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24.07.2025 à 16:43

Justice climatique : la Cour internationale de justice pose un jalon historique

Sandrine Maljean-Dubois, Directrice de recherche CNRS, Aix-Marseille Université (AMU)
Les États qui cherchent à se soustraire à leurs obligations climatiques peuvent voir leur responsabilité engagée, ce qui ouvre la voie à de futurs contentieux climatiques nationaux.

Texte intégral 2424 mots

Dans un avis inédit et unanime, la Cour internationale de justice reconnaît que le changement climatique constitue une menace existentielle pour l’humanité. Les États qui cherchent à se soustraire à leurs obligations climatiques peuvent voir leur responsabilité engagée, ce qui ouvre la voie à de futurs contentieux climatiques nationaux.


La Cour internationale de justice (CIJ) a rendu hier 23 juillet 2025 un avis consultatif très attendu sur les obligations des États à l’égard des changements climatiques. Dans cet avis qui constitue un jalon historique, la Cour clarifie les obligations des États : considérant que les changements climatiques constituent un risque existentiel pour l’humanité, elle adopte une interprétation du droit international particulièrement stricte et « pro-climat ».

La CIJ avait été saisie par une résolution de l’Assemblée générale de l’ONU, adoptée par consensus il y a plus de deux ans, le 29 mars 2023. Inspirée par un collectif d’étudiants ( « Islands Students Fighting Climate Change ») de l’université du Pacifique Sud, cette demande avait été portée à l’ONU par un petit État insulaire du Pacifique, Vanuatu.

Elle fait suite à un premier projet qui avait été porté en 2011 par Palaos et les Îles Marshall, mais n’avait pas abouti pour des raisons politiques. Cette fois, grâce à une intense activité diplomatique, Vanuatu est parvenu à rallier une vaste coalition internationale et à convaincre l’Assemblée générale de l’ONU de saisir la Cour.

De nombreux États ont participé à la procédure, qui a donné lieu aux plus grandes audiences jamais connues par la Cour, avec une centaine d’interventions au total.

Un contexte d’explosion des procès climatiques

Créée en 1945, la Cour est l’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations unies (ONU). Composée de 15 juges élus pour un mandat de 9 ans, représentant les principaux systèmes juridiques du monde, elle siège à La Haye, aux Pays-Bas. La CIJ peut connaître de procédures contentieuses – elle tranche alors des conflits entre États – ou de procédures consultatives, lorsque des demandes d’avis concernant des questions juridiques lui sont présentées par des organes ou institutions spécialisées des Nations unies, comme c’est le cas ici.

Cette demande s’inscrit dans un contexte d’explosion du nombre de procès dits « climatiques » dirigés contre des États ou des entreprises à l’échelle mondiale.

Plus de 2 300 procès climatiques, en cours ou terminés, ont déjà été recensés aux États-Unis. On en compte également près de 1 300 ailleurs dans le monde, selon la base de données du Sabin Center de l’Université de Columbia.

Le droit international – tout particulièrement l’accord de Paris de 2015 – est souvent invoqué durant ces contentieux, qui se déroulent devant les juges nationaux. L’accord de Paris devient alors l’objet de batailles juridiques pour déterminer comment on doit l’interpréter, à quoi il oblige exactement les États et comment il s’articule avec d’autres obligations internationales (commerce international, investissements internationaux, droit de la mer, droits de l’homme…).


À lire aussi : Climat : le Tribunal international du droit de la mer livre un arrêt historique


Récemment, non pas une mais quatre juridictions internationales ont été saisies de demandes d’avis consultatif visant à clarifier le contenu des obligations des États. Par ordre chronologique, il s’agit du Tribunal international du droit de la mer, de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, de la Cour internationale de justice dont il est question dans cet article et de la Cour africaine des droits de l’homme.

Les avis du Tribunal international du droit de la mer et de la Cour interaméricaine des droits de l’homme ont apporté d’utiles précisions. Mais ils n’ont pas tranché toutes les questions posées, car ces tribunaux avaient une compétence limitée.

Ainsi, la Cour interaméricaine n’est compétente que s’agissant des droits de l’homme et pour la vingtaine de pays membres de l’OEA. Le Tribunal international du droit de la mer, pour sa part, a une compétence limitée parce que spécialisée. La Cour internationale de justice a, au contraire, une compétence très large et est universelle.

Que retenir de cet avis de 130 pages ?

La double question qui a été posée à la Cour internationale de justice était extrêmement vaste :

  • Quelles sont les obligations des États, en vertu du droit international, face à la crise climatique ?

  • Quelles sont les conséquences juridiques pour les États en cas de manquement à ces obligations ?

Pour y répondre, la Cour était invitée à appliquer l’ensemble des règles qu’elle considérait comme pertinentes, du droit international du climat au droit de la mer, en passant par les droits humains. Enfin, elle était appelée à clarifier les obligations climatiques des États, non seulement vis-à-vis des autres États, mais aussi des peuples et des individus.

La Cour internationale de justice rappelle les obligations des États face à la crise climatique.

De ce long avis de 130 pages, nous pouvons retenir plusieurs points clés.

Sur les aspects scientifiques, la Cour confirme l’importance des rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Elle note que les États se sont accordés à dire devant elle qu’ils constituaient les meilleures données scientifiques disponibles sur les causes, la nature et les conséquences des changements climatiques. En novembre 2024, la Cour avait d’ailleurs demandé à rencontrer plusieurs membres du Giec pour renforcer sa compréhension des éléments scientifiques.

La Cour mobilise une large palette de normes internationales, tant coutumières (c’est-à-dire non écrites, comme le principe de prévention des dommages) que conventionnelles qui vont bien au-delà de l’accord de Paris. Elle estime ainsi qu’un État non membre d’un traité sur le climat (une allusion aux États-Unis qui ont de nouveau quitté l’accord de Paris sous l’impulsion de Donald Trump), a malgré tout des devoirs en la matière.

Sur les obligations des États, la Cour livre une interprétation très stricte du droit international. Au vu de la « menace urgente et existentielle » que représentent les changements climatiques, la CIJ considère à plusieurs reprises que la marge de discrétion des États doit être réduite. Ils ont des obligations étendues, aussi bien en termes d’atténuation des changements climatiques, que d’adaptation et de coopération :

  • L’objectif de l’accord de Paris, qu’il « convient de suivre » est bien de 1,5°C et non plus « nettement en dessous de 2°C », les États l’ayant notamment acté au cours des dernières COP sur le climat. Dans les mesures qu’ils adoptent, les États doivent prendre dûment compte des intérêts des générations futures et des « conséquences à long terme de certains comportements ».

  • Le niveau d’ambition de leurs contributions nationales n’est donc pas discrétionnaire : les contributions doivent être réellement les plus ambitieuses possibles, progresser de cycle en cycle, et permettre d’atteindre l’objectif de l’accord au bout du compte.

  • Les États doivent prendre les mesures voulues pour atteindre les objectifs de leurs contributions, mais les obligations peuvent toutefois être modulées selon les émissions historiques des États ou leurs niveaux de développement.

  • Les États ont « l’obligation, en vertu du droit international des droits de l’homme, de respecter et de garantir la jouissance effective des droits de l’homme en prenant les mesures nécessaires pour protéger le système climatique et d’autres composantes de l’environnement ».

  • Enfin, les États doivent coopérer, car « les efforts que déploieraient les États sans se coordonner entre eux pourraient ne pas leur permettre d’obtenir des résultats effectifs ».

Vers de futurs contentieux climatiques ?

Sur les conséquences juridiques, la Cour ouvre clairement la voie à de futurs contentieux en confirmant que les États peuvent voir leur responsabilité engagée s’ils ne se conforment pas à leurs obligations.

Pour elle, « le fait pour un État de ne pas prendre les mesures appropriées pour protéger le système climatique contre les émissions de gaz à effet de serre (GES) – notamment en produisant ou en utilisant des combustibles fossiles, ou en octroyant des permis d’exploration ou des subventions pour les combustibles fossiles – peut constituer un fait internationalement illicite attribuable à cet État ».

Elle estime que le droit international exige des États qu’ils mettent fin aux violations et notamment mettent « en œuvre tous les moyens à leur disposition pour réduire leurs émissions de GES » et prennent « toutes autres mesures propres à assurer la conformité à leurs obligations ».

Ils doivent aussi réparer intégralement les dommages causés aux autres États ou aux individus, par une remise en état lorsqu’elle sera possible, et/ou par une indemnisation et/ou par une satisfaction. Cette dernière pourrait ici prendre la forme d’une « expression de regrets, des excuses formelles, une reconnaissance ou une déclaration publique, ou encore en mesure de sensibilisation de la société aux changements climatiques ».

Pour la réparation des dommages, un lien de causalité devra être établi entre les actions ou omissions illicites d’un État et les dommages résultant des changements climatiques. Dans une partie quelque peu élusive, la CIJ reconnaît que c’est plus difficile que pour d’autres pollutions plus locales. Mais elle ajoute que ce n’est pas non plus « impossible » et que cela devra être apprécié in concreto (c’est-à-dire, sur la base d’éléments concrets) dans d’éventuels contentieux climatiques à venir.

Un avis historique

L’avis peut être qualifié d’historique : la Cour ne s’était jamais prononcée sur le sujet, d’autant que ce dernier est sensible. Les COP sur le climat s’essoufflent depuis plusieurs années et que beaucoup d’États reculent dans leurs politiques climatiques voire environnementales, alors même que les conséquences du changement climatique se font sentir de plus en plus vivement.

Les États les plus pauvres et vulnérables, mais aussi les ONG et militants environnementaux avaient des attentes très élevées envers cet avis. Bien que la Cour reste très générale et abstraite dans ses formulations, elle y répond assez largement.

Certes, un avis consultatif n’est pas contraignant en lui-même et les États ne s’y conforment pas toujours, mais il revêt une grande autorité. Adopté à l’unanimité, cet avis pourrait avoir des conséquences politiques et même juridiques.

Il pourrait être mobilisé dans les négociations internationales, et notamment lors des prochaines COP sur le climat. Beaucoup espèrent qu’il poussera au relèvement de l’ambition des politiques climatiques et soutienne leurs positions.

On imagine aussi qu’il va venir alimenter les contentieux climatiques nationaux, et peut-être même motiver certains États à saisir des tribunaux internationaux contre d’autres États.

Néanmoins, la Cour termine son avis en soulignant le rôle certes non négligeable, mais somme toute « limité » du droit international. Elle espère que « ses conclusions permettront au droit d’éclairer et de guider les actions sociales et politiques visant à résoudre la crise climatique actuelle », mais affirme que :

« [La] solution complète à ce problème qui nous accable, mais que nous avons créé nous-mêmes […] requiert la volonté et la sagesse humaines – au niveau des individus, de la société et des politiques – pour modifier nos habitudes, notre confort et notre mode de vie actuels et garantir ainsi un avenir à nous-mêmes et à ceux qui nous suivront. »

Elle engage ici une réflexion sur le rôle du juge, du droit, mais aussi sur leurs limites face à cet enjeu de civilisation.

The Conversation

Sandrine Maljean-Dubois a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche pour le projet PROCLIMEX. Elle a été avocat-conseil de la République démocratique du Congo dans cette affaire.

24.07.2025 à 16:40

Une courte histoire du T-shirt à slogan, bannière de nombreuses luttes depuis l’après-guerre

Liv Auckland, Lecturer in Fashion Communication and Creative Direction for Fashion, Nottingham Trent University
Dans le monde d’avant Internet, les T-shirts offraient un espace pour promouvoir des causes méconnues.

Texte intégral 2000 mots

Depuis des décennies, le T-shirt à slogan s’impose comme un puissant vecteur d’expression politique et personnelle. De la guerre du Vietnam aux luttes LGBTQIA+, il continue de porter haut les combats de son époque.


Vous avez probablement un tiroir rempli de T-shirts. Ils sont confortables, faciles à assortir, bon marché et omniprésents. Mais le T-shirt est loin d’être basique. Depuis soixante-dix ans, il est utilisé comme outil d’expression de soi, de rébellion et de protestation. Et en 2025, le T-shirt à slogan est aussi puissant qu’il ne l’a jamais été.

Autrefois porté comme sous-vêtement, le T-shirt devient un vêtement à part entière après la Seconde Guerre mondiale. Moulant le corps de jeunes hommes en bonne forme physique, il en vient à symboliser l’héroïsme, la jeunesse et la virilité.

Le T-shirt est adopté par des groupes issus de sous-cultures comme les bikers ou les passionnés de voitures customisées. Il est popularisé par des stars hollywoodiennes comme Marlon Brando et James Dean. Au milieu des années 1950, il devient un symbole de rébellion et de coolitude.

Les punks s’en emparent

À partir des années 1960, les T-shirts à slogans gagnent en popularité aux États-Unis et au Royaume-Uni, et les femmes commencent à les porter à mesure que la mode se fait plus décontractée. À l’ère postmoderne, le langage devient moins fonctionnel et davantage orienté vers l’expression individuelle et l’exploration personnelle. Cette approche ludique du mot, alliée à un accent mis sur le design et le commentaire social, fait du T-shirt une toile idéale pour la défense de la pensée individuelle.

Les slogans pacifistes dominent les T-shirts aux États-Unis pendant la guerre du Vietnam et face à la menace croissante d’un conflit nucléaire. L’un des slogans les plus connus reprend l’affiche de la célèbre campagne de 1969 « War is Over » de John Lennon et Yoko Ono, un T-shirt encore reproduit aujourd’hui. Les messages de paix, qu’ils utilisent des mots ou des symboles, sont restés présents dans notre garde-robe collective, de la haute couture à la mode grand public.

Dans les années 1970, le New York Times qualifie le T-shirt de « support du message », et ce message devient de plus en plus subversif. Les T-shirts à slogans cherchent à provoquer, par l’humour ou la controverse.

Les punks excellent dans cet exercice. Ils construisent ce que le théoricien des sous-cultures Dick Hebdige appelle une « rhétorique de vaurien » (« guttersnipe rhetoric ») dans son étude de 1979 Subculture : The Meaning of Style. Les créateurs Vivienne Westwood et Malcolm McLaren ouvrent la voie à une esthétique DIY où les slogans sont souvent griffonnés, expressifs et remettent en cause les normes sociales.

Le T-shirt à slogan dans la lutte pour les droits LGBTQIA+

Les progrès de la fabrication et de l’impression à l’ère postmoderne permettent aussi une impression de masse des slogans, une évolution dont la communauté LGBTQIA+ et ses alliés s’emparent.

Parmi les T-shirts à slogans les plus marquants de l’histoire, beaucoup sont créés en réaction à l’épidémie de sida dans les années 1980. Le plus poignant porte simplement la mention « Silence = Death ». D’abord une affiche, le design est ensuite imprimé sur des T-shirts par la Coalition pour libérer le pouvoir contre le sida (connue sous le nom d’« Act Up »), pour être porté lors de manifestations.

Les personnes touchées par le sida sont diabolisées et largement ignorées, si bien que la communauté queer doit se tourner vers l’activisme pour obtenir des réponses du gouvernement et de leurs concitoyens. Dans After Silence : A History of Aids through Its Images (2018), l’auteur Avram Finkelstein décrit l’activisme de l’époque comme un « appel et une réponse, une demande de participation » pour les vies en jeu. Dans un monde d’avant Internet, le T-shirt devient une plate-forme pour rendre visible ce combat.

Les années 1980 voient aussi le T-shirt à slogan entrer dans la culture populaire autant que dans l’arène politique, notamment avec les créations de Katharine Hamnett. Connus pour leur coupe ample, ses messages politiques ornent le torse de célébrités comme George Michael et Debbie Harry. En 1984, Hamnett marque l’histoire de la mode en rencontrant la première ministre Margaret Thatcher avec un T-shirt où l’on peut lire « 58 % Don’t Want Pershing » (« 58 % ne veulent pas de Pershing », dénonçant l’installation de missiles américains Pershing en Europe pendant la guerre froide), une référence à son opposition aux armes nucléaires.

La même année, son design « Choose Life » devient iconique lorsqu’il est porté dans un clip de Wham ! À l’origine, cette phrase renvoie aux enseignements fondamentaux du bouddhisme, mais elle prend un sens plus large dans le contexte de l’épidémie de sida, du thatchérisme et de l’instabilité économique.

Le T-shirt « Choose Life » dans le clip de Wham ! Wake Me Up Before You Go-Go.

Le slogan est ensuite utilisé dans le monologue d’ouverture du film culte Trainspotting (1996), qui se déroule dans un Édimbourg pauvre et marqué par la drogue. Ce design est repris d’innombrables fois, y compris par Hamnett elle-même pour l’association de soutien aux réfugiés Choose Love.

Dans son ouvrage de 2013 Slogan T-shirts : Cult and Culture, l’autrice Stephanie Talbot explique que les T-shirts à slogans peuvent traverser le temps et devenir iconiques. Si le T-shirt « Choose Life » a transcendé les générations, il montre aussi comment le message convoyé par un slogan peut changer selon la personne qui le porte, celle qui le lit, et le contexte dans lequel il est vu. Aujourd’hui, au grand désarroi de Hamnett, « Choose Life » a été récupéré par des militants antiavortement, adoptant un sens différent et basculant de l’autre côté du spectre politique.

Qui peut porter un T-shirt à slogan ?

Quand on porte un T-shirt à slogan, on projette son moi intérieur dans l’espace public, créant une extension de soi qui invite les autres à nous percevoir. Cela crée des opportunités de conflit autant que de lien et de communauté, exposant nos corps – en particulier les corps marginalisés – à un certain risque.

En 2023, par exemple, de nombreux manifestants pacifiques sont arrêtés pour avoir porté des T-shirts Just Stop Oil, montrant à quel point porter un T-shirt à slogan peut être dangereux – voire potentiellement illégal.

L’acteur Pedro Pascal porte le T-shirt « Protect the Dolls » avec un manteau brun
L’acteur Pedro Pascal porte le T-shirt « Protect the Dolls », de Connor Ives. Fred Duval/Shutterstock

La communauté LGBTQIA+ continue néanmoins d’utiliser la puissance de ce support – non pas malgré les changements législatifs, mais à cause d’eux. Le créateur Connor Ives clôture son défilé à la Fashion Week de Londres 2025 avec un T-shirt portant le slogan « Protect the Dolls », à une époque où les vies trans et l’accès aux soins liés au genre sont de plus en plus politisés. Le mot « dolls » est un terme affectueux utilisé dans les milieux queers pour désigner celles qui s’identifient au féminin, y compris les femmes trans.

Après avoir reçu un large soutien, le T-shirt entre en production pour lever des fonds au profit de l’association américaine Trans Lifeline. De nombreuses célébrités l’ont depuis porté, notamment l’acteur Pedro Pascal et le musicien Troye Sivan, pour exprimer leur soutien face aux nombreuses lois restrictives. Dans un monde qui semble de plus en plus chaotique, pour beaucoup, le simple T-shirt reste un espace où exprimer ce que l’on ressent vraiment.

The Conversation

Liv Auckland ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

24.07.2025 à 12:12

Le réchauffement climatique menace les glaciers, les lacs et les écosystèmes des Pyrénées

Hugo Sentenac, Maître de Conférence en écologie de la santé, Université Marie et Louis Pasteur (UMLP)
Adeline Loyau, Chercheuse en écologie, Toulouse INP
Dirk S. Schmeller, Directeur de recherche CNRS, Expert for Conservation Biology, Axa Chair for Functional Mountain Ecology at the École Nationale Supérieure Agronomique de Toulouse, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
Dans les Pyrénées, le changement climatique s’avère plus intense que prévu, avec de lourdes conséquences sur la biodiversité des lacs et sur les ressources en eau.

Texte intégral 2695 mots
Le lac d’Arlet (1 986 m) dans les Pyrénées-Atlantiques subit lui aussi un verdissement de ses eaux. Ce mal touche de nombreux lacs, menaçant la biodiversité qu’ils hébergent. Dirk Schmeller/CNRS, Fourni par l'auteur

De récentes études sur les Pyrénées révèlent l’ampleur des changements environnementaux dans les écosystèmes montagnards. Le changement climatique s’avère plus intense que prévu, notamment pour les lacs, où les conditions de vie deviennent difficiles, et pour les glaciers. Les conséquences pourraient être dramatiques pour la biodiversité locale et pour le pastoralisme, mais aussi pour beaucoup de personnes, y compris en dehors des régions montagneuses, qui en dépendent pour leur approvisionnement en eau.


Les montagnes nous rendent chaque jour de nombreux services essentiels. En plus de leur grande valeur culturelle, spirituelle et récréative, elles assurent, entre autres, une provision durable en eau grâce à la neige et à la glace qui alimentent les rivières, ainsi qu’en bois et plantes médicinales. Les montagnes participent à la régulation du climat et offrent des opportunités économiques pour les touristes, grâce à leurs pentes enneigées en hiver, et pour le bétail avec des pâtures enherbées en été.

D’un point de vue écologique, les écosystèmes de montagnes abritent une biodiversité particulière qui s’est adaptée à de rudes conditions. En temps normal, elle contribue à maintenir une eau de bonne qualité en la purifiant. Pourtant, cette biodiversité et les services qu’elle nous rend sont aujourd’hui menacés, notamment par le réchauffement climatique, par le changement d’utilisation des terres, par la pollution et par l’introduction d’espèces non natives. Dans les Pyrénées, ces changements sont déjà flagrants.

Le changement climatique impacte l’eau sous toutes ses formes

Le réchauffement des températures est plus intense en altitude qu’en plaine, et leurs conséquences sur les écosystèmes montagnards sont bien visibles. D’après une étude dans les Pyrénées, rien qu’entre 2020 et 2023, les glaciers ont perdu en moyenne 9 % de leur surface et 2,5 m d’épaisseur, contre 2,4 % et 0,8 m entre 2011 et 2020. Avec les glaciers qui fondent, c’est nos réserves d’eau qui nous filent entre les doigts et qui manqueront pendant les étés chauds et secs.

En effet, une grande partie de l’eau potable consommée par l’agglomération toulousaine provient directement de la Garonne, et donc des Pyrénées. L’eau de la Garonne sert aussi à refroidir les réacteurs nucléaires de Golfech : il faut qu’il y en ait assez et qu’elle soit inférieure à 28 °C pour effectivement les refroidir. Dans le cas contraire, la centrale est mise à l’arrêt, comme cela a été fait le 29 juin 2025 à cause de la canicule.

D’autres écosystèmes, comme les lacs, les étangs et les mares, sont aussi fortement impactés, mais de manière moins évidente.

Notre étude sur 14 lacs, étangs et mares des Pyrénées a montré une augmentation moyenne de leur température de 1,65 °C de 2007 à 2023. C’est-à-dire qu’en seize ans seulement, l’eau a chauffé au-delà de la limite fixée par les accords de Paris de 2015, lors de la COP 21, qui était de 1,5 °C de réchauffement entre le niveau préindustriel et 2100.

Nous allons plus loin en montrant qu’en moyenne, sur la période d’étude, les « canicules aquatiques » ont été plus longues de 48 jours et les températures maximales supérieures de 6,4 °C, et que la durée de la période de gel a diminué de plus de 58 jours. C’est considérable, et cela va entraîner des changements de communautés en éliminant tous les organismes qui ne tolèrent pas les fortes variations de température ou les températures trop chaudes.

Lorsque la température augmente, la circulation de l’eau entre les couches profondes et de surface ne peut plus non plus se faire quand ces dernières sont trop chaudes. Cela peut provoquer une baisse d’oxygène au fond des lacs et entraîner la mort de nombreux organismes.

Enfin, qui dit périodes de gel plus courtes dit périodes d’activité plus longues pour les organismes, dont le métabolisme augmente avec les températures pour les animaux à sang froid, le plancton et les microorganismes. Des organismes adaptés à des conditions de vie montagnardes se retrouvent ainsi brusquement confrontés à de nouvelles modalités dont il est difficile de prévoir les conséquences plus générales.

Trop de facteurs de stress nuisent à la biodiversité, à la qualité de l’eau et à la santé

Le changement climatique est donc, en soi, un problème épineux pour la biodiversité et les socioécosystèmes des montagnes. Ces derniers pourraient s’adapter, mais le problème est que le réchauffement du climat s’accompagne de facteurs de stress supplémentaires : polluants chimiques portés par les précipitations, composés azotés et phosphorés issus des déjections du bétail, introductions de poissons pour le tourisme de la pêche dans les lacs naturellement apiscicoles, ou encore augmentation du tourisme et du pastoralisme.

Dans une récente autosaisine, le Conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN) d’Occitanie s’inquiète de ces multiples pressions agissant simultanément sur les lacs de montagne, survenues de manière bien trop rapide pour que les écosystèmes s’adaptent. Le conseil déplore le fait que nombre de lacs deviennent verts, certes pour des raisons multifactorielles, mais indiquant que l’écosystème se dégrade et que la qualité de l’eau devient mauvaise.

Récentes proliférations d’algues, en profondeur (à gauche) et en surface (à droite) dans le lac de Bellonguère (1 911 m d’altitude, Pyrénées ariégeoises). Dirk Schmeller/CNRS, Fourni par l'auteur

Les écosystèmes montagnards sont donc assaillis de toutes parts, ce qui complique la survie des êtres vivants. Par exemple, les amphibiens tendent à se réfugier dans les petites mares pour échapper aux poissons introduits, mais ces mares peuvent devenir des pièges écologiques pour leurs têtards, car elles chauffent et s’assèchent bien plus rapidement que les grands lacs.

Les pressions combinées peuvent engendrer des cascades de modifications dont les effets sont difficilement prédictibles, comme un changement de l’acidité de l’eau, paramètre très important pour les organismes aquatiques, ou encore l’augmentation d’une maladie mortelle chez les amphibiens quand la fonte des glaces survient tôt, ce qui va arriver de plus en plus souvent.

Une petite mare de faible profondeur, près de l’étang d’Arbu (1 726 m d’altitude, Ariège), où les amphibiens tendent à se réfugier et à pondre, ce qui les rend plus vulnérables aux effets du changement climatique. Dirk Schmeller/CNRS, Fourni par l'auteur

Sans surprise, la biodiversité des lacs d’altitude tend à décliner et, avec elle, la qualité de l’eau. C’est ce que nous avons démontré dans une étude portant sur les biofilms, communautés de microbes vivant sur les roches du fond des lacs.

Dans ces biofilms, la biodiversité des microorganismes a diminué entre 2016 et 2020, mais les cyanobactéries qui y vivent, elles, ont fortement prospéré, notamment celles qui peuvent produire des toxines. Ces bactéries représentent un risque pour la santé de tous les animaux aquatiques, mais aussi pour ceux qui s’abreuvent dans ces lacs ou les personnes qui s’y baignent, ou pire, boivent l’eau sans la traiter.

Agir devient urgent

Pour toutes ces raisons, certains lacs bleus cristallins sont devenus verts et opaques.

Il faut garder à l’esprit que les écosystèmes montagnards, bien qu’hébergeant des ensembles d’espèces uniques, comprennent globalement moins de biodiversité que d’autres écosystèmes du fait de leurs conditions difficiles (fortes variations de température, UV, rareté des nutriments).

Il en résulte que ces écosystèmes possèdent moins de « roues de secours » en cas de coup dur, c’est-à-dire d’espèces qui peuvent remplir les mêmes rôles écologiques. La probabilité d’un effondrement (l’équivalent d’une extinction de l’écosystème) est ainsi plus forte et c’est pourquoi de nombreux milieux montagnards figurent dans la liste rouge des écosystèmes.

Il est donc urgent d’agir pour les socioécosystèmes pyrénéens, et de montagnes en général, avant qu’il ne soit trop tard. La vie dans les montagnes peut s’adapter, mais encore faut-il lui en laisser le temps et la chance en diminuant les facteurs de stress et leur intensité.

La lutte contre le changement climatique doit être menée à l’échelle globale, mais des mesures doivent aussi être mises en place localement comme la limitation de l’empoissonnement des milieux, de la pollution et de la pression pastorale.

C’est en tout cas une des recommandations du CSRPN d’Occitanie, qui préconise aussi un diagnostic des lacs d’altitude et une priorisation en fonction de leur vulnérabilité. La recherche doit accompagner cet objectif pour mieux comprendre comment les pressions agissent simultanément, afin de savoir sur laquelle ou lesquelles cibler les efforts d’atténuation.

Cela passe par une meilleure observation des systèmes naturels, possible grâce aux nouvelles technologies, aux sciences citoyennes et aux efforts de collaboration.

C’est ainsi que nous pourrons garantir la survie et le bon fonctionnement des écosystèmes montagnards, à la fois majestueux et précieux pour l’environnement et notre futur.


Créé, en 2007, pour aider à accélérer et à partager les recherches scientifiques sur des enjeux sociaux majeurs, le Fonds d’Axa pour la recherche soutient près de 700 projets dans le monde mené par des chercheurs issus de 38 pays (par exemple celui de Dirk Schmeller). Pour en savoir plus, visiter le site ou bien sa page LinkedIn.

The Conversation

Hugo Sentenac est membre de l'association Vétérinaires pour la biodiversité et du groupe d'étude pour l'écopathologie de la faune sauvage de montagnes.

Adeline Loyau a reçu des financements de l'Union européenne (bourse Marie Curie) et de l'Agence nationale pour la recherche (ANR), elle est membre du CSRPN Occitanie et présidente du comité scientifique de la fondation Clamor Terrae.

Dirk S. Schmeller a reçu des financements de AXA Research Fund, Clamor Terrae, ANR.

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