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14.10.2025 à 12:18

Et si l’alcool disparaissait de la planète ?

Mickael Naassila, Professeur de physiologie, Directeur du Groupe de Recherche sur l'Alcool & les Pharmacodépendances GRAP - INSERM UMR 1247, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)
Imaginer une vie sans alcool permet de mesurer le poids réel de cette drogue sur la santé, sur la société et sur l’économie.

Texte intégral 3050 mots

Que se passerait-il si la consommation d’alcool s’arrêtait totalement, partout ? ou si, scénario dystopique pour les uns, utopique pour les autres, les boissons alcoolisées disparaissaient totalement de la planète ?


Dans le Meilleur des mondes, publié en 1932, l’écrivain britannique Aldous Huxley imagine une société sans alcool, mais sous l’empire d’une autre drogue : le « soma ». Ce terme, emprunté aux textes védiques indiens où il désignait une boisson sacrée, devient sous sa plume une substance de synthèse parfaite, sans effets secondaires, qui maintient la population dans une soumission heureuse. L’absence d’alcool compensée par un contrôle chimique des émotions…

Sans aller jusqu’à un tel scénario, que se passerait-il dans nos sociétés si l’alcool, subitement, cessait d’être consommé ? Quelles seraient les conséquences pour la santé et, plus largement, pour la société ?

Prêtons-nous à ce petit exercice intellectuel, pour tenter de prendre la mesure de la place qu’occupe l’alcool dans nos vies…

Augmentation de l’espérance de vie en bonne santé

Si l’alcool disparaissait demain, on constaterait tout d’abord une diminution de la mortalité et une augmentation de l’espérance de vie en bonne santé.

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), en 2019, l’alcool était responsable de 2,6 millions de décès par an dans le monde, soit 5 % de la mortalité globale. La classe d’âge 20-39 ans est par ailleurs celle qui enregistre la proportion la plus élevée de décès attribuables à l’alcool, soit 13 %.

En France, l’alcool provoque 41 000 décès par an dont 16 000 par cancers, 9 000 par maladies cardiovasculaires et 6 800 par maladies digestives). Une étude publiée dans la revue scientifique médicale The Lancet en 2018 suggère qu’il n’existe pas de seuil de consommation sans risque pour la santé : dès un seul verre consommé par jour, les années de vie en bonne santé diminuent.

Boire ou vivre longtemps : faut-il choisir ?

Moins de jeunes mourraient à cause de l’alcool

L’alcool est la première cause évitable de mortalité chez les moins de trente ans. Près d’un décès sur cinq chez les hommes de 25 à 29 ans est attribuable à l’alcool.

Avant 40 ans, les causes principales sont les accidents et les suicides, tandis qu’à partir de la quarantaine dominent les maladies chroniques comme la cirrhose.

La suppression totale de l’alcool réduirait donc directement la mortalité prématurée.

Diminution des accidents de la route et des suicides

Un monde sans alcool s’accompagnerait aussi d’une réduction rapide des accidents de la route. En 2024, sur les routes de France, l’alcool était en effet responsable de près d’un accident mortel sur quatre.

Diffusé pendant l’Euro pour lutter contre l’alcool au volant, ce spot belge est féroce.

En France, les infractions liées à l’alcool, surtout la conduite sous l’empire de l’alcool, représentent près d’un tiers des condamnations pour infractions routières avec, en 2019, 87 900 condamnations.

Leur poids considérable a conduit les tribunaux à recourir massivement à des procédures simplifiées pour désengorger le système judiciaire, preuve que ces affaires constituent une part majeure et récurrente du contentieux pénal.

Moins de violences, moins de féminicides et désengorgement du système judiciaire

L’alcool est directement lié à la violence, et les affaires judiciaires impliquent souvent l’alcool. En France, l’analyse des données recueillies par questionnaire auprès de plus de 66 000 étudiants et étudiantes des universités indique que l’alcool est un facteur déterminant des violences sexistes et sexuelles dans ce milieu. Plus de la moitié des violences sexistes et/ou sexuelles ainsi recensées implique une consommation d’alcool dans le cadre de la vie universitaire.

Une étude réalisée en Afrique du Sud a par ailleurs montré que les périodes d’interdiction totale de vente d’alcool pendant la pandémie de Covid-19 ont coïncidé avec une baisse de 63 % des féminicides, comparées aux périodes sans restriction.

Diminution du nombre de suicides

De façon peut-être plus surprenante, si l’alcool venait à disparaître, on pourrait aussi s’attendre à une diminution substantielle des suicides. Comme l’ont montré des études récentes, l’alcool augmente significativement le risque de mort par suicide, et ce, quel que soit le genre considéré.

La consommation d’alcool est désormais un facteur de risque reconnu pour le suicide, à la fois à court terme (par intoxication, impulsivité, perte de contrôle) et à long terme (par le développement d’un isolement social dû à la consommation excessive ou à la dépendance, par le développement d’une dépression ou encore de troubles mentaux associés).

Photo d’une jeune femme à l’air pensif et triste assise au bord d’un trottoir avec une bouteille et un verre posés à côté d’elle
La consommation d’alcool est un facteur de risque reconnu du suicide. Unsplash/Velik Ho, FAL

Une méta-analyse (revue systématique de littérature suivie d’une analyse statistique portant sur les données des études sélectionnées, ndlr) a ainsi établi que chaque hausse d’un litre par habitant par année de la consommation d’alcool pur est associée à une augmentation de 3,59 % du taux de mortalité par suicide.

Rappelons qu’en 2023, les volumes d’alcool pur mis en vente en France – en diminution par rapport aux années précédentes – s’établissaient encore à 10,35 litres par habitant âgés de 15 ans et plus.

Moins de maladies et des services d’urgences et des hôpitaux moins engorgés

Si la consommation d’alcool venait à s’arrêter, les services des urgences seraient beaucoup moins encombrés. Des études réalisées en France estiment, en effet, qu’environ 30 % des passages aux urgences seraient liés à l’alcool. On imagine bien ce que cela pourrait changer quand on connaît les difficultés de fonctionnement auxquelles font actuellement face les services d’urgence.

Par ailleurs, la consommation d’alcool étant responsable de plus de 200 maladies, l’arrêt de sa consommation diminuerait leur prévalence, et donc les hospitalisations associées.

Les chiffres de 2022 indiquent que 3,0 % des séjours hospitaliers en médecine, en chirurgie, en obstétrique et en odontologie, que 6,6 % des journées en soins de suite et de réadaptation et que 10,0 % des journées en psychiatrie étaient considérés comme étant en lien avec des troubles de l’usage d’alcool. Par rapport aux chiffres de 2012, on constate une diminution du nombre de séjours pour alcoolisation aiguë ainsi qu’une hausse du recours pour alcoolodépendance. En psychiatrie, le nombre de journées d’hospitalisations a baissé en 2022 par rapport à 2012, tandis qu’en soins de suite et de réadaptation, la durée de prise en charge s’est allongée.

Le coût de ces hospitalisations était estimé en 2022 à 3,17 milliards d’euros, soit 4,2 % des dépenses totales d’hospitalisations (contre 3,6 % de l’ensemble des dépenses hospitalières en 2012).

Enfin, la disparition de l’alcool mettrait aussi fin aux troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale (TSAF). Chaque année en France, environ 8 000 enfants naissent avec des séquelles dues à l’exposition prénatale à l’alcool.

Ces troubles entraînent des handicaps cognitifs et comportementaux durables, des difficultés scolaires et une surmortalité précoce. La disparition de ce syndrome représenterait un gain immense en vies sauvées, en qualité de vie et en coûts évités pour le système de santé, l’éducation et le médico-social.

Ce que l’on gagnerait chaque année sans alcool :

  • 41 000 vies sauvées en France (2,6 millions dans le monde) ;
  • 8 000 enfants épargnés des troubles de l’alcoolisation foetale ;
  • Plusieurs milliers de suicides évités (15 %–20 % liés à l’alcool) ;
  • 2 400 accidents routiers mortels en moins en France ;
  • 246 000 hospitalisations évitées, soit un soulagement majeur pour les services d’urgence ;
  • 102 milliardsd’euros économisés en coûts sociaux, soit 4,5 % du PIB français ;
  • Une justice désengorgée, débarrassée d’une grande partie des infractions routières et violences liées à l’alcool.

Et que se rassurent ceux qui s’inquièteraient du fait que la disparition de l’alcool pourrait nous priver d’hypothétiques bénéfices, tels qu’un quelconque effet protecteur d’une consommation modérée, notamment sur le cœur. Les conclusions des travaux à l’origine de cette rumeur sont désormais largement remises en cause… En revanche, arrêter l’alcool présente de nombreux avantages.

Arrêter de boire : de nombreux bénéfices

Révélés par les campagnes Un mois sans alcool comme le Défi de janvier (le « Dry January » à la française), les bénéfices observés à l’arrêt de la consommation sont très nombreux. Sans alcool, on se sent beaucoup mieux et notre corps nous dit merci !

Parmi les effets les plus notables et rapportés dans des enquêtes déclaratives figurent des améliorations du bien-être et de la qualité de vie. Les personnes interrogées indiquent notamment mieux dormir, se sentir plus en forme, avoir plus d’énergie. Elles constatent qu’elles ont perdu du poids, et ont vu leur teint et leur chevelure s’améliorer.

Elles déclarent également avoir fait des économies. Pour s’en faire une idée : il a été estimé qu’en moyenne, lors de la campagne de 2024 du Défi de Janvier, les participants économisent 85,2 €.

Les paramètres physiologiques s’améliorent aussi. Parmi les bénéfices à l’arrêt de l’alcool, on peut citer un moindre risque de résistance à l’insuline, une meilleure élasticité du foie, une meilleure homéostasie du glucose (glycémie), une amélioration du cholestérol sanguin, une diminution de la pression artérielle et même une diminution des marqueurs sanguins du cancer. Du point de vue cognitif sont rapportées des améliorations en termes de concentration et de performance au travail.

Mais l’alcool, objecteront certains, n’est pas qu’une molécule psychoactive : il est aussi un rituel social universel. Partager un verre est un marqueur d’appartenance, de convivialité, voire de célébration. Sa disparition obligerait à réinventer nos codes sociaux.

Réinventer nos liens sociaux

On l’a vu, aucune consommation d’alcool, quelle qu’en soit la quantité, n’améliore la santé. Sa disparition n’aurait, du point de vue médical, que des bénéfices. En revanche, c’est tout un ensemble d’usages culturels et économiques qu’il nous faudrait réinventer.

En société, il nous faudrait consommer autrement et autre chose. Pourquoi pas des mocktails (cocktails sans alcool imitant les cocktails alcoolisés traditionnels) ou d’autres boissons sans alcool, telles par exemple que des boissons fermentées sans éthanol comme le kombucha ou le kéfir ?

Parmi les alternatives à l’alcool, certains explorent même la mise au point de molécules de synthèse qui mimeraient les effets désinhibiteurs de l’alcool, sans ses méfaits métaboliques…

Une fiction qui éclaire une réalité quelquefois désastreuse

L’exercice de pensée auquel s’essaye cet article ne doit pas être confondu avec la prohibition, dont l’échec historique aux États-Unis a montré les limites. Il s’agit plutôt de recourir à la fiction pour interroger notre rapport collectif à l’alcool.

Derrière son image conviviale, cette substance reste l’un des premiers facteurs de mortalité évitable, de maladies et de souffrances sociales. Imaginer sa disparition permet d’ouvrir un débat sur la réduction des risques, le développement d’alternatives, et une transformation culturelle de nos rituels sociaux.

Et pour ceux qui ont peur de devenir « chiants » en soirée s’ils arrêtent l’alcool ? J’ai exploré cette question dans mon dernier livre (voir ci-dessous), et la réponse est… non !

D’ailleurs, la non-consommation semble devenir de plus en plus acceptable socialement. Un nombre croissant de personnes ne consomment plus d’alcool en France. On note ces dernières années une baisse de la plupart des indicateurs liés à la vente et à l’usage de l’alcool en France. Chez les lycéens par exemple, les non-consommateurs (qui n’ont jamais expérimenté l’alcool), sont passés de 15 % en 2018 à 31,7 % en 2022.

Enfin, le Défi de janvier rencontre aussi un réel succès. Selon un sondage Panel Selvitys publié en février 2024, 5,1 millions de personnes y ont participé en 2024, et un nombre croissant de participants se sont inscrits en ligne : on a enregistré 75 % d’augmentation par rapport à 2023.

Tout porte à croire que l’idée de faire la fête sans alcool (et de rester drôle quand même !) est en train de faire son chemin…


Pour en savoir plus

Mickael Naassila, J’arrête de boire sans devenir chiant. Le guide pour changer sa relation à l’alcool et préserver sa santé, éditions Solar, 2025.

The Conversation

Mickael Naassila est Président de la Société Française d'Alcoologie (SFA) et de la Société Européenne de Recherche Biomédicale sur l'Alcoolisme (ESBRA); Vice-président de la Fédération Française d'Addictologie (FFA) et vice-président junior de la Société Internationale de recherche Biomédicale sur l''Alcoolisme (ISBRA). Il est membre de l'institut de Psychiatrie, co-responsable du GDR de Psychiatrie-Addictions et responsable du Réseau National de Recherche en Alcoologie REUNIRA et du projet AlcoolConsoScience. Il a reçu des financements de l'ANR, de l'IReSP/INCa Fonds de lutte contre les addictions.

13.10.2025 à 16:33

Mode éthique : les consommateurs sont-ils autant « responsables » partout dans le monde ?

Fabian Bartsch, Associate Professor in Marketing, Montpellier Business School
Thi Thanh Huong (Jenny) Tran, Associate Professor of Marketing, SKEMA Business School
L’industrie de la mode est largement mondialisée, mais qu’en est-il des consommateurs ? Réagissent-ils partout de la même façon, notamment quand une marque adopte un comportement problématique ?

Texte intégral 1742 mots

La prise de conscience de l’impact de l’industrie de la mode sur l’environnement ou sur les droits humains est-elle la même partout dans le monde ? La question mérite d’autant plus d’être posée que cette industrie s’est largement mondialisée. Le consommateur réagit-il de la même façon dans tous les pays, ou bien des différences de culture subsistent-elles ?


Ces dernières années, une prise de conscience à l’échelle mondiale a poussé les consommateurs à faire des choix plus éthiques en matière de mode, en privilégiant les droits humains et des pratiques de fabrication durables. De grandes marques internationales, comme Zara, Levi’s ou H&M, font de plus en plus l’objet de critiques vis-à-vis de leurs pratiques : exploitation des travailleurs, discrimination des clients, ou dégâts environnementaux.

Un récent voyage d’influenceurs organisé par Shein dans l’une de ses usines a, notamment, suscité une vive polémique. L’entreprise a été accusée de manipuler des influenceurs issus de groupes marginalisés pour faire de la propagande, sans remettre en cause ses pratiques, telles que la sous-rémunération de ses ouvriers, le plagiat de créateurs indépendants, ou l’émission annuelle de 6,3 millions de tonnes de dioxyde de carbone.


À lire aussi : Réinventer sa garde-robe : une bonne résolution pour 2025


Notre recherche porte sur les différences de réactions des consommateurs face aux fautes morales des marques. Elle s’appuie sur la théorie institutionnelle, selon laquelle les individus et les organisations adaptent leur comportement en fonction des règles, des normes et des attentes définies par les institutions de leur société. En d’autres termes, les systèmes juridiques, les croyances partagées et les normes sociales propres à chaque pays influencent la manière dont les consommateurs perçoivent ce qui est acceptable et la force de leur réaction quand une marque dépasse les limites de l’éthique.

Des réactions variables

Pour comprendre ces réactions – et comment elles varient d’un pays à l’autre – nous avons mené plusieurs études. Nous avons analysé des données secondaires sur les valeurs morales et les pétitions en ligne dans 12 pays : six marchés développés occidentaux (Australie, Canada, Pays-Bas, Allemagne, Royaume-Uni et États-Unis) et six marchés émergents d’Asie du Sud-Est (Indonésie, Malaisie, Myanmar, Philippines, Thaïlande et Vietnam).

Nous avons aussi réalisé des expériences en ligne avec 940 consommateurs en Allemagne et au Vietnam, afin d’examiner comment les consommateurs de différentes régions justifient ou condamnent les fautes morales des marques.

Les résultats montrent qu’à travers les cultures, lorsque les consommateurs sont confrontés à des preuves concrètes de manquements éthiques – maltraitance des travailleurs, travail des enfants, publicités racistes, discriminations liées au poids, ou atteintes à l’environnement –, ils réagissent négativement, remettent en cause l’éthique de la marque et accordent moins d’importance au prix. Cette tendance reflète une convergence mondiale des préoccupations éthiques, souvent désignée sous le terme de « hypenorms ».

Fracture éthique

Nous avons cependant mis en lumière une claire fracture éthique entre les sociétés occidentales étudiées et celles de l’Asie de l’Est, notamment dans la manière dont les consommateurs rationalisent les comportements immoraux des marques. La sensibilité morale et les jugements éthiques varient selon les pays et les cultures, en fonction des cadres institutionnels) et des conceptions locales de la justice sociale.

Dans les marchés occidentaux développés, comme l’Europe et les États-Unis, des régulations strictes – comme le règlement européen sur la taxonomie verte ou les directives de l’Agence américaine de protection de l’environnement – et un activisme consommateur très actif créent un environnement où les fautes morales des marques entraînent des réactions immédiates et sévères. Les consommateurs y ont des attentes éthiques élevées, et n’hésitent pas à boycotter les marques, signer des pétitions ou dénoncer publiquement leurs dérives via les réseaux sociaux. La responsabilité des entreprises est une exigence forte, et il est difficile pour une marque de se remettre d’un scandale moral.

L’importance du prix

À l’inverse, dans des marchés émergents d’Asie du Sud-Est, comme le Vietnam ou l’Indonésie, des réglementations plus faibles, une sensibilisation limitée des consommateurs et des normes éthiques plus floues mènent à des réactions différentes. L’accessibilité et les prix bas priment souvent sur les considérations morales. Pour de nombreux consommateurs, des pratiques discutables sont tolérées tant que les produits restent abordables. Si la prise de conscience progresse dans ces régions, les consommateurs ont davantage tendance à justifier les comportements douteux des marques. Cette rationalisation morale permet aux marques de continuer à opérer malgré des pratiques qui seraient rejetées dans des marchés plus stricts éthiquement.

En Occident, où le consumérisme éthique est très ancré, un seul scandale peut entraîner des pertes financières et de réputation majeures. Les réseaux sociaux amplifient ces réactions, menant à des appels au boycott ou à des réformes internes. Levi’s a par exemple subi de fortes critiques pour la pollution liée à sa production, et Dolce & Gabbana a été très vivement attaqué pour des campagnes publicitaires jugées culturellement offensantes.

En Asie du Sud-Est, l’indignation publique face aux dérives des entreprises reste plus discrète. Certains abus – destruction de l’environnement, publicités discriminatoires – provoquent des réactions, mais globalement, les critiques sont moins virulentes. Les contraintes économiques, la sensibilité aux prix, et le manque de solutions alternatives poussent de nombreux consommateurs à privilégier l’accessibilité, même au détriment de l’éthique.

Des attentes qui évoluent

Cela ne signifie pas que toutes les marques sont à l’abri dans les marchés émergents. Les gouvernements y renforcent les réglementations et mènent des campagnes de sensibilisation. La pression monte pour que les marques adoptent des pratiques plus responsables.

Par ailleurs, les attentes des consommateurs évoluent, notamment chez les jeunes, plus informés sur les enjeux de la mode éthique et plus prompts à s’exprimer en ligne. Des mouvements comme #WhoMadeMyClothes gagnent en popularité en Asie du Sud-Est, mobilisant la jeunesse autour des questions de transparence et de durabilité.

France 24, 2023.

Ce que les marques doivent retenir

Notre étude suggère plusieurs stratégies pour les marques qui souhaitent conserver la confiance des consommateurs à travers différentes cultures :

  • Valoriser les aspects éthiques importants aux yeux des consommateurs locaux. Dans les marchés développés, les marques doivent investir dans de meilleures conditions de travail dans les pays de fabrication. Mettre ces efforts en avant de manière transparente renforce la perception du respect de l’éthique.

Les campagnes marketing doivent éviter les sujets polémiques liés à l’origine ethnique, à la culture ou à la discrimination – notamment, dans les marchés émergents.

  • Mettre en avant l’éthique dans la production et la communication. L’éthique et l’approvisionnement durable doivent devenir des piliers de leur communication et leurs pratiques pour préserver la crédibilité des marques.

Les entreprises doivent évaluer régulièrement l’impact de leurs pratiques sur la perception des consommateurs, car cette perception influence directement la valeur perçue du produit ou du service et celle du prix demandé.

  • Adapter le discours éthique pour mieux engager les consommateurs. Dans les marchés occidentaux, les campagnes engagées autour du travail équitable et de la responsabilité d’entreprise sont bien perçues.

En Asie du Sud-Est, les marques doivent miser sur une éducation progressive des consommateurs en intégrant des messages de responsabilité sociale à long terme.

  • L’éthique attire un segment de marché en pleine croissance. Les labels de certification et les partenariats avec des organisations responsables renforcent la confiance et l’engagement des consommateurs.

Des lignes de produits durables et une communication éthique peuvent séduire les consommateurs soucieux de cette dimension éthique, tout en restant abordables pour ceux qui sont plus inquiets du prix de ce qu’ils achètent.

Un avenir universel ?

Nos recherches mettent en évidence les liens complexes entre culture, éthique et comportement des consommateurs. Si les acheteurs occidentaux se montrent plus prompts à sanctionner les marques fautives, leurs homologues d’Asie du Sud-Est ont davantage tendance à rationaliser ces fautes. Mais l’éthique progresse partout dans le monde.

Certaines violations à celle-ci, comme l’exploitation flagrante des travailleurs ou les discriminations raciales, sont désormais universellement rejetées. Pour les marques mondiales, le défi est donc de conjuguer responsabilité éthique et adaptation aux attentes locales. Miser sur la durabilité, sur la transparence et sur des messages éthiques adaptés à chaque marché est désormais crucial pour prospérer dans un monde de plus en plus conscient et exigeant.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

13.10.2025 à 16:32

Quand les muscles se rebellent : la dystonie, un trouble du mouvement sous-diagnostiqué

Natalia Brandín de la Cruz, Personal Docente e Investigador Grado de Fisioterapia, Universidad San Jorge
Lorena Morcillo Martínez, Personal Docente e investigador en Fisioterapia, Universidad San Jorge
Sandra Calvo, Profesora e investigadora del Grado en Fisioterapia, Universidad de Zaragoza
En France, 20 000 personnes environ souffrent de dystonie, un trouble du mouvement qui peut donner des tremblements à ne pas confondre avec ceux de la maladie de Parkinson.

Texte intégral 1772 mots
La dystonie se caractérise par des contractions musculaires involontaires, soutenues ou intermittentes. Les mouvements dystoniques peuvent être associés à des tremblements. Halk-44/Shutterstock

La dystonie se caractérise par des mouvements musculaires involontaires qui peuvent se révéler très invalidants. On fait le point sur ce trouble du système nerveux central qui reste méconnu. En France, 20 000 personnes environ seraient concernées.


Quand nous pensons à un trouble du mouvement, le tremblement associé à la maladie de Parkinson nous vient immédiatement à l’esprit. Mais il existe un autre groupe d’affections, tout aussi invalidantes et beaucoup moins connues, qui affectent profondément la qualité de vie des personnes qui en souffrent.


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L’une d’entre elles est la dystonie, un trouble du système nerveux central qui peut apparaître à tout âge et qui pourrait toucher pas moins de 1 % de la population mondiale.

Elle se caractérise par des contractions musculaires involontaires, soutenues ou intermittentes, qui peuvent provoquer des mouvements et des postures de torsion anormales, souvent accompagnés de douleurs et de déformations articulaires. De plus, les mouvements dystoniques peuvent également être associés à des tremblements.

La dystonie s’aggrave généralement avec la fatigue, le stress et les états émotionnels négatifs, mais l’état s’améliore pendant le sommeil et avec la relaxation. Son intensité peut également être réduite grâce à des astuces sensorielles, qui consistent en des gestes volontaires tels que toucher son menton ou ses sourcils, mettre un cure-dent dans sa bouche ou un foulard autour de son cou.

En ce qui concerne les causes, il existe un large éventail de facteurs déclenchants possibles. La dystonie peut être héréditaire, suite à certaines mutations génétiques qui affectent la transmission de la dopamine ou les circuits des noyaux basaux du cerveau. Il existe également des dystonies dites secondaires, ou acquises, qui résultent de lésions structurelles du système nerveux central (comme des traumatismes, accidents vasculaires cérébraux, encéphalites ou tumeurs), d’une exposition à des médicaments et de maladies métaboliques ou dégénératives. Enfin, les dystonies idiopathiques, d’origine inconnue, sont les plus fréquentes.

Un large éventail de manifestations

La forme la plus courante de ce trouble chez l’adulte est la dystonie focale, qui touche une région spécifique du corps. Dans cette catégorie, la plus connue et la plus fréquente est la dystonie cervicale (également appelée torticolis spasmodique) qui touche les muscles du cou et parfois aussi l’épaule. Elle se manifeste par des mouvements de la tête de droite à gauche (comme pour dire « non-non ») ou de haut en bas (comme pour dire « oui-oui »).

Les autres formes de dystonie focale sont les suivantes :

  • Le blépharospasme, qui provoque des mouvements involontaires des muscles des paupières et entraîne un clignement excessif ou une fermeture involontaire des yeux.

  • La dystonie de l’écrivain, qui touche la main et le bras lors d’activités spécifiques, telles que l’écriture.

  • La dystonie oromandibulaire, c’est-à-dire la contraction des muscles de la partie inférieure du visage et des muscles superficiels du cou (qui inclut parfois une dystonie de la langue).

  • La dystonie laryngée ou dysphonie spasmodique, qui correspond à la contraction anormale des muscles qui régulent la fermeture et l’ouverture des cordes vocales et entraîne des difficultés d’élocution.

Et comme si cela ne suffisait pas, outre les dystonies focales mentionnées ci-dessus, il existe d’autres variétés de dystonies : la dystonie segmentaire, qui touche deux ou plusieurs parties adjacentes du corps (comme le syndrome de Meige qui affecte les muscles du visage, de la mâchoire et de la langue) ; la dystonie généralisée, qui touche la majeure partie du corps, y compris le tronc et les membres ; l’hémidystonie qui concerne tout un côté du corps ; et la dystonie multifocale, localisée au niveau de deux ou plusieurs parties non contiguës du corps.

Comment traiter ce trouble

Bien que la dystonie soit incurable, il existe des traitements susceptibles d’améliorer considérablement la qualité de vie du patient. Il est important de disposer d’une équipe interdisciplinaire de professionnels comprenant des neurologues, des kinésithérapeutes, des ergothérapeutes, des orthophonistes et des psychologues spécialisés dans les troubles du mouvement. Une approche globale combinant soins médicaux, soutien émotionnel et accompagnement humain peut faire la différence et aider ces patients à retrouver confiance en eux.

Au sein de ces équipes, la physiothérapie joue un rôle primordial. Elle vise à améliorer la mobilité, réduire la douleur et aider les patients à gérer leurs mouvements involontaires, ce qui favorise ainsi leur fonctionnalité et leur autonomie dans leur vie quotidienne.

Actuellement, certains champs de la recherche sur la dystonie s’intéressent au développement d’études génétiques, de nouvelles thérapies pharmacologiques et d’interventions de stimulation cérébrale.

Une maladie très invalidante

En France (d’après l’Institut du cerveau) ou en Espagne (selon les données de la Société espagnole de neurologie, SEN), plus de 20 000 personnes sont touchées par un type de dystonie. Mais ce chiffre pourrait être beaucoup plus élevé car il s’agit de l’un des troubles du mouvement les plus sous-diagnostiqués.

(À noter que la prévalence de la dystonie varie selon les régions du monde et le groupe ethnique, ndlr).

La dystonie est souvent confondue avec le tremblement parkinsonien, le tremblement essentiel, des tics, des myoclonies (qui correspondent à un autre type de mouvements rapides et involontaires), le trouble psychogène du mouvement ou même la scoliose.

Il s’agit d’une maladie très invalidante. Son impact sur la qualité de vie ne se traduit pas seulement par des difficultés physiques. Le stress, l’anxiété et la dépression sont fréquents chez les patients, du fait de la nature chronique de la maladie.

Pour vous donner une idée, la plupart des membres de l’Association espagnole de dystonie (ALDE) ont un taux d’invalidité moyen reconnu qui est compris entre 33 % et 65 %, et dans de nombreux cas, qui est supérieur à ces chiffres.

Les personnes atteintes de cette maladie ont tendance à ne pas parler de leur état ni à se montrer en société, ce qui rend la maladie encore plus invisible. Elles vivent souvent recluses en raison de la douleur constante, des troubles émotionnels et de la stigmatisation sociale.

Ressources et soutien

Pour les personnes atteintes de dystonie et leurs familles, plusieurs organisations offrent soutien, informations et ressources :

En définitive, la dystonie reste largement méconnue. Le manque de connaissances et la stigmatisation associée aux troubles neurologiques rares rendent difficiles le diagnostic précoce et l’accès à des traitements adaptés. Sensibiliser le grand public, former les professionnels de santé et encourager la recherche fondamentale et clinique sont des mesures essentielles pour améliorer le pronostic des personnes atteintes de ce trouble.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

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