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▸ Les 11 dernières parutions

06.12.2025 à 10:00

Contrastes au Palais Garnier

La soirée « Contrastes » porte parfaitement son nom : trois univers chorégraphiques, trois écritures, trois manières d’habiter le plateau qui donnent au Ballet de l’Opéra de Paris l’occasion de faire admirer son remarquable éclectisme : de l’abstraction post-moderne au brio néoclassique, jusqu’à la poésie brute d’une création contemporaine. La première partie rend hommage à Trisha Brown, dont O złożony/O composite puis le solo If you couldn’t see me déploient une danse aussi fluide que géométrique. Les danseurs évoluent dans un espace presque nu, où chaque geste semble respirer. Le dos tourné du solo, mystérieux et fragile, installe une atmosphère méditative d’emblée ressentie. Avec David Dawson et Anima Animus , la soirée bascule dans une virtuosité nerveuse. Le néoclassicisme explosif du chorégraphe joue sur les oppositions — force et douceur, vitesse et suspension. Les lignes s’allongent, les corps s’arquent, et la lumière dessine un théâtre d’ombres où la tension dramatique ne faiblit jamais. Quant à Drift Wood , création d’Imre et Marne van Opstal, l’œuvre propose un final hypnotique. Inspirée de la flottaison des bois, la pièce installe un paysage mouvant où les danseurs glissent, ondulent, se laissent porter comme par un courant intérieur. Scénographie minimaliste, musicalité sourde, gestes organiques : un ballet sur la mouvance et le passage du temps.   Palais Garnier — décembre 2025
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05.12.2025 à 22:00

Contre le roman national-républicain : Olivier Le Cour Grandmaison

Lorsqu’on travaille en historien ou en politiste sur les évolutions récentes de la société française, on est désormais immanquablement confronté au « roman national ». D’où cet ouvrage, La fabrique du roman national-républicain (Amsterdam, 2025), où Olivier Le Cour Grandmaison, qui en a régulièrement fait l’expérience, se penche sur les origines, les usages et les principaux arguments de ce roman, pour tâcher de nous vacciner contre ce virus que veulent, à toute force, nous inoculer des responsables politiques et qu’une partie des médias diffuse désormais à longueur de temps. Il ne s’agit pas ici de faire l’histoire du sentiment national, qui appellerait d’autres méthodes et analyses, mais bien celle de discours qui traversent les époques, avec des visées politiques très éloignées de l’émancipation et des idéaux de la Révolution française, alors même que ceux qui tiennent de tels discours se revendiquent des principes de liberté et, parfois, d'égalité. Olivier Le Cour Grandmaison publie dans le même temps  Oradour coloniaux français. Contre le « roman national » (Les Liens qui Libèrent, 2025), consacré aux massacres perpétrés par l'armée française en Algérie notamment, en réaction aux polémiques déclenchées par les propos de Jean-Michel Apathie, qui vaut comme une illustration du révisionnisme et de l’euphémisation des discours précités.   Nonfiction : Vous venez de faire paraître aux Editions Amsterdam La fabrique du roman national-républicain . Pour commencer, pourriez-vous expliquer ce qui vous a conduit à vous intéresser à ce sujet, et comment vous le définiriez ? Olivier Le Cour Grandmaison : En raison de mes travaux antérieurs sur la colonisation française, les racismes et l’islamophobie, j’ai été depuis longtemps confronté à des réticences politiques et, parfois, universitaires. Le plus souvent, elles sont en fait des résistances établies, entre autres, sur des éléments conjoncturels passés ou puisés dans l’actualité. Relativement aux violences coloniales passées, comme aux violences policières présentes et aux pratiques racistes des forces de l’ordre telles que les contrôles au faciès, on constate que toutes sont minorées : les unes sont imputées non à l’Etat, mais à des comportements individuels condamnables et condamnés, les autres sont justifiées. Mais ces résistances me semblaient d’autant plus fortes que je les soupçonnais de reposer sur des éléments structurels plus anciens. Ces éléments, je les ai trouvés dans les différents chapitres constitutifs du roman national-républicain. Roman qui a été élaboré par la majorité des élites politiques et universitaires de la Troisième République, puis diffusé par la construction d’un très puissant Etat éducateur et moralisateur qui s’est appuyé sur l’institution scolaire et d’innombrables manuels pour nationaliser ce roman apologétique destiné à faire « aimer la France et la République », comme le soutiennent nombre de contemporains. Pour atteindre ce but, ils ont écrit une histoire édifiante du pays, une véritable mythologie en fait, qui est tout à la fois un récit des origines et d’un passé plus récent, annonciateur d’un avenir naturellement remarquable. De là également un sublime portrait de Marianne réputée être toujours fidèle à ses principes et au célèbre tableau de Delacroix, La liberté guidant le peuple . Ajoutons qu’il s’agit aussi de civiliser les classes pauvres et dangereuses, comme on l’écrit alors, dans un contexte où les fondateurs et les premiers dirigeants de la Troisième République sont, à la suite de la Commune de Paris, hantés par la révolution à laquelle ils entendent mettre un terme grâce à cette éducation-moralisation, notamment. A la suite de la conquête de nombreuses colonies, entre 1885 et 1913, les républicains et leurs alliés ont ajouté une autre mythologie : celle que je qualifie de mythologie impériale-républicaine, destinée à sceller les noces pour le moins singulières de l’impérialisme et de la République, en faisant accroire que cette dernière guide aussi les peuples qu’elle a conquis. Récit d’un passé mythifié, ce roman prospère également sur la promotion de grands hommes héroïsés qui sont réputés avoir construit la France pour la porter au sommet des civilisations. C’est également à cette période que Jeanne d’Arc est intégrée au Panthéon symbolique de la République, puisqu’elle est présentée comme l’incarnation du courage et de la résistance, et érigée en modèle patriotique en raison de sa lutte supposée pour la liberté du peuple français.   Le livre se compose de trois parties. Il traite d’abord des origines de ce « roman national », puis de l’usage qui en a été fait, et enfin, de deux mythologies dont vous montrez qu’elles sont au cœur de celui-ci, et qui continuent d’être réactivées : l’idée, d’une part, que la France serait exceptionnelle, et, d’autre part, que son glorieux passé la protégerait contre un certain nombre de travers, dont le racisme… Précisons, tout d’abord que ce livre analyse les origines, les mutations et les usages les plus immédiatement contemporains du roman national-républicain qui est fréquemment mobilisé par de nombreux responsables politiques, des académiciens, Pierre Nora et plusieurs autres, des historiens-mythographes, des philosophes-idéologues comme Alain Finkielkraut et des essayistes pressés, Pascal Bruckner notamment. De là une approche que l’on peut qualifier, en usant d’un néologisme, de déchronologisée. A la suite de Michel Foucault, elle est aussi dédisciplinarisée, car contrairement à ce qui a été beaucoup écrit et dit, le roman national-républicain n’a pas été seulement élaboré par des historiens. Des philosophes comme Henri Bergson, des géographes tels qu’Onésime Reclus, le sociologue Emile Durkheim, André Siegfried, celui qui est aujourd’hui encore présenté comme le fondateur de la science politique française, et des juristes ont, à des degrés divers et dans ces différents champs disciplinaires, participé activement à sa rédaction et à sa diffusion. Mon livre combine donc ces deux approches qui, conjuguées, permettent d’avoir une connaissance aussi précise et complète que possible de ce roman national-républicain, même si des domaines spécifiques – je pense en particulier aux sciences dites dures, aux arts et à la culture – sont mentionnés sans être complètement explorés en raison de l’ampleur et de la variété du corpus. Au sein de ce roman, deux éléments sont essentiels : le premier est celui que je nomme « l’exceptionnalisme français ». Il s’agit d’une construction discursive et politique que l’on retrouve dans de nombreux ouvrages et manuels de la Troisième République. Toujours sollicitée aujourd’hui, cette construction est destinée à faire accroire que ce pays est depuis toujours et pour toujours remarquable en raison, notamment, de ses origines et de ses traditions prestigieuses héritées des Lumières, de la Révolution française, de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et, bien sûr, de son universalisme sans équivalent loué par une multitude de mythographes. Ainsi s’explique le second élément que je qualifie de « mythologie immunitaire », qui est la conséquence de cet exceptionnalisme, puisque la France est supposée échapper à de nombreux maux sociaux et raciaux, ayant existé ou existant toujours dans d’autres Etats. Par la grâce de cette immunité, l’Hexagone serait ainsi exempt de discriminations et de racisme institutionnels, et de racisme d’Etat. Plus encore, cette mythologie immunitaire permettrait de préserver envers et contre tout l’innocence et la pureté quasi ontologiques de la France et des différentes républiques. De même, la somme de ces qualités nationales expliquerait la singularité du colonialisme français, réputé avoir été animé par une ambition civilisatrice attentive au sort des « indigènes », à la différence des colonisations espagnole et britannique, fondées sur les massacres, la domination et l’exploitation des colonisés et des territoires conquis. A preuve, aujourd’hui encore, la réhabilitation toujours plus insistante du passé impérial-républicain par les extrêmes-droites et les droites dites « de gouvernement ».   Si l’on revient sur les origines, vous montrez que ce discours est la réponse des élites de la Troisième République à « un amas de désastres » (défaite de 1870 et Commune de Paris), qui légitime une telle construction et l’engagement des élites académiques derrière ce projet. Pourriez-vous en dire un mot ?  Aux origines du roman national-républicain, on ne découvre pas des triomphes éclatants qui, ayant confirmé la supériorité française en de nombreux domaines, auraient été mis en récit par leurs auteurs fiers de leurs succès et soucieux de les inscrire dans les annales, mais la défaite de 1870 devant les armées prussiennes, vécue comme une catastrophe. De là, cet « amas de désastres », écrit Emile Zola dans son célèbre roman La Débâcle (1892), qui doit se lire comme une passionnante investigation littéraire, politique et historique. Sans précédent au regard de ses conséquences nationales, européennes et coloniales, cette catastrophe est la cause de la terrible humiliation des vaincus taraudés par ce qu’ils interprètent comme les prodromes d’une décadence à venir plus dangereuse encore. S’y ajoutent la victoire momentanée des « Rouges » et la Commune de Paris : deux cauchemars intérieurs qui hantent la majorité des contemporains terrorisés par la révolution que beaucoup d’entre eux ont déjà connue et parfois affrontée en juin 1848. Hors de l’Hexagone, la situation est tout aussi préoccupante. L’insurrection de la Kabylie (en mars 1871), conduite par le bachaga El Mokrani dont les combattants sont parvenus jusqu’aux environs d’Alger, en atteste. La conjonction de ces calamités diverses, susceptibles d’affaiblir la jeune République et de ravaler le pays au rang de contrée secondaire en Europe et dans le monde, effraie plus encore la majorité des contemporains. Dans son roman, Emile Zola écrit : « Tout une France à refaire », et la majorité des élites politiques, universitaires et intellectuelles de l’époque partage ce constat, quand bien même des oppositions importantes les séparent parfois sur les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir. Quoi qu’il en soit, les unes et les autres estiment que l’urgence de l’heure est d’instaurer enfin une paix civile durable, de rétablir l’unité et la grandeur de l’Hexagone au plan discursif, symbolique et collectif. Autant d’objectifs qui exigent, entre autres, l’élaboration d’un récit national apologétique indispensable pour faire aimer la France et la République, et pour reformet ainsi un corps national, politique et social cohérent, notamment dans le but de clore enfin l’ère des insurrections et des révolutions. Intégrés dans une vaste fresque mythologique remontant aux origines prestigieuses de la France – incluant la Grèce, Rome et la Gaule –, les désastres récents et d’autres plus anciens sont ainsi minorés par la mise en exergue d’événements historiques destinés à rappeler qu’en dépit de crises intérieures significatives et de défaites extérieures parfois gravissimes, le pays est toujours parvenu à recouvrer une place éminente dans le concert des nations. Plus encore, ce passé reconstruit et glorieux est mobilisé comme une preuve que la France a été, demeure et sera, en raison de ses caractéristiques remarquables, une grande puissance influente et évidemment rayonnante. In fine , le roman national-républicain est une véritable « mythidéologie » – j’emprunte ce concept à Marcel Détienne – qui repose sur une conception très articulée du monde et de la place toujours admirable que la France y occupe dans tous les domaines.   Même si cette réussite a été acquise sur le dos d’un certain nombre d’acteurs, et tout particulièrement des peuples colonisés, ne pourrait-on dire que, d’une certaine manière et du point de vue de ces élites, ce discours a, au moins dans un premier temps, rempli ses objectifs ? Ce qui pourrait expliquer au demeurant que les critiques qu’il s’est attiré, très tôt, ont été marginalisées. De la construction de l’empire colonial, les républicains et ceux qui les soutiennent sont très fiers, parce qu’ils estiment avoir réussi là où leurs prédécesseurs, à la tête de régimes politiques autres, ont échoué. En 1913, en raison de l’ampleur de ses possessions coloniales présentes sur tous les continents, la France est désormais la seconde puissance impériale du monde, juste derrière la Grande-Bretagne, ce qui est sans précédent. Et les hommes politiques de l’époque mettent cette réussite à leur crédit, bien sûr, et à celui de la République. De là, aussi, la multiplication d’ouvrages apologétiques de « l’aventure coloniale » dans différentes disciplines comme l’histoire, le droit, la science politique, la psychologie ethnique, l’hygiène et la médecine coloniales. Toutes ces disciplines sont mobilisées pour rendre compte de ce succès et entretenir aussi l’opinion selon laquelle la colonisation apporte paix civile, développement, prospérité, santé et civilisation aux « indigènes ». De même, les manuels scolaires, en particulier ceux de Isaac et Malet, ont joué un rôle majeur dans la diffusion de ces représentations, jusqu’au début des années 1960. Si des personnalités importantes, comme Georges Clemenceau, se sont opposées à la construction de l’empire dès 1885, elles ont été battues puis marginalisées. Et ce d’autant plus que de nombreux dirigeants, Georges Clemenceau lui-même et de beaucoup d’autres, et des partis politiques, la SFIO notamment, se sont rapidement ralliés à la politique coloniale. Rappelons enfin que l’exposition coloniale internationale de 1931, où des zoos humains furent une nouvelle fois mis en place, poursuivait des finalités identiques : célébrer la grandeur impériale et civilisatrice de l’Hexagone, et faire partager cette croyance à des millions d’élèves et de citoyens et citoyennes.   L’impérialisme et l’euphémisation ou la négation des souffrances et des torts que la France a pu causer aux peuples colonisés sont un élément essentiel de ce discours depuis le tournant des années 1880, même si la conquête de l’Algérie est antérieure. Vous venez parallèlement d’y consacrer un autre livre, sous-titré Contre le « roman national ». Pourriez-vous ainsi également en dire un mot ? Le point de départ de ce livre, dont le titre exact est Oradour coloniaux français. Contre le « roman national » , est le « scandale Jean-Michel Aphatie », forgé par les Républicains, les extrêmes-droites et les médias de propagande continue à la solde du Croisé Bolloré, bien servi, entre autres, par ces deux mercenaires incultes que sont Cyril Hanouna et Pascal Praud, qui prennent leurs vociférations rebattues pour de fortes pensées. Les uns et les autres prétendent aimer l’histoire, mais ils sont les dangereux ventriloques de la mythologie impériale-républicaine précitée. Ce faisant, tous consacrent non l’ère de la post-vérité, comme il est dit trop souvent, mais celle de contre-vérités qui prospèrent sur l’euphémisation, sur des mensonges par omission, voire même dans certains cas sur la négation des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis par la France et plusieurs républiques dans de nombreux territoires ultra-marins. Au-delà de l’analyse de la fabrication politiquement intéressée de ce scandale, il s’agissait aussi de rappeler qu’après 1945 et plus encore après le début de la dernière guerre d’Algérie, le 1 er novembre 1954, de nombreux contemporains et anciens résistants – Claude Bourdet, Paul Teitgen, secrétaire général de la préfecture d’Alger, Hubert Beuve-Méry, directeur du journal Le Monde  – font référence aux Oradour coloniaux et à la Gestapo française pour dénoncer la torture systématique, les exécutions sommaires et les disparitions forcées des combattants et combattantes comme des militants et militantes du FLN. Ajoutons que la guerre contre-révolutionnaire menée en Algérie doit aussi beaucoup à la guerre de conquête conduite par le général Bugeaud dans les années 1840. Autant de guerres coloniales qui doivent être analysées comme des guerres totales pour des raisons qui sont exposées de façon précise dans ce livre.   Ce discours impérial-républicain a désormais surtout une application nationale, puisqu’il vient avant tout justifier la manière de traiter des concitoyens racisés. Cela ne dispense pas, expliquez-vous en conclusion de La fabrique du roman national-républicain , de se poser la question des conséquences à tirer de sa répudiation, si l’on se convainc qu’elle serait nécessaire, en termes de « reconnaissance, réparations et restitutions ». Là encore, pourriez-vous en dire un mot ? Compte tenu de la situation présente et de l’offensive politico-culturelle des forces et des médias cités à l’instant, il est plus que jamais nécessaire de défendre l’indépendance de la recherche et la connaissance contre leurs mensonges politiquement intéressés, et de défendre aussi la décolonisation de la République et de l’espace public, notamment. Cet espace public où les bourreaux des colonisés sont encore trop souvent célébrés en héros, alors même que certains d’entre eux, Bugeaud notamment, furent aussi des ennemis farouches de la République qu’ils ont constamment combattue. Plus encore, au regard de la somme des éléments depuis longtemps établis par de nombreux chercheurs français et étrangers issus de disciplines différentes, il faut exiger des plus hautes autorités de l’Etat la reconnaissance pleine et entière des crimes commis, des réparations et des restitutions. En ces matières, contrairement à la mythologie de l’exceptionnalisme hexagonal, la France est un sinistre contre-exemple perclus de conservatismes et de nostalgies indécentes, qui sont autant d’insultes à la mémoire des héritiers de l’immigration coloniale et post-coloniale. A preuve, d’anciennes puissances impériales comme la Grande-Bretagne, l’Allemagne, la Belgique et, pour des raisons distinctes, les Etats-Unis, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, ont reconnu et parfois accordé des réparations financières très substantielles aux victimes ou à leurs descendants. Sur ces sujets, notamment, la comparaison est un puissant révélateur qui met au jour une situation française inacceptable car elle entretient le déni et de scandaleuses discriminations mémorielles et commémorielles.
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02.12.2025 à 16:00

Les cathares, ennemis de l'intérieur

Dans Les Cathares, ennemis de l’intérieur (La Fabrique, 2025), Arnaud Fossier retrace l'histoire des cathares de 1120 à 1330 et livre une synthèse inédite sur cette hérésie médiévale, largement construite comme telle par les clercs catholiques, puis objet de nombreuses réappropriations depuis le XIX e siècle. Ce 229 e épisode des Chemins d'histoire reviennent avec lui sur son ouvrage, qui vise à « expliquer de quoi les cathares furent le nom, en prenant au sérieux les sources dont nous disposons, mais aussi en mettant à bonne distance nos fantasmes sur le caractère prétendument ‘précurseur’ des cathares […], pour finalement rendre justice » à ces hommes et à ces femmes.       
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02.12.2025 à 13:00

Le Musée Dobrée de Nantes « à cœurs ouverts »

« Ton cœur bat-il toujours à mon seul nom ? » C’est avec ces mots tirés du Colloque sentimental de Paul Verlaine (1869) que commence l’exposition « À cœurs ouverts », présentée au musée Dobrée, à Nantes, du 17 octobre 2025 au 1 er mars 2026. Faisant elle-même rebattre le cœur de l’établissement après plus de dix ans de travaux, cette première exposition temporaire depuis la réouverture au public en 2024 représente un renouveau pour le musée départemental d’art et d’histoire. Ce parcours, imaginé par la conservatrice en cheffe Julie Pellegrin* et l’historien Yann Lignereux*, et mis en oeuvre par Marion Ploquin*, est conçu comme une extension du parcours permanent du musée. Il emmène les visiteurs et visiteuses dans un « voyage sensible et érudit, mêlant art, histoire et culture populaire », se présentant comme le manifeste du projet à l’origine du musée dans sa version mise à jour. Cette présentation illustre aussi la volonté du musée de concevoir des expositions fondées sur ses collections, en commençant par valoriser sa pièce maîtresse, le cardiotaphe, un réceptacle pour le cœur d’Anne de Bretagne. Volée en 2018, mais retrouvée après quelques jours, cette œuvre n’est pas présentée dans l'exposition pour des raisons de sécurité. Elle sert néanmoins de point de départ, afin d’explorer plus largement la thématique du cœur. La visite peut par ailleurs être prolongée par celle de la collection permanente, à laquelle le billet d’entrée donne également accès. Ainsi, l’exposition « À cœurs ouverts » propose aux publics de s’interroger sur le cœur à travers un parcours muséographique s'étendant sur deux étages. Salle après salle, les visiteurs sont amenés à découvrir les multiples facettes du cœur : après une présentation du cœur dans sa dimension anatomique, le parcours explore le cœur comme un symbole de l’amour courtois, puis comme centre des amours romantiques. Il est ensuite envisagé en tant qu'emblème et dans ses dimensions sacrées et religieuses. Au terme de ce parcours, l’exposition ouvre une réflexion sur le cœur comme expression testamentaire et politique. Anatomie d’un cœur Le plus intime de tous les cœurs, le nôtre, est l’organe avec lequel se confond notre vie. C’est au rythme de ses pulsations que débute cette exposition. Trois témoignages audio, de Sabine, une cardiologue, et de Suzy et Gaëlle, deux femmes ayant reçu une greffe, nous racontent leurs liens avec cet organe. Suzy reçoit un nouveau cœur à 21 ans, après plusieurs années d’incertitude à son domicile. Pour Gaëlle, l’attente a duré plusieurs mois à l’hôpital avant que son greffon n’arrive. Ce cœur nouveau, cœur d’un autre devenu le sien, il leur a fallu le découvrir, l’accepter et lui faire place dans la vie quotidienne. Sabine raconte que ses patients fêtent deux anniversaires : celui de leur naissance et celui de leur greffe. Ce rituel fait de leur nouveau cœur un personnage à part entière dans leur vie. Avec beaucoup d’émotion, Suzy raconte sa deuxième greffe. Elle nous parle de la perte de son ancien organe qui lui a permis de vivre les trente dernières années, des tests médicaux très longs et lourds, mais surtout de la peur de mourir. Se seconde greffe est un succès, mais Suzi doit encore découvrir ce nouveau cœur et apprendre à vivre avec. La mécanique du coeur Comme symbole que l’on partage, que l’on brandit et que l’on revendique haut et fort, le cœur représente bien des choses. Courtois, on le dédie à une dame inatteignable : il représente un amour impossible en raison d’une différence de rang ou de mariages déjà arrangés. Cet amour répond souvent à des idéaux de piété, de fidélité, de courage. Romancé et mis en scène, notamment par William Shakespeare dans Roméo et Juliette , il est l'image d'un amour empli de nostalgie pour le temps révolu de la chevalerie. Le symbole du cœur bilobé est né de la poésie du XII e siècle, le fin’amor . L’image du cœur exprime depuis lors de multiples vertus, telles que la bonté (avoir du cœur), le courage (étymologiquement cœur-age), la piété (pureté du cœur) ou la concorde (de bon cœur). Mais il est aussi l’organe des péchés, de la vanité ou de l’envie : dans L’Envie , de Jacques Callot, on voit une allégorie de cette passion destructrice dévorer son propre cœur. [Jacques Callot, Les péchés capitaux : Invidia, 1621. © Musée Dobrée-Département de Loire-Atlantique.]   Du Sacré-Cœur au cœur solidaire Les trois grandes religions monothéistes ont fondé une part de leur imaginaire sur le cœur. À la fois essentiel à la vie et inaccessible aux autres, il est le lieu privilégié de la relation personnelle avec Dieu. Le catholicisme s’est particulièrement emparé de ce symbole. Marguerite-Marie Alacoque, membre de l’ordre de la Visitation de la fin du XVII e siècle, raconte ses visions de Jésus lui montrant son cœur : un bilobe surmonté d’une flamme. Ce symbole va rapidement inonder l’espace symbolique dans l’Europe catholique. [Cœur en or massif pour la statue du Sacré-Cœur de Saint-Donatien. © Diocèse de Nantes / Cl. H. Neveu-Dérotrie.] Dans le même temps, le cœur représente la dévotion à Dieu. La statue tombale d’Antoinette de Fontette, datant du milieu du XVI e siècle et présentée au centre de cette section, montre une dame de la noblesse agenouillée avec son cœur dans ses mains, qui le présente comme une offrande au milieu de ce qui semble être une prière ( voir l’image en tête de cet article ). À l'angle opposé de cette salle et contemporaine de cette statue, on voit Le Transi de René de Chalon : une statue à taille humaine, un corps mort, décharné, debout, qui brandit son cœur intact et le donne en testament. [Moulage du Monument du cœur de René de Châlon. © Nicolas Leblanc / Département de la Meuse.] La sculpture rappelle les inhumations séparées de l’organe et du corps des souverains. Le point de départ de cette exposition, le cardiotaphe d’Anne de Bretagne, a été créé pour cela : le corps de l’épouse de Charles VIII puis de Louis XII a été enterré dans la basilique Saint-Denis avec ceux des rois et reines de France, mais son cœur en a été séparé selon sa volonté, pour être acheminé dans son duché de Bretagne, dont elle a affirmé la souveraineté. Le cœur devient un objet politique. Lors de la Révolution française, une véritable bataille symbolique se joue autour du cœur. Le Sacré-Cœur, ou le cœur bilobé surmonté d’une croix latine, devient l’emblème des royalistes et des Vendéens, défenseurs de la « vraie foi » et partisans du retour des Bourbons. En face, les républicains s’approprient à leur tour le symbole, ornant leurs cœurs bilobés de bonnets phrygiens. Deux siècles plus tard, le symbole est encore utilisé en politique et dans la société : de l’émoji aux débats présidentiels, il reste au centre de nos usages, et parfois fait date, puisque personne n’a « le monopole du cœur ». [Gauche : scapulaire, insigne au Sacré- Cœur. Droite : ornement d’uniforme, bonnet phrygien. © L. Preud’homme / Musée Dobrée.]   Parlons à cœurs ouverts La visite se clôt sur l’une des œuvres majeures de cette exposition : une installation de l’artiste plasticien Christian Boltanski, créée en 2005. Tout au long de la visite du second étage, un battement régulier habille l’espace sonore, invitant le public à en découvrir la source. Celle-ci se révèle dans une vaste salle plongée dans la pénombre, entièrement dédiée à l’œuvre. Là, une unique ampoule diffuse une lumière au rythme des pulsations enregistrées du cœur de l’artiste. Cette expérience, à la fois intime et immersive, place le visiteur face au pouls d’un autre, celui de Christian Boltanski, aujourd’hui disparu. Par cette installation contemporaine, l’équipe curatoriale déplace la réflexion vers des enjeux spirituels, vers la question de notre relation à la vie et à la mort, en convoquant une forme d’humanité universelle incarnée dans ce simple battement de cœur, commun à tout être vivant. [Le Cœur, Christian Boltanski. © Adagp, Paris, 2025;© Cloé Beaugrand / Coll. Antoine de Galbert.] En consacrant une surface aussi importante à une seule œuvre, le commissariat affirme sa volonté d’en faire un moment fort, emblématique du parcours. Ce parti pris prend en compte le risque que cette installation d’art contemporain, marquée par un flash lumineux et un son répétitif, laisse certains publics indifférents ou les pousse à ne pas s’attarder dans la salle. Comme pour mieux affirmer que l’histoire et le patrimoine artistique conservés par le musée déploient leur sens dans le présent, et que penser ce sens requiert un temps de pause, de réflexion. Enfin, cette installation s’accompagne de la réactivation d’un projet d’Archives du cœur lancé en 2008 par Boltanski. Il proposait à chacun d’enregistrer les battements de son propre cœur pour les envoyer sur l’île de Teshima, au Japon, où l’artiste souhaitait réunir « tous les cœurs de l’humanité ». Dans cette continuité, le Musée Dobrée offre au public la possibilité d’enregistrer gratuitement son cœur, afin que ces sons rejoignent à leur tour les Archives de Teshima. C’est ainsi que s’achève l’exposition « À cœurs ouverts », sur un geste symbolique : le « don de son cœur ».   * Titouan Guihal, Noah Robert, Marine Sauvager et Léna Sourice.   Exposition « À cœurs ouverts » Musée Dobrée, 1 place Jean V, Nantes Du 17 octobre 2025 au 1 mars 2026, de 10h à 18h Commissariat d’exposition : Julie Pellegrin, conservatrice en cheffe, directrice du musée Dobrée et de Grand Patrimoine de Loire-Atlantique, et Yann Lignereux, professeur d’histoire moderne à l’université de Nantes. Muséographie : Marion Ploquin, cheffe de projet muséographique, Grand Patrimoine de Loire-Atlantique.
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30.11.2025 à 20:00

Saint-Nazaire au travail (1) : les Chantiers de l’Atlantique

La Compagnie « Pourquoi se lever le matin ! » s’est donné pour but d’apporter le point de vue du travail, exprimé par ceux qui le font, dans les débats qui agitent notre société : santé, alimentation, enseignement, transport, énergie… Cette première série s’intéresse à la fabrique d’un territoire par le travail : à Saint-Nazaire, c’est toute une société qui se ramifie autour des chantiers de l’Atlantique, où se croisent et collaborent des métiers d’une infinie diversité. La Compagnie a ainsi recueilli les paroles d’ouvriers et d’artisans, de techniciens et d’ingénieurs, d’employés et de formateurs... qui livrent le récit de leur expérience de la vie sociale autour des chantiers navals. Nonfiction partage aujourd’hui le point de vue de Laurence, peintre-décoratrice, qui intervient dans la phase finale de préparation des paquebots, ainsi que celui d’Yvan, dont le magasin d’accessoires se situe au cœur du chantier naval, et celui de Damien, responsable des travaux sur la construction de sous-stations électriques de parcs éoliens. L’intégralité des récits sur ce thème sont à découvrir sur le site de la Compagnie Pourquoi se lever le matin, dans la rubrique « Travail & territoire » .   « Je franchis la passerelle pour entrer dans le ventre du bateau »  ( Laurence, décoratrice aux Chantiers de l’Atlantique ) Depuis la voie express, je vois à l’horizon les pylônes du pont de Saint-Nazaire et le grand portique rouge des Chantiers de l’Atlantique. Ce sont les marques qui indiquent que je m’approche de mon lieu de travail. Entre les marais du Mès où j’habite et le site du bateau en construction, il y a quarante-cinq minutes de trajet. Arrivée aux abords de la gare SNCF, j’ai conscience d’entrer progressivement dans l’environnement du chantier naval. Je bute sur le port. Contourner le bassin de Penhoët dont une rangée de cafés ouvriers borde les eaux un peu glauques. S’engouffrer entre deux très longs bâtiments industriels aveugles dont la perspective semble se refermer comme un entonnoir. Ici se pressent les gens qui arrivent au boulot au même moment. Ça bouchonne. Visuellement, ce passage ressemble à un sas au-delà duquel j’entre dans une autre dimension. Pas d’erreur : j’y suis… Il faut encore se trouver une place de stationnement à proximité de la porte qui donne accès à la forme des navires en phase de finition, au bord de l’estuaire. En fait, c’est au moment où je passe le tourniquet que j’ai vraiment le sentiment de pénétrer dans le chantier. Le navire est là comme un mastodonte déjà bien abouti. Il barre l’horizon. Je franchis la passerelle pour entrer dans le ventre du bateau. Là, j’arrive dans une espèce de grand couloir sur lequel débouchent les escaliers qui desservent les niveaux supérieurs. Dans ce couloir de service uniforme qui court sur toute la longueur du bateau, toutes les portes se ressemblent. Ça grouille de gens très pressés. Si tu n’as pas établi un itinéraire très codifié, tu peux errer comme une âme en peine. Tu te retrouves dans des escaliers plus ou moins étroits. Tu continues de monter. Et tu arrives dans des culs de sac… Alors tu redescends. Il m’est arrivé plusieurs fois de me perdre. J’ai dû demander mon chemin. Je ne savais plus où étaient bâbord, tribord, la proue, la poupe. Donc, il vaut mieux avoir repéré le moyen le plus court pour atteindre le local où tu travailles. Par la suite, tu empruntes toujours le même parcours. C’est la raison pour laquelle, en réalité, je ne vois pas grand-chose du bateau, à part les évolutions des endroits que je traverse. « Ah tiens, ils ont posé ci. Ah tiens, ils en sont là… » C’est sur mon trajet. Je n’ai pas franchement le temps de déambuler à travers le bâtiment. […] Pour rester bien concentrée sur mon travail, il me faut faire abstraction d’une partie de ce qui m’entoure. Je dois en particulier oublier le bruit omniprésent : ponceuses, scies, martellements, et surtout lapidaires. Si je me trouve juste sous l’alarme au moment où ils déclenchent un essai, et malgré mes bouchons d’oreille, ça me rend folle ! Je redescends de mon escabeau en catastrophe, les oreilles déchirées… Et puis, il y a la poussière aussi omniprésente qu’inévitable. Je dois nettoyer chaque jour la partie où je vais travailler parce que, tous autant que nous sommes, soudeurs, plombiers, électriciens, staffeurs, marbriers, tapissiers, peintres, nous partageons le même espace. Tout cela est en principe coordonné dans les bureaux d'études des Chantiers. […] Souvent, les ouvriers qui passent s’arrêtent pour observer mon travail de peintre-décorateur : décors, trompe l’œil. C’est une activité qui suscite de la curiosité. Ce que j’apprécie. Ils regardent en silence. Ou bien ils posent une question, se permettent un commentaire… Ce n’est jamais ironique. […] Quand par exemple un peintre en bâtiment prépare un fond, je peux discuter avec lui d’égal à égal : il faut que ce soit nickel, que ce fond ne soit pas cordé dans un sens qui va à l’encontre du fil d’un faux bois, ni qu’il rende une surface en « peau d’orange » avec le rouleau. Cet échange avec le peintre, c’est évidemment une façon de faire appel à sa compétence et de la reconnaître : « Là, il va y avoir du travail fin, il faudra faire attention ». Souvent, il revient me voir « Ça va, là, les fonds ? » On regarde ensemble : « Impeccable » ou bien « Il y a des petits trous ici ou là… » On fait le point. Mais on n’a pas vraiment le temps de finasser… Il faut dire que, vu le rythme de production des navires construits par séries identiques, nous sommes tous obligés d’aller de plus en plus vite. […] Chaque soir, quand je reviens chez moi et que j’arrive à Pont d’Armes, je prends la petite route qui descend en sinuant aux marais : et là, je respire. C’est le sas apaisant où je retrouve mon univers avant de rentrer à la maison. Il a fallu que j’attende d’être sur la voie rapide pour commencer à décompresser, et progressivement évacuer l’univers du boulot. À partir de Saint Molf, je commence à retrouver la nature qui m’est familière. Enfin, j’arrive dans ma cour. Les chantiers, c’est de l’humain industriel. Chez moi, c’est une sérénité qui monte des salines. Deux univers tellement opposés, et qui, pourtant, se côtoient de manière si proche…   « Les chantiers, c’est toute une vie »  ( Yvan, magasinier aux Chantiers de l’Atlantique ) Avant d’être affecté au magasin de petit outillage, j’ai passé plusieurs années au cœur du chantier naval puisque je faisais partie de l’équipe chargée d’implanter au sol les plots qui supportent la coque du navire au fur et à mesure qu’on le construit. Mon rôle était, au fond de la cale, de tracer la silhouette de la coque, de placer des blocs de béton sur lesquels j’ajustais au rabot et au laser les poutres en chêne qu’on appelle des « tins ». J’étais ce qu’on appelle un « attineur »… Je voyais donc le navire se construire depuis le moment où il n’y avait rien jusqu’à celui où il ressemblait à un vrai bateau. Tant que le navire n’était pas entièrement construit, il n’y avait ni avant ni arrière. C’était un gros tronçon étanche que mon équipe déplaçait d’une forme remise en eau à l’autre en le tractant avec un câble sur treuil. Quand la coque était finie et les machines installées, je participais à sa mise à flot. C’était le moment rare où je sentais la masse colossale se soulever. Quand le bateau quittait la cale, j’étais au ras de la paroi d'acier qui défilait devant moi. Un grand courant d’air : il était passé. C’était encore plus impressionnant la nuit : une grosse façade et puis d’un seul coup, il n’y avait plus rien. J’entendais juste les thrusts vibrer, puis les hélices à l’arrière. Mon travail était fini. Voilà plus de vingt ans que je travaille aux Chantiers. À force de tirer sur des câbles, de manipuler des outils lourds en fond de cale, dans le froid et l’humidité, je me suis abîmé le dos. J’ai donc changé de poste. Après avoir travaillé dans la préfabrication de réseaux en tuyauterie PVC, je suis aujourd’hui affecté au service de « Maintenance Petit Outillage » : le MPO et, plus spécialement, aux instruments de mesure de dimensions, dits « de métrologie », destinés au personnel des Chantiers de l’Atlantique. Ainsi, je contrôle et je fournis aussi bien des pieds à coulisse et des mètres rubans que des niveaux optiques et des lasers d’alignement. Tout cela se passe dans le petit bungalow logé à l’intérieur de l’ancien hangar du magasin général. Là, je suis au milieu des instruments entreposés. Quand j’entre dans cet endroit qui est « mon magasin » puisque j’y travaille seul, je me sens chez moi. Je reconnais d’emblée les odeurs indéfinissables de ferraille et de bakélite, de vieilles graisses et de détergent, parmi les étuis en bois imprégnés de relents accumulés pendant des années. C’est un bungalow qui fait 6 m par 3 m, où il y a trois tables, un marbre qui sert à vérifier la planéité, un banc permettant de contrôler des mesures de 0 à 1 m, dont l’unité est le micron, soit six zéros après la virgule… Auparavant, le magasin général était au centre des Chantiers mais il a été transféré à sa périphérie pour faciliter l’accès des fournisseurs. Les employés ainsi que les logisticiens des différents ateliers se déplacent dans nos services pour faire leurs commandes et, selon le volume et la quantité, ils peuvent se les faire livrer par des navettes de poids lourds et de véhicules légers qui circulent à travers un espace de 130 000 m² dont 39 000 m² d'ateliers et cinq lignes de production. Ces navettes approvisionnent des magasins de quincaillerie et outillage situés à proximité des formes de construction. Je suis isolé dans mon petit coin excentré, mais il y a le va-et-vient des « clients » qui viennent se procurer le matériel. Quand je me rends à mon poste de travail, je passe à côté de l’atelier « Mécasoud » qui travaille sur la coque des bateaux. Ils ont commencé avant nous. J’entends le bruit des masses, les chocs de tôles, les alarmes des portiques et leur klaxon qui signale le moment où ils lèvent la charge, le vacarme des véhicules, munis d’un bras articulé, qui transportent le matériel. On appelle ça des « traînes ». Les tôles placées sur le chariot claquent à chaque cahot. Et puis, il y a le gaz du fil fourré, en fusion avec la céramique qui sert à envelopper la soudure au fur et à mesure qu’elle avance. C’est âcre, ça prend à la gorge. Partout, il y a des risques de projections de peintures. Si, par malheur, vous avez garé votre voiture sous le vent, à proximité des Chantiers, vous pouvez retrouver votre pare-brise maculé malgré les chapiteaux qui viennent coiffer les structures au moment où les peintres entrent en action. C’est pour ça qu’au pourtour et aux entrées du chantier, on peut voir des pancartes : « Attention projections de peinture » […] Mais ce qui reste gravé en moi, c’est mon ancien métier d’attineur, quand j’étais en contact direct avec le béton de la forme, l’acier de la coque, quand j’accompagnais les bateaux d’une cale à l’autre et que je les voyais grandir. Maintenant, ce que je vois, c’est les copains qui partent en retraite. J’en ai croisé un qui revenait acheter du poisson à côté de la porte 4. Il y a un poissonnier qui vient se poster là, à la sortie du boulot. Le gars avait gardé ses habitudes. Les Chantiers, c’est toute une vie…   De la construction de bateaux à celle d’éoliennes offshore ( Damien, responsable de travaux aux Chantiers de l’Atlantique ) Voilà trente-deux ans que je suis aux Chantiers de l’Atlantique. Lorsque j’ai commencé à y travailler, l’entreprise employait 5 600 personnes et quelques sous-traitants. C’étaient des gens de la région, notamment beaucoup d’habitants de la Brière qui occupaient nombre de postes de maîtrise. Aujourd’hui, on entend moins de noms à connotation briéronne. Les Mahé, Moyon ou Aoustin se font plus rares… Il y a trente ans, les gens arrivaient encore de Brière en car. Maintenant il y a une desserte routière qui fait le tour de l’entreprise et de larges surfaces de parkings. Si bien que chacun peut se garer à proximité de son lieu de travail. L’ambiance n’est plus la même. Il est loin le temps où, à l’heure de la débauche, les grilles s’ouvraient pour laisser passer un flot de vélos et de personnes qui traversaient la rue et essaimaient dans les cafés alignés le long du quai. C’étaient des gens du coin qui se retrouvaient dans leur village après le boulot. Ils se connaissaient. Il y avait une sorte d’identité qui était affichée… Je suppose qu’alors, la solidarité n’était pas la même. […] Nous sommes actuellement 3 300 à être salariés par les Chantiers. Beaucoup arrivent de Nantes alors qu’auparavant, seuls ceux qui venaient des ex-chantiers navals Dubigeon faisaient le déplacement après que leur entreprise eut fermé. Ils formaient une corporation d’ouvriers qui avaient eu ailleurs un vécu commun. Les effectifs des employés qui travaillent aux Chantiers de l'Atlantique sont désormais complétés par de nombreux sous-traitants et travailleurs étrangers. […] Depuis quatre ans, je m’occupe des sous-stations électriques destinées à équiper les parcs éoliens offshore. Je suis en particulier responsable des travaux sur la sous-station qui est en cours d’installation sur le banc de Guérande, au large de la presqu’île du Croisic. J’ai donc changé de domaine sans changer d’employeur puisque les Chantiers de l’Atlantique sont maîtres d’œuvre de ces systèmes appelés à être opérationnels pendant trente-cinq ans dans un milieu marin particulièrement agressif. Ce qui a surtout changé c’est que le service des énergies marines fonctionne comme une PME au sein de l’entreprise historique que sont les chantiers navals. […] Notre équipe est donc un peu à part. Elle est formée de travailleurs qui appartiennent à la fois au domaine de la navale et à celui de l’éolien marin. […] La sous-station est déjà en place. J’y suis allé hier et avant-hier. J’ai pris le bateau à 6h30 le matin dans le bassin de Saint-Nazaire. On a passé l’écluse et on est partis au large de la côte sauvage. C’est un complet changement d'univers même si nous n’avons pas quitté le territoire nazairien puisque le parc éolien n’est qu’à 20 kilomètres d’ici. La sous-station se présente comme un bloc de 35 mètres de long, 25 mètres de large et 15 mètres de haut ; le tout pesant pas loin de 2 400 tonnes. Composée de trois étages et coiffée par une aire de dépose de matériel par hélicoptère, elle est installée sur un socle, le jacket, qui domine la mer d’une dizaine de mètres. Pour aborder, le bateau vient s’appuyer sur ce qu’on appelle un « boat landing ». Équipés d’une combinaison de survie, d’un gilet de sauvetage et d’un harnais accroché à un système antichute, on a grimpé les 10 mètres d’échelle pour accéder au premier niveau. Là, on a récupéré nos sacs et tout le matériel, hissés par la grue, et on a démarré notre journée de travail. Retour le soir à 18h30 au port de Saint-Nazaire. Ça nous a fait une journée de 12 heures. Mon rôle de responsable de travaux consiste, sur place, à coordonner les entreprises sous-traitantes chargées de réaliser les finitions et les améliorations demandées par les clients. Depuis peu, je suis aussi responsable de plateforme. C’est-à-dire qu’en liaison avec le capitaine du bateau qui fait la navette, j’assure la sécurité de l’équipe. Il y a la météo qui change, la mer qui monte. Il faut parfois prendre la décision d’accélérer le débarquement quand, à cause de la houle, le moteur peine à maintenir le nez du bateau contre le boat-landing. C’est un nez en caoutchouc qui adhère à la structure si les vagues ne dépassent pas 2 mètres. Au-delà, le bateau commence à bouger, le débarquement devient dangereux. Il y a des jours où on ne sort pas du bassin de Saint-Nazaire parce que la mer est trop forte. Si, une fois sur place, on est surpris par le mauvais temps, on peut rester dans des locaux de secours de la sous-station. Il y a la possibilité d’attendre là, deux ou trois jours, que le temps se calme. C’est une petite salle avec des tables et des chaises, un coin cuisine et une dizaine de lits superposés. Ce n’est pas une cabine de paquebot ! […] Même si les sous-stations électriques marines et les personnels qui les construisent ont dû se faire une place au milieu des paquebots, les Chantiers de l’Atlantique restent pour moi l’entreprise emblématique du secteur à côté d’autres industries importantes comme l’usine Airbus ou l’usine MAN, implantées à proximité. Les Chantiers sont inscrits dans le paysage, dans l’histoire de Saint-Nazaire et dans la conscience des gens.   * Propos recueillis et mis en récit par Pierre Madiot en janvier 2022.   Pour aller plus loin : L’intégralité des récits de Laurence , Yvan et Damien est accessible sur le site de la Compagnie « Pourquoi se lever le matin », dans le dossier « Travail & territoire » . Le documentaire de Marcel Trillat et Hubert Knap, « Le 1 er mai à Saint-Nazaire » (1967 - 25 mn).
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30.11.2025 à 10:00

La Tosca de Giacomo Puccini à la Bastille

Il y a des soirs où l’Opéra Bastille semble se concentrer sur un unique symbole, comme si tout l’édifice se résumait à un signe massif et irrévocable. Dans la Tosca mise en scène par le regretté Pierre Audi, ce signe est une croix gigantesque, dressée au centre du plateau, simple et implacable, autour de laquelle gravitent les corps, les voix, les destins. Reprise de la production créée il y a quelques saisons, Tosca revient ici dans une distribution somptueuse, avec un sens du tragique affûté et un dépouillement visuel qui met l’humain à nu. Acte I — La passion sous surveillance Le rideau se lève sur un espace sacré dont Audi ne veut pas faire une église réaliste mais plutôt un lieu mental, austère, quasi ascétique. L’action de Puccini s’y installe avec une clarté remarquable : Cavaradossi (Roberto Alagna) peint à même le plateau comme on peindrait sur une paroi antique ; Angelotti (Amin Ahangaran) surgit, traqué ; Tosca (Saioa Hernández) entre, jalouse et lumineuse, la voix déjà tendue par la passion qui la consume. Toujours juste et efficace, la direction d’Oksana Lyniv cisèle chaque tension : la pâte orchestrale reste translucide malgré la respiration nerveuse des cordes. Face à cette fosse très active, la voix de Tosca se projette avec une aisance souveraine. Quant à Scarpia (Alexey Markov), Audi le fait surgir non comme un fauve mais comme un clergyman autoritaire, silhouette sombre glissant à l’ombre de la croix. Immédiatement, la tension dramatique est là : le pouvoir politique se confond avec le sacré. Acte II — Le rituel de la cruauté Au second acte, la scénographie se resserre encore. Le bureau de Scarpia n’est qu’un espace nu, géométrique, que domine la croix, telle une menace physique — dispositif qui renforce la violence psychologique du texte : plus rien ne distrait du face-à-face entre la victime et son bourreau. La scène de torture, invisible, n’en est que plus atroce. La lecture d’Audi est nette : ici, l’Église et l’État ne sont pas seulement complices, ils sont un seul instrument de coercition, une même machine sacrée qui broie les individus. Dans cette mise en scène épurée, le Vissi d’arte prend une dimension presque liturgique. Tosca chante au pied de la croix, sa supplication, lancée non plus à Dieu, mais au néant d’un monde dominé par des hommes qui s’arrogent le droit de parler en son nom. Acte III — L’aube des désillusions Pour le dernier acte, la scénographie abandonne toute référence au Castel Sant’Angelo pour ne montrer qu’un plateau désertique, champ de poussière sous un ciel blême. Le monde est vide, la mort a déjà tout emporté. Chanté par Roberto Alagna, l’air E lucevan le stelle est un cri intime dans un espace immense. L’orchestre gagne en chaleur et en amplitude. Il enveloppe la voix sans l’écraser, révélant un Cavaradossi tour à tour héroïque, tendre et résigné. La scène du simulacre d’exécution prend alors un relief nouveau. Parce que le lieu est dépouillé de toute matérialité, l’illusion s’y brise avec une violence encore plus grande.   Tosca — Giacomo Puccini Opéra Bastille du 23 novembre 2025 au 18 avril 2026 Mise en scène : Pierre Audi
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21.11.2025 à 16:00

Entretien avec Stéphanie Hennette Vauchez et Antoine Vauchez

Ces dernières années, les exemples n'ont pas manqué où le pouvoir exécutif a choisi de restreindre des droits et libertés pourtant essentiels : liberté de circulation, liberté de manifester ou encore liberté d'expression. Or, il faut bien constater que les juridictions ont fréquemment validé ces décisions, en acceptant souvent sans véritable examen l'argument d'un intérêt général avancé par les gouvernants. Les auteurs de cet ouvrage, l'une professeure de droit public, l'autre, directeur de recherche au CNRS en science politique, s'attachent à en comprendre les raisons et à en mesurer les enjeux. Le livre est un appel à une remobilisation : celle des juges et des pouvoirs publics, mais aussi, plus largement, de tous les citoyens pour qu'ils disent leur attachement aux libertés publiques et aux droits fondamentaux, et le fassent connaitre à leurs représentants, présents comme futurs.  Nonfiction : Votre ouvrage traite à la fois du Conseil d’Etat et du Conseil constitutionnel. Le rôle du premier est sans doute moins connu du citoyen ordinaire. Pourriez-vous dire un mot pour commencer de la manière dont celui-ci conjugue le conseil au gouvernement dans l’élaboration des lois et règlements et son rôle juridictionnel ? Stéphanie Hennette Vauchez et Antoine Vauchez : Le Conseil d’Etat reste effectivement une des institutions les plus mal connues de la République. C’est sans doute parce qu’elle est aussi l’une des plus difficiles à saisir, tant elle suit de bout en bout le travail gouvernemental, à la manière d’une seconde peau. L’institution du Palais-Royal est ainsi tout à la fois un des lieux clé de la production des nouveaux grands récits sur la réforme de l’Etat, notamment par ses rapports annuels très attendus sur des thèmes aussi divers que les services publics « du dernier kilomètre », la souveraineté, l’Etat régulateur, l’évaluation des politiques publiques, etc. ; un des derniers grands corps, vivier des états-majors ministériels (et primo-ministériel) mais aussi des agences de régulation (CNIL, autorité de la concurrence, etc.), des directions juridiques des administrations publiques (française ou européenne), des grands groupes privés proches de la commande publique, etc. ; mais aussi le conseil juridique des gouvernements qui passe en revue (de forme et de fond) l’ensemble des projets de loi et des règlements qui sortent du tuyau gouvernemental ; et, enfin, en bout de course, le juge suprême de la légalité de l’action administrative.  On s’attendrait, et c’est souvent la compréhension qu’on en a, que ces deux institutions garantissent les droits et libertés des citoyens contre les atteintes du gouvernement. Vous montrez que c’est loin d’être le cas dans la mesure où elles sont conduites, génétiquement pourrait-on dire, à prioriser l’action de l’exécutif. Pourriez-vous en dire un mot ? Comme juge de la loi (pour le Conseil constitutionnel) et comme juge de l’administration (pour le Conseil d’Etat), ces deux cours sont effectivement placées en un point clé de la protection des droits et libertés – surtout après que les états d’urgence et, plus généralement, les tournants sécuritaires ont conduit à une dilatation sans précédent du champ d’action de l’exécutif. Et de fait, la protection des droits et libertés occupe une place centrale dans l’identité des deux institutions, toutes deux nées tout contre l’exécutif, mais qui se sont ré-inventées à différents moments de leur histoire en protectrices des libertés fondamentales ; et de fait, elles se présentent toutes deux comme soucieuses, presque d’abord et avant tout, de leur rôle en matière de protection des libertés. Si ce discours est bien ancré depuis les années 1970 et 1980, il n’a été que conforté par diverses réformes d’importance qui ont doté les citoyens de voies de recours nouvelles (la question prioritaire de constitutionnalité et le référé-liberté) pour obtenir l’intervention rapide du Conseil d’Etat ou du Conseil constitutionnel lorsqu’ils estiment que leurs droits fondamentaux sont en cause. Reste que tout indique, depuis l’histoire de leur ancrage au cœur d’une Vème République tout occupée à restaurer la « force de gouverner », jusqu’à la sociologie de ces juges, issus de carrières politico-administratives (et qui s’y destinent), qu’ils ne sont pas, et ne veulent pas être, des juges comme les autres . L’adage presque bicentenaire qui veut que « juger, c’est encore administrer » fait toujours figure de mot d’ordre. Pour le dire autrement, ils ne se pensent pas en contre-pouvoirs externes, mais en aiguilleurs voire en accompagnateurs de l’action publique, avec toujours à l’esprit la nécessité de permettre au « gouvernement de gouverner » et d’éviter « la paralysie de l’Etat ». Tandis qu’au sein du corps du Conseil d’Etat, 163 des 300 membres sont passés par des cabinets ministériels, au Conseil constitutionnel ce sont les deux tiers des membres s’y étant succédé depuis 1958 qui ont été élus. L’habitus gouvernemental de ces institutions n’a donc, en réalité, rien de surprenant. Mais ce à quoi on s’attèle dans l’ouvrage, c’est à mettre en évidence la manière dont il se traduit très concrètement dans des décisions où ne cessent d’émerger toutes sortes de motifs dits « d’intérêt général » et « d’ordre public » (concurrence, sécurité, etc.) que tant le Conseil d’Etat que le Conseil constitutionnel ne cesse de faire émerger en contre-point des droits et libertés – ravalant au passage ces derniers au rang d’irritants de l’action publique et leur déniant par ailleurs toute spécificité et a fortiori, force particulière. C’est ce qui apparaît, pour ne prendre qu’un exemple, dans la récente décision sur la loi Duplomb d’août 2025 : dans son raisonnement, le Conseil constitutionnel reconnait comme « motif d’intérêt général » la nécessité de « préserver les capacités de production de la filière agricole et de les prémunir de distorsions de concurrence au niveau européen » pour justifier la possibilité de dérogations au droit, pourtant explicitement consacré dans la Constitution par la Charte de l’environnement, à vivre dans un environnement sain… Une telle mise en balance ne va pourtant pas de soi dans une République dont la Constitution affirme dès ses premiers mots que « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu'aux droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004 ».   Dans cette situation, la manière dont ces deux conseils protègent nos droits et libertés tient largement à la considération que les gouvernants portent aux libertés publiques et à l’Etat de droit. Vous montrez comment ce que vous appelez le moment Etat de droit a pu constituer sous ce rapport une exception… On comprend ici à quel point le manque de considération que manifestent pour les libertés publiques les gouvernements successifs fragilise notre démocratie. Là aussi pourriez-vous en dire un mot ? Oui, une des thèses du livre est effectivement qu’on ne peut attendre des juges, quels qu’ils soient du reste (judiciaire, constitutionnel ou administratif), qu’ils défendent seuls l’Etat de droit dans un environnement politique et administratif « hostile ». C’est sans doute la leçon principale qu’on peut tirer du « moment Etat de droit » qui a marqué la période du milieu des années 1970 à 1993 : la volonté qu’ont eu alors les juges de se repositionner en garants de nos droits et libertés, et de poser des lignes rouges claires et non négociables, est indissociable des relais et soutiens qu’ils ont pu alors trouver dans les élites politiques et administratives. La « doctrine Badinter », celle qui rappelait que « plus les Droits de l'homme sont protégés, plus la République est elle-même », et qui aura porté ce mot d’ordre dans un ensemble de décisions clés du Conseil constitutionnel, n’est évidemment pas que le produit de l’engagement d’un homme, aussi admirable soit-il. Elle est aussi l’effet émergent d’une histoire politique qui court depuis les années 1970 et qui a placé la cause des droits (ceux des droits des usagers, des femmes, des travailleurs immigrés, des causes écologistes, etc.) et celle de l’Etat de droit au cœur des programmes des partis dans un dégradé de positions qui va de la gauche à la droite. On en mesure d’autant mieux le contraste avec la situation actuelle où la critique et la délégitimation des juges vient souvent du cœur de l’Etat et de ses principaux ministres. Et on comprend aussi combien elle est lourde de risques au moment où le Rassemblement national s’approche du pouvoir, puisque tout indique (y compris les cas hongrois et polonais) qu’on ne peut faire reposer durablement le sort de l’Etat de droit sur des formes d’héroïsme judiciaire forcément isolés.     Finalement, au-delà de la manière dont l’action du gouvernement, et sa déclinaison dans ce que vous appelez des « programmes réformateurs », détermine, dans de nombreux domaines, la jurisprudence des deux conseils, vous insistez sur un autre problème qui consiste dans la faiblesse de leur ouverture sur les demandes qui émergent de la société. Pourriez-vous encore expliciter ce point ? On l’a dit, les deux cours du Palais-Royal sont logées au cœur de l’Etat ; par leur histoire et par leur sociologie, elles sont marquées par un habitus gouvernemental qui les rend particulièrement sensibles et attentives aux objectifs et aux « bonnes raisons » des gouvernements successifs. Cela ne les empêche de les modérer à l’occasion, mais c’est toujours depuis l’intérieur de l’action publique. Il y a donc une forme de tête-à-tête avec l’exécutif et plus largement avec les institutions politiques et administratives. Le recrutement comme les carrières des membres de ces deux cours les placent en fait rarement du côté de ce monde associatif (Cimade, LDH, ATD Quart monde, etc.), voire même du côté de ceux des organes d’Etat qui, Défenseur des droits en tête, mais aussi Commission nationale consultative des droits de l’Homme, Contrôleur général des lieux de privation de libertés etc., sont les arènes où se documente et s’éprouve le respect des droits humains. Or précisément, on constate que sur des sujets clefs – depuis les nouveaux défis de l’égalité et de la non-discrimination ou la protection des libertés associatives – nos juges du Palais-Royal sont bien peu incisifs. Ils restent très en retrait sur ces questions, réticents qu’ils sont à embrasser la grammaire de la lutte contre les discriminations comme l’aura montré la décision par laquelle, à l’automne 2023, le Conseil d’Etat a rejeté l’action de groupe portée par une solide coalition associative qui visait à obtenir qu’il soit enjoint à l’Etat de prendre des mesures pour mettre fin à la pratique des contrôles discriminatoires.
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14.11.2025 à 09:00

La Walkyrie à la Bastille

Après la scène finale du prologue (L’Or du Rhin) de la Tétralogie, celle où les dieux gravitent autour du Walhalla, une production de La Walkyrie , signée Calixto Bieito pour la mise en scène, est attendue, qui devrait ramener le drame vers l’humain – avec les jumeaux Siegmund et Sieglinde, mais aussi avec les désaccords liés à l’amour, au devoir et à la famille. Calixto Bieito, adepte de métaphores visuelles fortes et de décors symboliques, devrait approfondir sa vision de Wagner en accusant le contraste entre hauteurs mythiques ou divines d’une part, et vécu intime des personnages d’autre part. Esthétique radicale, provocante On sait que Bieito aime les provocations : non seulement par son utilisation de l’image mais aussi par la mise en espace qu’il opère des personnages, des corps et du pouvoir. Ainsi, lorsqu’il présente Fricka en tant de juge ou déesse du mariage, ou qu’il installe Brünnhilde au cœur d’un dilemme filial et divin. Le décor devrait mêler grandiose (éclairages, effets de masse, verticalité) et terre à terre (corps humains, décors usés), soulignant l’opposition entre l’absolu et le concret. Un engagement dramatique renforcé La Walkyrie est souvent considéré comme le volet du Ring où les tensions entre ordre cosmique et destin vs volonté humaine sont les plus puissantes. La mise en scène aura à jouer avec les ombres de la tragédie : que signifie être libre sous la tutelle divine, être en conflit avec ses propres origines (inceste, fratricide, loyauté, révolte) ? Cohérence visuelle et dramaturgique d’un cycle Si L’Or du Rhin a été jugé par certains trop éclaté dans ses temps visuels ou ses métaphores, La Walkyrie pourrait être l’occasion pour Bieito de renouer avec l’équilibre entre le sublime mythique et la douleur humaine, de resserrer son propos scénique sans pour autant sacrifier l’immensité du décor et la grandeur de l’univers wagnérien.    
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07.11.2025 à 18:00

Mettre en scène La Damnation de Faust

Au mois de novembre, le Théâtre des Champs-Élysées propose  La Damnation de Faust de Berlioz. Une œuvre inclassable, entre concert et théâtre Ni opéra ni oratorio, La Damnation de Faust échappe à toutes les classifications. Berlioz a conçu l’œuvre comme un « drame lyrique » à écouter plus qu’à voir, un vaste poème musical où se succèdent visions, élans lyriques et cavalcades infernales. Cependant, sa puissance dramatique, son imagination sonore et sa richesse orchestrale appellent irrésistiblement la scène. Or, mettre en scène La Damnation de Faust , c’est affronter un paradoxe : donner corps à une œuvre conçue pour l’esprit, transformer l’abstraction en incarnation. C’est ce défi qu’a dû relever la metteuse en scène Silvia Costa, artiste au langage visuel singulier, poétique et chargé de symboles. Son univers, à la croisée du théâtre et des arts plastiques, fait dialoguer la lumière, les corps et la musique. Elle entraîne le spectateur dans les paysages intérieurs de Faust — ses tentations, ses mirages, sa chute — pour une plongée à la fois cérébrale et sensorielle, entre rêve et cauchemar. Silvia Costa n’illustre pas ; elle révèle les abîmes du personnage de Faust, ses vertiges, ses contradictions. Par le jeu des ombres, des reflets, des espaces mentaux, elle ouvre un territoire imaginaire où le spectateur est convié à se perdre. Un voyage musical et spirituel Sous la direction de Jakob Lehmann, l’orchestre Les Siècles fait revivre la modernité étincelante de Berlioz, servie par des instruments d’époque et une précision stylistique exemplaire. Le Chœur et la Maîtrise de Radio France, préparés par Lionel Sow et Marie-Noëlle Maerten, amplifient la ferveur et la dimension collective de cette fresque romantique : foule des étudiants ivres, prières de Marguerite, danses frénétiques des démons. Quant au plateau vocal, il réunit des interprètes d’exception. Benjamin Bernheim, l’un des plus grands ténors français actuels, incarne un Docteur Faust tourmenté et fragile — figure du désir infini et de la quête impossible. Viktoria Karkacheva prête à Marguerite sa voix sombre et émouvante, entre pureté et résignation. Christian Van Horn campe un Méphistophélès d’une séduction troublante, tout en ironie et en élégance diabolique. Thomas Dolié complète la distribution avec un Brander jovial, le compagnon de taverne de Faust, dont la chanson grotesque annonce déjà la damnation.   Théâtre des Champs-Élysées 3, 6, 12 novembre 2025 à 19h30 15 novembre 2025 à 18h00
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06.11.2025 à 09:00

Le désir de vivre sa vie : entretien avec Antoine Hardy

Antoine Hardy est écrivain et chercheur en sociologie. Il a soutenu en 2024 une thèse consacrée aux mobilisations scientifiques liées aux enjeux écologiques. Il est l’auteur d’un premier roman, Au bout de la route , publié en 2005 chez Christian Bourgois. Vingt ans plus tard, il publie, chez Grasset cette fois, Libido . Ce nouveau roman raconte l’histoire de Nawel, jeune libraire parisienne et descendante d’immigrés, dont la vie s’écroule après le décès de sa mère. Elle cherche à remplir le vide de son existence par le trop-plein de l’internet, et par la pornographie. Ce nouveau loisir virtuel la ramène soudain à la réalité, car une actrice lui est familière : il s’agit de son amie d’enfance Élodie. Leurs retrouvailles suscitent un nouvel espoir pour Nawel. Aujourd’hui mère célibataire et salariée dans la cantine d’un collège, Élodie, connue autrefois sous le pseudonyme de Queenor, recherche la stabilité et le droit à l’oubli de ce passé professionnel. Mais le numérique n’oublie pas, et Marc Douchet non plus. Ce père de famille et accro au porno en quête de rédemption sera à l’initiative d’une pétition dans l’établissement scolaire pour faire licencier Élodie. Nawel trouvera dans cette énième injustice une force nouvelle pour se battre et reprendre la main sur sa vie. La rencontre, par la suite, d’un réalisateur désargenté, et du dirigeant d’une entreprise dans le secteur de la pornographie en ligne, montre des personnages aux trajectoires imprévisibles mais toujours épris de vie. À travers une écriture tantôt douce, tantôt crue, mais toujours sensible, Antoine Hardy révèle la puissance des expériences communes que sont le deuil, l’amour, l’amitié, le sexe, la honte ou la quête de dignité. Pour ce faire, il use de l’arme la plus puissante de la littérature : l’empathie.   Maud Lepers : Le personnage principal de votre livre, Nawel, est féminin. On pourrait même considérer qu’il s’agit d’un roman de l’amitié entre Nawel et Élodie. Le monde de la pornographie tel qu’il est montré interroge le regard porté sur les corps féminins et les mécanismes de la domination masculine dans le monde contemporain. Comment crée-t-on, dans ce cadre, un personnage féminin en tant qu’auteur masculin ? Antoine Hardy : C’est une question que je me suis posée tout au long de l’écriture du roman ! D’abord, je crois que c’est la proximité émotionnelle qui a orienté mon écriture. Je me sens proche de Nawel et cela m’a aidé à construire ce personnage. En même temps, je suis un homme et elle une femme. Elle vit donc des expériences auxquelles je n’aurai jamais accès en tant qu’homme. Corporellement, je ne sais pas ce que cela veut dire d’avoir ses règles, d’être regardé comme une femme dans la rue, de faire l’amour en tant que femme. Il y a des choses qui me sont inaccessibles sur le plan de l’expérience, alors même que celle-ci peut être une bonne ressource pour écrire. Ce qui peut alors pallier le manque d’expérience directe, c’est la lecture, les discussions, les témoignages, etc. La contrainte que je me suis donnée, ma responsabilité d’auteur, c’est celle de la vraisemblance. J’ai voulu éviter de reproduire les clichés d’un regard masculin sur les femmes, je n’ai pas voulu par exemple raconter la relation entre Nawel et Élodie sous l’angle de la rivalité féminine pour un homme ou de leur attirance sexuelle l’une pour l’autre. Cela dit, cela ne change pas le fait que je suis un homme qui a placé deux femmes au centre de son roman, et je ne doute pas que mon genre, sans que j’en aie eu conscience, a eu des effets sur mon écriture et mes choix narratifs. Enfin, dans la période politique dans laquelle nous sommes, je trouvais intéressant, en tant qu’auteur homme, de me confronter au sujet de la pornographie, en essayant d’incarner les jugements sur le porno dans des vies individuelles et dans des épreuves très concrètes. On observe dans votre récit l’épaisseur du contexte dans lequel vivent les personnages, avec une grande attention portée aux détails. Ceux-ci interpellent le lecteur ou la lectrice à propos de questions actuelles : les enjeux écologiques, le genre et l’hétéronormativité, la mixité sociale ou encore l’actualité médiatique. Que dit ce réalisme de vos intentions dans ce roman ? Cela est-il lié à votre métier de chercheur en sciences sociales ?  Je pense que le travail de documentation n’est pas le monopole des chercheuses ou chercheurs en sciences sociales, et heureusement ! D’ailleurs, les questions que je pose dans ce roman me préoccupent depuis de nombreuses années, ce qui m’a conduit à lire, à regarder des films ou des documentaires, à écouter des podcasts. Et bien sûr à beaucoup parler avec des proches. Ce qui m’intéressait, c’était d’articuler ces questions entre elles. Non pas uniquement d’évoquer la sensation de la fin d’un monde, la sexualité, le réchauffement climatique, mais de relier tout cela au cœur d’une intrigue. Mais votre question me fait réfléchir ! Il y a peut-être un point commun entre la sociologie et la littérature : c’est la volonté de comprendre, avant toute chose. Dans ce roman, bien des personnages sont éloignés de moi, par leurs choix de vie, leurs comportements, leurs valeurs. Mais je veux comprendre pourquoi elles et ils se comportent ainsi. Je trouve que la sociologie et la littérature peuvent nous aider à travailler notre empathie, en nous faisant regarder d’autres vies que les nôtres. Mais je ne vais pas théoriser sur ce sujet car il y a des spécialistes de la littérature, dont je ne suis pas ! Le récit présente différents types de deuils que traversent les personnages : la perte d’un parent, une amitié perdue, un amour qui s’étiole, la fin d’une carrière professionnelle, ou encore la fin du monde naturel tel qu’il a été. Que font ces épreuves aux personnages ? Comment se présentent-elles à différents stades de leurs vies ? Je suis heureux que vous mentionniez cela, car j’ai effectivement le sentiment, avec Libido , d’avoir écrit un roman sur le deuil, et pas seulement parce que le roman s’ouvre sur les conséquences de la mort de la mère de Nawel. C’est vrai que le deuil des proches est une composante importante de ce roman. Je le tire d’une expérience personnelle, puisque ma mère est morte en 2018 et mon père en 2021, c’est-à-dire au cours des années qui m’ont vu débuter puis développer l’écriture de ce roman. Mais c’est un deuil plus large qui habite le roman : faire le deuil d’une longue relation, entre Simon et Nawel ; le deuil d’une amitié qui ne pourra plus jamais être ce qu’elle était dans les temps de l’enfance entre Nawel et Élodie ; le deuil de la stabilité climatique, avec le réchauffement et ses conséquences ; et même le deuil de la stabilité tout court. Nawel, et je l’admire pour cela, est quelqu’un qui est écrasé au sol au début du roman et qui, petit à petit, et parfois de façon maladroite, réussit à se décoller. Mais pour vous répondre plus précisément, les formes de deuil qu’affrontent les personnages sont diverses. C’est une expérience qui est ressaisie dans ce qu’est leur vie quand on les rencontre. Miky, par exemple, ce réalisateur et producteur porno qui va de galère en galère, doit faire le deuil d’un modèle économique qui lui permettait de vivre de cette industrie. Le deuil, c’est la fin, bien sûr, mais cela peut aussi être le début de quelque chose. Et c’est toute la zone entre les deux, douloureuse, incertaine, dont on peut très bien ne jamais réchapper, qui mérite d’être explorée. Le roman sonne finalement comme une ode à la-vie-malgré-tout. On retient la violence qui tranche avec la douceur avec laquelle les personnages sont décrits. La vie semble transcrite à travers une écriture très incarnée, au sens littéral du terme, c'est-à-dire qui s’écrit dans la chair ou par la chair. Elle permet de rompre parfois avec l’apathie qui s’empare des personnages. Comment avez-vous cherché à représenter cette vie qui anime les esprits et les corps de vos personnages ? Je me suis intéressé à leurs expériences corporelles. Disons que j’ai cherché à ce que leurs émotions, les situations dans lesquelles ils se trouvent, puissent trouver une incarnation. Il y a trois fluides dans le roman : le sang, qui ouvre le livre ; le sperme, qui le traverse ; la pisse, enfin. Trois fluides liés aux fonctions corporelles. Mais j’ai aussi prêté attention aux battements du cœur, à la respiration, à la transpiration. Nawel, au début du roman, est engourdie, étouffée ; la chaleur colle les cheveux sur son front. Mais elle se déplie. Elle se remet même à la course à pied ! À l’inverse, le monde de Miky se rétrécit et il maigrit de plus en plus, finissant par penser que sa disparition économique et son étiolement physique sont liés !  Pour finir, une question qui peut être posée à tout auteur : pourquoi avez-vous fait le choix d’écrire cette histoire-là ? Avant ce roman, il y en avait un autre auquel je travaillais, Emma , qui racontait une histoire de prédation exercée sur une jeune actrice dont la carrière commençait à connaître le succès. L’histoire était racontée par son ancien petit-ami. C’est dans ce roman que, progressivement, Libido est né. Il a presque poussé à l’intérieur ! J’avais sans doute davantage envie de raconter une histoire qui ne suive pas le point de vue d’un homme et qui soit plus proche de moi, sur le plan spatial et social. Je voulais vraiment investir la thématique du porno – la vie des actrices, les flux monétaires, le déferlement d’images – en me demandant ce qu’un roman pouvait faire de cela. Comment décrire une vidéo porno ? Faut-il redoubler la littéralité des images ? J’ai plutôt voulu explorer le porno comme une matière et voir ce que celle-ci faisait à nos vies. Même s’il y a aujourd’hui de nombreuses façons de se divertir, je reste convaincu que la lecture procure quelque chose de très spécial. Le cinéma ou les séries peuvent bien des choses que le roman ne peut pas, mais l’inverse est tout aussi vrai !
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06.11.2025 à 09:00

Les Noces de Figaro de Mozart

Du 15 novembre au 27 décembre 2025, le Palais Garnier s’illumine à nouveau avec Les Noces de Figaro dans une production signée Netia Jones et sous la baguette d’Antonello Manacorda. Cette reprise promet non seulement de goûter la finesse musicale mozartienne mais aussi d’apprécier une mise en scène audacieuse, qui prend place au sein même de ce lieu mythique qu’est Garnier. Une œuvre au cœur du répertoire et de ses enjeux Les Noces de Figaro (1786) est peut-être l’opéra le plus fameux du duo Mozart-Da Ponte. Plus qu’une comédie de mœurs, ce drame social léger et subtil exprime les tensions entre classes, les travers du pouvoir et la recherche d’équité. Le Comte Almaviva, la Comtesse, Figaro, Suzanne… tous incarnent des figures d’un monde en mutation, entre privilèges et aspirations démocratiques. À l’opéra, ce sont des personnages humains, confrontés à leurs désirs, mensonges, jalousies — et aussi à leurs faiblesses et à leur aptitude au pardon. Le chant traduit l’affect, la musique colore, nuance, révèle ce qui dans le livret pouvait sembler trop simple. C’est dans cet espace entre le mot et la note que réside la grande puissance de l’œuvre. Une mise en scène qui fait du décor un personnage à part entière Netia Jones (mise en scène, décors, costumes, vidéo), propose de jouer Les Noces non seulement comme une intrigue de salon ou de château, mais comme un regard porté sur les coulisses mêmes du Palais Garnier. L’idée est de considérer le lieu, non comme un simple décor, mais comme le microcosme du pouvoir : les escaliers, les corridors, les loges, les machineries, les coulisses administratives — autant d’espaces où situer les tensions de classe, les rivalités, les secrets. Cette insertion du drame dans le quotidien d’une grande institution lyrique entend rendre l’opéra plus vivant, plus proche. Elle permet aussi de poser la question : dans quelles loges, normes et pouvoirs invisibles se jouent encore aujourd’hui les dynamiques de rang, de genre et de privilège ? Le décor devient théâtre dans le théâtre. C’est Antonello Manacorda qui dirige musicalement ces Noces , un chef dont l’approche mozartienne est unanimement saluée pour sa clarté, son sens du rythme et sa finesse expressive.
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