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31.03.2025 à 16:27

Pourquoi les déchets plastiques ne se dégradent-ils jamais vraiment ?

Aicha El Kharraf, Doctorante en chimie des matériaux et environnement à Géosciences Rennes & Institue des sciences chimiques de Rennes, Université de Rennes
Les plastiques ne disparaissent jamais vraiment. En se fragmentant, ils deviennent des polluants invisibles, encore plus dangereux pour notre environnement et notre santé.
Texte intégral (1771 mots)
Si l’action combinée des vagues et du soleil a tendance à faire fondre les humains, elle fragmente les plastiques et relargue CO<sub>2</sub> et additifs… sans les faire disparaître complètement. Brian Yurasits/Unsplash, CC BY

Les plastiques sont partout, de nos océans à nos poumons. Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, ils ne disparaissent jamais vraiment. En se fragmentant, ils deviennent des polluants invisibles, encore plus dangereux pour notre environnement et notre santé.


Les plastiques ont été créés pour être résistants et durables. Chaque année, plus de 12 millions de tonnes de plastique finissent dans les océans ; mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, leur disparition ne signifie pas qu’ils cessent d’exister. Au contraire, ils se transforment : en microplastiques, en nanoplastiques, libérant même des gaz toxiques et de nombreux additifs chimiques – les fameux bisphénols ou encore des phtalates.

Ironiquement, c’est ce qui les rend si intéressants pour l’industrie et la société en général qui les rend aussi quasiment indestructibles. En effet, les plastiques sont conçus pour durer. Leur structure chimique, qui repose sur un assemblage de longues chaînes de carbone, les rend particulièrement résistants à la dégradation et à la biodégradation. Contrairement au bois, au papier, aux déchets organiques ou au coton, les polymères plastiques ne sont pas digérables par la plupart des microorganismes comme les bactéries et champignons.

Mais leur résistance ne vient pas uniquement de leur structure : des additifs chimiques, comme des stabilisants UV, qui protègent le plastique contre les UV, ou des retardateurs de flamme, sont ajoutés pour améliorer leurs propriétés et ralentir leur dégradation.


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Une fragmentation qui aggrave la contamination

Au lieu de disparaître, les plastiques se fragmentent sous l’effet du soleil, des vagues et des frottements avec le sable ou les rochers. Cette décomposition progressive génère des microplastiques (moins de 5 millimètres) et des nanoplastiques (moins de 1 000 nanomètres), invisibles à l’œil nu mais persistent dans l’environnement.

L’exposition aux rayons ultraviolets (UV) casse progressivement les liaisons moléculaires des polymères dans un processus appelé photodégradation. Mais même sous une exposition prolongée, il faut des décennies pour qu’un simple sac plastique commence à se fragmenter. Dans les océans, les courants et les vagues accélèrent la fragmentation des déchets plastiques et favorisent la formation des micro et nanoplastiques.

Nos travaux en cours montrent que ce phénomène va bien au-delà de la simple fragmentation. En laboratoire, nous avons observé que le polyéthylène, exposé aux UV et aux forces mécaniques de l’eau, produit des microplastiques et nanoplastiques à un rythme accéléré. Et une libération importante d’additifs chimiques. Après quelques mois d’exposition, des substances telles que le dioxyde de titane migrent hors du polymère et contaminent l’eau.

Pis, notre étude montre que la photodégradation du polyéthylène produit des gaz à effet de serre, notamment du méthane, CH4 et du dioxyde de carbone, CO2 (de l’ordre de 300 grammes par kilogramme de polyéthylène d’après nos expériences). En d’autres termes, le plastique ne se contente donc pas de polluer : il contribue aussi au changement climatique.


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Une pollution omniprésente et invisible

Les micro et nanoplastiques, légers et quasi invisibles, voyagent à travers tous les compartiments environnementaux. Dans l’eau, ils sont ingérés par les poissons et les mollusques, entrant ainsi dans la chaîne alimentaire. Dans les sols, ils perturbent la biodiversité et la fertilité des terres agricoles. Dans l’air, ils forment des aérosols transportés par le vent, qui peuvent être inhalés par les humains et la faune. Ils ont même été retrouvés dans la neige des montagnes et les pluies des zones protégées.

schéma montrant la dégradation du plastique
Schéma illustrant la dégradation du plastique par les UV et les vagues, menant à la formation de micro et nanoplastiques, au relargage d’additifs, à l’émission de gaz et à la contamination des écosystèmes aquatiques. Aicha El Kharraf, Fourni par l'auteur

Plus préoccupant encore, des microplastiques ont été détectés en 2024 dans l’eau potable, tant en bouteille qu’au robinet. Face à cette situation, le Syndicat des eaux d’Île-de-France envisage par exemple d’installer des filtres membranaires pour tenter de limiter la contamination.

Recycler, est-ce suffisant ?

Recycler davantage semble une solution évidente, mais en réalité, seule une fraction des plastiques produits dans le monde est réellement recyclée. La majorité est enfouie, incinérée ou dispersée dans l’environnement.

Les réglementations évoluent, mais restent limitées. En France, la loi Agec de 2020 interdit l’utilisation de microbilles plastiques dans les cosmétiques par exemple ; mais 63,1 % des microplastiques issus de l’usure des pneus et des textiles passent encore entre les mailles du filet.

Quelles solutions pour freiner cette pollution invisible ?

Réduire la production de tous les types de plastiques est la solution la plus efficace. Aujourd’hui, le recyclage reste limité, notamment à cause des additifs chimiques, dont la composition reste souvent secrète. Cette opacité complique leur réutilisation et réduit la qualité des plastiques recyclés. Il est donc crucial de limiter ces additifs, non seulement pour améliorer le recyclage, mais aussi parce que beaucoup sont toxiques pour l’environnement et se retrouvent dans l’eau, l’air et les organismes vivants.

D’autres pistes existent : développer des matériaux réellement biodégradables, améliorer la filtration des eaux usées en prenant en considération l’ensemble des produits de dégradation des plastiques (micro et nanoparticules), mettre en place des méthodes standardisées pour la quantification des micro et nanoparticules dans l’environnement et explorer le potentiel de certaines bactéries capables de dégrader les plastiques.


À lire aussi : Recyclage et valorisation des déchets plastiques : comment ça marche ?


Mais sans une action forte à la source, cette pollution invisible continuera de s’accumuler. Le plastique n’est pas qu’un simple déchet : c’est un polluant insidieux qui s’infiltre partout, des sols à notre alimentation. Il est encore temps d’agir, mais sans une prise de conscience et des mesures drastiques, cette pollution pourrait bientôt devenir irréversible.


À lire aussi : Pollution plastique : pourquoi ne rien faire nous coûterait bien plus cher que d’agir


The Conversation

Aicha El Kharraf a reçu des financements de CNRS.

30.03.2025 à 16:36

Nous héritons de la génétique de nos parents, mais quid de l’épigénétique ?

Bantignies Frédéric, Directeur de Recherche CNRS, Université de Montpellier
Giacomo Cavalli, Directeur de recherche CNRS, Université de Montpellier
Les marques épigénétiques sont reproduites lorsque les cellules se divisent, mais peuvent-elles l’être entre deux générations&nbsp;?
Texte intégral (1879 mots)

Les marques épigénétiques sont des modifications chimiques de l’ADN qui vont permettre d’activer ou d’éteindre certains gènes. Elles sont reproduites lorsque les cellules se divisent mais peuvent-elles l’être entre deux générations ?


À la base de l’information génétique, l’ADN est la molécule fondatrice de la vie terrestre. Cependant, elle ne peut pas fonctionner seule, car son information doit être interprétée par des protéines présentes dans le noyau des cellules, rajoutant une information supplémentaire que l’on nomme information épigénétique (« épi » provenant du préfixe grec qui signifie « au-dessus »).

À chaque génération, nous héritons de l’ADN contenu dans les chromosomes de nos deux parents, sous la forme de 23 chromosomes de la mère et 23 chromosomes du père, pour aboutir aux 46 chromosomes de l’espèce humaine (ce nombre varie selon les espèces) dans chacune de nos cellules. Au cours du développement, nos cellules se divisent un très grand nombre de fois pour former des individus adultes (constitués de plus de 30 000 milliards de cellules !).

L’équation paraît relativement simple, car la séquence d’ADN des 46 chromosomes se recopie à l’identique (durant la « réplication de l’ADN ») avant de se partager équitablement dans deux cellules « filles » lors de chaque division cellulaire (appelée « mitose »). Malgré cette information génétique identique, nos cellules ne sont pas toutes pareilles. Chacune d’entre elles se différencie pour produire la variété de tissus et d’organes qui constituent notre corps. C’est justement l’information épigénétique qui permet cette différenciation.

Des « marque-pages » dans notre génome

Que sait-on de ces mécanismes épigénétiques qui font l’objet d’intenses recherches depuis le début du siècle ? Ils impliquent un grand nombre de facteurs cellulaires, dont on commence à comprendre la fonction. Au sein des chromosomes, l’ADN, chargé négativement, s’enroule autour de protéines chargées positivement, les histones. Des centaines de facteurs se lient, directement à l’ADN ou aux histones, pour former ce que l’on pourrait qualifier de « gaine épigénétique ».


À lire aussi : Épigénétique, inactivation du chromosome X et santé des femmes : conversation avec Edith Heard


Cette gaine est loin d’être homogène. Elle contient des facteurs qui peuvent déposer, sur la molécule d’ADN ou les histones, des petites molécules qui agissent comme des « marque-pages » que l’on pourrait mettre dans un livre à des endroits précis. Ce sont les fameuses « marques épigénétiques » (méthylations, acétylations…) et un grand nombre d’entre elles se retrouve au niveau des gènes qui sont situés tout le long de nos chromosomes. Ces marques sont indispensables, elles diffèrent dans les différents types cellulaires que composent un organisme et contribuent directement à la régulation de l’expression des gènes (par exemple, des gènes importants pour la fonction du foie s’exprimeront dans les cellules du foie, tandis que les gènes spécifiques des neurones ou des cellules musculaires y seront éteints). La question est désormais de savoir si ces mécanismes épigénétiques influencent aussi la transmission de l’information génétique.


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Prenons tout d’abord le cas le plus simple de la mitose (division cellulaire). La plupart des cellules doivent transmettre leur fonction, c’est-à-dire reproduire l’expression de la panoplie de gènes qui leur sont propres dans leurs cellules filles. Un grand bouleversement se produit lors de la mitose avec un regroupement et une condensation importante des chromosomes et donc de l’ADN qui les composent. Lors de cette étape, l’ADN reste enroulé autour des histones, mais de nombreuses protéines de la gaine s’en trouvent dissociées. En revanche, la plupart des marques sur l’ADN et les histones sont conservées. Ainsi, des repères épigénétiques vont subsister sur et autour de l’ADN. Une fois la mitose terminée, ces marques vont permettre aux cellules filles de reconstruire rapidement l’architecture des gènes le long des chromosomes, qui porteront encore les marques épigénétiques indispensables et pourront à nouveau recruter les facteurs associés à leur fonction. Les mécanismes épigénétiques participent donc directement à l’héritage de la fonction cellulaire.

Est-ce que cette information épigénétique pourrait aussi être transmise aux générations futures ? Dans ce cas, le challenge est bien plus important. L’information doit être transmise aux gamètes mâle et femelle qui fusionnent lors de la fécondation pour former la première cellule de l’embryon. Cette cellule se divisera afin de constituer les différents types cellulaires du futur organisme. Les étapes de réorganisation et de condensation des chromosomes sont ici encore plus drastiques que lors de la mitose. La méthylation de l’ADN, les marques des histones et l’organisation 3D des chromosomes sont largement reprogrammées, comme si l’organisme s’efforçait d’effacer le bagage épigénétique accumulé dans la génération précédente.

Des transmissions épigénétiques chez certaines espèces

Est-ce que l’épigénétique peut néanmoins influencer l’héritage génétique de la descendance ? Aujourd’hui, cette question fait l’objet de recherches intensives, et parfois controversées. Ces recherches visent notamment à comprendre si des facteurs environnementaux, nutritionnels, liés aux stress ou à l’exposition à des facteurs chimiques ou physiques pourraient exercer une influence sur les générations futures.

On a pu décrire des exemples précis de l’effet de l’environnement sur la régulation épigénétique dans de nombreuses espèces animales et végétales.

Chez des reptiles, la température est un déterminant majeur du type sexuel, via le dépôt de marques épigénétiques spécifiques (méthylation des histones). Chez les insectes, de nombreux traits phénotypiques sont liés à des régimes alimentaires qui entraînent des variations épigénétiques, par exemple la distinction entre la reine et les abeilles ouvrières ou la distinction de castes d’ouvrières chez certaines fourmis (via la méthylation de l’ADN et l’acétylation des histones, respectivement).

L’exposition à des facteurs chimiques, tels que l’arsenic ou le bisphénol A peut également être à l’origine de modifications épigénétiques. On essaye aujourd’hui de comprendre les mécanismes par lesquels ces stimuli agissent et s’ils peuvent générer un héritage stable au fil des générations dans l’espèce humaine. Des études épidémiologiques ont bien tenté de faire des liens entre régime alimentaire et influence sur la progéniture, mais ces études se confrontent souvent à des aspects multi-factoriels difficiles à contrôler et souffrent d’un manque de preuves moléculaires.

Des études au niveau d’organismes modèles sont donc nécessaires pour étudier l’influence de modifications épigénétiques sur la transmission de l’information génétique. Des exemples de transmission des états épigénétiques à travers les générations sont actuellement bien décrits chez le ver C.elegans et les plantes, des organismes où il y a moins de reprogrammation de l’état épigénétique lors de la fécondation. Notre équipe travaille sur l’organisme modèle Drosophila melanogaster ou mouche du vinaigre. À la suite de perturbations de l’organisation 3D des chromosomes, nous avons pu mettre en évidence des cas d’héritage de modifications épigénétiques sur un gène responsable de la couleur de l’œil au fil de nombreuses générations.

Dans le modèle souris, des études ont également montré que l’insertion d’éléments génétiques permettait d’induire des modifications épigénétiques, notamment la méthylation d’ADN. Ces modifications conduisent à la répression d’un gène responsable de la couleur du pelage ou de gènes importants du métabolisme qui, lorsqu’ils sont supprimés, provoquent l’obésité ou l’hypercholestérolémie, et ce, de manière héritable sur plusieurs générations.

Dans ces exemples d’héritage transgénérationnel, le premier signal qui induit un changement épigénétique implique la modification d’une petite séquence d’ADN. Même si cette séquence est rétablie à la normale, le changement se maintient. Bien que probablement rares et possiblement influencés par le patrimoine génétique, ces phénomènes pourraient exister dans la nature. Des recherches futures seront nécessaires pour comprendre si d’autres mécanismes épigénétiques pourraient être hérités.

Bien que ces données ne changent pas les lois génétiques actuelles, elles indiquent qu’au-delà de la simple duplication et transmission de la séquence d’ADN aux gamètes mâles et femelles, des informations épigénétiques pourraient contribuer à l’héritage de certains traits chez de nombreuses espèces. Ces recherches pourraient donc servir à mieux comprendre l’évolution et l’adaptation des espèces, ainsi que les mécanismes à la base de certaines pathologies humaines, comme les cancers.

The Conversation

Les recherches au sein du laboratoire Cavalli sont financées par des subventions du Conseil Européen de la Recherche (ERC AdG WaddingtonMemory), de l'Agence Nationale pour la Recherche (PLASMADIFF3D, subvention N. ANR-18-CE15-0010, LIVCHROM, subvention N. ANR-21-CE45-0011), de la Fondation ARC (EpiMM3D), de la Fondation pour la Recherche Médicale (EQU202303016280) et de la Fondation MSD Avenir (Projet EpiMuM3D).

Bantignies Frédéric ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

26.03.2025 à 16:36

La pomme, reine des vergers… et des pesticides

Maël Baudin, Enseignant-chercheur en interactions plantes-microorganismes, Université d'Angers
Bruno Le Cam, Directeur de Recherche INRAE Phytopathologiste, Inrae
Afin de lutter contre la maladie de la tavelure, les pommiers sont les cultures les plus traitées en France. Comment réduire cette dépendance aux traitements&nbsp;?
Texte intégral (2479 mots)
Pour lutter contre la tavelure, un pommier doit être traité de nombreuses fois par an. Nathan Hulsey/Unsplash, CC BY

La pomme est le fruit préféré des Français et le plus cultivé en France. Mais la pomme ne se distingue pas uniquement par sa popularité, elle figure également en tête des cultures les plus traitées en France, notamment en raison du champignon Venturia inaequalis, qui est responsable de la maladie de la tavelure. Comment réduire cette dépendance aux traitements ?


Un pommier malade va produire des pommes tachées. Les fruits tachés ne sont pas nocifs pour la santé humaine, mais ne peuvent être ni vendus ni exportés. C’est la raison pour laquelle les arboriculteurs utilisent des fongicides entre 15 et 20 fois par an, un chiffre qui peut grimper jusqu’à 40 traitements sur les variétés les plus sensibles lors de printemps particulièrement pluvieux. À titre de comparaison, les producteurs de blé appliquent au maximum trois traitements fongicides par an.

Symptômes de tavelure sur fruit dûs au champignon Venturia inaequalis. B. Le Cam, Inrae, Fourni par l'auteur

Les vergers menés en agriculture biologique ne sont pas épargnés par cette maladie. Ils sont souvent autant traités voire plus que les vergers conventionnels, car les fongicides utilisés en agriculture biologique, comme le cuivre et la bouillie sulfocalcique, sont plus facilement lessivés par les pluies que les fongicides de synthèse. C’est ainsi qu’au cours de sa carrière, un arboriculteur parcourra en moyenne une distance équivalente à un tour du monde avec son pulvérisateur pour protéger son verger de 20 hectares ! Éliminer ce champignon est particulièrement difficile, car il est présent non seulement dans les vergers, mais aussi sur les pommiers dans les habitats sauvages qui, nous le verrons, servent de réservoir de virulence.

De plus, ce champignon s’adapte rapidement aux diverses méthodes de lutte déployées. Pour tenter de pallier ces difficultés, notre équipe à l’IRHS d’Angers développe actuellement une stratégie tout à fait inédite chez les champignons qui, au lieu de tuer l’agent pathogène, l’empêche de se reproduire.

Le pommier et la tavelure, de vieux compagnons de route

La tavelure du pommier sévit partout dans le monde. Afin de localiser son origine, nous avons réalisé un échantillonnage de souches de V. inaequalis à l’échelle mondiale, à la fois sur des variétés en vergers et sur des espèces de pommiers sauvages présentes dans les habitats non cultivés.


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Nos travaux de génétique des populations ont révélé que la tavelure partage avec l’espèce asiatique sauvage, Malus sieversii, le même centre de diversité génétique situé dans les montagnes du Tian Shan, à la frontière du Kazakhstan et de la Chine. Dans ce site majestueux classé au patrimoine universel de l’Unesco pour la valeur de ses ressources génétiques, ce Malus, ancêtre du pommier domestiqué, continue de coévoluer avec son agent pathogène.

Les analyses historiques et génétiques menées sur le pommier montrent que sa domestication a commencé en Asie centrale, il y a 7 000 ans, à partir de Malus sieversii, pour se poursuivre jusqu’en Europe avec des hybridations successives entre différentes espèces de Malus; par exemple, Malus orientalis dans le Caucase et Malus sylvestris en Europe. Tout au long de ce processus de domestication, le champignon a dû gagner en virulence pour s’adapter aux gènes de résistance du pommier introduits par hybridations successives.

Pourquoi l’ancêtre du pommier est-il menacé en Asie Centrale ? Inrae.

À partir du XVIe siècle, au moment de la découverte des nouveaux continents, l’Europe a servi de tête de pont à la diffusion ensemble du pommier domestiqué et de la tavelure, ce qui fait que la maladie provoque aujourd’hui des dégâts sur tous les continents.

De quelle façon les voyages de la tavelure des habitats sauvages vers les vergers ruinent-ils les efforts des sélectionneurs ?

Au cours des quarante dernières années, l’activité humaine a facilité, de manière totalement fortuite, l’introduction dans les vergers d’une population de tavelure provenant de l’habitat sauvage selon un scénario comparable à celui du « cheval de Troie ». L’histoire débute en 1914, aux États-Unis, avec des travaux de sélectionneurs qui cherchaient à introduire par hybridation dans le pommier le gène de résistance Rvi6, qui confère une résistance totale à la tavelure.

Issu de l’espèce ornementale Malus floribunda, le gène Rvi6 est rapidement devenu la principale source de résistance introduite dans les programmes de sélection à travers le monde. Après plusieurs décennies de croisements, les premières variétés portant le gène Rvi6 issues de ces travaux de sélection ont été plantées en Europe dans les années 1980. Cependant, quelques années après leur plantation, des symptômes de tavelure ont commencé à apparaître dans les vergers.

Une analyse génétique des souches virulentes du champignon a révélé que la résistance du gène Rvi6 était contournée par une population du champignon, présente de manière insoupçonnée en Europe, non pas dans les vergers, mais sur des pommiers sauvages. En plantant des variétés nouvelles porteuses du gène Rvi6, l’activité humaine a ainsi involontairement facilité l’installation de cette population virulente dans des vergers non protégés par des fongicides. Cette étude met en lumière, une fois de plus, le rôle crucial de l’habitat sauvage en tant que réservoir potentiel de virulence et de maladies susceptibles d’affecter les agrosystèmes.

Chronique d’une perte de résistance chez le pommier, Inrae.

Des vergers sans fongicide ? Un changement de paradigme s’impose

Le plan EcoPhyto, qui ambitionne de diminuer de 50 % l’usage des pesticides, voire de les éliminer complètement, suscite des inquiétudes quant à sa faisabilité parmi les producteurs et représente un véritable défi pour les scientifiques.

En effet, les variétés de pommes les plus cultivées en France sont particulièrement sensibles à la tavelure, et non seulement la présence de tâches sur les fruits est inacceptable dans les circuits de distribution, mais toute possibilité d’exportation est également interdite.

À moins de convertir l’ensemble des vergers de pommiers en agriculture biologique et d’assouplir sensiblement la réglementation stricte sur la présence de taches sur fruits, imaginer se passer des fongicides de synthèse paraît aujourd’hui illusoire. La situation est similaire à l’étranger dans les grands pays producteurs et exportateurs de pommes, où les mêmes variétés sensibles à la tavelure dominent le marché.

Face à ce constat, comment changer la donne ? Faudrait-il envisager de réglementer voire d’interdire la plantation de variétés très sensibles à la tavelure ? Dans un contexte de sortie des pesticides, cette mesure radicale pourrait s’avérer nécessaire sous réserve que les producteurs soient accompagnés financièrement dans cette période de transition.

En l’absence de contraintes imposées par les politiques publiques, telles que des amendes sur l’application excessive de fongicides, les mêmes variétés gourmandes en traitements chimiques continueront de dominer le marché. Il serait également possible d’envisager la création d’un « pesti-score », une telle information portant sur la quantité de traitements appliqués sur les vergers pourrait participer au changement de paradigme attendu.

Sur le plan international, la recherche académique et les filières horticoles consacrent également beaucoup d’efforts pour lutter contre cette maladie. Toutefois, le long délai incompressible nécessaire pour amener de nouvelles variétés sur le marché reste un défi majeur en cultures pérennes. Substituer les variétés les plus sensibles par de nouvelles variétés porteuses de gènes de résistance provenant de pommiers sauvages reste réaliste, mais prendra du temps.

À court terme, une solution envisageable pour assurer cette transition pourrait résider dans la relance de campagnes de promotion et de sensibilisation auprès du grand public en faveur de variétés de pommes peu sensibles à la tavelure telles que la reine des reinettes ou la Chanteclerc, mais qui n’avaient pas rencontré à leur sortie le succès escompté face aux variétés dominantes. Une telle stratégie permettrait de diversifier les plantations en verger et de réduire ainsi l’usage des fongicides.

Combinaison de stratégies et de moyens

L’histoire récente nous enseigne toutefois l’humilité face à la complexité du problème : la tavelure présente une telle diversité qu’elle est capable de s’adapter aux résistances naturelles du pommier. Dès lors, l’enjeu va consister à protéger ces variétés en mettant en œuvre au verger une combinaison de stratégies visant à réduire la taille des populations de tavelure et ainsi prolonger l’efficacité des résistances, par différents moyens depuis l’utilisation de stimulateurs de défense des plantes à une diversification optimale des variétés dans le verger, en s’appuyant sur la modélisation mathématique.

Comment les maths protègent les pommiers de la tavelure ? Inrae.

Parmi les pistes alternatives aux pesticides étudiées dans notre laboratoire, nous évaluons la possibilité de perturber la reproduction sexuée du champignon, une étape indispensable à sa survie hivernale. L’objectif visé n’est pas de tuer le champignon, mais bien de l’empêcher de survivre durant l’hiver. Si nous réussissons à inhiber sa reproduction sexuée indispensable à sa survie hivernale, alors nous aurons franchi une étape importante vers la réduction de la dépendance aux fongicides.

Le changement de paradigme de substitution des variétés particulièrement sensibles aux différents bioagresseurs du pommier nécessitera un renforcement conséquent des investissements publics et privés pour mettre en place un plan ambitieux de développement de variétés résistantes aux maladies et aux ravageurs, impliquant tous les acteurs de la filière (arboriculteurs, techniciens de terrain, metteurs en marché, consommateurs, scientifiques).

Cet investissement lourd, mais indispensable pour atteindre les objectifs fixés, devra dépasser la lutte contre la tavelure en intégrant la résistance à bien d’autres maladies et ravageurs du pommier. Le défi sera de développer des variétés résilientes moins gourmandes en pesticides adaptées à des systèmes durables de gestion des résistances. Une telle transition demandera une refonte profonde des méthodes de production ainsi qu’un changement des habitudes des consommateurs.

The Conversation

Baudin Maël a reçu des financements de l'ANR, l'INRAE et Horizon-europe.

LE CAM a reçu des financements de ANR, de INRAE et de la Région Pays de La Loire

20.03.2025 à 16:52

Infrastructures critiques : le rôle clé des algorithmes mathématiques

Bernard Fortz, Professeur en méthodes d'optimisation pour la gestion, Université de Liège
Dans un monde où l’efficacité et la sécurité des infrastructures critiques sont essentielles, les algorithmes mathématiques apportent des solutions innovantes pour répondre à des défis complexes.
Texte intégral (1221 mots)

Dans un monde où l’efficacité et la sécurité des infrastructures critiques sont essentielles, les algorithmes mathématiques apportent des solutions innovantes pour répondre à des défis complexes. En particulier, trois domaines clés où ils se révèlent indispensables : la réduction de la fraude par évasion tarifaire dans les transports en commun, l’optimisation de l’autoconsommation dans les communautés énergétiques et la protection des réseaux informatiques contre les attaques ciblées malveillantes.


Réduction de la fraude dans les transports en commun

L’évasion tarifaire dans les transports en commun, notamment dans les systèmes sans barrières physiques où les contrôles sont aléatoires, constitue un problème économique majeur pour les opérateurs. Les pertes engendrées par les passagers frauduleux peuvent être considérables, rendant nécessaire l’optimisation des stratégies de contrôle.

Une étude récente propose d’utiliser le jeu de Stackelberg pour modéliser l’interaction entre les opérateurs de transport, qui planifient les contrôles, et les passagers opportunistes qui cherchent à les éviter. Cette approche permet d’élaborer des stratégies d’inspection plus efficaces en planifiant les patrouilles de manière imprévisible, ce qui complique la tâche des fraudeurs.

Selon cette étude, la méthode améliore la gestion des contrôles en intégrant les comportements des passagers dans la planification. Le modèle utilise des stratégies mixtes pour établir des probabilités d’inspection, et des heuristiques ont été développées pour améliorer la qualité des solutions, même si l’optimalité n’est pas toujours garantie. Cette méthodologie peut être appliquée à différents systèmes de transport (métro, bus, tram, train…), permettant une réduction significative de l’évasion tarifaire.

Optimisation de l’autoconsommation dans les communautés d’énergie

Les communautés d’énergie, où les membres partagent l’énergie qu’ils produisent, stockent et consomment, représentent une voie prometteuse vers une transition énergétique plus durable. Ces communautés restent connectées au réseau public, mais visent à maximiser leur taux d’autoconsommation collective, réduisant ainsi leur dépendance à l’égard du réseau et leurs coûts énergétiques.

Un projet pilote, baptisé Smart Lou Quila a été développé par la start-up de Montpellier Beoga. Il permet aux sept membres de la communauté de se partager une électricité 100 % renouvelable et locale, produite par des panneaux photovoltaïques posés sur les toits des maisons et sur celui du stade municipal.

En collaboration avec ce projet pilote, un modèle de programmation linéaire en nombres entiers mixtes a été développé pour optimiser l’autoconsommation d’une communauté d’énergie. Un modèle linéaire en nombres entiers est une méthode d’optimisation mathématique où l’objectif est de maximiser ou minimiser une fonction linéaire, soumise à des contraintes également linéaires. Ce qui distingue ce modèle est que certaines ou toutes les variables de décision doivent prendre des valeurs entières (et non continues). Il est largement utilisé pour résoudre des problèmes impliquant des choix discrets, comme la planification, l’affectation ou les horaires, mais il est souvent plus complexe à résoudre qu’un modèle linéaire classique à cause de la contrainte d’intégralité.

Le modèle que nous avons développé gère l’utilisation des appareils électriques, le stockage d’énergie, ainsi que les échanges entre les membres de la communauté. Grâce à ce modèle, il a été démontré qu’une adhésion à une communauté énergétique peut réduire la consommation d’énergie provenant du réseau public d’au moins 15 %, avec des économies substantielles sur les factures. L’utilisation des outils de la recherche opérationnelle pour une meilleure gestion des communautés d’énergie était également l’objet de recherche du projet européen SEC-OREA (Supporting Energy Communities–Operational Research and Energy Analytics) auquel j’ai participé.

Protection des réseaux contre les attaques ciblées

Les réseaux de services, qu’ils soient de communication, de logistique ou d’infrastructures critiques, sont particulièrement vulnérables aux cyberattaques. Ces attaques cherchent à désactiver des nœuds spécifiques du réseau, provoquant des dysfonctionnements graves et perturbant le service.

Pour contrer ces menaces, une nouvelle approche fondée sur la théorie des jeux a été développée. La théorie des jeux est une branche des mathématiques qui étudie les interactions stratégiques entre des acteurs rationnels, appelés « joueurs ». Elle modélise les situations où les décisions de chaque joueur influencent les résultats des autres, qu’il s’agisse de coopération ou de compétition.

Notre approche modélise l’interaction entre un opérateur de réseau, qui tente de protéger ses infrastructures, et un attaquant cherchant à maximiser les dommages.

Les chercheurs présentent des formulations mathématiques pour optimiser la protection des nœuds critiques du réseau. Les nouvelles formulations mathématiques proposées surpassent les méthodes existantes, offrant une meilleure anticipation des attaques et une réduction des dégâts potentiels. Ces modèles sont applicables non seulement aux réseaux de communication, mais aussi à d’autres secteurs critiques tels que les infrastructures publiques et les systèmes médicaux.

Les défis auxquels sont confrontés les opérateurs de transport, les communautés énergétiques et les gestionnaires de réseaux sont variés, mais les algorithmes mathématiques offrent des solutions efficaces et adaptables. Qu’il s’agisse de maximiser les revenus des transports en commun, d’optimiser l’autoconsommation énergétique ou de protéger des réseaux contre des cyberattaques, les avancées en matière de modélisation et d’optimisation mathématique jouent un rôle central dans la sécurisation et l’optimisation de nos infrastructures critiques, en renforçant la résilience et la durabilité de nos systèmes face aux défis actuels et futurs.


Cet article a été écrit en collaboration avec le Dr Arnaud Stiepen, expert en vulgarisation scientifique.

The Conversation

Bernard Fortz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

20.03.2025 à 13:43

Les Français font-ils confiance aux sciences ?

Michel Dubois, Sociologue, Directeur de recherche CNRS, Sorbonne Université
L’édition 2025 du baromètre de l’esprit critique révèle des différences notables dans le rapport aux sciences selon les générations et les disciplines.
Texte intégral (1951 mots)
Les Français associent davantage l’esprit critique aux humanités qu’aux sciences exactes. NationalCancerInstitute/Unsplash, CC BY

L’édition 2025 du baromètre de l’esprit critique révèle des différences notables dans le rapport aux sciences selon les générations et les disciplines. Les jeunes font, par exemple, davantage confiance aux sciences que leurs aînés, mais leur tendance à privilégier les informations provenant de leur entourage et des réseaux sociaux les expose davantage à la désinformation, notamment en ce qui concerne les bonnes pratiques nutritionnelles.

Décryptage par Michel Dubois, sociologue et membre du comité scientifique du baromètre de l’esprit critique.


Comment évolue le rapport des Français aux sciences ? Se dirige-t-on vers une défiance comme aux États-Unis ?

Michel Dubois : En France, comme aux États-Unis, la défiance à l’égard des sciences reste un phénomène heureusement minoritaire. Ce que l’on observe aux États-Unis, depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, ce n’est pas tant un rejet de la science par l’opinion publique, qu’une volonté politique de faire des universités et des organismes de recherche des adversaires idéologiques. Il s’agit de couper les budgets, de licencier le personnel des agences fédérales, d’interdire la recherche sur un certain nombre de sujets jugés inutiles ou « déconseillés », mais plus fondamentalement de contester la légitimité des scientifiques à définir ce qui est un fait et ce qui ne l’est pas. Ce degré de politisation de la science est inédit dans l’histoire contemporaine des États-Unis et ses conséquences sont déjà perceptibles à travers la gestion chaotique de l’épidémie de rougeole au Texas.

En France, la situation est encore heureusement différente. L’édition 2025 du Baromètre de l’esprit critique confirme certaines des tendances positives mises en évidence lors de la dernière vague de l’enquête Les Français et la science. Par exemple, entre 7 et 8 enquêtés sur 10 considèrent que la science permet de comprendre qui nous sommes, et le monde dans lequel nous vivons. Ils sont autant à considérer qu’une affirmation a plus de valeur si elle a été validée scientifiquement ou que la science permet de développer de nouvelles technologies utiles à tous.

Quelles différences existe-t-il entre les générations concernant la confiance envers les institutions scientifiques ?

M. D. : L’édition 2025 du baromètre introduit un échantillon 15-24 ans qui peut être comparé à l’échantillon standard des 18-65 ans et plus. C’est l’occasion de souligner quelques résultats inattendus ou contre-intuitifs. Les études inutilement alarmistes ne manquent pas pour prétendre que les plus jeunes affichent une posture toujours plus critique à l’égard des sciences.

Or, nos résultats montrent le contraire : comparés aux 18 ans et plus, les 15-24 ans manifestent un plus grand intérêt pour les sciences. Les 15-24 ans manifestent également une plus grande confiance dans la communauté scientifique : ils sont plus nombreux que leurs aînés à considérer que la communauté scientifique est indépendante pour valider ses résultats (+13 points), ou que les scientifiques suivent des règles éthiques strictes (+9 points). Ce sont également les jeunes qui sont les plus impliqués dans des activités à caractère scientifique : la visite d’expositions scientifiques, la collaboration à des expériences de science participative ou la rencontre avec des chercheurs.


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Constate-t-on des différences dans le rapport aux sciences humaines et aux sciences dites dures ?

M. D. : D’une façon générale, même si cela peut surprendre, l’esprit critique est davantage associé par nos répondants aux humanités qu’aux sciences exactes. Trois quarts d’entre eux considèrent faire preuve d’esprit critique et quand on leur demande de nommer les disciplines qui ont contribué à forger cet esprit durant leur scolarité, ils citent prioritairement le français, l’histoire-géographie, la philosophie et seulement ensuite arrivent les sciences de la vie et de la terre, les mathématiques, la physique ou la chimie. Ce résultat peut donner l’impression que les sciences exactes sont perçues comme des disciplines relativement dépourvues de questionnement réflexif. Cela doit sans doute nous inciter à revoir la manière dont on enseigne les sciences au collège et au lycée, afin de mieux mettre en valeur leur dimension critique.

Interrogés sur la façon dont ils perçoivent la scientificité des disciplines, nos deux échantillons se retrouvent pour voir dans la médecine, la biologie, la chimie et l’astrophysique, des sciences exemplaires. Tout comme ils convergent pour douter très majoritairement du caractère scientifique des horoscopes, de la naturopathie ou de l’homéopathie. Mais, entre ces extrêmes, les 15-24 ans se démarquent de leurs aînés par une attitude plus positive à l’égard de l’économie (+3 points), de l’histoire (+4 points), de l’écologie (+5 points), de la psychanalyse (5 points) et plus encore de la sociologie (+12 points).

Qu’est-ce qui fait que, dans la population générale, on accorde plus de valeur ou d’intérêt à certaines sciences ?

M. D. : En France comme ailleurs, l’attention accordée à une discipline dépend souvent des répercussions, positives et négatives, qu’on lui prête sur notre environnement ou sur nos conditions de vie. C’est relativement évident pour la médecine, la biologie ou plus généralement pour la recherche sur le vivant. Toutefois, cet intérêt ne signifie pas que les scientifiques bénéficient d’une légitimité de principe leur permettant de mener leurs travaux sans tenir compte des contraintes sociales et culturelles qui les entourent. Comme l’ont montré les enquêtes Les Français et la science, une écrasante majorité de Français estime nécessaire d’instaurer des règles encadrant le développement des sciences du vivant.

Y a-t-il un avant et un après-Covid en matière de confiance envers les sciences ?

M. D. : Si l’on s’en tient à une mesure générale de la confiance, les résultats que nous obtenons aujourd’hui ne sont pas très différents de ceux dont on disposait avant la période Covid. Toutefois, cette crise a mis en lumière de nouveaux enjeux pour le grand public : d’une part l’importance de l’indépendance de la recherche scientifique et, de l’autre, la nécessaire vigilance concernant les manquements à l’intégrité scientifique. On se souvient notamment des soupçons qui ont pesé pendant la crise Covid sur certains experts en raison de leurs liens d’intérêts avec de grands groupes pharmaceutiques ; ces liens étant souvent interprétés comme étant autant de conflits d’intérêts. Dans notre échantillon 18-65 ans et plus, il n’y a qu’un répondant sur deux à considérer que la communauté scientifique est indépendante pour valider ses résultats.

Par ailleurs, le nombre croissant de rétractations d’articles de l’équipe de l’Institut Méditerranée infection à Marseille – plus de 40 aujourd’hui – illustre les préoccupations liées à la fiabilité des publications scientifiques pendant la crise Covid. Et ils ne sont aujourd’hui que 6 répondants sur 10 à considérer que les scientifiques suivent des règles éthiques strictes. Plus qu’une remise en cause de la science, cette double tendance souligne une attente croissante de transparence et de régulation dans la production du savoir qui n’est pas très différente de celle que l’on peut mesurer, par ailleurs, dans la communauté scientifique.

L’édition 2025 du baromètre contient une section consacrée à nos croyances en matière d’alimentation. Quels en sont les enseignements généraux ?

M. D. : Cette année, le baromètre de l’esprit critique a voulu en savoir plus sur les pratiques et les croyances alimentaires. Est-il vrai par exemple qu’après un excès alimentaire, une cure détox est efficace pour nettoyer l’organisme ? Est-il vrai que les compléments alimentaires permettent de corriger une mauvaise alimentation ? Ou encore : est-il vrai que les hommes ont besoin de plus de viande rouge que les femmes ? Toutes ces propositions sont fausses, mais qu’en est-il de leur diffusion dans l’espace public ? Les résultats suggèrent que les opinions erronées au sujet de l’alimentation sont relativement courantes : 8 répondants sur 10 adhèrent à au moins une proposition fausse en matière d’alimentation.

La maîtrise des savoirs varie selon plusieurs facteurs, notamment le genre, avec une meilleure connaissance observée chez les femmes par rapport aux hommes, mais plus encore en fonction de l’âge. En matière d’alimentation, plus on est âgé et plus on a de chances de faire la différence entre une proposition vraie et une proposition fausse. Les 15-24 ans semblent manquer de repères.

Ce n’est sans doute pas sans rapport avec la façon dont ils s’informent en général. Ils se distinguent de leurs aînés par l’importance qu’ils accordent à leur entourage et aux réseaux sociaux. Et pour les informations liées à l’alimentation, ils sont près de 7 sur 10 à faire confiance aux professionnels de la médecine douce et alternative, 1 sur 2 aux influenceurs sportifs ou aux youtubeurs. Des constats ciblés qui devraient faire réfléchir celles et ceux qui travaillent sur la communication des messages de santé publique.


Entretien réalisé par Aurélie Louchart.


Cet article est publié dans le cadre de la série « Regards croisés : culture, recherche et société », publiée avec le soutien de la Délégation générale à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle du ministère de la culture.

The Conversation

Michel Dubois a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche et du programme cadre Horizon Europe de l'Union Européenne

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