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28.08.2025 à 11:41

Pollution, un mot qui permet aussi d’opérer un classement social

Camille Dormoy, Docteure en sociologie, spécialiste des politiques publiques de gestion des déchets/économie circulaire, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)
Ce qu’on considère comme polluant n’est pas seulement défini par des critères scientifiques ou sanitaires, mais également par des règles sociales implicites.
Texte intégral (2402 mots)

Le mot « pollution n’est pas neutre, loin de là. Emprunté, d’un point de vue étymologique, au vocabulaire du sacré pour désigner ce qui « souille » ce dernier, le mot n’est pas aussi factuel qu’il y paraît. Ce qu’on considère comme polluant n’est pas seulement défini par des critères scientifiques ou sanitaires, mais également de règles sociales implicites. Il revêt aujourd’hui des enjeux de pouvoir : qui peut désigner la pollution peut non seulement désigner ce qui pollue, mais également « qui » pollue.


Tout le monde s’accorde sur l’objectif : réduire la pollution. Au-delà des discussions sur la ou les meilleures façons d’agir, dès qu’il s’agit de désigner ce qui pollue et, surtout, qui pollue, les désaccords éclatent. Loin d’être purement techniques, les conflits liés à la pollution révèlent des fractures sociales, culturelles et politiques.

Il faut dire que l’étymologie du mot n’est pas neutre : pollution est emprunté du latin pollutio, qui signifie « souillure », « profanation », est lui-même dérivé de polluere, (souiller). Un terme qui souligne la distinction entre le sacré et ce qui ne l’est pas, c’est-à-dire le profane.

Mary Douglas, en 2002. United Nations International School (UNIS).

L’anthropologue britannique Mary Douglas (1921-2007) s’est intéressée à cette distinction entre acceptable et inacceptable, profane et sacrée qui donne à la pollution sa portée symbolique et politique, dans une perspective anthropologique.

Son ouvrage de 1966 De la souillure. Essai sur les notions de pollution et de tabou (dans son titre original, Purity and Danger: An Analysis of Concepts of Pollution and Taboo) est devenu un classique. Elle y explique que la pollution n’est pas seulement un effet secondaire de nos modes de vie, mais aussi une question de pouvoir.

Quand « sale » veut surtout dire « hors norme »

Mary Douglas propose une idée aussi simple que subversive : la saleté, c’est, d’abord, ce qui dérange l’ordre des choses. Autrement dit, ce qu’on considère comme polluant n’est pas toujours seulement défini par des critères scientifiques ou sanitaires.

Cela dépend avant tout des règles implicites de chaque société, de ce qu’elle juge acceptable ou non. Ce n’est pas l’objet ou le geste en soi qui est « sale », c’est le fait qu’il transgresse des règles, des normes. Dès qu’il ne rentre pas dans la bonne case, il devient suspect, dérangeant, indésirable.

Un sac plastique dans un marché bio choque, mais dans un supermarché discount, il passe inaperçu. Des poules dans un jardin de campagne symbolisent l’autonomie alimentaire, mais dans une résidence de centre-ville, elles deviennent un problème de voisinage. Dans une piscine municipale, le chlore est associé à la propreté et à la désinfection, mais dans l’eau du robinet, il est soupçonné d’empoisonner ou de perturber le goût, en particulier dans les milieux qui valorisent l’eau « pure » (de source, filtrée, ou encore osmosée).

À travers ces quelques exemples, on voit que ce n’est pas tant la matière qui fait la pollution, mais le contexte dans lequel elle survient. Ce qu’on considère comme propre, polluant ou sain ne dépend pas seulement de critères scientifiques, mais aussi de normes sociales souvent invisibles.

La pollution ne désigne donc pas seulement une nuisance matérielle, elle fonctionne comme un révélateur de frontières symboliques : ce qui dérange, ce qui transgresse, ce qui fait éclater les catégories établies et qui menace un ordre social donné.


À lire aussi : L’écologie, un problème de riches ? L’histoire environnementale nous dit plutôt le contraire


La pollution, un langage du pouvoir pour désigner les bonnes façons d’habiter ?

Transposée à nos sociétés industrielles, la grille d’analyse de Mary Douglas permet de relire autrement les conflits écologiques contemporains. Ceux-ci ne se limitent pas à des désaccords techniques ou à des niveaux de risque mesurables : ils renvoient à des visions du monde incompatibles, à des manières d’habiter et de cohabiter dans un espace donné.

Ce que l’on nomme polluant – ou sale, ou incivique – n’est que rarement et seulement une substance ou un comportement objectivement problématique. C’est une manière de désigner ce qui dérange un ordre établi et, surtout, ceux qui sont perçus comme menaçant cet ordre.

À Étouvie, un quartier populaire d’Amiens, mon enquête ethnographique a mis en lumière la façon dont certaines pratiques ordinaires, comme la mécanique de rue (c’est-à-dire, le fait de réparer son véhicule directement dans l’espace public), le nourrissage d’animaux ou les dépôts d’encombrants sont régulièrement qualifiées de polluantes, souvent bien au-delà de leur impact réel.

Ces gestes, chargés d’un jugement moral, deviennent les marqueurs d’un écart à la norme. Dans le contexte local que j’ai étudié, ce sont souvent les habitants de longue date – ceux qui se perçoivent comme « autochtones » – qui en sont les auteurs désignés. Progressivement, ils se trouvent disqualifiés au profit d’un groupe de nouveaux arrivants ou d’habitants extérieurs, plus actifs dans les instances locales et plus légitimes aux yeux des institutions.

Ces plaintes sur la « propreté du quartier » ne relèvent pas de simples préférences esthétiques ou de velléités écologiques : elles sont productrices de pouvoir. En désignant ce qui est sale ou polluant, certains habitants acquièrent une légitimité pour s’imposer dans les comités de quartier, dans les associations ou dans les réunions publiques.

C’est là que se négocient non seulement les règles de propreté, les formes de contrôle local, mais aussi les grandes lignes des politiques et des aménagements à venir. Nommer ce qui est polluant devient ainsi une manière de gouverner les manières d’habiter.

Un phénomène urbain, mais aussi rural

Ces mécanismes ne se jouent pas uniquement en milieu urbain ou populaire. Dans certaines communes rurales, j’ai observé un phénomène comparable entre des habitants récemment installés en périphérie et des agriculteurs en place. Ces néoruraux, souvent porteurs d’une sensibilité écologique affirmée, rejettent fortement les pratiques agricoles dites conventionnelles, et s’opposent, par exemple, à l’implantation d’un méthaniseur.

Pour disqualifier leurs voisins agriculteurs, ils mobilisent un vocabulaire de la pollution, non pas en invoquant la contamination des sols ou de l’air, mais en désignant une forme de trouble paysager et sensoriel : « les tracteurs qui pourrissent la rue », « les traînées de boue sur les trottoirs » ou « les buttes de terre jusque devant les portails ». Ce n’est pas tant la matière elle-même qui pose ici problème, mais ce qu’elle incarne : une manière de produire, de circuler, d’habiter le territoire, perçue comme incompatible avec l’idée que ces habitants se font du « bon » rural.

Unité de méthanisation agricole. Jérémy-Günther-Heinz Jähnick, CC BY-NC-SA

Dans les deux cas, urbain et rural, la pollution devient un levier de classement social et spatial. Elle ne désigne pas uniquement ce qui salit, mais ce qui déborde d’un cadre attendu, d’un paysage imaginé, d’une norme implicite. Elle permet de dire : ceci est hors de sa place. Et donc, ceci n’a pas lieu d’être ici.


À lire aussi : Au nom du paysage ? Éoliennes, méthaniseurs… pourquoi les projets renouvelables divisent


Penser la pollution autrement : ne pas moraliser mais politiser

Associée à l’industrie, aux fumées, aux déchets toxiques, la pollution a longtemps désigné des atteintes massives à l’environnement, portées par des acteurs identifiables.

Mais, depuis quelques années, le mot a glissé vers d’autres usages. Aujourd’hui, il s’applique aussi à des comportements individuels et à des gestes jugés « inappropriés » : mal trier ses déchets, entreposer des objets sur le trottoir, laisser des traces de son passage. Ce glissement n’est pas anodin.

Comme l’a montré Mary Douglas, la pollution n’est jamais seulement une affaire de substances. C’est un langage : une manière de dire ce qui dérange, ce qui déborde, ce qui n’est pas « à sa place ». Elle sert à dessiner les frontières entre le propre et le sale, le légitime et l’inacceptable.

Dans les quartiers populaires comme dans les villages périurbains, les conflits autour des déchets ou des pratiques agricoles ne parlent pas seulement de propreté ou d’écologie. Ils révèlent des luttes pour définir ce qui est normal, pour dire qui a sa place et qui ne l’a pas.

Cette lecture éclaire aussi un paradoxe : certaines pollutions massives, chimiques ou diffuses, restent invisibles dans l’espace public. Trop silencieuses, trop abstraites, elles échappent aux radars symboliques. On repère un sac plastique mal trié. On perçoit l’odeur d’un méthaniseur. Mais un perturbateur endocrinien ou un seuil dépassé (par exemple la pollution aux oxydes d’azote, aux particules fines, à l’ozone…) en termes de qualité de l’air passent davantage inaperçus, non parce qu’ils sont inoffensifs – ce qu’ils ne sont pas –, mais parce qu’ils ne troublent pas immédiatement notre ordre sensible.

Ainsi, les conflits écologiques ne portent pas seulement sur des substances à éliminer ou sur des comportements à corriger. Ils engagent une lutte plus fondamentale, celle du pouvoir de nommer ce qui dérange, de désigner ce qui – objets, gestes ou populations – est « hors de place ». Car celui qui définit la saleté définit aussi l’ordre. La vraie question est ainsi de savoir qui détient ce pouvoir.

The Conversation

Camille Dormoy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

27.08.2025 à 17:04

Faut-il rouvrir des mines en France et en Europe au nom de la souveraineté économique ?

Laurent Jolivet, Professeur, Sorbonne Université
Pas de prospection minière sans géologie : la place de cette science dans nos sociétés est devenue centrale, explique le président de la Société géologique de France.
Texte intégral (3010 mots)

Dans un contexte de tensions sur l’approvisionnement en ressources minérales stratégiques, le débat sur la réouverture des mines en France et en Europe est passé au premier plan. Mais pas de prospection et d’exploitation minière sans géologie ! La place de cette science dans nos sociétés est tout aussi centrale pour tirer parti des ressources précieuses qu’abrite le sous-sol, explique le président de la Société géologique de France.


Depuis la naissance de la métallurgie, l’humain extrait du sous-sol les ressources dont il a besoin. Ces activités minières se heurtent aujourd’hui à des injonctions paradoxales :

  • D’un côté, les sciences de la Terre et du climat nous enseignent la finitude des ressources naturelles – les conséquences délétères de leur utilisation sur notre environnement.

  • Mais pour répondre aux objectifs d’énergies renouvelables ou de l’électromobilité, l’utilisation de certains métaux et de terres rares devient incontournable.

  • Dans le même temps, les conflits géopolitiques, les crises sanitaires et les tensions commerciales d’aujourd’hui révèlent crûment notre dépendance à ces ressources du sous-sol.

Dans ce contexte, la question de la réouverture de mines en France et en Europe se pose. Ainsi, le Critical Raw Material (CRM) Act européen impose aux États membres de l’Union européenne d’extraire au minimum 10 % de leurs besoins de minerais sur le territoire (et d’en raffiner 40 %). En France, la politique nationale des ressources et des usages du sous-sol (PRUSS) a fait l’enjeu d’une consultation publique dans le cadre de la loi Climat et résilience.

Ce retour du sous-sol dans les débats nationaux impose de rappeler l’importance de la géologie au cœur même de nos sociétés.


À lire aussi : Terres rares : Ces nouveaux venus qui entendent concurrencer la Chine et les États-Unis


La géologie, au cœur de nos sociétés

En effet, accroître la souveraineté européenne impose de relocaliser en partie l’exploitation du sous-sol, tout en garantissant une gestion la plus durable possible. Ces questions ne sont pas seulement économiques et politiques, mais en premier lieu géologiques.

La géologie moderne est née en Europe et en Amérique du Nord parce que le développement des sociétés des XVIIIe et XIXe siècles demandait de comprendre la nature et l’agencement des différentes roches dans le sous-sol pour les prospecter et en extraire les ressources.

Grand pays charbonnier, la France a exploité de nombreux gisements métalliques, qui ont à la fois fait la richesse des régions concernées et laissé des pollutions chimiques ou géotechniques sur le long terme.


À lire aussi : Quand la France produisait de l’antimoine, élément stratégique méconnu


Le sous-sol, premier fournisseur de ressources pour tous nos usages

Les roches, minéraux et métaux fournis par les carrières et par les mines sont à la base de tout ce que nous fabriquons et utilisons au cours de notre vie.

À commencer par l’énergie que nous utilisons, qui reste en majeure partie issue de l’exploitation du sous-sol. Plus de 60 % du mix énergétique français provient encore des énergies fossiles et plus de 80 % de l’électricité est d’origine nucléaire – et donc produite à partir d’uranium. Ces ressources sont presque entièrement importées.

Les énergies renouvelables éoliennes et solaires consomment elles aussi des ressources. Il y a, d’abord, les besoins en ciment pour les éoliennes, consommateur de grandes quantités de calcaire ou de marne (type de calcaire argileux) et de granulats, et dont la production est énergivore et émettrice de dioxyde de CO2. La construction des panneaux solaires et des éoliennes nécessite également du fer, du cuivre, de la silice et des terres rares, sans parler du carburant nécessaire aux engins pour les construire puis pour en assurer la maintenance.

Les éoliennes nécessitent d’importantes quantités de ciment, et donc de calcaire ou de marne. Pexels.com

Sans ressources du sous-sol, nous n’aurions ni routes, ni véhicules, ni hôpitaux, pas d’agriculture, pas d’écoles, pas de maisons, pas d’eau au robinet, pas d’électricité ni de chaleur et, bien sûr, pas d’ordinateurs ni de téléphones portables. Le numérique, le télétravail, le streaming et l’IA générative rendent cette question encore plus prégnante.

Bien entendu, le recyclage doit être privilégié, en commençant par la valorisation des déchets des mines, des carrières anciennes et des déchets électroniques et par la réhabilitation des zones minières. Mais cela ne suffira pas à répondre à nos besoins.


À lire aussi : Les « mines urbaines », ou les ressources minières insoupçonnées de nos déchets électroniques


De nouvelles ressources et nouveaux gisements à découvrir

Reste que la richesse d’un territoire en métaux et matériaux utiles dépend essentiellement de son histoire géologique. La plupart des gisements se forment à grande profondeur, là où règnent des conditions de pression et de température élevées et où circulent des fluides chauds. Ils sont ensuite ramenés à la surface par l’érosion ou par la tectonique des plaques.

Cristaux de stibine (Sb2S3), à base d’antimoine, provenant de la mine d’Ouche, près de Massiac (Cantal). P.-C. Guiollard

Le cœur ancien des continents, Afrique, Canada, Russie, Australie, ou encore la Cordillère des Andes – tectoniquement active – en est riche. En Europe occidentale, ces conditions géologiques ne sont remplies que sur de plus petites surfaces.

Par exemple, la France possède a priori des réserves de cuivre de plus faibles dimensions, mais des réserves importantes de tungstène, d’antimoine, d’or, de lithium ou de germanium.

Cependant, notre connaissance des mécanismes géologiques menant à la concentration des métaux a beaucoup progressé au cours des dernières décennies. Il est probable que de nouveaux gisements puissent être découverts, si l’on se donne la peine de les chercher. Le programme PEPR Sous-Sol Bien Commun et le nouvel inventaire des ressources minérales de la France lancé par le BRGM vont dans ce sens.

En ce qui concerne les ressources énergétiques du sous-sol, le potentiel géothermique de la France devrait lui aussi être revu, à. la suite des progrès dans la compréhension de la structure thermique de la Terre et de la circulation de l’eau en profondeur. Le principal intérêt de la géothermie est qu’il s’agit d’une source d’énergie inépuisable.

Schéma d’une plateforme expérimentale de géothermie. BRGM/Girelle Prod

Il existe déjà en France un fort potentiel de géothermie appelée « géothermie de minime importance » (GMI, appelée de la sorte, car il s’agit de géothermie à très basse température) de l’ordre de 100 térawattheures (TWh)/an, soit la production annuelle de 10 centrales nucléaires. Son développement pourrait créer des dizaines de milliers d’emplois non délocalisables.

Au-delà de la prospection de nouvelles ressources minières, nous devons donc développer plus activement la géothermie sur l’ensemble du territoire national, et cela sous toutes ses facettes : basse, moyenne et haute température. Pour cela, une montée en compétences sur toute la chaîne de valeur, de la compréhension géologique aux techniques de géothermie, est indispensable.


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Un débat qui impose de mieux former citoyens et décideurs

L’exploitation du sous-sol et la transformation des minerais en usine soulèvent des enjeux économiques, environnementaux et sociaux majeurs. Nous ne pouvons plus faire l’autruche en utilisant à profusion des ressources extraites dans des pays tiers sans nous soucier de notre dépendance et des conséquences environnementales et sociales là où les législations ne sont pas aussi strictes qu’en Europe.

Ces questions, qui appellent à des arbitrages complexes, demandent des débats sereins, qui ne pourront avoir lieu que si nous avons tous accès à un socle minimal de connaissances, tant géologiques qu’environnementales. Il y a donc urgence à mieux former nos concitoyens et nos dirigeants, d’abord à l’école, puis tout au long de la vie.

Pourtant, les sciences de la Terre trouvent à l’heure actuelle de moins en moins leur place au collège et au lycée. Étudier la géologie est pourtant crucial pour comprendre la formation des montagnes et des océans, les mécanismes des volcans et des séismes ou, encore, pour comprendre comment la tectonique des plaques a orienté l’évolution du vivant. Autant de sujets passionnants qui sont à même de motiver nos jeunes concitoyens.

Investir dans la recherche, un choix stratégique

Investir dans la recherche en sciences de la Terre est tout aussi essentiel.

Les dépenses de la France en recherche fondamentale aujourd’hui restent très insuffisantes au vu des enjeux actuels. La France, malgré un niveau élevé de dépenses publiques, consacre seulement 0,3 % de son PIB à la recherche fondamentale, soit deux fois moins que la moyenne européenne.

C’est pourtant grâce à la recherche, fondamentale comme appliquée, que l’on pourra concevoir des solutions durables pour économiser les ressources naturelles, développer l’écoconception, diminuer les empreintes de nos activités (eau, sol, métaux, matériaux, énergie, climat…).

Mieux comprendre les processus géologiques et biologiques en jeu aidera à développer des alternatives non carbonées aux énergies fossiles : par exemple, la géothermie, la récupération de chaleur industrielle, l’hydrogène natif, les carburants de synthèse et les biocarburants.

Mais avant de se prononcer pour ou contre l’exploitation des ressources de notre sous-sol (métaux, roches, minéraux, énergies), il est essentiel de s’interroger sur nos modes de consommation et sur ce dont nous avons réellement besoin. Dans ce contexte, alors que l’Union européenne cherche à mieux encadrer et à valoriser les métaux, un débat national s’impose. La Société géologique de France, que je représente à travers ce texte, est prête à y participer activement.


Laurent Jolivet est président de la Société géologique de France. Les membres du conseil d’administration de la Société géologique de France ont également participé à l’écriture de cet article.

The Conversation

Jolivet Laurent est professeur émérite à Sorbonne Université et président de la Société Géologique de France. Il a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche, du CNRS-INSU, de l'European Research Council, de Total. Il a été membre du Comité Scientifique du BRGM et président du conseil scientifique du Référentiel Géologique de la France.

27.08.2025 à 17:02

À la fin, qui prendra en charge le coût des assurances ?

Arthur Charpentier, Professeur, Université de Rennes 1 - Université de Rennes
Tempêtes qui se répètent, primes qui s’envolent, retraits d’assureurs : à l’heure du dérèglement climatique, la promesse de protection vacille. Qui, finalement, règlera la note ?
Texte intégral (2158 mots)
Depuis 1990, les pertes assurées liées aux catastrophes naturelles croissent de 5 % à 7 % par an -- 137 milliards de dollars états-uniens, en 2024, et une tendance à 145 milliards, en 2025. Lucian Coman/Shutterstock

Tempêtes qui se répètent, primes qui s’envolent, retraits d’assureurs : à l’heure du dérèglement climatique, une question se pose : qui règlera, in fine, la note ?


Des mutuelles ouvrières du XIXe siècle, créées pour amortir les coups durs du développement industriel, aux logiques actionnariales des multinationales contemporaines, l’assurance a toujours reflété les grands risques de son époque.

Désormais sous la pression d’événements climatiques à la fréquence et à la sévérité inédites, le secteur affronte une équation nouvelle : comment rester solvable et socialement légitime lorsque la sinistralité (montants payés par une compagnie d’assurance pour des sinistres) croît plus vite que les primes (encaissées) ? Entre flambée des tarifs, exclusions de garanties et menace d’inassurabilité de territoires entiers, comment la solidarité assurantielle doit-elle se réinventer ?

Chacun pour tous, et tous pour chacun

Avant d’être une industrie financière pesant des milliards d’euros, l’assurance est née comme un simple pot commun : des membres cotisent, les sinistrés piochent, et le surplus (s’il existe) revient aux sociétaires. Des organismes de solidarité et d’assurance mutuelle créés dans le cadre de la Hanse (la Ligue hanséatique, réseau de villes marchandes d’Europe du Nord entre le XIIIᵉ et le XVIIᵉ siècle) jusqu’aux guildes médiévales, ces associations de personnes exerçant le même métier ou la même activité, la logique est déjà celle d’un risk-pooling, un partage de risque, à somme nulle. Chacun paie pour tous, et tous pour chacun.

Dans les guildes du Moyen Âge, en Europe, chaque maître artisan versait un droit annuel qui finançait la reconstruction de l’atelier détruit par l’incendie ou le soutien de la veuve en cas de décès. Pour l’historien de l’économie Patrick Wallis, c’est la première caisse de secours structurée. Les chartes danoises de 1256, qui imposent une « aide feu » (ou brandstød) obligatoire après sinistre, en offrent un parfait exemple, comme le montre le chercheur en politique sociale Bernard Harris.

Le principe traverse les siècles. Au XIXe, les sociétés de secours mutuel instaurent la ristourne, quand la sinistralité s’avère plus clémente que prévu. Aujourd’hui encore, près d’un assuré sur deux en incendies, accidents et risques divers (IARD) adhère à une mutuelle dont il est copropriétaire statutaire.

L’équation financière reste fragile : lorsque le climat transforme l’aléa en quasi-certitude, la prime n’est plus un simple « partage de gâteau » mais une avance de plus en plus volumineuse sur des dépenses futures. Le groupe Swiss Re a calculé que, depuis 1990, les pertes assurées liées aux catastrophes naturelles croissent de 5 % à 7 % par an – 137 milliards de dollars états-uniens en 2024, la tendance est à 145 milliards de dollars en 2025 (respectivement 118 milliards et 125 milliards d’euros).

Le modèle mutualiste, fondé sur la rareté relative du sinistre et la diversification géographique, se voit contraint de réinventer sa solidarité si la fréquence double et la gravité explose… sous peine de basculer vers une segmentation aussi fine que celle des assureurs capitalistiques.

Tarification solidaire et optimisation actionnariale

À partir des années 1990, la financiarisation injecte un nouvel impératif : la prime doit couvrir les sinistres, financer le marketing, rémunérer les fonds propres et, à l’occasion, servir de variable d’ajustement pour les objectifs trimestriels. L’optimisation tarifaire, popularisée sous le vocable de price optimisation, décortique des milliers de variables de comportements (nombre de clics avant signature, inertie bancaire, horaires de connexion) afin d’estimer le prix de réserve individuel, soit le prix minimum qu’un vendeur est prêt à accepter, ou qu’un acheteur est prêt à payer, lors d’une transaction.

Autrement dit, on estime non plus seulement la prime la plus « juste » actuariellement (l’actuaire étant l’expert en gestion des risques), au sens que lui donnait Kenneth Arrow en 1963, mais aussi la prime la plus élevée que l’assuré est prêt à payer. La prime juste étant le coût moyen attendu des sinistres, le montant que l’assureur pense payer l’an prochain pour des risques similaires.


À lire aussi : Mutuelles : vers une réforme pour endiguer la spirale des prix


L’Institut des actuaires australiens dénonce, dans son rapport The Price of Loyalty, une pénalisation systématique des clients fidèles, assimilée à un impôt sur la confiance. Au Royaume-Uni, le régulateur Financial Conduct Authorities (FCA) a frappé fort. Depuis le 1er janvier 2022, la cotation à la reconduction doit être identique à celle d’un nouveau client à risque égal ; l’autorité évalue à 4,2 milliards de livres l’économie réalisée pour les ménages sur dix ans.

Cette bataille réglementaire va bien au-delà du prix. En reléguant la logique de mutualisation au second plan, l’optimisation comportementale renforce les indicateurs socioéconomiques indirects – comme l’âge, la fracture numérique ou la stabilité résidentielle –, qui finissent par peser davantage que le risque technique pur dans la détermination du tarif.

Désormais l’assureur a accès à des data lakes (données brutes) privés, où l’assuré ignore ce qui rend sa prime plus chère. Par nature, les contrats restent rétifs à toute comparaison simplifiée. L’un affiche une franchise de 2 000 euros, l’autre un plafond d’indemnisation plus bas ou des exclusions reléguées dans de minuscules clauses, de sorte qu’il faut un examen quasi juridique pour aligner réellement les offres, comme le soulignait un rapport de la Commission européenne.

Refus d’un dossier sur deux

La montée des événements extrêmes illustre brutalement ces dérives. En Australie, trois phénomènes climatiques dans la première moitié de l’année 2025, dont le cyclone Alfred, ont généré 1,8 milliard de dollars australiens (AUD), soit 1 milliard d’euros, de demandes d’indemnisation. L’Insurance Council prévient que les primes habitation verront des augmentations à deux chiffres et certains contrats pourraient atteindre 30 000 dollars autraliens par an (ou 16 600 euros par an) dans les zones les plus exposées.

Aux États-Unis, la Californie cumule résiliations et refus de prise en charge. Un rapport mentionné par le Los Angeles Times montre que trois grands assureurs ont décliné près d’un dossier sur deux en 2023. Une action collective accuse de collusion 25 compagnies d’assurance dans le but de pousser les sinistrés vers le FAIR Plan, pool d’assureurs de dernier ressort aux garanties réduites.

Vers l’« inassurabilité » systémique

Le phénomène n’est pas marginal. Les assureurs réduisent leur exposition. Les assureurs états-uniens State Farm et Allstate ont cessé d’émettre de nouvelles polices en Californie, dès 2023. En Floride, parce qu’il intervient lorsque aucun assureur privé n’accepte de couvrir un logement à un prix raisonnable, l’assureur public de dernier ressort Citizens a vu son portefeuille grossir jusqu’à environ 1,4 million de polices au pic de la crise, puis repasser sous le million, fin 2024, grâce aux transferts (takeouts) vers des acteurs privés – un progrès réel, qui révèle toutefois un marché encore fragile. Au niveau mondial, Swiss Re compte 181 milliards de dollars états-uniens de pertes 2024 restées à la charge des victimes ou des États, soit 57 % du total.

Face à ces écarts de protection croissants, les assureurs réduisent leur exposition. Cette contraction de l’offre rejaillit sur la finance immobilière : l’économiste Bill Green rappelle dans une lettre au Financial Times que la moindre défaillance d’assurance provoque, en quelques semaines, l’annulation des prêts hypothécaires censée sécuriser la classe moyenne états-unienne. Lorsque les assureurs se retirent ou lorsque la prime devient inabordable, c’est la valeur foncière qui s’effondre et, avec elle, la stabilité de tout un pan du système bancaire local.

Refonder le contrat social du risque

Des pistes se dessinent néanmoins. Le Center for American Progress propose la création de fonds de résilience cofinancés par les primes et par l’État fédéral, afin de financer digues, toitures renforcées et relocalisations dans les zones à très haut risque.

En Europe, la France conserve un régime CatNat fondé sur une surprime obligatoire uniforme – 20 % en 2025 – pour un risque réassuré par la Caisse centrale de réassurance (CCR). Ce mécanisme garantit une indemnisation illimitée tout en mutualisant les catastrophes sur l’ensemble du territoire national. Combinés à une tarification incitative (franchise modulée selon les mesures de prévention), ces dispositifs peuvent préserver l’assurabilité sans faire exploser les primes individuelles.

Reste à traiter l’amont : limiter l’exposition en gelant les permis dans les zones inconstructibles, conditionner le financement bancaire à la compatibilité climat et pérenniser, à l’échelle nationale, une surtaxe de prévention climatique progressive qui financerait les adaptations structurelles tout en lissant les chocs tarifaires.

À ce prix, l’assurance redeviendrait un bien commun : ni pur produit financier ni simple pot commun, mais une infrastructure essentielle où la société, et non plus le seul assureur, choisit sciemment la part de la facture climatique qu’elle accepte de supporter.


Cet article a été rédigé avec Laurence Barry, co-titulaire de la Chaire PARI (Programme de recherche pour l’appréhension des risques et des incertitudes).

The Conversation

Arthur Charpentier est membre (fellow) de l'Institut Louis Bachelier. Il a reçu des financements du CRSNG (NSERC) de 2019 à 2025, du Fond AXA Pour la Recherche de 2020 à 2022, puis de la Fondation SCOR pour la Science de 2023 à 2026.

26.08.2025 à 16:59

Près des autoroutes et des déchetteries : les gens du voyage face aux injustices environnementales

Léa Tardieu, Chargée de recherche en économie de l’environnement, Inrae
Antoine Leblois, Chargé de recherches, économie de l'environnement et du développement, Inrae
Nicolas Mondolfo, Assistant de recherche, École Normale Supérieure Paris-Saclay – Université Paris-Saclay
Philippe Delacote, Directeur de recherche en économie à l'INRAE et Chaire Economie du Climat, Inrae
Les aires d’accueil des gens du voyage sont de fait très souvent placées dans des zones polluées ou présentant des nuisances environnementales.
Texte intégral (2254 mots)
Aire d’accueil des gens du voyage de Beynost (Ain) en avril 2023. Benoît Prieur, CC BY

Une étude inédite démontre l’injustice environnementale dont sont victimes les communautés des gens du voyage. Les aires d’accueil où elles peuvent séjourner sont de fait très souvent placées dans des zones polluées ou présentant des nuisances environnementales.


Essayez de vous rappeler la dernière fois que vous avez vu une pancarte désignant « aire d’accueil des gens du voyage ». Vers où pointait-elle ? Dans la France urbaine et périurbaine, il y a de fortes chances qu’elle dirige vers une zone polluée ou sujette à d’autres nuisances environnementales. C’est ce que nous avons pu démontrer à travers une étude statistique inédite. Les gens du voyage, un terme administratif désignant un mode de vie non sédentaire qui englobe une multitude de communautés roms, gitanes, manouches, sintés, yénish, etc., sont de ce fait discriminés.

De précédentes recherches avaient déjà mis en évidence la discrimination environnementale systémique que subissent ces communautés en France. On peut citer par exemple l’ouvrage Où sont les « gens du voyage » ? Inventaire critique des aires d’accueil, du juriste William Acker, et les travaux en anthropologie de Lise Foisneau, notamment sur l’aire du Petit-Quevilly (Seine-Maritime) à la suite de l’accident industriel de Lubrizol, ou encore ceux de Gaëlla Loiseau.

Ils replacent ces discriminations dans un contexte historique, sociologique, juridique et politique, et soulignent le rôle prépondérant de la mise à distance des gens du voyage dans l’espace public et soulignent leur invisibilisation dans le débat public.

Pour compléter les études existantes et enrichir le débat sur les injustices environnementales en France, nous avons souhaité vérifier si ces injustices pouvaient s’observer au plan statistique. Dans une étude récemment publiée dans Nature Cities, nous comparons l’exposition aux nuisances environnementales dans les aires d’accueil et dans d’autres zones d’habitation comparables.

Où placer les aires d’accueil ?

La localisation des aires d’accueil des gens du voyage représente un domaine, relativement unique, dans lequel la puissance publique impose les lieux où une catégorie de la population a le droit de s’installer.

Ceci en fait un contexte particulièrement intéressant à étudier dans le cadre de la justice environnementale. En effet, la littérature sur la justice environnementale se concentre presque exclusivement sur les phénomènes de ségrégation spatiale, involontaires et systémiques. En revanche, le cas des aires de gens du voyage met en lumière une injustice produite directement par des décisions publiques répétées, et non par des dynamiques résidentielles spontanées.

En France, depuis la loi du 5 juillet 2000, dite loi Besson, la participation à l’accueil des gens du voyage est obligatoire pour les communes de plus de 5 000 habitants. Mais cette nécessité est, dans les faits, peu respectée. Les derniers chiffres officiels de la DIHAL font état des éléments suivants : seuls 12 départements sur 95 respectent les prescriptions prévues par leur schéma.

Pour décider du lieu d’installation d’une aire, les élus locaux peuvent soit l’établir sur leur territoire, soit participer à son financement sur une commune voisine, communauté de communes ou communauté d’agglomération dans le cadre d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI).

Actuellement, cependant, moins d’un établissement public de coopération intercommunale sur deux est en conformité. Malgré ces manques de conformité, la loi Besson a eu pour conséquence principale de faire construire les aires d’accueil majoritairement dans des aires urbaines.

Cartes des aires d’accueil de gens du voyage en France, en regard des aires urbaines
Les aires d’accueil de gens du voyage sont majoritairement situées dans les aires urbaines. Léa Tardieu/Inrae, Fourni par l'auteur

Les schémas départementaux d’accueil et d’habitat des gens du voyage, approuvés par l’État par un arrêté signé du préfet du département, évaluent la situation au niveau du département et déterminent les objectifs et obligations pour une durée de six ans. Le schéma spécifie, entre autres, le nombre d’aires d’accueil et les communes ayant l’obligation d’en avoir.

Des aires concentrées dans les communes les plus exposées aux nuisances environnementales…

Nous avons dans un premier temps analysé les caractéristiques des communes accueillant les aires. La situation des communes de plus de 5 000 habitants au sein d’un EPCI s’avère déterminante.

Lorsqu’une seule commune de l’EPCI a plus de 5 000 habitants, celle-ci a, toutes choses égales par ailleurs, huit fois plus de chances d’accueillir une aire que les communes de moins de 5 000 habitants. En revanche, lorsque plusieurs communes de l’EPCI ont plus de 5 000 habitants, cette probabilité n’est que quatre fois plus élevée. Cette statistique indique qu’il existe bien, dans certains cas, une négociation entre les communes. Cette négociation peut avoir pour objectif de limiter le nombre d’aires d’accueil à installer sur leur territoire, et d’éviter d’en installer une dans la commune.

Nos résultats révèlent en outre que les communes de plus de 5 000 habitants qui ont une aire d’accueil contiennent, en moyenne, plus de nuisances environnementales que celles qui n’en accueillent pas. Cela est vrai pour tous les types de nuisances, à l’exception du risque d’inondation.

L’écart est particulièrement important pour certains types de nuisances. Par exemple, 55 % des communes accueillant une aire abritent une usine très polluante, contre 34 % des communes qui n’en accueillent pas. Concernant les déchetteries, ces proportions s’élèvent à 64 % et 47 %, respectivement.

Par ailleurs, les communes dans lesquelles la valeur locative des logements (qui reflète le prix du marché) est plus élevée sont moins susceptibles d’accueillir une aire.

Ces analyses ont été réalisées en prenant en compte certaines caractéristiques des communes (population, superficie, etc.) pour mesurer les différences entre communes comparables.

… et, au sein des communes, dans les zones les plus polluées

À l’intérieur même des communes, les aires sont placées dans des zones déjà défavorisées : revenus plus faibles, plus de logements sociaux et des foyers plus nombreux.

Mais les aires d’accueil sont surtout localisées à proximité des sources de pollution. Les zones autour d’une aire ont trois fois plus de probabilité d’être à proximité d’une déchetterie (moins de 300 mètres) et plus de deux fois plus de probabilité d’être à proximité d’une station d’épuration ou d’une autoroute (moins de 100 mètres). Elles ont aussi 30 % de risque supplémentaire d’être proches d’un site pollué et 40 % d’être à proximité d’une usine classée Seveso (présentant un risque industriel).

Autrement dit, les aires sont non seulement placées dans des zones les plus modestes au plan économique, mais parmi les zones modestes, elles sont aussi situées dans les zones les plus exposées aux nuisances environnementales.

Logique de moindre coût ou racisme environnemental ?

Nous envisageons deux mécanismes schématiques – qui ne s’excluent pas mutuellement en pratique – permettant d’expliquer cette discrimination environnementale. Les choix de localisation des aires d’accueil peuvent en effet découler d'un processus de minimisation des coûts ou encore résulter d’une discrimination intentionnelle de la part des pouvoirs publics.

Dans le premier cas, on notera que les terrains proches d’infrastructures bruyantes ou polluantes sont souvent moins chers, moins convoités, et donc plus faciles à mobiliser. Les maires et collectivités, soumis à des contraintes financières, peuvent donc être tentés d’installer les aires là où cela coûte le moins.

Nos données le confirment : les aires sont souvent implantées là où les loyers sont bas et l’accès aux services publics limité. Ceci a également été montré par les travaux de Lise Foisneau.

Mais une seconde explication ne peut être écartée : celle du racisme environnemental. L’antitziganisme est fortement ancré dans la société française, comme en témoignent de nombreux discours médiatiques ou politiques. Il est alors possible que certains élus cherchent à placer les aires loin des quartiers résidentiels pour éviter les réactions hostiles.

Une autre hypothèse pourrait être que certains élus locaux rendent les aires peu attractives afin d’en limiter la fréquentation. Nous constatons en effet que les aires ont tendance à être situées en bordure de communes et nos données montrent également qu’elles sont globalement éloignées des services publics, comme les écoles ou les centre de santé.

Au final, il est plus que probable que les discriminations environnementales que nous documentons résultent d’une combinaison de stratégies d’exclusion délibérées et d’objectifs de réduction des coûts.

L’absence de co-construction avec les principaux concernés et le nombre très limité de consultations menées aux niveaux local et national laissent à penser que l’injustice distributive qui touche les gens du voyage peut être une conséquence directe d’une injustice procédurale (c’est-à-dire qu’ils ne sont pas impliqués dans les processus de décisions qui les concernent). Celle-ci a été fréquemment documentée, notamment par des associations comme l’ANGVC et la FNASAT.

The Conversation

Philippe Delacote a reçu des financements de la Chaire Economie du Climat.

Antoine Leblois, Léa Tardieu et Nicolas Mondolfo ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

25.08.2025 à 17:31

Qui était Berta Cáceres, assassinée en 2016 pour avoir défendu une rivière sacrée au Honduras ?

Shérazade Zaiter, Auteure | Juriste | Conférencière | Ambassadrice pour le Pacte européen du climat, Université de Limoges
Cette militante écologiste hondurienne, qui a défendu les droits des peuples autochtones, a été froidement assassinée en 2016 à l’âge de 44 ans.
Texte intégral (2277 mots)
Berta Cáceres a reçu, en 2015, le « Nobel vert », le prix Goldman pour l’environnement. Goldman Environmental Prize

Cet été, The Conversation France vous emmène à la rencontre de personnalités pionnières mais méconnues de mouvements pour la protection de l’environnement. Aujourd’hui, il s’agit de Berta Cáceres, militante écologiste qui a défendu les droits des peuples autochtones et qui a été froidement assassinée, en 2016, au Honduras.


En 2023, 196 défenseurs de l’environnement ont été tués à travers le monde. Ces chiffres terrifiants, publiés en septembre 2024 par l’ONG Global Witness, témoignent d’une réalité alarmante : s’engager pour la planète peut coûter la vie. Et dans ce combat, l’Amérique latine reste l’une des régions les plus dangereuses. Depuis 2012, plus de 2 100 militants sont morts, soit un meurtre tous les deux jours.

Parmi les pays les plus touchés : la Colombie, le Brésil, le Mexique, les Philippines… et le Honduras. Dans ce petit pays d’Amérique centrale, 18 défenseurs de l’environnement ont perdu la vie en 2023. La majorité des victimes sont issues des peuples autochtones, qui représentent à peine 5 % de la population mondiale, mais qui concentrent plus d’un tiers des agressions recensées.

Le destin de Berta Cáceres, militante hondurienne assassinée en 2016, en représente un exemple tragique. Ce texte retrace le portrait de cette figure hors norme dont l’écho résonne encore aujourd’hui.

Engagée pour les peuples autochtones

Figure emblématique de la défense des droits autochtones et de l’environnement, Berta Cáceres est devenue le symbole d’une lutte universelle contre la corruption environnementale.

Berta Cáceres en 2007. UN Environment

Née le 4 mars 1971 à La Esperanza, elle a grandi au sein d’une famille engagée. Sa mère, Austra Bertha Flores, est sage-femme et militante féministe. Son père, Ricardo Cáceres, appartient au peuple indigène lenca.

Très tôt, Berta a été sensibilisée aux inégalités sociales, à la pauvreté et à l’injustice. En 1993, elle a cofondé le Consejo Cívico de Organizaciones Populares e Indígenas de Honduras (COPINH), une organisation dédiée à la défense des droits des peuples autochtones. Avec le COPINH, elle s’est engagée contre l’exploitation des ressources naturelles et contre le fait que les projets industriels soient imposés aux communautés sans leur consentement.

Le « Nobel vert » pour sa mobilisation contre un projet de barrage

Au début des années 2000, le gouvernement hondurien a attribué des concessions à des entreprises privées pour construire des barrages hydroélectriques sur des territoires indigènes. Parmi ces derniers, le projet Agua Zarca, porté par la société Desarrollos Energéticos S.A. (DESA), prévoyait de barrer le fleuve Gualcarque, une rivière sacrée pour les Lenca. Un projet qui menaçait leur existence même : le peuple Lenca dépend de cette rivière pour son eau, sa culture, sa spiritualité et sa survie.

Berta Cáceres a alors organisé la résistance. Manifestations, blocages, campagnes internationales… Pendant des années, elle a dénoncé la collusion entre l’entreprise DESA, les responsables politiques et les forces de sécurité. Bien que pacifique, son action dérangeait. Très vite, elle est devenue la cible de harcèlements, de menaces de mort, et de tentatives d’intimidation. Le gouvernement hondurien, au lieu de la protéger, a préféré l’accuser d’incitation à la violence.

En 2015, Berta Cáceres a reçu le prestigieux prix Goldman pour l’environnement. Ce prix, surnommé le « Nobel vert », récompense les plus grands défenseurs de la nature à travers le monde. Il est venu saluer son combat acharné pour les droits des peuples autochtones et la protection des territoires sacrés. Le monde entier a alors découvert le courage de cette guerrière, porte-voix des rivières et des forêts du Honduras.

Un meurtre qui a provoqué une onde de choc mondiale

Mais cette reconnaissance internationale n’aura pas suffi à la protéger. Dans la nuit du 2 au 3 mars 2016, des tueurs à gages sont entrés chez elle et l’ont froidement abattue. Elle avait 44 ans et était mère de quatre enfants. Elle a été assassinée pour avoir défendu une rivière sacrée.

Son meurtre, parfaitement ciblé et planifié, a provoqué une onde de choc mondiale. Les Nations unies, Amnesty International, les gouvernements étrangers, les ONG environnementales : tous réclament une enquête impartiale. Michel Forst, ancien rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits humains, a exhorté le Honduras à garantir une enquête complète sur le meurtre de Berta.

Mais dans ce pays, l’impunité reste la norme. Plus de huit ans après son assassinat, la justice hondurienne peine toujours à poursuivre tous les responsables impliqués dans le crime. Pour l’heure, les quatre tueurs à gages, un major de l’armée, plusieurs responsables de DESA – dont son ancien chef de la sécurité et Roberto David Castillo Mejía, son ancien président – ont été condamnés.

Roberto David Castillo Mejía, en particulier, a été condamné en 2022 par la Cour suprême de justice du Honduras à 22 ans de prison comme coauteur de l’assassinat de Berta. En novembre 2024, il a écopé de cinq années supplémentaires pour fraude et usage de faux documents dans l’affaire de Gualcarque.

Cette condamnation repose en grande partie sur les preuves méticuleusement collectées par Berta elle-même au prix de sa vie. À l’époque, Castillo siégeait également à la direction de l’entreprise nationale d’électricité (ENEE), une position qui lui aurait permis de manipuler l’attribution des contrats publics en faveur de DESA.

Ce cas illustre parfaitement la collusion toxique entre entreprises privées, institutions publiques et réseaux de pouvoir. Si ces condamnations représentent une avancée partielle, elles ne sauraient masquer l’absence de poursuites contre les véritables architectes de ce système de prédation. Roberto David Castillo ne serait que le maillon d’une structure criminelle plus large : la liste des personnes condamnées n’intègre pas toutes les personnes qui ont planifié et ordonné l’assassinat de l’activiste.

Face au refus du gouvernement hondurien d’accepter des investigations d’enquêteurs étrangers, un groupe d’experts indépendant a, en 2017, mis en cause les autorités du Honduras.

Dans ce contexte, le refus du Honduras de ratifier l’accord d’Escazú, qui concerne les droits d’accès à l’information sur l’environnement, la participation du public à la prise de décision environnementale, la justice environnementale et un environnement sain et durable pour les générations actuelles et futures en Amérique latine et dans les Caraïbes, apparaît comme une forme de déni institutionnel.

Signé par 24 pays en septembre 2018 au Costa Rica et entré en vigueur en avril 2021, ce traité régional, pionnier sur l’environnement et les droits humains, engage les États à garantir l’accès à l’information environnementale, à renforcer la participation citoyenne aux décisions écologiques, et surtout à protéger les défenseurs de l’environnement.

Le Honduras, qui reste l’un des pays les plus meurtriers au monde pour les défenseurs de l’environnement, ne l’a toujours pas ratifié, alors même que la société civile et les ONG internationales réclament son adoption urgente. À ce jour, seuls 18 pays d’Amérique latine et des Caraïbes l’ont ratifié.

L’héritage laissé par Berta Cáceres

L’histoire de Berta Cáceres dépasse les frontières du Honduras et appelle à ce que justice soit faite. Non seulement pour elle, mais pour toutes celles et ceux qui, aujourd’hui encore, risquent leur vie pour défendre la Terre. Ce drame révèle les mécanismes d’un système global où la défense du vivant entre en conflit avec des intérêts économiques puissants. Dans ce système, ce sont souvent les plus vulnérables – peuples autochtones, femmes, paysans – qui paient le prix fort.


À lire aussi : Pourquoi les femmes souffrent davantage des catastrophes naturelles et des migrations


Le COPINH poursuit aujourd’hui l’œuvre de Berta Cáceres, mené en partie par sa fille Laura Zúñiga Cáceres. À La Esperanza, des fresques murales, des cérémonies et des chants perpétuent la mémoire de celle qu’on appelle désormais la gardienne des rivières.

Berta Cáceres est ainsi devenue une figure universelle de la résistance : une femme qui a su unir écologie, justice sociale et lutte pour les droits des peuples dans un même souffle. De nombreuses organisations de défense des droits humains et de

l’environnement à travers le monde évoquent régulièrement son nom pour dénoncer les violences systémiques. Dans un monde confronté à la crise climatique, à l’effondrement de la biodiversité et aux dérives autoritaires, sa mémoire rappelle que défendre l’environnement, ce n’est pas seulement protéger la nature, c’est aussi défendre les droits humains.

Berta Cáceres a ouvert un chemin pour la nouvelle génération de défenseurs de l’environnement : défendre la planète, c’est aussi défendre la vie, la dignité et la démocratie.

Ainsi Berta Cáceres disait-elle :

« Notre Terre-mère, militarisée, clôturée, empoisonnée, témoin de la violation systématique des droits fondamentaux, nous impose d’agir. »

Aujourd’hui, face à l’urgence écologique et climatique, aux atteintes aux droits humains et aux menaces croissantes contre les libertés, ces mots ne sont plus un simple avertissement. Ce sont des impératifs moraux. Agir n’est plus une option : c’est un devoir.

The Conversation

Shérazade Zaiter est membre d'Avocats sans Frontières et du Centre International de Droit Comparé de l'Environnement.

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