22.07.2025 à 16:41
Les personnes désireuses de perdre du poids se rassemblent de plus en plus dans des communautés en ligne. À l’heure où certains influenceurs font la promotion de méthodes amaigrissantes risquées allant jusqu’à l’usage détourné de médicaments, ces espaces numériques pourraient – s’ils étaient encadrés par des professionnels de santé – devenir un complément utile à l’accompagnement médical traditionnel. Un Français sur deux est en situation de surpoids ou d’obésité. Pour tenter de perdre du poids, les personnes concernées ne font plus seulement appel aux professionnels de santé. Il existe notamment des communautés en ligne consacrées au soutien à la perte de poids, qui proposent d’échanger avec des « pairs », des personnes « comme nous », qui rencontrent la même problématique. Tantôt rattachées à une marque (à l’image de la très connue communauté Weight Watchers), tantôt lancées à l’initiative d’internautes sur des sites de santé généralistes (par exemple, Doctissimo) ou sur des réseaux sociaux, disposant parfois d’un comité scientifique composé de médecins (à l’image de certaines communautés entre patients, par exemple Carenity), ces communautés perdurent et continuent d’attirer de nouveaux membres. Comment expliquer leur succès ? Peuvent-elles constituer un levier vers des comportements alimentaires plus équilibrés ? Comment concilier leur approche avec la prise en charge proposée par des professionnels de santé ? La perte de poids est un parcours du combattant. C’est ce qui ressort des témoignages recueillis dans notre étude. De nature qualitative, elle a été menée auprès de 25 utilisateurs de communautés en ligne. Annie, 43 ans, indique par exemple : « J’aime bien la bonne cuisine, mais je me reprends en main du coup. Je pense que ce régime, ce sera jusqu’à la fin de ma vie, ça m’a aidée à prendre conscience que le surpoids se gère, mais c’est une attention de tous les jours. » Différentes stratégies sont mises en œuvre pour perdre du poids : par exemple, se rendre dans le cabinet d’un professionnel de santé ou entreprendre un régime hypocalorique à l’instar du célèbre programme Weight Watchers (la marque a cessé ses activités en France fin 2024). Mais désormais, certaines personnes qui souhaitent maigrir suivent des influenceurs santé/bien-être sur les réseaux sociaux. Cela témoigne d’une nouvelle ère pour les régimes dans laquelle les influenceurs sont particulièrement écoutés. Actuellement, les influenceurs font une large promotion des sémaglutides tels que l’Ozempic, hors de tout contrôle médical, ce qui présente des risques contre lesquels les autorités de santé ont alerté. Ozempic est en effet un médicament contre le diabète qui est détourné de manière illégale de son usage initial parce qu’il induit une perte de poids. À noter qu’il existe désormais une version de la même molécule, commercialisée sous le nom de Wegovy, indiquée cette fois pour traiter l’obésité dans des situations très précises. Ce nouveau médicament n’est disponible que sur ordonnance et les prescriptions sont très encadrées.
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De nombreuses personnes se tournent également vers des communautés pour partager leur parcours de perte de poids et s’entraider. Sabah, 35 ans, témoigne : « Juste le fait de partager nos difficultés, je pense que ça fait quelque chose. Ça peut remonter le moral. » Ces communautés aident à maintenir sa motivation, au travers des échanges avec des personnes qui ont le même vécu. Lise, 53 ans, explique : « Il y a une chose qui m’a toujours paru assez difficile, c’est d’être conseillée pour maigrir par des personnes qui sont filiformes. Quelque part, est-ce qu’elles savent vraiment ce que c’est qu’un régime et le vécu d’un régime ? […] Il y a une compréhension dans ces communautés qu’on n’a pas forcément avec un professionnel. » Le corps médical ne peut donc plus omettre l’existence de ces lieux de rassemblement, de même que l’écoute et l’empathie dont les patients ont besoin et que ces professionnels n’ont pas toujours le temps de donner. Ces communautés en ligne créées pour perdre du poids sont désignées par les participants comme des « communautés de soutien ». Le partage est au cœur de ces communautés. Estelle, 32 ans, analyse : « Je pense que quand on fait cette démarche-là d’aller sur les forums, on cherche à partager, à se soutenir. » Ce soutien peut être de nature informationnelle, lorsque les utilisateurs échangent des conseils et des astuces, mais aussi de nature émotionnelle. Jennifer, 22 ans, rapporte : « Ça fait plaisir quand on dit qu’on a perdu du poids ou qu’on a fait un excès. C’est bien de se voir écrire “Continue, courage”. » Les participants cherchent à échanger avec des personnes et « des profils qui [leur] ressemblent ». « Dans la même galère », « des personnes qui sont comme moi », « se trouver des points communs » constituent autant de façons de faire référence à des personnes que l’on pense être comme nous, auxquelles on s’identifie. Notre seconde étude, quantitative, menée auprès de 335 utilisateurs de communautés, montre que plus l’utilisateur se sent soutenu, plus il s’identifie aux membres de la communauté. Cependant, dans tout rassemblement social, des règles doivent être respectées pour que les échanges soient les plus sereins et profitables possibles. Les règles ou normes qui régissent les communautés sont nombreuses : ne pas juger les autres, afficher sa perte de poids chaque semaine, être sincère, afficher ses menus, ne pas suivre de régime restrictif, participer tous les jours à la communauté ou encore se fixer un objectif précis. Notre étude montre que plus les participants se conforment à ces règles, plus leur auto-efficacité augmente, ce qui se traduit notamment par une plus grande consommation de fruits et légumes, conformément aux recommandations officielles et à la littérature scientifique. Cette stratégie est reconnue comme efficace pour perdre du poids. Claude, 70 ans, lorsqu’elle parle d’un partage de recettes sur la communauté, indique également : « C’était un gratin de pâtes au saumon. Avec un poisson. Ça m’a donné une idée, car je n’ai pas l’habitude de faire ça. » Myriam, 32 ans, ajoute : « J’ai intégré le chocolat par exemple dans mon régime alimentaire alors que je ne mange pas du tout de chocolat de base. Je suis plutôt grignotage salé. Le fait d’avoir intégré le chocolat, je me rends compte que ça m’aide à tenir le coup sur une journée. C’est un petit moment de plaisir et ça, c’est un conseil que j’ai eu sur les forums. » Alors qu’une de nos précédentes recherches menée auprès de 23 experts en nutrition avait montré la défiance des professionnels de santé vis-à-vis de ces communautés en ligne (informations erronées possibles, trop de croyances, incitation à entreprendre des régimes restrictifs par exemple), ces experts pourraient en tirer parti pour une prise en charge multidimensionnelle du surpoids et de l’obésité. Le recours à ces communautés pourrait constituer un accompagnement complémentaire dans le contexte actuel, dans lequel l’accent est mis sur le traitement des causes, et non seulement des conséquences de l’obésité, en faisant appel à des experts en nutrition mais aussi à des psychologues, des cardiologues et d’autres professionnels. Alternatives aux communautés qui prônent des régimes décriés pour leur côté restrictif, des communautés développées, alimentées et encadrées par des professionnels de santé pourraient être source de bien-être psychologique pour leurs patients.
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Il reste encore du chemin à parcourir pour mieux (re)connecter patients et professionnels de santé. Le soutien doit être au cœur de la prise en charge du surpoids et de l’obésité, car il permet d’atteindre plus facilement ses objectifs. Laurie Balbo a reçu des financements de l'ANR. Marie-Christine Lichtlé et Steffie Gallin ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire. Texte intégral 1839 mots
Des communautés en ligne, sur les réseaux, entre patients…
La place prise par les influenceurs autour des régimes amaigrissants
Les risques liés à la promotion d’usages détournés de médicaments
Des « communautés de soutien » avec des personnes qui « nous ressemblent »
Un espace de partage pour manger mieux ?
Un accompagnement supplémentaire pour les patients
22.07.2025 à 16:39
La Syrie post-Assad : se reconstruire à travers l’art
À l’issue d’un récent séjour sur le terrain, Albane Buriel, chercheuse spécialisée en science de l’éducation, dresse un portrait ethnographique de la scène artistique syrienne depuis la chute du régime de Bachar Al-Assad en décembre 2024. Des initiatives et des collectifs émergent, de Damas à Alep en passant par Homs. Les artistes se réapproprient les lieux, les visages et les souvenirs, pour rendre hommage aux victimes du régime. L’art s’impose comme un outil essentiel sur le chemin vers la reconstruction. Ce séjour était mon troisième en Syrie, mais le premier dans un contexte de bascule. Entre mai et juin 2025, j’ai mené un terrain ethnographique à Damas, Homs et Alep, dans un pays suspendu entre chute autoritaire et recomposition fragile. La chute du régime Assad, survenue le 8 décembre 2024, ouvre une période de recomposition politique marquée par la libération du pays. J’ai tenté de comprendre ce que signifie « reconstruire une société » après quatorze ans de guerre. J’ai vu un pays traversé par des dynamiques discrètes de recomposition, où l’art, la mémoire et la parole réinventent des formes de vie et de justice. À travers les gestes et les récits d’artistes et de collectifs, j’ai observé la réémergence d’une parole publique, fragile, mais puissante, souvent située dans les interstices du politique et du sensible. Pour comprendre l’effervescence actuelle, il faut revenir sur le long silence imposé dans le pays. Avant 2011, la scène artistique syrienne était vivante, mais étroitement surveillée. Quelques artistes formulaient des critiques feutrées, mais les lignes rouges du régime bridaient l’expression. En 2011, la révolution change tout : slogans, banderoles, vidéos clandestines, théâtre de rue surgissent. L’art sort dans l’espace public. Très vite, la répression est brutale. L’expression devient un acte de survie. Les lieux culturels ferment, l’exil s’intensifie. Une scène artistique se recompose, souvent hors du pays. Depuis la chute du régime, un souffle de liberté traverse l’espace public. Certains parlent enfin sans peur, circulent librement, exposent. Mais la libération reste fragile. Les blessures sont vives, les récits dissonants, les attentes multiples. Cette libération s’accompagne d’un appel à la reconnaissance : il s’agit de faire en sorte que la Syrie soit regardée autrement, non comme une terre d’exil ou de ruines, mais comme une société vivante, en quête de dignité. L’art redevient espace de deuil, de projection, de partage. Lors de mon séjour, l’ancienne gare de Hijaz à Damas a accueilli une exposition consacrée aux célèbres pancartes de Kafranbel, ville du Nord-Ouest syrien devenue, dès 2011, le cœur visuel de la révolution. Chaque vendredi, jour des manifestations, des habitants y créaient des affiches illustrées, drôles et acérées, appelant à la liberté et à la justice. Kafranbel était un véritable laboratoire de créativité populaire. L’exposition, conçue par de jeunes artistes syriens, proposait une relecture scénographiée de ces slogans iconiques. Présentés dans un espace patrimonial, les messages ne sont ni figés ni dépolitisés, mais restitués dans toute leur force. L’exposition affirmait ainsi un attachement à la mémoire populaire de la révolution, en permettant aux passants de la capitale de la redécouvrir dans un cadre poétique et accessible. Autre lieu, autre geste. Au Musée national de Damas, l’exposition « Les détenus et les disparus », portée par la plateforme Mémoire créative de la révolution syrienne, retrace quatorze années de créations nées du soulèvement et de l’oppression : affiches, pancartes, slogans calligraphiés, poèmes, vidéos, peintures murales et visuels militants. Une scénographie chronologique donne à voir les imaginaires politiques d’une révolution confisquée, depuis les slogans révolutionnaires jusqu’aux récits des détentions, des formes de résistance, des disparitions forcées, puis des procès de 2020 pour crimes contre l’humanité, engagés en Allemagne. La photographie The Fall (la Chute), de Mohamad Khayata, clôt l’exposition comme elle clôt une époque (image présentée en tête de l’article, ndlr). Elle montre la statue renversée de Hafez Al-Assad, qui a longtemps surplombé la ville de Deir Atiyeh, dans le Qalamoun (ouest du pays). Sur le visage de la statue renversée, une femme se tient debout enveloppée dans une couverture traditionnelle. Cela ne s’apparente pas simplement à une fin, mais à un basculement d’imaginaire. Comme si cette énorme figure de béton, écrasée dans les gravats, laissait enfin place à autre chose. En juin dernier, à la suite de cette exposition, l’artiste syrienne Rania Al-Najdi a présenté Origami Birds : For Those Who Will Not Be Forgotten (Oiseaux en origami : Pour ceux qui ne seront pas oubliés), une installation de 1 500 oiseaux de papier en hommage aux disparus syriens. Ancienne prisonnière politique en 2013, Rania a conçu cette œuvre comme un acte de mémoire et de justice, en collaboration directe avec des familles des détenus. Chaque oiseau représente une vie volée, un inconnu de la liste du rapport « César ». Publié en 2014, il rassemble 55 000 photos exfiltrées par un déserteur de la police militaire syrienne, documentant la torture et l’exécution de milliers de détenus dans les prisons du régime Assad. Une absence devenue présence. L’exposition mêle éclairages sensibles, témoignages, sons et vidéos.
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L’exposition a réuni familles, citoyens et représentants d’institutions en quête de vérité. Rania rappelle : « Ils ne sont pas que des prénoms. Nous devons rendre justice aux martyrs et aux détenus. » Si ces expositions réinvestissent des lieux centraux, d’autres gestes se déploient en marge, dans les villes ou les interstices de l’institutionnel. À Damas et Alep, la fondation MADAD, fondée par l’artiste Buthayna Ali, transforme des lieux abandonnés en scènes contemporaines. Depuis la chute du régime Assad, MADAD déploie des projets artistiques plus audacieux, visibles dans l’espace public et porteurs de récits longtemps refoulés. L’exposition « Path » (avril 2025) est présentée dans le bâtiment abandonné Massar Rose à Damas. Elle réunit 29 artistes autour des thèmes de la mémoire, du pardon et du retour. Certaines œuvres – comme une épée d’argile fichée dans le sol ou des lettres brûlées – évoquent l’abandon de la violence et la transmission interrompue. Une volonté explicite de traiter les blessures du conflit dans un espace urbain reconquis. Aujourd’hui, MADAD prolonge cette démarche avec Unseen, un concours destiné aux jeunes artistes du nord du pays, explique Kinana Alkoud, une artiste investie dans le processus de sélection. L’exposition finale, prévue dans un hammam restauré à Alep, explorera ces choses que l’on voit sans regarder : gestes quotidiens, souvenirs enfouis, peurs silencieuses. Homs, marquée par les destructions et les fractures communautaires, reste une ville à vif, où la mémoire divise encore. Depuis 2020, le Harmony Forum développe des projets artistiques de consolidation de la paix. Son programme Beyond Colors 3 (2023–2024) a réuni vingt jeunes issus de confessions diverses. Peinture, installation, performance : les œuvres produites explorent la perte, l’exil, la reconstruction intime. Présentées dans une tente sur une place centrale, ces créations ont touché de nombreux visiteurs. Une artiste se souvient : « Les gens racontaient leurs propres histoires. Leurs souvenirs faisaient écho à ce que nous avions voulu dire. » À Homs, un volontaire décrit un basculement depuis décembre 2024. Faute de sécurité suffisante, les expositions publiques ont laissé place à des films documentaires. Deux projets sont en cours : Revival, sur la mémoire de Homs et de sa campagne, et Fanjan, consacré au café arabe comme symbole de paix et de transmission. Une manière discrète, mais profonde de continuer à tisser du lien, malgré l’instabilité. Là où se réunir autour de la mémoire peut encore être perçu comme un risque. Dans un registre plus explicitement politique, le collectif syrien Madaniya, fondé en 2023, en exil à l’époque, réunit artistes, chercheurs, militants et écrivains autour d’un même refus : celui d’une normalisation qui ne s’accompagnerait pas de justice rendue aux victimes. Ils défendent une reconstruction centrée sur la vérité, la mémoire et la réparation, où la culture devient un levier citoyen. Leur programme, « Dialogue syrien sur la justice, la vérité et la réparation », multiplie les ateliers mêlant artistes, survivants et juristes pour penser les contours d’une justice post-conflit enracinée dans l’écoute et la vérité. Théâtre-témoignage, installations, archives visuelles : autant d’outils pour penser une justice sensible, partagée, en dehors des cadres classiques. En mai dernier, à Damas, une veillée rendait hommage à Bassel Shehadeh, un jeune documentariste et journaliste tué en mai 2012 à Homs, devenu aujourd’hui l’un des symboles de la révolution. L’événement, conçu sous forme de veillée-performance, mêlait lectures poétiques, projection de vidéos d’archives, exposition de portraits et moment de silence collectif. À travers cette diversité d’actions, Madaniya entend maintenir vivante une mémoire politique des soulèvements de 2011, et rappeler que la reconstruction ne peut se limiter à des infrastructures ou à des accords diplomatiques. Le collectif propose ainsi une vision critique et profondément incarnée de la transition, dans laquelle l’art devient un acte de résistance, de reconnaissance, et d’avenir. Ces exemples ne prétendent pas représenter toute la Syrie. Une large part de la population reste à distance : peur, précarité, silence. L’accès inégal à l’expression, la censure ou l’indifférence creusent les fractures. Ces dynamiques restent localisées, fragiles. Et pourtant, dans les marges, quelque chose se dit. Là où les institutions manquent, des gestes surgissent. L’art ne reconstruit pas un pays, mais il ouvre des brèches : pour dire, pour pleurer, pour résister. Il ne remplace ni les procès ni les réparations, mais offre un espace pour réhabiter le présent, comme en témoigne, par exemple, Romain Huët dans ses « Chroniques d’Ukraine : L’art face à la guerre » (The Conversation, 2022). Dans un article publié en juin 2025 sur Al-Jumhuriya, un site d’analyse politique, Yassin al-Haj Saleh, écrivain et opposant politique au régime de Bachar Al-Assad, appelait à une justice existentielle. Il mettait en garde : sans vigilance, la transition pourrait favoriser une culture aseptisée, coupée de la mémoire du conflit. Mais, selon lui, un apprentissage politique souterrain s’est tissé dans les ruines – une maturation lente qui pourrait fonder les bases d’une justice réparatrice, non seulement juridique, mais aussi culturelle et symbolique. Raison de plus pour prêter attention à ces signaux faibles. Sur les murs d’Alep, dans les ateliers de Homs ou les galeries de Damas, une autre Syrie se dessine – une Syrie qui tente, par fragments, de faire récit ensemble. Mais ces signes d’ouverture restent ambivalents. Le nouveau régime, issu d’une matrice sécuritaire et militaire, tolère certaines formes d’expression artistique – tant qu’elles ne remettent pas en cause les équilibres fragiles du moment : cohésion communautaire, contrôle des récits sur la guerre, image de stabilité à l’international. La surveillance persiste, les lignes rouges demeurent floues, et les artistes pratiquent souvent une autocensure prudente, sans connaître clairement les limites à ne pas franchir. Les dénonciations explicites des crimes passés restent rares, et les récits sur les exactions commises par les différents camps – y compris ceux aujourd’hui au pouvoir – peinent à trouver leur place dans l’espace public. La mémoire, en Syrie, reste un terrain miné. Albane Buriel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche. Texte intégral 3808 mots
De la révolution confisquée aux mots qui cherchent de l’espace
Réinvestir les lieux : mémoire populaire et héritage révolutionnaire
Des collectifs pour une mémoire vivante
Homs : créer malgré l’instabilité
Madaniya : pour une mémoire politique de la transition
Dans les marges, un futur à inventer
22.07.2025 à 16:37
La culture rave et ses multiples dimensions
À l’origine illégales, les raves se voulaient des espaces d’expérimentation musicale et communautaire, aux marges de la société. Si certaines ont aujourd’hui été récupérées par l’industrie des festivals, d’autres persistent dans l’ombre, portées par une culture alternative aux codes bien établis. Un phénomène où musique électronique, spiritualité, engagement politique et contestation sociale se rencontrent. « Notre état émotionnel est l’extase, notre nourriture est l’amour, notre addiction la technologie, notre religion la musique. Notre choix pour l’avenir, c’est la connaissance et, pour nous, la politique n’existe pas. » C’est ainsi que débute ce que l’on appelle le Manifeste rave, publié au milieu des années 1990 sur le forum Alt.Rave. Ce texte est né en réaction à une campagne médiatique de dénigrement qui s’abattait alors sur ces fêtes. Il s’inspire des propos d’un DJ new-yorkais Frankie Bones, figure majeure de l’introduction de la culture rave aux États-Unis. L’essence de la philosophie du mouvement se résume en quatre mots : paix, amour, unité et respect (plus connus sous l’acronyme PLUR, pour Peace, Love, Unity, Respect). Qu’est-ce qui pousse des millions de personnes à vouloir participer à ce type de fêtes ? Le terme « rave » signifie « délire » en anglais. Ces fêtes permettent, à travers une musique manipulée électroniquement, de transcender l’individualité au profit du collectif. C’est ce que le sociologue Émile Durkheim appelait « l’effervescence collective », un phénomène également observable dans d’autres événements de musique live. Les raves sont nées dans les années 1980. Les toutes premières étaient des fêtes illégales organisées dans des entrepôts désaffectés de Londres. Influencées par les free festivals et les new travellers (deux mouvements libertaires liés aux festivals artistiques et musicaux), ces free parties s’étiraient alors jusqu’à l’aube, au son du hip-hop, du groove puis, de plus en plus, de la house et de la techno venues de Chicago et Détroit. En 1989, le Royaume-Uni connaît ce que l’on appellera le « Second Summer of Love ». Cette période est marquée par des fêtes clandestines où la jeunesse célèbre le collectif à travers la musique électronique et l’expérimentation psychotrope. Peu après, en mai 1992, le collectif Spiral Tribe organise une rave illégale d’ampleur à Castlemorton, réunissant quelque 20 000 personnes. Malgré la répression policière et les tentatives d’interdiction par le gouvernement de Margaret Thatcher, le phénomène est déjà enraciné dans les pratiques festives de la jeunesse. Rapidement, de nombreux clubs et discothèques britanniques intègrent des soirées électroniques à leur programmation. Légalement encadrées, ces soirées marquent l’émergence d’un second modèle de raves : les raves institutionnalisées. Elles se diffusent ensuite à travers l’Europe et le reste du monde, connaissant un véritable essor et devenant peu à peu un produit du capitalisme culturel : des fêtes commercialisées, mondialisées et peu différenciées les unes des autres. Ce modèle inspire, par exemple, un mouvement emblématique de l’Espagne des années 1990 : la Ruta del Bakalao, un ensemble d’une dizaine de discothèques géantes à Valence. Ces clubs – Barraca, Espiral, NOD, ACTV, The Face, Spook, Puzzle, Heaven ou Chocolate – ouvrent quasiment en continu durant soixante-douze heures lors du week-end, accueillant des milliers de jeunes amateurs de musique mákina. Comme au Royaume-Uni, la Ruta sombre dans l’oubli au milieu des années 1990. Mais avec la prolifération des festivals musicaux, les raves commerciales reviennent en force. En Espagne, elles occupent désormais une place centrale dans les programmations, voire en deviennent l’élément principal, comme c’est le cas des festivals Dreambeach, Monegros, Medusa ou Sónar. Quant aux raves clandestines, elles attendent le début du XXIe siècle pour gagner en popularité en Espagne. On en trouve notamment à Madrid (dans le tunnel de Boadilla ou au monastère de Perales del Río), en Andalousie (Grenade, Almería) ou en Catalogne. Plus largement, depuis le début du XXIe siècle, particulièrement depuis la pandémie de Covid-19, le mouvement raver ne cesse de gagner des adeptes. Ses partisans sont attirés par sa forme de loisir contre-culturelle et hédoniste, aux accents parfois rituels, voire quasi religieux. Aujourd’hui, les deux grandes tendances coexistent : les raves commerciales (intégrées à la culture clubbing et festivalière) et les clandestines, ou free parties. Ce sont ces dernières qui suscitent le plus de controverses. Organisées par des collectifs appelés sound systems, elles sont secrètes, autogérées, non lucratives (les recettes servent à financer la fête), durent souvent plusieurs jours et se tiennent à l’écart des centres urbains pour éviter les conflits. Elles exigent une logistique importante : tours de haut-parleurs, générateurs, essence, câblages, décors et éclairages sophistiqués. Ces fêtes ont toujours intégré une dimension visuelle et scénique forte. Elles constituent aussi des espaces communautaires en rupture avec la vie quotidienne : des hétérotopies ou zones liminales où l’amour, la paix, l’unité et le respect sont les règles du vivre-ensemble. Elles se veulent des espaces sûrs, non violents, où les femmes sont respectées et non sexualisées. Cette philosophie s’étend aussi à la défense de l’environnement comme en témoigne la parade berlinoise Rave The Planet, à la justice sociale comme lors des manifestations de Beyrouth en 2019, ou à l’engagement contre les conflits armés comme les raves organisées dans le désert israélien en protestation contre l’occupation de la Palestine. Et ce, malgré la consommation de drogues associée à ces événements, où le cannabis et l’ecstasy – liés à la danse et à la fusion avec la musique – sont préférés au tabac, au LSD, à la cocaïne ou à l’alcool, dont la consommation peut parfois être mal vue. Sur le plan sociologique, les raves se distinguent par leur hétérogénéité et leur diversité. Selon leur style musical prédominant (techno, hardtechno, électronique, house, psychedelic trance, breakcore), elles attirent qui des clubbers, qui des punks, qui des hippies ou encore d’autres tenants de subcultures urbaines contemporaines. Et comme l’indique le Manifeste rave, tout le monde y est le bienvenu : « Nous sommes une entité massive, un village tribal, global, qui dépasse toutes les lois établies par l’homme, ainsi que la géographie et le temps lui-même. Nous sommes innombrables. Nous sommes un. » Cristina Pérez-Ordóñez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche. Texte intégral 2416 mots
De l’esprit libertaire aux fêtes capitalistes
Le cas de l’Espagne
De plus en plus de « ravers » ?