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23.07.2025 à 17:09

Allô… la Chine ? Entre silence stratégique et ambitions globales, que peut faire Pékin dans un Moyen-Orient en feu ?

Nadine Loutfi, Sciences politiques, Université Libre de Bruxelles (ULB)
La position chinoise de neutralité au Moyen-Orient, qui lui a longtemps réussi, pourrait se retourner contre elle…

Texte intégral 1804 mots

« Allô… la Chine ? » La question a semblé flotter dans les chancelleries durant la guerre entre Israël et l’Iran. Si les lignes ont chauffé à Washington, Paris ou Moscou, celle de Pékin est restée désespérément « hors réseau ». Et son silence, autrefois vu comme une forme de sagesse, commence à être interprété comme une fuite. Dans un monde où l’on attend des puissances qu’elles prennent position, la Chine pourra-t-elle jouer la carte de la retenue sans se voir mise à l’écart ?


À mesure que le Moyen-Orient se transforme sous l’impact des rééquilibrages mondiaux, Pékin tente de consolider sa présence dans la région à travers des relations économiques avancées et la protection de ses voies commerciales, tout en appliquant sa politique de non-ingérence. Pour l’instant, la Chine avance à pas feutrés. Elle refuse de choisir entre les blocs rivaux, préférant signer des contrats tous azimuts et multiplier les investissements – une manière de garder de bonnes relations aussi bien avec l’Arabie saoudite qu’avec l’Iran, avec Israël qu’avec la Palestine, avec l’Égypte qu’avec le Qatar, sans provoquer de ruptures diplomatiques majeures.

Cette approche est aujourd’hui particulièrement mise à l’épreuve : guerre à Gaza, effondrement du régime syrien, affrontements entre Israël et le Hamas, le Hezbollah, les Houthis, guerre entre Israël et l’Iran, tensions autour du détroit d’Ormuz, sans oublier le retour en force des États-Unis.

Le paradoxe de l’équilibre silencieux : Pékin face au dilemme Iran–Israël

Face au conflit opposant l’Iran à Israël, la diplomatie de la Chine oscille entre une rhétorique de neutralité et un pragmatisme aligné sur ses intérêts structurels. Si elle reste fidèle à sa doctrine fondamentale de non-ingérence, de respect de la souveraineté et de résolution pacifique des différends, cette approche se traduit dans la pratique par une stratégie d’évitement.

Pékin s’abstient de prendre position. Face aux violences visant les civils, la République populaire de Chine (RPC) omet de désigner un agresseur. Elle appelle au « dialogue », mais sans prendre d’initiative concrète, et sans proposer de mécanisme institutionnalisé. Elle déplore certes les tensions, mais sans exprimer de prise de position claire sur le fond. Cette prudence sélective dessine les contours d’une diplomatie du « clair-obscur », une neutralité performative, qui feint l’équilibre tout en préservant des préférences tacites. Bien qu’efficace à court terme pour préserver ses relations avec des acteurs aux intérêts contradictoires, cette stratégie engendre un déficit de lisibilité stratégique.

En effet, elle brouille les perceptions sur la volonté réelle de la Chine à agir en tant que puissance stabilisatrice et renforce l’idée d’une actrice réticente à assumer des responsabilités systémiques.

Pourtant, le conflit irano-israélien ne constitue nullement une crise périphérique pour les intérêts chinois. Il affecte trois axes structurants de la stratégie globale de Pékin :

  • La sécurité énergétique : la Chine, premier importateur mondial de pétrole brut depuis 2017, n’a pas réussi à réduire sa dépendance aux importations en provenance du Moyen-Orient. La zone lui fournit près de la moitié des 11 millions de barils de pétrole par jour qu’elle importe aujourd’hui. Ainsi, une aggravation du conflit ou son extension au détroit d’Ormuz ou dans les zones de transit du Golfe menacerait la continuité de ses approvisionnements, avec des conséquences économiques immédiates, alors que sa situation interne dans ce domaine est déjà problématique.

  • La stabilité des corridors de la BRI : les principaux tracés des nouvelles Routes de la soie (Belt and Road Initiative, BRI), terrestres (par l’Iran, le Pakistan, l’Asie centrale) ou maritimes (par la mer Rouge et le canal de Suez), traversent des zones potentiellement touchées par le conflit. L’extension de la guerre toucherait non seulement la sécurisation de ces routes, mais aussi la rentabilité des investissements et la crédibilité des engagements pris auprès des partenaires régionaux.

  • La réputation internationale de la Chine comme puissance responsable : en prétendant incarner une alternative à l’unilatéralisme des États-Unis, le gouvernement chinois est naturellement scruté quant à sa capacité à limiter, contenir ou résoudre les conflits. Son inaction et son silence prolongés face à des crises majeures pourraient ternir l’image qu’il cherche à projeter : celle d’un acteur global constructif, promoteur du multilatéralisme et du dialogue, et porter ainsi atteinte à sa crédibilité.

La prudence chinoise peut s’expliquer par la complexité de ses relations avec les deux protagonistes du conflit. D’un côté, la RPC entretient un partenariat stratégique approfondi avec l’Iran, notamment dans les domaines énergétique, sécuritaire et diplomatique. De l’autre, elle bénéficie d’une coopération technologique de haut niveau avec Israël, cruciale pour sa stratégie d’autonomie industrielle et sa compétition avec les États-Unis.

Dans ce contexte, il serait risqué pour la Chine de privilégier l’un au détriment de l’autre. Cette position intermédiaire la pousse à adopter une diplomatie d’équilibriste, marquée par l’absence de médiation directe ou d’initiative publique, de peur d’altérer ses intérêts de part et d’autre.

Pékin avance donc avec la plus grande prudence, soucieuse de préserver un équilibre fragile entre deux partenaires que tout oppose.

Le précédent irano-saoudien : un tournant diplomatique ou une exception conjoncturelle ?

La réconciliation historique entre l’Arabie saoudite et l’Iran, conclue à Pékin en mars 2023, a marqué un tournant pour la diplomatie chinoise au Moyen-Orient. Pour la première fois, la Chine ne se limitait plus à son rôle d’investisseur majeur ou de partenaire commercial discret : elle endossait celui de médiateur, capable de réunir deux puissances rivales autour d’un langage commun : non-ingérence, dialogue, respect mutuel.

Spectaculaire et habilement mise en scène, cette séquence a nourri l’idée d’un basculement stratégique : celui d’une Chine qui ne se contentait plus d’observer, mais qui commençait à agir en puissance stabilisatrice, à l’heure où les États-Unis semblaient décrocher.

Mais cette « réussite », aussi saluée soit-elle, reste aujourd’hui l’exception plutôt que la norme. Elle a été rendue possible par un alignement rare de facteurs favorables : une lassitude croissante des deux camps, usés par des années de rivalité indirecte aux conséquences de plus en plus coûteuses – au Yémen, au Liban, à Bahreïn. Et, plus largement, un vide relatif laissé par le désengagement américain, dont la Chine a pu profiter, en s’appuyant sur un processus de rapprochement Riyad-Téhéran très avancé et le travail majeur déjà réalisé par les médiateurs régionaux comme Oman ou l’Irak. Pékin n’a au final joué qu’un rôle marginal, offrant surtout un lieu pour orchestrer la conclusion de l’accord.

Le pari du silence : une puissance mondiale peut-elle rester à l’écart ?

Au‑delà de la gestion immédiate des tensions, le face‑à‑face Iran–Israël pose à Pékin une question plus fondamentale : la Chine est‑elle prête à endosser le rôle d’une puissance normative – capable de proposer une architecture de sécurité, de trancher dans les crises asymétriques, et de réguler l’ordre international – ou préfère‑t‑elle demeurer une « puissance d’infrastructure » dont l’influence repose surtout sur le commerce et l’investissement, sans véritable socle politique ?

Cette posture du silence maîtrisé atteint aujourd’hui ses limites. Elle suscite une série de paradoxes. Sur le plan géopolitique, le refus d’assumer un rôle plus affirmé dans les zones de crise pourrait entamer les prétentions chinoises à un leadership global. Sur le plan normatif, l’absence de condamnation claire face à certaines formes de violence – en particulier les bombardements indiscriminés – alimente un sentiment d’ambiguïté dans le monde arabe. Enfin, sur le plan stratégique, la volonté de ménager simultanément des partenaires aux intérêts irréconciliables, comme l’Iran et Israël, pourrait finir par aliéner les deux.

La véritable question, dès lors, n’est pas tant de savoir si la Chine peut rester silencieuse, mais combien de temps encore ce silence pourra être interprété comme diplomatie « d’intelligence », et non comme un signe d’impuissance stratégique.

La ligne est-elle occupée ou coupée ?

Alors, « Allô… la Chine ? » Est-ce un silence tactique, un calcul à long terme, ou un aveu des limites de sa diplomatie et de sa puissance ? Probablement un peu des trois.

La Chine parle, mais à sa manière : par le commerce et par les infrastructures. Le silence, jusqu’à présent, a été dans son intérêt, mais dans un monde où la parole est une arme de positionnement, ce silence peut aussi devenir une forme de message ambigu, voire risqué.

Pour Pékin, le Moyen-Orient est peut-être encore un théâtre secondaire. Mais pour beaucoup de pays de la région, la question reste entière : la Chine peut-elle réellement être un partenaire de paix… si elle se tait quand tout brûle ?

The Conversation

Nadine Loutfi travaille au Centre Public d'Action Sociale à Etterbeek (Bruxelles). Elle est membre des centres de recherches REPI, EASt et OMAM, dans le cadre de son doctorat en Relations Internationales à l'Université Libre de Bruxelles.

23.07.2025 à 17:09

Comment favoriser la réutilisation des eaux usées traitées en France ?

Jérôme Harmand, Directeur de Recherche, Inrae
Nassim Ait Mouheb, Directeur de Recherche, INRAE, expertises sur les techniques d'irrigation et les enjeux agronomiques et environnementaux de la réutilisation des eaux alternatives, Inrae
Sami Bouarfa, Agronome et chercheur en sciences de l'eau, Inrae
Le plan Eau vise 10 % de réutilisation des eaux usées traitées (REUT) en 2030. Comment y parvenir sans augmenter la quantité totale d’eau consommée ? Panorama des bonnes pratiques.

Texte intégral 2301 mots

Le plan Eau de la France vise 10 % de réutilisation des eaux usées traitées à horizon 2030. Comment y parvenir sans augmenter la quantité d’eau consommée au total – c’est-à-dire, sans risquer un effet rebond ? Panorama des bonnes pratiques identifiées par la recherche scientifique.


En France, le plan Eau annoncé par le président de la République en 2023 affichait un objectif de développement de 1 000 projets de réutilisation des « eaux non conventionnelles (ENC) » en 2027. Il s’agit d’un objectif intermédiaire avant de viser 10 % de réutilisation des eaux usées traitées (REUT) à horizon 2030.

S’il est poursuivi sans suffisamment de discernement, cet objectif quantitatif national pourrait conduire à une maladaptation et à des projets inadéquats. Par exemple, à des projets qui auraient pour conséquence d’augmenter la quantité globale d’eau consommée à la faveur de l’« effet rebond ». Le risque serait de présenter la REUT comme une nouvelle ressource, alors même que cette eau remobilisée est susceptible de manquer aux milieux naturels.

Pourtant, l’état de l’art scientifique et l’analyse des retours d’expériences internationaux confirment l’intérêt du réusage de l’eau pour répondre à des situations de fortes tensions. Ces mêmes expériences démontrent aussi que les projets sont fortement conditionnés par les contraintes locales.

Autrement dit, leur réussite va dépendre de l’implication des acteurs, de l’adéquation entre la qualité de l’eau requise et le niveau de technologie des traitements, de la viabilité économique des projets, etc.

Les eaux usées, une ressource plutôt qu’un déchet

Pour aider nos sociétés à s’adapter au changement climatique et préserver notre environnement, une gestion maîtrisée et responsable de l’eau est essentielle, tant d’un point de vue quantitatif que qualitatif. Il s’agit d’un enjeu stratégique pour assurer des conditions de vie soutenables à tous.

Cela passe notamment par la sobriété et l’optimisation des usages et le partage de la ressource. Surtout, il ne faut pas oublier de prendre en compte de l’état des milieux aquatiques. Par exemple, en considérant le rôle environnemental des eaux usées traitées dans le maintien des débits d’étiage pendant les périodes de sécheresse.

Dans ce contexte, les eaux usées ne doivent plus être considérées comme un déchet à traiter et évacuer, mais comme une ressource. Ces eaux peuvent par exemple être riches en fertilisants utiles aux cultures agricoles. Dans une logique d’économie circulaire, on peut les considérer comme des flux de valeur, en fonction des spécificités territoriales (adéquation entre les besoins des cultures et l’eau disponible, proximité des usages…).

Les eaux usées domestiques constituent la principale ressource pouvant être mobilisée. Il est toutefois nécessaire d’élargir le concept d’économie circulaire de l’eau à l’ensemble des eaux non conventionnelles. Par exemple, les eaux de pluie, eaux de piscine ou encore les eaux évacuées du sous-sol pour permettre l’exploitation d’ouvrages enterrés tels les métros, tunnels ou parkings… Ceci permet d’équilibrer au mieux les usages et les prélèvements à l’échelle d’un territoire.

Boucler le « petit » et le « grand » cycle de l’eau

Pour faire face aux tensions sur la ressource, il nous faut donc inventer de nouvelles approches. L’enjeu est de repenser son utilisation tout au long des chaînes de valeur. Pour cela, on peut imaginer des usages en boucles (réusage après un usage précédent), là où ils étaient jusqu’à maintenant linéaires (mobilisation, utilisation, rejet).

Il s’agit de concevoir une gestion de l’eau plus intégrée à l’échelle d’un territoire, qui va contraindre ressources et besoins. L’objectif est que le cycle d’usage perturbe le moins possible le « grand » cycle (ou cycle naturel) de l’eau, aussi bien quantitativement que qualitativement.

Le contexte agricole, urbain ou industriel a également son importance. Il impose d’examiner les risques environnementaux et sanitaires. En effet, il s’agit de modifier le cycle de l’eau. La mise en place de solutions favorisant des cycles courts peut impacter les milieux et les populations à des degrés divers. C’est particulièrement vrai en périodes de sécheresse sévère.

Par exemple, la qualité microbiologique de l’eau peut poser question dans les situations de réutilisation indirecte. Dans ce cas, l’eau n’est pas prélevée directement en sortie de station (où elle serait alors soumise à des normes de qualité afin d’être réutilisée), mais en aval, dans le cours d’eau dans lequel la sortie de station s’est déversée. Ce type de prélèvement n’est réglementairement conditionné qu’à des contraintes quantitatives, et non plus qualitatives.

Quels sont les projets qui aboutissent ?

L’état de l’art scientifique et l’analyse des retours d’expériences internationaux sont utiles pour identifier les facteurs de réussite de ces projets.

Ils tirent tout d’abord parti d’un contexte géographique favorable. Par exemple, lorsque la distance entre les gisements et les usages potentiels est raisonnable ou que des aménagements hydrauliques existent déjà.

Ils organisent aussi la concertation des diverses parties prenantes concernées (gestionnaires, agriculteurs, consommateurs, financeurs…). L’enjeu est de les impliquer dans la gouvernance pour permettre de mieux aligner leurs intérêts respectifs.

Ils mettent également en place un plan de maîtrise des risques sanitaires et environnementaux, par exemple en adoptant une approche multibarrière.

Ces projets gagneraient à s’inscrire dans un cadre réglementaire et normatif clair et harmonisé, à une échelle dépassant le cadre national afin de tirer parti des retours d’expériences internationaux. À l’exception de la réutilisation à usage agricole, la réglementation sur les eaux usées pourrait être améliorée pour être mieux calibrée, plus cohérente, moins complexe et davantage inscrite dans la durée.

Enfin, ces projets doivent mobiliser des modèles économiques équilibrés entre les parties prenantes productrices et bénéficiaires. Ils devraient reposer sur une analyse au cas par cas de la rentabilité des infrastructures, dont le financement et l’exploitation croisent souvent acteurs privés et publics.

Les bonnes pratiques à adopter

Pour favoriser le succès des projets de REUT, il faut d’abord faire de la gestion responsable de l’eau une priorité dans chaque pays du monde. Cela implique d’inscrire dans la loi des instruments réglementaires de politique environnementale le permettant, sans alourdir et complexifier les cadres actuels.

Cela passe également par la promotion de mesures préalables. Notamment la sobriété, l’optimisation et le recyclage in situ des eaux lors de la conception puis l’exploitation de nouvelles d’infrastructures. Pour minimiser les impacts anthropiques de l’homme sur le cycle naturel de l’eau, il vaut mieux réutiliser un mètre cube d’eaux usées plutôt que de le puiser dans le milieu naturel.

Il convient d’intégrer dans l’analyse de rentabilité du projet, ses impacts et bénéfices sanitaires, sociaux et environnementaux sur l’ensemble de son cycle de vie, ainsi que le coût de renoncement global.

On pourrait également intégrer le recyclage de l’eau prélevée dans tous les schémas directeurs de l’aménagement et de gestion des eaux. La REUT peut ainsi être intégrée aux projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) et aux schémas d’aménagement et de gestion de l’eau (SAGE).

C’est à cette condition que l’on peut concevoir et planifier une réutilisation multiressource et multiusage (lorsqu’elle est possible et pertinente) des eaux usées. Cela permet de substituer la REUT à d’autres prélèvements sur le milieu ou à l’utilisation d’eau potable. Pour cela il faut prendre en compte de façon systématique les enjeux de restauration et de préservation des ressources et des écosystèmes

Cela nécessite également de repenser les appels d’offres et contrats de délégation de service public. Il faudrait tenir compte de la raison d’être et des fonctions diverses des stations de traitement des eaux usées, et élargir leur rôle de « stations d’épuration » à celui de véritables usines de valorisation, lorsque c’est pertinent.

Au-delà de la récupération de l’eau, on peut y prélever des nutriments, comme l’azote ou le phosphore, ou encore produire de la chaleur. Mais, pour que cela possible, il convient d’adapter en conséquence les instruments fiscaux, les modalités de tarification et plus largement les modèles économiques.

Renforcer le soutien financier à la recherche sur cette question est crucial. À diverses échelles, on peut par exemple citer le Défi Clé Water Occitanie (WOc), le projet REUTOSUD, le programme de financement Water4All ou encore le réseau européen de recherche Water4Reuse.

Cela passe aussi par la création et l’animation de structures de sensibilisation, d’échange de connaissances et de concertation. Celles-ci doivent impliquer les pouvoirs publics nationaux, régionaux et locaux aux côtés des autres parties prenantes. Ces dispositifs de recherche-action interdisciplinaire, appelés « Living Labs », sont ancrés dans les territoires et à l’interface science-politique-société. À l'image des Living Labs, mis en place dans le cadre du WOc déjà mentionné, ils doivent faciliter la conception d’outils, de services ou d’usages nouveaux autour du recyclage de l’eau.

Enfin, il convient de favoriser l’acculturation de toute la chaîne technique et administrative. Ceci passe par la formation initiale et continue des professionnels, des bureaux d’études, des élus et des fonctionnaires centraux et territoriaux. Ceci permettra une mise en œuvre plus aisée de ces nouvelles approches de gestion de l’eau, au service d’une économie circulaire de l’eau.


Ce texte a été élaboré à l’initiative d’Eau, Agriculture et Territoires, la chaire Eau, Agriculture et Changement Climatique, et le réseau REUSE d’INRAE, co-organisateurs de la première édition de la conférence internationale REUSE EUROMED qui s’est tenue du 29 au 31 octobre 2024 à Montpellier.

Les personnes suivantes ont collaboré à cet article, par ordre alphabétique :

Nassim Ait-Mouheb (Inrae ; Eau, Agriculture et Territoires), Claire Albasi (Université de Toulouse, Défi Clé Water Occitanie), Christophe Audouin (Suez), Gilles Belaud (Chaire EACC ; Eau, Agriculture et Territoires), Sami Bouarfa (Inrae ; Eau, Agriculture et Territoires), Frédéric Bouin (Université de Perpignan Via Domitia, UPVD), Pierre Compère (Explicite Conseil), Ehssan El Meknassi (Costea), Jérôme Harmand (Inrae ; Eau, Agriculture et Territoires), Marc Heran (Institut européen des membranes, Chaire SIMEV), Barbara Howes (SCP), Marie-Christine Huau (Veolia, Direction du Développement Eau), Vincent Kulesza (SCP ; Eau, Agriculture et Territoires), Rémi Lombard-Latune (Inrae ; EPNAC ; Groupe de travail national Eaux non conventionnelles), Alain Meyssonnier (Institut méditerranéen de l’eau), Bruno Molle (EIA/Inrae), Simon Olivier (Pôle de compétitivité Aqua-Valley), Carmela Orea (Eau, Agriculture et Territoires), Céline Papin (Eau, Agriculture et Territoires), Nicolas Roche (Aix-Marseille Université/University Mohammed VI Polytechnic, Eau, Agriculture et Territoires), Stéphane Ruy (Inrae, Institut Carnot), Pierre Savey (BRL ; Eau, Agriculture et Territoires) et Salomé Schneider (Chaire EACC).

The Conversation

Jérôme Harmand a reçu des financements de la Région Occitanie dans le cadre du financement du projet WOc WoD visant à étudier le traitement des eaux usées brutes pour les réutiliser. Il anime le réseau REUSE d'INRAE au niveau national et porte l'action COST CA23104 "Mainstreaming water reuse into the circular economy paradigm (Water4Reuse)".

Nassim Ait Mouheb et Sami Bouarfa ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

23.07.2025 à 17:07

Interdire les munitions au plomb pour sauver les oiseaux de l’empoisonnement ? L’exemple britannique

Deborah Pain, Visiting Academic, University of Cambridge; Honorary Professor, University of East Anglia, University of Cambridge
Niels Kanstrup, Wildlife Biologist in the Department of Ecoscience, Aarhus University
Rhys Green, Professor of Conservation Science, University of Cambridge
Pour protéger la faune sauvage, les animaux de compagnie, les animaux d’élevage et les êtres humains, les munitions au plomb doivent être remplacées partout par des alternatives sans plomb.

Texte intégral 1991 mots
La majorité des grenailles tirées ne touchent pas leur cible et des milliers de tonnes de plomb se retrouvent dispersées dans l’environnement. Chuyko Sergey/Shutterstock

La Commission européenne a proposé le 27 février 2025 d’interdire l’usage du plomb dans les munitions de chasse. Au Royaume-Uni, une pareille interdiction vient d’être annoncée. Ces mesures devraient permettre de sauver des milliers d’oiseaux mais également de protéger les humains qui consomment du gibier.


Au Royaume-Uni, la sous-secrétaire d’État à l’eau et aux inondations, Emma Hardy, a annoncé l’interdiction des munitions toxiques au plomb afin de protéger les campagnes du pays. Cette interdiction concerne la vente et l’usage, à des fins de chasse, aussi bien des cartouches de fusils chargées de plomb (comportant des centaines de petites billes appelées « grenailles ») et utilisées pour chasser le petit gibier, que des balles de gros calibre en plomb, destinées à la chasse au grand gibier, comme les cerfs.

C’est une excellente nouvelle pour les oiseaux britanniques : cette mesure devrait permettre d’épargner chaque année la vie de dizaines de milliers d’entre eux, actuellement victimes d’empoisonnements au plomb. La majorité des grenailles tirées ne touchent pas leur cible et des milliers de tonnes de plomb se retrouvent dispersées dans l’environnement chaque année. Or, les oiseaux aquatiques comme terrestres les confondent avec de la nourriture ou du gravier, qu’ils consomment pour broyer leurs aliments dans leur gésier. Les grenailles s’y désagrègent et le plomb est alors absorbé dans le sang.

On estime qu’entre 50 000 et 100 000 oiseaux d’eau meurent chaque année au Royaume-Uni des suites de cette intoxication, souvent après de longues souffrances. D’autres oiseaux subissent des effets dits « sublétaux » : leur système immunitaire et leur comportement sont altérés, ce qui augmente leur vulnérabilité face à d’autres menaces.

L’utilisation de grenailles de plomb pour la chasse aux oiseaux d’eau et au-dessus de certaines zones humides est déjà interdite en Angleterre et au Pays de Galles. En Écosse, cette interdiction s’applique à l’ensemble des zones humides, sans exception.

Cependant, le respect de la réglementation en Angleterre n’atteint qu’environ 30 %, et il est également faible en Écosse, tandis qu’aucune donnée n’est disponible pour le Pays de Galles. Cette nouvelle interdiction générale, plus étendue, devrait améliorer considérablement la situation dans tous les milieux naturels à travers la Grande-Bretagne.

Les rapaces comme les aigles, les buses variables ou les milans royaux sont également touchés : ils ingèrent des fragments de plomb en se nourrissant d’animaux tués ou blessés par des munitions en plomb. L’acidité dans leur estomac favorise l’absorption du métal. Nos recherches montrent que, bien que l’on estime que moins de rapaces que d’oiseaux d’eau meurent directement d’un empoisonnement au plomb, les conséquences sur leurs populations peuvent être bien plus graves. Cela concerne en particulier les espèces qui commencent à se reproduire tardivement, dont le taux de reproduction annuel est naturellement faible et qui, en temps normal, bénéficient d’un taux élevé de survie annuelle chez les adultes.

Ce bannissement bénéficiera aussi bien aux oiseaux résidents qu’aux migrateurs de passage au Royaume-Uni. Mais tant que d’autres pays continueront à autoriser ces munitions , les oiseaux migrateurs resteront exposés ailleurs, pendant leur trajet ou sur leurs lieux de reproduction ou d’hivernage.

Au-delà des frontières

Pour protéger toutes les espèces, les munitions au plomb doivent être remplacées partout par des alternatives sans plomb. L’usage de grenailles de plomb est déjà interdit dans de nombreuses zones humides à travers le monde. Dans l’Union européenne, (en France notamment, ndlr), une interdiction de l’utilisation de grenailles de plomb dans ou à proximité des zones humides est entrée en vigueur en février 2023 .

Le Danemark a été le premier pays à interdire les munitions au plomb dans tous les milieux. En 1996, il a interdit l’usage des grenailles de plomb et, en avril 2024, il a interdit les balles en plomb. Nos recherches montrent que l’interdiction des grenailles de plomb au Danemark a été très efficace, avec un bon niveau de conformité.

Le Royaume-Uni s’apprête maintenant à devenir le deuxième pays à interdire la plupart des usages des munitions au plomb. Cela a été rendu possible grâce à la disponibilité croissante d’alternatives sans plomb, sûres, efficaces et abordables, principalement les grenailles en acier et les balles en cuivre.

En février 2025, la Commission européenne a publié un projet de règlement interdisant la plupart des usages des munitions et des plombs de pêche en plomb. Ce projet attend encore l’approbation dans le cadre des procédures de l’UE. S’il est adopté, cela constituera une avancée majeure.

Au-delà des oiseaux

Les oiseaux sont particulièrement sensibles aux effets du plomb issu des munitions qu’ils ingèrent, en raison de leur gésier musculeux et de l’acidité de leur estomac. Mais ce plomb met aussi en danger la santé de nombreux autres animaux, y compris les animaux domestiques et les humains.

Au Royaume-Uni, nous avons trouvé dans des aliments crus pour chiens à base de faisan, provenant de trois fournisseurs, des concentrations moyennes de plomb plusieurs dizaines de fois supérieures à la limite maximale autorisée de résidus de plomb dans les aliments pour animaux.

Le gouvernement britannique a fondé sa décision d’interdire les munitions au plomb sur un rapport de l’agence REACH pour la Grande-Bretagne, ou Health and Safety Executive, qui soulignait les risques pour la santé des jeunes enfants et des femmes en âge de procréer, en cas de consommation fréquente de viande de gibier chassé avec des munitions au plomb. Le système nerveux en développement des enfants est particulièrement sensible aux effets du plomb.

Nous avons récemment appelé le comité des États appliquant la réglementation sur les produits chimiques (REACH), le Parlement européen et le Conseil à soutenir pleinement la proposition de la Commission européenne visant à restreindre les munitions au plomb.

Nous avons également encouragé l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) à recommander à la Commission européenne de fixer une limite légale maximale de plomb dans la viande de gibier commercialisée pour la consommation humaine, similaire à celle déjà établie pour la viande issue de la plupart des animaux d’élevage.

Tant que cela n’aura pas été mis en place, et tant que davantage de pays n’auront pas interdit tous les usages de munitions au plomb pour la chasse, la santé de la faune sauvage, des animaux domestiques et des groupes humains les plus vulnérables continuera d’être menacée par les effets toxiques du plomb issu de ces balles.

The Conversation

Deborah Pain est professeure honoraire à l’Université d’East Anglia (sciences biologiques) et chercheuse invitée au département de zoologie de l’Université de Cambridge. Elle est scientifique indépendante depuis avril 2018. Depuis cette date, elle n’a perçu aucune rémunération pour ses recherches sur l’intoxication au plomb, mais, avec ses collègues, elle a reçu des financements pour couvrir les coûts de la recherche et des analyses chimiques de la part de plusieurs sources, comme indiqué dans les publications scientifiques. Elle a été membre du groupe d’experts scientifiques indépendants du Royaume-Uni pour la réglementation REACH (RISEP), et dans ce cadre, du groupe de travail sur le plomb dans les munitions, ce pour quoi elle a été rémunérée. Cependant, ses travaux publiés sur l’intoxication au plomb ont été réalisés indépendamment de ce processus.

Rhys Green a reçu des financements pour ses recherches de la part de plusieurs organisations, dont la RSPB (Royal Society for the Protection of Birds), au sein de laquelle il a occupé le poste de principal scientifique en conservation jusqu’en 2017. Il est désormais à la retraite. Il est chercheur bénévole non rémunéré à la RSPB et professeur honoraire émérite en sciences de la conservation au département de zoologie de l’Université de Cambridge. Il est membre du groupe d’experts scientifiques indépendants du Royaume-Uni pour la réglementation REACH (RISEP), un groupe mis en place par une agence gouvernementale britannique, la Health & Safety Executive. Il reçoit ponctuellement des paiements pour les travaux réalisés dans le cadre de RISEP. Il siège également au conseil d’administration du zoo de Chester.

Niels Kanstrup ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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