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06.03.2025 à 16:54

Le sport booste la mémoire jusqu’à 24 heures après la séance - nouvelle recherche

Mikaela Bloomberg, Senior Research Fellow, Department of Epidemiology and Public Health, UCL
Des travaux menés chez des personnes âgées de 50 à 83 ans ont montré que la pratique d’une activité physique améliore les performances cognitives. La qualité du sommeil joue également un rôle.

Texte intégral 1527 mots

Des travaux menés chez des personnes âgées de 50 à 83 ans ont montré que la pratique d’une activité physique améliore les performances cognitives. La qualité du sommeil joue également un rôle.


Ce qui est bon pour le cœur est bon pour le cerveau : l’activité physique permet non seulement de garder notre corps en forme et de maintenir notre force physique à mesure que nous vieillissons, mais elle contribue aussi à préserver nos fonctions cognitives. Elle a notamment été associée à une diminution du risque de démence.

Il semblerait par ailleurs que les bienfaits cognitifs de l’exercice ne se font pas uniquement sentir sur le long terme. En effet, l’activité physique semble aussi offrir un coup de pouce à court terme à notre cerveau. Selon notre dernière étude, le gain cognitif qui en résulte pourrait durer jusqu’à 24 heures. Étant donné que certaines capacités cognitives déclinent avec l’âge, toute amélioration est bonne à prendre, dans l’optique de rester actifs et indépendants le plus longtemps possible…

Un « coup de boost » qui dure de quelques minutes à plusieurs heures

Divers travaux de recherche, menés en laboratoire ou en conditions réelles, avaient révélé que les personnes actives physiquement – parce qu’elles s’entraînent régulièrement ou tout simplement parce qu’elles bougent davantage que les autres dans leur vie quotidienne – obtiennent de meilleurs résultats aux tests cognitifs dans les heures qui suivent l’exercice que des individus moins actifs.

Cependant, une question restait posée : combien de temps ces bénéfices cognitifs durent-ils – en particulier chez les personnes âgées, pour qui le maintien des fonctions cognitives est essentiel ?

Pour répondre à cette question, nous avons analysé les performances cognitives de 76 adultes britanniques âgés de 50 à 83 ans.


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Chaque participant s’est vu équipé d’un tracker d’activité au poignet pendant huit jours et huit nuits, qu’il a porté en poursuivant ses activités habituelles. Grâce à ces dispositifs, nous avons pu déterminer la durée quotidienne passée en activité ou en étant sédentaire, ainsi que l’intensité de l’activité physique.

Nous avons aussi cherché à explorer le rôle du sommeil dans la performance cognitive. En effet, on sait aujourd’hui que l’activité physique affecte également la qualité du sommeil – notamment le temps passé dans la phase de sommeil profond et réparateur, appelée sommeil à ondes lentes.

Pour cela, nous avons extrait des relevés fournis par les trackers d’activité un certain nombre de données en lien avec la qualité du sommeil, telles que la durée totale du sommeil et le temps passé en phase de sommeil à ondes lentes.

Les participants équipés de trackers ont également passé une série de tests cognitifs quotidiens destinés notamment à évaluer la mémoire épisodique (la capacité à se souvenir d’expériences passées) et la mémoire de travail (la capacité à stocker temporairement des informations dans l’esprit). Le type de tests cognitifs administrés changeait chaque jour, afin de réduire les effets d’apprentissage et d’habituation aux réponses.

Un homme portant un moniteur d’activité au poignet dort.
La phase de sommeil à ondes lentes s’est également avéré important pour la performance en mémoire. Melnikov Dmitriy/Shutterstock

En outre, afin de nous assurer que la performance cognitive du lendemain était bien liée aux effets de l’activité physique et du sommeil, nous avons pris en compte diverses caractéristiques démographiques, socio-économiques et liées au mode de vie qui auraient pu fausser les résultats.

Nous avons enfin quotidiennement contrôlé, pour chaque participant, le score cognitif de la veille, afin d’évaluer les améliorations cognitives d’un jour à l’autre.

Une légère amélioration de la mémoire

Nos résultats indiquent que les personnes pratiquant davantage d’activité physique d’intensité modérée à vigoureuse (comme le jogging ou le vélo) obtenaient de meilleurs scores que les autres aux tests de mémoire épisodique et de mémoire de travail effectués le lendemain. Des études antérieures, menées en laboratoire, avaient déjà suggéré que les bienfaits de l’exercice sur la mémoire pouvaient durer quelques heures. Nos propres travaux tendent à laisser penser que cet effet pourrait en réalité être plus long.

Une meilleure qualité de sommeil – en particulier durant la phase de sommeil à ondes lentes – s’est également avérée être associée à une amélioration des scores de mémoire, et ce, indépendamment de l’activité physique.

Nous avons par ailleurs constaté que les personnes plus sédentaires que les autres obtenaient de moins bons scores en mémoire de travail le jour suivant.

Les bénéfices cognitifs à court terme obtenus suite à la pratique d’une activité physique pourraient résulter de l’augmentation du flux sanguin et de la libération de substances chimiques spécifiques par le cerveau qui résultent de l’exercice. On sait que certaines de ces substances contribuent à la fonction cognitive, et qu’en général, leurs effets neurochimiques sont censés durer quelques heures.

D’autres changements induits par l’exercice – dont certains impliqués dans la fonction mnésique – pourraient persister pendant 24 à 48 heures après l’activité physique, ce qui pourrait expliquer les résultats observés dans notre étude.

Il faut souligner que l’amélioration des performances observée est relativement modeste ; aucun des participants à notre étude ne souffrant de troubles cognitifs, la marge d’amélioration de leurs capacités n’était probablement pas très importante. De futures études devront être menées pour évaluer si les personnes atteintes de maladies neurodégénératives – comme la démence par exemple – ont des marges d’améliorations plus importantes.

Nos résultats devront également être confirmés par des travaux menés sur une cohorte de plus grande taille. En attendant, ils suggèrent qu’il est important, à mesure que l’on vieillit, non seulement de rester actif, mais aussi de dormir correctement.

The Conversation

Mikaela Bloomberg ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

06.03.2025 à 16:17

Assessing the damage of a Trump-Putin deal

Jacques Rupnik, Directeur de recherche émérite, Centre de recherches internationales (CERI), Sciences Po
Trump’s pivot toward Russia closes a 75-year-old chapter in transatlantic history. It’s now time for Europeans to take charge of their own destiny.

Texte intégral 1848 mots

This is not the “end of history” heralded by some after 1989, but certainly the end of an era marked by the post-war transatlantic alliance of Western democracies. The Alliance was created at the instigation of the United States; it is being undone by the United States. Trump’s pivot to Russia in dealing with the war in Ukraine closes a 75 year old chapter in our history. It leaves behind a series of casualties’, not just collateral damage. Here are briefly sketched the most important.

The first casualty is Ukraine

After the Alliance, first and most obvious is Ukraine. After the roasting given to president Zelensky in the White House, broadcast live to the world, the message is clear: the will be a ‘peace’ negotiated by Trump and Putin (their foreign ministers’ meeting was held in Ryiad) and imposed on the Ukrainians. It’s not a “give and take” negotiation, it is “take it or leave it”. Trump branded as a minor trophy in his speech to the Congress on 4 March 2025, the letter received from the Ukrainian president, revising his defiant stance: “I want peace quickly and am prepared to negotiate now”. “Negotiate”? He has not so far been invited to a negotiation which will be about Ukraine without Ukraine. Chose your historical analogy: Munich where Britain and France abandoned Czechoslovakia to Hitler in 1938 or the Hitler-Stalin pact of August 1939 which divided East European spheres of influence between them.


A weekly email in English featuring expertise from scholars and researchers. It provides an introduction to the diversity of research coming out of the continent and considers some of the key issues facing European countries. Get the newsletter!


In accepting the would-be ‘peace deal’ Ukraine would also give the US access to rare earth in Ukraine (some of it happens to be in Donbas controlled by Russia). In short, Ukraine’s choice, now deprived of US military backing (including intelligence and the capacity to strike in Russian territory), is: do you want to continue fighting on your own with the risk of being gradually exhausted and occupied by Russia or are you willing to cede, say, half of your territory – to the “Donald Trump & Co” mining company? Make-up your mind fast as the US president promised the deal would be settled within hundred days.

The second casualty is Europe

The second casualty is Europe or more precisely the political and security predicament inherited from the cold-war era and confirmed during America’s “unipolar moment” (Charles Krauthammer) which followed 1989. The moment was just that, a moment. Until now, the overwhelming majority of EU member-states cherished as an article of faith the idea that the American security umbrella was there and would stay there. That meant clinging to US foreign and security agenda and provide support to US international adventures including the 2003 war in Iraq. The East Europeans in particularly were adamant: you follow the US in the Mesopotamian desert, whether or not you believed the case made for it, but because you considered it as the best investment in your own security just as you were joining NATO. America was and remained the “indispensable nation” as Madeleine Albright put it. For many, particularly in Germany, Trump’s first term in office was seen as a mere parenthesis. Now it is Biden’s presidency which looks like a parenthesis between Trump I and Trump II.

Macron’s call for European “strategic autonomy” or “European sovereignty” were seen with some suspicion as perhaps another neo-Gaullist ploy to distance Europeans from their American allies. A misperception as what was Macron was proposing was “Eurogaullism”, i.e. not French but European “strategic autonomy”.

The harsh truth about Trump’s pivot to Russia

Now the Europeans in a state of shock have to confront some harsh truths about Trump’s pivot to Russia and the Alliance losing its most precious asset: trust. The Nato article 5 guarantee – the principle of collective defence, which means that an attack against one Ally is considered as an attack against all Allies – is still formally there, but the faith in the American guarantee is gone.

What we have just witnessed is the ‘de-coupling’ between the European and American allies. That had been a long-term objective of Soviet foreign policy during the cold war; it now comes true under Putin. In the 1980’s when the Soviet SS20 medium range missiles were deployed (could hit Western Europe, not the US), West Europeans supported the deployment of American Pershing missiles. French president Mitterrand went to the Bundestag to make the case in the face of a strong pacifist reaction in Germany: “Les missiles sont à l’Est, les pacifistes sont à l’Ouest” (“Missiles are in the East, pacifists are in the West”), Mitterrand said.

A defining moment for Europeans

This is now a defining moment for Europeans and it remains to be seen if and how they will rise to the occasion. The Munich conference displayed one, not very encouraging version. J .D. Vance first surprised his audience saying he was more worried about the threat from within (liberalism and its liberal and/or progressive values) than from without (Putin). He chastised the Europeans for not living up to the democratic values, leaving the European establishment present at the conference baffled and amazed: not just the war in Ukraine, but democracy too was now explictly part of the new Atlantic divide. Tensions between popular sovereignty as expressed in elections, and the rule of law with the separation of powers and its constitutional constraints, has been at the center of a more than two centuries old debate on both sides of the Atlantic (back to Tocqueville and his warnings about the “tyrany of the majority”). Vance made the case for the Trumpian version of “populist democracy” attacking the prevailing European version of liberal democracy based on the rule of law. Instead of responding in kind, as Vance rushed off to his meeting with the leader of the extreme right AfD, the president of the Munich conference, Christoph Heussgen, an experienced German diplomat, collapsed in tears. The whipping boy vs the weeping boy. A sad symbolic moment for Europe.

However, in response to Trump’s pivot to Russia, the Europeans are coming to terms with the fact that they are now on their own. The meeting organized in London on 2 March 2025, suggests that a coalition of the willing is in the making in support of Ukraine and determined to give substance to a European “common security and defense policy” long discussed, now to be implemented.

Who will be part of it?

Who will be part of it? France and Britain, because of their military capacity, their nuclear power status and their old strategic culture. The Weimar triangle Paris-Berlin Warsaw is likely be its crucial axis within the EU. Macron has taken an increasingly tough stance on Russia and can claim to be a forerunner in terms of Europe’s “strategic autonomy”. The new German chancellor, Friedrich Merz, has for the first time openly suggested that defense spending should not be constrained by outdated spending limits and that German/European security will have to be envisaged independently of the US. Poland’s Donald Tusk, now in charge of EU’s rotating presidency, has been a forerunner in his warnings about Russian expansionist ambitions and is the most explicit among Europeans concerning the effort needed in terms of building a European defense capacity (Poland spends 4,5% of the GDP for defense). The coalition will also include the Czechs who are coordinating European munition supply to Ukraine, and the Nordic countries: Danmark, mobilized in defense of… Greenland (!), Finland and Sweden who know a thing or two about the Russian threat and have now joined Nato only to discover that its founder is on the way out… As Tusk aptly put it: “500 million Europeans expect 340 million Americans to protect them against 140 million Russians”. Time for Europeans to take charge of their own destiny.


The Conversation

Jacques Rupnik ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

06.03.2025 à 15:35

Féminicides : comment mieux protéger le commun des mortelles ?

Margot Giacinti, Docteure en science politique et post doctorante, Université de Lille
Quand il n’y a pas mort d’homme : retour sur l’histoire de la notion de « féminicide » et sur les chantiers à mener pour mieux protéger les femmes.

Texte intégral 2203 mots

Le concept de « féminicide » est essentiel à la sécurité des femmes. Comment pourrait-on combattre ce qui n’est pas nommé ? Dans les médias, la notion de crime passionnel semble enfin avoir disparu. L’enjeu est désormais sur ce qu’on met derrière le terme féminicide, et comment on l’interprète. Les recherches de la politiste Margot Giacinti reviennent sur l’histoire de cette notion et offrent des pistes concrètes pour mieux protéger les femmes.


Le féminicide est le meurtre d’une femme parce qu’elle est une femme. Cette définition voit le jour sous la plume de la sociologue Diana Russell qui, après avoir travaillé à identifier cette forme spécifique de violence dans les années 1970, signe en 1992 avec sa consœur Jill Radford l’ouvrage fondateur, Femicide: The Politics of Woman Killing (New York, éditions Twayne).

D’abord approprié par les chercheuses et militantes d’Amérique latine dans les années 2000, le concept se diffuse lentement en Europe à partir des années 2010. En France, il faut attendre les premiers comptages du collectif Féminicides par compagnon ou ex (2016) et le début des collages féminicides, en 2019, pour que sa diffusion soit assurée à l’échelle nationale.

Pourtant, ni le féminicide comme fait social ni sa dénonciation ne sont des nouveautés. Depuis le XIXe siècle, des militantes féministes tentent d’identifier et de théoriser ce crime. Mais leurs idées sont demeurées minoritaires (ou plutôt minorisées) et, faute de trouver un écho dans l’opinion, sont restées méconnues.

Un travail de dévoilement généalogique de la notion, couplé à l’analyse d’affaires judiciaires, permet de saisir les biais sociohistoriques qui ont entravé l’émergence de ce concept clé. Il permet également d’identifier les marges de progression qui demeurent dans la lutte contre cette forme de violence extrême contre les femmes.


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Le féminicide, un concept utile pour se défaire des catégories patriarcales

En théorisant le féminicide, les féministes ont cherché à rompre avec deux lectures qui se sont construites historiquement aux XIXe et au XXe siècles, et qui ont perduré jusqu’au XXIe siècle.

D’une part, la lecture conjugaliste, qui ne s’intéresse qu’au meurtre entre époux (laissant dans l’ombre les féminicides sur concubines, sur inconnues, etc.) et qui symétrise les violences dans le couple. D’autre part, la lecture passionnelle, qui érige ce meurtre en crime passionnel, conséquence d’un trop-plein d’amour – pardonnable pour certains, comme on le voit par exemple dans la littérature romantique.

À rebrousse-poil de ces acceptions, le concept de féminicide constitue une manière radicalement différente de penser le crime, qui se défait des lectures patriarcales, conjugaliste et passionnelle. Le féminicide touche l’ensemble de la classe des femmes, les victimes étant ciblées spécifiquement parce qu’elles sont des femmes, c’est-à-dire qu’elles vivent dans des sociétés qui les placent dans des positions de subalternité et de vulnérabilité structurelles et qui entérinent ainsi la possibilité pour les hommes de les dominer.

La chanteuse mexicaine Vivir Quintana et le choeur El Palomar interprétant la célèbre Cancion sin miedo (Chanson sans peur) contre les féminicides.

Dans les écrits des féministes, le féminicide devient un crime produit par le rapport de domination qu’est le genre. Il n’est donc pas corrélé à la seule sphère conjugale et ses contextes de réalisation sont variés : intimité sexuelle ou affective (meurtre d’une épouse, d’une concubine, d’une ex, d’une femme exerçant la prostitution), sphère familiale non conjugale (meurtre d’une mère, d’une sœur, d’une fille), relation amicale et, plus largement encore, le milieu professionnel ou l’espace public.

Ne pas restreindre les analyses et le comptage des féminicides à la sphère conjugale

En France, la réception du concept, lorsqu’elle a eu lieu, a été restreinte à la seule sphère conjugale. D’ailleurs, le chiffre généralement retenu pour le nombre annuel de féminicides en France est celui du rapport de la Délégation aux victimes (DAV) du ministère de l’intérieur, rapport qui n’utilise pourtant pas la catégorie féminicide, mais celle de « morts violentes au sein du couple ».

L’étude des affaires de meurtres de femmes, au XIXe comme au XXIe siècle, prouve pourtant que le genre est bien le déterminant commun de l’ensemble des féminicides, dans ou hors du couple. Ainsi, les femmes exerçant le travail du sexe ou subissant des logiques de traite ne sont pas exemptes des violences mortelles, comme l’illustre le meurtre, en 2018, de Vanesa Campos.

Les activités politiques de certaines militantes font aussi d’elles des proies de choix, comme cela s’est vu avec la tentative d’assassinat sur Louise Michel en 1888 ou, plus récemment, avec l’enquête magistrale « Femmes à abattre », du collectif Youpress, sur les féminicides de femmes politiques.

Exclure des comptages et des analyses les féminicides en dehors du couple revient donc à faire un usage partiel et partial du concept. Cela rejoue des lectures conservatrices qui ont failli dans la lutte contre les violences de genre en échouant à identifier les féminicides et ses logiques particulières. Inversement, utiliser le concept tel que formulé par les féministes apparaît essentiel pour mieux saisir la manière dont le genre détermine les crimes et pour dévoiler d’autres formes, encore dissimulées, de féminicides, à l’instar des disparitions de femmes non résolues ou des suicides forcés (suicide d’une victime, consécutif aux violences qu’elle a subies).

La création d’un pôle judiciaire cold cases à Nanterre a notamment pu mettre en lumière la dimension genrée des disparitions non résolues : sur 82 affaires, 56 concernaient des femmes. De même, la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences (Miprof) comptabilise 773 suicides forcés de femmes victimes de violences conjugales en 2023.

Cela modifie considérablement la proportion de féminicides sur le territoire français, puisque seules 93 « morts violentes » de femmes dans le cadre du couple avaient été décomptées par la DAV pour l’année 2023.

Mieux évaluer la menace de mort et soutenir les tentatives d’émancipation des victimes

Un second enjeu pour les politiques publiques en matière de lutte contre les violences est la poursuite de l’analyse de la mécanique du féminicide.

Nos travaux ont mis au jour que la menace de mort était largement sous-évaluée dans les affaires de féminicides, alors qu’elle constitue souvent un signal fort d’un passage à l’acte imminent, notamment si le futur meurtrier possède une arme, ou s’il a déjà un script de mise à mort en tête (« Je vais t’étrangler »).

Le Commun des mortelles, Margot Giacinti
Le Commun des mortelles. Faire face aux féminicides, de Margot Giacinti. éditions Divergences, 2025

Les enquêtes sur les violences faites aux femmes en France telles que l’enquête « Violences et rapports de genre : contextes et conséquences des violences subies par les femmes et par les hommes » (Virage), 2020 ont montré que les femmes déclarent souvent les violences qu’elles considèrent les plus graves et qui sont aussi celles les plus reconnues par la justice, à savoir les violences physiques. Aujourd’hui, un questionnaire d’accueil dans le cadre de violences au sein du couple permet aux forces de police et de gendarmerie d’enquêter en détail sur les violences subies par la victime (violences verbales, psychologiques et économiques, physiques et sexuelles). Si la question de la menace de mort figure bien dans la trame, elle doit cependant être davantage investiguée, en particulier sur le plan du nombre, de la récurrence et du type de menaces, et couplée à celle de la possession d’arme.

De même, on a montré que c’est souvent quand les femmes agissent – en quittant le conjoint, en fuyant le domicile, en dénonçant les violences à un tiers – qu’elles se font tuer. Cette capacité d’agir – ou agentivité – a un rôle essentiel dans le féminicide : c’est lorsque les victimes tentent, comme elles le peuvent, de résister à la violence des hommes qu’elles peuvent faire l’objet de violences redoublées et mortelles, car ces actions s’exercent de manière contraire à la volonté des hommes, en transgression de l’ordre patriarcal.

Bien souvent, ces gestes d’agentivité constituent un moment critique où le risque d’être tuée est grand. Que l’on soit un ou une proche, ou une connaissance, de la victime, identifier ces moments et soutenir sa démarche, en restant vigilant, disponible et mobilisable, apparaît fondamental pour espérer lutter durablement contre les féminicides.

La politisation du féminicide, grâce à la ténacité des mouvements sociaux, a permis, plus d’un siècle après les écrits des féministes de la première vague, la mise à l’agenda d’un pan – encore bien petit – de cet immense problème public. Seule la poursuite de la lutte peut espérer réduire voire endiguer l’ensemble des féminicides et répondre ainsi à l’injonction brûlante des collages féministes : « Pas une de plus. »

The Conversation

Margot Giacinti est membre de conseil d'administration du Planning Familial du Rhône (MFPF69). Dans le cadre de son post-doctorat, elle est financée au titre de ses recherches par l'IERDJ et la Direction de l'Administration Pénitentiaire (DAP).

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