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21.11.2024 à 17:21
Loin des clichés : les gladiateurs coopéraient pour survivre
Jérôme Ballet, Maître de conférences en sciences économiques et éthique, Université de Bordeaux
Damien Bazin, Maître de Conférences HDR en Sciences Economiques, Université Côte d’Azur
Texte intégral (1544 mots)
24 ans après Gladiator, Ridley Scott signe le retour de son protagoniste tout en muscles. Dans les salles depuis le 13 novembre 2024, Gladiator II dépeint un personnage héroïque et franc-tireur. En réalité, l’entraide et la solidarité ont parfois été au cœur du système des gladiateurs.
Les gladiateurs sont souvent perçus comme des figures héroïques, capables, par leurs exploits et leur courage, de gravir les échelons de la société pour accéder à la liberté et à la richesse. Une ascension sociale qui aurait un prix : un engagement physique total dans le combat, avec un risque de mort omniprésent.
Les gladiateurs étaient assez éloignés de la vision romantique dépeinte dans les péplums ou dans les films à gros budgets. Plusieurs conditions sociales coexistaient : prisonniers de guerre, criminels condamnés à mort mais de naissance libre, forçats obligés de purger leur peine sous le statut de gladiateurs, et engagés volontaires (dans une moindre mesure).
Devenir gladiateur nécessitait un apprentissage et le respect de règles, cela se rapprochait de l’exercice d’un métier. De nombreuses écoles impériales de gladiateurs existaient : Ludus Magnus, Dacius, Matutinus et Gallicus, pour n’en citer que quelques-unes. Elles assuraient une professionnalisation qui devait permettre de concilier spectacle (durée et beauté du combat) et survie des intervenants.
Du sang, mais pas trop
Sous Auguste, le premier empereur romain (27 av. J.-C. à 14 apr. J.-C.), les combats étaient une représentation théâtrale. A cet effet, les combattants devaient garantir un spectacle de qualité devant un public exigeant. Il s’agissait d’assurer le « show » avec ce qui peut ressembler de nos jours à une chorégraphie (précision du geste, diversité des armes « spectaculaires » et des techniques de combats). L’objectif des gladiateurs n’était pas de trucider l’adversaire mais de proposer un divertissement. Ainsi, il n’était pas rare d’opposer un combattant lourdement équipé à un adversaire légèrement armé (évoquant le duel entre David et Goliath). Techniquement, les assauts étaient maîtrisés et on s’assurait que les armes n’étaient pas trop affûtées. Il s’agissait surtout de provoquer des blessures qui conduisaient à l’abandon d’un des combattants. Les coups fatals étaient plutôt rares.
Certes, les combats étaient sanglants, mais sous Auguste, le sang coulait avec mesure, car il s’agissait de garder les gladiateurs en état de combattre et de les maintenir « en forme » afin qu’ils puissent divertir les citoyens venus assister en nombre aux combats.
Le combat : un spectacle encadré
Assez rapidement, les combats sont devenus des activités économiques comparables à ce qu’une entreprise dans le secteur du spectacle peut représenter de nos jours. Tout était organisé comme une attraction : musique, contrôle des billets, « chauffeurs » de salle… Les ambulanciers étaient grimés en démons et transportaient les combattants sur des civières pour assurer une touche burlesque. Boissons et nourritures circulaient dans les gradins.
La qualité du spectacle se jaugeait au travers du respect de règles. À cet égard, toute une « équipe » s’efforçait de livrer au public une « prestation de qualité ». Les gladiateurs n’étaient que la partie visible de l’iceberg. Chaque membre de l’équipe était hautement valorisé. Dans l’arène, des arbitres de jeu faisaient respecter les règles. Mais c’est le président (juge-arbitre) qui détenait le pouvoir décisionnaire et souverain sur la vie et la mort des « sportifs ». En cas de désinvolture dans le combat, le président pouvait demander que le fouet, le fer et le feu soient préparés en guise d’avertissement.
Sous l’empereur Auguste, si le vaincu reconnaissait sa défaite et demandait pitié au vainqueur, le vaincu avait habituellement la vie sauve, sous condition que le combat fut de qualité. Dans le cas contraire, le corps arbitral pouvait refuser la demande de clémence et réclamer une prolongation afin qu’une mise à mort survienne.
À lire aussi : Spartacus, célèbre gladiateur, était-il un révolutionnaire ?
Plusieurs recherches ont ainsi souligné le dilemme auquel étaient confrontées les parties prenantes qui vivaient de la gladiature : inciter à un combat esthétique et dramatique (donc violent, avec un risque de mort important après de multiples blessures) ou recommander un combat minimisant le risque de décès.
Pour trouver cet équilibre, il était essentiel que le spectacle soit de qualité… Et les gladiateurs coopéraient pour s’en assurer.
Coopération et ancêtre de mutuelle
En tant que professionnels dont l’objectif était de gagner de l’argent, de la gloire, tout en survivant, les gladiateurs s’organisaient pour que l’objectif des combats ne soit pas la recherche de la mort. Les premières formes de coopération entre gladiateurs semblent s’être structurées au travers de sodalitats (confréries) religieuses. Grâce à cette entente, sous l’empereur Auguste, les combats obéissaient à des règles tacites convenues entre les « écuries » de gladiateurs avant les combats, garantissant une durée suffisante, une diversité des techniques favorisant l’esthétisme du spectacle, tout en étant « raisonnablement » violent pour ne pas apparaître comme une simple mise en scène.
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Certaines ententes dépassaient même ce cadre, se rapprochant à certains égards d’un système de solidarité mutuelle. Au sein des Familiae gladiatoria (troupes de gladiateurs), il n’était pas rare que les guildes de gladiateurs (sorte d’associations de gladiateurs) se réunissent pour discuter de la prise en charge de frais d’obsèques de l’un d’entre eux, lorsque la mort survenait durant les jeux ou à la suite de blessures.
Loin d’être des héros solitaires, sous Auguste, les gladiateurs avaient mis la coopération au cœur de leur (sur)vie.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
19.11.2024 à 16:59
Loin de la sauvagerie du Moyen Âge : « Sire Gauvain et le Chevalier Vert », un roman courtois lumineux à la cour du roi Arthur
Olivier Simonin, Maître de conférences en linguistique anglaise , Université de Perpignan Via Domitia
Texte intégral (1773 mots)
Les fictions qui évoquent le Moyen Âge ont tendance à perpétuer des clichés sur la barbarie d’une époque sombre et rustre. Pourtant, Sire Gauvain et le Chevalier Vert, roman anonyme de la fin du XIVe siècle qui se déroule à la cour du Roi Arthur, nous démontre tout l’inverse.
Si le Moyen Âge passionne, il est souvent représenté comme une période obscure, marquée par la sauvagerie. En témoignent divers clichés, portant entre autres sur un recours barbare à la torture, dont une réplique culte de Pulp Fiction de Tarantino se fait plaisamment l’écho : « Je vais me la jouer médiéval sur ton gros cul » (I’m gonna go medieval on your ass).
Il en est de même pour l’esthétique sombre de séries médiévales-fantastiques comme Game of Thrones et de films tels que The Green Knight de David Lowery, inspiré du joyau de la littérature médiévale anglaise qu’est Sire Gauvain et le Chevalier Vert (Sir Gawain and the Green Knight en anglais), qui a tant inspiré Tolkien : le philologue qu’il était lui consacra une édition scientifique, qu’il co-signa avec E. V. Gordon, ainsi qu’une traduction qui reproduit le mètre d’origine.
Œuvre anonyme, Sire Gauvain et le Chevalier Vert est un des romans de chevalerie les plus aboutis du corpus occidental, qui laisse entrevoir un univers aux couleurs vives, d’un grand raffinement, conforme au goût aristocratique de la fin du XIVe siècle.
Fascination pour les couleurs
L’histoire s’ouvre sur des divertissements de cour à Camelot, où fait irruption un mystérieux chevalier paré de vert, qui vient lancer un défi au roi Arthur : que quelqu’un s’essaie à le décapiter avec la hache qu’il tient et, si lui-même survit à cette tentative, qu’il lui soit donné de rendre pareil coup un an plus tard. Gauvain tranchera la tête du Chevalier Vert, qui se relèvera pour la saisir de ses mains par quelque enchantement et engagera l’illustre chevalier à le retrouver dans un an.
Le Chevalier Vert est un être éminemment paradoxal, qui relève du merveilleux. Le poète et les témoins de l’épisode s’interrogent sur sa nature, son origine : est-ce un homme, un demi-géant, ou bien provient-il du monde des fées ? Le vert qu’il arbore sur ses habits et son équipement, jusqu’à sa barbe et ses cheveux, est éclatant et lumineux. Comme l’a si bien montré Umberto Eco (Art et beauté dans l’esthétique médiévale), l’homme médiéval est fasciné par les couleurs, et le vert intense, saturé, qui caractérise le chevalier ne pouvait que susciter l’étonnement en tant que signe extérieur de grande richesse (voire de magie), aux antipodes du vert sale, triste, délavé, que l’on peut voir dans des adaptations filmiques.
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Michel Pastoureau (Vert. Histoire d’une couleur) a très justement insisté sur la difficulté d’obtenir des teintes vertes stables et vives, qui demeuraient l’apanage des puissants à cette époque, tout en soulignant l’ambivalence sémiotique de la couleur, qui combine des aspects positifs (le vert gai, associé à la jeunesse, au printemps…) et négatifs (le vert « perdu », qui connote la traîtrise, l’infidélité…). Or il se trouve que Chevalier Vert brouille les pistes en portant un vert éclatant, qui pourrait signifier beaucoup des choses que véhiculent habituellement le mauvais vert.
Une dimension morale
Gauvain, quant à lui, apparaît non moins resplendissant dans une armure rutilante, avec un blason nouvellement apposé sur sa cotte et son bouclier au moment de son départ : un pentacle d’or sur fond rouge vif. Ce symbole représente un idéal de perfection morale longuement développé dans le poème (2 strophes sur 101), que tous s’accordent à voir en Gauvain à ce stade de sa carrière, et qu’il affiche aux yeux du monde.
Champion de la courtoisie, soucieux du respect des usages et des engagements pris, tenant toujours des propos prévenants et délicats, il incarne l’opposé du Chevalier Vert, aux manières globalement frustes. Toutefois, même le meilleur des chevaliers d’Arthur qu’est (dans ce roman) Gauvain ne peut prétendre être exempt de toute faute ou souillure. C’est d’ailleurs ce que s’emploie à montrer le poète à travers cette aventure, que l’on pourrait considérer comme une démonstration sans appel qui consiste en une illustration par un cas extrême. Le simple fait de vouloir atteindre une authentique perfection trahit un grand orgueil, péché jugé mortel, et le roman de chevalerie plaide de fait pour une humilité lucide.
Dans le contexte religieux de l’époque, la perfection morale étant d’essence divine, on ne pouvait pas mériter le salut sans l’aide de Dieu, par le biais de sa grâce. On apprend en outre, plus tard, que l’envoi du Chevalier Vert à la cour d’Arthur avait notamment pour but de lui faire perdre de sa superbe, d’émousser son hubris, ses prétentions démesurées. Ainsi, le roman courtois (autre nom donné au roman de chevalerie, mais qui insiste moins sur ses aspects guerriers) flirte ici avec le genre tragique, par la hauteur de son propos et surtout par sa trame.
L’œuvre ne manque cependant pas d’ironie, et même d’effronterie, que le poète Simon Armitage – auteur d’une traduction récente en anglais moderne – estime typiquement nordique : le poème est écrit dans un dialecte du nord-ouest des Midlands, où se déroule d’ailleurs l’essentiel de l’action.
Humour et innovation littéraire
L’humour dont fait preuve le Chevalier Vert et, plus tard, le seigneur du château où réside Gauvain, est volontiers sarcastique. Tout cela va de pair avec l’aspect carnavalesque particulièrement marqué lors de l’irruption du Chevalier : il paraît devant la Cour le jour de l’ancienne fête des fous (le jour de l’an), dans un accoutrement qui pourrait rappeler un bouffon (le vert est aussi la couleur de la folie) ou un homme sauvage en lequel des mimes pouvaient se déguiser pour divertir les puissants.
Un des grands thèmes de l’œuvre est le jeu, le loisir, et la façon dont il convient de s’y adonner. Par exemple, on peut se demander s’il est légitime pour un chevalier de se présenter devant une cour et de requérir, par jeu, un échange de coups visant la décollation, la décapitation, tout en sachant pertinemment que cela n’aura pas de conséquences pour lui (comme il se trouve protégé par magie). Le grandiose et la légèreté se côtoient dans un véritable élan pré-shakespearien.
Le poète de Gauvain déploie non seulement son génie en sublimant le genre du roman courtois, mais il innove également en employant à la fois des vers allitérés, qui reposent sur un principe de répétition de consonnes sur des syllabes accentuées, et des vers rimés, qui viennent clore par groupes de cinq chaque strophe, donnant par là même une structure singulière au poème, dont il est le seul modèle parvenu jusqu’à nous. Pour reprendre les termes d’Ad Putter et Myra Stokes, dans The Works of the Gawain Poet :
« De même, les vers allitérés qui constituent l’essentiel du roman présentent des variations par rapport aux schémas attendus, détournés avec bonheur. »
Qui plus est, ce maître de l’art poétique de la fin du XIVe siècle se livre à la production de ce que l’on appelle aujourd’hui de la métafiction : alors qu’il décrit un Gauvain dans sa prime jeunesse, il convoque par l’intermédiaire d’une avenante châtelaine la littérature chevaleresque dont Gauvain est le protagoniste, et qui est souvent peu flatteuse à son égard, faisant de lui un galant plutôt libertin : elle cherche à le convaincre de lui apprendre les délices de l’amour courtois, dont elle a une vision bien prosaïque, sensuelle. Le poète oppose ainsi le véritable raffinement de la courtoisie, des bonnes manières et de l’art d’aimer, à ce qui pourrait être son prolongement voire son travestissement littéraire, son interprétation purement physique. Il se rapproche également de la modernité par un geste final d’ouverture, laissant de toute apparence le lecteur (ou auditeur) décider par lui-même si la quête de Gauvain est un succès ou un échec, pour lui et pour la cour d’Arthur.
Sire Gauvain et le Chevalier Vert est peut-être la meilleure illustration de l’inanité d’une perception plus ou moins fantasmée d’un Moyen Âge terne et morne au propre et au figuré, tout à la fois lugubre, rustre, et résolument rétrograde d’un point de vue littéraire.
Ma traduction bilingue de l'oeuvre médiévale est parue au Livre de Poche, auquel je suis de fait lié.
18.11.2024 à 15:52
Pourquoi les chats ont envahi Internet
Justine Simon, Maître de conférences, Université de Franche-Comté, ELLIADD, Université de Franche-Comté – UBFC
Texte intégral (1834 mots)
Des chats partout : en dessins, en photos, en vidéos, en GIFs, en mèmes… Ils sont devenus les véritables stars d’Internet. Qu’ils fassent des blagues, des câlins ou des bêtises, leurs images circulent sans fin sur les réseaux sociaux. Mais pourquoi ces animaux ont-ils envahi nos écrans ? Et que nous révèlent-ils sur notre société et sur le fonctionnement des plates-formes que nous utilisons au quotidien ?
Cela fait plusieurs années que j’étudie la propagation des images sur les réseaux sociaux, qu’elles soient humoristiques ou plus sérieuses. C’est dans les années 2000 que le chat est devenu un objet central de la viralité avec des formats comme les « LOLcats » (2007) et cette viralité s’est accentuée avec la montée en puissance des réseaux sociaux (comme Facebook, YouTube, Instagram et TikTok).
Au cours de ma recherche sur les #ChatonsMignons (c’est le terme que j’utilise pour désigner ce phénomène viral), j’ai relevé plusieurs aspects fascinants, comme l’utilisation symbolique du chat en politique ou sa dimension participative, lorsque des internautes créent des mèmes.
Un mème est un élément décliné massivement sur Internet et qui s’inscrit dans une logique de participation. Il peut s’agir d’un texte, d’une image (fixe ou animée), d’un son, d’une musique ou une combinaison de ces différents éléments.
À lire aussi : Le mème : un objet politique
On peut également noter le renforcement des liens sociaux que le partage d’images de chats crée, et enfin, leur capacité à générer des émotions fortes.
Le chat en politique, un symbole multiple
Les chats ne sont pas seulement mignons : ils sont aussi des symboles très puissants. En analysant un total de 4 000 publications sur Twitter, Instagram et TikTok – une veille de contenus et une recherche par mots-clés ont été menées sur une période de quatre mois (d’octobre 2021 à janvier 2022) – il est apparu que le chat pouvait revêtir de nombreux masques.
Parfois, il est un outil de mobilisation collective, parfois une arme pour la propagande politique. Par exemple, un GIF de chat noir effrayé peut symboliser la résistance politique et renvoyer à l’imaginaire anarchiste, dans lequel le chat noir incarne la révolte.
À l’inverse, Marine Le Pen utilise aussi les #ChatonsMignons pour adoucir son image dans une stratégie de dédiabolisation – c’est ce que je nomme le « catwashing » : une stratégie de communication politique qui vise à donner une image trompeuse des valeurs portées par une personnalité politique.
Le chat devient alors un symbole politique, parfois pour défendre des idées de liberté, parfois pour cacher des messages plus inquiétants.
Même Donald Trump a mentionné le félin durant la campagne présidentielle américaine, dans une formule absurde accusant les migrants de manger des chiens et des chats lors du seul débat télévisé l’opposant à Kamala Harris,créant ainsi un buzz monumental.
Cette déclaration a généré une vague de mèmes et de réactions sur les réseaux, au départ pour la tourner au ridicule, puis elle a été récupérée par les pro-Trump. Ce raz-de-marée de mèmes a pris une importance démesurée au point de faire oublier le reste du débat. On peut alors s’interroger : n’était-ce pas une stratégie volontaire de la part du camp républicain ?
La participation des internautes : un jeu collectif
Car les mèmes de chats, en particulier les célèbres « lolcats », sont devenus des éléments clés de la culture Internet participative. Ces images de chats avec des textes souvent absurdes ou mal écrits constituent une façon décalée de s’exprimer en ligne.
En partageant et en réinventant ces mèmes, les internautes s’approprient le phénomène des #ChatonsMignons pour créer une sorte de langage collectif.
L’exemple du « Nyan Cat », un chat pixelisé volant dans l’espace avec une traînée d’arc-en-ciel, montre bien à quel point les chats sont intégrés à la culture participative du web.
Ce mème, créé en 2011, est devenu emblématique, avec des vidéos de plusieurs heures sur fond de boucle musicale kitsch et hypnotique.
Plus récemment, le mème « Chipi chipi chapa chapa cat », apparu en 2023, a suivi une ascension virale similaire (28 millions de vues sur ces dix derniers mois pour cette vidéo), prouvant que les chats sont loin de lasser les internautes.
La culture participative pousse ces derniers à relever des défis : créer de nouveaux contenus, utiliser des références cachées et partager ces créations à grande échelle. Avec l’arrivée de plates-formes comme TikTok, ce phénomène s’accélère : chaque vidéo devient un terrain de jeu collectif. Mais ce jeu peut aussi servir des objectifs sérieux, comme dans les cas d’activisme en ligne.
Le chat, un outil de sociabilité
Ils jouent aussi un rôle important dans la manière dont les gens se connectent et interagissent en ligne, et cela ne se réalise pas que dans un registre humoristique, comme pour les mèmes. Le chat favorise ainsi un lien social qui traverse les frontières géographiques et culturelles, rassemblant des individus autour de l’amour des animaux.
Partager une photo de son propre animal domestique devient une façon de se montrer tout en restant en arrière-plan. C’est ce qu’on appelle l’extimité, c’est-à-dire le fait de rendre publics certains aspects de sa vie privée. Le chat sert alors d’intermédiaire, permettant de partager des émotions, des moments de vie, tout en protégeant son identité.
Ainsi, beaucoup de gens publient des photos d’eux en visioconférence avec leur chat sur les genoux. Ce type de contenu met en avant non seulement leur quotidien, mais aussi la relation particulière qu’ils entretiennent avec leur animal. Ces échanges dépassent la simple publication de photos de son chat ou de « selfiecats » (selfies pris avec son chat).
Il s’agit de mettre en valeur une expérience collective, où chaque interaction avec une image de chat contribue à une conversation globale. Le « selfiecat » est ainsi devenu un moyen d’exprimer et de valoriser cette complicité unique, aux yeux de tous.
Dans de nombreux cas, la relation entre l’humain et le chat est mise en avant comme une expérience partagée, créant une sociabilité numérique autour de cette humanité connectée. Les membres des communautés se retrouvent pour commenter, échanger des anecdotes ou des conseils, et ces interactions virtuelles renforcent les liens sociaux.
En ce sens, les chats deviennent plus qu’un simple objet de viralité : ils sont le ciment d’une forme de sociabilité numérique qui permet aux gens de se rassembler, de se comprendre et de se soutenir, même sans se connaître.
Les chats, une machine à émotions
Enfin, si les #ChatonsMignons sont si viraux, c’est parce qu’ils sont capables de provoquer des émotions fortes. Les chats ont un regard, une posture et des mimiques si proches de celles des humains qu’ils nous permettent d’exprimer toute une gamme d’émotions : de la joie à la frustration, en passant par l’étonnement ou la colère.
Cette puissance affective explique pourquoi ils génèrent autant de clics et de partages. Sur les réseaux sociaux, où tout repose sur l’attention et l’engagement, les chats deviennent de véritables machines à clics. Les plates-formes profitent de cette viralité pour capter l’attention des utilisateurs et monétiser leur temps passé en ligne.
Les chats ont envahi le web parce qu’ils sont bien plus que des créatures mignonnes. Ils sont des symboles, des outils de participation, des créateurs de liens sociaux et des déclencheurs d’émotions. Leur succès viral s’explique par leur capacité à s’adapter à toutes ces fonctions à la fois. En fin de compte, les #ChatonsMignons nous apprennent beaucoup sur nous-mêmes, nos besoins d’expression et la manière dont nous interagissons dans un monde hyperconnecté.
Justine Simon est l’autrice de « #ChatonsMignons. Apprivoiser les enjeux de la culture numérique », paru aux éditions de l’Harmattan.
Justine Simon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
14.11.2024 à 17:27
Spartacus, célèbre gladiateur, était-il un révolutionnaire ?
Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de Lorraine
Texte intégral (3514 mots)
Le gladiateur thrace Spartacus est à l’origine de la troisième guerre servile, le plus important soulèvement d’esclaves contre la République romaine, entre 73 et 71 av. J.-C. Pacifiste, anticapitaliste, révolutionnaire : au fil de l’histoire, sa vie a été romancée, interprétée et instrumentalisée. Mais que sait-on vraiment de son destin ?
Au début du XXe siècle, Spartacus, meneur de la grande révolte des esclaves qui fit trembler Rome, de 73 à 71 av. J.-C., est vu comme le précurseur des mouvements révolutionnaires communistes. C’est pourquoi, en Allemagne, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht choisissent son nom comme figure de proue de leur Ligue Spartakiste, ou « Spartakusbund » (1914-1919).
« Que veut Spartacus ? » (« Was will Spartacus ? ») peut-on lire sur une affiche éditée par la Ligue. La réponse est inscrite sur les têtes d’une hydre que Spartacus s’apprête à trancher, en référence au deuxième des travaux d’Hercule, le héros de la mythologie avec lequel le révolutionnaire est ici confondu. Spartacus veut éliminer le « nouveau militarisme » (« Neuer Militarismus »), le capitalisme (« Kapitalismus ») et la noblesse terrienne des junkers, propriétaires de grands domaines (« Junkertum »).
Un pacifiste ?
Dès le début de sa révolte, Spartacus n’a de cesse d’organiser ses troupes pour en faire une puissante armée sur le modèle romain. Il est proclamé commandant en chef par ses hommes qui lui remettent les faisceaux pris à l’ennemi, raconte l’historien latin Florus (Abrégé de l’histoire romaine, III, 21).
Cet assemblage de bâtons, liés par des lanières autour d’une hache, était à Rome un symbole du pouvoir des magistrats. En s’appropriant les attributs de ses ennemis, Spartacus se pose en chef militaire à la manière romaine. C’est pourquoi, à la fin du chapitre qu’il lui consacre, Florus définit assez logiquement le leader de la révolte comme une sorte d’imperator (quasi imperator).
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Au printemps 72 av. J.-C., lors d’une cérémonie d’hommage rendu à ses hommes morts sur le champ de bataille, Spartacus oblige des légionnaires romains qu’il a faits prisonniers à se battre entre eux, comme des gladiateurs. Ainsi, il n’abolit pas les combats sanglants mais, par esprit de vengeance, il inverse le rapport de force entre les dominants et les dominés. Il n’est donc, à proprement parler, ni pacifiste ni antimilitariste. Comment en serait-il autrement ? Pour mener à bien sa mission, le révolutionnaire emploie les mêmes armes que ses ennemis.
Il n’a pas non plus aboli l’esclavage. Aucun auteur antique n’évoque cette idée qui ne lui est certainement jamais passée par la tête, tant l’esclavage semblait être une évidence à son époque.
Un anticapitaliste ?
Lors de son séjour à Thurium, en Italie du Sud, durant l’hiver 73-72 av. J.-C., Spartacus échange le butin de ses pillages contre le fer et le bronze que lui apportent des commerçants. Selon l’historien antique Appien (Guerres civiles, I, 117), « il interdit aux marchands d’introduire dans la ville des objets d’or et d’argent et aux siens de rien acheter de ce genre ». S’agissait-il d’un rejet des métaux précieux vus comme potentiellement corrupteurs ?
Spartacus avait alors pour priorité de fabriquer des armes. L’or et l’argent ne présentaient aucun intérêt pour lui. L’interdit qui frappait les métaux précieux ne procédait pas d’un choix idéologique. Spartacus n’envisageait pas d’instaurer un État anticapitaliste, mais un régime militaire, tout entier consacré à l’effort de guerre.
L’idéologie religieuse de Spartacus
L’écrivain antique Plutarque (Vie de Crassus, 8) nous révèle que Spartacus était accompagné de son épouse, originaire comme lui de Thrace. Tous deux appartenaient au peuple des Maedi dont le territoire se trouvait au sud-ouest de l’actuelle Bulgarie. C’était une prêtresse de Dionysos, ou Bacchus pour les Romains : « Sa femme qui était du même peuple que lui, était une prophétesse (mantiké), initiée aux mystères (orgiasmoi) de Dionysos ».
Elle avait été vendue comme esclave en même temps que son époux et expédiée depuis la Thrace jusqu’en Italie. Un jour, alors que Spartacus s’était endormi, peu de temps avant son arrivée au marché d’esclaves de Rome, un serpent s’enroula autour de son visage. La prophétesse interpréta cet accident comme un prodige, signe d’une grande puissance à venir pour l’homme ainsi intronisé par Dionysos. On devine, à partir de ce passage de Plutarque, que Spartacus se disait le protégé du dieu et fondait son autorité sur des croyances religieuses.
Le thème du choix divin manifesté par un reptile se retrouvera plus tard dans l’Histoire Auguste. On raconte qu’un serpent se serait enroulé, au IIIe siècle apr. J.-C., autour de la tête du futur empereur Maximin, lui aussi d’origine thrace, tandis qu’il dormait (Histoire Auguste, « Les deux Maximin », XXX, 1).
Cette dimension théocratique ne remet nullement en cause le caractère révolutionnaire de la révolte de Spartacus. En effet, le culte de Dionysos était considéré comme subversif par la noblesse romaine, parce qu’il s’adressait indistinctement aux hommes et aux femmes, aux citoyens et aux étrangers. C’est en raison de cette mixité sociale, considérée comme dangereuse pour l’État romain, que le Sénat avait interdit le culte de Bacchus, en 186 av. J.-C., lors de la fameuse affaire dite « des Bacchanales ».
Spartacus pouvait donc se présenter comme l’envoyé terrestre de Dionysos, une sorte de messie, dont la mission était de libérer les opprimés et de se venger des Romains persécuteurs.
Des révoltes messianiques
Avant la révolte de Spartacus, deux autres soulèvements comparables avaient déjà eu lieu en Sicile. Dans les années 140-139 av. J.-C., des esclaves en fuite s’étaient rangés sous l’autorité d’un Syrien nommé Eunous.
Habile metteur en scène, selon Florus (Abrégé de l’histoire romaine, III, 20), il se faisait passer pour un magicien : une noix percée contenant du soufre incandescent qu’il plaçait dans sa bouche, lui permettait d’impressionner ses auditeurs en crachant des étincelles lorsqu’il prédisait l’avenir.
Eunous prétendait être doué de dons prophétiques et interprétait les songes que lui envoyait la grande déesse syrienne, Atargatis qui, disait-il, communiquait avec lui. Il se faisait passer pour le prophète de cette divinité. Comme plusieurs de ses prédictions s’étaient réalisées, il acquit un immense prestige et en profita pour prendre le titre royal (basileus) et le nom d’Antiochos, référence explicite au souverain séleucide du moment : Antiochos VII Évergète qui régnait alors sur la Syrie. Le roi des esclaves organisa une cour et fit frapper des monnaies à l’effigie de Déméter, déesse considérée comme l’équivalent grec d’Atargatis. Eunous-Antiochos s’appuyait sur une idéologie théocratique qui faisait de lui un souverain choisi par la divinité et envoyé sur terre pour y réaliser sa mission salvatrice : l’affranchissement des populations soumises à l’ordre romain.
Moins de trente ans après la mort d’Eunous, une nouvelle guerre servile éclata en Sicile (104-100 av. J.-C.). Ce soulèvement fut mené par un chef charismatique, du nom de Salvius, qui prétendait lui aussi posséder le don de divination.
Dionysos en Campanie
En choisissant de se référer à Dionysos, Spartacus se révèle particulièrement habile. Ce dieu était adoré en Thrace, mais aussi en Italie du sud. En Campanie, région de Naples, où éclata la révolte, Bacchus faisait figure de protecteur du Vésuve, comme le montre une fresque découverte à Pompéi, aujourd’hui exposée au musée archéologique de Naples. Or, c’est au sommet de ce volcan, véritable forteresse naturelle, que Spartacus et ses hommes se réfugièrent dans les premiers temps de la révolte. Peut-être leur avait-il fait croire que Dionysos lui-même lui avait désigné ce lieu.
Après la répression des Bacchanales en 186 av. J.-C., Rome ne parvint pas à éradiquer le culte incriminé, comme en témoigne l’extraordinaire fresque de la Villa des Mystères, à Pompéi, réalisée dans les années 70 av. J.-C, c’est-à-dire à peu près à la même époque que la révolte de Spartacus.
Depuis sa découverte au début du XXe siècle, ce chef-d’œuvre de la peinture romaine a fait l’objet de diverses interprétations, parfois contradictoires. Une certitude néanmoins : la fresque est en lien avec Dionysos, représenté mollement étendu dans les bras d’une femme. Il paraît à la fois ivre et heureux.
D’autres scènes suggèrent des pratiques mêlant érotisme et extase. On voit une ménade, c’est-à-dire une femme possédée par le dieu, en train de danser, tout en jouant avec les cymbales qu’elle tient au-dessus de sa tête. Elle exécute une danse rythmée et bondissante, si bien que, sous l’effet du mouvement, sa tunique se soulève largement, dévoilant son dos et ses cuisses.
La femme de Spartacus se livrait peut-être, elle aussi, à de telles transes lorsque, possédée par son dieu, elle proclamait que son époux était le révolutionnaire choisi par Dionysos venu inverser l’ordre du monde romain en faveur des défavorisés.
Christian-Georges Schwentzel intervient dans « Spartacus et les gladiateurs », numéro inédit de « Secrets d’Histoire », présenté par Stéphane Bern, mercredi 20 novembre 2024, sur France 3.
Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
13.11.2024 à 17:12
Comment va évoluer l’île de loisirs de Vaires-Torcy, site des JO 2024 ?
Antoine Marsac, Maitre de conférences en sociologie du sport, Université Gustave Eiffel
Texte intégral (2640 mots)
L’île de loisirs de Vaires-Torcy, en Île-de-France, existait avant les JOP, mais l’événement a été l’occasion d’y opérer de nouveaux aménagements. Quel héritage Paris 2024 va-t-il laisser sur place ? Et quels sont les effets de ces évolutions sur le site et sur celles et ceux qui fréquentent habituellement cette île de loisirs ?
L’île de loisirs de Vaires-Torcy (IdL) a accueilli, cet été, les épreuves d’aviron et de canoë-kayak des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris 2024. C’est l’un des trois sites mondiaux à pouvoir recevoir l’ensemble des épreuves de rame et de pagaie. Ce site a dû réaliser d’importantes transformations structurelles depuis son élection comme site olympique pour répondre aux attentes du cahier des charges olympique (aménagements sportifs, voies d’accès…). L’IdL a su se réinventer afin d’accueillir le méga évènement, tout en conservant ses espaces de loisirs destinés à la population locale. Mais l’équilibre demeure fragile, car la dualité entre sport de haute performance et espace de loisirs fait émerger un questionnement sur les aménagements de l’IdL de Vaires-Torcy. Quels sont les aménagements de l’île avant et pendant les JOP ? Quel héritage Paris 2024 va-t-il laisser ? Quels sont les effets de ces évolutions sur les utilisateurs de cette IdL ?
Une enquête menée au moyen de photographies, d’observation et d’entretiens semi-directifs nous permet d’éclairer le mode de gestion du site, les différentes pratiques et les aménagements dans cette IdL appartenant à la Région Île-de-France (IDF). Elle apportera également des éléments d’éclairage et d’interrogations sur les répercussions de ces aménagements olympiques pour les promeneurs.
Un côté sportif et un côté loisirs
D’une superficie de 350 hectares, c’est l’une des plus vaste IdL de région parisienne. Au cœur de l’agglomération Paris Vallée de la Marne, elle se situe à 32,8 km en partant de Paris Notre-Dame sur les communes de Vaires-sur-Marne, Torcy et Chelles ainsi qu’à quelques kilomètres de l’Institut National du Sport de l’Expertise et de la Performance. Cet espace naturel aménagé accueille les champions de rame ainsi que les Franciliens à la recherche d’un îlot de fraîcheur. L’IdL possède deux espaces : un côté sportif (Vaires-sur-Marne) avec son bassin balisé d’eau calme, ses stades d’eau vive et un côté loisirs (Torcy) avec ses lieux de baignade, équitation, et ses chemins de promenade.
Elle représente une échappatoire dans la vie urbaine en IDF, synonyme « d’ailleurs compensatoire » pour les riverains. Elle conjugue espaces de détente et loisirs sportifs offrant aux utilisateurs des espaces nautiques sportifs et de promenade proche de leur domicile. Elle se définit comme un complexe « réunissant dans un site naturel proche de la population à desservir, les éléments propices à la pratique des activités de pleine nature et d’études culturelles, ainsi que la détente et la régénération ».
Ouverte en 1990, cette île de loisirs accueille des compétitions d’aviron et de canoë-kayak depuis son ouverture. Après sa sélection comme site olympique, le site de Vaires-sur-Marne a été réaménagé pour les JOP de 2024. Premier site olympique français livré au Comité d’Organisation des JOP 2024 en 2019, il devient la pierre angulaire des sports de rame et de pagaie. Pendant les JOP, ce site accueille 36 000 visiteurs par jour, faisant de lui le deuxième en capacité après le Stade de France.
Cohabitation entre le public et les sportifs de haut niveau
Avec 612 000 visiteurs par an, l’IdL est l’un des sites les plus fréquentés d’Île-de-France. Son orientation de haute performance lui confère des particularités très spécifiques. Elle est gérée par une délégation de service public – à l’avenir, la région Île-de-France propriétaire souhaite confier la gestion des îles de loisirs à des délégataires – avec un double enjeu : le sport de haute performance et l’accès aux loisirs publics. Sa renommée s’est faite grâce à ses deux stades d’eau vive, offrant des conditions d’entraînement optimales.
L’Ile de loisirs a dû réaménager ses équipements sportifs et extra sportifs pour accueillir les JOP, pour un coût de 101 millions d’euros. Le bassin, balisé par les lignes d’eau sur deux kilomètres, constitue le pilier de l’IdL avec une tour d’arrivée, un ponton de départ, cinq pontons d’embarquement et débarquement (accessibles aux personnes à mobilités réduites (PMR)) ainsi qu’une route bitumée destinée aux entraîneurs pour le suivi des athlètes. Des installations éphémères comme les gradins, les tours TV, une ligne de bouées anti-vagues sont installées.
Avec ses chemins adaptés aux mobilités douces et accessibles aux PMR, l’IdL (hors secteur haut niveau) est ouverte 24h/24 aux visiteurs.
L’impact des JOP
Mais les restructurations du site ferment partiellement l’IdL au public. Ces transformations perturbent la biodiversité, les habitudes et la fréquentation du site par ses usagers. Si la construction du stade nautique a transformé environ un quart du site, la question de la protection de l’environnement n’en demeure pas moins prégnante. Les conséquences sont une disparition des mares, des roselières, une modification de la faune et de la flore.
Plus de 62 % des usagers habitent à moins de 10 kilomètres du site[9] : la fermeture et les modifications d’accès aux espaces en réaménagement ont donc eu un fort impact sur ses utilisateurs. Ce sont principalement des familles, des jeunes, des retraités, des sportifs ou des personnes à mobilité réduite. Pour certains, l’IdL permet de se ressourcer et de pratiquer une activité physique :
« Il fait beau, le ciel est bleu, l’eau, ça scintille ça brille, vous voyez là, moi ça me fait des micro-vacances ! […] Tous les gens qui habitent en appartement […] on a besoin de jardin, de nature. »
(Passante)
A l’approche des JOP, les travaux de restructuration posent un réel problème aux promeneurs :
« Moi je viens ici car j’aime bien faire mon sport ici. C’est pour la détente. […]. C’est calme. C’est reposant […] mais là c’est plus possible. »
Ou encore :
« Tous ces grillages, toutes ces clôtures qui font que l’on a l’impression qu’on est parqués ».
Après les JOP, ces usagers ont repris la tradition de la promenade. Nous avons observé lors de nos visites que les usagers empruntaient alors des chemins annexes à ceux de l’IdL. La mise en œuvre du site en configuration « spectacle » a impacté directement les usagers qui, depuis le 17 juin dernier, se voient restreints à certaines zones. Sa fermeture pendant la période estivale impacte les familles ne partant pas en vacances. En effet, elle participe à une migration de la population vers d’autres îles de loisir à proximité, engendrant une augmentation des problèmes de surveillance et de sécurité de ces sites.
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Cette enquête a mis en évidence les conséquences du réaménagement du site olympique de Vaires-sur-Marne pour ses usagers. Les JOP ont connu un véritable succès auprès des spectateurs et des athlètes, leur offrant les conditions optimales pour performer ; ils sont néanmoins à l’origine de répercussions sur les espaces de promenade ainsi que sur l’écosystème de ce site.
Les années post olympiques vont être déterminantes pour l’avenir de l’IdL de Vaires-Torcy, en fonction de l’orientation choisie par les instances dirigeantes. Quels vont être les droits d’accès et d’utilisation des équipements du site, quel sera le public visé ? Les espaces de promenade seront-ils rétablis ?
Ce travail a été mené dans le cadre de l’atelier de recherche NUMCAP 3 de la Graduate School Program du Labex Futurs urbains de l’Université Gustave Eiffel.
Lucile Barbaudy, Antoine Lefebvre et Aristide Vidagbandji, étudiants en Master 2 STAPS, Sport et sciences sociales, ont contribué à la rédaction de cet article.
Antoine Marsac ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.