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23.07.2025 à 16:58

Pourquoi les nazis ont volé un fragment de la tapisserie de Bayeux

Millie Horton-Insch, Postdoctoral Research Fellow, History of Art Department, Trinity College Dublin
L’obsession des nazis pour l’art européen doit être comprise comme un élément central du régime génocidaire de Hitler et de ses ambitions de domination mondiale.

Texte intégral 1272 mots

L’obsession des nazis pour l’art européen n’était pas un simple goût esthétique : elle constituait une pièce maîtresse du régime génocidaire d’Hitler et de son aspiration à la domination mondiale. La découverte d’un fragment de la tapisserie de Bayeux dans des archives allemandes en est une preuve supplémentaire.


Ce mois-ci, l’annonce de l’exposition au British Museum, en 2026, de la tapisserie de Bayeux – l’épopée brodée du XIe siècle représentant la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant en 1066 – a suscité un grand enthousiasme. Mais la tapisserie avait déjà fait parler d’elle plus tôt cette année, dans une relative indifférence.

En mars, on apprenait qu’un fragment de la tapisserie de Bayeux avait été découvert en Allemagne, dans les archives de l’État du Schleswig-Holstein. Pour comprendre comment ce fragment a pu s’y retrouver, il faut se pencher sur un épisode aussi troublant que méconnu de l’histoire de la tapisserie : l’opération spéciale Bayeux (Sonderauftrag Bayeux), un projet mené par l’Ahnenerbe, l’institut de recherche historique rattaché aux SS.

On a souvent noté que l’art occupait une place démesurée dans les préoccupations des nazis. Leur manipulation de la culture visuelle et matérielle doit être comprise comme une composante essentielle du régime génocidaire d’Hitler et de son ambition de domination mondiale.

Mythologies « aryennes »

L’Ahnenerbe, placé sous l’autorité suprême de Heinrich Himmler, avait pour mission d’élaborer et de diffuser des récits historiques soutenant la mythologie centrale du régime nazi : la « supériorité de la race aryenne ». Dans ce but, il supervisait des recherches prétendant s’appuyer sur des méthodes scientifiques irréfutables.

Mais il est établi de longue date que ces projets manipulaient délibérément les sources historiques afin de construire des récits fabriqués, servant à justifier des idéologies racistes. Pour ce faire, de nombreuses expéditions scientifiques furent organisées. Des chercheurs sillonnèrent le monde à la recherche d’objets pouvant faire office de monuments aux mythologies « aryennes ». L’opération spéciale Bayeux s’inscrivait dans cette logique.

L’intérêt des nazis pour la tapisserie de Bayeux peut surprendre les Britanniques, pour qui elle symbolise un moment fondateur de l’histoire nationale. Pourtant, de la même manière que des responsables politiques britanniques contemporains n’ont pas hésité à s’en emparer pour servir leurs agendas, l’Ahnenerbe s’en saisit.

La prétendue supériorité des Normands

Le projet Sonderauftrag Bayeux visait à produire une étude en plusieurs volumes qui présenterait la tapisserie comme intrinsèquement scandinave. L’objectif était de la brandir comme une preuve de supériorité des Normands du haut Moyen Âge, que l’Ahnenerbe revendiquait comme les ancêtres des « Aryens » allemands modernes, descendants des vikings d’Europe du Nord.

Dès juin 1941, le projet est lancé sérieusement. Parmi les membres envoyés en Normandie pour étudier la tapisserie sur place figurait Karl Schlabow, expert textile et directeur de l’Institut du costume germanique à Neumünster, en Allemagne. Il passa deux semaines à Bayeux et, à la fin de son séjour, il emporta en Allemagne un fragment du tissu de doublure de la tapisserie.

Bien que des premières sources ont suggéré que Schlabow aurait prélevé ce fragment plus tard, lorsque la tapisserie fut transférée par les nazis à Paris, il est plus probable qu’il l’ait fait en juin 1941, alors qu’il se trouvait encore à Bayeux avec les autres membres du projet.

Dans un croquis réalisé pendant cette visite par Herbert Jeschke – artiste chargé de produire une reproduction peinte de la tapisserie –, on voit Jeschke, Schlabow et le directeur du projet, Herbert Jankuhn, penchés sur la tapisserie. Le dessin est accompagné du titre enthousiaste « Die Tappiserie ! », comme un cri de joie devant le privilège d’étudier de si près ce chef-d’œuvre médiéval.

L’Ahnenerbe et le nazisme

Pour intégrer l’Ahnenerbe, Schlabow, comme les autres membres du projet, fut enrôlé dans les SS. Il portait le grade de SS-Unterscharführer, équivalent approximatif de sergent dans l’armée française. Après la guerre, beaucoup de membres de l’Ahnenerbe nièrent toute adhésion aux idées nazies.

Mais des documents saisis par les services de renseignement américains à la fin du conflit montrent qu’on pouvait être refusé à l’Ahnenerbe, par exemple, si l’on avait eu des amis juifs ou exprimé des idées communistes. Il fallait donc, au minimum, afficher son adhésion aux principes du nazisme pour être accepté dans ses rangs.

Il reste difficile de savoir exactement ce que les membres de l’Ahnenerbe espéraient découvrir ou prouver à travers cette étude de la tapisserie. Il semble que le simple fait d’organiser une étude illustrée et d’envoyer des chercheurs examiner l’objet original suffisait à s’en approprier symboliquement la valeur historique, comme un monument de l’héritage aryen. L’influence supposée des styles scandinaves dans les motifs de la tapisserie devait être au cœur de leurs conclusions – mais le projet ne fut jamais achevé en raison de la défaite allemande.

Comme beaucoup de membres de l’Ahnenerbe, Schlabow reprit ses recherches après la guerre, cette fois au musée d’État du Schleswig-Holstein, au château de Gottorf.

Un fragment symbolique

La redécouverte, même d’un infime fragment, d’un tel objet médiéval reste un événement exceptionnel. Mais il est essentiel de replacer cette trouvaille dans le contexte de son prélèvement. Il n’est pas surprenant que Schlabow se soit senti légitime à voler ce morceau de tapisserie : le régime auquel il appartenait considérait cet objet comme faisant partie de son héritage, un droit de naissance d’« Aryen allemand ».

Cette découverte nous rappelle opportunément que le passé est plus proche qu’on ne le pense, et qu’il reste encore beaucoup à faire pour éclairer les zones d’ombre laissées par les pratiques idéologiques du passé. Le fragment retrouvé est actuellement exposé au Schleswig-Holstein, mais il rejoindra le Musée de la Tapisserie de Bayeux en Normandie lors de sa réouverture en 2027, où les deux parties seront réunies pour la première fois depuis 1941.

The Conversation

Millie Horton-Insch a reçu des financements de la Leverhulme Trust.

23.07.2025 à 12:34

Que fait l’Europe face aux géants du numérique ?

Valère Ndior, Professeur de droit public, Université de Bretagne occidentale
Face aux géants du numérique, l’UE s’est dotée d’une législation ambitieuse, mais complexe dans son application. Plus largement, elle peine à s’imposer face aux plateformes.

Texte intégral 2167 mots

Pour faire face aux géants du numérique, l’Union européenne s’est dotée d’une législation ambitieuse : le règlement européen sur les services numériques. Plus d’un an après son entrée en vigueur, elle reste complexe dans son application, et peine à s’imposer face à l’arbitraire des plateformes.


Des services tels que Meta ou X se sont arrogé de longue date le pouvoir de remanier les règles affectant la vie privée ou la liberté d’expression, en fonction d’intérêts commerciaux ou d’opportunités politiques. Meta a ainsi annoncé la fin de son programme de fact-checking en matière de désinformation en janvier 2025, peu de temps avant le retour au pouvoir de Donald Trump, qui manifestait une hostilité marquée à cette politique.

Du côté des gouvernements, les décisions d’encadrement semblent osciller entre l’intervention sélective et l’inaction stratégique. Sous couvert d’ordre public ou de sécurité nationale, des réseaux sociaux ont été sanctionnés dans plusieurs pays tandis que d’autres ont échappé à la régulation. La récente interdiction aux États-Unis du réseau social chinois TikTok – pour le moment suspendue – en fournit une illustration frappante. En parallèle, Meta, qui procède à une collecte massive de données d’utilisateurs mais qui présente la qualité décisive d’être américaine, n’a pas été inquiétée. Cet encadrement à géométrie variable alimente un sentiment de déséquilibre.

Le Digital Services Act, un modèle de cogestion de l’espace numérique à inventer

L’Union européenne tente de s’imposer comme un rempart avec une nouvelle législation, le règlement européen sur les services numériques (Digital Services Act en anglais, ou DSA), entré en application en février 2024, qui vise notamment à introduire davantage de transparence dans les actions de modération des contenus et à construire un écosystème de responsabilité partagée.

Désormais, les plateformes doivent, non seulement, justifier leurs décisions de modération, mais aussi remettre aux autorités compétentes des rapports de transparence ayant vocation à être publiés. Ces rapports contiennent – en principe – des données précises sur les actions de modération menées, les techniques employées à cette fin ou les effectifs mobilisés.

Le DSA a également formalisé le rôle des « signaleurs de confiance », souvent des organisations de la société civile désignées pour leur expertise et dont les signalements doivent être traités en priorité. La liste de ces entités s’allonge, signe que ce dispositif est désormais opérationnel : en France, deux associations de protection des jeunes et de l’enfance en font partie (e-Enfance et Point de Contact), avec l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie et l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle.

Par ailleurs, les utilisateurs disposent de nouvelles voies de recours, incarnées par des organismes de règlement extrajudiciaire des litiges. Des structures comme l’Appeals Centre Europe ou l’User Rights proposent déjà de telles procédures, destinées à contester des décisions de modération des plateformes.

De premières enquêtes en cours contre des géants du numérique

Ces mécanismes sont déjà mobilisés par les utilisateurs de réseaux sociaux et ont déjà produit leurs premières décisions. L’Appeals Centre Europe annonçait en mars 2025 avoir reçu plus d’un millier de recours et adopté une centaine de décisions. Toutefois, compte tenu de leur création toute récente, il conviendra d’attendre la publication de leurs premiers rapports de transparence, dans les prochains mois, pour tirer de premiers bilans.

Sur la base de cette nouvelle réglementation, la Commission européenne a déclenché, depuis la fin de l’année 2023, plusieurs enquêtes visant à déterminer la conformité au DSA des activités d’une variété de services numériques. Compte tenu de la complexité et de la technicité des procédures et investigations (parfois entravées par le défaut de coopération ou les provocations des entités ciblées), plusieurs mois semblent encore nécessaires pour en évaluer l’impact.

De même, l’autorité indépendante chargée d’appliquer le DSA sur le territoire français en tant que coordinateur national, l’Arcom, a mis en œuvre les missions qui lui sont attribuées, notamment sur le fondement de la loi du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique. Celle-ci l’habilite à mener des inspections et des contrôles sur le fondement du droit européen : elle a notamment conduit, en 2025, des enquêtes visant des sites pornographiques n’ayant pas mis en place des procédés adéquats de vérification de l’âge des visiteurs, enquêtes pouvant mener à terme au blocage.

Le DSA, un rempart fragile entravé dans sa mise en œuvre

Toutefois, le dispositif sophistiqué du DSA peine à emporter la conviction de la société civile et de nombre d’acteurs politiques, prompts à exiger l’adoption rapide de mesures de contrôle et de sanction. Ce texte se trouve par ailleurs confronté à plusieurs catégories de défis qui échappent à la seule rationalité du droit.

Premièrement, ce texte doit trouver à s’appliquer dans un contexte de vives tensions politiques et sociétales. De ce point de vue, les élections européennes et nationales de 2024 ont constitué un test notable – parfois peu concluant comme le montre l’annulation du premier tour du scrutin présidentiel en Roumanie en raison d’allégations de manipulation des algorithmes de TikTok.

Les lignes directrices produites par la Commission en mars 2024 avaient pourtant appelé les très grandes plateformes à assumer leurs responsabilités, en se soumettant notamment à des standards accrus en matière de pluralisme et de conformité aux droits fondamentaux. TikTok et Meta, notamment, s’étaient engagés à prendre des mesures pour identifier les contenus politiques générés par intelligence artificielle. Le rapport post-électoral de juin 2025 rédigé par la commission confirme que ces mesures n’ont pas été suffisantes, et que la protection de l’intégrité de l’environnement numérique en période de campagne restera un défi pour les années à venir.

Deuxièmement, le DSA peut être marginalisé par les États membres eux-mêmes, susceptibles d’exercer une forme de soft power contournant les mécanismes formels introduits par cette législation. La neutralisation par TikTok, en juin 2025, du hashtag #SkinnyTok, associé à l’apologie de la maigreur extrême, a été présentée comme résultant d’une action directe du gouvernement français plutôt que d’une mise en œuvre formelle des procédures du DSA. En creux, les déclarations politiques de l’exécutif français laissent à penser que les actions de ce dernier peuvent se substituer à la mise en œuvre du droit européen, voire la court-circuiter.

Troisièmement, enfin, la géopolitique affecte indéniablement la mise en œuvre du droit européen. En effet, le DSA vise à réguler des multinationales principalement basées aux États-Unis, ce qui engendre une friction entre des référentiels juridiques, culturels et politiques différents. En atteste l’invocation du premier amendement de la Constitution des États-Unis relatif à la liberté d’expression pour contester l’application du droit européen, ou les menaces de la Maison-Blanche à l’égard de l’UE visant à la dissuader de sanctionner des entreprises états-uniennes.

Rappelons d’ailleurs l’adoption par Donald Trump d’un décret évoquant la possibilité d’émettre des sanctions à l’encontre des États qui réguleraient les activités d’entreprises américaines dans le secteur numérique, sur le fondement de considérations de « souveraineté » et de « compétitivité ». Ces pressions sont d’autant plus préjudiciables qu’il n’existe pas d’alternatives européennes susceptibles d’attirer des volumes d’utilisateurs comparables à ceux des réseaux sociaux détenus par des entreprises états-uniennes ou chinoises.

Un texte remis en cause avant même sa pleine mise en œuvre

Le DSA fait ainsi l’objet de remises en cause par des acteurs tant extérieurs à l’UE qu’internes. D’aucuns critiquent sa complexité ou sa simple existence, tandis que d’autres réclament une application plus agressive. L’entrée en application de ce texte n’avait pourtant pas vocation à être une solution miracle à tous les problèmes de modération. En outre, dans la mesure où l’UE a entendu substituer à un phénomène opaque d’autorégulation des plateformes un modèle exigeant de corégulation impliquant acteurs publics, entreprises et société civile, le succès du DSA dépend du développement d’un écosystème complexe où les règles contraignantes font l’objet d’une pression politique et citoyenne constante, et sont complétées par des codes de conduite volontaires.

Les actions et déclarations des parties prenantes dans le débat public – par exemple, les régulières allégations de censure émises par certains propriétaires de plateformes – suscitent une confusion certaine dans la compréhension de ce que permet, ou non, la réglementation existante. Des outils d’encadrement des réseaux sociaux existent déjà : il convient d’en évaluer la teneur et la portée avec recul, et de les exploiter efficacement et rigoureusement, avant d’appeler à la création de nouvelles réglementations de circonstance, qui pourraient nuire davantage aux droits des individus en ligne.

Cet article est proposé en partenariat avec le colloque « Les propagations, un nouveau paradigme pour les sciences sociales ? », qui se tiendra à Cerisy (Manche), du 25 juillet au 31 juillet 2025.

The Conversation

Valère Ndior est membre de l'Institut universitaire de France, dont la mission est de favoriser le développement de la recherche de haut niveau dans les établissements publics d’enseignement supérieur relevant du ministère chargé de l’enseignement supérieur et de renforcer l’interdisciplinarité. Il bénéficie à ce titre d'un financement public destiné à mener, en toute indépendance, des recherches académiques, dans le cadre d'un projet de cinq ans, hébergé à l'université de Brest et consacré à la gouvernance et la régulation des réseaux sociaux. Il ne reçoit aucune instruction ou directive dans le cadre de cette activité.

22.07.2025 à 16:41

Communautés en ligne : (re)connecter les personnes en quête de perte de poids et les professionnels de santé

Steffie Gallin, Professeur Assistant, Montpellier Business School
Laurie Balbo, Professeure Associée en Marketing _Directrice du Programme MSc Digital Marketing & Data Analytics, Grenoble École de Management (GEM)
Marie-Christine Lichtlé, Professeur des Universités, Co-Responsable de la Chaire MARÉSON, Université de Montpellier
Face aux influenceurs qui vantent l’usage détourné de médicaments type Ozempic, les communautés en ligne pour perdre du poids, encadrées par des professionnels de santé, pourraient être une alternative.

Texte intégral 1839 mots

Les personnes désireuses de perdre du poids se rassemblent de plus en plus dans des communautés en ligne. À l’heure où certains influenceurs font la promotion de méthodes amaigrissantes risquées allant jusqu’à l’usage détourné de médicaments, ces espaces numériques pourraient – s’ils étaient encadrés par des professionnels de santé – devenir un complément utile à l’accompagnement médical traditionnel.


Un Français sur deux est en situation de surpoids ou d’obésité. Pour tenter de perdre du poids, les personnes concernées ne font plus seulement appel aux professionnels de santé.

Il existe notamment des communautés en ligne consacrées au soutien à la perte de poids, qui proposent d’échanger avec des « pairs », des personnes « comme nous », qui rencontrent la même problématique.

Des communautés en ligne, sur les réseaux, entre patients…

Tantôt rattachées à une marque (à l’image de la très connue communauté Weight Watchers), tantôt lancées à l’initiative d’internautes sur des sites de santé généralistes (par exemple, Doctissimo) ou sur des réseaux sociaux, disposant parfois d’un comité scientifique composé de médecins (à l’image de certaines communautés entre patients, par exemple Carenity), ces communautés perdurent et continuent d’attirer de nouveaux membres.

Comment expliquer leur succès ? Peuvent-elles constituer un levier vers des comportements alimentaires plus équilibrés ? Comment concilier leur approche avec la prise en charge proposée par des professionnels de santé ?

La place prise par les influenceurs autour des régimes amaigrissants

La perte de poids est un parcours du combattant. C’est ce qui ressort des témoignages recueillis dans notre étude. De nature qualitative, elle a été menée auprès de 25 utilisateurs de communautés en ligne.

Annie, 43 ans, indique par exemple :

« J’aime bien la bonne cuisine, mais je me reprends en main du coup. Je pense que ce régime, ce sera jusqu’à la fin de ma vie, ça m’a aidée à prendre conscience que le surpoids se gère, mais c’est une attention de tous les jours. »

Différentes stratégies sont mises en œuvre pour perdre du poids : par exemple, se rendre dans le cabinet d’un professionnel de santé ou entreprendre un régime hypocalorique à l’instar du célèbre programme Weight Watchers (la marque a cessé ses activités en France fin 2024).

Mais désormais, certaines personnes qui souhaitent maigrir suivent des influenceurs santé/bien-être sur les réseaux sociaux. Cela témoigne d’une nouvelle ère pour les régimes dans laquelle les influenceurs sont particulièrement écoutés.

Les risques liés à la promotion d’usages détournés de médicaments

Actuellement, les influenceurs font une large promotion des sémaglutides tels que l’Ozempic, hors de tout contrôle médical, ce qui présente des risques contre lesquels les autorités de santé ont alerté. Ozempic est en effet un médicament contre le diabète qui est détourné de manière illégale de son usage initial parce qu’il induit une perte de poids.

À noter qu’il existe désormais une version de la même molécule, commercialisée sous le nom de Wegovy, indiquée cette fois pour traiter l’obésité dans des situations très précises. Ce nouveau médicament n’est disponible que sur ordonnance et les prescriptions sont très encadrées.


À lire aussi : Ozempic et perte de poids : les risques derrière le mauvais usage de cet antidiabétique


Des « communautés de soutien » avec des personnes qui « nous ressemblent »

De nombreuses personnes se tournent également vers des communautés pour partager leur parcours de perte de poids et s’entraider.

Sabah, 35 ans, témoigne :

« Juste le fait de partager nos difficultés, je pense que ça fait quelque chose. Ça peut remonter le moral. »

Ces communautés aident à maintenir sa motivation, au travers des échanges avec des personnes qui ont le même vécu.

Lise, 53 ans, explique :

« Il y a une chose qui m’a toujours paru assez difficile, c’est d’être conseillée pour maigrir par des personnes qui sont filiformes. Quelque part, est-ce qu’elles savent vraiment ce que c’est qu’un régime et le vécu d’un régime ? […] Il y a une compréhension dans ces communautés qu’on n’a pas forcément avec un professionnel. »

Le corps médical ne peut donc plus omettre l’existence de ces lieux de rassemblement, de même que l’écoute et l’empathie dont les patients ont besoin et que ces professionnels n’ont pas toujours le temps de donner.

Ces communautés en ligne créées pour perdre du poids sont désignées par les participants comme des « communautés de soutien ». Le partage est au cœur de ces communautés.

Estelle, 32 ans, analyse :

« Je pense que quand on fait cette démarche-là d’aller sur les forums, on cherche à partager, à se soutenir. »

Ce soutien peut être de nature informationnelle, lorsque les utilisateurs échangent des conseils et des astuces, mais aussi de nature émotionnelle.

Jennifer, 22 ans, rapporte :

« Ça fait plaisir quand on dit qu’on a perdu du poids ou qu’on a fait un excès. C’est bien de se voir écrire “Continue, courage”. »

Les participants cherchent à échanger avec des personnes et « des profils qui [leur] ressemblent ». « Dans la même galère », « des personnes qui sont comme moi », « se trouver des points communs » constituent autant de façons de faire référence à des personnes que l’on pense être comme nous, auxquelles on s’identifie.

Un espace de partage pour manger mieux ?

Notre seconde étude, quantitative, menée auprès de 335 utilisateurs de communautés, montre que plus l’utilisateur se sent soutenu, plus il s’identifie aux membres de la communauté. Cependant, dans tout rassemblement social, des règles doivent être respectées pour que les échanges soient les plus sereins et profitables possibles.

Les règles ou normes qui régissent les communautés sont nombreuses : ne pas juger les autres, afficher sa perte de poids chaque semaine, être sincère, afficher ses menus, ne pas suivre de régime restrictif, participer tous les jours à la communauté ou encore se fixer un objectif précis.

Notre étude montre que plus les participants se conforment à ces règles, plus leur auto-efficacité augmente, ce qui se traduit notamment par une plus grande consommation de fruits et légumes, conformément aux recommandations officielles et à la littérature scientifique. Cette stratégie est reconnue comme efficace pour perdre du poids.

Claude, 70 ans, lorsqu’elle parle d’un partage de recettes sur la communauté, indique également :

« C’était un gratin de pâtes au saumon. Avec un poisson. Ça m’a donné une idée, car je n’ai pas l’habitude de faire ça. »

Myriam, 32 ans, ajoute :

« J’ai intégré le chocolat par exemple dans mon régime alimentaire alors que je ne mange pas du tout de chocolat de base. Je suis plutôt grignotage salé. Le fait d’avoir intégré le chocolat, je me rends compte que ça m’aide à tenir le coup sur une journée. C’est un petit moment de plaisir et ça, c’est un conseil que j’ai eu sur les forums. »

Un accompagnement supplémentaire pour les patients

Alors qu’une de nos précédentes recherches menée auprès de 23 experts en nutrition avait montré la défiance des professionnels de santé vis-à-vis de ces communautés en ligne (informations erronées possibles, trop de croyances, incitation à entreprendre des régimes restrictifs par exemple), ces experts pourraient en tirer parti pour une prise en charge multidimensionnelle du surpoids et de l’obésité.

Le recours à ces communautés pourrait constituer un accompagnement complémentaire dans le contexte actuel, dans lequel l’accent est mis sur le traitement des causes, et non seulement des conséquences de l’obésité, en faisant appel à des experts en nutrition mais aussi à des psychologues, des cardiologues et d’autres professionnels.

Alternatives aux communautés qui prônent des régimes décriés pour leur côté restrictif, des communautés développées, alimentées et encadrées par des professionnels de santé pourraient être source de bien-être psychologique pour leurs patients.


À lire aussi : L’illusion perdue des régimes amaigrissants


Il reste encore du chemin à parcourir pour mieux (re)connecter patients et professionnels de santé. Le soutien doit être au cœur de la prise en charge du surpoids et de l’obésité, car il permet d’atteindre plus facilement ses objectifs.

The Conversation

Laurie Balbo a reçu des financements de l'ANR.

Marie-Christine Lichtlé et Steffie Gallin ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

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