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10.07.2025 à 14:14

Boire de l’eau recyclée ? De plus en plus de villes s’y mettent

Service Environnement, The Conversation France
Face à la raréfaction des ressources en eau douce, certaines villes n’hésitent plus à transformer leurs eaux usées en eau potable. Une solution encore marginale mais prometteuse.
Texte intégral (1021 mots)

Pays parmi les plus arides d’Afrique, la Namibie recycle ses eaux usées en eau potable depuis 1968. Pour pallier le manque d’eau, d’autres pays l’ont imité ou songent désormais à le faire, explique Julie Mendret, de l’université de Montpellier.


Les anglophones l’appellent « toilet-to-tap water », soit littéralement l’eau qui retourne au robinet depuis la cuvette des WC. Quoique peu engageante, l’expression permet de poser les enjeux de la réutilisation des eaux usées, une piste sérieuse pour de plus en plus de villes ou de pays autour du monde, de Bangalore à Los Angeles.

Le pionnier namibien

En la matière, le pays pionnier reste la Namibie. Sa capitale, Windhoek, est quasi dépourvue de ressources en eau du fait de sa latitude désertique où la rare eau de pluie s’évapore de façon quasi immédiate.

En 1968, la ville, alors sous domination sud-africaine, voyait sa population grandir à un rythme impressionnant. C’est alors qu’elle a commencé à potabiliser ses eaux usées. Aujourd’hui, c’est 30 % des eaux usées qui sont ainsi recyclées, pour un traitement qui dure moins de 10 heures.

Des eaux potabilisées en dix étapes

Windhoek a mis en place une suite de procédés inédite qui compte aujourd’hui 10 étapes. Il comprend des processus physiques pour permettre de créer des flocs, des amas de matière en suspension que l’on pourra ainsi éliminer, mais aussi des processus chimiques comme l’ozonation, qui permet de dégrader de nombreux micropolluants et d’inactiver bactéries, virus et parasites. D’ultimes étapes de filtration biologique (charbon actif) et physique (ultrafiltration membranaire par exemple) complètent le tout, avec des contrôles qualité doublés d’adjonction de chlore pour la désinfection.

L’usine de traitement des eaux usées de Windboek est devenue une attraction qui accueille des visiteurs venus d’Australie ou des Émirats arabes unis, des pays où cette approche pourrait faire des émules. Et pour cause : cela reste moins énergivore et plus respectueux de l’environnement que le dessalement de l’eau de mer, technique la plus répandue dans le monde. Là où le dessalement nécessite entre 3 et 4 kWh par m3, la potabilisation des eaux usées ne consomme qu’entre 1 et 1,5 kWh par m3, tout en ne produisant pas les sels et polluants rejetés par le dessalement.


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Malgré ces avantages, cette démarche reste peu répandue sur le globe. Plusieurs raisons sont en cause : le coût des infrastructures de traitement d’une part (outre la Namibie, seuls des pays développés ont pu financer de tels projets), et la législation d’autre part. En Europe par exemple, une telle usine ne pourrait être autorisée. Un projet est en cours en Vendée, mais il ne s’agit que de potabilisation indirecte. Reste aussi la barrière mentale liée au fait de boire des eaux usées traitées, qui a fait fermer une usine construite à Los Angeles en 2000 qui avait pourtant coûté 55 millions de dollars.

Pour autant, mieux vaut informer la population en amont, comme à Singapour, où des visites publiques de l’usine et des vidéos du premier ministre de l’époque buvant sereinement l’eau traitée avaient permis de favoriser l’acceptabilité de cette approche.

Cet article est la version courte de celui publié par Julie Mendret (université de Montpellier) en août 2023.

The Conversation

Cet article est la version courte de celui publié par Julie Mendret (université de Montpellier) en août 2023

10.07.2025 à 10:28

Faut-il décarboner des usines qui ferment ? En Bretagne, les mésaventures de Michelin et l’hydrogène vert

Hugo Vosila, Doctorant en science politique , Sciences Po Bordeaux
Les efforts étatiques en faveur de la décarbonation de l’industrie, en investissant dans des filières telles que l’hydrogène, se heurtent à une désindustrialisation qui se poursuit.
Texte intégral (2865 mots)

À Vannes, le groupe Michelin a mis en place une station d’hydrogène début 2024 pour décarboner le processus industriel de son usine. Mais moins d’un an après le lancement de ce projet, l’industriel a annoncé la fermeture de l’usine. Un exemple des défis que pose la décarbonation dans un contexte encore prégnant de désindustrialisation.


Le 5 novembre 2024, le groupe Michelin annonçait à ses salariés de Cholet et de Vannes l’arrêt de la production des sites à horizon 2026.

« Saignée industrielle » selon la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet, la fermeture de l’usine vannetaise du Prat, outre les quelque 299 emplois qu’elle concentrait, met également en péril le devenir de la station d’hydrogène vert HyGO attenante, qui participait à la décarbonation du processus industriel de Michelin pour la fabrication des pneus.

L’annonce de la fermeture de l’industriel – principal consommateur de l’hydrogène (H2) du site – et l’absence d’usages identifiés pour la mobilité interrogent sur le futur de la station, et plus largement sur la pérennité du déploiement des écosystèmes territoriaux basés sur l’hydrogène.

La ruée vers l’hydrogène de la décennie 2010

À l’écart des grands axes de transport nationaux, faiblement industrialisée, la Bretagne n’apparaît pas d’emblée comme la région de prédilection pour le développement d’une filière hydrogène. À la fin de la décennie 2010, elle n’échappe pourtant pas à l’engouement d’acteurs territoriaux publics et privés, qui ambitionnent alors de faire émerger des projets sur les territoires. Sans grand succès toutefois : en Ille-et-Vilaine, rares sont les initiatives qui dépassent le stade des études de faisabilité.

Au niveau étatique, un Plan national de déploiement de l’hydrogène voit le jour en 2018, ciblant la décarbonation de l’industrie, de la mobilité lourde et le soutien à l’innovation.

En parallèle, l’Agence de la Transition écologique (Ademe) lance un premier appel à projet « Écosystèmes mobilité hydrogène » en 2018. L’enjeu est d’assurer des boucles production-distribution-usages, d’essayer de cadrer les velléités locales et de faire le tri parmi les projets.

Du côté de la région, la feuille de route hydrogène renouvelable, publiée en 2020, identifie le maritime et les mobilités comme des axes forts du potentiel breton.

Mais les premières réflexions autour d’un écosystème hydrogène à Vannes remontent au début de cette effervescence, à l’écart des futures orientations régionales. Elles visent à décarboner le process de l’un des seuls sites industriels consommateurs d’hydrogène : l’usine Michelin de Vannes.

Les promesses locales du projet HyGO

Implantée dans l’agglomération depuis 1963, cette dernière utilisait de l’H2 gris fossile, issu du vaporeformage de gaz naturel, pour travailler les membranes métalliques des pneumatiques.

Soucieux de réduire l’empreinte carbone de ses sites, le Bibendum s’engage aux côtés d’acteurs de l’énergie dans une stratégie « tout durable ». Si de premiers appels du pied sont lancés par Engie dès 2015 pour verdir le procédé de l’industriel, il faut attendre 2020 et la création de la société HyGO pour que ces aspirations se concrétisent.

Dans les faits, il s’agit d’un petit électrolyseur sur site, alimenté par de l’électricité renouvelable fournie par Engie, capable de produire 270 kilos quotidiens d’hydrogène vert. Si Michelin est identifié comme le principal consommateur (avec uniquement 40 à 70 kg d’H2/jour cependant), la molécule est également avitaillée au sein d’une station de distribution ouverte pour le rechargement des quelques véhicules qui roulent à l’hydrogène dans l’agglomération – moins d’une dizaine.


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À l’heure actuelle, le coût de l’hydrogène vert est toujours prohibitif pour des usages diffus (c’est-à-dire, qui émaneraient de particuliers ou de privés qui s’approvisionneraient en H2 de façon non planifiée). En l’absence d’un marché compétitif, la présence d’un industriel historique comme consommateur rassure et garantit un débouché constant. D’autant que le passage de l’H2 gris à l’H2 vert n’a pas modifié le procédé de production de Michelin.

Catalyseur de la station, l’industriel doit donc amortir la faible rentabilité de la distribution, le temps que les usages mobilité se déploient. Après un délai de quelques années, la station HyGO est finalement inaugurée en janvier 2024.

La fermeture de l’usine, coup d’arrêt au projet ?

Moins d’un an plus tard, pourtant, Michelin annonce la fermeture de l’usine. Dans un communiqué de presse, le maire David Robo réagit :

« Ce 5 novembre 2024 […] est une journée noire pour Vannes et un séisme pour le territoire ».

Les raisons invoquées par le PDG Florent Menegaux ? La concurrence chinoise et la hausse de coûts de production du pneumatique en Europe – omettant toutefois de mentionner la rémunération record des actionnaires cette année-là.

Si aucun lien n’est officiellement établi avec le surcoût de l’hydrogène renouvelable consommé depuis peu sur le site, l’annonce est pour le projet HyGO une fâcheuse nouvelle. Les plus optimistes, certes, gagent que la partie mobilité sera amenée à décoller, compensant ainsi la perte commerciale liée à la fermeture de Michelin. Mais à ce stade, les usages mobilité de la station sont extrêmement limités, et ne promettent aucunement un avenir à l’écosystème. Même en couvrant les besoins de l’usine, la consommation d’hydrogène permet au mieux à HyGO d’être sous perfusion, sans rentabiliser les investissements.

Contrairement à Lorient, qui convertit une partie de sa flotte de bus à l’hydrogène renouvelable, l’agglomération de Vannes n’a pas émis le souhait d’utiliser la molécule produite localement pour assurer un débouché stable à la station via ses transports urbains.

Désintérêt de l’État pour la filière ?

Quel avenir pour HyGO ? Certains acteurs souhaiteraient que des aides à la consommation soient promulguées au niveau national pour réduire le prix de l’hydrogène à la pompe.

Mais c’est mal connaître la nouvelle conjoncture étatique de soutien à l’H2. Désormais, finis les appels à projets de l’Ademe qui favorisaient les boucles locales production-usages y compris de mobilité. L’heure est aux économies : la Stratégie nationale hydrogène, actualisée en avril 2025 – ainsi que les futurs appels à projets de l’Ademe – sont moins généreux dans leurs aides aux écosystèmes territoriaux, en particulier les plus petits.

Dans un contexte budgétaire limité, l’accompagnement étatique se resserre sur les usages considérés comme indispensables de l’hydrogène renouvelable, c’est-à-dire la décarbonation de l’industrie, au détriment des usages au lien avec la mobilité, à l’exception de ceux liés à la production de e-carburant pour l’aérien. C’est ironique pour HyGO Vannes, qui perd son atout industriel au moment même où ce dernier est consacré par les pouvoirs publics.

Cette restriction du soutien national à l’hydrogène est concomitante avec un recul critique plus diffus sur les vertus révolutionnaires de cette technologie, symptomatique des trajectoires des processus d’innovation.

Promesses techno-scientifiques et désillusions

Pour l’économiste Pierre Benoît Joly, une des caractéristiques pathologiques de ce qu’il nomme « régime d’économies des promesses techno-scientifiques » serait l’inévitable cycle hype (effet de mode)/hope (espoir)/disappointment (déception), auquel le déploiement de l’hydrogène renouvelable ne semble pas échapper. À l’excitation initiale véhiculée par l’apparition d’une nouvelle technologie succéderait un « creux de désillusion » (où les attentes exagérées se heurtent à la réalité), suivi d’une reprise plus mesurée et restreinte de son développement.

Un membre de l’Ademe Bretagne, avec qui j’ai eu un entretien dans le cadre de mon travail de thèse, a indiqué :

« À dire tout et n’importe quoi sur l’hydrogène, au bout d’un moment, les gens ont perdu espoir. Ils se sont dit non, mais l’hydrogène, c’est nul en fait. Il y a eu ce retour de bâton. Mais l’industrie, ça sera effectivement quelque chose de plus solide, à mon avis, quand ça va partir ».

Mais comment s’en assurer ? À Vannes, c’est précisément l’industriel qui a fait défaut. Projet lancé trop tôt ou surestimation de l’ancrage territorial de Michelin ? Les accompagnateurs de la station côté société d’économie mixte expriment le sentiment d’avoir « essuyé les plâtres » (selon les mots d’un membre de la société d’économie mixte (SEM) Énergies 56) en prenant le risque de se lancer les premiers.

La faute à pas de chance ? Prise isolément, la fermeture de Michelin à Vannes peut paraître anecdotique dans l’économie nationale de l’hydrogène. On l’a vu, l’industriel consommait moins de 70kg/jour d’hydrogène vert. La filière pneumatique battait déjà de l’aile, et la Bretagne, après tout, n’est pas une terre d’industrie.

La pertinence de l’hydrogène pour la décarbonation de l’industrie en France serait davantage à aller chercher du côté de la sidérurgie, de la chimie, ou du raffinage, dans le Nord-Pas-de-Calais, ou en Auvergne-Rhône-Alpes.

Des industries qui ne jouent pas le jeu ?

À s’y pencher de plus près, pourtant, ces filières n’échappent pas non plus aux menaces de fermeture.

Pour la sidérurgie, le géant ArcelorMittal, avec Genvia, investit certes dans un électrolyseur pour utiliser de l’hydrogène bas-carbone à la place du charbon et décarboner sa production d’acier. Mais il ferme en parallèle ses sites de Denain et de Reims, quelques semaines seulement après l’annonce de Michelin, laissant craindre un prochain plan social à Dunkerque.

Pour la chimie et la production d’engrais, la multinationale Yara s’est associée avec Lhyfe en Normandie pour utiliser de l’hydrogène vert dans sa production d’ammoniac. Mais elle ferme son site de Montoir-de-Bretagne en Loire-Atlantique, déficitaire et non conforme aux normes environnementales.

Citons également le groupe LAT Nitrogen, fournisseur européen d’engrais. Il a bénéficié de subventions publiques – le total de l'enveloppe allouée par le gouvernement à plusieurs consommateurs d'hydrogène s'élevait à 4 milliards d’euros – pour réduire les émissions de ses sites via le développement d’électrolyseurs et la production-consommation d’hydrogène vert. Ce qui ne l'a pas empêché de cesser sa production à Grandpuits, bien qu’engagé auprès de l’État à décarboner le site via un contrat de transition écologique.

Dans la vallée de la chimie, en Isère, Vencorex et par effet domino Arkema, deux firmes consommatrices d’hydrogène dans leurs procédés, sont en voie de liquidation.

Les efforts de l’État en matière de réindustrialisation verte se multiplient pourtant : Loi industrie verte en octobre 2023, France Nation Verte en 2022… Mais quelles contraintes pour les entreprises ? À quoi bon décarboner des industries qui ferment ?

« Grand État vert » régulateur et planificateur ?

Inséré dans des marchés internationaux, le groupe Michelin peut se permettre de produire moins cher ailleurs, en Asie en l’occurrence. Est-ce la conséquence d’une décennie de politique de l’offre ? Les règles de la concurrence et du marché semblent peu adaptées aux enjeux de souveraineté industrielle et énergétique.

Dans un contexte de renouveau protectionniste exacerbé outre-Atlantique, la problématique des rapports entre stratégies multinationales et ambitions climatiques nationales mérite une actualisation. Planification, nationalisation… expropriation ?

Ce que l’économiste britannique Daniela Gabor nomme le Wall Street Climate Consensus, modèle d’une transition douce par les marchés, qui confie aux fonds d’investissement et aux entreprises privées le soin de s’écologiser, paraît avoir atteint ses limites : délocalisations à bas coût quand la conjoncture économique se dégrade, persistance d’actifs fossiles et d’activités extractives…

À l’opposé, le modèle du « Grand État vert », régulateur et planificateur, pourrait avoir certaines vertus. Sans nécessairement prôner le « léninisme écologique » d’un Andreas Malm, des formes plus poussées d’interventionnisme public, voire de coercition auprès de firmes, pourraient assurer une pérennité à certaines filières émergentes comme l’hydrogène vert.

15 juillet 2025 : Correction d'une erreur sur le montant des subventions allouées à LAT Nitrogen

The Conversation

Hugo Vosila a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche (ANR) pour son travail de thèse.

10.07.2025 à 10:28

Comment redonner une nouvelle vie aux friches industrielles en ville ?

Loïc Sauvée, Directeur, unité de recherche InTerACT (Beauvais - Rouen), UniLaSalle
Fabiana Fabri, Enseignante-chercheuse, géographie et analyse environnementale, titulaire de la chaire UsinoVerT Usines & Territoires, UniLaSalle
Relocalisation, végétalisation, zéro artificialisation nette… Les villes sont prises dans des injonctions contradictoires. Pour les résoudre, de nouvelles approches émergent, comment à Rouen.
Texte intégral (2345 mots)
Jardin partagé de l’Astéroïde à Rouen. Ouiam Fatiha Boukharta, Fourni par l'auteur

Dans les villes post-industrielles comme Rouen, la cohabitation historique entre ville et industrie est à réinventer. Il s’agit de concilier les enjeux de la relocalisation industrielle, les nouvelles attentes de la société et les exigences de la transition écologique, notamment en termes de végétalisation urbaine.


Les villes contemporaines font face à de nouveaux enjeux, en apparence contradictoires. Il y a d’abord la nécessité de relocaliser la production industrielle près des centres urbains, mais aussi l’importance de reconstruire des espaces verts pour améliorer le bien-être des habitants et maintenir la biodiversité. Enfin, il faut désormais rationaliser le foncier dans l’optique de l’objectif « zéro artificialisation nette ».

Des injonctions paradoxales d’autant plus exacerbées dans le contexte des villes industrielles et post-industrielles, où se pose la question de la place de l’usine dans la ville.

C’est pour explorer ces défis que nous avons mené des recherches interdisciplinaires à l’échelle d’une agglomération concernée par ces défis, Rouen. Nos résultats mettent en avant la notion de « requalification territoriale » et soulignent la condition fondamentale de son succès : que le territoire urbain soit étudié de manière globale, en tenant compte de ses caractéristiques géohistoriques et environnementales. Celles-ci doivent être évaluées, à différentes échelles, à l’aune de différents indicateurs de soutenabilité.

Les villes post-industrielles, un contexte particulier

La notion de villes post-industrielles désigne des territoires urbains qui ont connu un fort mouvement de reconversion industrielle, ce qui a transformé l’allocation foncière. Ces territoires industriels en milieu urbain se trouvent par conséquent face à des enjeux complexes, mais présentent aussi un potentiel en matière de durabilité du fait de quatre caractéristiques :

  • ils sont dotés de nombreuses friches disponibles, mais qui peuvent être polluées ;

  • de nouvelles industries y émergent, mais ont des besoins fonciers de nature différente ;

  • la densité urbaine y est forte, avec une imbrication des espaces industriels et des zones d’habitation ;

  • les populations se montrent défiantes, voire opposées aux activités industrielles, tout en ayant des demandes sociétales fortes, comme la création de zones récréatives (espaces verts) ou d’atténuation des chocs climatiques (lutte contre les îlots de chaleur) ;

Ce contexte spécifique a plusieurs implications pour ces territoires, qui ont chacun leur particularité. En raison de la densité d’occupation des villes européennes et de la concurrence pour le foncier, on ne peut laisser les friches – issues en grande partie de la désindustrialisation – occuper de précieux espaces.


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La requalification de ces lieux doit donc être mise au service de la lutte contre l’étalement urbain. Cela permet de redensifier les activités et de reconstruire la « ville sur la ville ». Mais aussi « l’usine dans la ville », car se pose en parallèle la nécessité de relocaliser notre industrie pour accroître notre souveraineté et réduire notre dépendance externe.

Or, celle-ci doit tenir compte des enjeux d’une transition durable. Ce nouveau développement industriel et territorial, pour être plus vertueux que dans le passé, doit être envisagé dans une perspective de transition durable. Il lui faut aussi intégrer les attentes diverses de la population urbaine (bien-être, environnement sain, emploi et refus des nuisances).

Les acteurs de l’aménagement du territoire, qui se heurtent souvent à la suspicion des habitants vis-à-vis des industriels et des institutions gouvernementales, doivent donc veiller à maintenir équilibrée cette cohabitation historique entre ville et industrie.

Rouen et son héritage industriel

Pionnière de la révolution industrielle au XIXᵉ siècle, l’agglomération de Rouen fait partie des villes traversées par ces enjeux.

Elle se distingue par ses plus de 400 friches urbaines. Historiquement implantées à proximité de l’ancienne ville (actuel centre), elles ont été rattrapées par l’expansion urbaine et se trouvent aujourd’hui encastrées dans les territoires habités, près du cœur de l’agglomération.

En nous appuyant sur cet exemple, nous avons identifié trois conditions fondamentales pour requalifier de façon durable ces espaces industriels urbains et y déployer des infrastructures vertes adaptées :

  • les initiatives doivent tenir compte des spécificités géohistoriques des territoires,

  • envisager diverses échelles d’analyse,

  • et être conçues à l’aune d’indicateurs de durabilité qui intègrent la diversité des acteurs impliqués.

Le potentiel des friches urbaines

La recherche, menée à Rouen, est fondée sur des outils de système d’information géographique (SIG), des outils d’analyse fondée sur plusieurs critères et enfin des outils de modélisation. Elle propose un dispositif pour guider les décideurs de l’aménagement du territoire et les chercheurs dans l’identification et la priorisation des friches susceptibles d’être transformées en infrastructures vertes.

Le modèle propose une approche systématique de prise de décision pour éviter une répartition aléatoire. Il couple les caractéristiques locales des friches urbaines et les demandes environnementales au niveau territorial, par exemple lorsqu’une ancienne zone industrielle se trouve valorisée par un projet d’agriculture urbaine. Cette étape initiale aide à créer différents scénarios de projets de requalification des friches.

Par la suite, il s’agit d’identifier les parties prenantes, les porteurs de projets d’agriculture urbaine et les associations de quartiers afin de les engager dans le processus de décision. Pour cela, l’utilisation des méthodes participatives est essentielle pour répondre à la demande d’information des riverains et faciliter la participation des acteurs territoriaux.

Par exemple, le projet « Le Champ des possibles » a permis d’impliquer les habitants de la zone via une association dans une démarche combinant aspects éducatifs (jardinage) et visites récréatives. L’investissement local a été facilité par un appel d’offres de la ville, de manière à créer une gouvernance partagée.

Des projets d’agriculture urbaine

Forts de ces constats, nous avons pu dans le cas de notre recherche à Rouen, passer au crible d’indicateurs de durabilité un ensemble de projets d’agriculture urbaine implantés depuis les années 2013 à 2018. L’objectif était d’identifier dans quelles conditions ils pourraient s’inscrire dans de la requalification de friches industrielles et participer à une transition durable.

Nous en avons conclu que deux grandes exigences étaient à remplir : d’un côté, s’appuyer sur des indicateurs de soutenabilité (économique, sociale et environnementale), de l’autre garantir que la gouvernance des projets se fasse en lien avec les différents acteurs territoriaux du milieu urbain.

Ouiam Fatiha Boukharta, CC BY-NC-SA

En l’occurrence, de telles opérations de requalification via l’agriculture urbaine de territoires industriels en déshérence ou sous-utilisés ont généré des bénéfices en matière d’éducation à l’environnement et à l’alimentation, d’intégration des populations et de réduction des fractures territoriales. Cela permet également de développer la biodiversité des espaces renaturés.

Des liens à réinventer entre ville et industrie

Les territoires industriels, passés (sous forme de friches) ou présents ont incontestablement leur place dans la ville de demain. Mais celle-ci doit prendre en compte de manière plus contextuelle les enjeux locaux actuels.

L’exemple de Rouen révèle que les liens entre la ville et ses territoires industriels doivent sans cesse se réinventer, mais que la situation contemporaine place les exigences de durabilité au premier plan.

Les opérations de qualification des territoires urbains supposent une planification stratégique et minutieuse. Elle doit s’appuyer sur des processus de décision plus clairs et plus justes qui requièrent, outre les aspects techniques et réglementaires, une logique « bottom up », plus ascendante.

Les démarches de qualification durable des territoires industriels existent et sont suffisamment génériques pour être répliquées dans d’autres milieux urbains. La multiplication d’expériences de ce type en France et dans le monde démontre leur potentiel.

The Conversation

Ce travail est réalisé dans le cadre d’une chaire d’enseignement et de recherche développée depuis 2021 en collaboration entre l’institut Polytechnique UniLaSalle Rouen et le groupe Lubrizol. Site internet de la Chaire : https://chaire-usinovert-unilasalle.fr/

Fabiana Fabri ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

10.07.2025 à 10:27

Le quiz Environnement de l’été

Service Environnement, The Conversation France
Le quiz Environnement de la semaine du 21 juillet 2025.
Texte intégral (580 mots)
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