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25.08.2025 à 17:31
Qui était Berta Cáceres, assassinée en 2016 pour avoir défendu une rivière sacrée au Honduras ?
Texte intégral (2277 mots)

Cet été, The Conversation France vous emmène à la rencontre de personnalités pionnières mais méconnues de mouvements pour la protection de l’environnement. Aujourd’hui, il s’agit de Berta Cáceres, militante écologiste qui a défendu les droits des peuples autochtones et qui a été froidement assassinée, en 2016, au Honduras.
En 2023, 196 défenseurs de l’environnement ont été tués à travers le monde. Ces chiffres terrifiants, publiés en septembre 2024 par l’ONG Global Witness, témoignent d’une réalité alarmante : s’engager pour la planète peut coûter la vie. Et dans ce combat, l’Amérique latine reste l’une des régions les plus dangereuses. Depuis 2012, plus de 2 100 militants sont morts, soit un meurtre tous les deux jours.
Parmi les pays les plus touchés : la Colombie, le Brésil, le Mexique, les Philippines… et le Honduras. Dans ce petit pays d’Amérique centrale, 18 défenseurs de l’environnement ont perdu la vie en 2023. La majorité des victimes sont issues des peuples autochtones, qui représentent à peine 5 % de la population mondiale, mais qui concentrent plus d’un tiers des agressions recensées.
Le destin de Berta Cáceres, militante hondurienne assassinée en 2016, en représente un exemple tragique. Ce texte retrace le portrait de cette figure hors norme dont l’écho résonne encore aujourd’hui.
Engagée pour les peuples autochtones
Figure emblématique de la défense des droits autochtones et de l’environnement, Berta Cáceres est devenue le symbole d’une lutte universelle contre la corruption environnementale.

Née le 4 mars 1971 à La Esperanza, elle a grandi au sein d’une famille engagée. Sa mère, Austra Bertha Flores, est sage-femme et militante féministe. Son père, Ricardo Cáceres, appartient au peuple indigène lenca.
Très tôt, Berta a été sensibilisée aux inégalités sociales, à la pauvreté et à l’injustice. En 1993, elle a cofondé le Consejo Cívico de Organizaciones Populares e Indígenas de Honduras (COPINH), une organisation dédiée à la défense des droits des peuples autochtones. Avec le COPINH, elle s’est engagée contre l’exploitation des ressources naturelles et contre le fait que les projets industriels soient imposés aux communautés sans leur consentement.
Le « Nobel vert » pour sa mobilisation contre un projet de barrage
Au début des années 2000, le gouvernement hondurien a attribué des concessions à des entreprises privées pour construire des barrages hydroélectriques sur des territoires indigènes. Parmi ces derniers, le projet Agua Zarca, porté par la société Desarrollos Energéticos S.A. (DESA), prévoyait de barrer le fleuve Gualcarque, une rivière sacrée pour les Lenca. Un projet qui menaçait leur existence même : le peuple Lenca dépend de cette rivière pour son eau, sa culture, sa spiritualité et sa survie.
Berta Cáceres a alors organisé la résistance. Manifestations, blocages, campagnes internationales… Pendant des années, elle a dénoncé la collusion entre l’entreprise DESA, les responsables politiques et les forces de sécurité. Bien que pacifique, son action dérangeait. Très vite, elle est devenue la cible de harcèlements, de menaces de mort, et de tentatives d’intimidation. Le gouvernement hondurien, au lieu de la protéger, a préféré l’accuser d’incitation à la violence.
En 2015, Berta Cáceres a reçu le prestigieux prix Goldman pour l’environnement. Ce prix, surnommé le « Nobel vert », récompense les plus grands défenseurs de la nature à travers le monde. Il est venu saluer son combat acharné pour les droits des peuples autochtones et la protection des territoires sacrés. Le monde entier a alors découvert le courage de cette guerrière, porte-voix des rivières et des forêts du Honduras.
Un meurtre qui a provoqué une onde de choc mondiale
Mais cette reconnaissance internationale n’aura pas suffi à la protéger. Dans la nuit du 2 au 3 mars 2016, des tueurs à gages sont entrés chez elle et l’ont froidement abattue. Elle avait 44 ans et était mère de quatre enfants. Elle a été assassinée pour avoir défendu une rivière sacrée.
Son meurtre, parfaitement ciblé et planifié, a provoqué une onde de choc mondiale. Les Nations unies, Amnesty International, les gouvernements étrangers, les ONG environnementales : tous réclament une enquête impartiale. Michel Forst, ancien rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits humains, a exhorté le Honduras à garantir une enquête complète sur le meurtre de Berta.
Mais dans ce pays, l’impunité reste la norme. Plus de huit ans après son assassinat, la justice hondurienne peine toujours à poursuivre tous les responsables impliqués dans le crime. Pour l’heure, les quatre tueurs à gages, un major de l’armée, plusieurs responsables de DESA – dont son ancien chef de la sécurité et Roberto David Castillo Mejía, son ancien président – ont été condamnés.
Roberto David Castillo Mejía, en particulier, a été condamné en 2022 par la Cour suprême de justice du Honduras à 22 ans de prison comme coauteur de l’assassinat de Berta. En novembre 2024, il a écopé de cinq années supplémentaires pour fraude et usage de faux documents dans l’affaire de Gualcarque.
Cette condamnation repose en grande partie sur les preuves méticuleusement collectées par Berta elle-même au prix de sa vie. À l’époque, Castillo siégeait également à la direction de l’entreprise nationale d’électricité (ENEE), une position qui lui aurait permis de manipuler l’attribution des contrats publics en faveur de DESA.
Ce cas illustre parfaitement la collusion toxique entre entreprises privées, institutions publiques et réseaux de pouvoir. Si ces condamnations représentent une avancée partielle, elles ne sauraient masquer l’absence de poursuites contre les véritables architectes de ce système de prédation. Roberto David Castillo ne serait que le maillon d’une structure criminelle plus large : la liste des personnes condamnées n’intègre pas toutes les personnes qui ont planifié et ordonné l’assassinat de l’activiste.
Face au refus du gouvernement hondurien d’accepter des investigations d’enquêteurs étrangers, un groupe d’experts indépendant a, en 2017, mis en cause les autorités du Honduras.
Dans ce contexte, le refus du Honduras de ratifier l’accord d’Escazú, qui concerne les droits d’accès à l’information sur l’environnement, la participation du public à la prise de décision environnementale, la justice environnementale et un environnement sain et durable pour les générations actuelles et futures en Amérique latine et dans les Caraïbes, apparaît comme une forme de déni institutionnel.
Signé par 24 pays en septembre 2018 au Costa Rica et entré en vigueur en avril 2021, ce traité régional, pionnier sur l’environnement et les droits humains, engage les États à garantir l’accès à l’information environnementale, à renforcer la participation citoyenne aux décisions écologiques, et surtout à protéger les défenseurs de l’environnement.
Le Honduras, qui reste l’un des pays les plus meurtriers au monde pour les défenseurs de l’environnement, ne l’a toujours pas ratifié, alors même que la société civile et les ONG internationales réclament son adoption urgente. À ce jour, seuls 18 pays d’Amérique latine et des Caraïbes l’ont ratifié.
L’héritage laissé par Berta Cáceres
L’histoire de Berta Cáceres dépasse les frontières du Honduras et appelle à ce que justice soit faite. Non seulement pour elle, mais pour toutes celles et ceux qui, aujourd’hui encore, risquent leur vie pour défendre la Terre. Ce drame révèle les mécanismes d’un système global où la défense du vivant entre en conflit avec des intérêts économiques puissants. Dans ce système, ce sont souvent les plus vulnérables – peuples autochtones, femmes, paysans – qui paient le prix fort.
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Le COPINH poursuit aujourd’hui l’œuvre de Berta Cáceres, mené en partie par sa fille Laura Zúñiga Cáceres. À La Esperanza, des fresques murales, des cérémonies et des chants perpétuent la mémoire de celle qu’on appelle désormais la gardienne des rivières.
Berta Cáceres est ainsi devenue une figure universelle de la résistance : une femme qui a su unir écologie, justice sociale et lutte pour les droits des peuples dans un même souffle. De nombreuses organisations de défense des droits humains et de
l’environnement à travers le monde évoquent régulièrement son nom pour dénoncer les violences systémiques. Dans un monde confronté à la crise climatique, à l’effondrement de la biodiversité et aux dérives autoritaires, sa mémoire rappelle que défendre l’environnement, ce n’est pas seulement protéger la nature, c’est aussi défendre les droits humains.
Berta Cáceres a ouvert un chemin pour la nouvelle génération de défenseurs de l’environnement : défendre la planète, c’est aussi défendre la vie, la dignité et la démocratie.
Ainsi Berta Cáceres disait-elle :
« Notre Terre-mère, militarisée, clôturée, empoisonnée, témoin de la violation systématique des droits fondamentaux, nous impose d’agir. »
Aujourd’hui, face à l’urgence écologique et climatique, aux atteintes aux droits humains et aux menaces croissantes contre les libertés, ces mots ne sont plus un simple avertissement. Ce sont des impératifs moraux. Agir n’est plus une option : c’est un devoir.

Shérazade Zaiter est membre d'Avocats sans Frontières et du Centre International de Droit Comparé de l'Environnement.