04.12.2024 à 11:23
Nadia Meziane
Nous proposons ici la retranscription d’un entretien réalisé avec Thomas Sibille, d’Al Bayyinah, en juin 2024. Il nous a semblé essentiel de proposer une version écrite, et donc durable, de ce récit sur une aventure culturelle française, celle des librairies musulmanes et de l’édition musulmane, malheureusement toujours abordée dans les médias de manière négative et par des ignorants en quête de sensationnalisme islamophobe.
Nadia Meziane : Salam, bonjour, On va commencer par te présenter brièvement pour les non musulmans. Tu es propriétaire d’une librairie, Al Bayyinah à Argenteuil, tu es aussi éditeur, à la tête de deux maisons d’édition. Tu es également auteur et plus globalement, tu es un des acteurs importants de la communauté musulmane qui s’implique aussi dans sa vie quotidienne. Or tu n’es pas né musulman et avant de faire l’histoire de ta librairie et des librairies musulmanes, je voulais revenir sur ton parcours, qui ne correspond pas tellement aux clichés qu’on peut avoir sur les convertis. Tu n’es pas issu d’un quartier populaire, tu ne t’es pas converti parce que tu étais issu de l’immigration et par imitation. Tu n’es pas non plus dans le cliché islamophobe, celui de la perte de sens qui affecte des Occidentaux en quête d’une identité et qui se tournent vers une religion de “conquête”. Tu viens d’une famille qui est chrétienne et je souhaitais que tu nous présentes cette histoire, qui a été la tienne au début des années 2000.
Thomas Sibille : Je suis effectivement né dans une famille catholique. Au départ, quand j’ai grandi, on habitait dans un presbytère. Mes parents s’occupaient de l’organisation et de la gestion du lieu de culte. Ma mère enseignait, et enseigne toujours, le catéchisme et mon père s’occupait, et s’occupe toujours, de l’église au quotidien. J’ai eu une éducation religieuse dès mon plus jeune âge : lorsque j’étais petit, je lisais par exemple des bandes dessinées sur l’Abbé Pierre ou sur des grandes figures du christianisme. J’ai donc toujours eu un lien avec Dieu et avec la Foi. Même dans mon adolescence, je continuais de fréquenter l’église et d’y aller le dimanche. J’avais des lectures quotidiennes de la Bible avant de me coucher, par exemple. Le dimanche soir, nous avions des réunions de famille où nous prenions un passage de la Bible que nous discutions ensemble. J’ai été baptisé, j’ai fait ma communion, ma profession de foi, je suis allé jusqu’à la confirmation.
Arrivé à l’âge de 18/19 ans, en lisant un passage de la Bible, j’ai commencé à me poser certaines questions. J’ai bloqué sur un passage de l’évangile de Jean dans lequel il dit :
“ Ne sois pas triste que je parte, car il faut que je parte pour qu’il vienne. Il ne parlera pas en Son Nom mais il dira ce qui lui a été révélé et il s’appellera le Paraclet.”
J’ai donc cherché à savoir qui est le Paraclet, jusqu’à découvrir que le Paraclet était pour les musulmans l’annonce du dernier des Prophètes, Mahomet, qui viendrait justement compléter les messages de Jésus, de Moïse, d’Abraham, etc… Cela m’a interpellé, car c’étaient des choses que je n’avais jamais entendues, je n’avais entendu parler d’islam que très vaguement et je n’avais pas vraiment d’idées de ce que c’était. Je n’imaginais donc pas qu’on puisse, dans la Bible, avoir un passage qui parlerait du Prophète qui était pour moi le Prophète des musulmans et qui pour moi n’avait pas de liens avec Jésus, Moïse, Abraham , etc…
J’ai donc commencé à lire le Quran et en lisant, j’ai été frappé, d’une part de la similitude entre la Bible et le Quran, mais surtout de découvrir le monothéisme pur et que la Trinité n’existait pas réellement dans la Bible. Au fur et à mesure de mes lectures et de mes prières, j’ai été convaincu qu’il fallait que je me convertisse à l’islam. Mais, n’ayant pas un environnement proche musulman, et bien je ne savais pas comment faire. Je suis donc resté comme cela, à attendre ou à me poser des questions, tout en sachant que j’avais envie de sauter le pas. Jusqu’à envoyer un jour un message à un ami du lycée, avec qui je n’avais pas de relations particulières mais dont je me rappelais qu’il était musulman, pratiquant, et qu’il allait régulièrement à la mosquée. Je lui ai expliqué mon envie de devenir musulman : il m’a invité à venir à la mosquée avec lui, un week-end, je me suis converti et c’est comme cela que j’ai fait mes premiers pas dans la religion musulmane. Forcément, au départ, cela a été un peu difficile pour mes parents, puisqu’ils m’ont élevé d’une certaine manière et ils voyaient, donc, un peu comme une trahison le fait que je devienne musulman. Nous avons eu une rupture pendant un certain nombre d’années : aujourd’hui c’est fini, nous avons de très bonnes relations, on se voit régulièrement. Mais au départ, c’est vrai que cela a été un petit peu difficile.
Pour ce qui est de la librairie, au départ, j’étais commercial, j’avais fait des études de commerce. Je n’avais pas l’idée d’ouvrir un jour une librairie. Mais c’est vrai que dès que je suis entré dans l’islam, j’aimais beaucoup lire, j’avais besoin d’en savoir toujours un peu plus sur ma religion. Donc, dès qu’un livre sortait, j’avais l’habitude de l’acheter. Et même quelquefois, j’en achetais plusieurs pour donner autour de moi, de façon à ce que tout le monde puisse être renseigné au maximum. Et puis un jour, j’ai eu des problèmes de santé qui ont abouti à ce que je ne puisse plus conduire. Comme j’étais commercial, et donc en permanence sur la route, je me suis retrouvé bloqué à ne plus pouvoir travailler. Un jour, en passant avec un ami à Argenteuil, derrière la mosquée, nous avons vu un local avec écrit “ Bail à céder”. Et il m’a dit “Qu’est ce que tu en penses, on pourrait essayer d’ouvrir une librairie à cet endroit là.”. Nous sommes entrés dans le local pour connaître le prix du bail. Nous n’avions pas les moyens, nous avons cherché une solution pour trouver l’argent et nous avons trouvé une personne qui a accepté de s’associer avec nous. C’est comme ça que l’aventure a commencé en 2008. Voilà comment je suis entré dans l’islam en 2002 et comment je suis entré dans le monde du livre en 2008.
N.M : Justement, nous sommes non seulement dans une période très islamophobe, mais également dans une période où beaucoup de gens se convertissent. Et ce que je constate, notamment dans les milieux de gauche où j’évolue, c’est que ce sont souvent des personnes isolées, qui ne connaissent pas d’autres musulmans et qui rencontrent très vite des difficultés avec leur entourage. As-tu des conseils à donner, d’abord sur ce qu’on doit faire quand ça nous tombe dessus, parce que c’est aussi cela, quelque chose qui nous tombe dessus. On n’ose pas toujours aller dans une mosquée. Ca c’est la première chose. Pour la seconde, tu as parlé tout à l’heure d’une réaction assez dure de ton entourage. Tu t’es retrouvé un peu tout seul et dehors. Des années après, saurais-tu comment mieux faire pour que ton entourage le prenne bien et pas forcément tomber dans les pièges qu’on peut avoir au début : être agressif, ne pas vouloir comprendre la réaction des gens qui nous connaissaient avant et qui pensent qu’on est devenu totalement une autre personne ?
T.S : Je pense que cela fait aussi partie du cheminement. Lorsqu’on découvre quelque chose, forcément, on a tendance à y aller à fond et pas dans la nuance. Donc, peut-être faire des erreurs, mais cela permet aussi de se construire. C’est normal d’en passer par là, car on est dans quelque chose sur lequel on n’a pas suffisamment de recul pour nuancer certaines choses et avoir une autre approche. C’est un passage un peu obligé.
Maintenant, ce qui est important, c’est de se rendre compte de l’importance de ses parents, de l’importance de la famille. Même si l’on a des choix différents des leurs, il faut toujours chercher à garder le lien.
Bien sûr, certaines personnes peuvent se dire “ On n’a pas les mêmes idées, on se sépare “. Mais non, au contraire, il faut garder un lien, discuter, aller vers le dialogue. Et c’est comme cela que l’on peut espérer qu’ils aient une meilleure compréhension de nos choix. Mais si l’on se coupe, si l’on est dur, que l’on estime que tout le monde doit respecter notre choix, sans même avoir fait l’effort d’aller expliquer pourquoi, c’est forcément la rupture. Donc, au lieu d’attendre de la part des autres qu’ils acceptent, tout de suite, notre choix, (il faut) essayer plutôt d’aller vers eux, expliquer les raisons de notre choix. Et même s’il y a rupture au départ, toujours garder la main tendue, pour que la personne commence à accepter ou à chercher à comprendre. Cela, c’est pour les relations familiales.
Concernant les personnes qui sont isolées et qui n’ont pas d’entourage musulman, il ne faut pas hésiter à aller à la mosquée. C’est un lieu de paix, un lieu agréable, dans lequel les gens sont bienveillants. La personne y sera une invitée, ce n’est pas comme si c’était quelqu’un qui doit prouver quoi que ce soit. La personne vient comme elle est, elle va trouver tout de suite des gens avec qui elle va bien s’entendre, qui vont l’accueillir et l’aider dans ses premiers pas. C’est assez important, surtout si elle subit une rupture familiale et si elle a des difficultés avec son entourage. Car dans ce cas, la personne reste seule chez elle, elle n’a personne à qui confier ses difficultés. En allant à la mosquée, elle va trouver des gens qui ont le même parcours qu’elle : ces personnes vont lui expliquer comment elles ont fait pour justement trouver cet équilibre entre la foi et la société. En tout cas, il ne faut pas avoir peur d’aller à la mosquée, c’est un lieu de paix et de tranquillité .
N.M : en parlant des mosquées, on va parler des librairies. Je suis assez vieille pour avoir connu cet autre monde, où déjà une mosquée quelque part, ce n’était pas si banal que cela. Mais alors, les librairies, et même le concept de librairie musulmane, c’était quelque chose que 99 pour cent des français et même des musulmans et des issus de l’immigration musulmane ne concevaient pas quand j’étais adolescente. J’aimerais bien que tu nous parles de ce phénomène là. Parce qu’on parle souvent de l’islam sur internet et on y reviendra après. C’est vrai que c’est la plus grande visibilité aujourd’hui. Mais derrière cela, il y a à mon avis, ces lieux là, qui seront très importants à terme. Aujourd’hui tu n’es vraiment plus le seul libraire, peux tu nous raconter cette histoire là ?
T.S : je pense que ça témoigne d’une prise de conscience et d’une maturité des musulmans. Au départ, beaucoup de musulmans le sont parce que leurs parents le sont. Ils pratiquent l’islam par rapport à l’enseignement familial ou l’enseignement qu’ils ont à la mosquée. Mais au bout d’un certain moment, on se pose des questions, en fait : qui on est, en quoi on croit, quelles sont les spécificités de ma foi, qui sont les gens qui ont porté cette Foi et ont marqué l’histoire ?
On essaie donc d’avoir des outils autres que l’héritage familial ou la transmission qu’on a à la mosquée. Donc, le livre devient important, d’autant qu’en islam, on donne énormément d’importance à la connaissance, et il y a cette incitation au savoir.
Certes, sur internet, on a accès à beaucoup d’informations, mais comme c’est éparpillé, et quelquefois décousu, cela a tendance à générer de l’émotion mais pas de la réflexion. L’importance du livre, c’est de permettre à la personne de se construire spirituellement et intellectuellement. Si les musulmans au départ n’en ont peut-être pas ressenti le besoin, nous sommes arrivés à une génération qui veut savoir ce qu’est l’islam au-delà des clichés qu’il peut y avoir sur internet, au-delà du simple héritage familial. Il y a donc une véritable soif d’apprendre. Nous, quand on a commencé avec la librairie en 2008, le livre ne faisait pas forcément partie intégrante de la vie du musulman. Il achetait des livres pour les besoins essentiels, apprendre à faire la prière, ou comprendre un peu les règles du jeûne pendant le Ramadan, par exemple. S’il y avait un cours sur un sujet particulier à la mosquée, il prenait le livre qui allait lui servir de support. Mais il n’y avait pas forcément un rapport au livre très important. Or, on le voit aujourd’hui en entrant dans une librairie, il y a tellement de choix, dans tous les sujets possibles et imaginables, que ce soit lié à la croyance, à la jurisprudence, à la spiritualité, à l’histoire, aux côtés plutôt civilisationnels ou bien des réflexions et des pensées sur la question sociale. Cela montre que les musulmans ont vraiment envie d’explorer de fond en comble l’islam et ses possibilités.
Non pas garder seulement l’islam en tant que lien spirituel avec Dieu, mais aussi dans sa dimension temporelle, dans sa dimension civilisationnelle, sociale. Donc, je pense qu’on est arrivé à un moment de maturité des musulmans ; ce qui explique que les rayons des librairies soient si chargés et qu’il y ait beaucoup de librairies qui ouvrent un peu partout, parce que cela répond à une véritable demande et à une véritable attente. Ce que je remarque aussi ces dernières années, c’est que les librairies musulmanes ne sont pas fréquentées uniquement par des musulmans.
Il y a également beaucoup de personnes qui ne sont pas musulmanes, qui, à force d’entendre parler de l’islam jour et nuit dans les médias, avaient peut-être peur au départ d’entrer dans les librairies musulmanes : parce que c’était de petits lieux, parce qu’il n’y avait pas beaucoup de choix, parce que c’était exigu. Maintenant qu’il y a des grandes librairies qui ouvrent partout, que c’est éclairé, lumineux et qu’il y a beaucoup, beaucoup de livres, on se dit “pourquoi ne pas entrer moi aussi et regarder ?”. Au final, cela crée des discussions déjà intéressantes et cela permet, aussi, pour ces personnes qui ne sont pas musulmanes, de pouvoir découvrir l’islam à travers les textes et non pas à travers les préjugés existant dans les médias ou alimentés par certains hommes politiques..
N.M : Il y a un rayon chez toi, dont personne ne parle, pas même les islamophobes, c’est celui des romans et notamment la science-fiction. J’ai découvert cela en venant à Argenteuil et j’ai été stupéfiée, car cela je ne l’avais pas imaginé. Il y a effectivement une très forte dimension politique dans ces romans, mais comme dans toute la littérature et notamment la Sf qui a toujours été un mode de discours sur le très proche futur. Mais ce n’est pas que cela et j’aimerais que tu nous parles un petit peu de la fiction musulmane et comment de jeunes auteurs sont venus te voir, si c’était uniquement parce qu’ils voulaient publier dans une maison d’édition musulmane ou si c’était aussi parce qu’il y a une impossibilité ailleurs, et à partir de quand cela a commencé à émerger.
T.S : Comme je te le disais au départ, ce qui était proposé dans les librairies musulmanes, c’était essentiellement des livres qu’on va qualifier d’utilitaires, comment faire la prière et ainsi de suite, des choses basiques. Au bout d’un moment , les musulmans ont eu une demande plus forte, c’est à dire “OK, j’apprends à pratiquer ma religion, mais je veux aussi la comprendre, je veux aussi remonter l’histoire, je veux aussi en savoir un peu plus”. Ensuite, ces musulmans là ont des enfants.
Et au bout d’un moment, comment transmettre aux enfants cet héritage qui nous est cher, la vie du Prophète, l’éthique, la spiritualité, comment le transmettre aux enfants avec des supports adaptés ? Donc, au fur et à mesure, les parents, n’ayant pas de suppor,t se sont mis à faire des supports pour leurs propres enfants . Et ceux qui aimaient la lecture et l’écriture se sont dit “pourquoi ne pas proposer des choses plus élaborées, comme des romans ?”.
Je pense en l’occurrence à un roman qui s’appelle Saladin. Saladin, c’est une saga de Lyess Chakal qui parle d’un jeune collégien qui arrive à l’école en cours d’histoire. Sa prof lui parle de l’histoire avec un prisme qu’on va dire occidental et, lui, (il) connaît l’histoire que son père lui a appris avec un prisme islamique. La nuit, lorsqu’il s’endort, il remonte le temps, et il découvre l’histoire. Sa prof, lorsqu’elle s’endort, remonte aussi le temps et ils se retrouvent nez à nez dans des moments historiques importants aussi bien de la civilisation islamique que de la civilisation occidentale. Et donc, cela permet à l’enfant d’approfondir son histoire, mais aussi de découvrir une histoire commune, de vivre ses valeurs et son éthique et donc de pouvoir se l’approprier de manière autre qu’avec un support de cours très classique et très théorique. Comme ça a bien fonctionné, ça a donné des idées à plein d’autres parents, plein d’autres auteurs. Maintenant, c’est lancé, il y a beaucoup de choses et je pense que cela témoigne de la maturité de la communauté musulmane et également du besoin des jeunes d’avoir une littérature qui leur parle et leur ressemble.
N.M : Est-ce que tu peux nous présenter un peu tes maisons d’édition ?
T.S : Je gère deux maisons d’édition. Al Bayyinah et Héritage. Al Bayyinah est plutôt une maison d’édition religieuse qui va traiter des sujets liés à la croyance, la jurisprudence, des choses un peu techniques, pointues, qui parlent au musulman qui a besoin d’approfondir ses connaissances. On a dû lancer vers 2011, je pense. Et au fur et à mesure, je me suis rendu compte que pour le musulman, plein de choses sont naturelles parce qu’il vit dans un environnement et avec une éducation qui lui permettent de comprendre de suite certaines choses.
Une personne non musulmane qui va lire un livre qui s’adresse à un musulman, il y a plein de choses qu’elle ne connaît pas, et donc, elle va soit ne pas les comprendre, soit même les comprendre de manière erronée.
Et je me suis dit qu’on avait eu, en France, des auteurs musulmans qui y ont vécu et écrit et qui ont su s’adresser aux gens de leur époque pour présenter l’islam de la meilleure manière, avec esthétique, pour passer au-delà des préjugés qu’il peut y avoir et pour délivrer un message qui s’adresse à tous, aussi bien aux musulmans qu’aux personnes qui ne sont pas musulmanes, et qui ont pu être des témoins de l’histoire d’une présence musulmane beaucoup plus ancienne qu’on ne l’imagine et qu’il n’ya pas eu que des musulmans qu’on a pointés du doigt mais aussi des intellectuels, des militants, qui ont apporté du positif dans l’histoire de France en tant que musulmans.
J’ai donc décidé de lancer les éditions Héritage, de façon à avoir une littérature plus vaste, qui puisse toucher des musulmans comme des non musulmans, mais aussi, montrer qu’il y a un patrimoine intellectuel et spirituel musulman en France, plus vaste qu’on ne l’imagine et qui peut être une source d’inspiration pour des musulmans, pour qu’ils ne se voient pas toujours à travers l’œil de celui qui ne les aime pas. Et pour qu’ils puissent se dire “ Il y a des musulmans qui ont vécu avant moi, et moi aussi, je peux m’investir dans la société, moi aussi, je peux apporter quelque chose à la société , moi aussi, je peux être une source d’enrichissement, je n’ai pas à être vu seulement comme un paria . Et s’ils ont développé des choses au niveau intellectuel ou action sociale, moi aussi, je suis capable de reproduire cela “. Il s’agit de donner des exemples qui ne soient pas seulement des exemples lointains, le Prophète et les Compagnons, qui sont certes des exemples vivants, mais qu’aussi dans cette société là , il y a eu des grandes figures : je pense au professeur Muhammad Hamidullah ou Malek Bennabi, des personnes qui étaient soit venues en France et qui sont restées en France, qui ont appris et apporté leur pierre à l’édifice ou des gens qui étaient français, qui se sont convertis à l’islam et qui n’ont pas renié leur identité mais qui ont été parfaitement musulmans sans avoir honte de ce qu’ils étaient et en proposant quelque chose, en participant à la vie intellectuelle du pays.
C’était donc un peu l’idée en lançant la deuxième maison d’édition Héritage qui est plus généraliste et fait émerger un héritage méconnu de la présence musulmane en France.
N.M : Peut-on parler de ton aventure algérienne, puisque tu as évoqué certains noms qui se rattachent à cela. Je suis d’origine algérienne, mais je ne sais même pas exactement d’où je viens, comme une partie de notre immigration pas forcément honteuse, mais peut-être aussi celle qui se pose le plus de questions. C’est donc avec grand plaisir que je regarde toutes tes vidéos et ce que tu fais là-bas depuis un certain temps, comment tout cela est arrivé ?
T.S : En fait, quand il y a eu le basculement politique en 2015, enfin un peu avant mais 2015, avec les perquisitions, a été le moment le plus important, j’ai commencé à lire beaucoup de livres politiques pour essayer de comprendre un peu la situation, les enjeux et les rouages.
L’ histoire de l’Algérie revenait toujours, à cause du code de l’indigénat, d’une certaine répression là-bas qui parfois ressemble à ce qui se passe ici, toutes proportions gardées, bien sûr.
C’est donc de là que j’ai commencé à m’intéresser à l’histoire de l’Algérie, parce que cela revenait régulièrement dans tous les livres universitaires et historiques que je lisais. M’intéressant à l’Algérie, j’ai commencé à découvrir de grandes figures comme Malek Bennabi, justement; ou Ibn Bâdîs, Mohammed Al Bachir Al Ibrahimi, les membres de l’Association des oulémas. J’ai vu que dans un contexte extrêmement difficile, à travers l’éducation, à travers l’accès à la connaissance, ils ont permis de redonner confiance à un peuple qui avait été spolié, à qui on avait nié son identité. Ils ont réussi à le faire renouer avec son identité, renouer avec sa foi et et à créer une telle dynamique, qu’au bout de quelques années, ils avaient un certain nombre d’écoles ouvertes dans tout le pays. Des femmes, qui ne savaient pas lire, avaient désormais accès à l’écriture. Des enfants, à qui l’on apprenait qu’ils descendaient des Gaulois, découvraient qu’ils avaient un héritage extrêmement riche.
Je me suis rendu compte qu’avec la plume, on peut soumettre les canons.
Ces exemples ne sont pas propres à l’Algérie, ils sont universels. Mais ils sont une histoire proche de nous, que nous pouvons mobiliser pour faire réfléchir, conscientiser les musulmans sur l’importance de la connaissance, l’importance d’être fier de son identité, et surtout de participer à l’échelle sociale et locale : ne pas prendre l’islam comme une religion qui se vit seulement à la mosquée, mais qui est aussi civilisationnelle. Montrer que musulman en France, je ne suis pas quelqu’un condamné à rester en retrait, je ne dois pas évoluer en vase clos. Musulman, j’ai quelque chose à dire, moi aussi j’ai le droit d’apporter ma pierre à l’édifice, moi aussi j’ai le droit d’émettre des critiques de certaines choses ou bien d’encourager certaines démarches et, donc, de participer à la vie de la société.
Pour cela, j’ai trouvé que ces exemples-là étaient vraiment riches. De fil en aiguille, j’ai réédité certaines de leurs oeuvres, des biographies et puis j’ai eu la chance de pouvoir aller directement, en Algérie, rencontrer des membres de leur famille comme le fils de Mohammed Al Bachir Ibrahimi, et d’aller visiter leurs lieux de naissance, là où ils ont évolué, et voir encore plus la difficulté, les conditions dans lesquelles ils vivaient. Et si, aujourd’hui, l’Algérie est libre, c’est le fruit de l’effort de ces gens. Cela nourrit l’optimisme et l’espoir pour nous, quand quelquefois on se dit qu’on ne peut rien faire. Si eux, dans des contextes aussi difficiles que les leurs, ont pu faire beaucoup, nous, dans un contexte quand même assez favorable, on peut aussi faire beaucoup, d’autant que nous n’avons pas pour objectif d’entrer en conflit avec l’autre, mais d’être une source d’enrichissement, de participer. A partir de cet exemple positif, maintenant, j’ai une attache avec l’Algérie, de par cet amour pour ces hommes, mais aussi de par cet amour pour le pays, la beauté des lieux, la fraternité et la simplicité des gens qu’on trouve là-bas. Et d’ailleurs, ce qui est frappant quand on va là-bas, c’est que les gens disent : “Nous n’aimons pas les touristes mais nous aimons les invités”. Quand tu vas là-bas et que tu n’es pas du pays, tu es invité et forcément un invité est bien accueilli, on le met à l’aise et c’est vraiment ce qu’on ressent quand on va là-bas.
N.M : Tu as dit un mot. (Evidemment il y a toujours le moment où ces mauvais mots arrivent.) Tu as dit “ perquisitions”. Je pense que les gens, qui nous ont écoutés jusqu’ici, ont entendu parler d’une histoire de savoir, de culture, de construction. Notre histoire n’est pas que celle-là, et justement, par rapport au savoir, je suis arrivée dans toute cette histoire et je te connais grâce à une maison d’édition, Nawa, qui a été dissoute dans des circonstances ignobles et terribles. Alors, je n’avais pas lu leurs livres à ce moment-là, mais peu importe : cela a été une humiliation formidable et justement une tentative de destruction de tout espoir. Vraiment. Parce que si tu ne peux même plus écrire et si tu ne peux même plus lire de manière autonome, qu’est ce qu’il nous restera ? Tu présentes ici ta librairie de manière très juste, mais elle est présentée par d’autres gens, de manière plus “rock n’roll”, dirons-nous. Il y a ce mot, à ton propos , que j’aime bien dire, comme cela, les choses sont claires et l’on peut repartir du début : dans les médias et sur certains comptes X très influents, tu es appelé “salafiste”, et c’est essentiellement un stigmate. Les gens n’ont pas la moindre idée de ce qui peut être entendu par là .
Certains rajoutent “salafiste fiché S”. Toi, c’est allé jusqu’à avoir un jour dans un article le numéro de ta fiche S, on ne sait pas si c’est classé par ordre alphabétique ou autre.
Mais justement comment es-tu passé de “devenir musulman” à “devenir salafiste” aux yeux de la France et pas dans le bon sens de ce terme ?
T.S : Quand tu le vis, c’est difficile d’arriver à l’analyser, je ne sais pas trop. Mais j’aurais d’autres réflexions, nées en moi en 2015, quand j’ai été perquisitionné. Je me suis dit que si j’ai été perquisitionné, c’est que l’image que je renvoie de moi est celle d’un individu qui peut être dangereux. Si je suis un individu qui peut être dangereux , au-delà de la politique du gouvernement, comment moi je m’exprime en dehors de mon cercle proche ? A ce moment-là, ma vie se limitait à être à ma librairie et à côtoyer des musulmans, ou bien je suis à la maison, ou bien je suis à la mosquée. Donc, je n’ai pas de relations avec le reste de la société. Cela m’a donc fait un déclic, je me suis dit qu’il fallait apprendre à se faire connaître. Si on a pu penser cela de moi, au-delà de la politique gouvernementale, dont on peut parler après, c’est que des personnes non musulmanes, potentiellement, ont peur quand elles me voient. Ou bien elles imaginent de moi des choses qu’une personne me connaissant saurait fausses. Je me suis donc dit qu’il fallait que j’aille de l’avant et à partir de ce moment-là, j’ai commencé à essayer de m’investir plus dans la société, d’aller à la rencontre des gens, de participer ne serait-ce qu’à des rencontres inter-religieuses ou autres. A aller dans la société civile pour dire “ Je suis musulman, je fais partie de la même société que vous, voilà qui je suis, voilà ce que je pense. La librairie est ouverte, venez regarder par vous mêmes qui nous sommes et ce qu’on fait”. Sinon, c’est facile de tomber dans la victimisation, de se dire que personne ne nous aime, qu’on est seulement victime d’une politique d’état, que j’ai été perquisitionné. Oui mais et après ? Je reste comme ça et j’attends la prochaine perquisition ? Ou bien je vais de l’avant ? En fait, l’idée c’est qu’il faut apprendre à se connaître pour savoir qui on est et où on va, il faut apprendre à connaître les gens avec qui on vit pour savoir ce qu’on a en commun et ce qui peut nous lier. Et il faut aussi chercher à se faire connaître : il y a une propagande et beaucoup de désinformation, via les réseaux sociaux, pour stigmatiser les musulmans. Mais nous, va-t-on attendre que les gens viennent vers nous pour dire “Finalement vous êtes bien ou vous n’êtes pas bien ?”. Non, il faut aussi que nous fassions l’effort d’aller vers les autres pour leur dire qui on est et comment nous pensons. Ensuite, que chacun se fasse sa propre idée : les perquisitions c’est démesuré par rapport à ce qu’on est.
Après les perquisitions de 2015, des articles ont été écrits, des livres, dans lesquels on me dépeint d’une manière qui est totalement fausse, mais, pour moi, finalement, ça a été un bien, dans le sens où j’ai réalisé qu’il fallait que j’aille vers l’autre, discuter avec lui et comme cela on va arrêter de me faire dire ce que je ne pense pas ou ce que je ne dis pas. C’est moi qui vais montrer ce que je suis. Ensuite, si les gens continuent à avoir peur et à imaginer que je suis tel ou tel, au moins j’aurais fait le nécessaire.
Voilà l’état d’esprit dans lequel cela m’a mis après. Comment j’ai pu être perçu de cette manière ? Je pense que le monde est tel que : le musulman reste dans son coin ; la personne non musulmane reste dans son coin ; le musulman va dire “Eux ne m’aiment pas” et le non musulman va dire “Eux ne m’aiment pas, ils sont radicalisés”. Et donc, il ya un mur qui ne devrait pas exister, mais aussi des responsabilités des deux côtés, au-delà de la politique d’état qui vient surenchérir derrière. Et si personne des deux côtés ne décide de casser ce mur imaginaire et d’aller vers l’autre, on peut rester comme ça encore des années et des années, ça ne changera pas.
Donc la répression m’a plutôt poussé vers l’ouverture, aller vers les gens pour déconstruire cet imaginaire et pas juste me dire que j’étais une victime de la politique d’état et me replier sur moi-même.
N.M : Justement, moi je suis beaucoup plus sévère que toi, peut-être parce que je rajoute la composante raciale du rapport de la France à nous. Je suis de la partie de l’immigration musulmane qui, toute sa vie, a été avec les autres et je pense très sincèrement que c’est de leur faute à eux et pas de la nôtre. Nous, on fait ce qu’on peut et je crois qu’on a vraiment tout tenté : c’est à dire rester tranquilles dans notre coin, on a tenté de s’intégrer, on a tenté d’être comme eux, on a tenté de leur parler et je pense que c’est à eux aujourd’hui de savoir quels sont leurs désirs, c’est à dire, s’ils veulent ou pas nous reconnaître dans le cadre d’un “nous” partagé (…). Nous, on existera toujours de toute façon. Donc, je te trouve très indulgent et je trouve ça très drôle par rapport à l’image que tu renvoies.
T.S : Pour porter un jugement général, je vais être d’accord avec toi. Mais en tant qu’individu, je constate qu’il y a un problème de communication et de perception. Donc, est-ce que je reste comme cela en disant “C’est de votre faute ?”. Ou alors, à mon niveau, je me dis la chose est telle, ok, mais je ne vais pas tomber dans la chose impossible “Personne ne m’aime, les gens sont islamophobes, je reste dans mon coin” ou la chose facile “C’est bon, je suis musulman, je suis sauvé, je suis dans la vérité”.
Non. Il faut dépasser cela et aller vers l’autre. Il ne faut pas non plus essentialiser les groupes humains. Certes, il y a une situation donnée, mais plein d’individus à l’intérieur qui peuvent être amenés à évoluer. Je pense que toi, avant que tu entres à la librairie, peut-être que tu avais des idées préconçues sur les librairies et que tu te disais “ Je n’entrerai jamais là bas”. Une fois que tu es entrée, tu as finalement vu que ce n’était pas comme tu l’imaginais.
Mais ça n’est possible que si moi, je t’ouvre la porte.
De toi même, tu ne vas pas forcément décider de la franchir. Il y a un moment où la situation est telle qu’elle est, et la situation me rappelle un entretien entre Hassan II et un journaliste sur qui devait faire un pas vers l’autre. Le roi du Maroc lui avait dit “ Moi je parle votre langue, vous ne connaissez pas la mienne. Je connais votre histoire, vous ne connaissez pas la mienne”.
Donc, effectivement, il y a un travail à faire dans la société française pour essayer de comprendre les musulmans, qui sont une réalité sociologique, mais il y a aussi individuellement un travail de présentation de nous-mêmes à effectuer.
N.M : Effectivement je connais le travail que tu fais et ta librairie a été très importante pour moi, parce que je ne serais jamais allée dans une mosquée. C’est à cause, enfin, grâce à Darmanin, sinon je n’aurais jamais même osé aller voir des activistes musulmans. Du coup, Gérald a brisé ma timidité, qu’il en soit à jamais remercié. Mais, je pense que la plupart des gens ne savent pas ce que ça coûte, dans le contexte de l’islamophobie d’état, ce que tu fais, c’est à dire d’aller vers les autres, les non musulmans. Et je voudrais qu’on parle un peu de ce qui s’abat sur vous, justement, quand il n’y a pas de séparatisme et que vous cherchez à le briser. On a parlé de perquisitions, mais ce que vit ta librairie, au quotidien, n’est pas seulement cette forme très violente d’islamophobie d’état. Mais c’est aussi du harcèlement permanent, de la diffamation dans les médias dans lesquels tu es très rarement invité pour répondre. Peux-tu nous expliquer le contexte de ta vie quotidienne, de tout ce que tu traverses en animant une librairie, en la faisant vivre ? Je crois que c’est aussi très important pour des jeunes qui voudraient se lancer dans des projets, qui se disent “ Non ça va pas être possible avec tout ça.”.
T.S : Si je raconte tout ça, ça va décourager tous ceux qui veulent se lancer, du coup.
N.M : Je ne pense pas, parce que tu réussis, tu y es.
T.S : Bon. Perquisitions bien entendu. Contrôles réguliers de ce qu’on appelait avant le GIR, qui regroupe toutes sortes de services, volonté de chercher des prétextes pour pouvoir nous fermer, que ce soit au niveau de la sécurité ou autres, des procès pour rien en permanence.
Lorsqu’on importe de la marchandise de l’étranger, des blocages systématiques, jusqu’à aller analyser les couvertures de livre en laboratoire pour voir si ce n’est pas une matière interdite, fermeture de comptes bancaires.
Il y a tellement de choses que je ne sais même pas ni par où commencer, ni par où finir. Une volonté de différents services de vouloir nous empêcher de fonctionner normalement à tous les niveaux possibles de l’activité. Malgré cela, on a quand même réussi à se développer, on a quand même réussi à avancer. Ce sont donc des difficultés qui sont exagérées par rapport à l’activité, mais bon, maintenant, ça fait partie du jeu et de mon quotidien, on a continué à faire ce qu’on fait, et malgré tout, je pense qu’on va continuer à le faire.
N.M : Concernant le soutien, parce que beaucoup de gens viennent chez toi mais aussi dans d’autres espaces musulmans de ce type là, en pensant que ça fonctionne, que vous êtes des pros et que ça va toujours être là. On le sait, il y a eu ces derniers mois des tentatives de fermeture administratives de librairies, notamment dans les Alpes Maritimes La loi Séparatisme a de toute façon conduit à la fermeture de nombreux commerces. Tu as, quand même, un public important qui serait dévasté si ta librairie fermait, même temporairement, mais qui peut-être ne sait pas quelle aide il peut apporter, comment on peut soutenir, comment prendre des initiatives pour que ça change, pour que vous vous sentiez moins seuls. Quand on mène des initiatives, celles-là où d’autres, on a une communauté qui pense qu’on s’en sort très bien, mais à des moments, on aurait besoin de soutiens plus vastes.
T.S : Je pense que le soutien, on a en a besoin quand on subit une injustice et que c’est difficile. Sinon, le soutien quotidien, c’est le fait de venir régulièrement nous voir, acheter des livres, partager, participer à la dynamique. Parce qu’en fait, nous, quand on propose un livre, l’idée c’est que la personne le lise et se nourrisse de cela, que ça lui fasse du bien, qu’elle en parle. Ce n’est pas notre projet à nous, c’est un projet qui est, on va dire, pour la société en elle-même. Pour les musulmans, pour qu’ils puissent se nourrir spirituellement, pour les non musulmans, afin qu’ils puissent découvrir une autre facette de l’islam que celle existante dans les médias. Le meilleur soutien, on va dire, c’est de participer à cette dynamique.
Après, le soutien dans les moments difficiles, c’est de ne pas détourner le regard quand quelqu’un vit une difficulté. Je me rappelle, quand j’avais été perquisitionné, il y avait une personne que je voyais à la mosquée tous les matins et qui avait pour habitude de me déposer chez moi quand c’était terminé à la mosquée. Le jour où elle a su que j’étais perquisitionné, elle a tourné la tête et fait comme si elle ne m’avait pas vu, à partir de là, elle partait de son côté et moi je rentrais à pied. Ce sont des petites choses, qui sont anodines, mais c’est dans ces moments-là de la difficulté qu’on a besoin que les gens ne détournent pas le regard. Qu’ils ne viennent pas te soutenir parce qu’ils ne peuvent rien faire, mais au moins qu’ils ne regardent pas à côté. Mais sinon, après, quotidiennement, c’est vraiment le partage du bonheur de pouvoir lire et de pouvoir faire lire, de pouvoir faire découvrir un peu plus le beau contenu qu’il y a dans les livres.
N.M : Je suis désolée de revenir dessus, je sais que c’est un terme clivant, mais aujourd’hui on en est à un stade de bêtise où on voit dans les journaux des titres comme “le salafo-frériste Machin“ ce qui est totalement lunaire. Peut-on revenir sur le terme de “salafi“ et ce qu’il signifie réellement, au départ, par rapport à cette espèce de monstruosité idéologique, psychologique, sémantique, qu’on a construite en France, et puis, peut-être, qu’on revienne sur la loi de 2010, sur le niqab. Quelle est la réalité de ce courant et quelle est la différence avec d’autres dans l’islam ?
T.S : En fait, la difficulté, avec ce terme ou d’autres, c’est que ce sont des fourre-tout. Donc, on ne sait pas réellement à quoi cela renvoie et ça ne correspond pas vraiment à une réalité sur le terrain. Le salafisme en tant que tel, revenir aux prédécesseurs, c’est une chose que tout le monde, enfin tout musulman comprend. C’est à dire que dans son interprétation de la religion, on se fie aux premières générations de l’islam qui ont reçu la Révélation, qui l’ont appliquée et qui sont donc des bons exemples à suivre. Après, cela peut se matérialiser de toutes sortes de manières : il y a eu le salafisme, dans les années 2000, en tant que mouvement réformateur qui appelait les gens à justement dépasser un petit peu certaines innovations et habitudes qui avaient été prises dans les pratiques religieuses pour revenir à quelque chose de plus puritain, on va dire. Mais aujourd’hui, je ne dis pas que cela n’existe plus, mais en tout cas, cela a été dépassé par beaucoup de musulmans.
Beaucoup sont passés par là dans leur retour à l’islam, parce que c’était une manière d’avoir un contact directement avec le texte, de se rapprocher de sa religion, vraiment, dans un contexte où l’on n’avait pas eu d’éducation islamique.
Donc cela a été un moteur, on va dire, idéologique, au départ, pour redonner un dynamisme religieux à beaucoup de personnes.
Mais, arrivés à un certain moment, comme tout courant, il y a un sectarisme qui peut exister, qui fait que, finalement, lorsqu’on pratique la religion, on dépasse ce côté sectaire. On a de la nuance et on voit les choses d’une manière beaucoup plus large. Je dirais qu’à l’heure actuelle, le salafisme tel qu’il a été dans les années 2000, ce dynamisme pour ramener des gens à la religion, n’existe plus vraiment et n’a plus lieu d’être, puisque les musulmans se sont émancipés de tout cela. Si avant il y avait des courants très définis, comme tablighs, frères musulmans, salafis, aujourd’hui non. Il y a des gens qui sont passés par un de ces courants, mais tout le monde s’est un peu retrouvé sur le fait qu’on est musulmans et qu’il s’agissait de voies par lesquelles on est passés pour se construire. Beaucoup de gens l’ont largement dépassé et, maintenant, c’est surtout un fourre-tout pour pouvoir criminaliser des gens ou les accuser de plein de choses qu’on imagine, qui ne sont pas réelles.
N.M : Justement, parlons actualité : ces derniers mois quelque chose de très émouvant et magnifique a lieu, la mobilisation d’une communauté, mais aussi d’êtres humains contre un génocide. Cela a été très difficile, pas seulement à cause de la répression d’état, mais aussi parce que cela se passe comme d’habitude pour notre jeunesse. A chaque fois qu’elle fait quelque chose de noble et de beau, alors qu’elle devrait être félicitée, c’est le contraire, c’est à dire qu’on lui reproche de faire de belles choses. Comment vis-tu ce moment ? D’abord quel est ton rapport à la Palestine, et comment vois-tu les perspectives pour soutenir, tant que faire se peut, même si ce sont plutôt les Palestiniens qui nous soutiennent et l’avenir de ce mouvement dans un moment où le génocide s’intensifie ? En tant qu’éditeur, en tant qu’homme de savoir, comment vois-tu la contribution des intellectuels ?
T.S : Déjà, quand on voit cela, on se sent les mains liées, on est frustré de voir devant nous un peuple se faire détruire, un massacre aux yeux de tous, et personne n’intervient. Forcément, il y a donc la frustration. Après, mon rapport à l’Algérie fait que que je regarde son histoire : l’Algérie a subi la colonisation, des massacres extrêmement importants, c’est à dire ce que subit la Palestine aujourd’hui. Mais aujourd’hui l’Algérie est libre. Il y a donc toujours cet optimisme, ils sont en train de subir et donc nous on doit se mobiliser, chacun à son niveau, chacun par rapport à ce qu’il fait, ce qu’il est capable de faire, ne serait-ce qu’en parlant de la Cause. C’est tellement invisibilisé dans les grands médias qu’il faut absolument en parler, diffuser le maximum d’informations pour que les gens se rendent compte de ce qui est en train de se passer, pour qu’il y ait une prise de conscience générale , même si on n’a pas de possibilité d’action. Mais, il faut toujours rester optimiste, se dire que dans d’autres moments de l’Histoire, car ce génocide là n’est pas le premier et peut-être pas le dernier, à la fin ce sont toujours les Opprimés qui gagnent.
L’oppresseur a le dessus mais il se tue lui-même. Il massacre des gens mais il se tue humainement. Celui qui perd sur le coup, c’est celui qui meurt. Celui qui perd réellement, c’est celui qui a tué, car il a perdu son humanité en massacrant une population. Et ces gens là, qui sont en train de mourir, on leur espère qu’ils sont au Paradis.
Donc, en tant que croyants, on a un espoir pour eux. Et dans tous les cas, ce qui est construit sur le Mal et l’Oppression ne peut pas durer. La preuve en Algérie, l’Algérie est libre. Demain Gaza sera libre, la Palestine sera libre.
Maintenant, nous à notre niveau, que peut-on faire ? Certes, nous sommes frustrés de ne pouvoir rien faire réellement mais en tant que croyants, nous avons les invocations. Et surtout, ce sont les Palestiniens qui nous donnent une leçon de vie. Malgré tout ce qu’ils subissent, une simple vidéo où on les voit sourire, courageux, les femmes qui continuent d’avoir des enfants, (tout cela) montre qu’eux sont en train d’alimenter la Vie, pendant que les autres créent la mort en tuant, en montrant leur propre mort à eux, c’est à dire la perte de leur humanité.
N.M : On est dans un moment très particulier, même si toi et moi, on le prend relativement bien, on va dire, celui de la dissolution de l’Assemblée Nationale par celui qui a dissous des maisons d’édition, des associations, un peu tout le monde finalement. Car c’est l’essence du macronisme : quand on est soi même le Néant et le vide, on ne peut propager que cela. Malgré tout, dans la communauté, c’est un moment d’intense questionnement, d’intense remise en question sur les rapports avec les autres forces politiques. Je pense que cela aussi c’est voulu, parce que ce n’est pas le RN qui est à la manoeuvre, c’est encore une fois le gouvernement qui voit la force et la confiance qu’ont pris, non seulement les jeunes musulmans et les moins jeunes, mais aussi ceux qui nous ont rejoints. On voit très bien que dans la jeune génération, la question de l’islamophobie, ce n’est pas un sujet, ils et elles l’ont dépassée ensemble, et la conscience de cela a poussé à ce moment où on essaye de nous faire peur et de nous dire que nous ne sommes rien, que nous n’avons pas d’autre solution que d’aller nous cacher sous une table. Comment prends-tu ce moment et quels sont les conseils que tu pourrais donner en tant que musulman qui a déjà connu d’autres moments qui semblent la catastrophe finale ?
T.S : Je ne sais pas si je pourrais donner des conseils, mais la réflexion que cela m’inspire, c’est qu’à chaque moment politique important, tout le monde se réveille en cherchant une solution. Mais la politique est l’investissement au quotidien qu’on a dans la vie de la Cité, et ce qui est sûr, c’est que beaucoup de musulmans, de par le contexte social et politique, sont en retrait de la vie. Comme ils sont en retrait de la vie, leurs revendications politiques sont souvent uniquement d’avoir une extension de la mosquée pour avoir une salle supplémentaire. Mais où sont-ils quand il faut aller en sortie scolaire, quand il faut participer aux discussions avec les professeurs dans les réunions, quand il faut aller ensemble à la mairie pour telle ou telle lutte, et ainsi de suite ? Là, c’est le moment de se remettre en question, ce n’est pas le fait de voter qui va avoir un impact ou pas. Ce n’est pas cette considération-là qu’il faut avoir, c’est au quotidien, comment je m’investis dans la vie de la Cité pour peser. En tant que citoyen musulman, moi aussi , j’ai quelque chose à dire, j’ai quelque chose à faire. Mais avant d’avoir des droits, on a des devoirs et pour avoir des droits, il faut être à la hauteur de nos devoirs en tant que musulmans.
Nous, en tant que musulmans, on a tendance à toujours être des hommes d’action, on doit être des témoins ET des acteurs. C’est donc le moment de nous poser la question de notre participation à la société en tant que musulmans, à tous les niveaux, à tous les points de vue, chacun par rapport à sa réalité.
A partir du moment où on participe aussi à la vie de la cité, tous les partis politiques auront envie de nous prendre en compte. Mais si notre participation se limite à se mobiliser de temps en temps pour appeler à voter de tel côté ou de tel autre côté, on sert juste de tremplin pour une personne qui, après, aura une politique dans laquelle nous ne compterons pas. Et nous ne compterons pas parce que les portes étaient fermées, mais aussi parce que nous n’avons pas cherché à les ouvrir et à participer. Mon conseil est donc peut-être celui-là : nous devons être des acteurs de la société er ne pas rester en retrait en imaginant que les autres ne nous aiment pas ou que nous sommes incapables de faire quoi que ce soit. A tous les niveaux, chacun a quelque chose à faire.
N.M : Ce qui a structuré ma vie dans la cité (sans majuscule) quand j’étais une gamine pauvre, ça a été la bibliothèque municipale , puisque j’ai grandi dans une banlieue rouge où il y avait encore un vague reste d’une utopie qui est très ancienne. Ce vague reste était une bibliothèque vraiment fournie, j’ai été très étonnée quand je suis venue ensuite à Paris ou dans des villes de droite, je me suis rendu compte que ma bibliothèque était mieux que celles de villes riches . Aujourd’hui, malgré tout, le lien entre la classe et la religion musulmane est très fort : même si une génération a pu émerger et faire partie des classes moyennes supérieures, nous sommes, pour la plupart, assez pauvres. Or, l’accès aux livres est souvent la dernière chose qui nous vient à l’esprit, en plus il y a la facilité internet, les vidéos qui ne sont évidemment pas la même chose. Qu’est ce que tu conçois, par rapport à l’exemple d’autres pays, est-ce que tu penses à un modèle de bibliothèques qui pourraient être ouvertes à tous ?
T.S : Justement, ce que j’ai remarqué, c’est que depuis un certain temps, beaucoup de mosquées ouvrent des bibliothèques. On peut donner l’exemple de la mosquée de Créteil ou de celle de Gennevilliers. De grandes mosquées ont pris cette problématique en main et mettent maintenant à disposition des fidèles, et même des personnes extérieures à la mosquée qui voudraient venir, soit de venir lire sur place (certaines bibliothèques ne sont pas dans la mosquée mais proches de la mosquée pour les personnes qui n’ont pas l’habitude de fréquenter la mosquée et ne seront pas forcément gênées de devoir entrer, à Créteil il y a beaucoup d’étudiants qui y viennent), soit la possibilité d’emprunter des livres. Donc, cet accès est en train de se mettre en place. Les bibliothèques privées n’existent pas encore, mais, au vu de ma maturité actuelle, cela devrait arriver rapidement. Surtout, ce que j’ai remarqué, c’est qu’il y a de plus en plus de groupes de lecture. Beaucoup de personnes qui aiment lire sont conscientes que les gens en face n’aiment pas lire ou n’ont pas forcément l’habitude, veulent créer un engouement, et, soit à travers des mosquées, soit à travers des associations ou même des groupes informels mettent en place des groupes de lecture. Cela permet à des personnes qui n’auraient pas accès aux livres, pour des raisons financières, ou soit parce qu’elles n’ont même pas l’idée de lire, d’avoir des livres accessibles dans un groupe qui se réunit régulièrement. Sur une année, cela peut être la lecture d’une dizaine de livres.
N.M : Question finale, nous sommes nombreux et nombreuses à ne pas dormir la nuit au regard de la situation politique, que peut on lire pour se changer les idées et garder l’espoir, disons trois livres.
T.S : Le premier livre, je dirais le Quran. S’il y a un livre qui peut donner espoir, c’est le Quran, puisqu’il nous relate les histoires des peuples qui nous ont précédés et, à travers leurs exemples, on a aussi des leçons à tirer pour nous-mêmes. Et Je pense notamment à l’histoire de Pharaon et de Moîse qui revient régulièrement dans le Quran. Qui nous parle de Dieu et de nous-mêmes. Je pense qu’il n’y a pas meilleur livre, surtout la nuit, si on veut avoir de l’espoir.
Et le Quran ne s’adresse pas qu’aux musulmans, c’est un livre qui est une Miséricorde pour tous les êtres humains en général. Même une personne qui n’est pas musulmane peut chercher dans le Coran une réponse à ses questions existentielles et à ses réflexions.
Ensuite, parmi les autres livres qui peuvent être intéressants, je dirais, de manière générale, les livres de Malek Bennabi, sans donner un titre particulier. Mais pour moi, c’est un penseur extraordinaire car il essaie d’expliquer aux personnes musulmanes comment rendre leur religion efficace, comment sortir de l’entre-soi, du retrait de la vie, pour aller vers l’autre, redynamiser les liens sociaux, et permettre à l’islam de reprendre sa dimension civilisationnelle. Et c’est quand même quelque chose qui nous manque pour être acteurs dans la société. Je pense que ses livres sont indispensables pour débloquer cela.
Et enfin, toujours pas de titre en particulier mais les livres du professeur Muhammad Hamidullah, un savant qui a vécu en France une vingtaine d’années, qui a écrit de nombreux livres, et, en l’occurence, une biographie du Prophète qu’il a offert en cadeau à la France. Lui était apatride, il venait d’une région annexée par l’Inde, il a refusé de reconnaître cette annexion, il s’est retrouvé apatride et il a vécu vingt ans en France. Au bout d’un moment, il s’est dit que les français ne connaissaient pas le Prophète, alors que le Prophète était l’homme qu’il aimait le plus, que les français l’avaient accueilli et que lui, n’ayant pas de père, allait leur offrir le fruit d’années de recherches : une biographie du Prophte adressée en cadeau à la France.
06.11.2024 à 15:23
Nadia Meziane
Houris commence la nuit . Vers 5h du matin, résonne l’appel à la prière. Daoud écrit “ La grosse voix appelle à prier Dieu et crie fort pour secouer les dormeurs. C’est une langue d’exhortations et de menaces . Après son appel , les hommes vont se réveiller, roter tituber et se laver avec de l’eau froide, d’abord les parties intimes , ensuite les bras et la tête. Ils s’en iront , somnolents vers Dieu qui ne dort jamais”.
En Kamel Daoud, certains voient un “arabe de service”. Il est vrai que cette scène peut apparaître comme le plagiat ridicule de la scène d’OSS 117, le Caire Nid d’Espions où Jean Dujardin fait taire le muezzin. La scène inaugurale de Houris peut laisser gênée devant cet Algérien qui recycle sérieusement une scène censée être comique où un acteur français surjoue l’imbécile de colon raciste.
Chacun est libre de servir ses idées, les arabes comme les autres cependant, et l’on peut voir plutôt en Kamel Daoud l’archétype de l’Homme Inquiétant. Celui qui méprise les femmes de sa race. Mais finement, en ayant l’air féministe, ce qui accentue le danger. On pardonnera le mot “ race” qui ne doit plus être dit dans la France d’extrême droite, où la langue doit absolument évacuer le réel de la brutalité raciste. Mais dans dans ce passage , dès le premier chapitre , la langue, le corps des hommes sont attaqués en même temps que leur Foi.
Quant à nous, nous sommes réduites au silence par la voix volée d’une femme fictive. Nous, femmes de la même race et de la même Foi que les hommes qui prient: inférieures, le Goncourt nous le dit officiellement. Nos frères, nos pères sont ces infirmes névrosés et dangereux, “titubants“, somnolents”, au corps et à l’esprit malade, dont la seule voix est une menace de primitifs barbares. Des barbares qui se lavent de surcroit, alors que le barbare doit être sale. L’eau, précieuse est réservée aux hommes des contrées civilisées, à eux seuls, la douche est autorisée plusieurs fois par jour. Chez le musulman, le soin du corps traduit la dangereuse obsession de la pureté, évidemment.
Daoud écrit pour la France, pas pour l’Algérie. Ce propos inaugural est tenu dans une sphère culturelle précise. Celle où ses thuriféraires d’extrême droite ne cessent de publier des photos d’hommes en prière, avec un appel à les éradiquer de l’espace public. Daoud déguisé en Algérienne ajoute à ces discours ce que le fasciste français n’ose pas toujours dire. Les nôtres doivent cesser de prier et d’exister tout court. Même au cœur de la nuit, même en Algérie, ils sont intolérables.
Les vrais Hommes, les Humains passent leurs nuits autrement. A dévorer de jolies femmes.
Dans “Le Peintre dévorant la Femme“, Kamel Daoud se mettait dans la peau d’un “ djihadiste” qui regarde horrifié des toiles représentant notamment des corps de femmes, avant de les détruire. Le “djihadiste” fantasmé par Daoud est l’homme empêché et frustré avant toute chose. L’homme empêché de prendre du plaisir, l’homme empêché de vivre ses désirs pleinement, de laisser agir le pouvoir masculin de s’approprier le corps des femmes. Pour Kamel Daoud ,le “djihadiste” est bien sûr l’homme musulman en général et un impuissant volontaire . Il pourrait toucher, séduire soumettre toutes les femmes, en faire des objets de plaisir, mais son Dieu lui impose une morale. La morale c’est le danger, la faiblesse qui conduit à la frustration, laquelle explose ensuite forcément dans la destruction du meilleur des Mondes : l’Occident, qui, pour Daoud est ce Paradis absolu des Puissants, Empire du Dérèglement des Sens, où l’on s’arroge le droit de jouir des Autres sans entraves.
Droit exclusif des Seigneurs coloniaux cependant. C’est pourquoi on ne peut séparer l’Homme de l’Artiste en lisant Houris. Le Kamel Daoud qui en 2016, à l’occasion des agressions sexuelles et des viols survenus à Cologne le soir du Nouvel An, commit une charge violente contre les hommes musulmans immigrés, tous des violeurs à expulser est le même que l’écrivain qui reproche aux hommes musulmans de ne pas consommer des femmes à leur bon plaisir.
Daoud a cette intuition lucide, pour qu’un Arabe puisse profiter des droits du Seigneur blanc, il faut, impérativement, qu’il soit seul en lice. Le monde entier ne peut pas être blanc, il faut qu’il y ait, entravées et décriées des masses qui ne le soient pas. Si tous les hommes arabes et musulmans sont Kamel Daoud, alors Kamel Daoud, exception choyée par la France, ne peut exister.
Il faut donc construire un imaginaire qui suscite la peur et la répulsion. Un imaginaire où il y a Kamel, l’homme qui dévore les femmes nues en masse au Musée, seulement au Musée. Et puis tous les autres frères de Kamel, qui entravés par une morale perverse, prisonniers de leurs fantasmes inavoués laissent exploser leur bestialité et leur frustration dès lors qu’ils sont laissés libres. Daoud sera l’Un d’Hortefeux, prêt à aider à contenir et à réprimer tous les Autres.
Et nous les femmes de la même race que les démons à la langue menaçante ? Suppôts du Diable, c’est à dire musulmanes. Ou alors damnées de toutes façon, atrocement malheureuses et propriété muette de Kamel Daoud. Faire valoir toujours sanglantes.
Le privilège de l’homme arabe qui hait les musulmans est grand: dans cette France où la Parole des Femmes es censée être sacrée, Kamel Daoud remporte le Goncourt en l’usurpant paisiblement, et avec un sadisme à peine voilé.
D’entrée le malheur de l’héroïne est insoutenable. Pas seulement à cause de la cicatrice sur son cou. Mais parce qu’elle est enceinte, qu’elle pense à avorter, et qu’elle le crie intérieurement en parlant à sa future petite fille, en disant ces mots “ Je vais te couper la tête”. Maudite, condamnée à la reproduction du Geste Barbare censé définir l’Homme musulman. Sous les applaudissements des femmes islamophobes, ces progressistes, Daoud s’arroge le droit à l’humiliation voyeuriste du colon . Si un écrivain musulman décrivait une IVG dans ces termes, toutes les rombières qui vont encenser le Goncourt exigeraient son expulsion du territoire français.
Daoud écrit bien, il a du style, un style très 19ème, c’est à dire le contraire de ces modes post-modernes actuelles. Le vocabulaire est soutenu, les phrases ont une syntaxe classique et élégante, et on lui reconnaîtra le talent, celui de parvenir à blesser jusqu’à l’intime la femme qui lit. Daoud réussit à susciter les images, celle de la pauvre jeune fille enceinte qui songe seule à assassiner la petite à qui elle parle, folle délirante dans cette métropole affreuse et puante, Oran, où des milliers de moutons qui étaient libres vont mourir, pour une fête qui sent le sang, au milieu de barbares qui “ jacassent” et “exhortent”. C’est à ce moment qu’on jette le livre, salie, avec l’envie de vomir, en se disant chapeau l’Artiste. Mais stop, aucune raison de s’infliger volontairement un roman d’extrême droite de plus.
Il fallait en effet Kamel Daoud pour réussir à incarner une Brigitte Bardot convaincante et troublante. Pour réussir à toucher même dix secondes une lectrice avertie avec le poncif éculé des égorgeurs sauvages de moutons, opposés sans doute aux égorgeurs civilisés de cochons . Le cochon n’a pas d’âme, le mouton si. Il fallait Kamel Daoud pour nous tromper un instant, et ne pas apparaitre de suite comme comme vendeur de sornettes islamophobes racoleuses et vulgaires, serveur d’ une soupe où tous les sangs se mélangent, celui d’un bébé pas encore né, celui d’une petite fille égorgée, celui des moutons.
Tous les sangs, indifféremment pour accuser un seul coupable d’avance , l’homme musulman.
Houris est un roman historique parait il . On s’autorisera à le trouver révisionniste, ou tout simplement suprémaciste, c’est à dire écrit au nom de ceux qui s’arrogent le droit de fixer la date du début de l’Histoire. Chez Daoud, la “décennie noire”, terme consacré, ne commence pas, surtout pas, le jour où un parti musulman gagne démocratiquement les élections puis se voit refuser cette victoire par la violence, la répression et le sang. Quand la violence politique est soutenue par l’Occident, elle s’appelle défense de la démocratie.
On aura aussi cette paranoïa impardonnable, lire Houris comme une tentative d’humiliation psychologique des femmes musulmanes. Faite par un littérateur un peu lâche qui choisit de voler la voix d’une Muette qui ne pourra pas protester . Daoud est coutumier du fait, il y a quelques semaines encore, il nous offrait une tribune de “soutien” aux Afghanes, des Muettes aussi. Dans quelques jours, remis des célébrations post Goncourt, il nous écrira sans nul doute la lettre imaginaire d’une jeune Iranienne qui ne voudrait rien tant que venir en Occident et devenir mannequin pour une marque de sous-vêtements, et être retweetée par Donald Trump très certainement.
Dieu merci, Daoud l’Homme peut nous écraser avec ses amis islamophobes, dans une France où seuls les fanatiques laïques ont le droit de raconter leur histoire de l’Algérie, mais il n’écrira pas à notre place, au moins nous sera épargné l’usurpation dont il est coutumier pour d’autres.
Jamais il n’écrira nos nuits à penser aux femmes palestiniennes brûlés vivess dans un camp de réfugiés. Jamais il n’écrira sur la douleur et l’humiliation des musulmanes dont les frères ont été violés dans les Guantanamo israéliens ou dans le Guantanamo originel. Jamais il n’écrira notre peur de certaines femmes puissantes et libres de leurs désirs. Pas les icônes languissantes et offertes des musées. Celles qui ont conquis le droit de marcher sur le corps des hommes à Abou Ghraib , et celui d’être interrogatrices de la CIA à Bagram et de droguer des hommes musulmans pour les humilier ensuite. Celui des fières amazones de Tsahal, posant rigolardes comme des soudards au milieu des ruines et des pierres qui recouvrent les cadavres des enfants.
Kamel Daoud n’est pas un arabe de service, plutôt le Maître d’Hôtel de Shining puissant parce que lucide sur ce qu’il sert et sachant en tirer profit. “Houris” est le roman du féminisme déhistoricisant et donc colonial absolument. Le Goncourt lui a été offert le lendemain de l’anniversaire du déclenchement de l’insurrection algérienne. Et le jour où les réseaux ont été inondés de l’image d’une jeune fille iranienne déshabillée, Muette absolument à qui des dizaines de milliers d’islamophobes français ont donné une Voix, la leur . Pour cracher sur les musulmanes.
Nous qui avons ce tort insupportable pour la France. Sortir des tableaux, nous rhabiller, quitter ces musées où nos images piégées cohabitent avec celle des caricatures de nos frères, Sarrazins au sabre sanguinolent, condamnés à mort d’avance par des littérateurs pour table de chevet de Ministres de l’Intérieur, dans la même pile que le dernier livret de SOS Chrétiens d’Orient. Nous qui préférons l’appel à la prière à l’appel à la croisade, fusse-t-il lancé par un homme élégant et dissimulateur, qui sait à merveille imiter la voix des innocentes.
31.10.2024 à 09:57
Lignes de Crêtes
Abdourahmane Ridouane, président de la mosquée de Pessac, est désormais inculpé pour apologie du terrorisme. Il a été mis en garde à vue pour cette raison.
Il a été initialement interpelé en août. Son titre de séjour ne lui avait pas été renouvelé, malgré des décennies de présence sur le territoire français. Son domicile a été perquisitionné. Première peine pour avoir osé prendre la défense du peuple palestinien.
Depuis le mois d’août, il était en rétention administrative. Il n’y a guère de différence entre la prison et la rétention, si ce n’est que la seconde a lieu sans condamnation pénale. Abdourahmane Ridouane était privé de sa liberté d’aller et venir, il n’avait pas le droit à internet et donc de se défendre face aux accusations politiques portées contre lui dans les médias et sur les réseaux. Sciemment, il a été enfermé dans un centre de rétention à des centaines de kilomètres de chez lui : il a donc été privé des visites régulières de son épouse et de ses proches. Double peine parce qu’il est immigré.
Militants et militantes des droits humains, musulmans ou non, nous sommes solidaires d’Abdourahmane Ridouane et de l’intégralité de ses propos publics, que nous partageons sans exception ni aucune réserve. Le délit d'”apologie du terrorisme” est un délit politique, une infraction aux contours suffisamment flous pour que son application dépende uniquement du pouvoir en place et de ses choix diplomatiques.
Aujourd’hui, on peut être un admirateur de Netanyahu, le mettre en photo de profil, l’applaudir lorsqu’il massacre des civils quotidiennement. Ce n’est pas de l’apologie du terrorisme.
La terreur en Palestine, même celle des enfants, n’est pas considérée comme un sentiment venant d’êtres suffisamment humains pour être des victimes de “terrorisme”.
Les dirigeants palestiniens peuvent être exécutés sans procès par Israel, dans le cadre d’opérations extérieures en pays étranger, et en tuant des civils au passage, sans que ce soit considéré comme un attentat. Et l’on devrait se taire lorsqu’ils sont assassinés au mépris de toutes les règles du droit international ? À combien de dirigeants de pays musulmans cette règle va-t-elle être étendue dans l’avenir, en cette période de guerre généralisée ?
Militantes et militants contre la politique raciste en matière d’immigration, nous ne sommes pas dupes de l’utilisation spécifique de l’internement administratif des étrangers pour punir toutes celles et ceux qui n’ont pas la nationalité française et museler les immigrés. Abdourahmane Ridouane vient de purger presque trois mois d’une peine de prison qui ne dit pas son nom, simplement pour avoir exprimé une opinion. Ce qui est en jeu aujourd’hui, au-delà de son cas personnel, comme cela l’a été pour de nombreux imams expulsés dans l’indifférence, ce sont les libertés civiles accordées en France, indépendamment de la nationalité française.
Le gouvernement français applique désormais le principe de la préférence nationale aux libertés fondamentales, la liberté d’expression, la liberté de conscience, la liberté de culte.
Militants et militantes contre l’islamophobie, nous constatons que la triple peine pour Abdourahmane Ridouane existe parce qu’il est musulman et président de mosquée : une mosquée que le gouvernement a tenté en vain de fermer en 2022. Mauvais perdant devant la justice de son pays, Darmanin s’est acharné sur Abdourahamne Ridouane faute d’avoir pu détruire la mosquée dont il était président ? Qu’à cela ne tienne, Retailleau prend le relais.
Nous ne pouvons empêcher la souffrance infligée à un homme musulman et sa famille. Pas plus pour Abdourahmane Ridouane que pour d’autres dont les droits sont bafoués et les vies détruites actuellement. Mais chacun a le devoir de dire la vérité face à un pouvoir tyrannique : le gouvernement français se couvre de honte et met en Lumières le courage de ceux qu’il veut détruire.
Involontairement, en punissant la générosité, la dignité et le combat exemplaire contre un génocide, il indique le sentier à suivre, celui de la Justice universelle.
28.10.2024 à 12:25
Lignes de Crêtes
Ces femmes qui s’avancent
En tenant au bout de leurs bras
Ces enfants qui lancent
Des pierres vers les soldats
C’est perdu d’avance
Les cailloux sur des casques lourds
Tout ça pour des billets retour
D’amour, d’amour, d’amour, d’amour..
Tout le monde y pense
Francis Cabrel 1989
A-t-on encore le droit en France de critiquer la politique étrangère de son pays, lorsqu’elle a trait au soutien diplomatique à un état dont les dirigeants sont mis en cause par la communauté internationale pour crimes contre l’humanité ?
La question a été posée à la 17ème chambre du tribunal correctionnel de Paris, ce 23 octobre, à l’occasion du procès d’Elias d’Imzalene, jugé pour avoir fait ce que la plupart des acteurs et actrices de la lutte pour les droits humains font depuis des mois, appeler à l’insurrection des consciences et à la mobilisation contre les massacres en Palestine, lors d’un rassemblement pour la Palestine, souvent en utilisant le mot arabe “Intifada”. Voilà pour les faits.
Elias d’Imzalene étant musulman visible, la dramaturgie politique partisane a pris le pas sur le réel depuis plus d’un mois. Plusieurs dizaines d’articles de presse répétitifs ont visé le « fiché S » tout de suite après le rassemblement incriminé, souvent fondés sur des dénonciations venues de polémistes de Reconquête ou des cercles favorables à la stratégie israélienne. Le ministère de l’Intérieur a cru utile de réagir aux demandes de l’extrême droite, particulièrement déchaînée sur X, en annonçant des poursuites pour des délits passibles de 15 ans de prison. Finalement, malgré le déplacement du procureur en personne lors de sa garde à vue, pratique fort rare en la matière, Elias d’Imzalene en est ressorti avec une convocation pour simple délit de presse.
Pourtant, les apparences lors de l’audience donnaient l’impression d’assister au choix :
* à un procès en assises pour des actes de terrorisme ;
* ou au jugement d’un néo-nazi négationniste qui aurait appelé à brûler des synagogues dans une manifestation, laquelle aurait ensuite dégénéré en expédition punitive contre des commerces juifs.
Rien de tout cela n’était survenu après les propos d’Elias d’Imazalene, le rassemblement incriminé s’étant terminé comme il avait commencé, dans le calme.
Au père de famille mis en cause à la barre et interrogé pendant plus de trois heures de suite par les parties civiles et le procureur, on a pourtant imputé la responsabilité morale et collective, en vrac : de l’attentat contre Charlie Hebdo, de la mort de Samuel Paty, de celles de soldats israéliens survenues il y a des années en Palestine, de l’ensemble des actes antisémites commis en France depuis octobre dernier, rien que ça.
De manière plus surprenante encore, un des avocats des parties civiles lui a opposé l’incendie d’une synagogue à Créteil en 2003. Vérification faite, car la mémoire précise des actes antisémites importe, il s’agissait d’un départ de feu dans le local technique de la synagogue de Cachan, que l’avocat a sans doute mêlé à celui d’une classe de l’école juive Ozar Hatorah de Créteil, survenue la même année. Aucune mention de lien avec un auteur musulman n’a été faite par la presse à l’époque, et le rabbin de la synagogue avait lui-même évoqué un acte isolé qui contrastait avec le quotidien des fidèles et du lieu de culte dans sa ville.
Pourtant, aucune mention des Juifs ne figurait dans les propos reprochés à Elias d’Imzalene. Mais la longue barbe de l’accusé, sa foi non cachée jouait a en sa défaveur absolue, comme dans d’autres procès de ce type. Il était difficile de ne pas songer à l’audience d’Abdourahmane Ridouane au Conseil d’Etat : le président de la mosquée de Pessac y contestait la mesure d’expulsion prise à son encontre, et, dans les débats, il avait notamment évoqué sa condamnation publique et immédiate des évènements du 7 octobre 2023. Il avait aussi longuement parlé des raisons de son engagement dans la lutte contre tous les génocides, en évoquant le choc et la réflexion induites par le visionnage de Shoah, de Claude Lanzmann dans le cadre de sa scolarité au Niger. Le Ministère de l’Intérieur lui avait opposé le « double discours » censé être la marque de la Bête chez les « islamistes ».
Au bout de deux heures d’audience et devant les discours contre Elias d’Imzalene, d’une mauvaise foi palpable, on avait presque envie de lui demander de se taire et de ne pas perdre son énergie devant des procédés similaires, déployés par au moins six avocats en sus du Ministère Public, puisque certaines parties civiles en avaient deux.
On entendit ainsi à maintes reprises répéter qu’Elias d’Imzalene était antisémite parce qu’il travaillait avec des organisations juives.
Qu’il l’était d’autant plus car des personnes juives étaient venues témoigner pour lui et que de surcroît elles arboraient EXPRES une kippa en manifestation. Pire, l’”influenceur”, comme certains le dénomment dans la presse, avait commis un acte irréparable : oser se rendre au Mémorial pour les insurgés du ghetto de Varsovie à l’occasion d’un déplacement à l’OSCE en Pologne. Se recueillir dans un lieu de mémoire de la Shoah, s’interroger publiquement sur les raisons pour lesquelles il était aussi petit, pourquoi les traces physiques de l’évènement avaient été recouvertes par des parkings, tout cela était intolérable et d’une duplicité antisémite inouïe. Quant au fait de rapprocher les victimes d’un crime contre l’humanité en Pologne et celles de victimes incontestables de l’escalade génocidaire de l’extrême droite israélienne, cela relevait de l’appel à la violence antisémite. En effet, pour les parties civiles, l’insurrection du ghetto de Varsovie étant une insurrection juive armée, cela prouvait bien qu’Elias d’Imzalene pensait à tuer des Juifs lorsqu’il disait « intifada ».
On avait donc envie de demander à l’accusé d’accepter la sentence pour le bien commun et d’abréger par son silence cet exposé de dangereuses sottises. En effet, l’audience avait lieu dans une salle remplie notamment de jeunes, musulmans et/ou de gauche, engagés dans le combat pour les droits humains. L’engagement mémoriel d’Elias d’Imzalene, l’ “influenceur” selon ses adversaires, est évidemment une chance pour la lutte contre l’antisémitisme, si l’on considère que pour être efficace, elle doive intéresser de manière large dans la population française. Malheureusement, toute personne profane sur ce sujet pouvait en tirer une seule conclusion en ayant assisté à cette audience : qui ne soutenait pas le gouvernement israélien, et était en plus musulman, serait de toute façon qualifié d’antisémite et de surcroit d’hypocrite et de lâche calculateur s’il s’avisait de s’en mêler. Catastrophique pour la suite, évidemment.
Mais assez symptomatique de la dérive inquiétante de certaines forces politiques, de la fuite en avant des soutiens les plus fervents de l’état israélien qui, en un an, en sont venus non seulement à intenter des procès à toutes les forces qui de près ou de loin se battent pour le cessez le feu à Gaza, mais aussi à déclarer antisémites et héritiers des nazis, non seulement des musulmans, mais aussi des militants juifs, mais aussi des membres de la communauté internationale, des rapporteuses spéciales de l’ONU , des intellectuels et des artistes, le gouvernement de l’Afrique du Sud, et même parfois Emmanuel Macron, lorsqu’il lui vient à l’idée de condamner un bombardement sur cent.
Cette dérive politique a des raisons objectives qui apparaissaient à qui voulait bien se renseigner après l’audience sur les parties civiles présentes et leurs positionnement au lieu de lire des articles sans intérêt confinant au gênant, par exemple lorsque Marianne ou Franc Tireur insistent sur le fait qu’Elias d’Imzalene est un homme intelligent et cultivé ce qui aggraverait sa dangerosité. Faut-il que les hommes musulmans soient ignares et stupides pour trouver grâce aux yeux de certains « patriotes » français ?
Tout militant de longue date était ainsi surpris par l’apparition d’une association inconnue au bataillon antiraciste : « Lutte pour l’égalité de l’antiracisme ». Le site internet de l’association ne mentionne aucune activité précise et indique que seul un don de 500 euros ou plus peut permettre de rencontrer son président, Laurent de Béchade. Pour les curieux au compte en banque dégarni, une simple recherche sur Google permet de savoir que l’association s’appelait « Organisation de lutte contre le racisme anti-blancs » il y a encore peu de temps, et que Laurent de Béchade retweetait, par exemple, sur le risque du « White Génocide », théorie suprémaciste blanche anglo-saxonne, fondée sur un récit négationniste et antisémite selon lequel les Juifs manipulent les races inférieures pour coloniser l’Occident et provoquer sa décadence et sa chute. (1)
De même, les positions de l’Observatoire Juif de France ont de quoi étonner les acteurs sincères de la lutte contre l’antisémitisme : lors de l’élection de Netanyahu, cette organisation avait par exemple produit un communiqué de presse pour exiger des journalistes qu’ils cessent de qualifier le gouvernement israélien d’ “extrême droite” (2). On trouve aussi sur leur site la tribune d’un père de soldat israélien qui s’insurge que les familles des otages du Hamas se mobilisent et s’expriment contre Benjamin Netanyahu, ce qui constituerait une trahison grave contre Israël (3). Dès octobre, l’Observatoire s’exprimait à l’impératif sur sa page Facebook pour intimer l’ordre aux personnes juives françaises d’”arrêter la politique”, de cesser toute critique de l’état d’Israel et de se ranger derrière son gouvernement. Sinon ?
Un début de réponse a été donné pendant l’audience, ou des témoins individuels d’Elias d’Imzalene ont été injuriés comme « juifs de service » ( sic) par l’avocat de l’OJF.
On regrette évidemment que la LICRA se soit associée à l’extrême droite française et à des associations pour qui le périmètre de l’antisémitisme commence à toute position critique de Benjamin Netanyahu. Un nom ça se porte dignement et quand on a hérité de celui d’une organisation fondée en 1926 pour soutenir un homme Juif qui avait abattu un leader fasciste ukrainien en plein Paris, on évite de compromettre une noble mémoire avec des gens pour qui tout homme musulman est forcément terroriste. Et même tout enfant de sexe masculin puisqu’il fut reproché à Elias d’Imzalene de faire référence même à la première Intifada et à l’image iconique et consensuelle du jeune garçon jetant une pierre contre un tank.
L’enjeu politique du procès apparaissait aussi dans cette dangereuse réécriture de l’Histoire où la révolte de toute une jeunesse opprimée par un gouvernement en dépit de toutes les résolutions de l’ONU devenait finalement l’équivalent de massacres en tous genres.
Mais la LICRA avait sans doute donné le ton de ce procès quelques jours auparavant en citant cet extrait des interventions de ses journées d’automne sur X : « On ne devient pas antisémite parce qu’on s’intéresse au Proche Orient , on s’intéresse au Proche Orient parce qu’on est antisémite ». La messe était dite.
Au sortir de l’audience et en réintégrant le réel, le public musulman et de gauche, et même des observateurs objectifs, ne pouvaient que ressentir la même dissonance cognitive qu’après une dystopie cinématographique réussie.
Il suffisait de rallumer son téléphone et de parcourir les dépêches de presse : l’énumération devenue quotidienne des victimes palestiniennes, des destructions d’écoles, de mosquées , d’hôpitaux, l’exode terrible des réfugiés palestiniens et maintenant libanais sous les bombes. Les réfugiés brulés vifs dans des des tentes après avoir échappé à la mort dans la destruction de leur maison.
Et puis effectivement, en face, pour tenter d’endiguer le flot de sang, un mouvement mondial multiforme, généreux et infatigable, évidemment critiquable dans le cadre du débat démocratique : mais un mouvement qui, sans moyens, contre les choix diplomatiques de son gouvernement, comme en France, persiste à exister essentiellement avec son cœur et avec ses pieds, en manifestant depuis un an, pacifiquement, massivement ou pas, chaque semaine, qu’il pleuve ou qu’il vente.
C’était tout le crime d’Elias d’Imzalene, qui reconnaissait lui-même avoir eu peu de goût pour les prises de parole en manifestation, dans toute sa vie politique antérieure. Il eut d’ailleurs cette phrase amusante “Je ne trouvais pas cela très distingué”, la seule qui fit sourire les militantes du public, ravalées toute l’audience au rang de groupies prêtes à aller tuer au moindre mot du Barbe Bleue des temps modernes.
Elias d’Imzalene avait commis le crime impardonnable, celui de ne pas faire ce que l’on attend, dans la société française, de la part de ceux que l’on qualifie d’islamistes ou de séparatistes, en n’ayant souvent pas la moindre idée de ce que cela peut signifier. Il s’était mobilisé avec d’autres forces politiques, il avait battu le pavé et pris le mégaphone pour appeler à la révolution, tradition française ancienne, et parfaitement inoffensive le plus souvent, comme chacun le sait depuis qu’Emmanuel Macron a ainsi intitulé son livre pour la campagne de 2017 (4). Si cela avait conduit à l’incendie du 16eme arrondissement, à celui du Château de Versailles et à la décapitation des puissants, cela se saurait. Mais il est vrai qu’Emmanuel Macron n’est pas musulman, n’a pas de barbe, et ne lutte pas contre un génocide. Libre à chacun de choisir le sentier entier de la Justice ou pas.
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(1) Ce tweet de Laurent de Béchade est extrait de cet excellent article sur l’offensive des médias d’extrême-droite et leur rhétorique
(1)
(2) Quelques captures d’écran de la page FB de l’OJF . Nous épargnons au lecteur l’intégralité des textes et des screens réalisés, disponibles sur demande, naturellement. En réalité, il suffit d’un seul post pour comprendre l’orientation politique de cette association qui relaie Douglas Murray avec enthousiasme. Douglas Murray est qualifié d’Eric Zemmour anglo-saxon et défend la thèse de la dangerosité absolue de l’immigration musulmane , dont la religion et la culture sont un poison mortel pour l’Occident.
(3) Demande de l’OJF auprès de ses lecteurs :
(3)
(4) Livre du président, pour nous réconcilier (source FNAC.com) :
25.10.2024 à 19:23
Kurteas
Fin août 2024 à Paris, sous prétexte de Jeux Olympiques, les gens ont été contraints de circuler avec instauration de QR codes juste pour se déplacer . Il y a eu une dissolution de l’Assemblée Nationale qui n’a rien donné. Rien. Il y a eu des élections, le pouvoir les a perdues, il est resté au pouvoir . La démocratie est malade, la maladie s’aggrave de jour en jour, et tout le monde le voit mais commente comme si elle était une connaissance pour laquelle on ne peut rien faire, car elle est atteinte d’une maladie incurable qui ne dépend pas de nous, mais au mieux de médecins que nous ne connaissons pas .
La politique institutionnelle est devenue un cirque. On le sait, on le voit. On en ricane sur les réseaux, pour montrer qu’on n’est pas dupes, pas du tout, qu’on voit exactement ce qu’il se passe. Mais que montre-t-on aussi en ricanant ? Que ce n’est pas si grave, que la vie continue presque normalement.
Et ce n’est pas nouveau, cela fait des années que la 5ème République agonise.
Mais comme tout corps politique mourant, il y a la tentation de se maintenir par la force.
Alors comment se maintient-on par la force dans une démocratie ?
Entre autres, en fabriquant un besoin d’autorité dans la population, une nécessité de rétablir l’ordre ou de l’assurer.
Mais pour cela, il faut que les gens aient peur, qu’ils aient peur de leur avenir, des “autres”.
Il faut que la police soit forte, capable de violence et aux ordres. Cela aura un double objectif, celui d’instiller la peur parmi les gens qui seraient contre le pouvoir en place (mais pas assez pour affronter cette police), et d’être assez forte pour mater ceux qui le défieraient.
Pour faire peur, il faut des épouvantails, des boucs émissaires, et donc la facilité fera porter le choix sur des minorités qui n’auront pas le nombre (ou la puissance médiatique) nécessaire pour vraiment s’opposer au pouvoir en place.
Pour la peur, on a vu les sujets et thèmes qui ont été choisis ces dernières années :
• « Les musulmans qui sont tous des terroristes », minorité très pratique puisque certains évènements (les attentats sur le sol français) ont pu accompagner la fabrique de cette peur. 2015 et 2016, accompagner et pas fabriquer directement, car les principales lois islamophobes, notamment celle de 2004 et de 2010, ont été votées SANS attentat sur le sol français. Les musulmans français étaient sommés de se désolidariser des terroristes , sinon… Sans parler de toute la mouvance d’extrême droite qui hurlait dans cette direction. De plus (voir plus bas), cela a permis de faire passer des lois sécuritaires sans précédent.
• Les migrants, qui sont au mieux la vague migratoire submersive, au pire des terroristes futurs. Ici par exemple un argumentaire de 2019 expliquant l’anti-immigrationnisme ;
• Les black blocs, qui sont des sortes de terroristes ;
• Les gilets jaunes, qui sont… des sortes de terroristes aussi ;
• Les militants écolos qui sont… bah des sortes de terroristes ;
• La gauche (LFI), nommée extrême-gauche, et porteuse de chaos, en dehors de l’arc républicain. Ici et ici .
Bien entendu, ces thèmes et ce récit voulus par le pouvoir sont relayés par les médias sans aucune retenue ni contrôle (voir le pauvre rôle de l’ARCOM face au groupe média Bolloré, par exemple qui a dû attendre l’aide du Conseil d’Etat pour se doter de moyens d’agir – et encore…- voir ici, ou les groupes d’enquêtes parlementaires ici).
C’est avec ce récit que le pouvoir a alors mis en avant LA solution à tous ces risques (jamais réellement étayés et encore moins mesurés dans le temps en termes d’efficacité), à savoir la policiarisation de la société.
Pour faire accepter la montée en puissance de la police, pour éviter tout rejet face à une violence croissante, il faut non seulement renforcer le mythe qu’elle est la seule réponse à ces risques source de peurs, mais aussi que les violences faites pour mater les opposants sont la résultante de causes extérieures. (cf Que fait la police de Paul Rocher chap I. L’emprise policière).
En parallèle des cibles désignées, il faut agir.
C’est pourquoi les effectifs et le matériel doivent augmenter.
Les effectifs policiers (gendarmes, police nationale et municipale) sont passés de 225.000 en 1996 à 280.000 en 2019. Dans la même échelle de temps, la dépense de l’Etat pour « services de police » a augmenté de +35% entre 1995 et 2019. Et ces 5 dernières années, les dépenses ont encore augmenté.
Pour le cadre juridique :
Loi Cazeneuve de 2017 : dite « permis de tuer » car est faite autorisation aux policiers d’ouvrir le feu pour refus d’obtempérer », ce qui deviendra la première raison évoquée lors des morts suivantes (la mort du jeune Nahel par exemple).
Loi anti-casseurs de 2019 : pour faire peur aux manifestants et aux Black Blocs.
L’antiterrorisme (source wikipedia) : la législation sur le terrorisme est apparue en France en 1986 et a été continuellement renforcée. Elle permet la prolongation de la garde à vue durant 120 heures, ou les perquisitions à toute heure, à la demande d’un magistrat19. Cette législation a encore évolué avec la promulgation de la loi relative au renseignement en 2015 et de la loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale en juin 2016 qui prévoit la possibilité de retenue administrative pour une durée maximum de quatre heures20. La loi de prorogation de l’état d’urgence de juillet 2016 signe notamment le retour de la « double peine » pour les terroristes de nationalité étrangère21. En 2017, la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme introduit les assignations à résidence administratives, les perquisitions, après avis du juge des libertés et de la détention ainsi que les contrôles aux frontières ; ces mesures pouvant être prises exclusivement en prévention du terrorisme mais hors période d’état d’urgence22. En 2021, ces mesures sont pérennisées et complétées par la loi relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement23.
Le plan Vigipirate est activé depuis les attentats de 1995 avec une intensité variable et l’opération Sentinelle, opération militaire de protection des lieux sensibles est en cours depuis les attentats de janvier 2015.
À compter de novembre 2015, la prévention d’actes de terrorisme se décline en plusieurs autres dispositifs comme les contrôles aux frontières en application de l’article 25 du code frontières Schengen , prévus initialement du 13 novembre au 13 décembre 2015 dans le cadre de la réunion de la COP2124, ou encore l’autorisation des policiers à porter une arme en dehors de leur service25.
Ça c’est pour les moyens en constante progression, matériels, humains et judiciaires.
Les cibles, maintenant.
1- 2008, Affaire de Tarnac avec Julien Coupat :
Assez anecdotique par l’ampleur de la violence physique déployée (par rapport aux futures cibles), mais révélatrice de la volonté policière et étatique de faire passer ces gens pour « terroristes ». Nous restons persuadés que cet échec du pouvoir a été une base de réflexion pour le futur.
2- 2018 et 2023, Les gilets jaunes :
Dispositif policier hors norme (par exemple la BRI qui a pour mission de lutter contre la grande criminalité ou contre les terroristes sera envoyée intervenir). Dispositif pénal aussi, ayant pour objectif de démobiliser les gens, de faire peur (le passage en garde à vue de nombreux Gilets jaunes « pour des faits d’apparence anodine (la confection d’une banderole invitant à un pique-nique, à Nantes, par exemple) a beaucoup marqué les manifestants, qui avaient des casiers vierges pour la plupart », et « en a dissuadé beaucoup de continuer la lutte dans la rue »). Côté répression, l’Etat cède 2500 blessés côté manifestants, sans faire état de la gravité de ces blessures. Côté manifestants, on parle de 11 morts, 32 éborgnés et 5 mains arrachées (ici), minimum.
3- Les ZADistes : mort de Rémy Fraisse en 2014, nombre impressionnant d’armes utilisées. 2023 à Saintes Soline : 200 blessés dont 40 gravement + 2 personnes dans le coma. Suite à ça, Darmanin a annoncé vouloir dissoudre « Les Soulèvements de la Terre » et parle d’éco-terrorisme, sans aucun support juridique ni définition.
4- Les musulmans spécifiquement : cela a commencé massivement en 2015 et en 2016. Depuis, la répression n’a jamais cessé, sous forme de dissolutions arbitraires d’associations de lutte contre l’islamophobie, de nombreuses perquisitions, notamment en amont des JOP 2024.
5- Les citoyens “autres” : pour les JOP2024 : refus d’accréditation, permettant au ministre d’interdire à certaines personnes d’accéder aux Jeux selon des critères largement arbitraires, visant notamment « 131 personnes fichées S, 18 personnes fichées pour radicalisation islamiste, 167 personnes fichées à l’ultragauche et 80 à l’ultradroite ». Mais la répression ne s’arrête pas là : 164 perquisitions et 155 assignations à résidences administratives – appelées « mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (Micas) ».
Il y a eu de nombreuses mises en cause et condamnations de l’Etat français par la justice et l’ONU et des organismes défendant les droits de l’homme, sans aucun effet ni remise en question (les contrôles au facies en 2014 et 2016, la CEDH pour 2010, et pour 1999 pour torture, l’ONU, le Conseil de l’Europe, il y en a certainement d’autres) ni de la part de l’institution, ni de la part des citoyens, rien.
Alors se pose la question suivante :
Qui sera la prochaine cible si rien n’est fait ? Sachant que rien n’est fait pour les musulmans de la part d’aucun bord politique (normal, même à « gauche », ils sont concernés par le maintien au pouvoir de l’ordre établi, quand ce n’est pas une inaction directement dictée par une islamophobie largement partagée à travers le spectre politique français).
Sachant que pas grand-chose n’est fait pour les écologistes , sauf ponctuellement quand on en vient à une dissolution.
Sachant que pas grand monde n’a fait quelque chose contre la répression anti-Gilets Jaunes.
Chaque partie de notre société qu’on abandonne aux violences étatiques, c’est un peu de nous qu’on abandonne. Et cela nous affaiblit dès à présent et encore plus pour le futur.
Pour aller plus loin, quelques pistes de réflexion (parmi tant d’autres) :
23.09.2024 à 18:20
Lignes de Crêtes
La convocation policière d’Elias d’Imzalene ce mardi 24 septembre s’inscrit dans la suite de dix mois de privation grandissante des libertés politiques en France.
Le mouvement contre le génocide en Palestine a été soumis à un régime d’exception dès octobre 2023: la France a été un des seuls pays à interdire d’emblée toute manifestation de solidarité avec les Palestiniens pendant plusieurs semaines, jusqu’à ce que ce diktat soit brisé par des décisions judiciaires.
Depuis, le droit de manifester et de s’exprimer pour que cesse le massacre des Palestiniens, commis avec une intention génocidaire clairement énoncée dès octobre par les plus hauts responsables israéliens, fait l’objet d’ offensives permanentes et coordonnées de l’extrême droite française, des réseaux de propagande du gouvernement israélien en France et du gouvernement français. Ce dernier n’a aucune honte à obéir ouvertement aux campagnes délatrices des caniveaux fascistes contre tel ou telle activiste.
Elias d’Imzalene , aujourd’hui visé par le Ministère de l’Intérieur est en effet la cible continue de menaces de mort venues de groupes islamophobes violents assumant leur volonté de commettre des attaques armées, comme le groupe Frdeter dont aucun des membres n’a été inquiété pour les menaces contre Elias d’Imzalene et sa famille. Comme d’autres activistes pour la Palestine, il a également fait l’objet d’une campagne de presse diffamatoire particulièrement violente de la part de Livre Noir, officine zemmouriste tenue par des requins blancs islamophobes et ultra-libéraux. Parmi leurs invités officiels figure notamment Daniel Conversano, néo-nazi assumé et petite star de la mouvance suprémaciste blanche depuis une décennie pour ses prises de positions particulièrement répugnantes qu’il énonce en toute impunité. Ces offensives d’extrême droite ont néanmoins le mérite d’assumer leur objectif : la destruction de la communauté musulmane par tous les moyens nécessaires, la perpétuation de la logique génocidaire et coloniale à l’œuvre en Palestine mais qui est aussi le rêve de beaucoup en Europe.
Le gouvernement est plus hypocrite et procède à une inversion victimaire perpétuelle pour justifier la répression.
Les activistes musulmans pour la Palestine, cibles de la haine islamophobe, propageraient selon lui la violence contre la communauté juive. Presque un an de manifestations a montré que ce n’était pas le cas, et que les appels à l’insurrection des consciences et des énergies pour faire cesser le génocide ne débouchaient sur aucune action de masse contre la communauté juive pendant ces manifestations.
Bien au contraire, la vigilance contre les mouvances et les discours antisémites venus de l’extrême droite ( vigilance exercée notamment par des activistes expérimentés comme Elias d’Imzalene qui a multiplié les initiatives contre l’antisémitisme avec des collectifs investis sur cette lutte ces dernières années ) ont permis comme partout dans le monde la participation massive et paisible d’une partie grandissante des communautés juives à la pointe de la résistance antifasciste contre Netanyahu et ses alliés.
Elias d’Imzalene est également accusé de porter gravement atteinte aux intérêts de la Nation Française en se mobilisant contre la politique génocidaire de l’état israélien : c’est un droit de le penser, néanmoins d’autres ont le droit de penser et de dire que le soutien macroniste au gouvernement israélien, condamné par les institutions de la communauté internationale, bientôt devant la CPI pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, objet de la réprobation morale de milliards d’êtres humains sur toute la planète, ne rend pas service à la France et aux Français pour leur place future dans le concert des Nations.
Mais il ne s’agit pas de débat démocratique, car le gouvernement français s’assoit sur la démocratie dans tous les domaines . Et les musulmans sont depuis des années les premiers à être privés de leurs droits politiques. Cette privation est toujours accompagnée d’un narratif déshumanisant visant à banaliser une traque abjecte et pathétique, notamment dans un pays où beaucoup de médias sont détenus par un milliardaire qui ne cache pas sa mobilisation active pour mettre le RN au pouvoir : si Elias d’Imzalene n’était pas musulman, il aurait eu au moins droit à quelques lignes de réponse , à quelques invitations dans les médias qui l’ont attaqué pendant des jours. Traité de terroriste sans avoir jamais été inquiété judicairement, il est privé en permanence de tout droit à la défense dans l’espace public.
Nous appelons donc à participer à la solidarité contre l’offensive qui le frappe, et qui n’est malheureusement qu’une manifestation de la tentative d’étouffement du mouvement contre le génocide et de l’islamophobie ambiante : cet été des milliers de personnes ont été frappées par une vague de perquisitions , dont certaines se sont traduites par des assignations à résidence. Des anonymes qui ont simplement exprimé leur soutien à la résistance du peuple palestiniens sur les réseaux sont en prison, et il est encore impossible de quantifier le nombre de vies qui ont été brisées par la violence pathogène actuellement à l’œuvre dans un pays dévoré par ses vieux démons racistes. Chaque jour les milices virtuelles des extrême droites française et israélienne ciblent des militants et militantes, les harcèlent en masse, tentent d’obtenir leur licenciement et leur mort sociale. En, toute impunité .
Cette violence n’est cependant rien comparée à un seul jour de bombardement à Gaza, à une seule heure de torture dans les prisons et les petits Guantanamo ouverts par Israël. En France comme partout dans le monde, toute une génération l’a compris et se bat pour la justice universelle. C’est tout naturellement qu’elle s’identifie à la jeunesse palestinienne et nomme son combat Intifada , même en Occident. Aucune intimidation individuelle, aussi injuste soit elle ne peut faire taire des millions de voix.
Solidarité inconditionnelle avec Elias d’Imzalene .
Pour rejoindre les initiatives de solidarité, nous vous invitons à vous abonner sur les comptés dédiés qui relaieront une bataille qui s’annonce unitaire et massive.
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22.09.2024 à 18:21
Nadia Meziane
A un moment, il fallait bien que finisse le cirque macroniste, la farce progressiste estivale certes utile pour endormir la gauche après un coup de force, pour susciter une douce torpeur festive, à la rentrée on verra, Lucie sera là.
Non, finalement ce sera Jeanne d’Arc. Macron n’a pas fait de dissolution pour amener la gauche au pouvoir, mais pour éviter que Marine Le Pen prenne sa place en 2027. Et une des solutions pour cela, c’est essayer de lui opposer un ersatz de Le Pen père.
Juste après les élections, c’était difficile. Le mouvement contre le génocide en Palestine perdurait malgré les évacuations d’universités et les musulmans en étaient les leaders non contestés par la jeunesse. La masse de la gauche sociale s’était mobilisée dans les urnes et avait retrouvé un peu d’espoir en se comptant, après l’écrasement par la force du mouvement des retraites et la violence terrifiante contre les jeunes écologistes, déployée à Sainte Soline et ensuite. Malgré les manœuvres des islamophobes de gauche qui voient dans LFI la structure à détruire pour pouvoir définitivement isoler les musulmans de toute alliance politique, LFI avait gardé sa place centrale pas seulement en nombre de sièges à l’Assemblée Nationale mais surtout en termes de moteur idéologique positif pour une partie des classes populaires.
Il fallait donc jouer sur deux plans pour neutraliser une offensive immédiate qui pouvait amener le NFP à une conquête au moins partielle du pouvoir.
D’abord, le cirque sociétal. Celui qui ne coute rien qu’un paquet de fric pour une cérémonie : convoquer quelques artistes, faire un son et Lumières suffisamment kitsch pour sembler révolutionnaire à des cinquantenaires pour qui mai 68 se résume à des filles torse nu en manif et à une orgie libérale. A l’heure du règne de l’instantané et de l’image, quelques drag queens , une chanteuse racisée et des DJ non binaires suffisent à faire oublier à une part de l’opinion de gauche, qu’avec l’argent des JO, on aurait pu rouvrir des services gynécologiques, des maternités de proximité, des permanences pour les victimes de violences sexuelles et de genre, financer des hébergements pour des mères isolées à la rue avec leurs enfants.
Le progressisme de série Netflix comme ersatz de politique féministe et inclusive a toujours réussi au macronisme
L’espace de quelques semaines, les communicants du pouvoir ont donc réussi à imposer une polarisation factice : tous ensemble contre l’extrême droite chrétienne et réactionnaire qui n’a pas apprécié que l’on touche à ses valeurs.
En réalité, ce furent surtout des loosers définitivement à l’écart de la vie politique française qui s’indignèrent :Christine Boutin depuis longtemps à la retraite sauf sur X, des traditionnalistes de base qui ne savent pas jouer tactique. On peut y ajouter les zemmouristes que le RN a cantonnés au rôle d’agitateurs de soupe fasciste, utiles pour entretenir la colère populiste de la base et la détourner de la tentation de rallier la droite dure, mais tenus à l’écart de la prise de pouvoir institutionnelle.
En revanche la fausse polarisation eut un effet majeur : conforter un narratif totalement déconnecté du réel immédiat, c’est à dire une offensive d’extrême droite menée en toute impunité par un gouvernement censé être démissionnaire au nom de la protection de JO censés incarner le progressisme français.
La trêve olympique pour les uns , l’amplification de la violence islamophobe pour les autres
Les JO ont ouvert une phase de violence sans précédent contre la communauté musulmane : sans précédent parce que ne s’appuyant pas même sur le prétexte d’attentats déjà commis. La vague de perquisitions et de MICAS lancée par Gérald Darmanin était l’avant-goût de ce qui nous attend maintenant: la répression ‘anti-terroriste préventive” comme gouvernance contre la communauté musulmane dans un premier temps, contre toutes les autres oppositions ensuite. L’extension du domaine de ce type de répression a déjà commencé avec les inculpations pour apologie du terrorisme réalisées même contre des députés de gauche.
Cette violence islamophobe n’a créé aucune polarisation antifasciste d’ampleur. Or l’islamophobie n’est pas une diversion mais le cœur battant du régime, son centre idéologique et névralgique d’où jaillissent mille arborescences qui enserrent ensuite aussi ce qui reste des libertés publiques pour tous.
Dans ces conditions, forcément, le macronisme n’a trouvé aucune opposition suffisamment structurée en face de lui. Seulement un vasouillage impuissant , une unité de façade qui s’est brisée très rapidement. Et ce alors même que l’offensive islamophobe de gauche pour détruire LFI trouvait un visage et une voix, celle de François Ruffin dont le discours antisystème raciste a au moins le mérite de la simplicité et de l’accessibilité. Cet état de faiblesse et de désorientation de la gauche, couplé à la nécessité pour la communauté musulmane activiste de faire face quasi seule à une répression féroce, n’a pas permis d’offensive coordonnée et mobilisatrice pour mettre à nu un régime contesté de toutes parts.
C’est donc la part fasciste qui a remporté la manche.
La dernière phase du macronisme sera déjà celle de l’extrême droite au pouvoir. Avec le meilleur déni du monde, il sera désormais impossible de se raconter des fables. D’abord évidemment à cause de Retailleau. Retailleau n’est même pas Darmanin, tentant de dépasser le Pen fille sur sa droite. Retailleau est un Le Pen père, mais un Le Pen Père ayant déjà l’expérience des responsabilités politiques au moins locales . Retailleau est l’archétype du Vendéen revanchard et solide, formé et adoubé par Philippe de Villiers, le partisan affiché de la guerre civilisationnelle. Retailleau à l’intérieur, c’est la fin de la farce laïque, l’avènement de la Croisade assumée La décapitation pour rire de Marie Antoinette aux JO, c’était un gadget pour gogos républicanistes vulgaires à fantasmes sexistes violents. Place à Retailleau, l’homme du Puy du Fou, l’attraction royaliste installée depuis des décennies.
Le proche de SOS Chrétiens d’Orient n’est pas le Jean Marie Le Pen des années soraliennes, mais celui d’avant, celui d’une vision idéologique un peu oubliée, le néo-reaganisme. C’est-à-dire le soutien affiché aux Etats Unis en guerre contre le communisme: le Jean Marie Le Pen des années 80, chantre assumé de Vichy, trouvait très peu de mérite aux Juifs mais une certaine utilité à Israël comme avant-poste de la guerre contre les arabes .
Cela ne signifie donc pas que le macronisme avec Retailleau aux commandes renoncera à sa petite musique antisémite traditionnelle, bien au contraire. La réhabilitation de Vichy, celle de Maurras ou de Barrès sont nécessaires à la puissance du nationalisme français éradicateur. Le schéma directeur islamophobe doit pouvoir s’appuyer sur un narratif historique familier, celui de l’Ennemi Intérieur , de l’Agent corrupteur, bref sur le schéma classique de l’antisémitisme réutilisable contre les musulmans. Ce sera d’autant plus facile que dans les cercles officiellement adoubés de la lutte contre l’antisémitisme, on n’en est plus seulement à accepter Bardella dans les manifs: comme Sfar, on se paye le luxe de déterrer Céline.
De surcroit, dans sa phase finale, le macronisme aux abois ne peut plus être faussement laïque : depuis 20 ans, la laïcité est une coquille vide remplie uniquement par l’islamophobie, elle n’a jamais intéressé personne en tant que modèle de société éventuellement positif c’est-à-dire fondé sur la défense des services publics forts. A l’inverse, elle a été invoquée durant deux décennies marquées par la destruction de l’Etat providence, c’est-à-dire celle de toutes ses structures hors régalien.
Le prétendu état laïque est celui de la privatisation absolue du bien public, de la ruine du secteur éducatif au profit des écoles privées , sauf les écoles musulmanes. Lorsque l’islamophobe laïque nous accuse de taqya collective et de double discours , il parle de lui , qui invoque les Lumières pour replonger le pays dans l’Ombre de l’absolutisme, où le seul soleil brille à Versailles pour le clergé et la noblesse, pendant que le peuple doit financer la guerre perpétuelle et qu’on persécute les minorités pensantes . Il était donc logique que le discours laïciste hypocrite entretenu aussi à gauche par les plus libéraux économiquement, ceux qui ont multiplié les lois antisociales sous Mitterrand , sous Jospin et sous Hollande doive au moment crucial , céder sa place à un narratif historique plus mobilisateur, celui de la Chrétienté agressive, de la Croisade islamophobe offerte aux pauvres comme seule vengeance et dignité possible face à un destin misérable au quotidien .
Les projets islamophobes pour la période sont en effet tout à fait clairs : exclure les musulmans de l’enseignement supérieur et des postes de cadres, cibler ceux qui exercent des professions libérales, comme en témoigne l’offensive actuelle contre les « avocats fréristes ».
La communauté musulmane ayant retrouvé sa capacité à se mobiliser, face à sa jeunesse, il faudra aussi réactiver et amplifier le logiciel antiterroriste et plus seulement celui de la loi Séparatisme. La vague islamophobe de cet été l’a annoncé, il s’agit d’assigner à résidence les militants, d’interdire toute prise de parole politique libre en la criminalisant : c’est le sens des offensives qui se généralisent contre les activistes les plus appréciés dans la communauté mais qui ont aussi fait le choix ces dernières années de travailler avec d’autres forces politiques, ce qui a fait toute la puissance du mouvement contre le génocide en Palestine. D’Abdourahmane Ridouane (1) à Elias d’Imzalene (2), les hommes qui sont visés par la répression médiatisée en ce mois de septembre 2024 incarnent tout simplement la composante directrice du front antifasciste possible avec la gauche révolutionnaire.
Il faut bien dire le mot “révolution” , très sérieusement cette fois. Donc forcément en arabe, la révolution ne se fait jamais dans un seul pays: Intifada contre le fascisme et le Capital , c’est le nom du seul Rêve réaliste pour échapper aux Cauchemar fasciste.
C’est un vœu pieux, mais face à l’apparente hégémonie fasciste, la Foi sincère est de toute façon nécessaire pour résister à la Croisade. Paradoxalement, c’est aussi un appel au calme ,à l’insurrection des consciences , au combat raisonné pour la justice universelle face aux hurlements nihilistes et chaotiques des fascistes uniquement capables de proposer aux masses l’ivresse du Sang versé, jusqu’au génocide pour oublier l’enjeu terrible du Temps présent. C’est à dire la nécessité de sauver la Planète d’un mode de production mortifère qui menace l’espèce humaine dans son ensemble.
(1)France. Pessac, cas d’école de l’acharnement islamophobe de l’État – Rayan Freschi (orientxxi.info)
(2) Sur l’offensive visant à criminaliser l’emploi du mot intifada dans les manifestations pour la Palestine, (1) Perspectives Musulmanes sur X : “Communiqué de soutien à notre frère Elias d’Imzalène cible d’une vague d’attaques islamophobes et pro-impérialistes de la part de certains médias français et d’une grande partie de la classe politique française.
29.07.2024 à 17:28
Nadia Meziane
Il y a quelques mois, comme désormais mon entourage est au courant de ma « radicalisation » supposée, un ami d’enfance m’a brusquement parlé d’une personne qui avait subi une perquisition en 2015. Il s’agissait d’un livreur Uber qui connaissait quelqu’un qui connaissait quelqu’un qui connaissait quelqu’un fiché comme « islamiste ». Je n’ai pas demandé de détails car les perquisitions préventives et leurs motifs sont absurdes et inutiles à décrypter sauf pour les avocats éventuels . D’ailleurs cet homme, musulman, faut-il le préciser, a été relâché après 48 heures de garde à vue. Mais aussi après qu’on eut fracassé sa porte à six heures du matin, qu’on l’ait braqué en hurlant, et qu’on lui ait mis une lumière « bleue « dans les yeux. Mon ami pensait que c’était plutôt une lumière rouge de viseur, mais nous avons conclu que cette hypothèse était peut-être liée au fait que nous avions vu beaucoup de films américains. Ce sujet de la couleur de la lumière, de l’altération de la perception des choses dans les moments de crise est revenu plusieurs fois dans les discussions sur cette histoire : je crois que cela permettait de meubler les silences et la gêne entre nous, qui nous connaissions depuis le collège, et qui ne parlions jamais de politique ensemble. Et brusquement les présumés « terroristes », ce truc de la télé de nos enfances, c’était presque nous, des amis à nous.
La personne perquisitionnée n’a pas pu sortir de chez elle pendant des semaines après cela, même pas pour acheter du pain et ce symptôme se répète depuis.
Depuis 2015.
Elle a perdu son emploi, sa compagne, son logement originel. Elle n’a pas vu de psychologue, n’a pas tenté d’obtenir réparation, n’a pas redémarré le moindre projet, n’a pas pris contact avec une association communautaire ou autre. Elle ne veut pas parler de ça, a refusé de me rencontrer. De l’extérieur, c’est simplement un Rsaste musulman, et je me demande comment il va faire pour aller faire quinze heures de travail gratuit et obligatoire, désormais imposé par les macronistes. Je pense très sincèrement qu’il ne le fera pas, et qu’il finira SDF et que personne ne saura plus jamais pourquoi.
Actuellement, une nouvelle vague de perquisitions et d’assignations à résidence préventives a lieu (1). Depuis un mois et demi. Je la vis de manière différente car je connais quelques personnes concernées ou éventuellement concernées dont une avec qui je suis en contact quotidien. Evidemment, ce que je vis est anodin à côté de ce qu’il vit lui, néanmoins cela a impacté mon état psychologique et physique.
Les symptômes précis n’ont aucune aucune importance en soi, ni aucune originalité globale. Sur une militante de base moyennement performante en temps normal, la seule chose à noter, c’est que cela invalide partiellement ma capacité à militer, à hauteur de 70 pour cent environ, depuis plusieurs semaines. Cela fait évidemment partie des objectifs de masse d’une telle opération.
Il s’agit seulement de la manifestation individuelle de la destruction psychologique massive que personne n’évaluera. Combien d’hommes, de femmes, d’adolescents et d’enfants musulmans vont être impactés par cette nouvelle offensive, en plus des personnes directement visées par les mesures iniques et antidémocratiques du gouvernement ?
Réponse : on ne pourra jamais le savoir exactement, pour plusieurs raisons.
Un, les dispositifs de signalement et de délation institutionnelles génèrent des phénomènes de non-recours aux soins psychologiques. La plupart des gens qui ont des personnes ciblées comme « islamistes » dans leur entourage ne le crient pas sur les toits. Leur souffrance psychique fait partie des choses à dissimuler au travail, dans la vie quotidienne, et aussi par exemple aux enfants de notre entourage, qui évidemment seraient en danger s’ils parlaient de la situation en milieu scolaire. Dans ces conditions, l’idée d’aller voir un professionnel de santé paraît absurde, d’autant que les “professionnels” ne sont pas neutres (2), et qu’il est difficile de savoir quelle sera la réaction face à un ” Je fais des cauchemars parce que j’ai peur que mon entourage islamiste se fasse éclater sa porte à six heures du matin”. On peut imaginer qu’elle ne sera pas forcément safe et dans le care, c’est certain, tout le monde n’a pas la chance de faire des cauchemars féministes psychologiquement corrects . Et au fond la question de l’utilité de ce recours à des soins se pose, car l’état de détresse psychologique généré par l’islamophobie d’état n’est pas une pathologie ex nihilo, et l’islamophobie d’état ne s’arrêtant jamais, quelle guérison espérer de toute façon ?
Deux, pour être reconnu comme victime, il ne faut pas être vu socialement comme un bourreau ou un complice des bourreaux . Or, en France, même à gauche, on a beaucoup de mal à dépasser l’autosatisfaction prétendument humaniste consistant à reconnaître uniquement les formes les plus violentes de l’islamophobie, par exemple des agressions physiques commises de préférence par l’extrême droite, et de préférence également contre des musulmans certifiés totalement innocents selon les critères de gauche .
Ce ne sont évidemment pas des critères objectifs: par exemple, si l’on s’intéresse au sujet de la violence politique, celle-ci peut être parfaitement acceptée pour certains mouvements internationaux comme les mouvements kurdes, déclarés “résistants” d’emblée , jamais pour d’autres, pour lesquels il n’y a pas la moindre empathie. A gauche la défense des prisonniers politiques notamment contre les QHS et la torture blanche de l’isolement est une tradition existante, même si contestée et débattue.
Mais lorsque l’état désigne des personnes comme « islamistes » , « radicalisées » et qu’il sort pour ce faire des fichiers qu’il a lui-même arbitrairement remplis, lorsque le mot « terrorisme « est prononcé, même sans aucun recours à l’accusation d’actes concrets éventuellement commis, la qualité de victime potentielle disparaît même pour des agressions étatiques extrêmement violentes. Par conséquent, bien que 99 pour cent des personnes perquisitionnées en 2015 n’aient fait l’objet d’aucune poursuite, non seulement ce scandale n’a pas généré l’indignation massive qui a eu lieu pour une répression beaucoup moins forte contre les écologistes, mais surtout, la suite, la vie Après n’a jamais été un sujet. Et l’oubli semble aussi la seule chance d’une partie des personnes concernées et de leurs proches : continuer à vivre, à être considéré comme à peu près « normal » espérer un arrêt de la surveillance étatique.
D’ailleurs de cela aussi on ne parle pas. Que génère la surveillance massive, ou simplement la menace de surveillance massive des « fichés islamistes « et de leur entourage ?
C’est un aspect intéressant psychologiquement, pourtant. Ayant longtemps été d’extrême-gauche, j’ai eu toute ma vie cette culture du jeu à se faire peur et à essayer ainsi de se sentir très important et rebelle et donc objet de l’attention des Renseignements Généraux et de la police de la pensée parce qu’on a critiqué le gouvernement sur les réseaux ou qu’on a fait deux pauvres manifs interdites ( je ne parle pas ici des camarades réellement surveillés (3) mais des militants de base peu importants comme je l’ai été la majeure partie de ma vie, membres d’une masse de dizaines de milliers de personnes ). C’était juste un moyen de compenser la non-reconnaissance sociale que ressentent tous les activistes de base à gauche. On se persuade qu’au moins la police s’intéresse à nous individuellement. Pas trop, le plus souvent.
La vie des musulmans décrétés islamistes et de leur entourage est différente. On ne sait pas. Enfin on sait que les messages qu’on envoie à telle personne fichée S ou membre d’une organisation ciblée sont lus. Ce qui amène à se torturer le cerveau des jours entiers pour savoir si on ne l’a pas mise en danger pour un message anodin qui pourrait cependant être interprété différemment.
Mais on ne sait rien de plus. En tout cas avant la répression. On vit juste avec cette idée que possiblement tous nos échanges privés sont lus, que toute notre vie est disséquée. On sait qu’on est soi même fiché S à la drôle de tête d’employés de banque ou des services publics ou quand on veut envoyer un mandat à son cousin afghan en Allemagne pour son anniversaire et que finalement lui-même ne pourra jamais toucher l’argent (4). On sait évidemment que tout ce qui est dit sur les réseaux sociaux est susceptible de servir pour plus tard. Lorsqu’on est militant, tout ceci se vit bon an mal an car on a des raisonnements politiques accessibles pour rationnaliser.
Mais pour les autres ? Pour ces milliers de gens perquisitionnés au fil des années, et pour leur entourage, quel impact psychologique de cette surveillance massive proclamée haut et fort par les ministères de l’intérieur ? Quelle vie psychique, quelles conséquences sur les interactions sociales et la manière de les mener ?
On ne sait pas. Sans doute y a-t-il eu quelques publications scientifiques peu accessibles à ce « on » qui est la masse des personnes concernées. A vrai dire nous sommes seuls, c’est cela le principal sentiment particulièrement destructeur. Contrairement au discours étatique la fameuse « association de malfaiteurs » ou la “frérosphère” globale n’existe pas. La répression épuise, suscite les conflits, l’éloignement. Dans la société actuelle, où la popularité sur les réseaux sociaux est devenue l’enjeu central de la plupart des représentations de soi, l’écrasement est d’autant plus fort pour celles et ceux dont les récits ne susciteront pas de réaction.
Nous qui sommes juste des « proches » sans pouvoir, nous sommes inutiles aux nôtres et nous devenons des fardeaux pour l’entourage autre. Cela aussi, c’est un non-dit. Tout le discours sur les « mouvances islamistes » concourt à l’idée d’écosystèmes fermés et florissants. En fait, nous sommes souvent aussi, avant cela, proches de beaucoup d’autres gens. Il y ceux à qui on ne peut pas parler sinon ils vont être horrifiés, et l’impression d’être réellement coupable de quelque chose à force de le taire.
En monde militant de gauche, c’est différent : la lutte contre l’islamophobie a son prestige, des militants français veulent bien en tirer avantage et sont très heureux de rencontrer et de travailler avec des frères et des sœurs connues, si ça amène des bénéfices pour leur propre militantisme. Mais si on n’est juste personne, et qu’on n’a rien à apporter que nous-mêmes, on se retrouve très vite simplement en trop avec notre histoire, et notre état psychologique dégradé
De même on ne sait pas vraiment ce que génère psychologiquement le temps suspendu de ces phases islamophobes violentes. Par temps suspendu, il faut entendre l’arrêt brutal de l’horloge interne qui règle notre quotidien et du calendrier « normal ». A partir du moment où l’offensive a été lancée, le temps se raccourcit et se dilate en même temps.
Il se raccourcit sur des cycles éternels de 24 h où peut survenir le pire, l’arrestation d’un proche. Il se raccourcit car les annonces de perquisitions chez des inconnus rythment les journées sur les réseaux sociaux. A chaque rappel de la période qui est vécue, c’est un choc interne et les espaces entre les chocs semblent se réduire, ramenant la sensation d’écoulement du temps à un jour sans fin. Le temps se dilate en même temps car le futur réel est inaccessible. Le futur simple, dirons nous, les vacances, tel évènement personnel et familial prévu de longue date, la rentrée, les projets politiques ou autres sont en partie plongés dans un brouillard dense, après le Mur. Actuellement le ministère de l’Intérieur a décidé que ce Mur couvrait la période des JO, mais le simple fait de croire ça fait se sentir stupide.
De fait, on a beaucoup de mal à se remémorer l’ « avant » cette période. Je me souviens du moment matinal où j’ai lu la dépêche résumant le discours de Darmanin annonçant les perquisitions, un matin où j’avais beaucoup de projets jusqu’à fin août en cours : des déplacements politiques, des week end avec des amis de passage à Paris, des textes à finir. Et puis plus rien, sauf la sensation physique d’un morceau de glace sur la nuque. Ce moment me semble être arrivé dans un passé lointain et inquantifiable. De fait cela pourrait bien continuer toujours. De fait on pourrait bien avoir peur pour les siens toute la vie et ne jamais sortir de la nasse mentale
Que peuvent générer des pensées aussi morbides sur des personnes en difficultés autres, en précarité sociale par exemple ? Que se passe-t-il quand les états dépressifs deviennent tels qu’on ne peut pas aller au travail ni prendre d’arrêt maladie, car le contrat de travail est trop précaire ? Que se passe-t-il quand de surcroit, pendant plusieurs semaines, le fascisme est aux portes du pouvoir et qu’en supplément AUCUN parti politique même de gauche n’a promis la fin de cette vague de répression ?
Ces questions sont rhétoriques. Les effondrements de la personnalité sont inévitables, dans des proportions évidemment inconnues. On peut juste être certains qu’ils se produisent, car on les vit soi-même sans savoir à quoi ils vont aboutir dans quelques temps. Et certains aussi que cela ne posera pas question, même pour des personnes qui ne se vivent pas comme islamophobes, car la présomption de culpabilité prévaut dans tous les esprits dès lors que le « terrorisme » est évoqué.
Ce constat chez les personnes concernées peut créer un sentiment de résignation, de repli et de séparatisme effectif. Le séparatisme défini comme la volonté de ne plus être en contact avec un environnement brutal est un mécanisme rationnel d’autodéfense.
Comme l’est la dissimulation de sa situation, ou au contraire l’affirmation plus ostensible de son appartenance religieuse, seul moyen de retrouver une certaine assurance et de contrer la honte de soi. De même ces périodes entrainent forcément des changements de comportement et d’habitudes visibles qui vont perdurer …et qui sont très exactement dans l’imaginaire public, la marque de la « radicalisation ».
En dehors de sphères assez restreintes, l’on peut raisonnablement avancer l’hypothèse qu’il est impossible de contrer ce regard sur nous. Pour ma part, j’en ai parlé avec quelques frères et sœurs convertis récemment, précaires et isolés, donc les plus susceptibles de voir de manière « neuve » leur situation. Le constat a toujours été le même. Une hostilité dite ou une hostilité non dite qui prend au mieux la forme de l’indifférence affichée, l’injonction à redevenir la personne d’avant, non musulmane. Contrairement à l’imaginaire, absolument pas de repli communautaire, bien au contraire, un repli tout court. Une sœur m’a dit « En ce moment, je suis bien quand je dors ». Une jeune femme de 30 ans. Blanche, jolie, très vive et joyeuse selon ses dires, avant la période ouverte en octobre, alors qu’elle s’était convertie quelques mois avant, au terme d’un parcours spirituel heureux n’ayant rien à voir avec la politique, au demeurant. Notre rencontre n’avait rien à voir avec la politique non plus, j’étais au supermarché, elle a fait tomber une bouteille de jus de fruit à terre et elle pleurait, je lui ai dit que je faisais aussi tout tomber en ce moment, ensuite on a parlé . De manière significative, ensuite nous n’avons même pas échangé nos numéros de téléphone.
Alors comment en sortir ? Sans doute en comprenant que le phénomène de radicalisation ne nous touche pas, nous, mais une grande part de la société environnante, et avec des signaux extrêmement forts. Ce que nous percevons comme la normalité des non-musulmans opposée à notre délabrement psychologique est en réalité pathologique politiquement et provoqué par l’hégémonie islamophobe absolue qui règne dans ce pays.
Ce qui nous arrive est monstrueux, injuste et toutes celles et ceux qui nous le font vivre ou le tolèrent ont une grave responsabilité morale et politique. C’est très important de se le répéter et de se le répéter encore
Bien avant cette vague de perquisitions, depuis le 7 octobre, j’ai croisé dans les manifs Palestine et sur les réseaux, des personnes seules, comme moi. Ressentant une intense détresse en dehors des moments de mobilisation. Se sentant parfaitement nulles et inutiles pour la communauté, impuissantes face à un génocide tout en subissant un rejet intense du reste de leur environnement. Passant leurs nuits sur les réseaux pour se sentir appartenir à une communauté et affrontant leur entourage non musulman et surtout non concerné par toutes ces histoires politiques islamistes la journée. Ce qui m’a marquée, c’est le sentiment d’être des ratés et des ratées partagées dans des proportions quantitatives que je n’aurais pas imaginées, mais accompagné du sentiment d’être le ou la seule à être aussi minable.
Jeune, j’ai eu la chance de connaître le mouvement des chômeurs et précaires de l’hiver 97/98. Un moment où les rebuts de la société et même du monde militant de gauche, des jeunes désocialisés, des SDF, des chômeurs très longue durée se sont rassemblés et ont brusquement pris conscience d’eux même , de leur force et de leur Beauté.
En quelques semaines, toutes les nasses mentales de haine de soi ont volé en éclats malgré la domination de classe très présente, même dans les mondes militants, et surtout à gauche où le mépris se dissimule sous un faux égalitarisme.
A l’époque, j’ai eu la chance de voir des personnes se transformer et prendre conscience d’elles même, en se parlant de manière horizontale et massive.
Cela peut sembler totalement absurde et hors de propos d’évoquer cela à propos de l’”islamisme”. Ce concept cependant est une arme de destruction psychologique massive en soi. Les vagues de répression soi-disant anti-terroriste touchent indirectement des milliers et des milliers et des milliers de musulmans et de musulmanes, et pas seulement les activistes. Pour diverses raisons, nous sommes des milliers et des milliers à vivre une situation similaire à celle de mon ami que j’évoquais au début de ce texte : nous sommes des amis d’islamistes présumés et persécutés, et nous le taisons. Et en même temps, nous sommes restés nous-mêmes, en l’occurrence des gens n’ayant pas spécialement réussi dans la vie non musulmane et pas des musulmans en vue dans notre communauté. Dans notre for intérieur, tout le discours islamophobe sur la puissance islamiste crée une réalité psychologique finalement très comique dans cette période intense de persécution.
Nous voudrions bien devenir magiquement ce que décrivent les islamophobes, des islamistes. Cet imbécile de Darmanin et ses amies nous font rêver avec les portraits qu’il croient cauchemardesques On voudrait tellement être des vrais Séparatistes, au lieu de nous sentir juste nuls comme d’habitude.
Pourtant nous n’avons pas besoin d’être plaints, nous sommes nombreux.
En réalité, ce que décrit le Pouvoir existe. Nous sommes la masse qui ne pense qu’à arrêter un génocide islamophobe depuis octobre. Si le pouvoir réprime quelques centaines d’entre nous, c’est qu’il craint les centaines de milliers d’autres, qui dans leur petite vie de monsieur et madame Personne, font tout à leur modeste mesure, par petits grains de sable pour enrayer la machine génocidaire, qui ne fonctionne pas seulement avec des armes, mais aussi et surtout grâce à l’assentiment même passif . Le propre de la répression féroce et de la désapprobation sociale permanente est qu’elles créent un sentiment d’impuissance, de vulnérabilité et de faiblesse absolue, car nous la vivons de l’intérieur . La maltraitance infantile crée par exemple le même phénomène, tous les professionnels de l’enfance le savent: un enfant maltraité ne peut voir l’immense capacité de résistance dont il fait preuve sur le long terme, il ne voit que sa nullité, sa méchanceté supposée et son incapacité à susciter la moindre empathie autour de lui. Les mécanismes d’oppression de masse fonctionnent de la même manière: chaque personne qui lutte depuis des mois contre le génocide a affronté les manifestations interdites, la fatigue de la lutte, la stigmatisation sociale massive, l’islamophobie d’état, l’islamophobie ambiante dans la société française Ce n’est pas rien, c’est même immense, collectivement et nous avons tous contribué.
En réalité nous sommes l’Islamisme, le vrai, même si ce mot est celui du pouvoir et que nous sommes justes musulmans . L’islamisme est le nom que le pouvoir donne à une Force réelle, celle de toutes les petites Ames, détruites à moitié par cette période terrible mais pas totalement. Toutes ces petites Ames effroyablement arrogantes au fond, ayant décidé que nous pouvions intervenir dans le cours de l’Histoire pour faire le bien. Ne trouvera grandiloquente cette conclusion que celui qui ne croit plus en Rien, sauf à des sons et Lumières pathétiques où le Pouvoir fait tout le bruit possible pour cacher qu’il n’a rien à proposer que le Vide, en plus d’un génocide.
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( 1) Pour des données chiffrées et organisées sur cette vague de perquisitions et d’assignations à résidence on lira le travail de CAGE International , en bref d’abord pour comprendre de quoi on parle et le rapport précis sur la période JO ensuite. Mettre une source musulmane= uniquement est volontaire, car à l’heure actuelle, les chercheurs, journalistes ou activistes des droits humains musulmans sont justement criminalisés pour ces activités , et les disqualifier comme “communautaires” et donc “non objectifs” fait notamment partie du dispositif islamophobe de gauche, elles ne sont pas moins objectives que Libération ou Mediapart et de plus grande qualité, sauf quand ces médias mainstream pillent des sources musulmanes sans les citer.
(2) On notera que Loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement prévoit la mise à disposition de l’ensemble des dossiers médicaux des personnes décrétées radicalisées qui sont hospitalisées sans leur consentement , pour le préfet de leur département mais également pour l’ensemble des préfets et les services de renseignement. Dans ce cadre, l’on peut évidemment imaginer facilement que la paranoïa pour laquelle des gens vont être “soignés” de force puisse s’auto-alimenter et que le processus de soins soit légèrement compromis.
(3) A ce sujet, on notera que les dispositifs islamophobes , surveillance préventive, dissolutions, perquisitions administratives banalisés peu à peu pour les musulmans sont évidemment aujourd’hui utilisés de manière massive contre l’extrême-gauche et l’ensemble des mouvements d’opposition au régime, dans des proportions assez inédites depuis des décennies. La vie d’une ou d’une jeune gauchiste ou antifasciste conséquent n’a rien à voir avec celle de son équivalent dans les années 90 ou 2000. A cette époque, l’islamophobie d’état était déjà en plein développement, mais semblait un monde séparé et lointain. La comparaison entre la situation actuelle et les années de plomb italiennes est objectivement justifiée, mais ce n’est pas une attaque initiale contre la gauche radicale ou des mouvements de classe qui a généré l’état d’exception en pleine extension, mais la dite politique mondiale de la guerre contre le terrorisme lancée dans les années 2000
(4 ) La déshumanisation islamophobe crée un imaginaire étrange, où “islamiste” est une essence absolue, une créature démoniaque et quasiment surnaturelle qui n’a pas besoin de manger, ne vit ni la crise des loyers dans les grandes villes , ni la diminution de son pouvoir d’achat, ou la réforme des retraites. L’état français naturellement n’a pas ce genre de superstitions et une des mesures les plus répandues accompagnant les perquisitions ou utilisée en soi est le blocage immédiat des comptes bancaires personnels, pour “vérification” . Des années de ce genre de mesures mais aussi de “formations à la laïcité et contre la radicalisation ” aimablement proposées aux banques ont amené à des refus d’ouverture de compte par exemple pour des librairies musulmanes , pour des activistes ou des établissements musulmans. C’est un sujet dont il est peu question, tant le complotisme islamophobe généralisé valide l’idée selon laquelle l’argent étranger coule à flots chez l’Ennemi Intérieur.
04.07.2024 à 21:46
Nadia Meziane
Cher compatriote.
Je t’écris en espérant que les larmes de peur dominantes sur les réseaux sociaux n’étoufferont pas ma voix et que tu recevras cette lettre.
Car c’est à moi que tu parles depuis longtemps, et pas à la gauche, et c’est toujours elle qui répond à ma place.
Je t’écris pour te dire que j’ai toujours vécu comme ta cible idéale et que je n’ai plus peur de toi.
Je suis la petite fille que tu as traité de sale arabe à six ans , en jouissant d’être un petit bonhomme de 10 ans enfin Roi du Mal , et d’avoir repéré celle qui ne savait pas qu’elle était arabe et qui se prenait pour toi. Je suis la petite fille de onze ans et tu me crachais dans les cheveux et une prof d’allemand te soutenait discrètement en me mettant des 3 alors que je méritais un 15, mais je ne le savais pas, je l’ai su quand mon petit frère a été martyrisé par cette même femme, mais lui s’est défendu. Je suis la gamine de 14 ans que tu as giflée en plein cours de sport parce qu’elle avait le vertige et ensuite, j’ai eu mon bac avec mention mais avec 0 en sport parce que je ne suis jamais retournée en cours d’EPS, phobie des profs de sport, et des racistes potentiels. Et je ne sais toujours pas courir vite, quand tu me repères, parce que tu sens les bougnoulettes en stress, et bien je reste là et j’attends les coups. Je suis pas morte, néanmoins.
Tu as détruit ma vie, mec, tu as eu raison de t’accrocher depuis ces années 90 ou tu galérais à coller des affiches avec dessus le tortionnaire de mes ancêtres. Tu as eu raison de continuer, parce que tu savais. Que tu étais juste un lâche, un minable et un sale con, mais que tu serais aidé dans ta longue marche vers moi.
On le sait toi et moi, comment tu as eu la victoire. Ce n’est pas toi, c’est les autres. Ceux de gauche. Qui n’avaient plus de rêve, plus d’utopie à vendre depuis 81. Qui ont dit « Non, le droit de vote des immigrés, on ne va pas le faire, on est français, quand même ». Quand on dit non à l’Un, c’est pour dire oui à un Autre, t’es pas féministe, tu le sais , sale porc fasciste.
L’Autre, c’était toi. Tu les as regardés tellement de fois te faire les yeux doux en me crachant dessus. Lois racistes, lois islamophobes, réponse polie à toutes tes questions de merde, par hasard, cette petite fille en hijab ne serait-elle pas l’ennemi à abattre ? Toi tu savais à partir de 2004, ce que valaient leurs réponses embarrassées « Oui OK, tu as raison, mais néanmoins, nous on aime la petite beurette, celle qui ne le porte pas ». La petite beurette, bien que naïve, était un peu dubitative devant cet amour bizarre, ce besoin de caresser les cheveux des gens comme à un petit animal, normalement les gens civilisés ne font pas cela.
Toi tu es un homme fidèle dans ta haine. Tu as continué à prendre de haut la gauche, à refuser de payer leurs cadeaux, tu as continué à voter RN. Tu as dit à ton voisin qui hésitait, regarde, quand on ne vote pas pour les autres , ils nous lèchent les bottes, de plus en plus fort, de mieux en mieux.
Tu as eu raison. Néanmoins tu n’auras existé que par moi. Ton seul pouvoir sur ta vie aura été de me faire mal.
Et commence pas à essayer de monter sur tes grands chevaux de Templier à la noix, on se connaît , on a grandi ensemble. T’as rien, t’as pas d’identité, on était les Enfants du Vide Américain, notre identité, c’est Gremlins, Ca, et les romans de Stephen King. Et non t’es pas le Clown ,déso c’est moi, c’est un mec bien , il tue pas les gosses en vrai, il les emmène en sécurité loin du Cauchemar Américain. Et je t’attends dans les égouts, tranquillement, mon oncle était éboueur et communiste, on a l’habitude de l’odeur , c’est toujours moins dégueu que le bruit de ta voix .
En attendant t’es là comme un con à partager des visuels avec des sangliers AOC et puis après tu fais comme moi, tu comptes ta monnaie pour acheter de la viande aux hormones à LIDL et puis voilà. Tu mates le foot avec de la mauvaise bière pendant que je regarde The Ring avec des bonbons chimiques. On va arrêter avec l’identité, y’aurait pas eu internet, toi et moi on aurait été des paumés de la vie post-moderne et voilà.
Ta seule identité, c’est ma mort et celle des miens. Depuis petit. Tu es un faible et c’est seulement quand j’ai mal que tu es bien, et fais pas ton incel, me dis pas que je suis castratrice, je pense la même chose de ta femme. Juste elle, depuis Marine, et toutes ces conneries de féminisme universaliste, elle a compris qu’elle pouvait en plus passer pour une victime quand mes Frères ne lui font pas la bise, hou les vilains. Toi ça te fait un peu suer, cet argumentaire, parce que si cette salope fait la bise à un arabe, tu lui apprends la vie après, pas vrai ?
Enfin ça c’était avant. Le revers de la victoire, c’est qu’encore une fois , c’est le petit mec blanc de base qui doit faire des sacrifices. Tu as du effacer ton tatouage SS sur ton bras, tu dois plus dire des trucs sur la dernière voiture de ton voisin juif et comment il l’a eue avec le complot mondial, tu dois accepter que des camarades gays te disent « Bon , il va falloir laisser pousser tes cheveux, Laurent, c’est pour la com de la section, Marine vient la semaine pro , je veux pas de gauchiasses qui encerclent ta tête sur la photo ». Et tu dois être féministe, alors que Marine t’a émasculé bien gentiment quand même, en tuant son père.
Enfin voilà, je voulais te répéter que je n’ai pas peur de toi, car toute ta vie tu n’as eu que moi, depuis le jour où tu as été si heureux après avoir fait pleurer une petite fille dont le grand-père algérien venait de mourir trois semaines avant et je ne savais pas comment le défendre. La faute de la gauche encore, mon grand père était un résistant du FLN et ils en avaient fait un travailleur immigré à soutenir du bout des lèvres sans jamais lui donner une once de pouvoir politique.
Mais toi, qu’est ce que le RN a fait de toi ? Tu le perçois vaguement, maintenant que le moment de me tuer vraiment approche. Cette inquiétude vague, quand je serais morte, qui verras tu dans ton miroir ?
Un raté intégral. Avec sa salle de bains à crédit et ta femme qui se fait un peu trop belle dedans, ces temps-ci, depuis que tu bois trop pour oublier les vacances que tu peux plus payer au petit. Ta vie, c’est pas une pastille de Vichy, c’est ce pavillon cheap que tu as payé pour pas rester en cité avec moi, et maintenant quoi ? Tu peux pas aller chez Maisons du Monde, du coup on se voit tous les samedis à Aktion. Et puis après une pandémie, le cancer de ton meilleur pote à quarante cinq piges, et les bulbes de tulipe qui pourrissent en terre ou sèchent sur pied dans la jardinière de ta cuisine, parfois tu te réveilles et tu as peur de l’Apocalypse. Mais comme le christianisme pour toi, ça se résume à faire ENCORE un crédit pour payer le barbecue géant après le mariage de ta fille, tu trouves pas de réconfort dans la Bible.
Réconfort nulle part, sauf dans la ratonnade. C’est peu. Ça ne remplit pas une vie.
D’autant que tu la feras par délégation , sauf si t’es flic, ou un suicidaire suprémaciste mais Brenton Tarrant avait pas de pavillon et il était pas alcoolique. Et encore, même si t’es flic, ce sera pas non plus le Grand Soir, on te dira quel arabe tuer et évidemment pas ton voisin, qui t’énerve parce que son fils est You Tubeur à Dubaï alors que le tien est prof et sa femme veut plus te voir depuis Noel ou tu as dit que perso tu voudrais pas de Judith Godrèche, même en levrette, alors ces histoires d’agression ….
Tant pis pour toi. Tu sais, minable , avant je pensais que t’étais mon Frère. Un prolétaire. Un homme puissant qui pouvait changer le monde et aider les petites filles arabes. Je n’étais pas bête, j’ai grandi sous la gauche bourgeoise, j’ai bien vu qu’elle changeait la vie que dalle. Que toi et moi, on était toujours des gamins tristes et perdus dans un monde moche. Nos parents n’ont jamais rien vu des promesses de 81, on a grandi dans la trahison au quotidien, elle avait la couleur de tous les sodas américains que nos parents ne pouvaient pas acheter. Mais moi, faux Frère, je me souvenais de ton passé, du mouvement ouvrier, de la masse blanche qui fait trembler les puissants, je ne t’ai jamais méprisé, je te trouvais beau même sans fric , justement sans fric. Je voyais cela en toi, je ne comprenais pas pourquoi tu voulais me tuer, alors qu’on avait juste à se dire que les bourgeois étaient moches et nous les Rois.
Je me trompais, je me croyais française. J’ai failli sombrer avec toi. Qui as continué à faire semblant de te croire Français , même quand ta France à toi, c’est un entrepôt rectangulaire avec des choses moches que tu crèves de pas pouvoir te payer, et quand tu m’auras tuée, tu seras juste français comme ça.
Alors oui, la gauche t’a choisi depuis trente ans et pas moi. Tu as été l’électeur de rêve, celui pour qui elle a abandonné toutes ses valeurs jusqu’à ce que Marine Le Pen n’ait plus tellement besoin de passer à la télé pour que Bardella gagne. Il suffisait de laisser parler Ségolène et puis Manuel, et puis Fabien et de dire à Jordan d’attendre un peu parce que franchement il parle mal.
Mais tu as un vrai malaise ces dernières années. Tu te regardes dans la glace et puis tu regardes toutes ces personnes magnifiques, courageuses, habitées, collectives, animées d’une énergie incompréhensible. Les musulmans et les musulmanes, oui. Un vrai problème.
Que se passe-t-il ? Qu’est-il arrivé à tes cibles ? Ce n’est pas normal, moi j’avais pas choisi d’être ta cible, la petite fille avait juste un nom arabe. Mais là, il se passe un truc, on dirait que nous sommes des millions à vouloir qu’on nous tue, plus on nous menace et plus on montre qu’on existe au lieu d’aller se cacher sous la table de la gauche et de dire « Non mais on est JUSTE des victimes innocentes du racisme ».
Ça fait dix ans que tu es obligé de te « dédiaboliser » alors que ta seule fierté, ta seule identité, c’était le fascisme originel, celui qui avait exterminé les Juifs et flingué des colonisés par millions. Dix ans que tu n’as plus le droit d’être Maurice Papon publiquement. Dix ans que tu es obligé de faire ta victime, et toi franchement, être défendu par Serge Klarsefeld, tu le vis moyennement bien.
Et pendant ce temps, nous on devient nous-même, musulmans et fiers. Et on s’en fiche que la gauche nous ait dit d’arrêter de le montrer sinon elle ne soutient pas. Chose que tu ne comprends pas, normalement dans ton récit, elle aide au Grand Remplacement, elle brandit le drapeau palestinien, et c’est foutu pour toi et les tiens, le complot frériste , tout ça. Non, elle appelle à voter Darmanin pour faire front républicain. Cherche pas à comprendre, elle a peur de toi, vraiment, pas parce que tu vas nous tuer, mais parce qu’elle veut absolument du pouvoir à l’Assemblée, pour elle-même.
Moi je n’ai pas peur. Je suis ravagée de chagrin pour le mal que tu vas faire aux miens.
C’est difficile à comprendre pour toi, car tu n’as pas de liens forts, pas de communauté, tu votes pareil que ton voisin RN, mais tu ne peux pas l’encadrer, s’il a acheté un barbecue plus cher que le tien, tu es persuadé que c’est juste pour te le montrer. Tu fais semblant d’être ému quand un gosse se fait tuer dans une bagarre, mais tu traites de sales tox les petits français qui se défoncent la tête avec des saletés de synthèse pour oublier à quel point leur père est un déchet qui se prend pour un Héros quand il vote RN. Même pas tu leur donnes une pièce.
Moi j’ai du chagrin pour les gamins. Et même pour les tiens, un père pareil, quelle misère.
Mais je n’ai pas peur. Car à force de me taper sur la tête, toute ma vie de beurette, tu m’as redonné la mémoire. Je ne suis pas Toi, et c’est la meilleure nouvelle qui soit, je suis musulmane. Nous n’avons pas besoin d’être plaints, nous sommes nombreux.
Et tu sais ce qui se passera après les ratonnades ? En fait c’est dans le vieux conte que tu as oublié parce que Disney ne l’a pas adapté, , t’as pas d’identité, je te dis, et moi je te l’ai même volée. C’est l’histoire d’un jeune homme étranger qui vient nettoyer les rues d’une ville envahie par les rats, parce que les gens sont sales et paresseux dans cette ville-là. Et ils sont méchants et ingrats aussi, alors ils l’insultent et le chassent une fois qu’il a fait le travail d’arabe. Et ils restent dans leur crasse. Puis un jour le jeune homme revient, il joue un air ancien et tous les beaux enfants des gens sales le suivent et disparaissent à jamais. Dis au revoir aux tiens, pendant qu’il en est encore temps, ils ne sont déjà plus là le samedi, ils ont une manif Palestine.
26.03.2024 à 13:18
Nadia Meziane
« Il fallait le faire ». C’est la phrase par laquelle Jean-Jacques Bourdin introduit avec un ton admiratif l’épopée présumée courageuse d’un journaliste de l’Express sur Sud Radio. Celui-ci ne revient pas de Gaza sous les bombes. Il a simplement pris le métro et le RER pour visiter deux librairies musulmanes, à Aubervilliers et à Argenteuil. L’épopée a consisté à pousser la porte de deux commerces en accès libre, à feuilleter les livres, à parler avec quelques clients puis à rentrer chez lui. On peut lui accorder qu’en cette période de travaux liés aux J0 sur le réseau de transports en commun, le voyage ait pu être fastidieux, nous l’éprouvons tous les matins en allant travailler.
A part cela, la phrase de Jean Jacques Bourdin relève de la mise en scène obligatoire du séparatisme présumé des musulmans lorsqu’il s’agit de réprimer. Une pure inversion accusatoire qui fonctionne socialement. En écoutant Sud Radio, toute personne non musulmane et éloignée de la communauté en déduira qu’il est interdit et dangereux d’entrer dans une librairie islamique (1). Elle n’ira donc jamais pousser la porte et restera persuadée que ce sont les musulmans qui créent cette situation. La réalité est évidemment toute autre et inversée, c’est la peur d’entrer en contact avec les musulmans qui génère leur isolement dans la société française et permet leur persécution.
Depuis plusieurs semaines, en effet, aux attaques contre les écoles, collèges et lycées musulmans, à celles contre les mouvements de solidarité avec la Palestine, s’ajoutent désormais celles contre les librairies musulmanes.Comme souvent, tout a commencé par un ballon d’essai répressif local contre un commerce de Nice qui vend des livres mais également des vêtements. Le préfet des Alpes Maritimes a décidé d’une fermeture administrative qu’il a immédiatement médiatisée. Il arguait pour justifier son interdiction de la vente des écrits d’un imam du 14ème siècle, lequel n’était ni féministe ni pro LGBTQI +. Chose tout à fait répandue à l’époque, on en conviendra, et que l’on retrouve dans de nombreux ouvrages musulmans ou non, vendus aujourd’hui dans toutes les librairies. L’arrêté de fermeture a été suspendu par la justice administrative , La Préfecture a immédiatement fait appel (2). Dans le même temps, la médiatisation donnait la possibilité à Christian Estrosi maire de Nice d’ajouter des griefs supplémentaires : la fréquentation en hausse de la librairie, le fait que ce soient des jeunes qui s’y rendent et le fait qu’elle soit en centre-ville.
On ne saurait mieux formuler les choses concernant le problème posé par les librairies musulmanes au gouvernement et à ses organes administratifs : elles vivent, elles sont animées et le public qui les aime est jeune. Et visiblement musulman, puisqu’Estrosi parlera également des abayas et des hijab qui y sont vendus.
Mais ce problème posé par les librairies est évidemment aussi celui posé par la communauté musulmane tout entière, dont la vitalité grandissante signe l’échec de la brutalité répressive déployée ces dernières années et institutionnalisée au travers de la loi Séparatisme comme de l’inscription des principales règles de l’état d’urgence dans le droit commun.
Contrairement à ce qui a été dit lors du dévoilement de quelques enrichissements personnels au travers du Fond Marianne, l’argent public n’a pas été mal employé, les structures du Ministère et leurs affidés associatifs n’ont pas démérité. A aucun moment, il ne s’agissait en effet de défendre des principes démocratiques, ou la conception idéale d’une République fantasmée comme bienveillante et protectrice envers ses minorités. C’est la traque de toute expression autonome musulmane qui était visée, et la tentative de soumettre en faisant des exemples qui était l’objectif . De fait le fond Marianne a permis à des chasseurs de prime de viser des individus, des associations précises, de les harceler sur les réseaux, de permettre la ruine de leurs projets, et surtout de banaliser l’idée qu’un cordon sanitaire devait être établi autour des structures musulmanes, mais aussi des musulmans eux même, notamment les activistes (3).
Car sans ce cordon, il était fort possible de se trouver qualifié très vite d’islamo-gauchiste, d’être mis en cause si l’on était élu, menacé dans son travail si l’on était chercheur, stigmatisé si l’on était défenseur des droits humains et privé de subvention si l’on avait une association non musulmane qui ose parler contre l’islamophobie ou travailler avec des musulmans trop visibles.
Cependant ni le cordon sanitaire, ni la répression, ni les dissolutions n’ont eu l’effet escompté. D’une part parce que l’atmosphère de terreur a certes paralysé mais elle a aussi mis en lumière au cœur des silences sidérés du début des années 2020, ceux qui ne se taisaient pas. Ceux qui étaient déjà dans le collimateur, ceux qui étaient déjà les plus activistes et contestataires dans la communauté, quelles que soient leurs traditions originelles. A partir de la dissolution du CCIF ,la lutte contre l’islamophobie va appartenir pendant quelques temps seulement à ceux qui veulent encore la mener, ce dont témoignera par exemple la disparité des intervenants et intervenantes lors du rassemblement parisien contre l’expulsion d’Hassan Iquioussen (3).
C’est ce substrat là qui va nourrir une jeunesse arrivée en politique en étant à la fois très musulmane mais aussi très affirmée et revendicative, parce que bénéficiant des apports des luttes qui vont suivre l’enfermement de toute une génération pendant la pandémie .
Comme tout le reste de la jeunesse en lutte, la jeune génération musulmane a une caractéristique : les débats des générations plus anciennes ne la touchent pas, et elle existe sans se justifier de le faire, et en étant dans l’attitude inverse, l’exigence de justification formulée au pouvoir et à ses soutiens. La jeunesse écologiste radicale ne se justifie pas devant les grands industriels pollueurs elle attaque. La jeunesse musulmane ne répond pas à la morale des laïcistes, elle l’affronte comme entrave à son droit d’exister comme elle est, partout où elle est.
Le mouvement de solidarité avec la Palestine né immédiatement après le 7 octobre a rendu visible cette révolution générationnelle. Le gouvernement et les islamophobes ont pensé que l’interdiction des manifestations, la pression sur les mosquées mais aussi sur les associations et collectifs existants suffirait à dissuader la majorité de descendre dans la rue. Mais les moins de 25 ans étaient déjà accoutumés aux manifs interdites et ils n’avaient pas de subventions ou de structures à préserver. Ce sont donc eux et elles qui ont porté massivement le mouvement dans ses débuts, protégé de fait les organisations musulmanes qui ont appelé à manifester d’un écrasement immédiat, et fait exploser le carcan de terreur pratique et idéologique. Quand il n’y a rien à dissoudre, les menaces de dissolution tombent dans le vide ou plutôt au milieu d’une foule qui en est au tout début de la construction de nouvelles structures, et ne pense encore que par le mouvement. Cette réalité s’était évidemment également manifestée lors des émeutes qui ont suivi la mort de Nahel. Même la répression aveugle et féroce n’a pas empêché l’émergence à peine trois mois plus tard du mouvement contre l’extension de la loi de 2004, extension défensive née à la suite d’une rébellion organisée par de très jeunes filles sur les réseaux sociaux , de manière volatile et incontrôlée, dès l’année scolaire précédente.
C’est dans ce contexte qu’il faut inscrire la nouvelle stratégie du CIPDR et de ses affiliés idéologiques : un contexte réactif qui ne relève pas de la persécution unilatérale mais de l’émergence d’un rapport de forces inédit dont l’état est parfaitement conscient. En témoigne symboliquement l’évolution de la porte-parole intellectuelle du Ministère , Florence Bergeaud : longtemps acharnée à dénoncer des « réseaux » travaillant de l’intérieur une communauté musulmane faible, soumise à toutes les influences néfastes mais encore sauvable si l’on détruisait les vecteurs de dangers en son sein , elle finit par proclamer , qu’à l’heure actuelle tous les musulmans deviennent de fait des Frères Musulmans, terme par lequel elle nomme non pas une organisation existante , mais l’objet fictif de son narratif islamophobe.
Cette évolution est également celle du CIPDR qui dans un des premiers tweets consécutifs à la nomination d’un nouveau préfet, mettra immédiatement en avant un nouveau concept, visant à remplacer celui de réseaux : les « écosystèmes islamistes »(5).
La définition la plus simple d’un écosystème est la suivante : il s’agit d’un ensemble d’être vivants qui vivent au sein d’un milieu ou d’un environnement spécifique et interagissent entre eux au sein de ce milieu et avec ce milieu.
Elle suffit amplement pour comprendre ce qui se produit actuellement, et notamment l’offensive qui démarre contre les librairies musulmanes.
Face à l’essor d’une communauté vécue comme antagoniste , il y a toujours deux voies pour l’adversaire politique : la première consiste à tenter de contrôler, de négocier des accommodements raisonnables , de permettre l’émergence de leaders et de structures qui souhaitent s’engager dans une co-construction tenant compte des volontés étatiques. Ce fut notamment la stratégie engagée au milieu des années 2000 lorsque la droite classique française décida de choisir ses interlocuteurs au sein des communautés musulmanes, en pensant que l’alliance des conservatismes pouvait être un facteur de renforcement de la stabilité du pays, notamment par rapport aux mouvements sociaux et sociétaux plutôt antagonistes au libéralisme dans lesquels évoluaient les mouvements de l’immigration musulmane axés sur la lutte sociale et antiraciste.
La seconde qui est évidemment celle choisie dans le contexte de l’islamophobie d’état comme pilier de la conservation du pouvoir face à la possibilité de sa conquête par le RN , est celle de la destruction systématique de tous les éléments qui peuvent entraîner des sociabilités positives et permettre aux énergies créatrices d’une nouvelle génération de s’épanouir dans la durée.
Ceci passe d’abord par des messages clairs sur la non-reconnaissance absolue de toute représentation musulmane avec qui négocier. C’est la raison pour laquelle l’état choisit de s’attaquer à des figures aussi intégrées dans le champ politique et religieux français qu’Hassan Iquioussen ou le lycée Averroès. Ou à des personnalités comme Ahmed Jaballah qui ont été des piliers dans les années 2000 et 2010. Cela va de concert avec les offensives menées contre ceux de l’immigration musulmane qui incarnaient les seules possibilités de réussite sociale brillante en France, notamment les sportifs ou les influenceurs comme Nabil Enasri. Ce message là est principalement adressé à l’électorat raciste et vise à dissiper les ambiguïtés : il s’agit bien de destruction intégrale des élites et de construire un modèle français ou il faudra soit abandonner l’islam soit le faire tellement discret que cela reviendra à s’anéantir soi-même.
C’est aussi à cet électorat là que s’adresse la banalisation progressive de la déchéance de nationalité, qui suit celle du régime des dissolutions. On l’applique d’abord à des jeunes condamnés pour des infractions terroristes (6) ou des personnalités marquées par un passé indéfendable à gauche comme Kemi Seba (7). Mais le message électoral délivré aux électeurs du RN est clair : la nationalité française ne protège plus les fameux « français de papier » dont on fera au besoin des apatrides en arguant de leur possibilité imaginaire de demander une autre nationalité.
Ces messages et ces pratiques visent à faire évoluer profondément le récit islamophobe qui s’était construit dans une phase moins offensive sur la distinction entre « islamistes » et « musulmans » : il s’agit de le faire correspondre au désir des français convaincus par le récit conspirationniste éradicateur du Grand Remplacement, où toutes les figures possibles du Musulman incarnent un seul et même danger absolu.
Dans le même temps, ces actions marquantes mais symboliques se doublent d’un projet sur le long terme, beaucoup plus massif : frapper le biotope en même temps que la biocénose
C’est dans ce cadre que s’inscrit l’offensive qui commence contre les librairies musulmanes : les mosquées font déjà l’objet d’un contrôle tel de l’expression des imams qu’elles ne sont pas le lieu possible d’une socialisation qui intègre les luttes du moment contre l’islamophobie. Sommés de suivre une charte même dans leurs prêches, bientôt astreints à un statut encore plus infériorisant, les imams sont l’objet d’une telle pression permanente que le moindre de leurs propos peut donner lieu à la stigmatisation sociale ET à la répression. De la même manière, ceux qui sont appelés « prédicateurs » ont certes la possibilité de faire leurs prêches sur les réseaux mais voient leurs réunions interdites.
Les librairies et plus globalement les commerces à tonalité religieuse sont donc par nature un des espaces où la vie musulmane peut s’exercer, en dehors des temps de lutte et de mobilisation politique. Elles sont un espace de diffusion, de rencontre, mais aussi pour celles et ceux, nombreux et nombreuses qui reviennent à l’islam, un lieu plus facile d’accès que bien d’autres, où il est possible de venir comme on est. Contrairement aux racontars islamophobes, ce sont effet des lieux ouverts et accueillants pour la plupart. Leur essor correspond aussi à celui des maisons d’édition musulmane et répond à la fois à une demande de savoir spirituel, historique et politique mais aussi au besoin d’écrire et de publier librement. Le développement de toute communauté passe par sa forme propre d’expression culturelle : or l’islamophobie structurelle contraint l’essayiste, le romancier ou le dessinateur à s’amputer de sa créativité dès lors qu’elle revêt une dimension trop religieuse pour les maisons d’édition française.
C’est cette créativité interdite d’existence dans le champ majoritaire qui panique les islamophobes : en témoignent les derniers reportages sur les librairies, où l’on fait la liste de tout ce qu’on peut y trouver. Des BD, des albums pour les enfants , tout autant que des imams du 14ème siècle. Soit un islam vivant, fertile et multiple. Chaque librairie est effectivement un écosystème florissant. A terme, évidemment , il permettra l’émergence non plus seulement d’une sociabilité réactive contre l’islamophobie mais d’une génération éduquée, consciente et épanouie librement dans la Foi qu’elle a choisie, dotée de l’autonomie nécessaire pour se construire dans la société qui l’entoure.
Soit très exactement le pire cauchemar islamophobe qui soit. Nous sommes face à un pouvoir qui pense pouvoir contrôler et utiliser le désespoir et la violence éventuelles. C’est son pari envers tous les antagonismes qu’il peut susciter et pas seulement contre les musulmans. Mais dans ce dernier cas, l’on n’est pas face seulement à une gestion impitoyable de chaque résistance qui émerge, au coup par coup mais dans une offensive qui est existentielle Le nationalisme français actuel ne tire sa force que de son jeu de miroir avec l’islam à éradiquer. La politique de la déforestation et de la terre brûlée est donc pensée, organisée et assumée. Et ce évidemment aussi parce qu’elle correspond au désir d’une partie de la population : les jeunes écologistes soumis eux aussi à la répression et la stigmatisation sous couvert d’anti-terrorisme restent les enfants du pays dans l’imaginaire collectif majoritaire, et le pouvoir macroniste se revendique d’ailleurs dépositaire d’une écologie raisonnable et de la même famille, finalement, que les activistes radicaux.
A part les musulmans, personne ne s’identifie aux musulmans dans la population française vieillissante. Seules les jeunes générations qui n’ont pas encore accédé au pouvoir se mêlent sans souci, en acceptant réciproquement leurs différences. C’est cet avenir qui est en germe dans les luttes actuelles. Mais seulement en germe.
Et l’objectif islamophobe est bien de profiter du temps qui reste pour stériliser la terre d’où peut surgir une communauté musulmane régénérée.
Elle a les outils pour le faire, une pratique bien rodée du désherbage : d’abord s’attaquer localement et visiblement à quelques structures puis banaliser la chose et agir de manière massive. C’est ce qui a été fait pour les écoles, lycées et collèges. L’attaque contre le lycée Averroès n’est pas un début mais la fin d’un processus qui a commencé avec les fermetures massives d’écoles hors contrat qui n’ont pas été défendues, ou très minoritairement.
C’est ce qui va se passer pour les librairies. Le ballon d’essai local a été lancé, l’offensive médiatique également. Et comme à l’accoutumée, la peur joue à plein et dans les deux sens. Du côté des non-musulmans, il a suffi d’accoler le terme « islamiste » à librairie, comme cela a été fait pour « maison d’édition « avec Nawa pour qu’aucun auteur ou autrice, aucun acteur ou actrice du monde de la culture ne se demande comment il était possible que du jour au lendemain, on ferme des lieux et des producteurs de culture. Même un site comme Actualitté qui en son temps a pris la défense et donné la parole à des maisons d’extrême droite comme Ring a tranquillement recensé la fermeture de la librairie IQRA sans parler à aucun moment de la liberté d’expression, de création ou de pensée. Du côté des cibles, la crainte est grande aussi : la plupart sont accoutumées à la stigmatisation et à l’injustice dans l’indifférence générale. A partir de 2015, des libraires ont été perquisitionnées puis soumis à un régime de visites de contrôle permanent, de refus d’ouverture de comptes bancaires et de stigmatisation médiatique régulières. Dans ce contexte, se mobiliser, parler exige de pouvoir espérer une solidarité communautaire réelle et soutenue.
Il nous appartient de la faire vivre pour que l’avenir apporte à la génération montante le savoir dont elle a besoin pour ne pas sombrer dans l’anomie, et le désespoir nihiliste qui peut saisir tous les mouvements de jeunesse confrontés à une répression violente et à un mur sans portes.
Notes
(1) Afin de ne pas faire perdre de temps aux lecteurs qui gardent une foi inébranlable en l’humanité et penseraient apprendre quelque chose d’intéressant en écoutant Sud Radio ,précisons que le propos sur les librairies Al Bayyinah d’Argenteuil et La Maison d’Ennour à Aubervilliers commence seulement à la 5ème minute, tout le début étant consacré à la condamnation rituelle et impérative du Hamas et des acteurs du soutien à la Palestine en France, sans laquelle aucune personne ayant au moins un grand parent musulman ne peut évidemment être autorisée à s’exprimer tranquillement dans la plupart des média. Ensuite, deux autres minutes sont consacrées au port du hijab et de la abaya, signe de la manipulation des femmes par le complot des Frères Musulmans, ce qui laisse environ trois minutes au reporter de guerre intérieure pour nous apprendre que les librairies islamiques vendent des livres musulmans. Comme il n’est pas précisé que ces librairies ont également des sites internet ( oh pauvre France) les voici pour celles et ceux qui voudraient découvrir un univers plus riche en vocabulaire que l’émission de Jean-Jacques Bourdin mais habitent un peu loin.
(2) On ne se réjouira pas outre mesure de la décision du tribunal administratif, même si elle est confirmée en appel. En effet, le tribunal a statué en prenant acte du retrait de certains livres, ce qui valide le droit de la Préfecture de contrôler les ouvrages vendus dans les librairies musulmanes quand bien même ceux-ci ne sont pas interdits à la vente.
(3) A l’époque, cette diversité avait été notée par la presse islamophobe qui avait éprouvé le besoin de venir en masse assister à ce rassemblement , tout simplement parce qu’il lui apparaissait invraisemblable qu’il puisse avoir lieu alors même que son sujet, l’expulsion d’un imam qui défendait pourtant un rapport non-militant à la société était déjà considéré comme trop virulent. Comme souvent, l’extrême-droite et notamment Valeurs Actuelles avaient pressenti l’échec de la répression dans cette solidarité inattendue et activiste qui prenait justement la forme d’un inventaire à la Prévert , ou autrement dit d’un front commun en constitution qui cherchait son Nom
(3)
“Au vu de la nature même de cette institution, il était peu probable que sa gestion soit synonyme d’honnêteté. Il était, au fond, parfaitement prévisible qu’un “native informant” à l’islamophobie débridée comme Mohammed Sifaoui (ayant appelé, rappelons le, à combattre militairement 20% des musulmans de la planète) soit perçu comme une “caution scientifique” par le secrétaire Gravel. Il est ainsi décisif de ne pas personnaliser les pratiques de cette institution. Ne nous trompons pas de combat. Qui que soit son secrétaire, ses membres ou ses collaborateurs, c’est l’existence même d’une telle institution qui est ici le véritable scandale d’Etat.
Il est tout à fait typique du paysage médiatique et politique français qu’à aucun instant la question de l’islamophobie gouvernementale n’ait été sérieusement posée. Ce silence, volontaire ou inconscient, témoigne d’une islamophobie tellement profonde que ses expressions les plus évidentes ne sont plus questionnées. La voix de la communauté musulmane doit pleinement exprimer la réalité crue de l’injustice à laquelle elle est confrontée depuis trop longtemps. [..] Il s’agit d’exiger l’abolition du CIPDR et de l’ensemble de la gouvernance islamophobe française comprenant la loi de 2004 sur les signes religieux, la loi de 2010 sur l’interdiction du niqab, les lois contre-terroristes d’exception et la loi « Séparatisme » confortant les principes républicains.”
Rayan Freschi Fonds Marianne : pour l’abolition du CIPDR et de l’ensemble de la gouvernance islamophobe française
(4) A l’époque, cette diversité avait été notée par la presse islamophobe qui avait éprouvé le besoin de venir en masse assister à ce rassemblement , tout simplement parce qu’il lui apparaissait invraisemblable qu’il puisse avoir lieu alors même que son sujet, l’expulsion d’un imam qui défendait pourtant un rapport non-militant à la société était déjà considéré comme trop virulent. Comme souvent, l’extrême-droite et notamment Valeurs Actuelles avaient pressenti l’échec de la répression dans cette solidarité inattendue et activiste qui prenait justement la forme d’un inventaire à la Prévert , ou autrement dit d’un front commun en constitution qui cherchait son Nom
(5) Depuis ce tweet, le CIPDR s’est effectivement attaché à co-construire les nouvelles perspectives d’entrave en organisant des séances de formation géantes avec divers services publics , de la CAF au Trésor Public en passant par l’hôpital . Il s’agit manifestement de mobiliser bien au delà des forces de sécurité . En ces temps de destruction globale des tâches initiales des services publics, il s’agit de faire comprendre aux personnels que la croisade peut aisément remplacer la satisfaction de l’intérêt général comme horizon mobilisateur du quotidien de fonctionnaires dont le statut tombe en miettes par ailleurs.
(6) Sur les sujets de la banalisation de la déchéance de nationalité, on pourra , si la deshumanisation n’a pas éteint en nous tout questionnement intellectuel sur une chose qui en 2015 encore pouvait scandaliser, s’intéresser au réel , c’est à dire le commencement de la fabrication d’apatrides administratifs et concrets. On lira par exemple cet entretien précieux , parce qu’il pose au delà de la situation présente et de la réaction à l’oppression, tant Karim Mohamed Aggad est banalement nous même à bien des égards , c’est à dire français malgré La France et lui-même, entre autres choses.
“Est-ce que tu parles l’arabe marocain ? La Darija?
Non, je ne parle pas le marocain malheureusement. D’ailleurs, j’en ai voulu à mes parents par rapport à cette question. Car je n’ai pas eu cette chance de pouvoir parler les dialectes marocain et algérien. On nous a parlé de temps en temps en arabe dans la famille, mais c’était surtout le français. Pourquoi ? Parce que mes parents envisageaient pour leurs enfants un avenir ici en France et non pas au Maroc ou en Algérie. Il y avait une certaine crainte à cette période des années 1990 avec le climat général en France : c’était « l’envie de vouloir bien faire les choses » et s’assimiler d’une manière « normale ». ”
(7) Concernant Kemi Seba et dans la mesure où Lignes de Crêtes a consacré beaucoup d’encre peu élogieuse à ce personnage, il faut d’abord évidemment dire que rien ne justifie une déchéance de nationalité et que cette sanction exige la réaction la plus intransigeante qui soit. Ajoutons ensuite que son motif ” propos anti-français” est une humiliation vertigineuse pour tous les activistes sincères de la lutte contre l’antisémitisme, car ce qui est dit à travers cela, c’est évidemment que l’antisémitisme n’est pas en soi quelque chose de suffisamment grave pour enclencher la vindicte de la République. Néanmoins ceci passera inaperçu puisque les acteurs sincères de la lutte contre l’antisémitisme, c’est à dire ceux n’ayant pas abdiqué devant le nationalisme français , sont somme toutes très peu nombreux depuis quelques temps et absolument inaudibles dans l’espace médiatique .