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24.10.2025 à 08:19

En Indonésie, une réelle politique de soutien aux aidantes et aux soignantes se fait encore attendre

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Après l'accident vasculaire cérébral de son père, la responsabilité de prendre soin de lui est retombée sur Muhar Yati. Pendant plusieurs mois, Mme Yati, âgée d'une trentaine d'années, et qui souffre elle-même d'un handicap, a dû prodiguer des soins physiques et psychologiques à domicile pour aider son père à se rétablir, ne recevant qu'un soutien minimal de la part du système de santé national ou de sa famille.
C'est un défi récurrent auquel sont confrontées les femmes en Indonésie qui, (…)

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Texte intégral (2601 mots)

Après l'accident vasculaire cérébral de son père, la responsabilité de prendre soin de lui est retombée sur Muhar Yati. Pendant plusieurs mois, Mme Yati, âgée d'une trentaine d'années, et qui souffre elle-même d'un handicap, a dû prodiguer des soins physiques et psychologiques à domicile pour aider son père à se rétablir, ne recevant qu'un soutien minimal de la part du système de santé national ou de sa famille.

C'est un défi récurrent auquel sont confrontées les femmes en Indonésie qui, comme Mme Yati, doivent supporter le fardeau de s'occuper des enfants, des personnes âgées, handicapées ou en mauvaise santé.

« La charge mentale des soins est généralement supportée par les femmes. Outre leur contribution financière, les hommes peuvent apporter leur soutien de nombreuses façons, mais ils ne le font pas, car ils sont paralysés par le préjugé qui veut que les soins sont l'apanage des femmes », explique Putri, une autre aidante indonésienne qui s'occupe d'un enfant malade, dans un article publié par l'ONG de santé publique, Noora Health.

En Indonésie, il est estimé que 36 millions de femmes travaillent de façon informelle en fournissant des soins aux personnes qui en ont besoin. Jusqu'à présent, l'État n'a pas vraiment fait grand-chose pour les soutenir.

« Des millions de femmes et filles indonésiennes travaillent dans des foyers privés [comme employées de maison et aides-soignantes à domicile], mais, malgré leur rôle essentiel dans l'économie, elles ne sont toujours pas protégées par la législation indonésienne du travail », explique Negar Mohtashami Khojasteh, experte en droits humains pour Human Rights Watch (HRW).

En 2004, une loi historique, qui aurait été la première à étendre la protection des travailleurs à l'économie des soins, a été proposée au Parlement indonésien. Le projet de loi sur la protection des travailleurs domestiques (PPRT ou Perlindungan Pekerja Rumah Tangga) aurait, pour la première fois, protégé les travailleurs domestiques contre l'exploitation économique, notamment les contrats de travail verbaux omniprésents, les salaires souvent très inférieurs au minimum légal et les longues journées de travail. Il aurait également eu pour effet de protéger les travailleurs contre les violences physiques et sexuelles dans le monde du travail et de reconnaître enfin légalement le travail domestique comme un travail formel, avec des contrats de travail transparents et écrits, l'accès à la Sécurité sociale, ainsi que les protections sociales mentionnées ci-dessus.

Cependant, 21 ans plus tard, le PPRT, qui prévoit des protections pour les travailleurs des soins à temps partiel ou résidant chez l'employeur, n'a jamais été soumis au vote, alors même qu'il avait été désigné à plusieurs reprises comme une législation prioritaire, essuyant des revers et des reports depuis des années. Selon les défenseurs de cette loi, les craintes liées au coût de la mise en œuvre du salaire minimum, à la responsabilisation des employeurs et au manque d'urgence électorale sont des facteurs déterminants pour expliquer pourquoi le projet de loi n'a pas encore été adopté. D'aucuns estiment que le fait que de nombreux députés emploient des travailleurs domestiques qui travaillent probablement aussi de manière informelle constitue un autre facteur. Pour les travailleurs domestiques, cela signifie deux décennies supplémentaires de travail dans des conditions difficiles, et ce, malgré la croissance économique spectaculaire de l'Indonésie.

« Pour les travailleurs domestiques, rien n'a changé », déclare Lita Anggraini, coordinatrice nationale de JALA PRT, une organisation de défense des droits des travailleurs domestiques. Ils continuent à travailler sans limites d'heures, sans jours de congé hebdomadaires et sans pauses ni sécurité sociale. Les défenseurs des travailleurs qualifient leurs conditions de travail d'esclavage moderne.

Le fait que cette loi n'ait pas été adoptée contraste avec les efforts croissants déployés par le gouvernement pour donner une reconnaissance l'économie des soins au sens large. Selon Tirta Sutejo, directrice de la lutte contre la pauvreté et de l'autonomisation des collectivités à l'Agence nationale de planification du développement (Bappenas), le développement de l'économie des soins est l'une des priorités du Plan national de développement à long terme 2025-2045. L'objectif est de s'attaquer aux obstacles structurels au sein de l'écosystème du travail, en particulier ceux auxquels font face les femmes.

Au moment où l'Indonésie s'apprête à mettre en œuvre la feuille de route destinée à protéger les travailleurs du secteur des soins et à mieux reconnaître ce type de travail, l'incapacité à protéger les aides-soignantes et les travailleurs domestiques pourrait limiter l'efficacité de l'ensemble du processus.

« En Indonésie, par le passé, lorsque nous parlions des travailleurs domestiques, cette activité n'était pas considérée comme un travail et nous les appelions simplement des “aides”, leur travail étant considéré comme d'un statut inférieur », explique Sulistri Afrileston, vice-présidente chargée de la protection sociale au sein de la Confédération indonésienne des syndicats (KSBSI). « Mais la société et la culture sont en train de changer et les travailleurs domestiques devraient percevoir un salaire décent, être couverts par la Sécurité sociale, bénéficier d'une protection en matière de sécurité et santé au travail, mais surtout, ces personnes doivent être respectées en tant que travailleurs. »

Une reconnaissance croissante pour l'économie des soins

L'Organisation internationale du Travail (OIT) estime que la grande majorité des aides-soignants indonésienne, qu'il s'agisse de travailleurs domestiques chargés de la cuisine et du ménage ou d'aides-soignants à domicile s'occupant d'enfants, de personnes handicapées ou âgées, sont des femmes. En réalité, ce schéma se répète presque partout dans le monde : la responsabilité de s'occuper des personnes et des ménages est sous-payée, sous-valorisée et, trop souvent, entièrement non rémunérée. Cette responsabilité pèse de manière disproportionnée sur les épaules des femmes, qui, dans de nombreux cas, n'ont accès à aucun soutien syndical et travaillent souvent dans des conditions précaires et dangereuses.

En 2022, dans la foulée de la présidence indonésienne du G20, l'OIT a lancé un projet visant à remédier à la situation des droits du travail des femmes en Indonésie, à travers l'élaboration d'une feuille de route et d'une stratégie nationales permettant au gouvernement d'investir dans des politiques en faveur de l'économie des soins et d'entamer un processus visant à garantir la protection des mères, le congé parental, l'éducation de la petite enfance et les soins de longue durée. En 2024, cette feuille de route a été publiée, avec le soutien du ministère indonésien de l'Autonomisation des femmes et de la Protection de l'enfance.

« La feuille de route associe la question de l'économie et de la productivité à celle de l'égalité des sexes et au cadre de l'économie des soins », explique Early Dewi Nuriana, responsable national des projets de l'OIT pour l'économie des soins en Indonésie.

L'Indonésie est actuellement un pays relativement jeune, avec une population dont l'âge moyen se situe autour de 30 ans. Mais cela est en train de changer. Selon la Fédération des syndicats des cols bleus (Federasi Serikat Pekerja Kerah Biru), en Indonésie, 2,7 % des personnes les plus âgées ont besoin de soins de longue durée, sans toutefois avoir accès à des services de qualité, publics et de longue durée. En outre, la demande de services d'aide et de soutien pour les personnes handicapées devrait augmenter considérablement.

Aussi, à mesure que davantage de femmes entrent sur le marché du travail, la demande de services de garde d'enfants augmentera également. Les familles moins nombreuses pourraient également ne pas être en mesure de fournir des soins à domicile aux membres âgés ou dépendants de leur famille. La difficulté réside dans le fait qu'il n'existe pratiquement aucune infrastructure sur laquelle s'appuyer.

« Lorsque nous parlons d'économie des soins, la question se pose de savoir qui paiera pour ces services », explique Mme Nuriana « En Indonésie, nous disposons d'un système de protection sociale limité : une assurance maladie nationale et une assurance chômage réduite qui ne couvre que les accidents et les décès. Même nos retraites ne sont pas encore universelles et le congé de maternité n'est accessible qu'aux personnes qui ont un contrat de travail à durée indéterminée, ce qui est très rare. »

Le défi tient en grande partie à la communication, déclare Gita Lingga, assistante principale en communication et gestion de l'information à l'OIT Indonésie. Dans le cadre de ce projet, son équipe a lancé des campagnes sur les médias sociaux et hors ligne visant à sensibiliser le public au fardeau que supportent déjà les femmes aidantes et à l'importance que revêt la valorisation de ce travail.

« L'égalité des sexes n'est pas seulement une question sociale ou culturelle, c'est aussi une question économique », explique Mme Lingga. « C'est le message principal que nous souhaitons transmettre aux citoyens : soutenir les travailleurs du secteur des soins profite à la fois aux hommes et aux femmes. »

Ce travail consiste également à sensibiliser les journalistes et les responsables des collectivités locales, et à trouver des moyens créatifs de combattre les préjugés culturels et sociaux profondément enracinés, par exemple en discutant avec les imams des mosquées locales de l'importance de partager avec leur jama'ah (congrégation) les responsabilités domestiques entre les hommes et les femmes.

La feuille de route en est encore au stade de la planification et de la phase pilote, en partie parce qu'un nouveau gouvernement a été élu en Indonésie en février 2025. Cependant, Mmes Nuriana et Lingga estiment que la garde d'enfants est un domaine dans lequel des progrès rapides sont possibles. Elles ont contribué à soutenir certaines initiatives pilotes destinées à fournir des services de garde d'enfants sur certains lieux de travail. Un projet, lancé cette année, se focalise sur trois régions : Karawang (la plus grande zone industrielle d'Indonésie) et deux régions où les services de garde d'enfants font défaut, Batang et Probolinggo. Piloté par l'Association des employeurs indonésiens (APINDO), le projet vise à guider les entreprises qui connaissent un taux d'absentéisme élevé chez les femmes en vue de développer et de mettre en œuvre des solutions innovantes pour la garde d'enfants.

De son côté, la KSBSI a collaboré avec une entreprise productrice d'huile de palme afin que celle-ci fournisse des services de garde d'enfants à son personnel, composé principalement de femmes, dans le cadre d'un projet dans la province de Kalimantan occidental, sur l'île de Bornéo. La KSBSI espère reproduire ce modèle avec d'autres entreprises.

L'OIT Indonésie considère que les initiatives visant à mettre en place une certification nationale en matière de garde d'enfants constituent une étape essentielle pour professionnaliser ce type de travail et faire en sorte que la garde d'enfants soit également considérée comme un travail décent.

« La garde d'enfants est devenue le sujet le plus fréquemment sollicité par le gouvernement, en raison de son lien direct avec la participation des femmes au marché du travail », explique Mme Nuriana. « La prochaine étape consiste à soutenir le gouvernement dans l'élaboration d'une carte des professions relatives aux soins et d'une norme nationale pour les travailleurs des services de garde d'enfants. »

Ne pas abandonner les travailleurs domestiques

Pour les travailleurs domestiques, attendre encore 20 ans, après avoir déjà lutté pendant plus de deux décennies, semble un fardeau injuste. Si l'Indonésie avait adopté le projet de loi PPRT en 2004, au moment où il a été proposé pour la première fois, le pays serait peut-être aujourd'hui plus à même de relever les défis croissants liés à la garde d'enfants, aux soins aux personnes âgées et à d'autres aspects de l'économie des soins.

« Aucun changement significatif n'est intervenu dans la vie des travailleurs domestiques au cours des 20 dernières années », déclare Mme Anggraini, de JALA PRT.

L'inaction a plutôt entraîné d'innombrables abus, tant en termes de vols de salaire que de violations des droits humains, explique Mme Khojasteh de l'organisation HRW.

« Les travailleurs domestiques sont nombreux à avoir subi d'horribles abus psychologiques, physiques et sexuels de la part de leurs employeurs », ajoute Mme Khojasteh. « Le gouvernement indonésien ne devrait pas retarder davantage l'adoption du projet de loi. »

Pour Mme Anggraini et les membres de son organisation, la crainte est que, malgré l'attention croissante portée à l'économie des soins et à l'élaboration d'une nouvelle feuille de route, les travailleurs domestiques et les aides à domicile soient une fois de plus ignorés ou que le vote sur la législation soit reporté, comme cela s'est déjà produit par le passé. En réalité, JALA PRT et d'autres organisations estiment que la collaboration entre les ministères et les travailleurs sur la feuille de route pour l'économie des soins laisse à désirer.

« Des conflits d'intérêts surgissent parmi de nombreux fonctionnaires, membres de la Chambre des représentants, le gouvernement et les employeurs », explique Mme Anggraini. « Ils ne souhaitent aucun changement au statu quo, qui leur confère des privilèges en tant qu'employeurs. »

La seule alternative ? Continuer la lutte, car, selon JALA PRT, la seule façon pour les travailleurs domestiques d'obtenir des droits est de passer à l'action.

« Nous menons des actions de sensibilisation, de lobbying, des auditions, des campagnes et sommes présents sur les médias sociaux », explique Mme Anggraini. Dans ce contexte, elle estime qu'une sensibilisation accrue est la clé. « Avec un peu de chance, nous bénéficierons d'un soutien renforcé de la part des médias de masse et du public. »

22.10.2025 à 08:52

Au Liban, le travail essentiel des chiffonniers syriens dans l'économie circulaire

Thomas Abgrall
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Sur un chemin de terre cahoteux, près du camp palestinien de Sabra, ceinture de misère au sud de Beyrouth, Hamid, 22 ans, pousse péniblement un chariot où s'entassent d'énormes sacs de jute pleins à craquer qui font deux fois sa taille. Le t-shirt noirci par la crasse et les mains calleuses, il s'adosse contre un muret et s'offre une pause cigarette en plein cagnard. Mais il ne s'attarde pas trop : le dos plié en deux, il descend les sacs et les dépose sur une balance en fer dans une boura (…)

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Sur un chemin de terre cahoteux, près du camp palestinien de Sabra, ceinture de misère au sud de Beyrouth, Hamid, 22 ans, pousse péniblement un chariot où s'entassent d'énormes sacs de jute pleins à craquer qui font deux fois sa taille. Le t-shirt noirci par la crasse et les mains calleuses, il s'adosse contre un muret et s'offre une pause cigarette en plein cagnard. Mais il ne s'attarde pas trop : le dos plié en deux, il descend les sacs et les dépose sur une balance en fer dans une boura (en arabe, « terrain vague »), un centre de collecte informel qui achète les matériaux récupérés par les chiffonniers dans les bennes à ordure.

Il existe des dizaines de bourat dans la capitale libanaise. En face de la balance, assis sur un siège de bureau, un jeune homme, jean troué, qui tire sur une chicha, tient la comptabilité sur un grand carnet noir. Pour son premier passage de la journée, Hamid a récolté 24 kilos de bouteilles en plastique, 9 kilos d'autres matières plastiques, 32 kilos de carton et 2kilos d'aluminium. L'équivalent de 6 dollars américains (environ 5,10 euros). Il fait deux à trois passages quotidiens, et porte entre 100 et 150 kilos par jour. Il gagne environ 350 dollars par mois (environ 300 euros), un peu plus que le salaire minium libanais (de 312 dollars dans le secteur privé).

« Je marche de 9h du matin à 23h pour collecter des déchets. C'est un travail très fatigant, je n'ai pas de sécurité sociale en cas d'accident. Deux enfants sont morts en 2022 alors qu'ils triaient des déchets, ils ont été écrasés par des camions-poubelles », raconte le jeune syrien, qui vit au Liban depuis 2012. « Je me fais aussi régulièrement insulter, parfois battre par des gens dans la rue, mais il faut bien manger, payer le loyer ».

Hamid fait partie des chiffonniers du bas de l'échelle : ceux qui ont réussi à faire des économies au fil des ans ont pu s'acheter des motocyclettes, des Tuk Tuk, voire des pick-up, et collectent principalement des déchets dans les industries, supermarchés, ou garages des matériaux à plus forte valeur ajoutée.

Tribus bédouines syriennes

Dans la boura de Sabra, le propriétaire est un Libanais qui travaille dans le secteur depuis 1975. « J'ai commencé à l'âge de 14 ans avec mon père qui a acheté le terrain de la boura, il n'y avait que des champs de citronniers ici. Les métaux sont récupérés depuis très longtemps, et constituent l'une des principales exportations libanaises, mais c'est depuis les années 2000 que les chiffonniers se sont mis à récupérer plastique et carton, qui ont pourtant moins de valeur que les métaux », affirme le propriétaire, qui souhaite rester anonyme.

« Ce sont d'abord des tribus bédouines d'Alep qui ont commencé à travailler dans le secteur, puis de Raqqa et de Deir ez-Zor, notamment quand de nombreux villages ont été occupés par l'État islamique [entre 2014 et 2016, ndlr] ». Les prix des matières recyclables vendues par Hamid varient selon le cours international des matières premières.

Chaque jour, les propriétaires de bourat reçoivent sur un groupe WhatsApp les tarifs d'une vingtaine de matériaux recyclables : cuivre rouge, cuivre jaune, acier inoxydable, journaux, cartons, canettes de Pepsi, bouteilles en plastique, nylon, aluminium, plomb, piles, climatiseurs et radiateurs, batteries de voiture… Une fois qu'Hamid a récupéré son dû, des adolescents qui travaillent dans la boura répartissent les recyclables dans différents tas, puis les chargent dans des camions.

Beaucoup de mineurs déscolarisés travaillent dans le secteur, ils ont souvent arrêté l'école à la fin de l'enseignement primaire.

Les métaux sont expédiés dans un plus grand centre de collecte à Sabra, puis exportés, principalement vers la Turquie. Le plastique et le carton sont principalement vendus à des entreprises de recyclage locales. Le plastique peut également être revendu à des grossistes qui détiennent des licences exclusives pour l'export. Ces derniers réalisent généralement les plus grands bénéfices dans la chaîne du tri.

C'est par exemple le cas de la famille Chaaban, l'un des principaux traders de plastique, rencontrée dans une zone industrielle à Choueifat, au sud de Beyrouth. « Nous achetons la tonne de plastique à 200 dollars US, nous le broyons avec des machines et revendons les granulés à 325 dollars la tonne à l'étranger, en Grèce, en Égypte ou en Turquie », explique Mohammad Chaaban, l'un des gérants de l'entreprise.

Des initiatives d'ONG locales

Les chiffonniers constituent un maillon essentiel dans l'économie circulaire, car les Libanais ne trient pas leurs déchets. « Moins de 5 % d'entre eux pratiquent le tri à la source, par négligence et par manque de sensibilisation », explique Georges Bitar, fondateur de l'ONG Live Love recycle, qui a lancé en 2018 une application pour récupérer les matières recyclables dans les foyers et entreprises.

Moyennant trois dollars par semaine, des employés de l'ONG emportent jusqu'à trois sacs de matières recyclées d'environ 4.000 foyers. Ces dernières sont ensuite séparées dans un centre de traitement, puis revendues. Quelques initiatives comme celles de Live Love Recycle se sont lancées après une catastrophique crise des déchets en 2015-2016, et des usines de tri ont été construites avec le soutien de donateurs internationaux, mais nombre d'entre elles se sont arrêtées, notamment faute de rentabilité.

« Depuis deux ans, le prix des matières recyclables a baissé : la tonne de plastique est passée de 450 à 200 dollars, la tonne de papier de 110 à 80 dollars et la tonne d'acier de 350 à 200 dollars. Les coûts de l'essence sont aussi très élevés, ce qui impacte nos coûts du transports. »

« Enfin, avec la crise économique depuis 2020, les ménages ont réduit leur consommation, en particulier de matières recyclables », note Georges Bitar.

Selon la Banque mondiale, le taux de matières recyclables dans les déchets solides libanais est passé d'environ 45 % à 25 % entre 2017 et 2021, tandis que les déchets organiques ont augmenté de 50 à 70 %. Live Love Recycle a employé 436 réfugiés syriens à temps partiel en 2018 avec le soutien du Programme alimentaire mondial (PAM). Aujourd'hui, ils ne sont plus là, mais l'ONG planifie de créer 100 nouveaux emplois à temps plein et d'ouvrir 30 nouveaux points de collecte, avec le soutien du Regional Development and Protection Program (RDPP).

« On ne baisse pas les bras malgré la situation morose du marché », assure Georges Bitar. Le Liban demeure cependant loin de modèles de coopératives de chiffonniers comme il en existe au Maroc ou au Brésil.

Les défaillances de l'État

L'État libanais, lui, ne fait rien pour favoriser le recyclage, bien au contraire. Sa gestion des déchets repose principalement sur l'enfouissement des déchets non séparés dans des décharges centralisées gérées par des entreprises privées. À Beyrouth, deux ont été inaugurées en 2016, celles de Costa Brava, au sud de la capitale, et de Jdeidé, au nord de Beyrouth. Elles sont régulièrement saturées, puis agrandies, dans une fuite en avant périlleuse.

Les entreprises qui ont gagné les appels d'offre pour gérer ces décharges n'ont aucune obligation de tri préalable. Les camions-poubelles compactent les déchets des bennes à ordure et les recrachent tels quels dans les décharges. Avant 2020, il existait deux centres de traitement à proximité de ces décharges : l'un a été détruit par l'explosion du port de Beyrouth en 2020, et n'est toujours pas opérationnel, tandis que le second, vétuste, ne fonctionne plus depuis que le contrat avec l'entrepreneur gestionnaire a expiré.

En théorie, 25 % des déchets pourraient être recyclables, mais moins de 8 % le sont en pratique, selon des chiffres de 2024 fournis par Conseil du développement et de la reconstruction (CDR), un établissement public libanais chargé de la mise en place d'une stratégie nationale pour la gestion des déchets.

L'État libanais tend à se décharger sur les municipalités, qui selon différents textes de loi, sont responsables de la gestion des déchets solides. Mais leurs moyens financiers sont limités : leurs ressources, faibles, dépendent essentiellement de fonds gouvernementaux. Et elles sont déjà endettées pour sous-traiter à des sociétés privées la collecte des déchets, ne disposant pas de moyens humains et logistiques pour traiter les déchets à la source. Quelques exceptions existent toutefois dans certaines unions de municipalités, notamment au nord du Liban.

Conditions de travail dégradées et retours en Syrie

Le rôle clé des chiffonniers n'a cessé de diminuer récemment. Plus de 90 % d'entre eux sont Syriens, le reste des collecteurs étant Palestiniens et Kurdes. Parmi les milliers de chiffonniers travaillant dans le secteur, une partie importante est retournée en Syrie après la chute de Bachar al-Assad, il y a près d'un an.

Dans le quartier de Hay-Lejja, à l'ouest de Beyrouth, des chiffonniers entrent et sortent d'un étroit passage entre deux bâtiments qui conduit à une impasse. À l'abri des regards, se niche une boura dans un local plongé dans la pénombre, au pied d'un immeuble de dix étages. Des dizaines de chiffonniers habitent et travaillent là depuis plus de 15 ans, tous membres du même clan, les Bou Hamad, originaires de villages autour de Raqqa.

« Nous sommes une tribu d'environ 40.000 personnes, qui travaillons dans les déchets, la plomberie ou la construction. Beaucoup d'entre nous étaient recherchés par le régime, et sont maintenant retournés en Syrie. Même s'il n'y a pas autant de travail qu'au Liban, nous n'avons pas à payer de loyer, nous sommes propriétaires de nos tentes », indique Abou Hassan, un gaillard aux yeux hallucinés qui semble être le responsable de la boura.

Les conditions de travail n'ont aussi cessé de se dégrader, expliquent les chiffonniers. Abou Hamza, un autre trieur de déchets, casquette à l'envers vissée sur le crâne, raconte :

« La municipalité a fait fermer des bourat dans le quartier, et nous harcèle de plus en plus. Ces derniers mois, elle a confisqué 13 motocyclettes et un camion. Nous avons dû les racheter à prix fort, à plusieurs centaines de dollars ».

Des conflits latents existent aussi entre les propriétaires libanais de bourat, associés à des gangs, qui font parfois régner la terreur pour que des chiffonniers n'empiètent pas sur le territoire.

« Plusieurs membres de notre boura se sont fait kidnapper par un gang d'un autre quartier. Ils ont été menacés par des chiens, frappés à coups de couteau, pendus à l'envers pendant plusieurs jours à des crocs de boucher, et privés de nourriture », témoigne l'un d'entre eux. Certains sont même obligés de payer une somme mensuelle pour être « protégés » dans leur zone par des caïds de quartier.

Alors que l'obscurité tombe sur Beyrouth, l'équipe de nuit de la boura de Hay-Lejja, composée essentiellement de jeunes adolescents, s'active pour commencer sa besogne. Munis de lampes frontales, ils grimpent dans les bennes à ordures, plongent la tête la première dedans et éventrent les sacs-poubelles avec agilité pour trier chaque matière recyclable dans différents bacs en carton. Ils ont jusqu'à l'aube pour récupérer le plus de déchets valorisables avant le passage des camions-poubelles. Comme chaque nuit, leur course contre la montre a commencé, et durera jusqu'au petit matin.

21.10.2025 à 11:49

Alex J. Wood, sociologue : « Nous avons besoin de formules de représentation alternatives, qui donnent aux travailleurs free-lances une voix fonctionnelle »

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Bien que le travail indépendant ait toujours existé dans de nombreux métiers, ces dernières années, dans le secteur des services surtout, un nombre croissant de professionnels semble se lancer dans le travail en free-lance, alors même que de nombreuses entreprises ont augmenté la charge de travail qu'elles délèguent à des prestataires externes d'une façon qui aurait été inimaginable il y a encore quelques années.
Un changement de mentalité semble bouleverser le monde du travail. La gestion (…)

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Bien que le travail indépendant ait toujours existé dans de nombreux métiers, ces dernières années, dans le secteur des services surtout, un nombre croissant de professionnels semble se lancer dans le travail en free-lance, alors même que de nombreuses entreprises ont augmenté la charge de travail qu'elles délèguent à des prestataires externes d'une façon qui aurait été inimaginable il y a encore quelques années.

Un changement de mentalité semble bouleverser le monde du travail. La gestion à court terme et par projets, qui privilégie les relations de travail ponctuelles, remplace le modèle traditionnel qui consistait à investir dans la formation et la pérennisation de son propre personnel au sein de la structure et de la culture interne de chaque entreprise plus particulièrement. Il semble de plus en plus courant que les économies de coûts dictent les décisions des entreprises, disposées à ne payer que pour un travail spécifique lorsqu'elles en ont besoin, au point qu'il est devenu normal de combiner du personnel permanent et la sous-traitance vers des free-lances.

Cela n'augure rien de bon pour la qualité et la stabilité des emplois, dans ce qui semble être une tendance qui pourrait préfigurer l'avenir du monde du travail. Pour nous aider à comprendre ce phénomène, Equal Times a demandé l'avis de l'un des spécialistes qui connaît le mieux l'impact social et économique de ces transformations, le sociologue britannique Alex J. Wood, chercheur et maître de conférences en sociologie économique à l'université de Cambridge (Royaume-Uni). Il est également ancien membre de l'équipe qui a créé l'Indice du travail en ligne de l'université d'Oxford, un outil qui a permis de mesurer pour la première fois, entre 2016 et 2024, les fluctuations de l'activité professionnelle de tous les free-lances des cinq plus grandes plateformes spécialisées dans ce domaine dans le monde anglophone (ainsi que de plusieurs portails en espagnol et en russe entre 2020 et 2024), soit plus de 70 % du marché mondial des indépendants en activité.

On a l'impression que les travailleurs sont de plus en plus nombreux à choisir ou à être contraints de devenir indépendants. Que disent les données à ce sujet ?

Je pense qu'il y a bel et bien une tendance à la hausse du travail indépendant dans les pays capitalistes occidentaux, mais il est également vrai que la véritable augmentation forte des chiffres s'est produite entre l'année 2000 et la pandémie de Covid-19.

Aujourd'hui, dans la plupart des pays, le nombre de travailleurs indépendants recommence à augmenter, mais pas nécessairement aussi fortement qu'avant la pandémie ni de manière uniforme. En outre, tout dépend des réglementations, des habitudes sur la façon de faire des affaires et de la manière dont chaque économie est réglementée en général à chaque endroit. En Scandinavie, par exemple, les pratiques en matière d'emploi sont généralement moins fragmentées, avec des marchés du travail très réglementés, avec pour conséquence que les entreprises ont beaucoup moins tendance à recourir à des travailleurs indépendants.

Est-ce que cela signifie donc que plus la réglementation du travail est stricte, moins il y a de free-lances ?

Oui, naturellement, même si le type de secteurs dominants dans chaque économie nationale est également déterminant. Par exemple, le Royaume-Uni est fortement axé sur les services, ce qui présente un grand potentiel pour que ces services soient proposés à travers l'auto-emploi, alors que dans une économie plus axée sur la production industrielle, comme l'Allemagne, ce potentiel est beaucoup plus faible.

Selon certains chercheurs, la technologie constitue un facteur historique de rupture dans les conditions de travail. Comment son utilisation influence-t-elle la précarisation et la tendance à l'augmentation du nombre de travailleurs indépendants ?

La numérisation accroît la capacité à fragmenter le travail dans l'espace, mais aussi à permettre à des personnes qui ne sont pas des employés (même éparpillées un peu partout dans le pays ou dans le monde) de contribuer au processus de travail. Cela explique la forte augmentation du travail indépendant entre l'année 2000 et la pandémie, du fait de l'utilisation croissante des ordinateurs et de la numérisation du travail.

Après quoi, ces dernières années, nous avons assisté au développement de plateformes numériques de travail, telles qu'Uber, Just Eat, Deliveroo, etc., ainsi que de plateformes pour travailleurs indépendants, telles qu'Upwork et Fiverr. Elles permettent de réduire les coûts de recherche des travailleurs free-lance, grâce à leurs algorithmes qui garantissent un accès à une main-d'œuvre disponible. Ce phénomène coïncide avec un affaiblissement des réglementations du travail et de la capacité des syndicats de faire pression sur les entreprises pour qu'elles ne sous-traitent pas la charge de travail à des travailleurs non syndiqués.

Ce lien entre technologie et précarisation rappelle le vieil adage « diviser pour mieux régner », puisque, face à cette fragmentation du travail, il est très difficile de bénéficier d'une représentation syndicale ou de négociations collectives, et la technologie permet à de nombreuses entreprises de dire : « voilà notre façon de travailler : c'est à prendre ou à laisser ». Pensez-vous que, dans ce sens, les entreprises se servent consciemment des technologies comme d'un élément de rupture à leur avantage ?

Je pense que oui. Nous avons réalisé une étude sur les free-lances au Royaume-Uni auprès de travailleurs indépendants qui utilisaient des plateformes telles qu'Uber et des plateformes pour free-lances. Dans le cas d'Upwork, nous avons observé des niveaux de soutien aux syndicats vraiment élevés ; bien plus élevés, en fait, que ceux généralement observés chez les employés conventionnels. Certains travailleurs déclaraient même vouloir créer leur propre syndicat, ce qui montre clairement qu'il existe une volonté de représentation syndicale. Je pense que nous devons demander à ces travailleurs s'ils estiment que des conseils du travail similaires à ceux qui existent dans l'industrie allemande devraient être mis en place pour les travailleurs des plateformes : un conseil dans lequel certains travailleurs seraient élus comme représentants, avec pour objectif d'être consultés et d'avoir un droit de veto sur les décisions importantes. Cette idée recueille en fait un soutien plus large que les syndicats, car je pense que les gens reconnaissent qu'il est très difficile de mettre en place un syndicat de travailleurs free-lance, alors qu'avec les plateformes, il est aisé d'imaginer comment ce type de conseil pourrait fonctionner. Nous avons besoin de formules de représentation alternatives, qui donnent aux travailleurs une voix fonctionnelle, sans que celle-ci dépende de leur capacité à mettre en place un syndicat.

Les entreprises qui passent d'une force de travail salariée à un système reposant de plus en plus sur des free-lances externes s'orientent-elles vers une conception beaucoup plus court-termiste de leur activité ? Pourquoi, selon vous, préfèrent-elles accepter cette volatilité plutôt que d'investir dans la constitution d'équipes stables ?

Ce changement de mentalité est bel et bien en cours, et je pense qu'il s'explique en grande partie par le déclin de ce que le sociologue Wolfgang Streeck qualifie de « contraintes bénéfiques » pour les employeurs. En effet, si on laisse le choix aux entreprises, elles opteront pour la voie de la facilité, car elles se concentrent sur le cours de leurs actions et la rentabilité à court terme, même si cela se fait au détriment de leurs intérêts sur le long terme.

Wolfgang Streeck est un Allemand évoquant l'expérience allemande où, traditionnellement, les conseils du travail et les syndicats ont réussi à limiter la capacité des employeurs à choisir ce chemin de la facilité, les obligeant donc à investir dans leurs travailleurs et à leur dispenser des formations. Une fois que vous avez formé vos travailleurs, vous avez tout intérêt à leur offrir une plus grande sécurité d'emploi et des conditions de travail de qualité, car vous ne voulez pas qu'ils s'en aillent.

Effectivement, nous avons constaté un véritable déclin de ces contraintes bénéfiques, ce qui signifie que certaines entreprises considèrent les agences et les plateformes qui leur fournissent des free-lances comme un moyen de réduire immédiatement leurs coûts du travail, même si cela nuit à leur productivité. Cela s'explique en partie par le fait que, dans les années 80 et 90, le cours des actions s'est progressivement imposé comme l'étalon de la rentabilité à long terme des entreprises. Or, l'un des moyens d'augmenter le cours d'une action consiste à réduire les coûts du travail, même si cela se révèle ne pas être bénéfique pour l'entreprise dans la pratique. Je pense donc que le déclin de la réglementation des marchés financiers et le recours croissant aux fonds de capital-risque et aux fonds d'investissement jouent un rôle dans cette évolution. Ces prédateurs financiers issus de Wall Street ont influencé de nombreuses décisions de gestion, au lieu de laisser les dirigeants sur le terrain prendre ce type de décisions stratégiques.

Cela signifie donc que ce changement de paradigme dans les entreprises n'est pas un phénomène récent, mais qu'il remonte à une époque antérieure à Internet, à cette obsession néolibérale qui consiste à évaluer les entreprises en fonction du cours de leurs actions, qui fluctue quotidiennement.

Oui, il n'y a aucun doute que ce changement était déjà en cours dans le passé, tant en termes de déclin des syndicats que de ces contraintes bénéfiques, auxquelles s'ajoute le rôle croissant de la déréglementation des marchés financiers. L'économiste David Weil, qui faisait partie de l'administration Obama, explique les différentes manières dont les entreprises ont réagi à cette focalisation sur le cours des actions, en exploitant justement cette dislocation du travail, c'est-à-dire en ayant recours à des agences d'intérim et à des travailleurs indépendants. Puis sont arrivées les années 2000, avec une numérisation croissante, et aujourd'hui, dans les années 2020, avec l'émergence des plateformes de travail, de nouvelles formes de fragmentation de l'emploi apparaissent, grâce à l'utilisation de travailleurs des plateformes et de travailleurs free-lances à une échelle beaucoup plus grande, car les coûts liés à la recherche d'employés, à leur embauche et au contrôle de leur travail ont été considérablement réduits grâce à la technologie.

Du côté des travailleurs, observe-t-on également un changement de paradigme dans leur relation avec les entreprises ?

Je pense que, envers et contre tout, les gens tentent constamment de s'organiser et de créer des communautés, ce qui entraîne un certain degré de régulation informelle. Par exemple, nous voyons comment certains travailleurs dressent directement leur propre liste noire énonçant leurs pires clients et déconseillent à leurs confrères de travailler pour eux ou indiquent que personne ne devrait accepter tel travail pour moins de tel montant. Les syndicats jouissent également d'un large soutien, même s'il est difficile de les organiser dans ce type de travail. Je pense que la frustration que ressentent les gens face à la précarité de leur emploi les pousse à rechercher des alternatives qui ne sont pas proposées par les partis progressistes, ce qui amène certains vers les idées de l'extrême droite la plus populiste et conduit les gens à attribuer à tort la détérioration de leurs conditions de vie à l'immigration.

De fait, la détérioration des démocraties a commencé à partir de la crise financière de 2008 et le meilleur moyen de défendre la démocratie est probablement de maintenir des conditions de travail dignes. Vos données sociologiques le montrent-elles d'une manière ou d'une autre ?

Oui, et je pense que c'est ce que nous devons faire pour offrir une alternative aux gens, car je ne pense pas que mettre un terme à l'immigration améliorera de quelque manière que ce soit la qualité de vie des gens. Et si l'idée est d'offrir une alternative, il faut sans aucun doute que le système garantisse la démocratie sur le lieu de travail par l'intermédiaire de conseils du travail et de syndicats, ce qui, en réalité, améliorera les conditions de travail des gens et leur offrira une plus grande sécurité professionnelle et matérielle.

Le plus curieux est que cela profiterait également aux entreprises elles-mêmes. Cependant, il n'existe pas de réglementation du travail spécifique aux travailleurs indépendants. En 2024, l'UE a adopté sa Directive sur le travail des plateformes , mais celle-ci ne s'appliquera qu'aux travailleurs des plateformes. En tant que société, comment devrions-nous faire face à ces lacunes réglementaires ?

Tout à fait. De fait, j'ai participé à certaines discussions avec les législateurs européens portant sur cette directive et je leur ai fait remarquer qu'elle était plutôt bonne, mais qu'elle ne s'appliquait qu'aux travailleurs qui ont été contraints de recevoir la définition de travailleurs indépendants à ce moment-là, et non à ceux qui sont véritablement free-lance. Je pense donc que ce qu'il convient de dire est similaire à ce que nous dirions face à un cas d'évasion fiscale, à savoir qu'une entreprise ne peut pas affirmer « oh, eh bien, il s'agit de travailleurs indépendants » ou qu'elle a simplement sous-traité le travail à des tiers et qu'il ne lui incombe pas de s'assurer qu'ils perçoivent le salaire minimum. Non. Si une entreprise crée un quelconque travail, elle est tenue de payer, au moins, le salaire minimum, qui a justement été fixé à cet effet, afin de garantir que personne ne gagne moins que ce montant, y compris les travailleurs indépendants.

Et si vous êtes un travailleur indépendant sur une plateforme et que vous ne gagnez pas le salaire minimum avec les missions que vous recevez en moyenne, je pense que vous devriez pouvoir faire valoir que vos tarifs sont trop bas et réclamer que la plateforme les augmente. Et l'un des moyens d'y parvenir est de passer par les conseils du travail que nous avons évoqués tout à l'heure. Il s'agit de démocratiser les plateformes, mais aussi de faire en sorte que les droits du travail s'appliquent réellement à tous les travailleurs, y compris les free-lances. Toute personne effectuant un travail rémunéré doit pouvoir bénéficier de ses droits fondamentaux en matière de travail, y compris le salaire minimum.

Comment tout cela peut-il être garanti ?

Je pense que les plateformes de travail doivent disposer d'un conseil élu par les travailleurs, consulté sur les changements qui interviennent sur les plateformes, mais également habilité à examiner les prix et les tarifs fixés pour les différentes tâches, et ce, de façon à garantir qu'ils sont suffisamment élevés pour couvrir les besoins des travailleurs et, bien sûr, qu'ils couvrent le salaire minimum.

L'État devrait-il garantir cela d'une manière ou d'une autre ?

Oui, exactement : il faut que cette couverture légale soit étendue aux personnes qui sont véritablement des travailleurs indépendants, mais qui travaillent à travers des plateformes.

Pour finir, quelles sont les actions que les travailleurs peuvent entreprendre pour que cette protection devienne réalité ? Que recommanderiez-vous aux travailleurs indépendants pour faire avancer les choses dans cette direction ?

Avant tout, qu'ils adhèrent à un syndicat, ou qu'ils créent des communautés de travailleurs, ou de nouveaux syndicats, qu'ils adhèrent à un parti politique ou qu'ils en créent un nouveau, et qu'ils fassent ensuite évoluer la situation vers plus de protection des droits et donnent une plus grande voix à tous ces travailleurs indépendants.

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