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21.03.2024 à 09:14

Un portable sinon rien ? Les pratiques culturelles des jeunes à l’ère numérique

Frédérique Cassegrain

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« Vital » pour la plupart des jeunes, le smartphone est devenu le principal terminal culturel de la nouvelle génération. Pour autant, leurs sorties culturelles ne sont pas en recul et leurs usages numériques viennent nourrir des pratiques à forte valeur collaborative. Désir d’interaction, besoin d’expressivité et aspiration à se lier au monde global font partie des traits distinctifs qualifiant leur rapport à la culture, ainsi que l’analyse Aurélien Djakouane dans les données rassemblées ici.

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Texte intégral (4696 mots)
Infographie. Un portable sinon rien ? Jeune fille assise sur un canapé qui consulte son téléphone
Illustration © Marion Boucharlat. Infographie complète à retrouver en fin d’article.

Les pratiques culturelles des jeunes suivent les mutations technologiques qui transforment nos manières de lire, d’écouter, de regarder. En une décennie, les usages numériques sont devenus majoritaires dans le quotidien des jeunes, qu’il s’agisse d’écouter de la musique ou de regarder des vidéos en ligne, d’échanger sur les réseaux sociaux ou encore de jouer aux jeux vidéo. Les médias traditionnels, comme la radio ou la télévision, perdent de leur centralité tandis que les réseaux sociaux sont devenus une source d’information incontournable. Comme le rappelle Sylvie Octobre, l’appétit des jeunes à l’égard des technologies n’est pas nouveau S. Octobre, « Retour sur les pratiques culturelles des jeunes. Questions à… », Le Français aujourd’hui, no 207, décembre 2019, p. 11-18.. Depuis plusieurs décennies, il prend forme dans une culture de la chambre où s’agrègent toutes sortes d’appareils technologiques (télévision, radio, console, ordinateur…)  H. Glevarec, La Culture de la chambre. Préadolescence et culture contemporaine dans l’espace familial, Paris, La Documentation française, 2009.. Cette technophilie s’est accélérée avec le numérique et la convergence des médias qui consacrent le smartphone comme le principal terminal culturel des jeunes. Cet attrait s’inscrit désormais dans les stratégies éducatives des familles et les inégalités qu’elles contiennent.

La culture comme lien

La question de l’expressivité est centrale dans la construction des pratiques culturelles de la jeunesse. C’est une tendance qui n’a fait que s’accentuer depuis les années 1960, et dans laquelle la musique joue un rôle clé. En 2008, 86 % des 15-28 ans écoutent de la musique tous les jours Ph. Lombardo, L. Wolff, Cinquante ans de pratiques culturelles en France, DEPS, ministère de la Culture, 2020, p. 1-92.. Outre les chorégraphies ou chants qu’elle suscite, la force expressive de la musique réside dans une série de dispositifs (vestimentaires, groupes affinitaires, langages spécifiques, posters, goodies…) qui en prolongent l’expérience via Internet, l’ordinateur ou le smartphone. Ils deviennent ici des outils de créativité avec les tutos, les mods, les mèmes et autres apps dédiées.

En outre, les jeunes se distinguent par l’importance qu’ils accordent aux dimensions relationnelles de leurs pratiques culturelles. Celles-ci sont désormais totalement liées à leurs pratiques de communication, elles en sont à la fois un objet, un vecteur et une finalité. De fait, la montée en puissance des réseaux sociaux et des valeurs collaboratives qu’ils véhiculent accompagne la construction de nouvelles références culturelles qui déjouent le clivage classique entre culture savante et culture populaire.

Comme le rappelle Dominique Pasquier, l’utilisation des réseaux sociaux souligne ce qui semble être la dimension ambivalente des cultures adolescentes : le travail en équipe et le besoin d’un public D. Pasquier, « La communication numérique dans les cultures adolescentes », Communiquer, no 13, 2015.. Ce double aspect contribution/exhibition illustre l’imbrication de plus en plus forte entre pratiques culturelles et sociabilités à l’ère numérique. La valeur socialisatrice de la culture devient primordiale, et l’on passe ainsi d’une « culture comme bien à une culture comme lien L. Allard, « Express yourself 2.0 ! », dans É. Maigret et É. Macé (dir.), Penser les médiacultures. Nouvelles pratiques et nouvelles approches de la représentation du monde, Paris, Armand Colin, 2005, p. 162. » faisant de la jeunesse un des ambassadeurs, avant l’heure, des droits culturels.

Pour de nombreux jeunes, être ensemble constitue parfois l’objet et la finalité de la plupart des sorties.

Désaffection des médias traditionnels

Cette tendance s’accompagne d’une certaine désaffection des médias traditionnels qui ne répondent plus à ce besoin d’expression. C’est le cas pour la radio, longtemps considérée comme emblématique des pratiques de la jeunesse, mais c’est aussi le cas de la télévision. Comme l’indique la dernière enquête sur les pratiques culturelles des Français, si en 2008, 79 % des 15-24 ans la regardaient tous les jours, ils ne sont plus que 58 % en 2018 Ph. Lombardo, L. Wolff, 2020, op. cit.. Certes, il s’agit d’une tendance généralisée. Mais c’est chez les jeunes qu’elle est la plus forte. Cette baisse des pratiques télévisuelles ne signifie pas pour autant qu’ils se détournent des écrans. Souvent, elle s’accompagne d’une consommation accrue de contenus audiovisuels sur Internet qui, en soi, représente une pratique largement spécifique à la jeunesse : 59 % des 15-24 ans regardent quotidiennement des vidéos sur Internet, en dehors de la télévision.

Des sorties en retrait ?

Ce développement des loisirs domestiques n’est pas forcément synonyme d’un recul des pratiques de sortie. Les 15-24 ans fréquentent toujours assidûment les lieux culturels, qu’il s’agisse des cinémas (84 % y sont allés au moins une fois en 2018), des bibliothèques ou même des sites patrimoniaux (musée, exposition ou monument historique). Toutefois, si leurs niveaux de fréquentation des spectacles restent élevés (41 % en 2018), ils connaissent, en l’espace de dix ans, une forte baisse (51 % en 2008). Ce phénomène est d’autant plus remarquable que les Français sont, par ailleurs, de plus en plus nombreux à fréquenter les lieux culturels. Tandis que le cinéma – pratique longtemps emblématique de la jeunesse –connaît un regain d’intérêt chez les plus âgés, et que la danse et le théâtre voient leur programmation jeune public couronnée de succès, le spectacle vivant reste à la peine auprès des 15-24 ans. Ce décrochage est moins vrai pour les festivals dont la fréquentation reste stable chez les moins de 25 ans (27 %), et nettement supérieure à la moyenne des Français (19 %). Sans doute parce que la dimension sociale et collective demeure une composante essentielle de l’expérience qu’on y vit A. Djakouane, « Ce que les sociabilités font à l’écoute musicale. Le cas des Eurockéennes de Belfort », Culture & Musées, no 25, Actes Sud, 2015, p. 23-45.. C’est d’ailleurs un élément que l’on retrouve au-delà des sorties culturelles où, pour de nombreux jeunes, être ensemble constitue parfois l’objet et la finalité de la plupart des « sorties Ch. Dayan, Chr. Détrez (dir.), Goûts, pratiques et usages culturels des jeunes en milieu populaire, Injep, Rapport d’étude, octobre 2020, p. 31-32. ».

Nouveaux rapports à la culture et cosmopolitisme

Accéléré par le numérique, l’essor de la culture des écrans participe à l’émergence de nouvelles perceptions du temps, de l’espace et des chaînes de valeurs. Il favorise une certaine hybridation des catégories culturelles qui se traduit par un éclectisme croissant et une porosité des comportements : divertissement et culture, (fiction et autofiction, virtuel et réel. Avec les réseaux apparaissent de nouvelles catégories d’acteurs (leaders d’opinion, influenceurs, modérateurs, etc.) qui s’affirment comme de nouvelles instances de légitimité (de consécration, de labellisation) en marge des institutions traditionnelles (famille, école, équipements culturels). L’observation des modalités d’accès à l’information éclaire autrement cette question. Télévision et réseaux sociaux font désormais jeu égal chez les jeunes, puisque 65 % des 15-24 ans les considèrent comme leurs outils privilégiés d’accès à l’information, loin devant la presse (44 %) – papier et numérique – et la radio (28 %).

Cet affaissement des vecteurs traditionnels de transmission se couple à une plus grande ouverture sur le monde qui s’observe à travers le succès des produits culturels asiatiques (mangas, manhwas, séries, K-pop et J-pop), nord-européens (séries et polars) mais aussi indiens ou africains (Bollywood et Nollywood). Les jeunes ont désormais accès à des productions issues d’aires géographiques de plus en plus étendues. Plusieurs facteurs expliquent ce cosmopolitisme culturel V. Cicchelli, S. Octobre, L’Amateur cosmopolite. Goûts et imaginaires culturels juvéniles à l’ère de la globalisation, ministère de la Culture – DEPS, 2017.. D’un côté, l’élévation du niveau d’étude des jeunes et l’accroissement de leur mobilité, et de l’autre, les jeunes issus de l’immigration qui importent des musiques provenant de leur pays d’origine. S’ajoutent à cela, la généralisation des réseaux sociaux et la puissance des industries culturelles numériques mondiales qui excellent dans l’art d’hybrider les références culturelles.

Affaiblissement des transmissions verticales

Ce cosmopolitisme interroge la stratification habituelle des pratiques culturelles. Il montre l’aspiration d’une partie de la jeunesse à entrer en lien avec le monde global, et propose des leviers pour penser une citoyenneté culturelle à l’ère de la globalisation. De nombreux travaux font état d’une fragmentation des jeunesses S. Octobre, R. Sirota, Inégalités culturelles : retour en enfance, ministère de la Culture – DEPS, 2021. en archipels de comportements et de goûts H. Glevarec, M. Pinet, « La “tablature” des goûts musicaux : un modèle de structuration des préférences et des jugements », Revue française de sociologie, no 50-3, juillet-septembre 2009, p. 599-640. qui rend les généralisations de plus en plus délicates. Par ailleurs, rien n’interdit de penser que ces comportements, exacerbés chez les jeunes, n’affectent pas les générations plus âgées : des continuités s’observent, notamment dans la baisse de la lecture, dans la transformation du rapport à l’information ainsi que dans la complexification des demandes formulées à l’égard des institutions S. Octobre, « Pratiques culturelles des jeunes et stéréotypes », Hermès, La Revue, no 83, Paris, CNRS Éditions, 2019, p. 238-242..

Les jeunes disposent désormais d’une culture commune prolifique (musique, émissions de télévision ou de radio, magazines, jeux vidéo, réseaux sociaux…), dont le livre, fondement de la culture scolaire, reste en retrait. De fait, tout un pan des transmissions et des socialisations culturelles classiques semble s’affaisser traduisant ainsi la crise du programme institutionnel dont parle François Dubet à propos des valeurs de l’école Fr. Dubet, Le Déclin de l’institution, Paris, Seuil, 2002.. Bien qu’ouverte vis-à-vis de l’éclectisme des jeunes, celle-ci maintient un apprentissage qui favorise un rapport cultivé à la culture savante Ph. Coulangeon, « Lecture et télévision : les transformations du rôle culturel de l’école à l’épreuve de la massification scolaire », Revue française de sociologie, no 48-4, octobre-décembre 2007, p. 657-691.. Alors que dans la famille moderne, les identités culturelles sont négociées et construites dans l’interaction S. Octobre, « Pratiques culturelles chez les jeunes et institutions de transmission : un choc de culture ? », Culture Prospective, ministère de la Culture, 2009., à l’école, les mécanismes traditionnels de transmission sont concurrencés par Internet qui met à mal son autorité. Ceci incite à une réflexion sur les modes d’apprentissage où les aptitudes des jeunes générations, leur fonctionnement multitâche, leur désir d’interaction remettent en question les présupposés de l’éducation cartésienne, silencieuse et dissertative.

Les paradoxes du smartphone

Aborder les pratiques culturelles de la jeunesse oblige à s’intéresser aux effets du téléphone portable. Omniprésent dans le quotidien des adolescents, il s’impose désormais pour rester connecté à soi-même et aux autres M. Amri, N. Vacaflor, « Téléphone mobile et expression identitaire : réflexions sur l’exposition technologique de soi parmi les jeunes », Les Enjeux de l’information et de la communication, no 11/1, 2010, p. 1-17.. Couplé aux réseaux sociaux, cet appareil – qui contient « toute leur vie L. Allard, « Express yourself 3.0 ! Le mobile comme technologie pour soi et quelques autres entre double agir communicationnel et continuum disjonctif soma-technologique », dans L. Allard, L. Creton, R. Odin (dir.) Téléphone mobile et création, Armand Colin, Paris, 2014, p. 156. » – participe à la construction d’un récit de soi dans une existence de plus en plus documentée.

Si les jeux vidéo ont longtemps été emblématiques des pratiques juvéniles, ce sont désormais 44 % des Français qui s’y adonnent (dont 83 % des 15-28 ans). C’est dès lors au téléphone portable qu’il convient de s’intéresser : 90 % des 12-17 ans possèdent un téléphone mobile (86 % un smartphone) et 99 % des 18-24 ans (98 % un smartphone) J. Baillet, P. Croutte, V. Prieur, Baromètre du numérique 2019. Enquête sur la diffusion des technologies de l’information et de la communication dans la société française, Rapport Crédoc, décembre 2020.. Pratique discrète mais massive, le SMS (les 12-17 ans en envoient 250 par semaine en moyenne) est progressivement détrôné par les messageries instantanées (WhatsApp, Messenger, Snapchat, FaceTime…), utilisées par 79 % des 12-17 ans et 90 % des 18-24 ans. L’âge est aussi le principal facteur de l’usage des réseaux sociaux : 80 % des moins de 18 ans et 94 % des 18-24 ans les utilisent, contre 61 % des 40-59 ans.

Paradoxalement, alors que les adolescents sont en quête d’autonomie relationnelle, les notifications permanentes les contraignent à rester connectés à leurs amis. D’un côté, ces notifications les maintiennent en contact permanent avec l’extérieur du foyer familial, tandis que, d’un autre côté, elles exigent d’eux une hyperconnectivité qui les assigne à leur téléphone et réduit leurs mouvements.

L’amitié est d’ailleurs un objet de surenchère qui implique d’apporter constamment la preuve de son affection C. Balleys, « Socialisation adolescente et usages du numérique », Rapport d’étude, juin 2017, Injep.. Cette sociabilité médiatisée prolonge les sociabilités en présentiel, tant et si bien que la distinction réel/virtuel perd de son sens. Très normées, les interactions générées par les médias sociaux se caractérisent par une certaine « orientation positive des échanges », qui fait que « le plus souvent, on approuve, ou on s’abstient A. Coutant, Th. Stenger, « Processus identitaire et ordre de l’interaction sur les réseaux socionumériques », Les Enjeux de l’information et de la communication, no 11/1, 2010, p. 45-64. ». Toutefois, lorsqu’elle advient, la désapprobation s’impose alors comme une marque publique de désaffiliation. Alors qu’il est pensé comme un outil d’intégration sociale, le smartphone accélère la quantification des ressources symboliques qui devient, à son tour, un enjeu d’intégration et de popularité. Être soi-même, c’est souvent être comme les autres ou une injonction à avoir un style qui génère une forme de conformisme et de radicalisation des appartenances propres aux cultures juvéniles Fr. Dubet, « Cultures juvéniles et régulation sociale », L’Information psychiatrique, vol. 90, no 1, janvier 2014, p. 21-27..

L’ambivalence des stratégies familiales

Dans la famille contemporaine où le modèle de l’indépendance a remplacé celui de l’obéissance Fr. de Singly, Les Adonaissants, Paris, Armand Colin, 2006, p. 46., l’acquisition d’appareils électroniques (télévision, ordinateur, console de jeux, smartphone, etc.) participe au processus d’autonomisation des jeunes. Le smartphone accélère leur émancipation relationnelle et gustative sur laquelle les parents n’ont plus prise A.-S. Pharabod, « Territoires et seuils de l’intimité familiale. Un regard ethnographique sur les objets multimédias et leurs usages dans quelques foyers franciliens », Réseaux, no 123, vol. 22, 2004, p. 85-117.. L’entrée au collège marque souvent l’arrivée du premier portable auquel les parents résistent difficilement. Malgré une prise de conscience des effets négatifs liés à la surexposition aux écrans – en matière de santé ou de difficultés scolaires – et des dérives liées aux médias sociaux– cyberharcèlement S. Couchot-Schiex (dir.), « Le cybersexisme chez les adolescent·e·s (12-15 ans). Étude sociologique dans les établissements franciliens de la 5e à la 2nde », Rapport pour le Centre francilien pour l’égalité femmes-hommes (Centre Hubertine Auclert), 2016., surexposition à la pornographie IFOP, 2017, « Les adolescents et le porno : vers une “Génération Youporn” ? Étude sur la consommation de pornographie chez les adolescents », Rapport pour l’Observatoire de la Parentalité et de l’Éducation numérique, mars 2017. – le smartphone rassure les parents. D’un côté, il leur permet de maintenir un lien avec leurs enfants, et de l’autre, il les aide à les accompagner dans leur autonomie relationnelle. Plusieurs travaux ont montré l’effet positif de certaines activités médiatiques sur le lien familial S. M. Coyne, L. M. Padilla-Walker, A. M. Fraser, K. Fellows, R. D. Day, « “Media Time = Family Time”: Positive Media Use in Families with Adolescents », Journal of Adolescent Research, vol. 29, no 5, p. 663-688. ou sur la socialisation à la vie adolescente D. Pasquier, La Culture des sentiments. L’expérience télévisuelle des adolescents, Paris, Éditions de la MSH, 1999.. Le téléphone portable devient, paradoxalement, un outil de contrôle des contenus et des mobilités des enfants dans des espaces publics considérés comme dangereux. Tout comme l’augmentation des consommations multimédias, il participe aux stratégies parentales de maintien de l’enfant dans la sphère domestique.

Au sein de la famille contemporaine, l’équilibre entre l’individu et le collectif reste précaire. Il fait d’ailleurs l’objet d’intenses négociations car plus les équipements s’individualisent au sein du cercle familial, plus les temps partagés se réduisent. En 2017, une étude menée sur 700 collégiens montrait que 34 % des jeunes passent plus d’une heure sur leur téléphone après le dîner, 15 % plus de deux heures, et près de 15 % l’utilisent la nuit.

Les transformations anthropologiques que le numérique produit sur nos vies et celles des adolescents ne doivent pas faire oublier les inégalités culturelles sur lesquelles elles de développent.

Une fracture culturelle

Derrière cette hyperconnectivité, d’importants clivages persistent. La jeunesse n’est pas une catégorie homogène, et sa sociologie reste liée aux inégalités (économiques et sociales) présentes dans la société. De fait, la fracture numérique est avant tout une fracture culturelle C. Rizza, « La fracture numérique, paradoxe de la génération Internet », Hermès, La Revue, no 45, 2006, p. 25-32.. Et pour les jeunes d’aujourd’hui, il s’agit moins d’accéder à des technologies (Internet, ordinateur, smartphone) que d’acquérir les savoirs et les compétences qui en conditionnent l’usage : gérer son identité en ligne, maîtriser la confidentialité de ses données, savoir repérer, évaluer et classer les contenus, trouver des sources, etc. S. Livingstone, M. Bober, « UK children go online: Surveying the experiences of young people and their parents », London School of Economics and Political Science, Londres, juillet 2004.. Malgré le nom dont on les affuble (« digital natives »), les nouvelles générations ne sont pas naturellement mieux disposées à l’égard du numérique. Comme l’indique danah boyd Nous respectons ici l’écriture sans majuscules souhaitée par l’auteur, et dont l’explication est donnée sur son blog [NDR]., un grand nombre de jeunes tiennent pour vrais les résultats qui arrivent en tête dans un moteur de recherche  d. boyd, It’s Complicated. The Social Life of Networked Teens, New Haven/Londres, Yale University Press, 2014.. Plus naïves que natives, les nouvelles générations sont prises au sein d’une fracture numérique à plusieurs dimensions : « fracture d’accès (en résorption), fracture des usages, fracture des réinvestissements (passer des usages ludiques à ceux liés aux exigences de la vie sociale) et fracture des capacités réflexives et des compétences critiques (particulièrement sollicitées dans l’immense machine à mélanger information et bruit des réseaux sociaux), etc. S. Octobre, « Pratiques culturelles des jeunes et stéréotypes », Hermès, La Revue, no 83, 2019, p. 238-242. ».

Les transformations anthropologiques que le numérique produit sur nos vies et celles des adolescents ne doivent pas faire oublier les inégalités culturelles sur lesquelles elles se développent. Trois mouvements de fond semblent se dessiner. D’abord, le déclin des formes de transmissions institutionnelles, descendantes et hiérarchiques. Celles-ci laissant place à l’expression de réseaux de sociabilités à géométries, espaces et temporalités, variables et ajustables. Ensuite, la construction de référentiels culturels s’effectue désormais, non plus par l’imposition des valeurs des pères, mais dans un espace négocié entre pairs. En découle le fait que la valeur de l’art ne repose plus uniquement sur une forme d’expertise privatisée par des spécialistes homologués par l’institution. S’adjoint désormais celle des usagers dont l’importance croît avec les réseaux d’information contributifs. Enfin, s’amorce un changement profond de la conception de la participation culturelle : le passage du spectateur docile, discipliné et complice à celui du spectateur actif et participant. Une rupture dont la jeunesse se fait l’écho dans la mesure où, comme le rappelle Sylvie Octobre, « le nouvel amateurisme est fondé sur les compétences que les jeunes acquièrent par le jeu, l’écoute, la transformation et qui affectent la façon dont ils participent au processus éducatif, politique, civique et à la constitution du lien social […] Pour que les jeunes participent, il faut qu’ils pensent que ce qu’ils apportent au contenu l’enrichit et enrichit l’expérience des autres S. Octobre, « Les enfants du 21e siècle », L’Observatoire, no 46, automne 2015, p. 22-26.. »

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14.03.2024 à 14:45

Jard’In Zur : un terrain de jeu pour mêler pratiques artistique et agricole

Aurélie Doulmet

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Le groupe d’artistes Zur (pour zone utopiquement reconstituée) défend un art qui prône le mélange des genres et des langages artistiques et qui dépasse les spécialisations. Les trois artistes fondateurs, animés par l’envie de rencontrer d’autres publics que ceux du spectacle vivant, ont imaginé à Angers, sur un ancien terril d’ardoises, le « Jard’In Zur », poétique, […]

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Le groupe d’artistes Zur (pour zone utopiquement reconstituée) défend un art qui prône le mélange des genres et des langages artistiques et qui dépasse les spécialisations. Les trois artistes fondateurs, animés par l’envie de rencontrer d’autres publics que ceux du spectacle vivant, ont imaginé à Angers, sur un ancien terril d’ardoises, le « Jard’In Zur », poétique, collaboratif et expérimental. Ils cherchent à combiner et alterner pratiques artistique et agricole. Les deux disciplines nourrissent des propositions qui se font écho, les actions culturelles se mêlant au potager. Dans ce lieu de détente, mais aussi de travail et d’expérimentation, collaborent les artistes de Zur, des étudiant·es, des structures sociales et culturelles, ainsi que des entreprises.

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05.03.2024 à 15:18

Loisirs des villes, loisirs des champs : quelle partition territoriale ?

Frédérique Cassegrain

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Aller au cinéma, au musée, au spectacle, écouter la radio ou des podcasts, bricoler, tricoter, jardiner… L’accès à l’offre et aux loisirs culturels dépend-il du lieu de résidence et des caractéristiques sociales des individus ? La nouvelle exploitation de l’enquête Pratiques culturelles du DEPS (ministère de la Culture), croisée avec la grille communale de densité, se penche sur les écarts culturels entre ville et campagne.

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Texte intégral (4130 mots)
Photo © R Mine Daisy, Plateforme Unsplash

Relancée par la toute récente annonce, par la ministre de la Culture, du Printemps de la ruralité, la question du lien entre le lieu de résidence de la population, les pratiques culturelles des habitants et leur accès à l’offre n’est pourtant pas nouvelle. L’aménagement culturel des territoires a été l’une des politiques prioritaires du ministère des Affaires culturelles à partir de 1959 et une politique volontariste d’implantation de l’offre s’est poursuivie pendant plusieurs décennies. Au début des années 2020, le territoire français s’avère toutefois toujours inégalement pourvu. Les territoires ultramarins sont, ainsi, toujours moins dotés d’équipements culturels labellisés que la France métropolitaine, et la situation varie d’une région à l’autre, que ce soit numériquement ou rapporté à la population régionale E. Millery, J.-C. Delvainquière, L. Bourlès, S. Picard, Atlas Culture : dynamiques et disparités territoriales culturelles en France, Paris, ministère de la Culture, DEPS, coll. « Culture études », no 3, 2022..

Qu’en est-il des pratiques culturelles et de loisir de la population ? Les loisirs des urbains et ceux des ruraux sont-ils de nature et d’intensité comparables ? Celles-ci varient-elles, comme on peut le supposer, selon le niveau d’équipement des territoires, mais aussi selon le lieu de résidence des individus, la mobilité nécessaire pour accéder à l’offre culturelle et d’autres critères plus classiques en sociologie de la culture comme le niveau de vie, le niveau de diplôme ou encore la catégorie socioprofessionnelle ? En d’autres termes, l’effet territorial vient-il renforcer les caractéristiques des publics de la culture et des publics éloignés de la culture ? L’enclavement territorial ou l’éloignement des centres urbains contribuent-ils à renforcer des écarts de participation culturelle ou bien conditionnent-ils des univers de pratique très différents selon que l’on est rural ou urbain ?

Pour le savoir, nous avons croisé, dans notre étude, la participation culturelle et les loisirs de la population Enquête Pratiques culturelles 2018, ministère de la Culture, DEPS : https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Etudes-et-statistiques/L-enquete-pratiques-culturelles. avec le type de territoire où résident les personnes afin d’identifier des différences ou des similitudes selon l’âge, le sexe, le niveau de diplôme, la catégorie socioprofessionnelle. Le temps d’accès à l’équipement le plus proche a ensuite été calculé, afin d’objectiver la question de l’accessibilité à l’offre culturelle.

Une population plus âgée et moins diplômée dans les communes rurales

Avant d’aller plus loin, il faut rappeler que la structure de la population n’est pas identique selon le type de territoire.

Tout d’abord, elle est plus jeune dans les grands centres urbains où les 15-24 ans représentent 18 % de la population contre 14 % dans l’ensemble de la population. À l’inverse, elle est plus âgée dans le rural où les plus de 60 ans représentent respectivement 36 % de la population des bourgs ruraux, 35 % du rural à habitat dispersé et 42 % du rural à habitat très dispersé (contre 32 % dans l’ensemble de la population). Ainsi, la part des 60 ans est trois fois plus élevée que celle des 15-24 ans dans les bourgs ruraux, et près de trois fois et demie supérieure dans le rural à habitat très dispersé. Dans les grands centres urbains, cet écart se réduit : les plus de 60 ans ne sont plus qu’une fois et demie plus nombreux que les 15-24 ans.

En outre, la part des familles n’est pas la même selon les territoires : les ménages composés d’un couple avec au moins un enfant sont plus nombreux dans les ceintures urbaines, où l’habitat pavillonnaire est plus répandu, et dans le rural à habitat dispersé et les bourgs ruraux.

Ensuite, les populations ne présentent pas les mêmes caractéristiques selon l’endroit où elles résident en matière d’emploi et de niveau de vie. Ainsi, la part des cadres est deux fois et demie plus importante dans les grands centres urbains que dans les territoires ruraux. À l’inverse, la part des employés et des ouvriers est plus importante dans le rural que dans les grands centres urbains.

Enfin, le niveau de formation des populations diffère selon le lieu de résidence. Près d’un tiers de la population est diplômée de l’enseignement supérieur en France en 2020, mais la population des grands centres urbains est surdiplômée par rapport à l’ensemble de la population (un effet propre à cette catégorie territoriale). La part des diplômés de l’enseignement supérieur est deux fois plus importante dans les grands centres urbains que dans le rural à habitat très dispersé (respectivement 41 % contre 22 % de la population).

Ces différences de structure de la population, selon la grille de densité, sont importantes à souligner car la participation culturelle des individus est étroitement corrélée au sexe, à l’âge, au niveau de diplôme et à la catégorie socioprofessionnelle O. Donnat, Pratiques culturelles, 1973-2008. Dynamiques générationnelles et pesanteurs sociales, Paris, ministère de la Culture, DEPS, coll. « Culture études », no 7, 2011..

Loisirs culturels de sortie : un effet territorial net en défaveur des habitants des espaces ruraux

Parmi les activités culturelles de la population, certaines peuvent se pratiquer à domicile, comme la lecture, par exemple, quand d’autres sont qualifiées de « sortie » et supposent de fréquenter un équipement culturel : aller à la bibliothèque ou au cinéma, assister à un spectacle, visiter un musée ou une exposition, etc. Pour ces pratiques de sortie et à la différence des pratiques domestiques, on peut supposer qu’elles sont en partie dépendantes de l’offre territoriale et de la mobilité des individus. On sait aussi qu’elles sont liées à la sociabilité D. Pasquier, La Sortie au théâtre, Paris, ministère de la Culture, DEPS, coll. « Culture études », no 1, 2013., ce qui renvoie aux caractéristiques sociodémographiques des personnes : plus développée chez les jeunes et, à contrario, moins chez les seniors qui vont préférer des loisirs domestiques, comme l’avait montré la dernière enquête Emploi du temps de l’Insee C. Brousse, « Travail professionnel, tâches domestiques, temps “libre” : quelques déterminants sociaux de la vie quotidienne », Économie et Statistique, nos 478-479-480, 2015.. Or, il faut garder à l’esprit que la structure de la population est plus jeune dans les grands centres urbains, plus âgée dans le rural.

Pour illustrer les pratiques de sortie, prenons l’exemple des sorties au théâtre ou au musée, pour lesquelles les écarts les plus marqués s’observent.

Un peu plus de quatre personnes sur dix ont assisté à un spectacle et près de trois sur dix ont visité un musée ou une exposition en 2018, d’après l’enquête Pratiques culturelles Enquête Pratiques culturelles 2018, op. cit.. Un effet contrasté de territoire s’observe entre les populations résidant dans les grands centres urbains, dont la pratique de sortie est supérieure à la moyenne dans la population générale, à l’inverse de celles résidant dans les centres urbains intermédiaires, les petites villes et le rural dispersé qui déclarent des taux de pratique moindres.

Il y a là sans doute un effet d’offre, que ce soit dans le domaine du spectacle ou des musées : 61 % des théâtres et 55 % des scènes (de spectacle ou de musique) sont situés dans les grands centres urbains, 18 % des théâtres et 31 % des scènes le sont dans les centres urbains intermédiaires. Dans les grands centres urbains, le temps d’accès à la scène la plus proche est inférieur à 15 minutes, alors que dans le rural à habitat dispersé et très dispersé, 82 % des scènes les plus proches sont situées à plus de 15 minutes du lieu de résidence des personnes. Un tiers des 1 200 musées bénéficiant de l’appellation « musées de France » sont situés dans les grands centres urbains, 38 % dans l’urbain intermédiaire et 29 % seulement dans le rural. Les lieux d’exposition labellisés se trouvent très largement en milieu urbain, même si ces établissements labellisés ont des missions de service public d’action hors les murs, notamment en zones rurales. Les trois quarts des lieux muséaux et d’exposition les plus proches sont accessibles à moins de 15 minutes, dont un quart à moins de 5 minutes. Les temps d’accès sont bien sûr plus élevés pour les habitants du rural à habitat dispersé ou très dispersé : plus de 15 minutes pour 62 % d’entre eux.

Est-ce à dire que la sortie au spectacle ou au musée est, en partie, déterminée par la présence d’un équipement culturel sur le territoire ? Le fait que quatre habitants sur dix de zones rurales à habitat dispersé ou très dispersé, particulièrement peu dotées d’équipements de spectacle vivant, ont assisté à au moins un spectacle dans l’année invite à modérer ce point de vue. Ces populations, mobiles, se déplacent pour travailler, mais sans doute aussi pour des sorties à motif culturel. Ensuite, la pratique au sein des cadres et des diplômés de l’enseignement supérieur de la population rurale à l’habitat dispersé ou très dispersé est plus élevée que celle de leurs homologues des bourgs ruraux ou de l’urbain intermédiaire. Ainsi, s’il y a un effet territorial discriminant pour les habitants de l’urbain intermédiaire et du rural, il n’exclut qu’une partie de la population au sein de ces espaces, tandis que les personnes qui possèdent les propriétés sociales et le capital culturel maintiennent un taux de pratique, certes plus faible que celui de leurs homologues résidant dans l’urbain dense, mais plus élevé que celui observé dans tous les autres types de territoire.

L’analyse a aussi porté sur d’autres pratiques comme le fait d’aller à la bibliothèque, au cinéma ou à un festival. L’écart de participation entre les habitants des grands centres urbains et les habitants de l’urbain intermédiaire et du rural est toujours présent, dans des proportions plus ou moins fortes, à l’exception de la pratique festivalière qui semble aussi bien partagée par les urbains que les ruraux. La bibliothèque et le cinéma sont pourtant les deux équipements culturels les plus présents sur le territoire. Il est donc difficile de conclure à un simple effet d’offre, même si celle-ci est plus qualitative (amplitude des horaires d’ouverture, surface, fonds et qualification des personnels pour les bibliothèques) ou plus fournie (nombre d’écrans et de fauteuils pour les cinémas) dans l’urbain. Concernant la fréquentation des bibliothèques, par exemple, celle-ci reste déterminée par le niveau de diplôme et la catégorie socioprofessionnelle : dans le rural à habitat dispersé et très dispersé, le taux de fréquentation des diplômés de l’enseignement supérieur est comparable à celui de leurs homologues résidant dans les grands centres urbains, et celui des cadres est même supérieur et le plus élevé pour les cadres, quel que soit leur lieu de résidence.

Graphique : Sorties culturelles au cours des douze derniers mois selon la grille de densité
Sorties culturelles au cours des douze derniers mois selon la grille de densité

Télévision, radio, podcasts : un plus fort engagement des habitants du rural et de l’urbain intermédiaire

Les loisirs médiatiques – comme le fait de regarder la télévision, d’écouter la radio ou des podcasts – sont eux aussi marqués par de forts écarts d’engagement dans la pratique selon le lieu de résidence des personnes. Six personnes sur dix déclarent écouter la radio quotidiennement, avec un taux de pratique supérieur pour les résidents du rural et des ceintures urbaines. Le temps de transport entre le domicile et le lieu de travail peut en partie expliquer ce résultat. On sait en effet qu’un tiers des actifs en emploi résident dans une commune rurale et que seuls 25 % d’entre eux résident et travaillent dans la même commune tandis que près de la moitié de ces actifs travaillent en zone urbaine et se déplacent donc plus que les urbains. De plus, la distance parcourue par les actifs en emploi résidant dans le rural est plus élevée que celle de l’ensemble des travailleurs (13 km contre 8 km) S. Chaumeron et A. Lécroart, « Le trajet médian domicile-travail augmente de moitié en vingt ans pour les habitants du rural », Insee Première, no 1948, mai 2023.. Concernant l’écoute de podcasts, l’écart de pratique observé selon le lieu de résidence est moins significatif que l’effet d’âge : ce sont d’abord les jeunes qui se sont emparés de ce nouveau format, tandis que les plus âgés demeurent attachés à l’écoute de programmes radiophoniques, ce qui vient confirmer la dimension générationnelle dans l’appropriation des supports de diffusion de la musique et, plus généralement, des contenus culturels O. Donnat, Approche générationnelle des pratiques culturelles et médiatiques, Paris, ministère de la culture, DEPS, coll. « Culture prospective », no 3, 2007. Ph. Lombardo, L. Wolff, Cinquante ans de pratiques culturelles en France, Paris, ministère de la Culture, DEPS, coll. « Culture études », no 2, 2020..

Graphique : loisirs médiatiques selon la grille de densité
Loisirs médiatiques selon la grille de densité

Concernant la télévision, « invitée permanente O. Masclet (sous la direction de), L’Invité permanent. La réception de la télévision dans les familles populaires, Paris, Armand Colin, « Individu et Société », 2018. » des ménages, un média « qui s’inscrit et se fond dans les routines quotidiennes du foyer D. Pasquier, « Les publics, entre usages de la télévision et réception des programmes », Réseaux, vol. 229, no 1, 2015. » et occupe une place centrale, elle reste le premier loisir à domicile à la fin des années 2010. Un effet territorial distingue les habitants des grands centres urbains dont le taux de pratique est inférieur à la moyenne de la population générale. Cette moindre pratique concerne toutes les catégories sociodémographiques des habitants des grands centres urbains : âge, niveau de diplôme et catégorie socioprofessionnelle. Pour autant, les habitants du rural à habitat dispersé et très dispersé ne sont pas ceux qui regardent le plus la télévision : ce sont les habitants des centres urbains intermédiaires et des petites villes ainsi que des ceintures urbaines qui déclarent les plus forts taux de pratique. L’urbanité versus la ruralité n’est donc pas le principal indicateur discriminant. Le mode de logement, la composition des foyers et la concurrence d’autres loisirs expliquent sans doute cette distribution différente concernant la télévision selon le lieu de résidence.

Loisirs ludiques et ordinaires : des univers de pratiques différents pour les ruraux et les urbains

L’enquête Pratiques culturelles, mise en œuvre pour la première fois au début des années 1970, avait la double ambition de rendre compte de la montée en puissance de la civilisation du loisir conceptualisée par Joffre Dumazedier J. Dumazedier, Vers une civilisation du loisir ?, Paris, Seuil, 1962 ; J. Dumazedier, Révolution culturelle du temps libre : 1968-1988, Paris, Méridiens-Klincksieck, 1988. et de mesurer la progression des pratiques culturelles de la population, un peu plus de dix ans après la création du ministère des Affaires culturelles par André Malraux en 1959. L’enquête démarre ainsi par une série de questions très générales sur le rapport au temps libre : bricolage, jeu, chasse, pêche, pratiques sportives et formes de sociabilités permettent d’en savoir plus sur ces loisirs qui ont en commun d’être des temps soustraits aux temps contraints (travail et tâches domestiques), qu’ils soient culturels, ordinaires ou relevant des « semi-loisirs » Ph. Coulangeon, P.-M. Menger, L. Roharik, « Les loisirs des actifs : un reflet de la stratification sociale », Économie et Statistique, nos 352-353, 2002..

Si l’on s’intéresse à quelques pratiques de loisir dites « d’autoproduction » comme les travaux d’aiguille (tricot, broderie ou couture), le bricolage et la décoration, le jardinage, les habitants du rural sont plus nombreux à déclarer ces loisirs, en particulier le bricolage et le jardinage. On observe cependant un désinvestissement des catégories populaires pour certaines de ces pratiques, historiquement liées à la capacité des ménages populaires à améliorer leurs conditions de vie, tandis que les cadres et les plus diplômés, à l’inverse, sont plus investis dans ces pratiques. Si l’on ne peut exclure un effet de renforcement du manque de ressources (manque de terrain pour cultiver son jardin, d’espace dédié pour bricoler ou coudre par exemple) qui pénaliserait les ménages les plus modestes, force est de constater que « l’omnivorisme En sociologie, le terme « omnivorisme » renvoie historiquement au processus de diversification des répertoires culturels observé chez les populations appartenant aux classes socioéconomiques favorisées. Dans ce contexte, la notion renvoie à la diversité des goûts et des pratiques culturelles de la population, mais aussi au répertoire plus large des loisirs. [NDLR]. », documenté pour les goûts (l’éclectisme), s’étendrait aussi aux loisirs ordinaires et que loin de rejeter des activités peu distinctives, les catégories supérieures les plus diplômées se caractérisent au contraire par un spectre d’activités plus large que celui des catégories populaires, moins nombreuses à déclarer bricoler, jardiner, y compris dans l’espace rural. Dans le cas de la cuisine (« cuisiner de bons petits plats »), les plus diplômés des espaces urbains sont ceux qui déclarent le plus s’adonner à ce loisir. Cuisiner est devenu une pratique distinctive, plus investie par les diplômés et les cadres, en particulier en ville.

Graphique : Loisirs ordinaires selon la grille de densité
Loisirs ordinaires selon la grille de densité

Urbains ou ruraux, une stratification sociale des loisirs qui résiste à la question territoriale

Les habitants de l’urbain dense et ceux du rural à habitat dispersé ou très dispersé se distinguent par les activités de loisir qu’ils pratiquent pendant leur temps libre. Moins engagés dans les pratiques culturelles de sortie, les habitants du rural leur préfèrent des loisirs domestiques ou médiatiques. Si l’éloignement des grands centres urbains, où se concentrent l’offre culturelle et les services, explique en partie cet effet territorial, on observe qu’il concerne moins les cadres et les plus diplômés du rural. On peut faire l’hypothèse que ces populations, par effets de revenus et de capital symbolique, ont les moyens d’une plus grande mobilité, y compris culturelle. La mobilité culturelle, des œuvres et des populations, est ainsi l’un des enjeux majeurs à prendre en compte pour répondre à la question de l’engagement culturel des populations.

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