21.07.2025 à 18:14
Les récents affrontements dans le sud syrien ravivent les tensions entre les communautés druze et bédouine, sur fond de retrait des forces gouvernementales et d’intervention d’acteurs extérieurs. Entretien avec le politiste Thomas Pierret, auteur, entre autres publications, de « Baas et Islam en Syrie. La dynastie Assad face aux oulémas » (Presses universitaires de France, 2011). Pourriez-vous revenir brièvement sur l’histoire de la communauté druze en Syrie ? Thomas Pierret : La principale zone de peuplement des Druzes en Syrie est la région de Soueïda, même si on en trouve aussi sur le plateau du Golan, dans la région frontalière avec le Liban (il s’agit du pays avec la communauté druze la plus importante), ainsi qu’un village druze isolé dans la région d’Idlib. À cela, il faut ajouter les effets des migrations plus récentes, qui ont conduit à la constitution de quartiers druzes à Damas, principalement Jaramana, ainsi que dans la localité d’Ashrafiyyet Sahnaya, au sud de la capitale. Quelles sont aujourd’hui les relations qu’entretient la communauté druze avec le gouvernement de Damas ? T. P. : Au moment où le régime d’Assad tombe, les relations entre les Druzes et le nouveau gouvernement ne sont pas vouées à être conflictuelles. Contrairement à une idée reçue, les Druzes ne constituent pas historiquement une minorité religieuse particulièrement favorable au régime des Assad. Dans les années 1960, des purges ont eu lieu au sein de l’armée syrienne qui ont notamment visé une bonne partie des officiers druzes. Cette purge a profité essentiellement à des officiers issus de la communauté alaouite, dont Hafez Al-Assad. Ainsi, la communauté druze n’a pas été étroitement associée au pouvoir. Les hauts gradés d’origine druze, comme le général Issam Zahreddine, tué sur le front contre l’État islamique en 2017, étaient peu nombreux. Avant 2011, la communauté comptait également de nombreux opposants, généralement marqués à gauche. Par ailleurs, l’État syrien sous les Assad, très centralisé, ne tolère pas l’expression d’identités communautaires ou régionales distinctes. Il est par exemple interdit aux Druzes d’afficher le drapeau aux cinq couleurs qui leur sert de symbole. Durant la guerre commencée en 2011 a émergé à Soueïda une posture politique que l’on pourrait qualifier de « troisième voie » ou de neutralité. Cela s’est traduit par la formation de groupes armés, le principal appelé les « Hommes de la dignité », est encore actif aujourd’hui. Ces groupes ont refusé à la fois de soutenir la rébellion et de rejoindre les forces paramilitaires du régime d’Assad, qui n’a réussi à embrigader qu’une petite partie des combattants de la région. L’objectif des partisans de cette troisième voie était de défendre la communauté druze et sa région, notamment contre les attaques de l’État islamique, sans pour autant soutenir les opérations de contre-insurrection menées par le régime. Soulignons que le fondateur des Hommes de la dignité, Wahid al-Balous, a été assassiné en 2015, sans doute par des éléments du régime, ce qui illustre la complexité des relations entre les Druzes et l’ancien pouvoir.
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Et que sait-on des différentes factions druzes impliquées dans le conflit ? T. P. : Pour bien comprendre la situation actuelle, il faut revenir un peu en arrière. Une date clé est 2018, lorsque, avec l’aide de la Russie, le régime d’Assad reprend le contrôle du sud de la Syrie, à l’exception de la région de Soueïda. Cette dernière conserve un statut de quasi-autonomie, car ses groupes d’autodéfense ne sont pas désarmés, en partie à cause de l’opposition tacite d’Israël à une offensive du pouvoir central dans cette région. Cette période voit également évoluer la stratégie du cheikh al-’aql Hikmet al-Hijri, l’un des trois principaux chefs religieux des Druzes de Syrie. Plutôt aligné sur le régime d’Assad à l’origine, il a soutenu le mouvement de contestation civile qui a émergé à Soueïda en 2023, évolution qui peut être interprétée comme un moyen pour al-Hijri de renforcer son influence politique. Il s’est également attribué le titre inédit de raïs rūḥī, c’est-à-dire « chef spirituel », manière de se démarquer des deux autres cheikh al-’aql, Hamoud al-Hinawi et Youssef Jarbu’. Al-Hijri est également en concurrence avec le courant des Hommes de la dignité, dont le leadership se divise, après l’assassinat de son fondateur, entre son fils Laith al-Balous et d’autres figures comme Yahya al-Hajjar. Ce courant compense sa moindre légitimité religieuse par une dynamique de mobilisation milicienne et une posture plus indépendante vis-à-vis du pouvoir central, du moins jusqu’au tournant contestataire d’al-Hijri en 2023. En 2024, lors de l’effondrement du régime d’Assad, ces groupes se positionnent différemment : al-Hijri défend l’autonomie régionale avec une position ferme contre Damas, rejetant les formes limitées de décentralisation proposées par le nouveau régime. En revanche, d’autres groupes, comme celui de Laith al-Balous ou Ahrar al-Jabal, adoptent une posture plus conciliatrice, cherchant à se rapprocher du pouvoir central. Le nouveau gouvernement, pour sa part, mise sur ces factions plus loyales afin de constituer une force de sécurité locale druze, distincte des combattants proches d’al-Hijri. Vous évoquiez Israël : quelles sont les relations entre les factions druzes en Syrie et ce pays ? T. P. : Avant décembre 2024, elles restent très limitées. Depuis des décennies, nouer des liens avec Israël constitue un tabou absolu en Syrie, et toute personne qui s’y risquerait serait immédiatement sanctionnée pour haute trahison. Les acteurs druzes évitent donc cette voie, d’autant plus qu’après 2011, certains villages druzes, notamment sur le plateau du Golan, fournissent des paramilitaires au régime [et au Hezbollah]. Le seul lien notable réside dans une sorte de « ligne rouge » tacite : Israël ne tolérerait pas que les rebelles ou le régime s’en prennent aux populations druzes. Cela explique qu’en 2023, malgré un mouvement de contestation, le régime syrien n’a pas tenté de reprendre Soueïda par la force ni de désarmer les groupes armés druzes. Pourquoi Israël a-t-il tracé cette « ligne rouge » concernant les populations druzes en Syrie ? T. P. : La raison principale, avant 2024, tient au fait qu’il existe une communauté druze en Israël, où elle constitue une minorité relativement privilégiée par rapport au reste des Palestiniens d’Israël. Je parle ici des Druzes citoyens israéliens, pas des Druzes vivant dans le Golan syrien occupé. Cette communauté druze est plutôt loyale à l’État israélien, avec des membres servant dans l’armée, y compris dans des régiments d’élite. Cette position privilégiée leur confère une certaine influence, et lorsque les Druzes d’Israël expriment des inquiétudes concernant leurs coreligionnaires en Syrie, le gouvernement israélien se sent obligé de répondre à ces préoccupations. Après 2024, cette dynamique a aussi servi d’argument à Israël pour empêcher le nouveau pouvoir syrien de déployer ses forces dans le sud du pays. L’objectif affiché d’Israël est clairement que le sud de la Syrie soit démilitarisé, du moins en dehors de ses propres forces déployées dans la région du Golan. Par ailleurs, Israël mène également une stratégie d’influence plus douce, en invitant des religieux druzes syriens à effectuer un pèlerinage dans la région de Nazareth sur le tombeau du prophète Chouaïb, particulièrement important pour la foi druze. Un projet d’invitation de travailleurs druzes syriens dans les exploitations agricoles du Golan a aussi été envisagé par le gouvernement israélien, mais a été abandonné pour des raisons sécuritaires liées au contrôle des entrées sur le territoire. Enfin, des financements humanitaires ont été octroyés aux Druzes syriens via des ONG servant d’intermédiaires. Il est important de souligner que très peu de groupes druzes se sont officiellement affichés comme pro-israéliens. Par exemple, une manifestation à Soueïda, il y a quelques mois, a vu l’apparition d’un drapeau israélien, mais celui-ci a rapidement été arraché par d’autres participants, témoignant du rejet majoritaire de cette posture. Cela dit, certains acteurs politiques, notamment Hikmet al-Hijri, semblent adopter une posture politique qui s’explique mieux si l’on prend en compte le facteur israélien. Al-Hijri mène une politique intransigeante, différente de celle des autres cheikh al-’aql, qui se montrent plus enclins au compromis avec Damas. D’ailleurs, lors des récents incidents, ce sont ces derniers qui signent les cessez-le-feu, tandis qu’Al-Hijri les critique ouvertement. Comment expliquer les affrontements récents entre Bédouins et Druzes à Soueïda ? T. P. : Ce conflit est ancien, il remonte à plusieurs décennies. En 2000, un épisode particulièrement sanglant avait fait plusieurs des centaines de morts. Il ne s’agit pas d’un conflit religieux à l’origine, mais d’un différend lié au contrôle et à l’usage des terres. La région étant aride, les terres cultivables et les pâturages sont rares et donc très disputés. La guerre en Syrie, de 2011 à 2024, a envenimé la situation : l’effondrement de l’État et la prolifération des armes ont donné plus de moyens aux deux parties pour régler leurs différends par la violence. Par ailleurs, des acteurs extérieurs comme l’État islamique ont soutenu les tribus bédouines sunnites, tandis que le régime d’Assad a appuyé certains groupes druzes. Après 2018, le pouvoir de Damas s’est à son tour retrouvé du côté des Bédouins, afin d’affaiblir l’autonomie de fait des Druzes de Soueïda, et parce qu’en reprenant la région, il a coopté d’anciens groupes rebelles sunnites, eux-mêmes liés aux tribus bédouines. Ce conflit a aussi une dimension criminelle, avec des éléments des deux côtés impliqués dans des activités illicites comme le trafic de drogue ou les enlèvements pour rançon. Comment ces tensions communautaires s’inscrivent-elles dans le contexte politique syrien actuel ? T. P. : Depuis décembre 2024, les tribus bédouines sunnites en appellent à la solidarité du gouvernement syrien, qui lui-même affiche une identité musulmane sunnite affirmée. Au début des derniers incidents, elles ont réclamé le soutien du gouvernement en accusant à demi-mot ce dernier de négliger leur sort. De son côté, le régime a aussi un intérêt à soutenir les tribus bédouines pour faire obstacle au courant autonomiste druze dans la province. Cela lui est d’autant plus nécessaire que, depuis les massacres d’alaouites sur la côte en mars et les incidents armés survenus en mai entre sunnites et Druzes à Jaramana et Ashrafiyyet Sehnaya, les factions druzes les plus disposées au dialogue avec Damas se sont graduellement rapprochées de la ligne dure d’al-Hijri. Cette tendance s’est accélérée durant la récente escalade des violences (plus de 1 100 morts depuis le début des affrontements, le 13 juillet) : face aux exactions commises contre les civils de Soueïda par les forces progouvernementales, les groupes armés druzes ont uni leurs forces pour défendre la communauté.
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Pourquoi en arrive-t-on à cette escalade ? T. P. : Le gouvernement a vu dans les affrontements communautaires locaux une occasion d’imposer son autorité en déployant ses forces dans la province, officiellement pour séparer les belligérants mais, dans les faits, pour désarmer les groupes druzes autonomistes. Al-Charaa pensait bénéficier d’un contexte international favorable, à savoir un soutien tacite des États-Unis qui le protégerait des représailles israéliennes. On l’a vu, cela s’est révélé être une erreur de jugement majeure. En face, Al-Hijri, peut-être mieux informé des intentions israéliennes, a refusé de reculer, à la suite de quoi la situation s’est embrasée. Quelle place peut-on envisager aujourd’hui pour la justice dans le règlement du conflit ? T. P. : À court terme, l’enjeu prioritaire ne paraît pas être la justice, mais avant tout le retour au calme et la cessation des affrontements. Des tensions persistantes risquent en effet de raviver des violences, non seulement à Soueïda mais aussi autour des autres localités druzes du pays. Certes, la justice reste importante si l’on souhaite discipliner les troupes et prévenir les exactions futures. Cependant, juger et condamner des membres des forces gouvernementales dans le contexte actuel pourrait déstabiliser davantage le régime, en fragilisant un pouvoir déjà contesté, et en risquant d’alimenter des velléités de coup d’État militaire de la part d’éléments plus radicaux. Par ailleurs, un processus judiciaire serait d’autant plus déstabilisateur qu’il devrait aussi concerner les combattants druzes qui se sont rendus coupables d’exactions ces derniers jours. On comprend donc aisément pourquoi la justice n’est prioritaire pour aucun des protagonistes. Propos recueillis par Coralie Dreumont et Sabri Messadi. Thomas Pierret a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche (ANR). Texte intégral 2658 mots
21.07.2025 à 18:12
Les vélos électriques, des déchets comme les autres ? Le problème émergent posé par les batteries
Les vélos électriques ont le vent en poupe : ils rendent les déplacements cyclistes accessibles à tous indépendamment de la condition physique et n’émettent pas de gaz à effet de serre pendant leur utilisation. Oui, mais encore faut-il qu’en fin de vie, ils soient correctement recyclés – et, en particulier, leurs batteries électriques. Ce n’est pas toujours le cas et cela provoque déjà des incidents, sans parler des pollutions qui peuvent en découler. Les vélos électriques rendent la pratique du vélo plus facile, plus rapide et plus accessible. Ils jouent déjà un rôle important pour réduire l’impact environnemental des transports, en particulier lorsqu’ils remplacent un trajet en voiture individuelle. Mais lorsqu’on met un vélo électrique au rebut, il faut aussi se débarrasser de sa batterie. Or, ces batteries peuvent être particulièrement dangereuses pour l’environnement et difficiles à éliminer (les filières de recyclage appropriées n’étant pas toujours mobilisées, ndlt). L’essor des vélos électriques s’accompagne donc d’un nouveau problème environnemental : l’augmentation des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEE). Le secteur a besoin d’une réglementation plus stricte pour l’encourager à réduire ses déchets. Il s’agirait notamment d’encourager la conception de vélos plus faciles à réparer ou à recycler et d’établir des normes universelles permettant aux pièces de fonctionner pour différentes marques et différents modèles, de sorte que les composants puissent être réutilisés au lieu d’être jetés. Malgré tout, les vélos électriques passent souvent entre les mailles du filet législatif. Leur exclusion des produits prioritaires, dans le cadre du règlement de l’UE sur l’écoconception des produits durables, introduit en 2024, est regrettable.
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À l’Université de Limerick, en Irlande, des collègues et moi avons mené des recherches sur l’impact environnemental des vélos électriques. Nous nous sommes intéressés à l’ensemble de leur cycle de vie, depuis l’extraction minière des métaux jusqu’à la fabrication, l’utilisation et l’élimination finale des vélos, afin de voir s’il existait des moyens de réduire la quantité de matériaux utilisés. Nous avons interrogé des détaillants et des personnes travaillant dans le domaine de la gestion des déchets. Ils nous ont fait part de leurs préoccupations concernant la vente en ligne de vélos électriques de moindre qualité, dont les composants deviennent plus facilement défectueux, ce qui conduit à un renouvellement plus fréquent. En utilisant les données relatives à la flotte de vélos électriques en usage sur notre université, nous avons constaté des problèmes de conception et de compatibilité des composants. Les pneus de vélo, par exemple, sont devenus de plus en plus atypiques et spécialisés. La fabrication additive, par exemple l’impression 3D, pourrait devenir plus importante pour les détaillants et les réparateurs de vélos, qui pourraient l’utiliser pour imprimer eux-mêmes des écrous, des vis ou même des selles de rechange. Cela pourrait être particulièrement nécessaire dans les États insulaires comme l’Irlande, où il y a souvent des retards dans l’approvisionnement en pièces détachées. Mais il faut d’abord que les vélos électriques soient d’une qualité suffisante pour pouvoir être réparés. Et pour créer les pièces de rechange, encore faut-il avoir accès aux données nécessaires, c’est-à-dire à des fichiers numériques contenant des dessins précis d’objets tels qu’un pneu ou un guidon de vélo. De nouveaux modèles d’affaires voient le jour. Certaines entreprises prêtent des vélos électriques à leurs employés, une société de gestion se chargeant de l’entretien et de la réparation. Il existe également un nombre croissant de services mobiles de réparation de vélos électriques, ainsi que des formations spécialisées à la réparation et la vente au détail de vélos électriques, par l’intermédiaire de plateformes de fabricants tels que Bosch ou Shimano. Les marques de vélos électriques changent elles aussi progressivement, passant de la vente de vélos à une offre de services évolutifs. Par exemple, le détaillant de vélos électriques Cowboy propose un abonnement à des mécaniciens mobiles, et VanMoof s’associe à des services de réparation agréés. Mais, si ces modèles fonctionnent bien dans les grandes villes, ils ne sont pas forcément adaptés aux zones rurales et aux petites agglomérations. Il convient toutefois de veiller à ce que les consommateurs ne soient pas désavantagés ou exclus des possibilités de réparation. Aux États-Unis, les fabricants de vélos électriques ont demandé des dérogations aux lois visant à faciliter la réparation des produits, tout en insistant sur le fait que le public ne devrait pas être autorisé à accéder aux données nécessaires pour effectuer les réparations. En ce qui concerne le traitement des déchets, certaines des innovations qui ont rendu les vélos électriques plus accessibles créent de nouveaux problèmes. Par exemple, les vélos électriques ont évolué pour devenir plus fins et élégants – et, de ce fait, ils sont parfois impossibles à distinguer des vélos ordinaires. Il est donc plus facile pour eux de se retrouver dans des unités de traitement des ordures ménagères (tri, incinération, mise en décharge, etc.) qui ne sont pas équipées pour les déchets électroniques. Si une batterie lithium-ion à l’intérieur d’un vélo électrique est encore chargée et qu’elle est écrasée ou déchiquetée (au cours du tri, par exemple), elle peut déclencher un incendie. Ce problème est pourtant loin d’être insoluble. La vision par ordinateur et d’autres technologies d’intelligence artificielle pourraient aider à identifier les vélos électriques et les batteries dans les installations de gestion des déchets. Les codes QR apposés sur les cadres des vélos pourraient aussi être utilisés pour fournir des informations sur l’ensemble du cycle de vie du produit, y compris les manuels de réparation et l’historique des services, à l’instar des passeports de produits proposés par l’Union européenne. La sensibilisation, le choix et l’éducation des consommateurs restent essentiels. S’il appartient aux consommateurs de prendre l’initiative de l’entretien et de la réparation des vélos électriques, les décideurs politiques doivent veiller à ce que ces options soient disponibles et abordables et à ce que les consommateurs les connaissent. Les détaillants, de leur côté, ont besoin d’aide pour intégrer la réparation et la réutilisation dans leurs modèles commerciaux. Il s’agit notamment de mettre en place des forfaits domicile/lieu de travail pour faciliter l’entretien des vélos électriques. Cela passe aussi par un meilleur accès aux assurances et aux protections juridiques, en particulier pour la vente de vélos électriques remis à neuf. Enfin, il leur faut disposer d’une main-d’œuvre ayant les compétences nécessaires pour réparer ces vélos. Partout dans le monde, les « vélothèques » (services de prêt ou location de vélos, ndlt) et les programmes « Essayez avant d’acheter » aident les consommateurs à prendre de meilleures décisions, car ils leur permettent de tester un vélo électrique avant de s’engager. L’abandon du modèle de la propriété traditionnelle – en particulier pour les vélos électriques coûteux – pourrait également rendre la mobilité active plus accessible. Les politiques qui favorisent les ventes, telles que les subventions et les incitations à l’achat de nouveaux vélos, peuvent aller à l’encontre des efforts déployés pour réduire les déchets. Nous avons besoin de davantage de politiques qui favorisent la réparation et la remise à neuf des vélos électriques. Ce secteur présente un fort potentiel pour limiter notre impact environnemental et améliorer la santé publique. Mais pour que ces avantages se concrétisent, nous devons nous efforcer de les faire durer plus longtemps et de consommer moins de ressources naturelles pour ces derniers. Yvonne Ryan ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche. Texte intégral 1937 mots
Allonger la durée de vie des vélos électriques
Des vélos électriques parfois difficiles à distinguer des simples vélos
21.07.2025 à 18:12
Au téléphone, les adolescents ne répondent plus : manque de politesse ou nouveaux usages ?
S’ils sont capables d’envoyer des messages en série à leur entourage, les adolescents rechignent à décrocher quand on les appelle. Pourquoi une telle réticence ? Par cet évitement de la discussion directe, en quoi les codes de communication se redessinent-ils ? Les adolescents ont un téléphone greffé à la main… mais ne répondent pas quand on les appelle. Cette situation, familière à bien des parents, peut sembler absurde, frustrante ou inquiétante. Pourtant, elle dit beaucoup des nouvelles manières pour les 13-18 ans d’entrer (ou de ne pas entrer) en relation. Car, si le smartphone est omniprésent dans leur quotidien, cela ne signifie pas qu’ils l’utilisent selon les mêmes codes que les adultes. Derrière ce refus de « décrocher », ce n’est pas seulement une tendance générationnelle qui se joue, mais une transformation profonde des usages, des normes de communication, et des formes de politesse numérique. Dans ce silence apparent, il y a des logiques – sociales, affectives, émotionnelles – qui valent la peine d’être décryptées, loin des clichés sur les ados « accros mais injoignables ». « Moi je réponds jamais aux appels, sauf si c’est ma mère ou une urgence… genre un contrôle surprise ou une copine qui panique », rigole Léa, 15 ans. Derrière cette phrase apparemment anodine se cache une mutation bien plus profonde qu’il n’y paraît. Car si le téléphone a longtemps été l’objet emblématique de la parole – conçu pour échanger de vive voix –, il est aujourd’hui de moins en moins utilisé… pour téléphoner. Chez les adolescents, l’appel vocal n’est plus le canal par défaut. Il tend même à devenir une exception, réservée à certaines circonstances très spécifiques : situations urgentes, moments d’angoisse, besoin d’un réconfort immédiat. Dans les autres cas, on préfère écrire. Non pas par paresse, mais parce que la communication écrite – SMS, messages vocaux, DM sur Snapchat ou Instagram – offre un tout autre rapport à la temporalité, à l’émotion, à la maîtrise de soi. Car répondre au téléphone, c’est devoir être disponible ici et maintenant, sans filet ni délai. Pour beaucoup d’adolescents, cette immédiateté est perçue comme un stress, une perte de contrôle : on n’a pas le temps de réfléchir à ce qu’on veut dire, on risque de bafouiller, de dire trop ou pas assez, de mal s’exprimer ou d’être pris au dépourvu. La communication écrite, elle, permet de reprendre la main. On peut formuler, reformuler, supprimer, différer, lisser les affects. On parle mieux quand on peut d’abord se taire. Ce besoin de contrôle – sur le temps, sur les mots, sur les émotions – est loin d’être un simple caprice adolescent. Il témoigne d’une manière plus générale d’habiter les relations sociales à travers les écrans : en se donnant le droit de choisir le moment, la forme et l’intensité du lien. Le téléphone devient alors une interface à géométrie variable. Il connecte, mais il protège aussi. Il relie, mais il permet d’esquiver : « Quand je vois “Papa mobile” s’afficher, je laisse sonner, j’ai pas l’énergie pour un interrogatoire. Je préfère lui répondre par message après », confie Mehdi, 16 ans. Derrière ce geste, il n’y a pas nécessairement de rejet ou de désamour : il y a le besoin de poser une distance, de temporiser l’échange, de le canaliser selon ses propres ressources du moment. Paradoxalement, donc, le téléphone devient un outil pour éviter la voix. Ou, plus exactement, pour choisir quand et comment on accepte de l’entendre, ce au nom d’un certain équilibre relationnel. Ne pas décrocher n’est plus un manque de politesse : c’est un choix. Une manière assumée de poser ses limites dans un monde d’hyperconnexion où l’on est censé être disponible en permanence, à toute heure et sur tous les canaux. Pour de nombreux adolescents, le fait de ne pas répondre, immédiatement ou pas du tout, relève d’une logique de déconnexion choisie, pensée comme un droit à préserver. « Des fois je laisse le portable sur silencieux exprès. Comme ça, j’ai la paix. » Cette stratégie, rapportée par Elsa, 17 ans, exprime un besoin de maîtrise de son temps et de son attention. Là où les générations précédentes voyaient dans le téléphone une promesse de lien et de proximité, les adolescents rencontrés aujourd’hui y voient parfois une pression. Dans cette nouvelle économie attentionnelle, le silence devient un langage en soi, une manière d’habiter la relation autrement. Il ne signifie pas nécessairement un rejet, mais s’apparente plutôt à une norme implicite : celle d’une disponibilité qui ne se présume plus, mais se demande, se négocie, se construit. Comme l’explique Lucas, 16 ans : « Mes potes savent que je réponds pas direct. Ils m’envoient un snap d’abord, genre “dispo pour ‘call’ ?” Sinon, c’est mort. » Ce petit rituel illustre un changement de posture : appeler quelqu’un sans prévenir peut être perçu comme un manque de tact numérique. À l’inverse, attendre le bon moment, sonder l’autre avant de se lancer dans un appel, devient une preuve de respect. Ainsi, le téléphone n’est plus simplement un outil de communication. Il devient un espace de négociation relationnelle, où le silence, loin d’être un vide, s’impose comme une respiration nécessaire, une pause dans le flux, un droit à l’intimité. « Appeler, c’est impoli maintenant ? », s’interroge un père. Pour beaucoup d’adultes, le refus de répondre ou l’absence de retour vocal est vécu comme un affront, une rupture des règles élémentaires de la communication. Pourtant, du point de vue adolescent, il s’agit moins de rejet que de nouveaux codes relationnels. Ces codes redéfinissent les contours de ce qu’on pourrait appeler la « politesse numérique ». Là où l’appel était vu comme un signe d’attention, il peut aujourd’hui être interprété comme une intrusion. À l’inverse, répondre par message permet de cadrer l’échange, de prendre le temps, de mieux formuler… mais aussi de différer ou d’éviter, sans conflit ouvert. Ce n’est pas que les adolescents manquent d’empathie : c’est qu’ils la pratiquent autrement. De manière plus discrète, plus codifiée, souvent plus asynchrone. Avec leurs pairs, ils partagent des rituels implicites : messages d’annonce avant un appel, envois d’émojis pour signaler son humeur ou sa disponibilité, codes tacites sur les bons moments pour se parler. Ce que certains adultes interprètent comme de la froideur ou une mise à distance est, en réalité, une autre forme d’attention. À condition d’accepter ces logiques nouvelles, et d’en parler sans jugement, on peut ainsi voir dans cette transformation non pas la fin du lien, mais une réinvention subtile de la manière d’être en relation. Plutôt que de voir dans ce silence téléphonique une crise du dialogue, pourquoi ne pas y lire une occasion de réinventer nos façons de se parler ? Car il est tout à fait possible de désamorcer les tensions liées au téléphone et de cultiver une communication plus sereine entre adultes et adolescents, à condition d’accepter que les codes aient changé et que cela n’a rien d’un drame. Cela peut commencer par une discussion franche et tranquille sur les préférences de chacun en matière de communication : certains ados préfèrent recevoir un SMS pour les infos pratiques, un message vocal pour partager un moment d’émotion (dire qu’on pense à l’autre), ou un appel uniquement en cas d’urgence. Mettre des mots sur ces usages et préférences, les contractualiser ensemble, c’est déjà une manière de se rejoindre, et même de se faire confiance.
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Avant d’appeler, on peut aussi tout simplement demander par un petit message si l’autre est disponible. Cela permet de quitter la logique de l’injonction pour entrer dans celle de la disponibilité partagée. Il est tout aussi important d’apprendre à accueillir les silences. Ne pas répondre immédiatement, voire pas du tout, n’est pas forcément un signe de désintérêt, de rejet ou de rupture du lien. C’est parfois juste une manière de respirer, de se recentrer, de préserver son espace mental. Une forme de respect de ses propres limites en somme. Enfin, il est toujours utile de s’interroger sur nos propres pratiques : et si, nous aussi, adultes, nous expérimentions d’autres façons d’exprimer notre attention, d’autres manières de dire « je suis là », sans forcément appeler ? Un émoji, une photo, un message bref ou différé peuvent être tout aussi parlants. L’attention n’a pas toujours besoin de passer par une sonnerie. Réconcilier les générations ne passe pas par un retour au combiné filaire, mais par une écoute mutuelle des codes, des envies, des rythmes. Car, au fond, ce que les adolescents nous demandent, ce n’est pas de moins communiquer… c’est de mieux s’ajuster. Anne Cordier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche. Texte intégral 1883 mots
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