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04.09.2025 à 17:06

Horaires flexibles : une fausse solution aux embouteillages du matin ?

Emmanuel Munch, Urbaniste et Sociologue du temps, Université Gustave Eiffel
Laurent Proulhac, Géographe, Laboratoire Ville Mobilité Transport, Université Gustave Eiffel
Une étude menée à Paris et à San Francisco dément l’efficacité de la flexibilité des horaires pour contrer la congestion automobile en ville aux heures de pointe.
Texte intégral (2695 mots)

La flexibilité des horaires de travail est souvent présentée comme un remède à la congestion urbaine – et à la pollution qui en découle. Une étude comparative menée entre Paris et San Francisco suggère pourtant que cette promesse est largement surestimée. Et si on repensait la place du temps dans nos sociétés et que l’on mettait en place une véritable « écologie temporelle » ?


Chaque jour, des millions de personnes convergent vers leur lieu de travail en même temps. Cette concentration matinale provoque un phénomène bien connu dans les transports, l’heure de pointe qui, en ce qui concerne la voiture, fait bondir les émissions de gaz à effet de serre – en France, 30 % d’entre elles sont causées par les transports. La pollution de l’air qui en découle a également de graves effets sanitaires : selon Santé publique France, 48 000 décès par an sont attribuables aux particules fines.

Pour résoudre ce problème, une solution de bon sens semble s’imposer : offrir aux salariés davantage de flexibilité dans leurs horaires de travail. Si les salariés n’étaient plus tous contraints d’arriver au bureau à 9 heures, les flux seraient plus étalés, les transports moins saturés, la ville plus fluide. Parmi les pouvoirs publics et les entreprises privées, cette idée fait consensus depuis plus de cinquante ans.

Mais les salariés disposant d’une plus grande autonomie dans le choix de leurs horaires de travail évitent-ils réellement l’heure de pointe ? C’est la question que nous nous sommes posée dans une étude récente. Nous avons analysé deux territoires qui concentrent une part importante de travailleurs aux horaires flexibles : la région parisienne (29 % en horaires flexibles) et la région de San Francisco (59 %).

Horaires flexibles, libres ou modulables

Avant d’en venir aux origines des horaires flexibles, définissons d’abord ce dont on parle. Deux niveaux de définition peuvent être proposés. Les horaires de travail flexibles sont définis par opposition aux horaires officiellement fixés par l’employeur, mais ils peuvent se concevoir selon deux degrés de liberté différents : les horaires libres et les horaires modulables.

Dans la première situation, les horaires libres, le travailleur indépendant ou le salarié autonome agence comme bon lui semble ses horaires de travail au cours de journées et/ou de semaines. Dans le cas des salariés, on parlera, en France, de temps de travail annualisé, ou encore de contrats de travail au forfait, qui doivent néanmoins respecter les durées légales de travail à l’échelle de l’année (trente-cinq heures par semaine, soit 1 607 heures par an) et de repos hebdomadaire.

Deuxième situation, avec un niveau de liberté moindre, les horaires modulables qui se réfèrent, pour leur part, à la possibilité pour le salarié d’arriver et de partir du travail quand il le souhaite, en respectant cependant des heures plancher et plafond, fixées par l’employeur.

Le principe des journées à horaires de travail modulables. Auteurs, Fourni par l'auteur

Par exemple, les salariés peuvent arriver quand ils le souhaitent entre 7 heures et 10 heures, faire leur pause déjeuner à n’importe quel moment entre 12 heures et 14 heures, et quitter le travail entre 16 heures et 19 heures. Leur seule obligation est de respecter la durée légale de travail quotidienne ou hebdomadaire et être présents durant certaines plages fixes de la journée – dans notre exemple, 10 heures-12 heures et 14 heures-16 heures.

Une organisation largement adoptée

Au moment de leur apparition dans des usines aéronautiques en Allemagne, dans les années 1960, ces horaires de travail modulables furent d’abord pensés comme une politique managériale permettant aux salariés de se rendre au travail en dehors des périodes de pointe.

Cette conception s’est par la suite diffusée en Allemagne et a, petit à petit, été intégrée dans les politiques publiques de gestion de la demande de transport au cours des années 1970 et 1980 aux États-Unis et en Europe.

Une du Parisien, 28 mars 2013. Le Parisien, Fourni par l'auteur

Aujourd’hui, la flexibilisation des horaires de travail est toujours considérée comme un outil efficace de l’arsenal des politiques de gestion de la demande de transport en heure de pointe. En témoigne une initiative de SNCF Transilien en 2014, en partenariat avec huit entreprises à la Plaine Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Plus récemment, depuis 2019, des opérations de « lissage des pointes » et de flexibilisation des horaires se multiplient, portées par la Région Île-de-France.

Des résultats contre-intuitifs en apparence

Pourtant, notre étude comparative menée à Paris et San Francisco sur les effets des horaires flexibles questionnent leur pertinence.

Nos travaux montrent qu’à Paris, les personnes ayant des horaires flexibles sont plus susceptibles d’arriver pendant la période de pointe (entre 8 heures et 9h30) que celles qui n’en disposent pas. À San  Francisco, nous constatons que la flexibilité horaire n’a pas d’effet significatif sur l’heure d’arrivée au travail.

Autrement dit, la flexibilité n’a pas l’effet attendu dans la réduction des congestions, voire renforce, paradoxalement, la concentration des flux. Nous avons également observé cet effet contre-intuitif dans d’autres régions de France (Bretagne, Hauts-de-France), ainsi qu’en Suisse.

Plusieurs facteurs, selon nous, peuvent expliquer ce paradoxe.

D’un côté, la flexibilité est souvent partielle et asymétrique. Disposer d’une autonomie sur ses horaires ne signifie pas pour autant être libre de son temps. Il s’agit, pour ces salariés, de composer avec les horaires des collègues ou de leurs supérieurs, avec les réunions programmées à des heures fixes et les horaires des crèches ou des écoles. La marge de manœuvre affichée sur le papier est contrainte dans les faits.

De l’autre, ne sous-estimons pas le poids des normes sociales : dans beaucoup d’organisations, arriver tôt reste un signe de sérieux et d’implication.

À l’inverse, décaler ses horaires peut être mal perçu, même si cela ne nuit pas à la productivité. Ces représentations sociales influencent fortement les choix horaires, même chez ceux qui pourraient s’autoriser des horaires décalés.

Privilège ou précarité du travail flexible

Nos résultats révèlent qu’une distinction claire doit être établie entre les travailleurs flexibles à hauts revenus et ceux à bas revenus. C’est surtout lorsque la flexibilité est subie qu’elle peut contribuer à lisser les horaires de pointe.

En effet, ceux qui ont de hauts revenus et qui peuvent choisir leurs horaires comme ils le souhaitent (médecins, avocats, cadres en horaires flexibles…) sont plus susceptibles de se déplacer en même temps que tout le monde, à l’heure de pointe.

Chez ceux qui, en revanche, disposent d’une liberté d’organiser leurs horaires de travail tout en percevant de faibles revenus, la flexibilité tient davantage à la nature même de leur travail (aide à domicile et ménage, garde d’enfants périscolaire, restauration, culture et événementiel…), qui les contraint à exercer au cours de tranches horaires atypiques.

Enfin, le contexte urbain et territorial joue également. Les exemples de Paris et de San Francisco montrent que les effets de la flexibilité dépendent du contexte local. À San Francisco, au moment de l’enquête (2017), la dispersion géographique des lieux de travail et une culture du travail plus numérique (télétravail plus répandu, pratiques asynchrones) pouvaient limiter l’impact direct de la flexibilité sur l’heure d’arrivée.

À Paris, au contraire, la centralisation des fonctions tertiaires et l’inertie des rythmes sociaux (prise de repas notamment) renforcent la synchronisation.

« Le Mag », magazine interne de la SNCF, décembre 2014., Fourni par l'auteur

Désamorcer le mythe de l’autonomie

Ces résultats invitent à repenser une croyance bien ancrée dans les politiques de mobilité, selon laquelle l’étalement des horaires serait une réponse simple et immédiate à la congestion des transports.

Si la flexibilité peut apporter du confort dans la conciliation des vies personnelle et professionnelle, améliorer la qualité de vie au travail et réduire les tensions du quotidien, elle ne suffit pas à transformer les rythmes collectifs. Elle agit au niveau individuel, alors que la congestion est un phénomène structurel, social et fortement normé.

L’illusion d’une solution purement comportementale (laisser les gens « choisir » leurs horaires) occulte les inégalités temporelles, les contraintes de coordination et les « cultures du temps ».

Vers une véritable écologie temporelle ?

Pour alléger les heures de pointe, il ne suffit pas de miser sur les outils : il faut repenser le partage du temps dans nos sociétés. Redéfinir nos rythmes de travail, nos normes sociales, et notre organisation collective du temps à travers une approche que nous appelons « écologie temporelle ».

Elle suppose de reconnaître le temps comme un bien commun soumis à des arbitrages collectifs, de réduire les injonctions à la synchronisation – pourquoi toutes les réunions commencent-elles à 9 heures ? –, de valoriser les marges de désynchronisation, notamment via les politiques publiques et les campagnes de communication, et enfin d’intégrer la question des rythmes dans l’aménagement du territoire et l’urbanisme.

C’est déjà le cas, notamment, avec les politiques temporelles dites de « bureaux des temps », imaginés par l’association Tempo territorial, qui réfléchit, avec différents acteurs, aux mesures à prendre au sein des organisations pour promouvoir une meilleure conciliation des temps de vie.

The Conversation

Emmanuel Munch est Vice-Président de l'association Tempo Territorial et membre de la Déroute des Routes. Il perçoit des financements d'organismes publics tels que : le Ministère de la Transition Ecologique, l'ADEME, l'ANRT, la SNCF.

Laurent Proulhac ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

04.09.2025 à 11:31

Maisons, routes, rail, pistes cyclables… comment lutter contre les risques de retrait-gonflement argileux ?

Lamine Ighil Ameur, Chercheur en mécanique des sols, Cerema
De nouvelles techniques en cours de développement se montrent prometteuses pour limiter l’impact du retrait-gonflement argileux (RGA) sur les routes, les maisons et les chemins de fer.
Texte intégral (4554 mots)
Les routes départementales et les voies cyclables sont particulièrement exposées au risque de retrait-gonflement argileux. DIR Est 2020, Fourni par l'auteur

C’est en raison du phénomène de retrait-gonflement des argiles que les sécheresses causent des dégâts tant sur les routes – y compris les pistes cyclables – que sur les maisons et les réseaux ferrés. De nouvelles techniques en cours de développement se montrent prometteuses pour limiter l’impact du phénomène.


Alors que le risque de retrait-gonflement des sols argileux (RGA) lié aux sécheresses a explosé depuis 2015 sous l’effet du changement climatique, se pose la question des outils permettant de lutter contre le phénomène.

Historiquement, ce sont les maisons individuelles – et de façon générale, les bâtiments de plain-pied ou à un étage – ainsi que les routes qui sont le plus souvent concernées par les conséquences du RGA, quand elles sont construites sur des sols argileux, du fait de leurs fondations superficielles. Les pistes cyclables sont également particulièrement vulnérables.

Dans certains cas particuliers, des routes nationales et même des autoroutes peuvent être concernées, de même que les voies ferrées, les digues et les réseaux enterrés (gaz, eau, etc.).

Quelles sont les techniques utilisées et les nouvelles solutions en cours de développement pour faire face à l’aggravation des risques provoquée par le changement climatique ? Panorama.


À lire aussi : Retrait-gonflement des sols argileux : une explosion des risques depuis 2015


Comment le RGA crée des fissures

Les maisons individuelles et les routes sont parmi les ouvrages les plus vulnérables au RGA quand elles sont construites sur des sols argileux. Leurs fondations peu profondes les rendent sensibles aux variations de teneur en eau du sol sous l’effet des cycles de sécheresses et de précipitations.

En effet, le sol argileux se rétracte durant la sécheresse et gonfle pendant les périodes de précipitations ce qui engendre des déformations volumiques pouvant endommager l’ouvrage et mener à un sinistre.

Le schéma ci-dessous illustre les ondes de dessiccation (lignes rouges) et les déformations de gonflement (flèches bleues) sous une maison et une route, ainsi que les conséquences sur le bâti en termes de mouvements de structure (flèches rouges).

Conséquences du RGA et impacts de l’environnement proche : (a), (b) et (c) sur une route, (d), (e) sur une maison et sur le cycle de l’eau (f). Reiffsteck, 1999 et Béchade, 2014, Fourni par l'auteur

Un environnement défavorable, caractérisé par de la végétation et une mauvaise gestion des eaux, peut à la fois être à l’origine et aggraver les dommages sur ce type de structures.

En effet, l’action racinaire de certaines essences de végétaux accentue la dessiccation (suppression naturelle ou artificielle de l’humidité) du sol et l’arrivée d’eau indésirable a tendance à fragiliser le sol, ce qui peut induire des fissures et des dégâts.

Crêtes de la digue et de la pente, côté crue, fissurées (Doba, Hongrie). Illés et Antal, 2022, Fourni par l'auteur

Les ouvrages en terre, digues et barrages, sont eux aussi également particulièrement exposés au RGA et à ses conséquences en termes de dommages. C’est problématique dans la mesure où les digues sont la première ligne de défense contre les inondations. La formation de réseaux de fissures de dessiccation durant la sécheresse dégrade les propriétés du sol et compromet l’intégrité des structures.

L’augmentation soudaine des précipitations peut alors entraîner la rupture des structures en terre. Ce problème s’amplifie lorsque l’on considère la sécheresse des sols expansifs, et notamment argileux. En effet, de nombreuses pentes, à l’état desséché, cèdent lorsqu’elles sont soumises à des précipitations intenses. Ceci en raison d’une diminution de la succion matricielle de l’eau contenue dans le sous-sol et d’une augmentation de la pression de l’eau interstitielle.

Ainsi, toute condition de sécheresse suivie de précipitations intenses peut causer de graves dommages aux structures en terre. Celles-ci devraient être négativement affectées par le changement climatique.

Les réseaux enterrés proches de la surface peuvent également être sujets aux déformations du sol dues au RGA et subir des fissures, voire une rupture de canalisation.

Cela peut favoriser les fuites, qui constituent à la fois un gaspillage des ressources associé à des pertes financières, un danger pour les personnes (en particulier pour les canalisations de gaz) et parfois une accentuation du RGA, en favorisant une arrivée d’eau indésirable (cas des fuites d’eau près des fondations).

De plus en plus de routes concernées

Jusqu’ici les routes concernées étaient pour la plupart des routes départementales, mais certaines configurations défavorables peuvent également concerner les routes nationales et les autoroutes. Par ailleurs, les pistes cyclables, dont la structure est comparable à celle d’une route encore plus légères, sont également vulnérables.

Fissures dues au RGA sur l’autoroute A31 entre Nancy et Metz (Grand-Est). DIR Est 2022, Fourni par l'auteur

Par exemple, dans la région du Grand Est, la route nationale RN4 est moyennement exposée au RGA. Elle présente des fissures caractéristiques proches des bords. L’autoroute A31 est, elle-aussi, fortement exposée au RGA avec d’importantes fissures longitudinales de l’ordre de plusieurs centimètres, accompagnées de tassement différentiel (c’est-à-dire, un enfoncement du sol non uniforme).

La configuration de cette autoroute avec un terre-plein central de quelques mètres séparant les deux sens de circulation et constitué de terrain naturel végétalisé favorise l’exposition à l’évapotranspiration et la propagation de la dessiccation du sol en période de sécheresse.

Cela revient à considérer l’A31 comme étant deux routes départementales parallèles, avec deux accotements bordés de zones boisées et/ou végétalisées. Par conséquent, les autoroutes présentant cette configuration et construites sur des sols exposés au RGA seront davantage vulnérables face au changement climatique.

L’impact du RGA sur les routes est complexe à identifier vu la diversité des sollicitations auxquelles elles sont exposées (trafic, gel-dégel, circulation des eaux, RGA, etc.). Au Cerema, nous avons accompagné le Conseil départemental d’Indre-et-Loire, en 2019, dans une mission de diagnostic RGA de plusieurs tronçons de routes départementales afin de mieux cibler les actions d’entretien, de prévention et de remédiation, et d’optimiser leur financement. La méthode de diagnostic développée devrait être généralisée par les gestionnaires des routes départementales afin d’avoir une cartographie à l’échelle nationale et estimer le coût du RGA sur les routes.

Les vulnérabilités du réseau ferré national

Le réseau ferré national fait, lui aussi, l’objet de préoccupations quant aux impacts du RGA pour les voies construites sur des sols sensibles aux variations hydriques. Suite à la sécheresse 2022, il y a eu une apparition récurrente de défauts de géométrie sur plusieurs voies. L’ampleur des défauts enregistrés a été telle que des opérations de maintenance ont dû être organisées en urgence.

La ligne ferroviaire Brive (Corrèze)-Toulouse (Haute-Garonne), ici près de Donnazac (Tarn), est particulièrement exposée au RGA. L. Ighil Ameur/Cerema 2024, Fourni par l'auteur

Le RGA contraint également le gestionnaire du réseau ferré à mettre en place des limitations temporaires de la vitesse. Celles-ci affectent la circulation des trains avec des retards potentiels pour les usagers et des pertes économiques pour le gestionnaire.

L’exposition des voies ferrées au RGA dans leur environnement proche est actuellement très peu étudiée. L’une des premières étapes à mettre en place serait de dresser un état des lieux, à l’échelle du réseau national, sur les niveaux d’exposition et les secteurs concernés.

Instrumentation in situ d’une voie ferrée exposée au RGA à Donnazac (Tarn) par l’équipe Cerema. L. Ighil Ameur/Cerema 2024, Fourni par l'auteur

En juin 2024, nous avons accompagné SNCF Réseau dans une expérimentation inédite qui consiste à conforter une portion d’une voie ferrée exposée au RGA à Donnazac (Tarn), près d’Albi.

Pour cela, deux planches d’essais ont été spécialement conçues pour une expérimentation qui doit durer 4 ans :

  • une planche de 80 mètres stabilisée par injection de RemediaClay, une solution que nous avons déjà testée sur une route départementale depuis 2021 en partenariat avec le Département du Loiret,

  • et une planche témoin (non confortée) de 80 mètres, toutes les deux instrumentées par des capteurs de teneur en eau du sol et une station météo.

L’enjeu est à la fois de tester l’efficacité et la durabilité de RemediaClay, et de caractériser l’évolution de la dessiccation du sol sous une voie ferrée en situation de sécheresse. Les résultats de cette étude permettront de mieux adapter les solutions pour le ferroviaire face au RGA.

Les solutions les plus prometteuses en développement

La littérature scientifique et technique présente plusieurs techniques de réparation courantes. Parmi les techniques fréquemment utilisées pour faire face au RGA sur le bâti : l’agrafage des fissures, l’injection de résine expansive dans le sol de fondation et la reprise en sous-œuvre (RSO) pour transférer les charges de la structure sur des micropieux.

Celles-ci sont souvent inadaptées au contexte du changement climatique et engendrent une sinistralité de deuxième, troisième voire quatrième génération. Il est important d’adopter une nouvelle approche dans le développement des solutions de prévention et d’adaptation vis-à-vis du RGA.

Il est indispensable aujourd’hui d’éprouver ces solutions en tenant compte des effets du changement climatique. Cela concerne par exemple les mesures en lien avec la gestion de l’eau et de la végétation dans la parcelle. Le projet Initiative Sécheresse, lancé en 2024 par France Assureurs, CCR et la Mission Risques Naturels, doit permettre de répondre à ces questions.

La recherche est utile pour identifier et évaluer de nouvelles solutions de prévention et d’adaptation des maisons et des routes face au changement climatique. Au Cerema, notre équipe de recherche dédiée au RGA teste et développe de nouvelles solutions d’adaptation au changement climatique depuis 2015.

Première maison test équipée du procédé Mach dans la Vienne (projet Mach Series. L. Ighil Ameur/Cerema 2024, Fourni par l'auteur

C’est le cas du procédé innovant Mach (Maison confortée par humidification), dont le principe consiste à réhydrater le sol argileux pendant les périodes de sécheresse pour stabiliser son état hydrique. Aujourd’hui, nous avons une démarche scientifique, en partenariat avec le groupe Covéa, pour vérifier la reproductibilité du procédé et l’acquisition des données météorologiques et de teneur en eau du sol. Nous avons déjà équipé une première maison test dans la Vienne et plusieurs dizaines d’autres en France métropolitaine devraient l’être également d’ici 2026.

Expérimentation de l’étanchéification des accotements (a) par enduit de surface et (b) par géomembranne. L. Ighil Ameur/Cerema 2019, Fourni par l'auteur

Pour les routes, en partenariat avec les départementaux de la Région Centre-Val de Loire, nous expérimentons depuis 2017 de nouvelles solutions d’adaptation face au RGA. Ce partenariat inédit, l’Observatoire des routes sinistrées par la sécheresse (Orss), a fait l’objet de restitution partielle lors d’une première journée technique nationale dédiée à l’impact des sécheresses sur les routes exposées au RGA et les solutions d’adaptation en novembre 2023. Cet Observatoire doit évoluer courant 2025 vers un Observatoire national des routes sinistrées par la sécheresse (ONRS).

Parmi les solutions les plus économiques, efficaces et durables, nous avons déjà identifié l’étanchéification horizontale des accotements, que nous avons testée avec le Loir-et-Cher depuis 2019. Il s’agit de limiter la dessiccation du sol au niveau des accotements pour protéger le sol sous chaussée des variations hydriques durant la sécheresse. Depuis sa mise en place fin 2019 sur deux portions de routes départementales, aucun dommage ni déformation ne sont signalés jusqu’à présent.

En 2024, notre équipe a également décroché le financement sur cinq ans de deux projets de recherche nationaux :

  • Le premier, mené en partenariat avec le BRGM, vise à développer un outil de veille et d’anticipation du niveau de sécheresse des sols argileux en France (projet SEHSAR, pour Surveillance étendue du niveau d’humidité des sols argileux pour l’adaptation et la résilience du bâti face au changement climatique)

  • Le second (projet SAFE RGA, pour Solutions innovantes d’adaptation du bâti exposé à la sécheresse face à l’expansion du phénomène de RGA), mené en partenariat avec l’AQC, CEAD, Fondasol et l’Université d’Orléans, doit permettre de mettre au point des solutions innovantes pour l’adaptation des maisons exposées au RGA. Les solutions envisagées visent par exemple à agir sur le sol argileux en place par stabilisation physico-chimique, en ajoutant du sable et du sel ou de lait de chaux, ou encore par des approches préventives.


Ce texte est publié dans le cadre du colloque international « Les impacts socioéconomiques de la sécheresse », qui s’est tenu le 31 mai 2024 et dont The Conversation France était partenaire.

The Conversation

Lamine Ighil Ameur ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

04.09.2025 à 11:30

Changement climatique : un indicateur pour prévoir les risques de maisons fissurées

Sophie Barthelemy, Ingénieure de recherche sur le retrait-gonflement des argiles, BRGM
En 2022, le RGA a causé, à lui seul, plusieurs milliards d’euros de dégâts. Des recherches récentes ont construit un indicateur pour prévoir l’évolution future du risque.
Texte intégral (2950 mots)
L’indicateur de sécheresse RGA augmente fortement dans la deuxième partie du XXI<sup>e</sup>&nbsp;siècle, selon les hypothèses du Giec RCP&nbsp;4.5 (scénario d’émissions modérées) et RCP&nbsp;8.5 (scénario d’émissions fortes). Fourni par l'auteur

Le risque de retrait-gonflement des sols argileux, associé aux périodes de sécheresse, est en forte augmentation du fait du changement climatique. Il occasionne des dégâts considérables sur les bâtiments, mais également sur les routes. Rien qu’en 2022, il a coûté plus de trois milliards d’euros à la collectivité et aux assureurs. Des recherches récentes ont construit un indicateur pour prévoir l’évolution future des risques.


Le retrait-gonflement des sols argileux (RGA) est un risque naturel étonnamment méconnu au regard de ses conséquences et de son coût pour la collectivité. Ce phénomène conduit le sol à se rétracter comme une éponge suite à une période de sécheresse, et à gonfler ensuite lors du retour des pluies. Ces variations de volume peuvent endommager les constructions situées en surface.

Le nombre de maisons fissurées est en forte augmentation depuis plusieurs années en France. Cela pourrait encore s’aggraver sous l’effet du changement climatique, en particulier dans le sud-ouest et le nord-est du pays.

Les experts du climat s’accordent sur le fait que les températures vont augmenter en France du fait du changement climatique, mais ces projections ont jusque-là peu été utilisées pour évaluer les tendances associées au phénomène de RGA en particulier. Des travaux récents menés conjointement par Météo France, le BRGM et la Caisse centrale de réassurance (CCR) ont permis d’améliorer les connaissances à ce sujet et ont proposé un indicateur RGA spécifique qui pourrait être utile pour prévoir et quantifier l’ampleur des sécheresses à venir.

Un risque présent sur plus de la moitié du territoire français

De quoi parle-t-on lorsqu’on parle de RGA ? Certains sols, semblables à des éponges, gonflent et se rétractent de manière cyclique au fil des saisons.

En séchant, le sol argileux se rétracte dans les trois dimensions, ce qui crée des fentes verticales qui se prolongent en profondeur. Photo prise le 17 juillet 2025 à Olivet (Loiret). Fourni par l'auteur

À l’origine de ce phénomène, on trouve des minéraux argileux, comme la smectite, qui sont capables de retenir de l’eau dans leur structure en millefeuille. Leur changement de volume provoque une variation millimétrique du niveau de la surface, imperceptible à l’œil nu, mais qui peut suffire à fissurer routes, chaussées et constructions légères comme des maisons de plain-pied.

Ce type de sol est présent sur environ la moitié de la superficie du territoire français. Plus de 10 millions de logements individuels y sont construits. Or, sous le climat tempéré qui est actuellement le nôtre, les sols sont humides la plupart du temps. Les sinistres surviennent donc en période de sécheresse.

Les dégâts causés par le RGA sont considérables. Les réparations sont prises en charge dans le cadre du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles (régime CatNat), qui, reposant sur le principe de solidarité nationale, est alimenté par un pourcentage de nos primes d’assurance. Depuis 1989, ce risque a coûté plus de 25 milliards d’euros à la société et aux assureurs, selon la Caisse centrale de réassurance (CCR), se classant ainsi au deuxième rang derrière les inondations.

Depuis 2015, il est même devenu le premier poste d’indemnisation lié aux catastrophes naturelles en France, du fait de la prévalence des sécheresses.

Les experts du climat s’accordent sur le fait que les températures vont augmenter en France du fait du changement climatique, mais la projection de l’état hydrique des sols reste un exercice ardu. Dans ce contexte, il était urgent de développer un outil pour anticiper les conséquences d’un phénomène complexe et diffus comme le RGA.


À lire aussi : Retrait-gonflement des sols argileux : une explosion des risques depuis 2015


Vers un modèle de prévision des risques de RGA

Depuis plus de trente ans, Météo France développe un outil appelé « modèle des surfaces terrestres » qui permet de simuler les transferts d’eau et de chaleur se produisant entre l’atmosphère, le sol et la végétation à l’aide d’équations biophysiques. Il permet notamment de simuler l’humidité du sol jusqu’à deux mètres de profondeur, sur une grille de résolution de 8 km pour la France.

Fruit de nombreuses années de développement, cet outil de simulation permet de représenter finement les processus à l’œuvre. La végétation, élément clé pour comprendre le fonctionnement des surfaces continentales, y est modélisée en détail (croissance, flétrissement…), avec une distinction entre les principaux types de végétation (arbres feuillus ou conifères, herbacés de prairie ou de culture…).

Cet outil a été utilisé pour mieux comprendre le profil des sécheresses passées ayant causé des dommages liés au RGA, dans l’espoir de pouvoir anticiper leurs évolutions futures. Un indicateur annuel de sécheresse a ainsi été développé afin de mieux caractériser les facteurs favorisant la survenue du RGA et de quantifier, d’un point de vue statistique, le nombre global de sinistres. À noter toutefois que l’objectif de l’outil n’est pas de déterminer le risque de sinistre à l’échelle de chaque maison individuelle.

Concrètement, l’indicateur quantifie la durée et l’intensité du déficit hydrique d’une couche profonde du sol (de 80 cm à 1 m) au cours d’une année complète en se basant sur les simulations d’humidité du sol pour une végétation d’arbres feuillus.

En effet :

  • L’humidité des sols de surface varie continuellement en fonction des aléas météorologiques, mais les variations en profondeur marquent les tendances sur le long terme. Il est donc pertinent de s’y intéresser : plus le front de dessiccation du sol est profond, plus le tassement cumulé du sol en surface est important.

  • L’état hydrique de référence d’un sol et les conditions causant des dommages varient beaucoup d’une région à une autre en fonction du climat. Par exemple, l’humidité volumique (volume d’eau rapporté au volume de sol) est généralement plus faible à Marseille qu’en Moselle. Ce qui est normal dans un cas serait sinistrant dans l’autre. Ainsi, le déficit d’humidité servant au calcul de l’indicateur est évalué par rapport à l’historique du secteur.

  • Le choix de considérer une végétation arborée repose sur le constat que la présence d’un arbre planté à proximité d’une maison peut avoir des conséquences néfastes et engendrer des dégâts en raison de l’absorption accrue d’eau par les racines.

Cet indicateur fonctionne-t-il sur les données historiques ? Une comparaison avec des statistiques communales de sinistres révèle que oui : il y a une corrélation positive entre la valeur de l’indicateur et la survenue de dommages. Cette approche permet bien d’identifier les années où surviennent des sécheresses propices au RGA.

L’indicateur a ainsi été évalué pour la France entre 2000 et 2022 à partir de données climatiques et de données météorologiques collectées par le réseau de stations Météo France. Cinq années particulières ont été mises en évidence par cette analyse : 2003, 2018, 2019, 2020 et 2022.

Indicateur de sécheresse RGA (Year Drought Magnitude) pour les années 2000 à 2022. S. Barthelemy et al, Fourni par l'auteur

Les sécheresses de ces cinq années figurent toutes parmi les 20 événements les plus coûteux du régime CatNat, tous risques confondus.

Les années 2022, 2018 et 2003 occupent respectivement les première, deuxième et quatrième places du classement. Le coût de la sécheresse 2022 est estimé entre 3,4 milliards et 3,7 milliards d’euros : un montant colossal.

Et le changement climatique dans tout ça ?

Un dernier volet de l’étude avait pour objectif de cerner l’évolution future des sécheresses propices au RGA sous l’effet du changement climatique, en projetant l’indicateur sous différents scénarios d’émissions de gaz à effet de serre.

Développés par la communauté scientifique depuis le début des années 1990, ces scénarios climatiques, appelés scénarios RCP, pour Representative Concentration Pathway, visent à proposer une gamme de trajectoires d’évolutions possibles des concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère en fonction de différentes hypothèses socio-économiques.

Ces scénarios ont été couplés avec des modélisations du système climatique afin de répercuter leurs effets sur les variables météorologiques (température, pression, humidité, etc.). Des simulations ont été réalisées en utilisant un grand nombre de modèles de climat différents, afin de prendre en compte les incertitudes le mieux possible.

Ceci a permis de calculer l’évolution de l’indicateur RGA jusqu’en 2065, à partir de modélisations de l’humidité des sols réalisées à partir de six modèles climatiques différents sous les scénarios RCP 4.5 et RCP 8.5 (scénario médian d’émissions modérées et scénario pessimiste, où les émissions continuent d’augmenter au rythme actuel).

Évolution de l’indicateur de sécheresse RGA (centile 75) pour les périodes 2006-2025, 2026-2045, 2046-2065, et les scénarios RCP 4.5 et RCP 8.5. S. Barthelemy et al, Fourni par l'auteur

Dans les deux scénarios, la valeur de l’indicateur augmente, notamment après 2045, ce qui traduit une intensification à venir des sécheresses favorables au RGA. Le nord-est et le sud-ouest du pays seraient particulièrement touchés par ce phénomène dans le cadre du scénario RCP 8.5.

Il s’agit d’un résultat inédit. L’exercice de projection des impacts du changement climatique est désormais décliné à de nombreux phénomènes, mais des analyses fines des conditions hydriques propices au RGA faisaient jusqu’alors défaut.

Dans un monde de plus en plus chaud, comme en témoigne l’été 2025.), il va falloir apprendre à gérer cette menace qui pèse sur le bâti.

The Conversation

Sophie Barthelemy a reçu des financements de Météo-France, du BRGM et de la Caisse Centrale de Réassurance dans le cadre de sa thèse de doctorat.

04.09.2025 à 11:30

Retrait-gonflement des sols argileux : une explosion des risques depuis 2015

Lamine Ighil Ameur, Chercheur en mécanique des sols, Cerema
Le retrait-gonflement des argiles, qui entraîne des fissures dans les bâtiments, est en pleine expansion en France du fait du changement climatique, avec un point de bascule notable en 2015.
Texte intégral (3156 mots)
Les ravages de la sécheresse des sols sur les maisons à Cour-Cheverny (Loir-et-Cher). L. Ighil Ameur/Cerema 2022 droits réservés, Fourni par l'auteur

Les sécheresses ne posent pas seulement problème pour les stocks d’eau potable et pour l’agriculture : elles occasionnent aussi des dégâts sur le bâti à travers le retrait-gonflement des argiles. Ce phénomène est en pleine expansion en France du fait du changement climatique, avec un point de bascule notable en 2015.


Depuis 2015, la France métropolitaine connaît des sécheresses de plus en plus intenses et fréquentes, pendant des périodes plus longues du fait du changement climatique. La part des sécheresses dans les catastrophes naturelles indemnisées par le régime Cat-Nat est passée de 37 % à 60 % au cours de la période 2016-2021 en termes de charge financière cumulée.

En 2022, la France a connu, pour la sixième fois en dix ans, une sécheresse de grande ampleur. Cette sécheresse, dont le coût est aujourd’hui estimé à plus de 3,5 milliards d’euros, a battu tous les records depuis 1989, qui est l’année où la sécheresse a été intégrée dans le régime Cat-Nat.

La récurrence de telles sécheresses extrêmes accroît la vulnérabilité du bâti, notamment due au phénomène de retrait-gonflement des argiles (RGA), avec des dégâts qui se cumulent dans le temps et, parfois, sur les mêmes bâtiments vulnérables. Ces derniers nécessitent alors des travaux plus lourds et plus coûteux.

Que sait-on de l’augmentation de ce risque et du coût qu’il représente pour les assureurs ? État des lieux.

Le retrait-gonflement des argiles en question

De nombreuses études ont étudié l’impact du changement climatique sur le phénomène de RGA sous différents angles.

En 2009, une étude majeure, produite par les membres du groupe de travail « Risques naturels, assurances et changement climatique », cadrait le problème à travers plusieurs questions :

  • Le phénomène de RGA va-t-il s’intensifier ? Affectera-t-il des constructions jusque-là épargnées ? Engendrera-t-il des désordres plus conséquents sur les maisons sinistrées ?

  • La zone géographique concernée par le RGA va-t-elle s’étendre ?

  • Quel sera l’impact de l’augmentation de la fréquence des sécheresses sur les désordres occasionnés ?

Les auteurs de cette étude avaient considéré que

  • la France va continuer à se réchauffer, ce qui s’accompagnera de sécheresses estivales plus fréquentes, plus longues et plus intenses ;

  • l’extension géographique du phénomène, telle que délimitée par les cartes d’aléa retrait-gonflement, est supposée ne pas évoluer avec le changement climatique attendu entre 2010 et 2100 ;

  • le changement climatique ne devrait pas modifier l’intensité du phénomène ;

  • dans l’hypothèse de sécheresses estivales plus fréquentes, l’effet cumulatif lié à la succession rapide d’épisodes de sécheresse, s’il existe, pourrait toutefois être amplifié.

Aujourd’hui, après plus de quinze ans, ces conclusions sont-elles encore valables ?

Un risque en pleine expansion

L’année 2015 a constitué une année de bascule. La France a connu une période 2016-2022 marquée par une accélération des effets du changement climatique sur le phénomène de RGA et sur la sinistralité sécheresse.

On peut retenir plusieurs faits marquants pendant cette période :

D’abord, l’extension géographique du RGA. La part du territoire susceptible et exposée moyennement ou fortement au phénomène de RGA était respectivement de 24 % pour la décennie 2010 et 48 % pour la décennie 2020.

Au total, plus d’une maison sur deux se retrouve désormais très exposée au RGA. En 2017, un premier recensement faisait état de 4,3 millions de maisons potentiellement très exposées, soit 23 % de l’habitat individuel. Le dernier recensement de juin 2021 établissait plus de 10,4 millions de maisons en zone d’exposition RGA moyenne ou forte, soit 54,2 % du nombre total de maisons en France. Ce chiffre devrait même atteindre 16,2 millions à l’horizon 2050.

D’autant plus que la sécheresse s’étend progressivement à tout le territoire français. Alors que la sinistralité était auparavant principalement concentrée sur le croissant argileux, elle s’étend désormais sur les régions Grand Est, Bourgogne-Franche-Comté et Auvergne-Rhône-Alpes, y compris sur des sols jadis épargnés, notamment les sols peu argileux.

Comparaison des charges moyennes annuelles par département, avant et depuis 2016. MRN 2023, Fourni par l'auteur

La dessiccation des sols (suppression naturelle ou artificielle de l’humidité contenue par ceux-ci, ndlr) du fait des sécheresses est également de plus en plus profonde. Avant 2015, sous un climat tempéré, la dessiccation des sols due aux variations saisonnières de teneur en eau affectait les sols superficiels (1 mètre à 2 mètres).

Depuis 2016, avec des sécheresses intenses et récurrentes, la dessiccation des sols est désormais de plus en plus profonde. Elle peut atteindre 3 mètres à 5 mètres,ce qui nécessite alors une prise en charge plus complexe et coûteuse du bâti sinistré

La sécheresse est ainsi devenue le péril le plus coûteux, devant les inondations. La sinistralité cumulée – c’est-à-dire, le ratio financier entre le montant des sinistres à dédommager et celui des primes encaissées – a même atteint 54 % au cours des dix dernières années, ce qui fait de la sécheresse le péril le plus coûteux devant les inondations (31 %) et les autres périls (15 %).

Top 10 des sécheresses en France, en termes de coût des dommages assurés. Données : Bilan 1982-2022 CCR/Réalisation : L. Ighil Ameur/Cerema 2025, Fourni par l'auteur

Depuis 2016, les sécheresses de grande ampleur se sont succédé, et la sinistralité a connu une forte croissance. Sur les dix années de sécheresse les plus coûteuses depuis 1989, six ont eu lieu après 2015.

De fait, la sécheresse 2022 a représenté un épisode exceptionnel à l’échelle de la France. L’année 2022 a ainsi été marquée par une sinistralité sécheresse record à 3,5 milliards d’euros, soit près d’1,5 milliard de plus que lors du précédent record de 2003.

Répartition des arrêtés Cat-Nat sécheresse. France Assureurs 2023, Fourni par l'auteur

Au 25 février 2025, après 21 arrêtés parus au Journal officiel, il y a au total plus de 6 851 communes reconnues Cat-Nat sécheresse 2022, un record depuis 1989. En 2022, la sécheresse avait touché presque l’intégralité du territoire métropolitain : 92 départements dont 3 pour la première fois de l’histoire (Côtes-d’Armor, Finistère, Corse du Sud).

Un coût de plus en plus élevé pour les assureurs

Alors que les dégâts indemnisés par les assureurs entre 1989 et 2019 ont été chiffrés à 13,8 milliards d’euros, les dernières projections de France Assureurs estiment que ce montant cumulé devrait tripler entre 2020 et 2050 et atteindre 43 milliards d’euros, dont 17,2 milliards d’euros du fait du seul changement climatique.

En 2023, la Caisse centrale de réassurance (CCR) a publié une étude sur les conséquences du changement climatique sur le coût des catastrophes naturelles en France à horizon 2050. Si l’on considère les scénarios de réduction de gaz à effet de serre RCP 4.5 (atténuation limitée) ou RCP 8.5 (rythme d’émission actuel), tels que définis par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), les dommages augmentent de manière significative sur l’ensemble du territoire français métropolitain.

Répartition des coûts moyens annuels dus à la sécheresse géotechnique, par département sur le territoire métropolitain à climat actuel (à gauche). Évolution du coût de la sécheresse entre le climat actuel et celui de 2050 selon un scénario RCP 4.5 (centre) et celui de 2050 selon un scénario selon un scénario RCP 8.5 (droite). CCR, 2023, Fourni par l'auteur

Pour le département des Alpes-Maritimes, par exemple, les pertes annuelles moyennes augmenteraient de 25 à 50 %, selon le scénario RCP 4.5, et de 100 à 200 %, selon le scénario RCP 8.5.

Des solutions existent pour traiter le retrait argileux, comme l’agrafage des fissures, l’injection de résine expansive dans le sol de fondation ou encore la reprise en sous-œuvre (RSO) pour transférer les charges de la structure sur des micropieux. Mais ces techniques sont souvent inadaptées au contexte du changement climatique et peuvent engendrer une sinistralité de deuxième, de troisième voire de quatrième génération.

« Les enjeux de retrait-gonflement des argiles appliquées à la rénovation énergétique du bâti ancien », Agence Qualité Construction TV Live, 14 avril 2023.

Il est, dès lors, urgent de développer de nouvelles approches, davantage axées sur la prévention et sur l’adaptation, et important de prendre en compte le risque RGA dans tout projet de génie civil dès qu’il s’agit de terrain sensible.

D’autant plus que certaines initiatives visant à accélérer la transition écologique peuvent présenter un paradoxe vis-à-vis du RGA, par exemple la désimperméabilisation et la renaturation des sols. Celles-ci visent à réduire le ruissellement et à rétablir le cycle de l’eau, favorisent la biodiversité et contribuant à réduire le phénomène d’îlots de chaleur urbain. Mais sur des sols exposés au RGA à proximité de maisons, routes ou des pistes cyclables, cela peut être préjudiciable, du fait de l’action racinaire qui accentue la dessiccation et l’apport d’eau indésirable, au risque de provoquer un effondrement hydromécanique des sols. D’où la nécessité de soigneusement étudier le contexte de ce type de projet avant de les implanter.


Ce texte est publié dans le cadre du colloque international « Les impacts socioéconomiques de la sécheresse », qui s’est tenu le 31 mai 2024 et dont The Conversation France était partenaire.

The Conversation

Lamine Ighil Ameur ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

03.09.2025 à 16:52

Surconsommation de vêtements : pourquoi la garde-robe des Français déborde

Pierre Galio, Chef du service « Consommation et prévention », Ademe (Agence de la transition écologique)
«&nbsp;Ultra fast fashion&nbsp;», «&nbsp;fast fashion&nbsp;», seconde main… Les comportements d’achat se déplacent, mais le constat est là&nbsp;: nous achetons et stockons beaucoup plus d’habits que nous n’en utilisons.
Texte intégral (1695 mots)

En juin 2025, le Sénat a adopté une loi anti « fast fashion » qui doit contrer la montée en puissance de la mode ultra éphémère. Au-delà de ses impacts environnementaux et sociaux ravageurs, cette dernière menace directement l’industrie et le commerce textile français.

Dans ce contexte, l’Agence de la transition écologique a publié, en juin 2025, une étude sur les pratiques d’achats et d’usage des Français en matière de vêtements. L’enjeu ? Mieux comprendre les moteurs de notre surconsommation grandissante.


Depuis plusieurs années, le commerce de l’habillement traverse en France une crise, marquée par les redressements, les liquidations judiciaires, les restructurations, les plans de sauvegarde de l’emploi et les plans de cession. Rien qu’en 2023, le secteur a perdu dans le pays 4 000 emplois, selon l’Alliance du commerce.

Malgré ce contexte peu reluisant, le nombre de vêtements neufs vendus continue d’augmenter : 3,5 milliards en 2024 contre 3,1 milliards en 2019, selon le baromètre 2024 de Refashion. Cela représente 10 millions de pièces achetées chaque jour en France.

On dispose de données sur le marché des vêtements et sur la durabilité intrinsèque des textiles, mais les comportements liés aux achats et à l’usage des textiles demeurent, quant à eux, méconnus. Cela rend leur durabilité extrinsèque difficile à appréhender. Il s’agit de mieux connaître les facteurs qui, en dehors de l’usure, amènent les Français à ne plus porter un vêtement.

Bien sûr, des tendances se dessinent. Nous savons que de nouvelles pratiques de consommation ont émergé et que d’autres se sont renforcées. Succès grandissant de la mode ultra éphémère, d’un côté, montée en puissance de la seconde main, de l’autre, en particulier via les plateformes en ligne.

Or, l’impact environnemental du secteur textile représente 4 à 8 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Mais pour impulser des changements, il est essentiel de comprendre ce qui se joue.

C’est pourquoi l’Agence de la transition écologique (Ademe) a mené, avec l’Observatoire de la société et de la consommation (Obsoco), une enquête auprès de 4 000 personnes sur leurs pratiques d’achat et d’usage de vêtements.

Cette étude a été affinée par une approche comportementale auprès de 159 personnes, dont 40 ont également fait l’objet d’une approche ethnographique à domicile.

La moitié de nos vêtements stockés et presque jamais utilisés

Malgré le volume conséquent d’habits vendus – 42 pièces en moyenne par personne et par an, selon les chiffres de Refashion –, les Français n’ont pas conscience de la quantité totale de vêtements qu’ils achètent et dont ils disposent dans leurs armoires, révèle l’enquête.

Ils déclarent ainsi jusqu’à deux fois moins que ce qu’ils possèdent réellement. Ainsi, alors que la moyenne des déclarations est de 79 pièces par personne, le constat atteint plutôt les 175.

Plus de la moitié de ces vêtements est stockée et non utilisée. Dans les armoires françaises, 120 millions de vêtements achetés il y a plus de trois mois n’ont jamais été portés, ou alors seulement une ou deux fois.

Non seulement ils sous-estiment le volume de ce stock, mais seuls 35 % des Français considèrent que la quantité de vêtements qu’ils possèdent excède leurs besoins. Seuls 19 % pensent que leurs achats de vêtements sont excessifs. Il existe une réelle dichotomie entre l’excès de vêtements à domicile et la remise en question de l’acte d’achat.

Une minorité de gros consommateurs

Cette perception paradoxale est problématique, puisqu’elle freine l’atteinte du premier objectif, à savoir réduire le flux d’achat de vêtements.

Là-dessus, l’étude a permis de dresser un profil des acheteurs et mis en évidence qu’une minorité de gros consommateurs – 20 à 25 % – portait le marché. Plutôt jeunes, urbaines et sensibles à la dimension identitaire et esthétique de l’habillement, ces personnes expriment une volonté de renouveler régulièrement leur garde-robe.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les boutiques demeurent le principal lieu d’achat, malgré une forte poussée de la vente en ligne, d’abord chez les plus âgées mais aussi chez les jeunes.

La grande évolution du marché ces dernières années est qu’il a été inondé par les géants de la mode ultra éphémère, comme Shein et Temu.

Cette mode ultra éphémère de seconde génération se distingue de la mode éphémère de première génération (H&M, Zara, Primark étant quelques-unes des enseignes les plus emblématiques de ce segment), qu’elle concurrence, par sa gamme de prix plus faible, son taux de renouvellement des gammes plus fréquent, son agressivité marketing et l’étendue plus large de son offre.

Acheter plus, moins cher… et parfois inutilement

Aujourd’hui, malgré son omniprésence sur Internet et son ascension fulgurante, elle n’est, à ce stade, plébiscitée que par 25 % des Français – contre 45 % pour la mode éphémère de première génération. Elle est surtout populaire chez un public jeune, féminin, aux revenus plutôt modestes, chez qui est identifiée une légère dominante rurale.

Dans le discours des enquêtés, le choix de se tourner vers ces enseignes est clairement justifié par le fait de pouvoir acheter beaucoup et de renouveler régulièrement grâce à des prix attractifs et à un large choix.

Ceux qui les fréquentent sont deux fois plus nombreux à déclarer que le volume de leurs achats a augmenté. Le taux des achats jugés inutiles a posteriori est également plus important chez ces consommateurs. L’effet rebond de la consommation, lié à des prix toujours plus bas, est ici clairement identifié.

La seconde main en plein essor

En parallèle de cette mode ultra éphémère, une autre pratique de consommation autrement plus vertueuse a connu un regain ces dernières années : l’achat de seconde main.

Fondé sur le réemploi, ce mode d’achat permet d’allonger la durée d’usage de nos vêtements et donc évite ou repousse l’achat d’un habit neuf. Ce qui a du sens, puisque la majeure partie de l’impact environnemental d’un produit tient à sa fabrication.

La pratique s’est surtout popularisée sous l’effet du développement de plateformes en ligne, là où elle se cantonnait auparavant aux friperies et brocantes. Un leader incontesté de la seconde main en ligne, Vinted, s’est imposé. Il capte aujourd’hui 90 % des consommateurs qui passent par Internet pour leurs achats de vêtements d’occasion.

Une pratique à double tranchant

En achetant de seconde main, la majorité des consommateurs ne recherchent toutefois pas une source alternative d’approvisionnement pour des préoccupations environnementales. Pour beaucoup d’entre eux, Vinted et les plateformes concurrentes ne sont qu’un fournisseur supplémentaire, complémentaire du marché neuf. Et, en particulier, de la mode ultra éphémère : on retrouve bien souvent les clients de Shein ou Temu sur les plateformes de seconde main, dans une logique consumériste très claire.

Les produits qui trouvent acquéreurs sur ces sites ont d’ailleurs souvent été très peu portés : ils n’ont en moyenne vécu qu’entre 20 et 30 % de la durée de vie « normale » d’un vêtement. Cela signifie que la rotation des biens augmente, sans garantie que l’habit, malgré ses multiples propriétaires, soit porté jusqu’à l’usure.

En outre, le fruit de la revente de vêtements de seconde main sert dans 50 % des cas à racheter d’autres vêtements, ou est alloué à d’autres postes de dépense. Le risque serait que la démarche alimente une boucle consumériste. Pour éviter que la seconde main ait ces effets rebonds, l’enjeu, pour les consommateurs, est donc de concilier réemploi et sobriété, en limitant les flux entrants et en augmentant l’intensité d’usage des habits, c’est-à-dire en les utilisant plus souvent et plus longtemps.

Mais cela implique d’interroger la notion de besoin. Aujourd’hui, en matière vestimentaire, celle-ci est appréhendée de façon très extensive et dépasse largement le besoin strictement fonctionnel : elle recoupe des besoins de sociabilité, d’intégration sociale, d’identification et de distinction. Cela doit être interrogé, en particulier compte tenu des méthodes marketing et publicitaires toujours plus puissantes.

The Conversation

Pierre Galio ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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