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09.03.2025 à 09:27

Cacao, les nouveaux défis d’une culture millénaire

Christian Cilas, Chercheur en biostatistique, correspondant de la filière cacao au Cirad, Cirad
Culture millénaire issue d’Amérique, la culture du cacao s’est déplacée et intensifiée sous la pression des dynamiques coloniales. Des modes de cultures qui doivent aujourd’hui être remis en cause.

Texte intégral 3300 mots
Les premières traces de cultures organisées de cacao en Amérique sont bien antérieures à l’arrivée des Espagnols. Rodrigo Flores/Unsplash, CC BY-NC-SA

Culture millénaire issue d’Amérique, la culture du cacao s’est déplacée et intensifiée sous la pression des dynamiques coloniales. Des modes de cultures qui doivent aujourd’hui être remis en cause.


Riche et complexe, l’histoire du cacaoyer remonte à environ 3500 av. J.-C. Les Olmèques, l’une des premières civilisations mésoaméricaines, sont souvent considérés comme les premiers à l’avoir cultivé. Ils utilisaient les fèves pour préparer une boisson amère, qui était fréquemment agrémentée d’épices et de piments. Des recherches encore plus récentes indiquent que le recours aux fèves de cacao existait déjà dans la haute Amazonie (actuellement l’Équateur et le Pérou) aux alentours de 5000 av. J.-C..

CC BY-NC-SA

Les premières plantations organisées, néanmoins, semblent avoir été réalisées dans la région de Soconusco par les Aztèques et les Mayas, parfois avec des systèmes de drainage et d’irrigation.

Le cacao tenait chez les Mayas une place centrale : ils y voyaient un don des dieux et s’en servaient dans des cérémonies religieuses, souvent mélangé avec de l’eau, du miel et des épices pour créer une boisson festive, appelée « xocolatl ». Les fèves de cacao étaient également utilisées comme monnaie, ce qui témoigne de leur valeur économique. Les Aztèques, qui ont succédé aux Mayas, bien que les deux civilisations aient coexisté pendant plusieurs siècles, ont continué cette tradition.

Lorsque les Espagnols ont découvert l’Amérique centrale et le Mexique (1504-1525), le cacao y était donc déjà produit, commercialisé et consommé depuis plusieurs centaines d’années.


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L’essor du chocolat en Europe

Mais leur arrivée marque un tournant pour le cacao. Hernán Cortés, après avoir conquis l’Empire aztèque, rapporte les fèves en Espagne. Au début, la boisson est peu appréciée des Européens en raison de son goût amer. L’ajout de sucre, de vanille et d’autres épices rend rapidement le chocolat populaire au sein de l’aristocratie européenne.

Au fur et à mesure que la demande pour le précieux mets augmente en Europe, les Espagnols commencent à établir des plantations de cacao dans leurs colonies, en particulier dans les Caraïbes et en Amérique du Sud. Cela conduit à une exploitation accrue des populations indigènes et, plus tard, à celle d’esclaves africains pour travailler dans les plantations.

Après le développement des plantations en Amérique du Sud, notamment en Colombie, en Équateur et au Venezuela vers la fin du XVIe et du XVIIe siècle, d’autres sont également établies en Asie du Sud-Est.

À partir du XIXe siècle, dans un contexte de colonisation et d’essor du commerce transatlantique, le cacaoyer est massivement exporté vers d’autres continents : l’Asie et l’Afrique principalement, où le climat tropical était favorable.

Carte présentant les introductions, au cours de l’histoire, de cacaoyers dans le monde. Christian Cilas, Fourni par l'auteur

Le cacao, qui revêtait une signification culturelle et religieuse profonde pour les civilisations précolombiennes, devient ainsi un produit de luxe en Europe, marquant le début de sa transformation en chocolat tel que nous le connaissons avec la démocratisation de sa consommation.

Le cacao est aujourd’hui cultivé dans la plupart des pays tropicaux humides. Depuis la moitié du XXe siècle, la première zone de production est l’Afrique de l’Ouest. La Côte d’Ivoire et le Ghana sont respectivement les premier et deuxième pays producteurs en volume.

De l’Amérique tropicale à l’Afrique et l’Asie

L’Amérique a ainsi été détrônée de sa place de premier continent producteur de cacao, tandis qu’en miroir, l’Afrique a perdu son ascendant sur la production de café, au profit de l’Amérique latine – et principalement du Brésil, aujourd’hui premier pays producteur. Un autre exemple est l’hévéa : cultivé pour la production de caoutchouc naturel, il l’est essentiellement en Asie, alors que cet arbre est originaire de la forêt amazonienne comme le cacaoyer.

Ces grandes cultures se sont donc croisées sous l’impulsion des colonisateurs, et ont prospéré dans ces nouveaux territoires en raison de conditions environnementales parfois plus favorables que les conditions environnementales des zones d’origine.

Balais de sorcière, Colombie, 2017. Christian Cilas, Fourni par l'auteur

Si des raisons historiques de colonisation des zones tropicales permettent en partie de comprendre ces changements géographiques, les maladies peuvent aussi expliquer ces modifications, et surtout l’extension des cultures dans les zones allogènes. La culture de l’hévéa est très difficile sur le continent américain en raison de la présence d’un champignon ascomycète : Pseudocercospora ulei, agent pathogène d’une maladie provoquant la mort des arbres ; les hévéas cultivés en dehors du continent américain en sont indemnes.

Moniliose, Colombie, 2017. Christian Cilas, Fourni par l'auteur
Symptômes de Swollen Shoot, en Côte d’Ivoire, 2016. Christian Cilas, Fourni par l'auteur

En ce qui concerne le cacaoyer, deux maladies graves sont présentes sur le continent américain : la moniliose (due à Moniliophthora roreri) et le balai de sorcière (dû à Moniliophthora perniciosa). L’introduction de la culture du cacaoyer sur de nouveaux continents n’a heureusement pas été accompagnée des pathologies associées dans les zones d’origine.

Cependant, les conditions de culture en plein soleil qui se sont développées dans de nombreux pays semblent avoir favorisé l’émergence de nouvelles pathologies, comme le Swollen Shoot en Afrique de l’Ouest, qui provient d’autres espèces végétales à la suite d’un saut d’hôtes du virus responsable.

Vers des modèles de culture intensifs

Après des modèles extensifs pratiqués par les populations amérindiennes, la culture du cacaoyer s’est progressivement intensifiée avec des densités plus importantes et des cultures en plein soleil, facilitant d’ailleurs de plus fortes épidémies de moniliose ou de balai de sorcière dans les zones d’origine.

Ces cultures intensives ont requis l’utilisation de nombreux intrants, notamment fertilisants et pesticides, qui présentent beaucoup d’inconvénients : ces systèmes de culture ne sont pas durables, avec une sénescence (vieillisement, ndlr) rapide des arbres. Les intrants chimiques constituent des menaces pour l’environnement, les agricultures et les consommateurs, avec en particulier des résidus de pesticides dans les fèves de cacao et dans les sols.

Aujourd’hui, des agro-éco-systèmes commencent à se développer, avec des plantations de cacaoyers conduites sous ombrage, exigeant moins d’intrants, voire pas d’intrants chimiques du tout. Ces systèmes agroforestiers sont plus ou moins performants en fonction des espèces végétales associées, des maladies et ravageurs présents et des conditions édapho-climatiques (interactions du sol et des conditions climatiques dans un environnement donné, ndlr). Leur adaptation à chaque contexte est donc nécessaire, en anticipant également les évolutions climatiques prévues.

Face aux enjeux climatiques, l’urgence de s’adapter

La géographie de la production du cacao a donc été façonnée par les colonisations, les migrations et les conditions environnementales, notamment sanitaires.

Que sera la géographie de la production de demain ? Et quels seront les systèmes de culture majoritaires ?

Le réchauffement climatique entraînera très certainement de profondes modifications des aires de culture. Les transformations des régimes de pluies liées à ce changement climatique provoqueront un déplacement des zones de culture vers de nouvelles zones. Des systèmes plus résilients, capables d’amortir les variations du climat, devront être mis au point.

Les agriculteurs doivent déjà s’adapter à des calendriers agricoles qui ne se répètent plus d’une année à la suivante. Ces changements climatiques, accompagnés de mouvements des biens et des personnes de plus en plus importants, peuvent aussi engendrer une accélération des émergences de maladies et de ravageurs qu’il faudra donc contrôler.

Des systèmes à réinventer

L’histoire de la cacaoculture doit nous inciter à anticiper les risques liés au changement climatique et à la dispersion des bioagresseurs. Par exemple par la sélection préventive de matériel végétal résistant à des maladies encore absentes de certaines régions et moins sensible aux variations climatiques, ou par le développement de systèmes de culture plus résilients.

Il s’agit d’éviter l’ancien modèle des « fronts pionniers », dans lequel les nouvelles plantations cacaoyères étaient établies dans des zones forestières défrichées. Il est impératif de préserver les zones de forêt tropicale qui ont échappé à la déforestation : l’Europe, consciente des répercussions désastreuses de cette dernière, a d’ailleurs mis en place une réglementation contre la déforestation importée qui concerne, entre autres, le cacao.

Préparer l’avenir de la cacaoculture implique également de proposer d’autres systèmes agroforestiers innovants, dotés de matériel végétal adapté à chaque zone de culture.


Le 5 juin 1984 naissait le Cirad fondé par décret. Depuis plus de 40 ans, les scientifiques du Cirad partagent et co-construisent avec les pays du Sud des connaissances et des solutions innovantes pour préserver la biodiversité, la santé végétale et animale, et rendre ainsi les systèmes agricoles et alimentaires plus durables et résilients face aux changements globaux.

The Conversation

Christian Cilas ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

09.03.2025 à 09:26

Le bitcoin a-t-il atteint son pic le 20 janvier 2025 ?

Éric Pichet, Professeur et directeur du Mastère Spécialisé Patrimoine et Immobilier, Kedge Business School
« Achetez la rumeur, vendez la nouvelle. » Maintenant que le bitcoin a atteint 109 000 dollars, peut-il encore monter ? Ou ne rappelle-t-il pas les grandes bulles de l’histoire financière ?

Texte intégral 2233 mots
La forte décrue des cours du bitcoin en dessous des 80 000 dollars en février 2025 n’est pas sans rappeler les grandes bulles de l’histoire financière. AlexanderLimbach/Shutterstock

« Achetez la rumeur, vendez la nouvelle », proclame un adage boursier. Maintenant que le bitcoin a atteint 109 000 dollars, peut-il encore monter ? Ou ne rappelle-t-il pas les grandes bulles de l’histoire financière, comme la tulipomanie ?

Dans un article paru dans The Conversation, en novembre 2017, nous analysions les causes de l’envolée du bitcoin, passé au-dessus du seuil symbolique des 10 000 dollars. Sa divisibilité jusqu’à huit chiffres après la virgule, le rendant pratiquement accessible à tous les humains, expliquait largement un engouement mondial inédit pour un actif spéculatif sans aucune valeur intrinséque. Conçu par un algorithme plafonnant son nombre à 21 millions à terme, le bitcoin créé un gigantesque effet d’entonnoir – une demande potentielle extraordinairement supérieure à une offre strictement limitée.

Nous estimions alors qu’il ne fallait surtout pas vendre à découvert le bitcoin, car nul ne pouvait prédire ni la durée ni le sommet de la vague spéculative. Comme nous l’a enseigné Keynes : « Le marché peut rester plus longtemps irrationnel que vous ne pouvez rester solvable. »

Un adolescent à scandales

Né sous X le 3 janvier 2009 et qualifié abusivement d’« or numérique », le bitcoin a connu une adolescence agitée. Les écologistes le blâment d’être extrêmement énergivore, le processus de minage, principalement au Kazakhstan et aux États-Unis, consommant en 2024 l’équivalent de la consommation électrique de la Pologne, ainsi qu’une très grande quantité d’eau.


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Les États et les services fiscaux l’accusent également d’être un outil de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme, du fait de son intraçabilité. Les régulateurs lui reprochent de faciliter les escroqueries de haut vol comme celle de FTX en novembre 2022. Dernier exemple en date, en janvier 2025, Binance, la première plateforme de cryptos au monde avec 35 % de part de marché – et 50 % en France – fait l’objet, à Paris, d’une information judiciaire. Les accusations : blanchiment aggravé, blanchiment de fraude fiscale, blanchiment en lien avec un trafic de produit stupéfiant et exercice illégal de la profession de prestataire de services sur actifs numériques.

Pour couronner le tout, les investisseurs ne sont jamais à l’abri d’un détournement de leurs actifs numériques sur les plateformes de conservation, comme le note le rapport annuel 2025 de Chainalysis. Ce dernier relève 2,2 milliards de dollars de vol de cryptomonnaies en 2024, dont 60 % par des hackers affiliés à la Corée du Nord qui financerait ainsi 5 % de son PIB en toute impunité. Dernier casse spectaculaire, le plus important de l’histoire des cryptomonnaies, l’attaque de la plateforme Bybit le 16 février 2025. Montant total des dommages : 1,5 milliard de dollars d’Ethereum, la deuxième plus grosse cryptomonnaie.

Flambée des cours depuis l’élection de Trump

Malgré tous ces déboires, le bitcoin a connu une flambée spectaculaire depuis l’élection de M. Trump. Il est passé de 70 000 dollars, dès la publication des résultats le 6 novembre 2024, à 90 000 dollars pour culminer, le 20 janvier 2025, jour de l’investiture, à plus de 109 000 dollars ou 105 000 euros. Ce jour-là, le nouveau président annonçait une dérégulation des cryptomonnaies, la démission symbolique du président de la Securities and Exchange Commission (SEC) et sa détermination à faire des États-Unis la capitale crypto de la planète. Comment ? En facilitant les stables coins, tout en tuant dans l’œuf le projet de dollar numérique soutenu par l’administration Biden.

Cette folle hausse est purement états-unienne et de nature essentiellement politique. Rappelons que Trump est un ex-contempteur du bitcoin, cette pseudo monnaie étant « fondée sur du vent », selon ses dires au cours de son premier mandat, en juillet 2019. La volte-face s’explique bien sûr par son obsession anti-Biden, mais aussi par son intérêt bien compris. L’industrie des cryptos a financé à hauteur de 200 millions de dollars sa dernière campagne électorale et il détient un portefeuille important du jeton Maga qui a été multiplié par plus de cinquante grâce à ses déclarations, avant de s’effondrer.

Buzz des réseaux sociaux

La vague de hausse a également été facilitée par l’essor des trackers sur le bitcoin qui ont, selon Bloomberg, collecté 116 milliards de dollars en 2024. Ces trackers servent à suivre et analyser les activités des « baleines », ces utilisateurs détenant d’importants capitaux, ou pour étudier les stratégies de trading d’autres investisseurs. Il faut bien comprendre que les sociétés de gestion qui conçoivent ses produits, comme le leader BlackRock, qui représente environ la moitié des encours, ne prennent aucun risque. Mais les commissions récurrentes qu’elles touchent sur les encours en font des avocates intéressées des cryptomonnaies.


À lire aussi : Cryptomonnaies : les visions de Trump et de l’Union européenne sont-elles opposées ?


Le buzz sur les réseaux sociaux lancé par les ingénieurs du chaos, Elon Musk en tête, qui a versé à lui seul 250 millions de dollars supplémentaires à la campagne de M. Trump, a attiré d’innombrables spéculateurs. Ces néo-investisseurs sont très majoritairement des jeunes hommes, dont 57 % auraient entre 18 et 34 ans et 24 % moins de 25 ans. En réalité, ils achètent tout ce qui ressemble au bitcoin comme les meme coins qui représentaient environ 100 milliards de dollars, fin décembre 2024, mais désormais 60 milliards.

Leçon des précédentes bulles financières

Ce boom généralisé des cryptos et la forte décrue des cours du bitcoin autour des 80 000 dollars en février 2025, n’est pas sans rappeler les grandes bulles de l’histoire financière.

Nul doute que son évolution à court terme dépendra des déclarations du nouveau président états-unien. Ironie du sort, il vient d’annoncer, le 2 mars 2025, la création d’une réserve stratégique fédérale de cryptos qui a déclenché une brève reprise au moment même où le Salvador abandonne le bitcoin comme monnaie officielle pour pouvoir emprunter auprès du FMI. Il est dès lors utile de méditer les leçons du passé.

Certificat d’actions de la South Sea Company
Certificat d’actions de la South Sea Company, faisant du commerce dans les mers du Sud, de 1 000 £ (10 actions de 100 £ chacune), émis à Londres, le 22 juin 1720. » Wikicommons, CC BY

Plusieurs bulles spectaculaires ont en effet émaillé l’histoire financière des derniers siècles. La tulipomanie, bulle mythique ayant éclaté en Hollande le 6 février 1637, semble avoir été quelque peu exagérée par les historiens.

Les plus instructives sont celles, concomitantes, de la South Sea Company et de la compagnie du Mississippi de John Law. Entre 1715 et 1720, de part et d’autre de la Manche, à Londres et Paris, alors deux grands centres de la richesse mondiale, elles ruinèrent des milliers d’épargnants. À l’époque de l’apogée du système de Law en 1720, la spéculation se déchaînait rue Quincampoix à Paris. À Londres, comme le rappelle Burton Malkiel dans une savoureuse anecdote tirée de son best-seller, Une marche au hasard à travers la Bourse, (traduit par nos soins en 2005), d’innombrables sociétés avaient été créées ex nihilo pour satisfaire la voracité des agioteurs dont « une compagnie d’un grand intérêt, mais dont l’objet devait rester secret ». Sans doute un lointain ancêtre des meme coins de l’ère Trump…

Le legs du bitcoin : blockchain et euro numérique

Si la chute du bitcoin depuis son pic du 20 janvier nous rappelle la pertinence de l’adage boursier « Achetez la rumeur, vendez la nouvelle », un éventuel effondrement du bitcoin ne mettrait pas en péril l’économie mondiale. Sa capitalisation, au cours actuel de 85 000 dollars, de 1 700 milliards de dollars ne représente qu’un dixième de la valeur du stock d’or mondial et reste très inférieure à chacune des plus grandes sociétés cotées comme Apple, Microsoft ou Nvidia.

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En réalité, seuls les nombreux spéculateurs et le petit écosystème qui s’est constitué autour des cryptos souffriraient. Quoi qu’il advienne du destin du bitcoin, l’outil de la blockchain restera une formidable innovation qui servira notamment de support à l’euro numérique. Du fait de l’abandon du dollar numérique par M. Trump, la monnaie européenne numérique conférera même, à l’horizon 2026, une longueur d’avance aux Européens dans la compétition des monnaies mondiales de réserve.

The Conversation

Éric Pichet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

09.03.2025 à 09:25

Vers un champagne bashing

Jean-Marie Cardebat, Professeur d'économie à l'Université de Bordeaux et Professeur affilié à l'INSEEC Grande Ecole, INSEEC Grande École
Le vin de champagne est-il au bord d’une massive désaffection de la part des consommateurs, las de voir le prix augmenter sans lien avec la qualité proposée ? La coupe (pleine) va-t-elle déborder ?

Texte intégral 1440 mots

Baisse importante des ventes depuis deux ans, perte de réputation, problématiques socio-environnementales… les nuages obscurcissant le ciel champenois se multiplient. La star des vins pourrait subir un bashing sans précédent si elle ne se réconcilie pas rapidement avec des consommateurs et distributeurs qui ne comprennent pas les récentes hausses de prix, au regard d’une qualité qui se banalise face à la concurrence.


Tous les ingrédients sont réunis pour que le champagne subisse un bashing de grande envergure. Le bashing, terme anglais qui signifie littéralement « donner une raclée », renvoie à un dénigrement collectif. Le terme n’est pas nouveau dans le domaine du vin, il a été intensivement employé pour le Bordeaux durant la décennie 2010. S’il semble se tarir, le Bordeaux Bashing a été particulièrement délétère pour l’appellation française. Ce qui s’est passé durant ce précédent peut-il se reproduire, les mêmes causes produisant les mêmes effets ? Quels sont ces ingrédients qui pourraient produire une nouvelle crise ?

+ 40 % en trois ans

Le bashing qui a frappé Bordeaux s’est enraciné dans une perception d’arrogance des prix pratiqués par certains grands châteaux. Lorsque les hausses de prix ne sont pas comprises par les distributeurs et les consommateurs, un malaise apparaît. Le risque est qu’il se transforme en rejet du produit dont la valeur perçue ne cadre plus avec son prix. Or, le prix du champagne a beaucoup augmenté ces dernières années, au-delà de l’inflation. Le consommateur aurait vu les prix croître d’environ 40 % depuis 2022).

Sur une période aussi courte, une hausse brutale des prix est difficilement attribuable à une augmentation équivalente de la valeur. D’autant que cette hausse s’avère bien plus importante que celle des autres vins, tranquilles comme pétillants. L’inflation subie par Champagne sur les matières sèches (verre, collerette, bouchon, etc.) ne peut justifier qu’une partie de cette hausse.

L’écart de prix avec la concurrence – du crémant sur le marché français et, à l’échelle mondiale, le Cava espagnol et plus encore le Prosecco italien – interpelle les consommateurs. Sachant que simultanément d’autres concurrents, souvent très qualitatifs, gagnent en popularité. À commencer par les pétillants anglais ou le franciacorta italien.


À lire aussi : Les vins pétillants anglais vont-ils détrôner le champagne ?


Veuve Cliquot, go home !

C’est aux États-Unis que les indices d’un rejet sont les plus nets, notamment auprès des consommateurs les plus jeunes. La nouvelle génération ne perçoit plus la proposition de valeur du Champagne.

Ainsi, le déréférencement de Veuve Clicquot dans certains grands restaurants new-yorkais peut certes paraître anecdotique, mais on peut aussi y voir un symbole brûlant de la perte de réputation du Champagne. Le déréférencement et la substitution par d’autres vins chez les distributeurs sont des indices clés de l’émergence d’un bashing. Car les distributeurs font et défont les réputations.

Une standardisation croissante

Au-delà même du prix, les distributeurs reprochent à Champagne une certaine standardisation, voire une industrialisation des vins avec la montée en puissance depuis une vingtaine d’années des maisons de Champagne (négociants) par rapport aux vignerons indépendants produisant et commercialisant leur propre champagne. Ces derniers représentaient plus de 25 % de la production en 2000 contre moins de 18 % aujourd’hui.

Or on sait que les marqueurs du luxe sont liés à l’authenticité et au caractère unique et artisanal d’un produit. Le décalage entre le prix et la valeur perçue n’en est que plus criant car ces maisons de Champagne sont de plus en plus associées à la standardisation.

Des problématiques sociétales persistantes

Dernier ingrédient du cocktail explosif du bahsing, la médiatisation de problématiques sociales aiguës. Les conditions de travail en Champagne ont focalisé l’attention des médias lors de la canicule en 2023. En cause, la mort de plusieurs vendangeurs. Mais au-delà, il existe une véritable crise sociale dans la région avec un partage de la valeur remis en question par les salariés.

S’y ajoute un bilan carbone défavorable à cause du poids de la bouteille de Champagne, qui pourrait s’avérer délétère à l’export à court terme dans des pays comme le Canada ou la Norvège. La bouteille représenterait près de 30 % du bilan carbone du vignoble champenois. Sans oublier un retard avéré dans le passage au bio pour lequel des freins importants existent.


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Vers un emballement médiatique ?

Bref, n’en jetez plus, la coupe est pleine. Tous ces griefs, pour injustes qu’ils puissent parfois être ou paraître aux producteurs champenois, rappellent clairement ce qui a été reproché aux vins de Bordeaux : prix trop élevés non justifiés, standardisation de l’offre, médiatisation des problèmes sociétaux.

Tous les ingrédients du cocktail semblent réunis pour assister à l’émergence d’un Champagne bashing, qui pourrait s’emballer… jusqu’à devenir incontrôlable et incontrôlé. Car le risque est bien celui d’un engrenage où le rejet du produit par certains alimente son rejet par d’autres. C’est ce que doit à tout prix éviter le champagne. Or l’affaire est mal partie, car les ventes chutent déjà dans un contexte de marché plutôt favorable aux vins pétillants.

France 24 – 2019.

Des ventes en berne

Ironie du sort, la stratégie champenoise de hausse de prix pour signaler une montée en gamme et se différencier de la concurrence est en train d’ouvrir un boulevard à ladite concurrence ! Dans un environnement économique difficile et inflationniste, cette stratégie périlleuse s’avère contre-productive au regard de la baisse sévère des ventes ces deux dernières années. Après 325 millions de bouteilles expédiées en 2022, on atteint seulement 299 millions en 2023 et 271 millions de bouteilles en 2024. Le chiffre d’affaires suivant une tendance similaire sur la quasi-totalité des marchés. Au contraire, les autres vins pétillants voient leurs ventes s’accroître sur la même période.

Peut-on y voir le résultat d’un champagne bashing qui aurait commencé, même s’il est encore sous les radars ? Les signaux faibles sont là et la douloureuse expérience bordelaise souligne le danger. La nécessité d’actions stratégiques et de communication, le fait de ne pas rester dans sa tour d’ivoire, pour éviter tout engrenage dans la perte de réputation, représentent un enjeu crucial pour toute l’appellation champenoise. D’autant que les exportations pourraient souffrir même sans bashing avec la très vraisemblable hausse des droits de douane américains.

The Conversation

Jean-Marie Cardebat est président de la European Association of Wine Economists

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