06.03.2025 à 15:31
Chicago, Houston, San Francisco… un krach budgétaire se profile pour les villes américaines
Des coûts en hausse et des recettes qui baissent, c’est le dangereux cocktail que connaissent de nombreuses villes des États-Unis. Et l’administration Trump pourrait les abandonner à leur sort, le président ayant dit tout le mal qu’il pense des grandes villes. Un abandon qui pourrait aller jusqu’à laisser un krach survenir ? Cinq ans après le début de la pandémie de Covid-19, de nombreuses villes états-uniennes s’adaptent encore tant bien que mal à la « nouvelle normalité », avec davantage de télétravail et une activité économique réduite dans les centres-villes. D’autres facteurs, tels que les régimes de retraite sous-financés des employés municipaux, font basculer de nombreux budgets municipaux dans le rouge. Si ces difficultés budgétaires des villes ne sont pas nouvelles, elles touchaient jusqu’ici principalement les villes de petite taille, pauvres ou dirigées par des gestionnaires incompétents. Aujourd’hui, même de grandes villes comme Chicago, Houston ou San Francisco notamment, sont en proie à de graves difficultés financières. Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui ! À terme, cela pourrait menacer le pays tout entier sur le plan financier, tant l’ampleur que la crise pourrait prendre est grande. Les causes sont multiples, et l’on peut citer le changement climatique, le déclin de l’activité dans les centres-villes, la perte de fonds fédéraux et des engagements importants en matière de pensions de retraite. Les coupes budgétaires abondent dans de nombreuses villes des États-Unis alors que l’inflation persiste et que les mesures de relance liées à l’époque de la pandémie voient leur ampleur diminuer. De nombreuses villes des États-Unis ont été confrontées à des crises budgétaires au cours du siècle dernier, pour diverses raisons. Le plus souvent, ces difficultés financières survenaient après un ralentissement économique ou une forte baisse des recettes fiscales. Les municipalités de Floride ont commencé à faire défaut en 1926 après l’effondrement qui a suivi un boom immobilier. Les défauts de paiement des municipalités étaient fréquents dans tout le pays dans les années 1930, durant la Grande Dépression. À mesure que le chômage augmentait, les dépenses sociales gonflaient et les recettes fiscales diminuaient. En 1934, le Congrès a modifié le Code états-unien des faillites pour permettre aux municipalités de déposer officiellement le bilan. Par la suite, 27 États ont promulgué des lois autorisant les villes à devenir débitrices et à demander la protection de la loi sur les faillites. Déclarer faillite n’était pas une panacée. Si cela permettait aux villes de refinancer leur dette ou d’étaler les échéances de paiement, cela pouvait aussi entraîner une augmentation des impôts et des taxes pour les habitants, ainsi qu’une baisse des salaires et des avantages sociaux pour les employés municipaux. Et la mise en faillite risquait de stigmatiser une ville pendant de nombreuses années par la suite. Dans les années 1960 et 1970, de nombreux habitants et entreprises ont quitté les villes pour s’installer dans les banlieues voisines. Plusieurs villes, dont New York, Cleveland et Philadelphie, ont eu du mal à rembourser leurs dettes à mesure que leur assiette fiscale diminuait.
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De quoi les images de l’effondrement de Detroit sont-elles le nom ?
À la suite de l’effondrement du marché immobilier en 2008-2009, des villes comme Detroit, San Bernardino, Californie et Stockton, Californie, ont déposé le bilan. D’autres villes ont rencontré des difficultés similaires, mais étaient situées dans des États qui n’autorisaient pas les municipalités à déclarer faillite. Même les grandes juridictions aisées peuvent dérailler financièrement. Par exemple, le comté d’Orange, en Californie, a fait faillite en 2002 après que son trésorier Robert L. Citron a poursuivi une stratégie d’investissement risquée de transactions complexes à effet de levier, perdant quelque 1,65 milliard de dollars de fonds publics. Aujourd’hui, les villes sont confrontées à une convergence de coûts croissants et de revenus décroissants dans de nombreux endroits. Au point que la crise fiscale dans les villes est désormais un défi national omniprésent. Le changement climatique et l’augmentation du nombre de catastrophes majeures qui en découlent exercent une pression financière sur les municipalités à travers le pays. Les événements tels que les incendies de forêt et les inondations ont un double effet sur les finances des villes. Tout d’abord, il faut dépenser de l’argent pour reconstruire les infrastructures endommagées, telles que les routes, les conduites d’eau et les bâtiments publics. Ensuite, après la catastrophe, les villes peuvent agir de leur propre initiative ou être tenues, en vertu de la législation nationale ou fédérale, de réaliser des investissements coûteux pour se préparer à la prochaine tempête ou au prochain incendie de forêt. À Houston, par exemple, les décisions de justice rendues après plusieurs années d’inondations graves obligent la ville à dépenser 100 millions de dollars pour réparer les rues et les canalisations d’ici à la mi 2025. Cette exigence augmentera le déficit du budget annuel de Houston à 330 millions de dollars. Dans le Massachusetts, les villes de Cape Cod dépensent des millions de dollars pour passer des fosses septiques aux égouts publics et moderniser les stations d’épuration des eaux usées. La croissance démographique a fortement augmenté la pollution de l’eau sur le cap, et le changement climatique favorise la prolifération d’algues toxiques qui se nourrissent des nutriments présents dans les eaux usées. L’incertitude croissante quant aux coûts totaux de l’atténuation et de l’adaptation au changement climatique conduira inévitablement les agences de notation à abaisser la note de crédit des municipalités. Cela augmentera les coûts d’emprunt des villes pour des projets liés au climat, comme la protection des côtes et l’amélioration du traitement des eaux usées. Les villes dépensent également beaucoup d’argent pour leurs employés, et de nombreuses grandes villes ont du mal à financer les retraites et les prestations de santé de leur main-d’œuvre. Comme les retraités municipaux vivent plus longtemps et ont besoin de davantage de soins de santé, les coûts totaux augmentent. Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui ! Par exemple, Chicago est actuellement confrontée à un déficit budgétaire de près d’un milliard de dollars, qui résulte en partie du sous-financement des retraites de près de 30 000 employés du secteur public. La ville a 35 milliards de dollars de passifs non financés au titre des retraites et près de 2 milliards de dollars de prestations de santé pour les retraités. Quatorze milliards de prestations sociales non financées sont dues aux enseignants de Chicago. Des recherches en sciences politiques ont montré depuis longtemps que les dirigeants politiques ont tendance à sous-financer les retraites et les prestations de retraite des fonctionnaires. Cette approche fait supporter le coût réel de la police, de la protection contre les incendies et de l’éducation aux contribuables du futur. Les villes ne sont pas seulement confrontées à une augmentation des coûts, elles perdent également des revenus. Dans de nombreuses villes des États-Unis, l’activité économique liée au commerce de détail et aux bureaux commerciaux est en déclin. Les promoteurs ont construit trop de surfaces commerciales, créant une offre excédentaire. La hausse des espaces commerciaux vacants induit des recettes fiscales plus faibles. Dans le même temps, l’aide fédérale liée à la pandémie, qui a permis un temps d’amortir les difficultés rencontrées par les finances municipales de 2020 à 2024 s’amenuise. Les gouvernements des États et les administrations locales ont reçu 150 milliards de dollars dans le cadre de la loi CARES (Coronavirus Aid, Relief, and Economic Security Act) de 2020 et 130 milliards de dollars supplémentaires par le biais de la loi de 2021 American Rescue Plan Act. Cependant, cette largesse fédérale, dont certaines villes se sont servies pour combler des déficits budgétaires croissants, touche à sa fin. Du côté de leurs ressources, les municipalités peuvent agir sur différentes bases taxables : les ventes de biens et services, les entreprises, les biens immobiliers et les services publics. Néanmoins, il peut être très difficile d’augmenter les impôts municipaux, en particulier les impôts fonciers. En 1978, la Californie a adopté la Proposition 13, une mesure soumise à référendum qui limitait les augmentations de l’impôt foncier au taux d’inflation ou à 2 % par an, le plus faible des deux étant retenu. Cette campagne très médiatisée a créé un discours généralisé selon lequel les impôts fonciers étaient hors de contrôle, et elle a rendu très difficile pour les élus locaux de soutenir les augmentations d’impôts fonciers. En raison de plafonds tels que la Proposition 13, à cause d’une opinion publique qui continue d’estimer que les impôts sont trop élevés et du fait d’une résistance politique, les impôts fonciers ont eu tendance à être inférieurs à l’inflation dans de nombreuses régions du pays. Si l’on prend tous ces facteurs en compte, une crise fiscale d’ampleur se profile. Les petites villes aux budgets modestes sont particulièrement vulnérables. Mais les villes plus grandes et plus riches le sont aussi, comme San Francisco avec son marché des bureaux en plein effondrement, ou Houston, New York et Miami, qui sont confrontés à des coûts croissants liés au changement climatique. Un directeur municipal qui dirige une municipalité aisée du nord-ouest du Pacifique indiquait que, dans ces circonstances difficiles, les représentants politiques doivent être plus francs et transparents avec leurs électeurs et expliquer de manière convaincante comment et pourquoi l’argent des contribuables est dépensé. Les efforts visant à équilibrer les budgets municipaux sont l’occasion de parvenir à un consensus avec le public sur ce que les municipalités peuvent faire, et à quel prix. Les mois à venir montreront si les élus et les habitants des villes sont prêts pour ce dialogue qui s’annonce difficile. Il est très peu probable que l’administration du président Donald Trump vienne à la rescousse des zones urbaines, en particulier des villes plus libérales comme Detroit, Philadelphie et San Francisco. Trump a dépeint les grandes villes gouvernées par des démocrates dans les termes les plus sombres – qualifiant, par exemple, Baltimore de « désordre infesté de rongeurs » et Washington D. C., de « piège mortel, sale et gangrené par le crime ». L’animosité de Trump envers les grandes villes, qui était un élément clé de sa campagne de 2024, pourrait devenir une des caractéristiques de son second mandat. John Rennie Short ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche. Texte intégral 2587 mots
D’inquiétants précédents au XXᵉ siècle
Comment sortir de la faillite ?
Catastrophes climatiques
Des retraites sous-financées
Des centres-villes en difficulté et un soutien fédéral moindre
Résistance aux nouvelles taxes
La crise qui s’annonce
06.03.2025 à 15:23
En Inde, la pratique de la dot est interdite depuis 1961. Pourtant, le nombre de victimes de crimes liés à la dot ne cesse d’augmenter, ce qui aggrave la précarité et la vulnérabilité des femmes. La persistance de cette pratique met en lumière la résistance de la société indienne à l’interdiction de ce qui est moins une tradition que le reflet de la marchandisation croissante de la société où tout, même le corps des femmes, devient un enjeu économique. Trente-cinq mille quatre cent quatre-vingt-treize (35 493) : c’est le nombre de femmes tuées entre 2017 et 2022 en Inde à la suite de conflits liés à la dot, selon le Bureau national des registres criminels. Ces données officielles sont sans doute inférieures à la réalité : de nombreuses dowry deaths (morts pour cause de dot) sont déguisées en suicides ou en accidents domestiques. Au-delà, bien d’autres formes de violences sont faites aux femmes et aux filles à cause du système de dot. Pourtant, celle-ci est interdite en Inde depuis plus de soixante ans. Est-ce la loi qui est mal faite ou est-ce son application qui fait défaut ? Et comment protéger les femmes et les filles indiennes de la pratique dotale face à une loi et une justice défaillantes ? Selon le Robert, la dot est « un bien qu’une femme apporte en se mariant ». En Inde, le paiement de la dot incombe majoritairement à la famille de la mariée. Toutefois, cette pratique y est illégale depuis la loi sur l’interdiction de la dot (The Dowry Prohibition Act (DPA) 1961), votée grâce aux efforts du Mouvement indien des femmes. Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui ! La loi, amendée à deux reprises au milieu des années 1980, définit la dot comme « tout bien ou toute valeur mobilière donné ou qu’il a été convenu de donner, directement ou indirectement, par l’un des époux à l’autre, à la belle-famille ou à toute autre personne avant, au moment ou après le mariage » (Section 2, DPA 1961). Les « cadeaux » entre époux ou à la belle-famille au moment du mariage restent autorisés dès lors que ces derniers n’ont pas été exigés. La loi ne s’applique pas non plus au « mahr » (c’est-à-dire les dons du fiancé ou de sa famille à la future mariée ou à sa famille) lorsque les époux sont soumis au droit islamique. Pour rappel, en Inde, en l’absence d’un Code civil unifié, le mariage est régi par les lois des communautés religieuses auxquelles appartiennent les époux. La dot est sanctionnée civilement et pénalement. Sur le plan civil, la loi prévoit que toute convention concernant la remise ou la réception d’une dot est nulle (Section 5, DPA 1961), donc privée d’effets juridiques. Sur le plan pénal, la loi incrimine la remise, l’acceptation, l’exigence, l’incitation, ainsi que la publicité d’une dot en vue d’un mariage. Les peines encourues varient de six mois à cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 10 000 à 15 000 roupies (de 105 à 160 euros environ), ou d’un montant proportionnel à la valeur de la dot impliquée lorsque celle-ci est supérieure à 15 000 roupies (Sections 3, 4 et 4-A, DPA 1961). Sous l’impulsion des féministes indiennes, le code pénal a été amendé deux nouvelles fois pour inclure des infractions spécifiques à la dot, avec l’introduction des notions de dowry cruelty en 1983 et dowry death en 1986. La dowry cruelty, passible de trois ans d’emprisonnement et d’une peine d’amende, désigne tout acte de cruauté infligé à une femme par son mari ou sa belle-famille en lien avec une demande de dot. Il peut s’agir de blessures graves, d’une mise en danger de sa vie, de sa santé mentale ou physique, de harcèlement moral ou de tout autre comportement délibéré de nature à la pousser au suicide (Section 498-A du Code pénal indien). Le crime de dowry death est puni d’une peine d’emprisonnement allant de sept ans à la prison à perpétuité, assortie d’une amende. Ce crime est considéré comme tel « lorsque la mort d’une femme est causée par des brûlures ou des blessures corporelles, ou lorsqu’elle intervient dans des circonstances anormales au cours des sept années suivant le mariage et qu’il est démontré que, peu avant la mort, la victime a été sujette à des actes de cruauté ou de harcèlement de la part de son mari ou de la famille de son mari, en relation avec une demande de dot » (Section 304-B code pénal indien). Depuis 2005, le harcèlement d’une femme pour exiger une dot peut aussi être sanctionné en vertu de la loi sur la Protection des femmes contre la violence domestique (Section 3-b). Mais malgré les efforts de la législation indienne pour éradiquer la pratique de la dot, celle-ci persiste dans les familles de toutes classes sociales. Pis : elle est en expansion. Les chercheurs Gaurav Chiplunkar et Jeffrey Weaver expliquent que plusieurs facteurs économiques contribuent à la perpétuation et à la hausse de la pratique de la dot dans le marché matrimonial indien. La « qualité du mari » joue un rôle capital. D’après leur étude, plus les futurs maris sont de « qualité supérieure » – qualité définie selon le niveau d’éducation et le prestige de la profession –, plus le montant de la dot est élevé, contraignant les familles des futures mariées à verser la dot demandée sous peine de devoir marier leurs filles à des prétendants de « moindre qualité ». De plus, ils soulignent que les maris ont un intérêt économique certain à accepter une dot, notamment si leur famille souhaite compenser les investissements réalisés dans leurs études ou doit, à son tour, payer une dot pour le mariage de leurs filles. D’autres chercheurs mettent en évidence le fait que l’exigence de la dot est devenue, pour les familles des maris, un moyen d’acquérir de nouveaux produits (moto, téléphone, voyage, appartement, voiture, etc.). Ces motifs consuméristes rabaissent le statut des femmes et des filles et contribuent à l’instauration d’un contexte général propice aux violences à leur égard. La dot est en effet l’une des principales causes de violences conjugales et familiales en Inde. Chaque année, des milliers de femmes sont tuées par leur mari et/ou leur belle-famille pour une dot jugée insuffisante, non honorée ou parce que leurs parents ne peuvent plus répondre aux nouvelles demandes de dot. Selon une étude publiée dans The Lancet, le nombre de dowry deaths communiqué officiellement est largement inférieur à la réalité. Les auteurs de l’étude soulignent que de nombreux crimes liés à la dot sont maquillés en accidents domestiques. Les crimes relevant de la dowry cruelty, perpétrés pour les mêmes raisons, sont aussi extrêmement courants. La mort très médiatisée de trois sœurs dans le Rajasthan en 2022 le rappelle. Le système dotal en Inde contribue à la marchandisation de la femme sur le marché matrimonial. Avant le mariage, son « éligibilité » à se marier dépend de sa valeur marchande, comme le rapporte Gunjan Tiwari (nom d’emprunt) à la BBC : « Mon père dit que cela ne fait que six ans qu’il a commencé à chercher un marié pour moi. Sans dot, dit-il, il ne pourra pas me trouver un mari même s’il cherchait pendant 60 ans. » Une fois mariées, de nombreuses femmes indiennes passent sous le joug du mari et/ou de la belle-famille et deviennent un « capital » au profit de ces derniers. Leur valeur, leur vie et leur santé (physique et mentale) sont alors conditionnées par les biens ou l’argent qu’elles peuvent leur apporter. C’est dans ce contexte que Manjullama, 18 ans, a été tuée parce que ses parents n’étaient pas en mesure « de payer la moto réclamée par son mari ». Exemple parmi d’autres. Les violences faites aux femmes et relatives à la dot peuvent aussi commencer peu après ou avant leur naissance. Des infanticides (actifs ou passifs) sur des fillettes à la naissance pour des raisons liées à la dot ont longtemps été pratiqués à la demande ou par des familles elles-mêmes. Avec le développement des techniques de diagnostics prénataux, ces cas d’infanticides ont été majoritairement remplacés par des avortements sexo-sélectifs, malgré leur interdiction depuis une loi de 1994. L’ONU estime le nombre de tels avortements par crainte de la dot à près de 400 000 chaque année en Inde.
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De plus, il existe une corrélation entre le prix de l’or, la dot et la vie des filles indiennes : lorsque le prix de l’or est en hausse, le montant de la dot augmente mais l’espérance de vie des filles diminue. En effet, une certaine quantité d’or est généralement exigée par la belle-famille dans le cadre de la dot. Par conséquent, les parents évitent d’avoir une fille pour ne pas avoir à payer une telle dot plus tard. Par ailleurs, les travaux de l’anthropologue judiciaire Karine Bates démontrent qu’il est fréquent qu’une femme indienne subisse des pressions de la part de sa belle-famille pour mettre fin à sa grossesse si elle attend une fille, en partie pour des questions relatives à la dot. Cette sélection des naissances a conduit à un très fort déséquilibre du ratio femmes-hommes avec un nombre de femmes inférieur à celui des hommes, entraînant d’autres répercussions telles que le trafic de jeunes femmes qui sont revendues à des hommes célibataires ou la polyandrie qui permet à une femme d’épouser un ou plusieurs frères de son mari. Les dispositions légales dans la lutte contre la dot depuis 1961, bien qu’elles représentent un progrès, comportent certaines failles. Le Code pénal indien n’établit de responsabilité présumée pour les dowry deaths que pour une durée de sept ans après le mariage. Or, les violences relatives à la dot peuvent survenir à tout moment, même des années après le mariage du fait de nouvelles demandes de dot. De plus, la dowry cruelty fait référence à un acte de « cruauté » fondé sur une demande de dot. Toutefois, cette notion de « cruauté » n’est pas définie, ce qui semble laisser supposer qu’une certaine dose de violence est tolérable. Plusieurs auteurs ont également souligné la lenteur de la procédure judiciaire, ainsi que le faible taux de condamnations dans les affaires de dowry deaths. Trop souvent, ces meurtres sont déguisés en accidents domestiques et ne font pas l’objet d’une enquête approfondie. Le manque de confiance envers la police incite aussi de nombreuses femmes indiennes à renoncer à porter plainte. En 2012, le décès d’une étudiante victime d’un viol collectif avait suscité une prise de conscience générale des violences faites aux femmes dans le pays. La mobilisation de la population après ce drame a permis l’adoption de réformes législatives et le lancement d’actions de sensibilisation pour protéger les femmes. Ces initiatives doivent être étendues à la lutte contre les violences liées à la dot, et s’accompagner d’une application moins laxiste des lois existantes. Il est également important d’encourager les campagnes de sensibilisation visant à modifier les mentalités sur la préférence pour les garçons à la naissance. À cet égard, les jeunes artistes indiens, tels que la poétesse et militante féministe Aranya Johar, ont un rôle clé à jouer grâce à leur impact positif sur la scène nationale et internationale. Enfin, les actions menées par les femmes du « Gang du sari rose », un groupe féminin d’autodéfense, sont également encourageantes. Allane Madanamoothoo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche. Texte intégral 2709 mots
La prohibition de la dot depuis 1961
La résistance et l’expansion de la dot face à l’interdiction légale
L’impact de la dot sur la vie et le statut des femmes et des filles
Comment protéger les femmes et les filles face à une loi et une justice défaillantes ?
06.03.2025 à 15:23
En campagne électorale, les candidates toujours confrontées au sexisme : étude du cas belge
En Europe, et notamment en Belgique, en dépit des efforts accomplis et des déclarations d’intention, les inégalités de genre persistent dans de nombreux domaines, y compris en politique. Une étude récente menée à l’Université de Gand (UGent) et à l’Université libre de Bruxelles (ULB) pour l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes à partir de données récoltées durant la période électorale de juin 2024 en Belgique met en lumière les inégalités et le sexisme subis par les candidates, et propose des solutions pour y remédier. Bien qu’elles soient de plus en plus nombreuses à se lancer en politique, les femmes y restent globalement minoritaires et font face à de nombreux obstacles dans un milieu fortement marqué par la masculinité. Ces dernières années, plusieurs élues ont dénoncé les violences sexistes en politique, notamment en Belgique. La campagne électorale est un moment intense de la vie politique dans toute démocratie représentative, mais elle ne se déroule pas de manière égale pour toutes et tous. Les femmes candidates font face à un double combat : convaincre les électeurs tout en affrontant un sexisme qui se manifeste sous de multiples formes. Notre étude a analysé près de 44 000 réactions à 2922 messages publiés sur X, Facebook et Instagram, par 40 candidates et candidats durant la période de campagne pour les élections régionales, fédérales et européennes du 9 juin 2024 en Belgique. Ces données ont été croisées avec 25 entretiens menés auprès de candidates, candidats et journalistes afin de comprendre les conséquences du sexisme et les stratégies mises en place pour y faire face. Sur les réseaux sociaux, près d’une réaction sur deux aux publications des candidates et candidats est négative, notamment sur X. Toutes et tous, quel que soit leur genre, doivent donc faire face à la négativité en ligne. Cependant, les femmes candidates sont particulièrement visées : elles reçoivent davantage de critiques que leurs homologues masculins. Les candidates subissent également plus de commentaires sexistes que les candidats, et ces attaques sont souvent dirigées contre leur apparence physique (près d’un tiers des réactions sexistes sur les réseaux sociaux envers les femmes candidates, contre 6 % envers les hommes candidats) ou leur légitimité à exercer des fonctions politiques (par exemple : « Il est temps pour cette fille de retourner jouer avec ses barbies »). En outre, 68 % des auteurs de commentaires sexistes envers les candidates sont des hommes. À cet égard, il faut souligner que l’un des enseignements de l’étude est que de nombreux commentaires négatifs et sexistes sont envoyés par des utilisateurs non anonymes. Le sexisme prend des formes variées. Le sexisme hostile, explicitement dérogatoire, est majoritaire sur les réseaux sociaux (57 % des réactions sexistes). Il s’agit notamment de blagues, d’insultes sexistes ou encore de commentaires dégradants sur l’apparence physique. Mais un sexisme plus insidieux, dit « bienveillant », est également présent, notamment à travers des remarques qui renvoient les candidates à leur genre plutôt qu’à leurs compétences. Ainsi, certaines candidates regrettent de se voir demander si elles réussissent à concilier la campagne électorale avec la gestion de leurs enfants. Bien que cette préoccupation puisse apparaître bien intentionnée, elle illustre en réalité une posture paternaliste et renvoie aux stéréotypes de genre. Les actes de sexisme « bienveillant », même s’ils sont généralement moins aisément identifiés comme sexistes, peuvent se révéler aussi néfastes que le sexisme hostile pour les candidates. Leur répétition dans le temps est problématique, et peut affecter particulièrement les candidates, non pas en raison de la nature du propos sexiste, mais du fait de son caractère répété, et donc épuisant. Par exemple, le fait de recevoir sans arrêt des remarques, même aimables, sur son physique ou sa tenue vestimentaire épuise les femmes politiques qui préféreraient débattre du fond des dossiers. Le sexisme en politique s’ajoute à d’autres formes de discrimination. Les candidates jeunes ou issues de minorités sont plus fréquemment attaquées. Ainsi, 63 % des réactions aux publications sur les réseaux sociaux de candidates issues de l’immigration sont négatives, contre 31 % pour celles qui ne le sont pas. Ces candidates rapportent subir une double peine : « nous, on doit prouver plus en tant que femme, en tant que femme racisée. Forcément, on doit être irréprochables. » Les candidates jeunes nous ont également rapporté, davantage que leurs aînées, être questionnées sur la légitimité de leur engagement politique et leur maîtrise des dossiers. Une candidate résume ce sentiment : « J’ai dû lutter contre l’impression que c’étaient les gens qui devaient m’expliquer des choses et me convaincre que c’est à moi de leur expliquer des choses. Il y a un paquet de gens qui, quand une petite jeune femme vient leur dire “Votez pour moi” et ils ont le triple de mon âge, ils ne comprennent pas. J’ai ressenti beaucoup de regards, quelque part entre l’amusement et l’attendrissement. Je ne me suis peut-être pas sentie prise au sérieux comme on aimerait être prise au sérieux. Et ça fait que parfois, je me suis tue sur des sujets, dans des discussions, dans des débats. J’avais tellement peur de passer pour une incompétente que j’ai fini par me taire. » Ce cumul des discriminations renforce les obstacles à leur engagement politique. Il illustre aussi la nécessité d’adopter une perspective intersectionnelle pour comprendre le sexisme en politique. Face aux agressions sexistes, de nombreuses candidates adoptent des stratégies d’évitement : elles limitent leur activité sur les réseaux sociaux, modifient leur façon de s’habiller ou restreignent les sujets qu’elles abordent. Ces stratégies peuvent freiner leur carrière et nuire à leur santé mentale. Le sexisme ne touche pas seulement les candidates actuelles. Il agit aussi comme un frein pour les femmes qui envisagent de se lancer en politique. En voyant les attaques subies par leurs modèles, de nombreuses citoyennes renoncent à briguer des mandats. Face à ce constat - auquel il faut ajouter que les femmes ont toujours, à ce stade, moins de chances d’être élues que les hommes -, notre étude recommande une série de mesures concrètes : Information et sensibilisation : Mener des campagnes d’information sur les différentes formes de sexisme, y compris les plus insidieuses, car le sexisme n’est pas toujours reconnu ni par les candidates qui le subissent ni par les auteurs de ces actes. Former les candidates et candidats à réagir face au sexisme. Boîte à outils en ligne : Fournir des ressources pour organiser des sessions de sensibilisation et d’accompagnement. Mentorat et réseaux de soutien : Mettre en place un accompagnement des nouvelles candidates par des femmes politiques expérimentées. Accompagnement des victimes : Identifier des personnes de contact dans les partis et les médias pour soutenir les candidates confrontées au sexisme. Monitorer le phénomène : Poursuivre la conduite d’études permettant d’identifier le sexisme en politique et son évolution dans le temps. Le sexisme en politique ne concerne pas seulement les candidates : il menace la démocratie en freinant la représentation des femmes dans les instances de pouvoir. Prendre conscience de ce problème et agir collectivement est essentiel pour garantir une égalité réelle entre les candidats et les candidates. Les partis, les médias et les institutions doivent s’engager concrètement pour mettre fin aux inégalités de genre en politique. Les auteures ont reçu un financement de l'Institut pour l'égalité des femmes et des hommes pour mener cette recherche. Texte intégral 1561 mots
Une agressivité exacerbée envers les candidates
Sexisme hostile et bienveillant : deux facettes du même problème
Une superposition des discriminations
L’auto-censure des (futures) candidates
Agir pour une campagne électorale plus équitable
Une nécessité démocratique