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01.12.2025 à 16:48

Le service militaire volontaire, un projet utile ?

Laurent Vilaine, Docteur en sciences de gestion, ancien officier, enseignant en géopolitique à ESDES Business School, ESDES - UCLy (Lyon Catholic University)
Emmanuel Macron a annoncé la création d’un service militaire volontaire (SMV) dès 2026. Gadget politique ou véritable soutien aux forces armées ?
Texte intégral (1792 mots)

Emmanuel Macron a annoncé la création d’un service militaire volontaire d’une durée de dix mois qui concernera 3 000 jeunes dès septembre 2026, puis 50 000 en 2035. Ces recrues seront-elles véritablement utiles, en soutien aux 200 000 militaires de métier ? Le chef de l’État estime qu’il « existe une génération prête à se lever pour la patrie ». Pourtant, l’armée peine à recruter des professionnels.


Les tensions internationales et plus particulièrement la guerre en Ukraine mettent en alerte les États européens. Ceux-ci augmentent leurs crédits militaires et s’interrogent sur les moyens de raviver leur système de réserves, bien souvent mis en sommeil depuis la fin de la guerre froide. Dans ce cadre, alors que Jacques Chirac avait annoncé en 1996 la suspension du service national, le président Macron a annoncé le 27 novembre 2025 sa résurrection selon des modalités différentes.

Il s’agirait d’un service militaire basé sur le volontariat, rémunéré au minimum 800 euros. L’objectif d’un tel service militaire serait de renforcer les régiments, dans le cadre de modalités encore inconnues, à hauteur de 3 000 jeunes en 2026, 10 000 à l’horizon 2030 pour une montée en puissance à 50 000 jeunes en 2035. Il s’agirait bel et bien d’une formation militaire incluant exercices tactiques, sport, exercices de tir. En outre, ces recrues n’auraient pas vocation à servir en opérations extérieures. Au-delà de former des jeunes à la chose militaire, l’espoir des autorités est de retenir suffisamment de personnes dans la réserve pour que celle-ci passe de 50 000 à 80 000 soldats.

Pour autant, un tel dispositif est-il de nature à véritablement renforcer les capacités de défense de la France ou constitue-t-il une simple mesure de communication politique ?

Un contexte de menaces et de résilience : pourquoi ce retour de l’uniforme ?

La guerre en Ukraine et les menaces russes ont rebattu les cartes de manière violente, en France et dans l’ensemble des pays européens. Les budgets de défense augmentent fortement. La France ne fait pas exception. La modernisation des forces est mise en avant. Reste désormais à mobiliser les citoyens.

Le chef d’état-major des armées a récemment tenté de sensibiliser la population au changement de la donne stratégique, pointant le risque que le pays ne soit « pas prêt à accepter de perdre ses enfants, de souffrir économiquement ». Il s’agit donc bien de préparer la société au pire dans un contexte où plusieurs pays européens pointent l’expansionnisme russe. Il ne s’agit pas seulement d’augmenter les effectifs de la réserve opérationnelle pour répondre à une guerre de haute intensité, mais bel et bien d’activer une mémoire républicaine où l’uniforme est perçu comme vecteur de cohésion et d’unité nationale.

Reste à s’interroger sur les difficultés qu’un tel projet peut rencontrer et sur le caractère politicien ou non d’une telle initiative dans un contexte où Emmanuel Macron tente de reprendre l’initiative dans un paysage politique instable et fragmenté.

Le service militaire volontaire : une force utile ou une armée symbolique ?

Le contenu du nouveau service militaire volontaire (SMV) vise à mobiliser les jeunes dans un cadre structurant. La formation initiale durera un mois permettant de délivrer une instruction militaire de base (maniement des armes, entraînement physique, combat). Il ne s’agit pas de créer des soldats professionnels projetables mais des citoyens-soldats capables de remplacer sur le territoire national les soldats professionnels partis guerroyer face à la Russie. En effet, dans une telle situation, les nouvelles recrues prendraient la charge de l’opération sentinelle, garderaient des bases, assureraient la mobilisation territoriale.

Plusieurs obstacles se dressent face à ce projet. Il y a d’abord le vote du budget. Si le budget de la défense n’est pas voté, celui de l’année dernière sera reconduit au moins partiellement. Une telle hypothèse entraînerait le report du projet budgété à deux milliards d’euros. Il y a ensuite l’attractivité du projet face à une jeunesse à remobiliser. L’armée française a du mal à recruter des soldats professionnels. Parviendra-t-elle à recruter des soldats dans le cadre du nouveau service militaire ?

On peut imaginer que les recrutements initiaux – 3 000 personnes pour 2026 – ne poseront pas de problèmes. Mais qu’en sera-t-il lors de la montée en puissance impliquant des projets de recrutement bien plus conséquents à hauteur de 10 000 personnes à l’horizon 2030 et 50 000 à l’horizon 2035 ? La question n’a pas de réponse aujourd’hui mais le doute est permis au regard de la solde proposée de 800 euros minimum et de la perception de l’engagement citoyen de la jeunesse. Les sondages montrent plutôt un accord des Français et même des jeunes à ce projet, mais accord sur le principe et engagement effectif sont deux aspects différents.

L’efficacité militaire du projet

En ce qui concerne la portée strictement militaire du dispositif, plusieurs interrogations se posent. Un engagement de quelques mois suffit-il à construire une réserve compétente ? Un des impératifs, dans tous les cas, sera la convocation régulière de la réserve à des exercices afin d’entretenir les compétences.

Autre problématique : le service militaire ne siphonnera-t-il pas de précieux fonds au détriment de la modernisation des équipements de l’armée professionnelle ? Là encore, il est difficile de répondre à ce stade. En effet, tout cela dépendra de la progression effective du budget global consacré à la défense.

En revanche, exiger des recrues, puis des réservistes, la même efficacité que l’armée professionnelle est un contresens : les missions attribuées aux uns et aux autres ne seront pas les mêmes et les volontaires ne seront pas projetables, à moins d’une menace majeure, généralisée, que l’on a du mal à entr’apercevoir.

Un signal politique plus qu’une révolution stratégique ?

Du point de vue politique, au sens noble du terme, le SMV se fonde sur le projet de « faire nation » et de « recréer du commun ». Face à cela, la droite est plutôt favorable, et une partie de la gauche défavorable. Il s’agit d’un clivage peu surprenant, en cette époque d’opposition politique intense. Une partie de la gauche s’en prend au « va-t-en-guerre » et la droite exige un sursaut.

Mais qui pourra nier la nature agressive du régime de Vladimir Poutine et la nécessité de se préparer à tous les scénarios ? Rappelons que les pays baltes se barricadent et que les Polonais se réarment à vitesse accélérée. Pour autant, s’il s’agit de « faire nation », le volontariat pourrait se limiter à n’attirer que des jeunes déjà convaincus ? La question mérite d’être posée.

Au plan politique, la création d’un grand chantier comme le SMV s’apparente certainement, pour le chef de l’État, à l’objectif de laisser une trace dans l’histoire, celle d’avoir su rassembler les Français autour de la défense du pays. En outre, une telle mesure lui permet de surfer sur le besoin d’autorité qui émerge dans nos sociétés. Mais là encore, il serait naïf de discréditer un projet au motif qu’il induit des préoccupations politiciennes. Dans un système démocratique, nombre de réformes impliquent un souhait d’améliorer le fonctionnement de la société et un souhait de renforcer son électorat voire sa clientèle politique ou encore l’image du prince. Tout cela est consubstantiel à la démocratie et ne dit rien de la valeur intrinsèque de la réforme.

Une initiative utile

Le nouveau service national présenté par le président s’inscrit dans un mouvement général européen allant dans le même sens, même si les modalités sont variables. Bien que dépendant des réalités budgétaires, cette réforme a l’immense avantage de constituer une force d’appoint en mesure de prendre la relève sur le territoire national en cas de projection des forces professionnelles. Il doit également permettre d’augmenter la réserve opérationnelle dans des proportions encore inconnues. Permettra-t-il par ailleurs d’augmenter le civisme de la jeunesse ? On peut émettre des doutes sur ce point. Le service national ne sera basé que sur le volontariat, ce qui constitue une limite évidente.

Finalement, le SMV ne constitue qu’une pièce de la panoplie permettant de réarmer la France. Sa réussite est encore une inconnue mais il s’imbrique parfaitement dans l’ambition française de montée en puissance de son armée, du point de vue matériel, de ses capacités diverses et variées (incluant la guerre informationnelle) et donc également du point de vue des capacités en effectifs. C’est désormais aux armées de communiquer efficacement pour rendre le projet attractif.

The Conversation

Laurent Vilaine ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

01.12.2025 à 15:22

Les syndicats sont-ils vraiment en crise ?

Tristan Haute, Maître de conférences, Université de Lille
Mardi 2 décembre, la CGT, la FSU et Solidaires appellent à manifester contre le budget 2026. L’occasion de revenir sur l’évolution du rapport des Français aux syndicats, plus positif qu’attendu.
Texte intégral (1862 mots)

Mardi 2 décembre, la CGT, FSU et Solidaires appellent à manifester et à faire grève pour s’opposer au projet de budget 2026. L’occasion de revenir sur la perception que les Français ont des syndicats. Contrairement aux idées reçues, ils et elles font globalement confiance aux syndicats pour les défendre.


En France, les syndicats sont décrits, depuis les années 1980, comme éternellement en crise. Le taux de syndicalisation est faible (10,3 % en 2019), la participation aux élections professionnelles ou aux grèves recule et la confiance dans les syndicats est minoritaire. La construction de plusieurs mouvements sociaux en dehors des cadres syndicaux, comme le mouvement des gilets jaunes et plus récemment le mouvement « Bloquons tout », a également alimenté ce discours décliniste. Il en est de même du recours massif au télétravail consécutif à la crise sanitaire qui pourrait participer à accroître la distance aux syndicats sur les lieux de travail.

La défiance à l’égard des syndicats, un mythe à relativiser

Cependant, un examen plus attentif des rapports des salariés aux organisations syndicales vient nuancer un tel discours décliniste. Ainsi, les exemples de mobilisations impulsées par les organisations syndicales ayant connu un certain succès en termes de participation des salariés et de popularité ne manquent pas ces dernières années, à commencer par les mouvements contre les projets de réformes des retraites du printemps 2023 ou de l’hiver 2019-2020. Plus proches de nous, les syndicats ont rassemblé entre 500 000 et 1 million de personnes dans les rues, le 18 septembre 2025, et encore de 200 000 à 600 000, le 2 octobre. Et, si le mouvement « Bloquons tout » était soutenu par 46 % des Français, ce chiffre a atteint 56 % pour le mouvement intersyndical du 18 septembre.

Il est à ce titre pertinent de diversifier les formes d’engagement au travail en ne se limitant pas à l’adhésion syndicale ou au recours à la grève, par exemple en étudiant la participation aux élections professionnelles, les discussions syndicales entre collègues ou la participation par divers moyens aux mouvements sociaux, ce qui permet aussi de tenir compte de l’inégale exposition des salariés aux différentes formes d’engagement au travail.

Parallèlement, la « confiance » des salariés dans les syndicats n’a que très peu évolué depuis la fin des années 1970. En 1978, 50,1 % des salariés faisaient confiance aux syndicats selon l’enquête postélectorale du Cevipof, contre 44 % en 2024 selon le baromètre de la confiance politique du Cevipof alors même que, sur la même période, le taux de syndicalisation en France a fortement chuté.

Ce paradoxe se retrouve à l’échelle européenne. Comme le montre le graphique ci-dessous, la confiance dans les syndicats varie énormément d’une année à l’autre. Cela ne semble lié ni à des mobilisations sociales ni à des indicateurs macroéconomiques. En revanche, on remarque que les deux phases historiques où cette confiance est la plus faible coïncident avec les présidences des socialistes François Mitterrand et François Hollande. Ce résultat confirme que, avec un gouvernement de gauche, les Français adoptent une posture plus libérale alors que, avec un gouvernement de droite, ils et elles demandent plus de redistribution.

Graphique : Confiance des salariés dans les syndicats (en %) (1978-2024)

Enfin, dépasser cette notion de « confiance » permet de faire état d’une image plus positive des syndicats. En effet, cette notion apparaît problématique. Le degré de confiance peut s’exprimer de manière générale (sentiment de confiance) ou pour un objectif particulier (défendre l’emploi, les salaires, les conditions de travail… au niveau local, au niveau sectoriel ou au niveau national) et, dans ce dernier cas, la capacité d’action des syndicats ne dépend pas uniquement d’eux-mêmes, mais aussi du contexte politique, économique et social.

Ainsi, diversifier les indicateurs mesurant l’image qu’ont les salariés des syndicats fait apparaître une forte demande de syndicats et une certaine appréciation de leurs actions. C’est ce que montrent plusieurs enquêtes réalisées en France ou à l’échelle européenne. Selon des enquêtes postélectorales que nous avons réalisées en 2022 puis en 2024 dans le cadre du projet CERTES, plus de 60 % des salariés répondants sont d’accord avec le fait que les syndicats rendent des services aux salariés (64 % en 2022, 62,8 % en 2024).

La perception des syndicats en France, une question politiquement clivante

La perception des syndicats par les salariés est donc, en France, plutôt positive. Elle varie toutefois selon leurs positions professionnelles, selon leurs relations au travail avec la direction et avec leurs collègues et, dans une moindre mesure, selon leur profil social. Elle varie aussi très fortement selon leurs autres attitudes politiques.

Ainsi, en Europe comme en France, plus les salariés se situent à gauche, plus ils ont une perception positive des syndicats. Nous avons exploré plus en détail cette relation à partir de l’enquête postélectorale de 2024 réalisée en ligne par Cluster 17 en juillet 2024 auprès d’un échantillon de 5 109 répondants représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus selon la méthode des quotas.

Tableau : Rapport aux syndicats des salariés selon leurs attitudes politiques

Nous avons construit, de manière automatique et en nous limitant aux 2 287 répondants salariés, quatre classes à partir de 11 questions d’opinion (augmentation des salaires, conditionnalité des aides sociales, encadrement des licenciements, immigration, écologie, féminisme, droits des minorités sexuelles et de genre, reconnaissance de l’État de Palestine) :

  • Les « identitaires » se distinguent par leur hostilité à l’immigration, au féminisme, à l’écologie et aux droits des personnes LGBTQIA+, par des attitudes plutôt méritocratiques en matière d’emploi et par une opposition marquée à toute augmentation générale des salaires.

  • Les « méritocrates » ont des attitudes plus méritocratiques que le groupe précédent, mais sont plus tolérants en matière d’immigration ou de droits des femmes et des personnes LGBTQIA+, sans pour autant être progressistes.

  • Les « libéraux » se distinguent par leur opposition un peu plus marquée à toute augmentation générale des salaires et par une tolérance un peu plus grande en matière d’immigration, de droits des femmes et des personnes LGBTQIA+.

  • Les « progressistes » se distinguent par des attitudes progressistes sur tous les plans, y compris par un rejet de toute conditionnalité des aides sociales.

Alors qu’au premier tour des législatives de 2024, 68 % des progressistes ont voté Nouveau Front populaire (NFP) – 48 % des identitaires et 36 % des méritocrates ont voté Rassemblement national (RN) –, notre sondage révèle que 90 % des progressistes considèrent que les syndicats rendent des services aux salariés, contre la moitié des identitaires, des méritocrates ou des libéraux.

Les écarts sont aussi très importants si on considère le rapport des salariés au mouvement social du printemps 2023 contre la réforme des retraites : près de 90 % des progressistes disent y avoir participé ou l’avoir soutenu, contre autour de 45 % des identitaires et des méritocrates et à peine 30 % des libéraux.

Au contraire, les écarts sont bien moins importants si on considère la seule adhésion syndicale, alors même qu’en 2024, contrairement à de précédents scrutins, les syndiqués ont significativement plus voté à gauche que les non-syndiqués. Ainsi, si 30 % des progressistes sont syndiqués, c’est tout de même le cas de 16 % des identitaires, de 15 % des méritocrates et de 10 % des libéraux.

Des syndicats affaiblis par leurs prises de position politiques ?

La perception positive des syndicats et des mouvements sociaux est donc bien plus répandue que la seule adhésion syndicale, mais bien plus clivée politiquement.

Contrairement à une idée reçue, la défiance dans les syndicats est donc à relativiser : malgré la faiblesse de leurs effectifs, ils ne suscitent pas plus d’opinions négatives que par le passé et parviennent encore à mobiliser une partie conséquente du salariat. Mais ces nouveaux indicateurs de l’influence syndicale que sont leur perception par les salariés et leur capacité à mobiliser sont aussi plus clivés politiquement.

Ce résultat éclaire donc à nouveau frais les réflexions autour des liens entre syndicalisme et politique et des stratégies d’alliances qui peuvent exister. Il permet aussi de remettre en cause l’idée selon laquelle les prises de position politiques des syndicats, contre le RN, voire en faveur de la gauche pour certaines centrales, comme en 2024, participeraient à les affaiblir. Le contraire serait plutôt vrai : cela les met en phase avec les salariés qui, même non syndiqués, les apprécient et participent à leurs actions.

The Conversation

Tristan Haute a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche dans le cadre du projet Comportements électoraux et rapports à l'emploi, au travail et au syndicalisme.

01.12.2025 à 11:06

L’intégration professionnelle des migrants est mise à mal par les restrictions budgétaires

Fadia Bahri Korbi, Maître de conférences en sciences de gestion, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)
La loi de finance 2025 pourrait réduire les subventions consacrées à cette structure d’insertion. Retour sur ce modèle d’intégration par le travail et l’accompagnement social.
Texte intégral (1763 mots)
Les salariés des ateliers et chantiers d’insertion (ACI) bénéficient d’une rémunération au moins égale au smic. ChameleonsEye/Shutterstock

À l’occasion du mois de l’économie sociale et solidaire, zoom sur les ateliers chantiers d’insertion (ACI). Ces structures proposent un accompagnement social, un métier et un salaire, notamment pour les immigrés. Dans un contexte de restriction budgétaire, quels sont leur coût et leur bénéfice ? Permettent-ils une meilleure intégration des immigrés ?


Régulariser la situation d’un immigré ne lui garantit pas l’eldorado, comme beaucoup le croient. Un autre problème majeur est son intégration. Comment l’intégrer si le français n’est pas sa langue ? s’il n’a pas de domicile fixe ? de solution de garde ? de moyen de mobilité ? de réseau professionnel ? de compétences numériques pour accomplir une démarche administrative en ligne, ouvrir un compte, obtenir un logement, préparer un CV, obtenir une couverture médicale…

Un migrant est une personne qui quitte son lieu de résidence habituelle et qui s’installe temporairement ou durablement dans une autre région ou un autre pays. Un réfugié est une catégorie particulière de migrant. Selon la Convention de Genève de 1951, un réfugié est une personne qui craint avec raison d’être persécutée du fait de son ethnie, sa religion, sa nationalité, son appartenance à un certain groupe social, ses opinions politiques ; et qui se trouve hors de son pays d’origine.

Les ateliers et chantiers d’insertion (ACI), dispositifs reconnus d’insertion par l’activité économique (IAE), sont une solution prévue par le Code du travail. Ils offrent un accompagnement renforcé et une activité professionnelle aux personnes rencontrant des difficultés sociales particulières, notamment les migrants et les réfugiés.

Alors combien coûte et rapporte l’intégration des immigrés ? les ateliers chantiers d’insertion ? Pour quelles réussites ?

Près de 1,68 milliard d’euros pour l’immigration et l’asile

Dans le projet de loi de finances pour 2025, l’immigration, l’asile et l’intégration mobilisent une part très importante des dépenses publiques. À ce titre, le programme 303 « Immigrations et asile » représente 1,68 milliard d’euros. Le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française » représente 366,42 millions d’euros. La dotation prévue pour l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA) est de 353 millions d’euros et les crédits alloués à l’hébergement des demandeurs d’asile s’élèvent à 944,8 millions d’euros.

Selon la Cour des comptes, la lutte contre l’immigration irrégulière représente un coût annuel de 1,8 milliard d’euros. Le coût d’une journée en centres de rétention administrative (CRA) est estimé à 602 euros, incluant les frais de fonctionnement, d’investissement et la masse salariale des policiers.

Face à ces dépenses, le gouvernement français cherche naturellement des solutions pour augmenter ses recettes : plus d’impôt, plus de taxes, plus de prélèvements, moins d’exonérations, etc. La régularisation des immigrés pourrait également contribuer à cet objectif.

Cotisations sociales des immigrés

La régularisation massive des immigrants et travailleurs sans papiers pourrait être compensée par l’entrée attendue de cotisations sociales et d’impôts supplémentaires. Elles limiteraient voire annuleraient le coût net pour l’État à moyen terme.


À lire aussi : Pourquoi les travailleurs immigrés sont-ils surreprésentés dans les secteurs « essentiels » ?


À ce titre, France Terre d’asile a dévoilé un plan d’action sur la politique migratoire française. Il rapporterait 3,3 milliards d’euros par an aux finances publiques.

Le rapport du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii) montre que la régularisation des immigrés dans les secteurs en tension en France permet de soutenir l’emploi, d’améliorer les salaires des travailleurs non qualifiés français et étrangers, et de stimuler l’économie à hauteur d’environ 1 % du PIB.

La régularisation des immigrés à elle seule ne suffit pas : son impact dépend de leur intégration et de leur accès effectif à l’emploi, facilité notamment par les ACI.

De 40 à 50 % d’intégration dans l’emploi

Les ACI constituent un exemple d’innovation sociale, appréhendée dans la littérature comme la mise en œuvre de « solutions novatrices à des problèmes sociaux, plus efficaces, durables ou justes que les solutions existantes, et dont la valeur profite à la société dans son ensemble ».

Organisés de manière ponctuelle ou permanente, les ACI sont des dispositifs conventionnés. Ils peuvent être créés et portés par un organisme de droit privé à but non lucratif – une association – ou un employeur public – une commune, un département, un centre communal d’action sociale, etc.

Les ACI permettent de lever de nombreux freins à l’emploi et de facto favoriser l’inclusion sociale et professionnelle des immigrés en France. Ils offrent une chance, parfois une seconde chance, à plus de 130 000 personnes chaque année, avec un taux de sortie positive de 40 à 50 % vers un emploi durable, une formation adaptée, une dignité retrouvée, une meilleure estime de soi…

Banques alimentaires, Emmaüs Solidarité

Entre 2023 et 2025, une enquête de terrain menée auprès d’associations humanitaires accueillant des ACI dans le cadre de leurs activités, telles les Banques alimentaires et Emmaüs Solidarité, met en lumière plusieurs freins ainsi que des actions clés pour favoriser l’inclusion sociale et professionnelle des personnes accompagnées.

Les personnes en parcours d’insertion sont de vrais salariés, sous un contrat à durée déterminée dits « d’insertion ». Ils perçoivent une rémunération au moins égale au smic horaire, parfois sur un temps partiel aménagé selon le projet de la structure. Les ACI jouent un rôle important en aidant les immigrés à résoudre de nombreux problèmes personnels, de santé ou administratifs tels que les titres de séjour, la maîtrise de la langue, le logement, la mobilité, la précarité numérique… facilitant leur insertion durable sur le marché du travail.

« Ce sont des personnes prêtes à travailler et à créer de la valeur pour l’économie française, puisqu’elles sont rémunérées et donc cotisent. Les contraintes administratives les empêchent d’être actifs et finissent par les rendre, malgré eux, une charge pour la société », souligne un travailleur social chez Emmaüs Solidarité.

Moins de contrats aidés et d’ETP

Le fonctionnement de ACI est de plus en plus fragilisé par l’accès limité aux ressources et la baisse des subventions, comme le rappelle la question écrite n°10832 de la 17ᵉ législature de l’Assemblée nationale.

Dans le projet de loi 2026, le gouvernement veut réduire les exonérations de cotisations sociales pour les ACI, pour répondre aux impératifs budgétaires. Le budget 2025 de l’insertion par l’activité économique (IAE) reconduit strictement les moyens alloués aux ACI depuis 2023, tout en appliquant une mise en réserve de 5,5 %.

Il réduit les 42 257 équivalents temps plein (ETP) prévus à seulement 40 500 postes réellement mobilisables sur le terrain. Il ne prévoit pas non plus la revalorisation de l’aide au poste malgré la hausse du smic. Avec seulement 32 000 parcours emploi compétences (PEC) financés contre 50 000 initialement annoncés, ce budget diminue significativement le nombre de contrats aidés, fragilisant encore les structures d’ACI et les emplois permanents et d’insertion qu’elles soutiennent.

Au regard des choix budgétaires actuels du gouvernement, ne faudrait-il pas repenser de manière plus stratégique l’impact des ACI ? Ne serait-il pas plus pertinent de reconsidérer le potentiel des ACI en matière de génération des ressources et des recettes pour l’État, grâce à une politique d’immigration plus humaine et plus rationnelle ?

The Conversation

Fadia Bahri Korbi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

30.11.2025 à 09:38

« L’art de la guerre » de Sun Tzu, ou comment vaincre en évitant le combat

Scott D. McDonald, Assistant Professor, University of North Georgia; Non-resident Fellow, Asia-Pacific Center for Security Studies, University of North Georgia
Selon l’Art de la guerre de Sun Tzu, on fait plus pour nuire au potentiel d’un adversaire en sapant son plan qu’en tuant ses soldats.
Texte intégral (3028 mots)
Une copie de _l’Art de la guerre_, de Sun Tzu, appartenant à l’Université de Californie. vlasta2/Flickr, CC BY-NC-ND

Que nous enseigne le traité de stratégie militaire écrit en Chine il y a 2 500 ans ? Nourri de culture taoïste, Sun Tzu incite à utiliser le potentiel général des situations en intervenant le moins possible sur le champ de bataille. On fait plus pour nuire au potentiel d’un adversaire en sapant son plan qu’en tuant ses soldats.


Au milieu des années 1990, j’ai lu le classique militaire « l’Art de la guerre » avec l’espoir de trouver des éclairages utiles pour ma nouvelle carrière d’officier des Marines des États-Unis.

Je n’étais pas le seul à chercher des idées auprès du sage Sun Tzu, mort il y a plus de 2 500 ans. L’Art de la guerre a longtemps été utilisé pour comprendre la tradition stratégique de la Chine comme des vérités militaires universelles. Les maximes du livre, telles que « connaître l’ennemi et se connaître soi-même », sont régulièrement citées dans les textes militaires, ainsi que dans les livres d’affaires et de gestion.

Au début, je fus déçu. Il m’a semblé que les conseils de Sun Tzu relevaient du bon sens ou étaient en accord avec les classiques militaires occidentaux. Cependant, quelques années plus tard, les Marines m’ont formé comme spécialiste de la Chine, et j’ai passé une grande partie de ma carrière à travailler sur la politique américaine dans la région indopacifique. Cela a renforcé mon désir de comprendre comment les dirigeants de la République populaire de Chine (RPC) voient le monde et choisissent leurs stratégies. En quête d’éclaircissements, je me suis tourné vers la philosophie chinoise classique et j’ai finalement rencontré des concepts qui m’ont aidé à mieux comprendre la perspective unique proposée par l’Art de la guerre, de Sun Tzu.

Aujourd’hui, je suis un universitaire et je travaille à l’intersection de la philosophie chinoise et de la politique étrangère. Pour comprendre l’Art de la guerre, il est important que les lecteurs abordent le texte à partir de la vision du monde de son auteur. Cela signifie lire les conseils de Sun Tzu à travers le prisme de la métaphysique chinoise classique qui est profondément façonnée par le taoïsme.

Les racines taoïstes

La tradition intellectuelle de la Chine est enracinée dans la période des Royaumes combattants du Ve au IIIe siècle avant notre ère, époque à laquelle Sun Tzu aurait vécu. Il s’agissait d’une période de conflit mais aussi de développement culturel et intellectuel qui a vu émerger le taoïsme et le confucianisme.

Une peinture patinée représentant un homme asiatique avec une petite barbe et une moustache, vêtu d’une robe jaune et noire
Les écrits de Sun Tzu ont eu un impact significatif sur la politique chinoise et étrangère. History/Universal Images Group/Getty Images

La philosophie confucéenne se focalise sur le maintien de relations sociales appropriées comme clé du comportement moral et de l’harmonie sociale. Le taoïsme, en revanche, s’intéresse davantage à la métaphysique : il cherche à comprendre le fonctionnement du monde naturel et à en tirer des analogies sur la façon dont les humains devraient agir.

Le taoïsme considère l’existence comme composée de cycles de changement constants dans lesquels la puissance croît et décroît. Le Tào, ou « la Voie » dirige toutes les choses de la nature vers la réalisation de leur potentiel inhérent, par exemple l’eau qui coule vers le bas.

Aider la nature à suivre son cours

Le mot chinois pour ce concept de « potentiel situationnel » est 勢, ou « shì » – qui est aussi le nom du chapitre cinq de l’Art de la guerre. Presque toutes les versions occidentales le traduisent différemment, mais c’est la clé des concepts militaires employés par Sun Tzu.

Par exemple, le chapitre cinq explique que ceux qui sont « experts de la guerre » ne se préoccupent pas outre mesure des soldats pris individuellement. Au contraire, les dirigeants efficaces sont capables de déterminer le potentiel d’une situation et d’en tirer parti.

C’est pourquoi les chapitres suivants passent tant de temps à discuter de la géographie et du déploiement des forces, plutôt que des techniques de combat. On fait plus pour nuire au potentiel d’un adversaire en sapant son plan qu’en tuant simplement ses soldats. Sun Tzu s’inquiète des chaînes d’approvisionnement trop longues car elles réduisent le potentiel d’une armée en la rendant plus difficile à déplacer et vulnérable aux perturbations. Un général qui comprend le potentiel peut évaluer les troupes, le terrain et le plan, puis organiser le champ de bataille de manière à « soumettre l’ennemi sans combattre ».

Une peinture chinoise représentant une scène de bataille, avec des soldats en tenue bleue et un texte dans le coin supérieur droit
Peinture représentant une bataille entre les forces chinoises et vietnamiennes lors de l’invasion du Vietnam par la dynastie Qing en 1788. History/Universal Images Group/Getty Images

Dans la pensée taoïste, la bonne façon de gérer le potentiel de chaque situation est d’agir avec 無為, « wúwéi », ce qui se traduit littéralement par « non-action ». Cependant, l’idée clé est de perturber l’ordre naturel le moins possible pour permettre au potentiel de la situation de se réaliser. Le terme n’apparaît pas dans l’Art de la guerre, mais un lecteur contemporain de Sun Tzu aurait été familier avec ces deux concepts de « shì » de « wúwéi ».

L’importance d’agir avec le « wúwéi » est illustrée par le philosophe confucéen Mencius qui raconte l’histoire d’un agriculteur qui aurait tiré sur ses tiges de maïs pour les aider à pousser et qui a tué sa récolte. On n’aide pas le maïs à pousser en le forçant mais en comprenant son potentiel naturel et en agissant en conséquence : s’assurer que le sol est bon, que les mauvaises herbes sont enlevées et que l’eau est suffisante. Les actions sont efficaces lorsqu’elles nourrissent le potentiel, non lorsqu’elles tentent de le forcer.

Du champ de bataille à l’ONU

Dans une perspective taoïste, les dirigeants qui espèrent élaborer une stratégie efficace doivent lire la situation, en découvrir le potentiel et positionner leurs armées ou États de manière à tirer le meilleur parti du « shì ». Ils agissent avec « wúwéi » pour cultiver des situations, plutôt que de les forcer, ce qui pourrait perturber l’ordre naturel et provoquer le chaos.

Ainsi, en politique étrangère, un décideur devrait s’efforcer d’apporter de petits ajustements politiques le plus tôt possible afin de gérer progressivement l’évolution de l’environnement international. Cette approche est évidente dans l’utilisation du « guānxì » par Pékin. Signifiant « relations », le terme chinois porte un fort sens d’obligation mutuelle.

Par exemple, la République populaire de Chine (RPC) a mené des décennies d’efforts pour reprendre à Taïwan le siège de la Chine aux Nations unies. Pékin y est parvenu en nouant lentement des amitiés, en identifiant des intérêts stratégiques communs et en accumulant des faveurs auprès de nombreux petits États du monde entier, jusqu’à ce qu’en 1971, elle obtienne suffisamment de voix à l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU).

Et aujourd’hui ?

Le concept de « shì » permet également de comprendre la pression croissante de la RPC sur Taïwan, une île autonome que Pékin revendique comme son propre territoire.

Une scène nocturne représentant la silhouette d’un char d’assaut avec des gratte-ciel illuminés au loin
Un char taïwanais utilisé lors de conflits antérieurs et exposé aux touristes à Kinmen (Taïwan) se détache sur la silhouette de la ville continentale de Xiamen. Chris McGrath/Getty Images

Sun Tzu dirait peut-être que discerner la tendance actuelle dans le détroit de Taïwan est plus essentiel que les questions conventionnelles sur la puissance militaire comparée. Plusieurs facteurs pourraient rapprocher Taïwan de Pékin, notamment la perte d’alliés diplomatiques de l’île et l’attraction de la vaste économie de la RPC – sans parler de l’influence mondiale croissante de Pékin face aux États-Unis. Si c’est le cas, le « shì » est en faveur de Pékin, et un coup de pouce pour persuader les États-Unis de rester en dehors du sujet est tout ce qui est nécessaire pour faire évoluer la situation en faveur de la RPC.

Doit-on, au contraire, considérer que le « shì » se développe dans l’autre sens ? Des facteurs tels que le sentiment croissant d’identité taïwanaise, les perturbations économiques de la RPC pourraient rendre le rapprochement avec la chine continentale moins attrayant pour Taïwan. Dans ce cas, Pékin pourrait estimer devoir apparaître fort et dominant afin que l’île n’entretienne pas l’idée d’un appui de Washington.

Une lecture superficielle de Sun Tzu peut mettre l’accent sur le déploiement de troupes, le renseignement et la logistique. Cependant, la compréhension du « shì » met en lumière l’importance que Sun Tzu accorde à l’évaluation et à l’enrichissement du potentiel situationnel. Il ne s’agit pas de dire que les premiers points sont sans importance, mais un décideur les utilisera différemment si l’objectif est de gérer les tendances situationnelles plutôt que de rechercher une bataille décisive.

Le fait que l’Art de la guerre continue d’être en tête des ventes de livres démontre son attrait durable. Cependant, pour qu’il soit utile comme guide stratégique et de politique de sécurité, mon expérience m’indique qu’il faut s’imprégner des principes qui ont façonné la vision du monde de Sun Tzu et qui continuent de façonner celle des dirigeants de Pékin.

The Conversation

Scott D. McDonald reçoit des financements de la Fondation Sara Scaife, de l'Institut Eisenhower, de la Fondation Charles Koch et du ministère des Affaires étrangères de Taïwan.

27.11.2025 à 17:08

Violences dans le football amateur : les arbitres en première ligne

Williams Nuytens, Sociologue, professeur des universités en Sciences et Techniques des APS, Université d'Artois
Arbitres de football amateur agressés chaque semaine : le déclin des cadres associatifs fragilise les clubs et révèle un système où violences et responsabilités se mêlent.
Texte intégral (2022 mots)
Les arbitres subissent environ 40 % des violences qui ont lieu lors des matchs de football. Omar Ramadan/Unsplash, CC BY

Plusieurs milliers d’arbitres se font agresser verbalement et physiquement chaque année sur les terrains de football. Pourquoi ? Dix ans d’enquête révèlent que l’érosion progressive des cadres collectifs qui régulaient autrefois les comportements au sein des clubs amateurs pourrait expliquer ce phénomène. Derrière les coups et les insultes, c’est un système fragilisé qui se dévoile.


Selon la Fédération française de football (FFF), on dénombre 2 millions de pratiquants licenciés (des hommes à 90 %) qui participent à 30 000 rencontres hebdomadaires. Ces matchs sont arbitrés par 25 500 officiels recensés (dont 1 500 femmes et 1 500 arbitres de moins de 15 ans). Sans eux, le football n’existerait pas. Ils sont souvent victimes d’agressions.

Un mal profond, chiffré et documenté

Selon l’Observatoire des comportements de la Fédération française de football, 12 000 incidents sont répertoriés et environ 11 000 matchs se signalent par un incident ou plus chaque saison. Ce chiffre, quasiment stable depuis la création de l’Observatoire en 2006, renvoie à des violences autant physiques que verbales.

Les joueurs commettent l’essentiel des faits (9 fois sur 10), suivis des encadrants, des spectateurs et des parents. Ce sont les arbitres qui subissent environ 40 % des violences, principalement verbales (8,5 fois sur 10). Cela signifie qu’environ 700 officiels sont physiquement agressés sur les terrains en France chaque année (coups, brutalités, bousculades, tentatives de coup(s), jets de projectiles, crachats), soit plus de 17 arbitres agressés chaque semaine – une saison sportive dure dix mois environ.

Les médias couvrent le phénomène en pointant la responsabilité d’un haut niveau parfois peu exemplaire ou la dégradation des contextes, et en mettant en avant les réactions collectives du monde arbitral. Cela a sans doute contribué au déploiement récent par la FFF d’un plan contre les violences et pour la protection des arbitres. Organisée autour des principes de la surveillance, de la prévention, de la dissuasion et de la répression, une telle entreprise devrait améliorer le déroulement des compétitions.

De nombreuses enquêtes de terrain auront été nécessaires pour comprendre ce phénomène et identifier ses causes. En ce qui nous concerne, nous avons commencé par mettre à distance un monde social qui nous était familier, ethnographié durant une saison à domicile et à l’extérieur un club de quartier prioritaire réputé « violent », collaboré avec divers chercheurs afin de cerner les problèmes et compter encore les faits pour enfin nous concentrer sur la figure des arbitres à partir d’une passation de 5 000 questionnaires et de dizaines d’entretiens.

Des causes multiples

Selon les dernières données que j’ai sollicitées en septembre 2025 auprès de la FFF, la majorité des faits (violences physiques et verbales) concerne la catégorie des seniors (60 % du volume des incidents relevés en saison 2024-2025 concernent les 18 ans et plus). Ceci confirme une tendance déjà pointée sur une période d’observations plus longue et le rôle cathartique du sport. On sait aussi que les violences se propagent notablement chez les plus jeunes (17-18 ans et 15-16 ans) au point aujourd’hui de présenter des taux d’incidence supérieurs aux proportions affectant les seniors (2,7 % chez les 18 ans et plus ; 3,2 % chez les 15 ans-18 ans).

On sait en outre que ces incidents concernent surtout les compétitions départementales, cantonales et régionales dans une moindre mesure. Enfin, contrairement aux idées reçues, on ne constate pas de clubs dans lesquels les violences s’installent au point d’en faire des associations durablement problématiques : sur plusieurs saisons les violences sont réparties entre de nombreux clubs.

La concentration des violences et autres incidents dans les divisions locales du football renvoient aux vulnérabilités des clubs de compétitions départementales. Les dirigeants et bénévoles y manquent – ou changent trop fréquemment, fragilisant le contrôle social que ces figures peuvent exercer sur les licenciés. Leurs paroles, pouvoirs éducatifs et capacités de régulation des comportements déviants s’affaiblissent. En parallèle, des pressions nouvelles se manifesteraient davantage. On pense ici aux intimidations voire aux agressions commises par des parents désireux de voir réussir leur enfant au plus haut niveau, c’est-à-dire l’illustration des effets pervers associés à ce que l’on appelle parfois « le projet Mbappé ». On pense aussi aux conduites violentes de joueurs au cours des rencontres sportives, ces licenciés pour lesquels les interventions des éducateurs ne suffisent parfois plus à canaliser des frustrations.

Dans ces contextes associatifs instables (équipes dirigeantes changeantes, formations insuffisantes des éducateurs en matière de régulation des comportements agressifs…), les arbitres sont très exposés d’autant plus que dans les premières divisions du football amateur, l’arbitre officiel, quand il existe, est une personne seule. Et seule quand des ruptures de cadres surviennent (insultes répétées, menaces, bagarres…).

Il est acquis maintenant que la performance arbitrale, incluant la gestion des matchs et de la sécurité, doit beaucoup aux contributions conjointes des joueurs, dirigeants et assistants. Cette performance est logiquement dégradée lorsque l’arbitre officie sans juge de touche officiel, en présence de dirigeants fragilisés, de joueurs à l’autocontrôle inconstant, de parents et de spectateurs imprévisibles, voire oppressants. Aussi stigmatiser l’arbitre, faire de son activité un facteur explicatif des violences, représente une erreur d’appréciation. En effet les agressions se construisent dans les configurations des compétitions et sont le produit de responsabilités partagées.

La disparition des collectifs

Bien entendu, l’arbitre détient le monopole de l’usage des sanctions légales, possède les lois du jeu, profite d’un statut d’agent ayant une mission de service public et d’un pouvoir qui n’a cessé de se renforcer depuis cent cinquante ans. Toutes ces ressources résistent pourtant mal aux caractéristiques des cadres de la pratique du football, et ne doivent pas laisser penser que les arbitres constituent un groupe homogène.

Le monde associatif perd progressivement ses repères : des dirigeants aux carrières longues laissent la place à des engagements bénévoles moins constants, de jeunes arbitres compensent les retraits d’arbitres expérimentés devenus inaptes ou désintéressés, des joueurs promoteurs et bénéficiaires d’une identité collective se raréfient. Désormais, ici et là, les footballeurs ne joueraient plus pour leurs couleurs, leur territoire, leur groupe d’appartenance et fragilisent des « nous » cohésifs pourtant riches de contrôle social.

Dans le domaine social que compose le football, mes enquêtes me conduisent à défendre la thèse de collectifs moins cohésifs, c’est-à-dire de clubs dans lesquels la nature des liens sociaux entre licenciés (joueurs, éducateurs sportifs, dirigeants, arbitres) est moins forte. Moins protectrice. Moins productrice de reconnaissances sociales. Et il suffirait alors d’une étincelle pour que les stades s’embrasent : l’absence d’une contention chez un pratiquant frustré, une décision arbitrale litigieuse ou erronée, des parents blessés de voir leur enfant sur le banc des remplaçants, une rétrogradation sportive que des spectateurs n’acceptent pas, projetant leur désarroi sur la cible accessible que représente l’arbitre, etc.

Tout ceci conduit souvent à penser l’agression d’un arbitre comme la conséquence d’un facteur déclenchant très situé, localisé et qui parfois renvoie à la psychologie de l’auteur du fait. Cependant, la rareté des carrières de joueurs violents limite la portée d’un tel raisonnement. En combinant plusieurs faits et en se souvenant que les responsabilités sont partagées, on déclenche un autre régime interprétatif qui n’a d’ailleurs rien à voir avec l’illustration d’une société toujours plus violente.

D’après mes recherches, si les violences contre les arbitres ne diminuent pas en dépit de mesures coercitives (durcissement des sanctions, modifications du statut des arbitres…), c’est avant tout en raison d’un tissu associatif moins capable de faire barrage à ces comportements.

Pour reprendre une formule du sociologue Pierre Bourdieu, les faits divers font diversion. Pour les appréhender pleinement, il faut les voir comme le résultat de constructions sociales. Quand les associations s’affaiblissent socialement, elles deviennent plus perméables aux perturbations intérieures (frustrations de joueurs, fatigue physique impliquant un moindre contrôle comportemental, inexpérience de jeunes et de très jeunes arbitres, contrôle social des dirigeants moins efficaces, erreurs d’arbitrage…) et influences extérieures (comme des rivalités sociales et territoriales entre localités ou quartiers). Les arbitres en font les frais et révèlent ces fractures.

The Conversation

Williams Nuytens a reçu des financements de l'université d'Artois, de la région des Hauts-de-France, de l'Institut des Hautes Etudes de la Sécurité Intérieure (1998), de l’INSEP (1997), de la Fédération Française de Football (2010), de l'UFOLEP du Pas-de-Calais (2018, 2020, 2022), de l'UFOLEP nationale (2019-2021), du Ministère de l'Enseignement Supérieure et de la Recherche, de l'ANCT (2023, 2025), des Communautés Urbaines d’Arras et de Lens-Liévin (2021, 2022, 2023), de la Ligue de Sport Adapté des Hauts-de-France (2020-2023), de La Vie Active (2024), du Groupement Hospitalier Arras-Ternois (2024), de l’ANRT (2024), etc. Il ne travaille pas, ne conseille pas, ne reçoit pas de fonds d’une organisation pouvant tirer profit de cet article. Il ne déclare aucune autre affiliation que ses institutions de recherche et d’enseignement en dehors d’un engagement bénévole en qualité d’administrateur auprès de l’association Eveil.

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