et l’atmosphère en effectuant des relevés de température. Des milliers de flotteurs robotisés ont surveillé les températures dans les océans du monde entier depuis les années 1990.

Les deux méthodes montrent que le déséquilibre énergétique a rapidement augmenté. Ce doublement a été un choc, car les modèles climatiques les plus élaborés que nous utilisons ne prévoyaient pas un changement aussi important et aussi rapide. En général, ils prévoient moins de la moitié du changement que nous observons en réalité.

Pourquoi ce changement si rapide ?

Nous n’expliquons pas encore complètement cette situation. Mais de nouvelles recherches suggèrent qu’un facteur important est à trouver dans les nuages.

Les nuages ont en général un effet de refroidissement. Mais la zone couverte par les nuages blancs très réfléchissants a diminué, tandis que la zone couverte par les nuages épars et moins réfléchissants a augmenté.

On ne sait pas exactement pourquoi les nuages changent. Une explication possible pourrait être les conséquences des efforts fructueux déployés pour réduire la teneur en soufre des carburants utilisés pour le transport maritime depuis 2020, car la combustion de carburants plus sales pourrait avoir eu un effet d’éclaircissement des nuages. Toutefois, l’accélération du déséquilibre du budget énergétique terrestre a commencé avant cette évolution.

Les fluctuations naturelles du système climatique, telles que l’oscillation décennale du Pacifique, pourraient également jouer un rôle. Enfin, et c’est le plus inquiétant, le changement de la nature des nuages pourrait faire partie d’une tendance causée par le réchauffement climatique lui-même : il s’agirait d’une rétroaction positive, qui amplifie le réchauffement.

Des nuages blancs
Les nuages blancs et denses sont ceux qui réfléchissent le plus de chaleur. Mais la zone couverte par ces nuages rétrécit. Adhivaswut/Shutterstock

Le réchauffement climatique serait-il plus intense que prévu ?

Ces résultats suggèrent que les températures extrêmement élevées de ces dernières années ne sont pas des cas isolés, mais qu’elles pourraient refléter un renforcement du réchauffement au cours de la prochaine décennie, voire pendant plus longtemps encore. Cela signifie qu’il y aura davantage de risques que les événements climatiques soient plus intenses, qu’il s’agisse de vagues de chaleur caniculaire, de sécheresses ou de pluies extrêmes, ou de vagues de chaleur marine plus intenses et plus durables.

Ce déséquilibre pourrait avoir des conséquences plus graves à long terme. De nouvelles recherches montrent que les seuls modèles climatiques qui s’approchent d’une simulation qui reflète les mesures réelles sont ceux dont la « sensibilité climatique » est plus élevée. Ces modèles prévoient un réchauffement plus important au-delà des prochaines décennies, dans les scénarios où les émissions ne sont pas réduites rapidement. Toutefois, nous ne savons pas encore si d’autres facteurs entrent en jeu. Il est encore trop tôt pour affirmer que nous sommes sur une trajectoire de sensibilité élevée.

Continuer à surveiller

Nous connaissons la solution depuis longtemps : arrêter la combustion d’énergies fossiles et supprimer progressivement les activités humaines qui provoquent des émissions, comme la déforestation.

Conserver des données précises sur de longues périodes est essentiel si nous voulons détecter les changements inattendus.

Les satellites, en particulier, constituent notre système d’alerte précoce, car ils nous informent des changements dans les processus de stockage de la chaleur environ une décennie avant les autres méthodes.

Mais les coupes budgétaires et les changements radicaux de priorités aux États-Unis pourraient menacer la surveillance essentielle du climat par satellite.

The Conversation

Steven Sherwood a reçu des financements du Conseil australien de la recherche et de la Mindaroo Foundation.

Benoit Meyssignac a reçu des financements de la Commission européenne, de l'Agence spatiale européenne (ESA) et du CNES.

Thorsten Mauritsen a reçu des financements du Conseil européen de la recherche (ERC), de l'Agence spatiale européenne (ESA), du Conseil suédois de la recherche, de l'Agence spatiale nationale suédoise et du Centre Bolin pour la recherche sur le climat.

16.07.2025 à 17:21

Dans les pays du Sud, une protection sociale écologique pour faire face aux conséquences du changement climatique

Léo Delpy, Maitre de conférences, Université de Lille
Bruno Boidin, Professeur des universités, Université de Lille
Le changement climatique menace à la fois la subsistance économique et la santé des populations. Des dispositifs d’aide existent mais restent souvent cloisonnés.
Texte intégral (1775 mots)

Face aux évènements climatiques extrêmes, les pays du Sud et les organisations internationales déploient des fonds d’urgence et des projets One Health liant santé humaine, animale et environnementale. Mais ces initiatives restent souvent cloisonnées. Comment repenser la protection sociale pour qu’elle s’adapte aux défis climatiques ?


Selon le GIEC, le changement climatique provoque de nombreuses conséquences sur la santé humaine : augmentation de la mortalité liée aux vagues de chaleur, aggravation des crises alimentaires, difficultés accrues d’accès à l’eau, émergence de zoonoses… Le dernier rapport mondial sur la protection sociale de l’Organisation internationale du travail souligne quant à lui un paradoxe : dans les 20 pays les plus vulnérables face au changement climatique, seuls 8,7 % de la population en moyenne bénéficie d’un dispositif de protection sociale.

Pourtant, le lancement depuis les années 2010 de politiques d’extension de la protection sociale et de couverture santé universelle dans les pays à faible revenu promettait de réelles avancées. Le Rwanda, par exemple, est souvent considéré comme une réussite après la mise en place de l’adhésion obligatoire aux mutuelles pour les travailleurs de l’économie informelle (l’ensemble des emplois qui ne sont pas réglementés ou protégés par l’État) et un engagement fort de l’État. Ce type de politique a été initié dans la quasi-totalité des pays d’Afrique subsaharienne, mais le bilan demeure contrasté. Face à ce constat, comment construire une protection sociale non seulement plus étendue mais également adaptée aux conséquences du changement climatique ?

Des dispositifs existants mais insuffisants

Devant l’intensification généralisée des effets du changement climatique, l’économiste Eloi Laurent indique que le secteur privé ne pourra pas assurer la couverture de ce type de risques, et ce pour plusieurs raisons. D’une part, les sinistres liés au changement climatique ont des impacts variables dont il est difficile d’estimer les conséquences et les coûts associés. De plus, ces sinistres affectent différemment les territoires, si bien que certains ne sont pas rentables pour les compagnies d’assurance, comme les régions côtières.

Eloi Laurent propose dans ce contexte une protection sociale écologique qui adapterait la protection sociale aux risques écologiques. Il s’agit de mutualiser les coûts en lien avec la couverture de ces risques et de lutter contre les inégalités liées au changement climatique.

En Afrique subsaharienne, quelques initiatives vont dans ce sens. L’un des dispositifs emblématiques dans l’extension de la protection sociale face au changement climatique est le programme de protection sociale adaptative au Sahel. Mis en œuvre en 2014 par la Banque mondiale et des gouvernements nationaux, il est encore aujourd’hui déployé dans six pays (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad).

Ce programme propose d’associer des transferts monétaires ciblés sur des populations fragiles en cas d’évènements climatiques à un dispositif d’alerte précoce. Ce mécanisme se fonde sur des indicateurs régulièrement mis à jour afin d’anticiper la survenue d’une crise, par exemple une sécheresse. Une partie de l’aide est alors débloquée lorsque les indicateurs du système d’alerte (pluviométrie en ce qui concerne les sécheresses) dépassent les seuils fixés.

Cependant, le programme ne permet de couvrir qu’une part relativement réduite des risques nationaux. Au total, selon le rapport annuel de 2024, ce sont près de 1,2 million d’individus qui bénéficient d’un dispositif de réponse aux crises. Cela représente une infime partie des populations et risques dans la région. Par ailleurs, on peut s’interroger sur la durabilité de tels programmes dont le financement est entièrement assuré par des organisations internationales. Au vu du coût actuel du programme (plusieurs dizaines de millions d’euros annuels), il parait difficile de proposer une couverture pérenne à l’ensemble des populations.

Lier protection sociale adaptative et approche One Health (« Une seule santé »)

L’approche One Health est une conception intégrée considérant comme centrales les interdépendances entre santé humaine, santé animale et santé environnementale. Le groupe d’experts de haut niveau Une seule santé la définit ainsi : « “Une seule santé” (One Health) […] reconnaît que la santé des êtres humains, des animaux domestiques et sauvages, des plantes et de l’environnement au sens large (y compris les écosystèmes) sont étroitement liées et interdépendantes. »

En Afrique, plusieurs initiatives ont été lancées à partir de cette approche, principalement en vue de lutter contre les maladies infectieuses, en particulier les zoonoses. Quelques pays sont considérés comme relativement avancés (Kenya, Tanzanie), ayant mis en place une plate-forme One Health associant les différents acteurs concernés (ministères de la santé, de l’environnement, services vétérinaires…). D’autres pays sont également actifs mais moins avancés (Cameroun, Sénégal…).

Le projet Thiellal au Sénégal est une illustration intéressante de ces initiatives. Dans une région d’élevage et d’agriculture, l’absence de gestion organisée des ordures ménagères exerce un impact considérable sur les communautés d’éleveurs et d’agriculteurs (pollution plastique, chimique, résistance aux antimicrobiens provoquée par les déchets de médicaments…). Le projet Thiellal vise à mobiliser les communautés locales pour agir sur les déterminants de la santé en recourant à une approche One Health.

Plusieurs solutions fondées sur une logique One Health ont ainsi été mises en place. Elles ont consisté à former des acteurs communautaires et professionnels pour la mise en œuvre d’actions adaptées aux contextes locaux (tri des déchets, agroécologie), à sensibiliser les agriculteurs aux risques liés à l’utilisation des produits chimiques et à trouver des solutions alternatives, et enfin à soutenir des décisions à l’échelle communautaire, en plus des acteurs publics locaux et nationaux. Ce projet illustre cependant le fait que les projets One Health n’intègrent généralement pas de dispositifs de protection sociale, et réciproquement.

Des initiatives qui restent cloisonnées

On constate que les dispositifs de protection sociale adaptative décrits plus haut continuent d’être mis en œuvre de façon indépendante des initiatives One Health. Les premiers sont portés par certains acteurs de l’aide au développement (Banque mondiale, Unicef, Programme alimentaire mondial), les seconds le sont par d’autres institutions (Organisation mondiale de la santé, Organisation mondiale de la santé animale, Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, Programme des Nations unies pour l’environnement…). Le cloisonnement des deux types d’actions aboutit à une absence de synergie et une moindre efficacité des deux dispositifs.

En effet, la protection sociale comporte un volet de gestion et d’anticipation des risques qui en l’état n’intègre pas les enseignements de l’approche One Health. Ainsi, pour reprendre l’exemple du projet Thiellal, l’utilisation de pesticides, l’agriculture productiviste et la pollution de l’eau sont aussi des facteurs qui contribuent à accroître le risque de phénomènes climatiques extrêmes. Ces derniers à leur tour mettent gravement en danger les conditions de vie et la santé humaine, car ils créent des désastres environnementaux et réduisent l’accès à l’alimentation (pertes de cheptel et de production agricole). Prendre en compte ces effets semble indispensable à la réussite des dispositifs de protection sociale.

La compréhension des interactions entre santé humaine, santé animale et santé environnementale devrait être systématiquement intégrée aux dispositifs de protection sociale en tant que facteurs de risque mesurable (pour rendre plus fiables les indicateurs d’alerte précoce) mais aussi en tant que leviers d’une amélioration des synergies entre santé et environnement.

Par exemple, l’agroécologie, en réduisant l’usage des pesticides et d’autres produits polluants, assurerait la protection de l’environnement, des animaux, et aurait des effets significatifs sur la santé humaine. Au Bénin, la ferme Songhaï est une illustration de réussite d’un centre de formation et de production agricole fondé sur l’agroécologie. La ferme génère des revenus locaux, produit des denrées alimentaires de qualité sans nuire à l’environnement. D’une certaine façon, cette expérience adopte une approche One Health sans le savoir.

Intégrer cette conception aux systèmes locaux de protection sociale permettrait ainsi d’agir sur deux dimensions. D’une part, recréer des écosystèmes viables sur le plan économique, social et environnemental. D’autre part, assurer les bénéfices de ces écosystèmes pour les populations qui en seraient directement contributrices, tout en étant couvertes par une protection sociale armée contre les risques climatiques.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

15.07.2025 à 17:54

Qui est le capybara, cet étonnant rongeur qui a gagné le cœur des internautes ?

Christiane Denys, Professeure Emerite du Museum, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
Cet étonnant rongeur d’allure flegmatique est devenu la coqueluche des réseaux sociaux. Mais qui est-il vraiment ?
Texte intégral (3116 mots)

Cet étonnant rongeur d’allure flegmatique, qui peut peser jusqu’à 100 kg en captivité, est devenu en quelques mois la coqueluche des réseaux sociaux. Au point que certains le choisissent même comme animal de compagnie. Mais, derrière cet effet de mode, il convient de s’interroger : ses mœurs ne sont pas du tout adaptées à la vie en appartement, tandis que les activités humaines contribuent bel et bien à la dégradation de son habitat naturel.


Le capybara n’est-il qu’un gros cochon d’Inde placide et affectueux ? Depuis 2020, on assiste sur les réseaux sociaux à une véritable « capybara mania ». Certains animaux vivent même comme des animaux de compagnie, en appartement ou dans des jardins, que ce soit en Chine, au Canada ou en Russie, avec leur lot d’images et de peluches kawai.

Par ailleurs, depuis 2021, les habitants de la ville résidentielle de Nordelta, en Argentine, ont vu leurs pelouses et leurs piscines envahies par un grand nombre de capybaras. Les causes de cette invasion – tout comme de l’engouement récent pour le rongeur – sont mal connues, mais certains l’attribuent au fait que ce quartier ait été construit sur une zone qui constituait jadis leur habitat naturel.

D’une manière générale, on connaît assez mal ce rongeur d’un point de vue scientifique. Qui est celui que Linné appelait « cochon d’eau » en 1766 lors de sa découverte ? Où vit-il à l’état sauvage ? Comment vit-il ? Est-il menacé par les changements planétaires en cours ? Portrait-robot.

Dans la famille des capybaras, je voudrais…

Le capybara appartient au genre Hydrochoerus qui comprend actuellement deux espèces : le grand capybara (ou Hydrochoerus hydrochaeris), qui est le plus populaire, et le capybara du Panama (ou Hydrochoerus isthmius) qui serait plus petit, mais qui reste assez mal connu.

Le genre Hydrochoerus appartient à un sous-ordre de rongeurs très anciens ne vivant qu’en Amérique du Sud et caractérisés par une mâchoire de forme particulière, où un muscle de la mâchoire traverse partiellement une structure osseuse sous-orbitaire pour se connecter à l’os du crâne au dessus. On qualifie d’« hystricognathes » les rongeurs ayant cette particularité.

Mara patagonien dans un zoo en Argentine. Snowmanradio/Wikipedia, CC BY

Au sein de ce genre, le capybara est un membre de la famille des Caviidae qui comprend aussi les cochons d’Inde et les lièvres des pampas (les maras).

Cette famille s’est diversifiée il y a environ 18 millions à 14 millions d’années en Amérique du Sud et regroupe actuellement 20 espèces, ce qui en fait une des plus diversifiées d’Amérique du Sud.

Kerodon rupestris photographié au Brésil. Carlos Reis/Flickr, CC BY-NC-ND

Une phylogénie moléculaire place le capybara (Hydrochoerus) comme groupe frère des Kerodon (cobaye des rochers, voir image ci-contre) tandis que le cochon d’Inde (genre Cavia), pour sa part, est un cousin plus éloigné du capybara.

Le grand capybara se rencontre à l’état sauvage depuis l’est des Andes et de la Colombie jusqu’au Brésil, la Bolivie, le Paraguay, l’Argentine, l’Uruguay. Le capybara du Panama, pour sa part, vit à l’est du Panama et l’ouest de la Colombie et au nord-ouest du Venezuela.

Des ancêtres pouvant peser jusqu’à 300 kg

C’est le grand capybara que l’on rencontre le plus souvent dans les parcs zoologiques et qui retient l’attention du public en ce moment. De tous les rongeurs, le grand capybara est actuellement le plus gros par sa taille (1 m à 1,3 m) et son poids (35 kg à 65 kg) à l’état sauvage (jusqu’à 100 kg en captivité). Mais à côté de ses ancêtres, c’est un poids plume !

En effet, on estime que ses ancêtres fossiles étaient des capybaras géants. Appelés Phugatherium et Protohydrochoerus, ils ont vécu il y a 4 millions à 2,5 millions d’années en Argentine et en Bolivie. Ces derniers pouvaient mesurer jusqu’à 2 mètres de long et peser de 200 kg à 300 kg, soit la taille d’un tapir selon certains scientifiques – une évaluation ramenée par d’autres à environ 110 kg.

Comparé au cochon d’Inde, le capybara se distingue par sa taille imposante, la présence d’une petite queue, un pelage long mais rêche de couleur brun doré uniforme, la présence d’une petite membrane entre les trois doigts des pattes, qui lui servent de palmes pour nager, et enfin par sa mâchoire, avec de longues dents très hautes (sans racines visibles, on dit qu’elles sont hypsodontes) avec de nombreuses crêtes obliques et une troisième molaire très grande.

Anatomie de la mâchoire du capybara. Phil Myers photographer & copyright holder, Museum of Zoology, University of Michigan-Ann Arbor, USA.

Enfin, le museau est haut et tronqué à l’avant, les oreilles petites et rondes et les yeux très en hauteur et en arrière de la tête.

Comme le lapin, il ingère ses propres fèces

Contrairement au cochon d’Inde sauvage, qui vit dans les prairies sèches et les zones boisées des Andes, le capybara préfère vivre au bord de bord de l’eau dans les zones tropicales et subtropicales de plus basse altitude. Il fréquente les zones forestières et les prairies humides des Llanos du Venezuela ou du Pantanal brésilien. C’est un rongeur subaquatique et végétarien qui aime les herbes, les graines et les végétaux aquatiques.

Comme le lapin, le capybara ingère certaines de ses crottes afin de terminer leur digestion. CC BY

Son mode de digestion s’apparente à celui des ruminants. Il possède une digestion cæcale et pratique la caecotrophie (c’est-à-dire, l’ingestion de ses crottes pour une meilleure assimilation des fibres, comme chez les lapins.

À l’état sauvage, ils vivent en groupes de 2 à 30 individus dirigés par un mâle dominant qui assure la reproduction auprès des femelles et défend le territoire où le groupe trouve ses ressources alimentaires.

La taille du territoire dépend de la qualité des ressources alimentaires et peut varier de 10 hectares à 200 hectares, avec une densité de peuplement qui peut atteindre jusqu’à 15 individus par hectare.

Les capybaras femelles peuvent avoir deux reproductions par an. Leurs portées comprennent en moyenne de 3 à 5 jeunes, qui naissent après quatre à cinq mois de gestation. La croissance est rapide et les jeunes atteignent la maturité sexuelle entre quatorze et dix-huit mois, pesant autour de 35 kg.

En groupe, ils émettent des vocalisations fortes à l’approche d’un prédateur (jaguar, puma, chacal ou anaconda). Le groupe se réfugie alors dans l’eau, où les individus sont de bons nageurs et plongeurs.

Un habitat naturel menacé

Ces rongeurs peuvent être diurnes ou nocturnes, en fonction des pressions de chasse ou de la saison. Bien que l’espèce vive dans beaucoup d’aires protégées, elle est aujourd’hui chassée pour sa viande et son cuir. Toutefois, il existe aujourd’hui de nombreux élevages qui réduisent la pression sur les populations sauvages.

Les populations sauvages de capybaras ne semblent pas être en diminution et l’espèce n’est pas considérée comme en danger de disparition. Cependant, il semblerait que les fortes diminutions de pluie observées sur son habitat depuis 2020 aient eu un impact.

En effet, la survenue de feux de forêt de plus en plus fréquents et grands – du fait du défrichement des forêts en saison sèche, notamment pour augmenter la surface de pâturage disponible pour le bétail – provoque dans le Pantanal brésilien une mortalité animale importante.

Dans les Llanos vénézuéliens, le défrichement des forêts se poursuit aussi, non seulement pour le développement de l’agriculture et de l’élevage, mais également en raison de l’exploitation des bois précieux et du développement de l’industrie pétrolière. Dans le même temps, la construction de barrages hydroélectriques assèche certaines zones. Tous ces événements contribuent à réduire l’habitat naturel du grand capybara.

La cohabitation et la domestication en question

Au-delà de ces grandes zones forestières, en Argentine, ces rongeurs sont de plus en plus visibles dans la banlieue de Buenos Aires. Des résidences ont été construites le long du fleuve où ils vivaient, et l’urbanisation de leurs territoires les empêche de s’alimenter normalement. En l’absence de prédateurs, nourris par certains habitants qui, les trouvant mignons, les laissent entrer sur leurs pelouses et dans leurs piscines, ces rongeurs se multiplient facilement.

La plupart des résidents trouvent que le capybara est calme et peu agressif, sauf les mâles vocalisant et se bagarrant pour la domination du troupeau. Les capybaras ont de moins en moins peur de s’approcher des humains, ce qui explique, là encore, pourquoi on les voit de plus en plus – et pourquoi le nombre d’accidents augmente.

Dans le monde, de plus en plus de personnes vont même jusqu’à en adopter, les considérant comme un animal de compagnie docile et apaisant. Il est recommandé de ne choisir que des femelles et il vaut mieux disposer d’un grand plan d’eau à proximité du domicile. En France, il est nécessaire d’avoir un certificat de capacité vétérinaire pour en élever un.

Sur Internet, les vidéos postées par leurs propriétaires montrent des capybaras solitaires se baignant dans les baignoires d’appartements ou promenés seuls en laisse, ce qui s’apparente, à mon avis, à de la maltraitance. Les territoires naturels des capybaras sont grands, leurs besoins d’eau importants et ils vivent en troupeaux dans la nature.

Dans la nature, le capybara a besoin d’un territoire de grande taille pour son équilibre.

Profitons donc de l’engouement suscité par ce rongeur au mode de vie étonnant pour agir au niveau international contre la dégradation des plus grandes zones humides de la planète. Elles sont aujourd’hui menacées par le changement climatique et par l’augmentation effrénée des activités humaines, qui dégradent l’environnement de façon durable et irréversible. Une mauvaise nouvelle pour le capybara et pour de nombreuses autres espèces.

The Conversation

Christiane Denys ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

14.07.2025 à 18:32

Sommet sur l’océan à Nice : des résultats prometteurs mais un essai à transformer

Sylvain Antoniotti, Directeur de Recherche au CNRS en Chimie, Université Côte d’Azur
Cecile Sabourault, Professeur des Universités en Biologie, Université Côte d’Azur
Christophe Den Auwer, Professeur de Chimie, Université Côte d’Azur
Jean-Christophe Martin, Directeur de l’Institut de la Paix et du Développement (IdPD), professeur de droit international et européen, Université Côte d’Azur
Julien Andrieu, professeur de géographie à Université Côte d’Azur, Université Côte d’Azur
Saranne Comel, Université Côte d’Azur
Au-delà des engagements internationaux, l’UNOC-3 a surtout été l’occasion d’un dialogue entre quatre groupes très différents : les scientifiques, les décideurs, la société civile et les financeurs.
Texte intégral (2308 mots)

À Nice, le sommet sur l’océan s’est terminé le 13 juin 2025 sur un bilan en demi-teinte. Au-delà des engagements internationaux, l’UNOC-3 a surtout été l’occasion d’un dialogue entre quatre entités différentes mais complémentaires : scientifiques, décideurs, société civile et acteurs financiers. Il convient désormais de transformer l’essai en tenant compte des réalités locales de chaque territoire.


Après New York en 2017 et Lisbonne en 2022, la 3e Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC3) s’est tenue à Nice du 9 au 13 juin. Elle a été le théâtre d’une mobilisation sans précédent des acteurs de l’océan dans l’histoire des conférences multilatérales telles que les COP (Conférences des Parties) onusiennes.

L’océan joue en effet un rôle capital dans les grands équilibres planétaires : il est le pilier de la machine climatique ainsi qu’un précieux vivier de biodiversité.

La dynamique de la conférence a permis d’appeler à l’action internationale pour préserver l’océan, dans un contexte où il n’existe pas de COP dédiée à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (1982). Une absence que le sommet a permis de pallier en proposant un espace multilatéral de gouvernance de l’océan à vocation universelle et transversale, même si l’UNOC ne dispose pas des moyens et leviers d’une COP.

Surtout, cette troisième conférence s’est tenue dans un contexte de défiance croissante de certains États à l’égard du droit international et du multilatéralisme. Réunir la communauté internationale autour des défis contemporains liés à l’océan représentait un premier objectif important – et celui-ci a été atteint.

Le bilan concret du sommet peut apparaître en demi-teinte : l’accord sur la haute mer (aussi appelé accord BBNJ) n’a pas encore obtenu le nombre de 60 ratifications nécessaires à son entrée en vigueur.

Quoi qu’il en soit, celui-ci a été l’occasion d’initier un dialogue concret entre les quatre mondes que sont la sphère scientifique, celle des décideurs, la société civile et enfin les investisseurs. Un essai qu’il convient désormais de transformer en prenant exemple sur les solutions développées localement.

Des résultats en demi-teinte mais une mobilisation exceptionnelle

Le premier objectif affiché de l’UNOC-3 a été un demi-succès : il s’agissait de permettre l’entrée en vigueur de l’accord sur la haute mer. Les efforts diplomatiques ont permis d’atteindre 51 ratifications durant la conférence, mais pas le seuil des 60 nécessaires à l’entrée en vigueur de l’accord. L’UNOC-3 aura donc été une étape importante, mais insuffisante. L’objectif est désormais celui d’une entrée en vigueur début 2026.

Malgré tout, la conférence aura permis le lancement d’initiatives politiques significatives tel que l’Appel de Nice, signé par 96 États soutenant une haute ambition pour le traité sur la pollution plastique. Jusqu’ici, les négociations ont buté sur une opposition de vues – équilibrée si l’on considère 193 États membres de l’ONU – qui rendent incertaine l’issue des négociations.

De même, 37 États ont initié une Coalition de haute ambition pour un océan plus silencieux, appelant à lutter contre cette forme de pollution ayant des impacts forts sur la vie marine, de plus en plus documentée : la pollution sonore sous-marine.

Le sommet s’est toutefois distingué par une mobilisation inédite des parties prenantes de l’océan. La zone dédiée à la société civile a accueilli plus de 130 000 visiteurs. Plusieurs événements en amont de l’UNOC3 ont rassemblé une grande diversité d’acteurs internationaux et locaux : scientifiques, représentants de communautés locales, acteurs financiers du secteur privé comme de la philanthropie, organisations de la société civile… Citons par exemple :

Cette dynamique exceptionnelle a porté la voix de ces acteurs auprès des 175 États membres présents, en appelant à une action transformatrice visant à garantir la bonne santé de l’océan et des communautés qui en dépendent. En effet, le développement et surtout le financement de ces projets au niveau local et régional sont indispensables pour relever ce défi.

Une valse à quatre temps entre scientifiques, décideurs, société civile et financeurs

La science a d’ailleurs tenu une place toute particulière à l’UNOC3. Outre l’organisation du One Ocean Science Congress, la tenue du premier Forum international des universités marines et le lancement officiel d’une plateforme internationale pour la durabilité des océans (IPOS), la science a fait l’objet de déclarations politiques fortes dès les premiers discours officiels. Elle a aussi donné lieu à des engagements clairs dans la déclaration politique finale (paragraphes 30 c et d), même s’il faudra rester attentif à leur mise en œuvre concrète.

L’UNOC-3 a consolidé un modèle de synergie entre quatre sphères d’acteurs : scientifiques, décideurs publics, société civile et financeurs. Ainsi :

  • le congrès scientifique One Ocean Science Congress a permis de présenter les derniers diagnostics sur l’état de santé de l’océan – même si la remobilisation de ces messages durant l’UNOC-3 n’a pas été aussi forte qu’elle aurait pu l’être.

  • La session Ocean Science Diplomacy a rassemblé chercheurs et diplomates autour de l’intégration de la science dans les négociations internationales. L’UNESCO y a souligné l’insuffisance des budgets publics dédiés à la recherche océanographique.

  • En parallèle, les institutions publiques ont réaffirmé leur volonté d’agir. Par exemple, à travers la coalition Space4Ocean qui vise à améliorer les connaissances sur les océans.

  • La société civile a porté la voix des communautés littorales de manière périphérique.

  • Enfin, le Blue Economy & Finance Forum a mobilisé les acteurs financiers publics et privés afin de sortir du sous-financement structurel des actions en faveur de l’océan. Un total de 8,7 milliards d’euros d’investissements a été proposé pour les cinq prochaines années, dont 4,7 milliards d’euros seront mobilisés par des philanthropes et investisseurs privés réunis au sein de l’initiative Philanthropists and Investors for the Ocean. L’action des philanthropes est essentielle pour garantir un accès plus équitable au financement et renforcer les capacités locales.

Cette synergie permet une vision plus commune et partagée des enjeux, à la croisée de l’état des océans, du changement climatique, de la crise de la biodiversité au-delà des seuls milieux marins, et des injustices et inégalités.

Par exemple : la conservation et la restauration des mangroves ont été évoquées de manière transversale par des ministres, scientifiques ou par des fondations philanthropiques comme des solutions à fort impact à la fois pour le climat (séquestration carbone), pour la biodiversité et pour les communautés locales, notamment autochtones, dont le bien-être dépend de l’état de la mangrove.

De prochaines échéances décisives

À la suite de la plus grande conférence jamais organisée sur l’océan, les signaux sont encourageants mais la route encore longue.

Les prochaines échéances seront décisives : il faudra une mobilisation massive pour inclure des mesures contraignantes dans le traité international contre la pollution plastique lors de la reprise des négociations à Genève en août 2025. De même, la poursuite de l’objectif d’entrée en vigueur attendue du traité de la haute mer en janvier 2026 nécessite encore une ratification par au moins neuf États supplémentaires.

Par ailleurs, même si les liens entre océans, climat et biodiversité ont été rappelés tout au long des deux semaines du sommet, et si la décarbonation du transport maritime y a été abordée, l’enjeu des combustibles fossiles n’a pas été traité. Pourtant, les petits États insulaires appellent ouvertement à leur élimination progressive afin de garantir la santé de l’océan.

L’UNOC-3 devra être suivi d’un retour aux réalités locales des territoires. Chaque délégué ayant participé au sommet représente une communauté et un territoire. Ce retour doit se faire avec humilité et lucidité. Il n’existe pas de solution miracle : chaque écosystème territorial littoral doit trouver sa manière de traduire les principes globaux à l’échelle locale.

Les discours sur le soutien à la pêche artisanale et les communautés côtières marginalisées, par exemple, ont été nombreux à l’UNOC-3. Mais de quelle pêche artisanale parle-t-on et que signifie la soutenir ? La défendre face à la pêche industrielle ? Mieux la planifier pour protéger l’environnement ? La sauver de la pollution ? L’accompagner dans l’adaptation au changement climatique ? Répondre à ces questions suppose une compréhension fine des réalités locales.

Les engagements annoncés à l’UNOC3 devront désormais se transformer en actions concrètes et en partage de solutions, notamment pour accompagner l’adaptation des territoires au changement climatique et à l’élévation du niveau de la mer, avec le soutien des communautés se trouvant en première ligne.

Pour atteindre les objectifs annoncés, nous pensons qu’il est nécessaire d’impliquer tous les acteurs – scientifiques, acteurs associatifs, décideurs, entrepreneurs. Les établissements d’enseignement supérieur et de recherche, de par leurs missions fondamentales, devront contribuer plus que jamais à la formation des plus jeunes – les futurs acteurs du changement, à la sensibilisation des décideurs actuels, à la création et la diffusion de connaissances et d’innovations.

De telles ambitions se heurtent trop souvent au cloisonnement de la recherche, aux contingences des politiques scientifiques et à une certaine étanchéité entre les établissements publics de recherche, la société civile et les décideurs. À notre échelle, notre rôle est de repousser ces barrières et d’œuvrer pour une construction scientifique inter et transdisciplinaire pour favoriser les connexions et susciter l’émergence de projets à plusieurs niveaux de complexité. Les recherches doivent aussi être inclusives vis-à-vis des peuples autochtones et des communautés locales pour répondre aux attentes sociétales et co-construire un avenir juste, résilient et désirable pour l’océan et les générations futures.

The Conversation

Sylvain Antoniotti a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche.

Cecile Sabourault a reçu des financements de l’Agence nationale de la recherche et de l’Union européenne.

Christophe Den Auwer a reçu des financements du CEA

Jean-Christophe Martin a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche.

Julien Andrieu et Saranne Comel ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

12.07.2025 à 17:14

Tour de France 2025 : quand des réserves naturelles émergent sur des sites pollués

Patrick de Wever, Professeur, géologie, micropaléontologie, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
Certains sites protégés pour leur nature remarquable sont pourtant nés… d’une pollution passée !
Texte intégral (2776 mots)
La mare à Goriaux, née d’un affaissement minier. Wikimedia commons, CC BY-NC-SA

Au-delà du sport, le Tour de France donne aussi l’occasion de (re)découvrir nos paysages et parfois leurs bizarreries géologiques. Le XXIe siècle est marqué par un regain de sensibilité à la nature, qui a poussé à la protection de certains sites, sélectionnés parmi de nombreuses possibilités. Mais paradoxalement, certaines aires sont protégées alors qu’elles semblent polluées… par un phénomène naturel ?


Le naturaliste respecte tout ce qui vient de la nature. De cette dernière il exclut généralement l’humain et ses œuvres, tant elles portent atteinte à un équilibre sain. En témoignent les nombreuses traces laissées par le passé industriel de notre pays : certaines sont visibles (bâtiments en ruines…), quand d’autres, plus insidieuses, sont chimiques (sols pollués).

Et pourtant, en France, certaines pollutions et désordres industriels sont aujourd’hui classés… comme des réserves naturelles.

La troisième étape du Tour de France 2025, le 7 juillet dernier, a permis de l’illustrer avec deux exemples : les pelouses métallicoles de Mortagne-du-Nord et la « Mare à Goriaux », deux réserves biologiques du Parc Naturel régional Scarpe-Escaut traversées par la route dans la forêt de Saint-Amand, à une dizaine de kilomètres de son départ. Nous évoquerons aussi un troisième cas dans le Massif central, que les cyclistes parcourront lors de la 10e étape, le lundi 14 juillet 2025.

Pelouses métallicoles et plantes hyperaccumulatrices

Éliminer les cicatrices que l’humain a laissées en maltraitant la Terre n’est pas chose aisée et les approches sont aussi variées que les causes sont différentes. Les blessures visuelles se résorbent quand les moyens financiers sont mobilisés. La pollution chimique en revanche requiert, outre des subsides, un bien non achetable : du temps.

Magie de la nature, certaines plantes dites hyperaccumulatrices ont la propriété de prospérer sur des sols qui empoisonneraient la plupart des autres. Elles ne sont pas rares : on en connaît près de 400 espèces. La plupart bioaccumulent un ou deux métaux, mais certaines prélèvent un plus large éventail, en pourcentage variable selon le polluant.


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Ces capacités d’extraction par des plantes qui absorbent et concentrent dans leurs parties récoltables (feuilles, tiges) les polluants contenus dans le sol sont utilisées pour la dépollution : on parle de phytoremédiation. Le plus souvent, les végétaux sont récoltés et incinérés : les cendres sont stockées ou valorisées pour récupérer les métaux accumulés.

Mortagne du Nord, commune qui appartient au Parc naturel régional Scarpe-Escaut, en offre un exemple édifiant. Une usine y traitait du zinc, du cadmium, du plomb et quelques terres rares.

Mortagne-du-Nord, une pelouse métallicole décontaminante environne le collège, 2005. Patrick De Wever, Fourni par l'auteur

Désormais, en lieu et place de l’amoncellement de déchets qui y étaient entreposés, prospèrent de jolis prés. Des pelouses dites « métalicolles » ou « calaminaires » qui entourent un collège en pleine nature.

Une réserve biologique fruit d’un effondrement minier

Le nord de la France est connu pour son absence de relief, comme la plaine de Flandre, vers Dunkerque, ou la région marécageuse de Saint-Amand-les-Eaux. Cette horizontalité est démentie par une dépression, notamment visible sur certaines routes.

Ainsi, à proximité de la terrible « trouée de Wallers-Arenberg », passage célèbre du Paris-Roubaix, une route montre une dépression très nette qui semble évoquer le passage d’une rivière. Or il n’y a pas de rivière. Quelle peut en être l’explication ?

La dépression de la route D313 ne correspond pas à un vallon naturel mais à un effondrement minier du Boulevard des mineurs d’Aremberg. Patrick de Wever, Fourni par l'auteur

La dépression de la route ci-dessus permet de quantifier l’effondrement topographique. On notera, sur la partie droite de la photo, que la ligne de chemin de fer est restée horizontale car un remblai régulier était effectué. C’est d’ailleurs ce remblai, pris annuellement en charge par les houillères, qui a permis de les rendre responsables de cet effondrement. La gauche de la route, derrière les arbres, est bordée par le terril qui délimite la Mare à Goriaux (gorets en picard), une zone naturelle protégée installée sur un terril plat.

Les bois de la gauche de la route sont ceux de la « Mare à Goriaux », une réserve naturelle créée suite à un affaissement minier en 1916. En effet, il existait là un ancien terril horizontal – avant de prendre leur forme conique avec la mécanisation des apports, les terrils étaient horizontaux car alimentés par des wagonnets poussés par des hommes ou tirés par des chevaux. L’affaissement a formé trois mares, qui ont fini par se réunir en 1930 en un seul plan d’eau, la Mare à Goriaux.

La colonisation des lieux par la flore et la faune, riche et diversifiée, a conduit à décréter ce lieu réserve biologique domaniale de Raismes-St Amand-Wallers en 1982.

Une source de pétrole au cœur de l’Auvergne

La nature rejette du pétrole depuis toujours : on en connaît dans les Caraïbes tant au fond de la mer, où il suinte et est constamment digéré par des bactéries spécialisées, qu’à terre. Il était déjà utilisé par les Amérindiens Olmèques 12 siècles avant notre ère, afin d’imperméabiliser les toitures, étanchéifier les navires, les canalisations, les récipients ou décorer des masques. Dans l’Antiquité Classique, il a servi à étanchéifier les jardins suspendus de Babylone, à enduire l’arche de Noé ou à conserver les momies.

Si le bitume affleurait en surface dans toutes les régions aujourd’hui connues comme étant pétrolifères, de l’Arabie saoudite à l’Iran (alors la Perse) en passant par l’Irak (alors la Mésopotamie), en France, le pétrole est plus rare. Il existe néanmoins un endroit où il coule en surface.

Près de Clermont-Ferrand, à proximité de l’aéroport de Clermont-Aulnat se trouve une rivière de pétrole. L’eau, très riche en organismes (bactéries, algues…), présente une couleur d’un vert très particulier. Patrick de Wever, Fourni par l'auteur

À l’est de Clermont-Ferrand, que traversera le peloton lors de la 10e étape, est visible entre l’autoroute et l’aéroport la « Source de la Poix », un lieu géré par le Conservatoire des espaces naturels. Le bitume qui s’y écoule librement est associé à de l’eau salée, du méthane et des traces d’hydrogène sulfuré, dont l’odeur parfois forte peut évoquer celle d’œufs pourris. Le mélange, qui circule sur une quinzaine de mètres avec un débit extrêmement faible (de l’ordre d’un hectolitre/an), surgit par des fractures dans la roche volcanique, ce qui explique qu’il n’est plus exploité. Dans le passé, il fut utilisé pour calfater (c’est-à-dire, étanchéifier) les embarcations de l’Allier.

Panneau de la source de la poix. Ce site, unique en France, n’est cependant pas protégé aux yeux de la loi. Il est demandé de le « préserver ensemble » (haut du panneau), mais (est-ce parce qu’il s’agit de pétrole ?), en bas… on pense à le partager ! Patrick de Wever, Fourni par l'auteur

Cet hydrocarbure vient des sédiments de Limagne qui se sont déposés dans un grand lac peu profond qui permettait une vie abondante, il y a une trentaine de millions d’années (Oligocène). Celle-ci a évolué avec le temps pour devenir le bitume que l’on trouve aujourd’hui – il ne s’agit pas vraiment de pétrole car il a subi une légère oxydation. N’ayant pas été piégé par une couche ou une structure imperméable, le liquide remonte lentement en surface.

Les suintements de bitumes sont nombreux en Limagne : outre au Puy de la Poix, on en connaît au Puy de Crouël, à la carrière de Gandaillat et à Dallet, à quelques kilomètres, où une mine a été exploitée jusqu’en 1984.

Cette source de bitume a été plus ou moins aménagée au cours des siècles, mais depuis, le site est presque tombé dans l’oubli. Il présente pourtant un joli potentiel pédagogique, d’un point de vue géologique, biologique, environnemental et sociétal.


À lire aussi : La filière pétrolière française que tout le monde avait oubliée


The Conversation

Patrick de Wever ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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