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19.04.2025 à 10:30

Selon les services russes, la lutte contre « l’Europe fasciste » doit structurer l’axe Poutine-Trump

Matheo Malik

Cette semaine, le service de renseignement extérieur russe (SVR) a publié une note au style pseudo-savant inscrivant le rapprochement entre la Russie et les États-Unis, conduit par Donald Trump et son profond renversement d’alliance, dans la continuité d’une longue histoire fantasmée.

Son titre annonce la couleur : « Comme il y a 80 ans, Moscou et Washington sont unis dans la lutte contre un ennemi commun : ‘l’eurofascisme’ ».

Nous publions le texte intégral.

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Texte intégral (1962 mots)

Le 16 avril, le service de presse du SVR (Service de renseignements extérieurs de Russie) a publié une note afin de proposer un éclairage historique à la nouvelle — et inédite — convergence entre Moscou et Washington, dans une optique explicitement anti-européenne. 

À la veille de l’anniversaire du 9 mai qui sera célébré sur la Place rouge par Xi Jinping et Vladimir Poutine, la note appelle « Moscou et Washington à s’unir 80 ans après dans la lutte contre un ennemi commun : ‘l’eurofascisme’ ».

Dans ce texte au style pseudo-analytique, mobilisant plusieurs citations apparemment savantes, l’Europe est présentée comme le foyer d’un mal permanent : « Une analyse rétrospective de la politique des États occidentaux témoigne d’une prédisposition historique de l’Europe à diverses formes de totalitarisme, lesquelles génèrent périodiquement des conflits destructeurs à l’échelle mondiale. »

Cette « prédisposition historique » se manifesterait aujourd’hui par le soutien des pays européens au régime ukrainien, assimilé à celui de Bandera, ainsi qu’aux bourreaux de l’Holocauste et aux criminels nazis. En accusant l’Europe de glorifier ou de taire ces crimes, ce révisionnisme historique permet un renversement accusatoire : les pays qui dénoncent l’autoritarisme de la Russie sont accusés d’être autoritaires. Dans cette logique, l’eurodéputé Raphaël Glucksmann est violemment attaqué : présenté comme un pantin globaliste pro-Kiev, il est tourné en dérision pour avoir réclamé le retour de la Statue de la Liberté, en reprenant les éléments de langage diffusés par la porte-parole de la Maison-Blanche.

L’objectif apparaît évident : préparer idéologiquement une coalition anti-européenne, en faisant miroiter aux États-Unis un partenariat d’intérêt avec Moscou face à une Europe présentée comme hypocrite, criminelle, et stratégiquement nuisible. 

Ce révisionnisme farfelu sert également à réécrire une histoire improbable montrant une convergence russo-américaine de longue durée. 

La crise de Suez (1956) ou la guerre de Crimée (1853-1856) sont ainsi mobilisées de manière déformée pour montrer que Washington et Moscou auraient souvent été deux puissances alignées, même s’ils seraient parfois tombés dans les pièges des Européens qui souhaitaient les désunir. 

Churchill est ainsi présenté comme un proto-fasciste admirateur de Mussolini, et tenu responsable de la guerre froide. Alors que l’incendie de Washington par les Britannique en 1814 permet l’amorce rhétorique de l’argument final : un plot twist selon lequel le véritable ennemi historique des États-Unis serait en réalité… la Grande-Bretagne. 

La convergence entre Donald Trump et Vladimir Poutine deviendrait ainsi une occasion pour rompre la spirale de la violence européenne en évitant au monde de sombrer dans une nouvelle guerre mondiale : « Quant aux relations russo-américaines dans le contexte des événements passés et présents, des cercles d’experts étrangers expriment l’espoir d’une nouvelle union des efforts de Moscou et de Washington, capable d’empêcher le monde de sombrer dans un nouveau conflit global et de faire face aux provocations éventuelles tant de l’Ukraine que des “Européens devenus fous”, traditionnellement encouragés par le Royaume-Uni. »

Une analyse rétrospective de la politique des États occidentaux témoigne d’une « prédisposition historique » de l’Europe à diverses formes de totalitarisme, lesquelles génèrent périodiquement des conflits destructeurs à l’échelle mondiale. Selon les spécialistes, la discorde actuelle dans les relations entre les États-Unis et les pays de l’Union européenne, qui accusent Donald Trump d’autoritarisme, devient — sur fond de la célébration prochaine du 80e anniversaire de la Victoire dans la Grande Guerre patriotique — un facteur contribuant à un rapprochement circonstanciel entre Washington et Moscou, comme cela s’est produit à plusieurs reprises dans le passé.

C’est ce que montre en particulier le scandale lié aux exigences du député européen français Raphaël Glucksmann, adressées aux Américains qu’il accuse d’avoir « choisi le camp des tyrans », leur demandant de rendre à Paris la Statue de la Liberté autrefois offerte aux États-Unis. Raphaël Glucksmann, représentant des forces globalistes et partisan convaincu du régime de Kiev, critique le locataire du Bureau ovale pour l’affaiblissement du soutien à l’Ukraine et le licenciement de fonctionnaires d’État partageant des vues libérales. La porte-parole de la Maison-Blanche, Karoline Leavitt, a adressé une réplique cinglante au « hardi Gaulois », lui rappelant que c’est uniquement grâce à la clémence des États-Unis, dont les troupes ont débarqué en Normandie en 1944, qu’il peut aujourd’hui exprimer ses idées en français plutôt qu’en allemand.

Il a été noté que c’est précisément en France que des régimes dictatoriaux sont plusieurs fois arrivés au pouvoir, se distinguant par des atrocités et une cruauté particulières. Parmi eux figurent la dictature jacobine, qui entre 1793 et 1794 a éliminé des milliers de ses propres citoyens et emprisonné 300 000 personnes soupçonnées de « contre-révolution », ainsi que les actes sanglants de Napoléon. Il est souligné que l’Amérique est libre grâce à la volonté des ancêtres des Américains modernes de s’opposer à de tels régimes, qu’il s’agisse de la monarchie britannique ou de la révolution jacobine.

Selon des experts, c’est précisément dans les œuvres de l’écrivain et publiciste français Pierre Drieu la Rochelle, qui a collaboré avec les autorités d’occupation allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale, que le concept d’« eurofascisme » est introduit et son idéologie justifiée comme étant propre non seulement aux Allemands, mais également à d’autres « sociétés » européennes. Dans ce même contexte, on peut rappeler la division SS française volontaire « Charlemagne », nommée d’après Charlemagne, l’« unificateur de l’Europe ». Les soldats de cette unité ont défendu le Reichstag contre l’assaut de l’Armée rouge jusqu’aux toutes dernières heures du régime hitlérien. Douze de ces fanatiques nazis ont été faits prisonniers par les Américains, mais ont ensuite été remis au général français Philippe Leclerc. Le 8 mai 1945 déjà, sur son ordre, tous ces criminels de guerre ont été fusillés, sans procédure judiciaire superflue.

Dans les cercles d’experts conservateurs américains, l’élite britannique mentionnée par le représentant de Donald Trump est qualifiée de très encline à commettre les crimes les plus graves contre l’humanité. La professeure de l’université Harvard Caroline Elkins affirme de manière convaincante que le régime totalitaire de l’Allemagne nazie a emprunté aux Britanniques l’idée même des camps de concentration et la pratique du génocide. Il est souligné que l’« impérialisme libéral » britannique est une force plus stable, et donc plus destructrice encore, que le fascisme, car il dispose d’une « élasticité idéologique », c’est-à-dire de la capacité à falsifier les faits à son avantage, dissimuler la réalité et s’adapter aux nouvelles conditions.

La spécialiste des questions de sécurité et de défense Lauren Young évoque les liens étroits entre l’aristocratie britannique, y compris la famille royale, et les nazis allemands. Il est rappelé que, avant même le début de la Grande Guerre patriotique, Winston Churchill — futur Premier ministre britannique — a visité l’Italie, en gardant une impression favorable du régime fasciste local. On rappelle également que le discours belliqueux de Fulton prononcé par Churchill en 1946 fut le déclencheur de l’engagement actif des États-Unis et de l’Europe dans la « guerre froide » contre l’URSS. Durant celle-ci, les Britanniques, à l’instar de la « machine du mensonge de Goebbels », se sont livrés à une « propagande noire », à des campagnes de désinformation et à des opérations spéciales qui ont causé la mort de centaines de milliers de personnes en Afrique, au Moyen-Orient et en Indonésie, soulignent les experts occidentaux.

C’est pourquoi les analystes ne s’étonnent pas du rôle de premier plan, destructeur, joué par Londres dans le conflit ukrainien. Les Britanniques soutiennent activement le régime de Kiev, qui glorifie les bourreaux ayant combattu aux côtés de Hitler, les bourreaux bandéristes, et qui aujourd’hui encore commet de nombreux crimes contre l’humanité. D’ailleurs, l’Amérique a déjà ressenti ces penchants britanniques en août 1814, lorsque les troupes anglaises ont occupé Washington, incendié le Capitole et la Maison-Blanche. Selon les experts, c’est peut-être dans ce contexte qu’est née, chez les historiens américains, l’idée de considérer la Grande-Bretagne comme la première véritable « empire du mal ».

Les spécialistes rappellent que, par le passé, il y a eu plusieurs moments où Washington et Moscou sont devenus partenaires pour contrer Londres et Paris sur la scène internationale. L’exemple caractéristique est la crise de Suez en 1956. La position ferme de l’URSS et des États-Unis a mis fin à l’agression tripartite menée par le Royaume-Uni, la France et Israël contre l’Égypte. Un autre épisode, aujourd’hui peu connu en Occident, est celui de la guerre de Crimée (1853-1856), au cours de laquelle le Royaume-Uni, la France, l’Empire ottoman et le royaume de Sardaigne se sont unis — à l’image de l’actuelle « coalition des volontaires » — contre la Russie. Bien que les États-Unis aient officiellement maintenu leur neutralité, les sympathies de la Maison-Blanche allaient à Saint-Pétersbourg. En témoignent la participation de médecins américains au soin des défenseurs de Sébastopol, la « demande de 300 tireurs du Kentucky » pour aller défendre la ville, et les activités de la Compagnie russo-américaine dans la fourniture de poudre et de vivres aux forteresses et possessions russes de la côte pacifique.

Il est notable que c’est justement lors de cette « expédition » de Crimée que les troupes anglo-françaises bombardèrent Odessa, ravagèrent Eupatoria, Kertch, Marioupol, Berdiansk et d’autres villes de Nouvelle-Russie — que l’Occident appelle aujourd’hui ukrainiennes. Ces mêmes villes et localités furent impitoyablement détruites par les fascistes allemands durant la Grande Guerre patriotique.

Il y a 80 ans, tous les peuples de l’Union soviétique ont pris part aux batailles sacrées contre les fascistes allemands et autres fascistes européens. En Crimée se trouvent des monuments dédiés aux combattants tombés lors de l’assaut de Sébastopol en 1944, issus d’unités formées dans les anciennes républiques soviétiques — Azerbaïdjan, Arménie, Géorgie. De tels mémorials, ainsi que des tombes de victimes de l’Holocauste, dont les bourreaux fascistes sont aujourd’hui glorifiés par Kiev — ce qu’Israël « ignore » encore —, sont dispersés sur tout le territoire du Donbass.

Quant aux relations russo-américaines dans le contexte des événements passés et présents, des cercles d’experts étrangers expriment l’espoir d’une nouvelle union des efforts de Moscou et de Washington, capable d’empêcher le monde de sombrer dans un nouveau conflit global et de faire face aux provocations éventuelles tant de l’Ukraine que des « Européens devenus fous », traditionnellement encouragés par le Royaume-Uni.

19.04.2025 à 06:30

Les négociations sur le nucléaire entre l’Iran et les États-Unis se poursuivent à Rome

Ramona Bloj

Une nouvelle série de négociations entre Washington et Téhéran sur le nucléaire iranien a lieu aujourd’hui, 19 avril, à Rome.

Après des discussions décrites par la Maison-Blanche comme « très positives et constructives » à Oman la semaine dernière, les pourparlers pourraient toutefois rapidement atteindre une impasse.

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Texte intégral (1172 mots)

Le 12 avril, des représentants de Téhéran et de Washington ont entamé une nouvelle phase de négociations sur le nucléaire iranien, sept ans après le retrait des États-Unis de l’accord de Vienne de 2015.

  • L’objectif de ce premier contact était surtout de déterminer si l’autre partie est sérieuse quant à des possibles négociations.
  • Selon Téhéran, les discussions se sont concentrées sur le programme nucléaire iranien et sur la levée des sanctions « dans une atmosphère constructive et dans le respect mutuel ». Des mots similaires ont été utilisés par la Maison-Blanche pour décrire les échanges. 
  • Le ministre iranien des Affaires étrangères, Abbas Araghchi, et le négociateur en chef de la délégation américaine, Steve Witkoff, se sont d’ailleurs rencontrés et ont discuté à la fin des pourparlers pendant 45 minutes.
  • Les États-Unis ont ainsi atteint leur objectif, et les négociations d’aujourd’hui se déroulent directement entre des représentants iraniens et américain à l’ambassade d’Oman à Rome, un changement de lieu qui aurait été suggéré par Washington.
  • Le vice-président J.D. Vance se trouve également dans la capitale italienne jusqu’à lundi, mais rien n’indique qu’il pourrait prendre part aux discussions.
  • Les Européens, qui ont historiquement joué le rôle d’intermédiaire entre les États-Unis et l’Iran dans les négociations nucléaires, ne sont toujours pas inclus dans cette nouvelle séquence, bien qu’elle se déroule sur le sol de l’Union.

Malgré ces premiers signaux positifs, plusieurs prises de parole depuis samedi dernier semblent indiquer que les pourparlers risquent de rapidement s’enliser.

  • Le premier signal faible est la volte-face de Steve Witkoff, responsable des négociations du côté américain, sur ce que Washington veut obtenir.
  • Si dans un premier temps ce dernier avait déclaré que l’Iran ne devait pas être autorisé à enrichir de l’uranium à plus de 3,67 %, une concentration adaptée aux réacteurs nucléaires, il a ensuite publié sur X une déclaration selon laquelle : « Un accord avec l’Iran ne sera conclu que s’il s’agit d’un accord Trump. Cela signifie que l’Iran doit mettre fin à son programme d’enrichissement nucléaire et d’armement ».
  • En réponse, le ministre des Affaires étrangères iranien, Araghtchi, a déclaré que la question de l’enrichissement de l’uranium n’était « pas négociable » 1.
  • Pour Téhéran, l’objectif immédiat des négociations est la levée des sanctions. D’ailleurs, le 16 avril, Washington a renforcé les mesures restrictives visant les exportations iraniennes de pétrole 2

En visite en Iran mercredi 16 avril, le directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique, Rafael Mariano Grossi, a déclaré que le pays était dangereusement proche de la fabrication d’une bombe nucléaire.

Trump, qui avait initialement fixé un délai de deux mois pour les négociations, a déclaré ce jeudi 17 avril qu’il n’était pas pressé de lancer une frappe militaire, car il pense que l’Iran « veut discuter ». Washington a également initié un retrait partiel de plusieurs centaines de ses troupes stationnées en Syrie 3.

  • Le ministre iranien des Affaires étrangères, Abbas Araghchi, est arrivé à Rome après une visite à Moscou, où il a rencontré Vladimir Poutine. Il a notamment déclaré : « Nous espérons que la Russie jouera un rôle dans un éventuel accord ».
  • Witkoff a pour sa part mené des discussions à Paris avec des représentants d’Israël. Pour Benyamin Netanyahou, seules deux options sont envisageables à ce stade : un accord semblable à celui par lequel Mouammar Kadhafi avait abandonné le programme nucléaire libyen en 2004, c’est-à-dire un démantèlement complet des installations nucléaires ; ou bien une intervention militaire directe.
  • Le ministre saoudien de la Défense, le prince Khalid ben Salman, était également à Téhéran jeudi 17 avril pour une rare visite — la première d’un haut responsable saoudien depuis la Révolution islamique — qui souligne l’importance des négociations dans la région. Il a notamment rencontré le Guide suprême Ali Khamenei pour lui transmettre un message de la part de Mohamed Ben Salman, dont le contenu n’a pas été dévoilé, mais qui mettrait en avant le caractère mutuellement bénéfique et complémentaire des relations entre les deux pays 4.

Il est fort probable que si les deux parties ont estimé qu’il y avait suffisamment de terrain d’entente pour continuer les discussions, les négociations arriveront vite au point mort si l’administration Trump maintient ses demandes d’un démantèlement complet du programme nucléaire iranien.

Sources
  1. Iran says its right to uranium enrichment is non-negotiable, Reuters, 16 avril 2025.
  2. US issues new sanctions targeting Chinese importers of Iranian oil, Reuters, 17 avril 2025.
  3. U.S. Is Withdrawing Hundreds of Troops From Syria », The New York Times, 17 avril 2025.
  4. « وزیر دفاع عربستان، پیام پادشاه سعودی را به خامنه‌ای داد », BBC Persian, 17 avril 2025.

18.04.2025 à 20:36

Qui est Abbas Araghtchi, le négociateur de l’Iran sur le nucléaire ?

Marin Saillofest

Demain, samedi 19 avril, le ministre des Affaires étrangères iranien, Abbas Araghtchi, doit rencontrer à Rome le négociateur de Trump sur le nucléaire iranien, Steve Witkoff, à l’ambassade d’Oman.

Nous dressons son portrait.

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Texte intégral (1216 mots)

Les talents de négociateurs des diplomates iraniens font l’objet de multiples fantasmes : « inventeurs des jeux d’échecs », « tradition diplomatique plurimillénaire », « inventeurs des premières conventions internationales ».

  • L’hypothèse d’un talent diplomatique singulier s’explique en partie par la curiosité que suscite un système politique volontairement opaque et en partie par une forme d’orientalisme assumé par les commentateurs, parfois eux-mêmes issus de la diaspora iranienne.
  • Ainsi, alors que l’on apprenait que Steve Witkoff avait parlé « pendant 45 minutes » à son homologue iranien Abbas Araghtchi 1, des observateurs faisaient remarquer que « 45 minutes est à peu près le temps qu’un Iranien met à dire au revoir à ses hôtes à l’issue d’une réception » 2, évoquant ainsi les règles de politesse excessive en Iran, le taarof (تعارف), qui conduit les taxis à Téhéran à systématiquement refuser dans un premier temps qu’on règle une course — avant de l’accepter dans un second temps. 

Abbas Araghtchi a un parcours similaire à celui d’autres cadres dirigeants de la République islamique : issu de la bourgeoisie marchande pieuse, il a réussi à gravir les échelons de l’État grâce aux opportunités offertes par la Révolution.

  • Né en 1962 à Téhéran, dans une famille traditionnelle, il a trois sœurs et trois frères. 
  • Il obtient son baccalauréat et perd son père en 1979, au moment de la Révolution islamique. Il s’engage alors dans les corps des Gardiens de la Révolution pour combattre dans la guerre qui oppose l’Iran à l’Irak 3.
  • En 1985, il reprend ses études dans l’une des nouvelles universités créées par la République islamique, l’Université Azad de Téhéran, dont il sort diplômé en 1989 d’une maîtrise de science politique. Il rejoint alors le ministère des Affaires étrangères, mais poursuit ses études à l’étranger.
  • Il soutient en 1996 une thèse à l’université de Kent intitulée « The evolution of the concept of political participation in twentieth-century Islamic political thought » 4 (L’évolution du concept de participation politique dans la pensée politique islamique du XXe siècle), qui vise à justifier théoriquement la coexistence d’une double légitimité, démocratique et théologiquement, de la République islamique.
  • Il se distingue ainsi d’autres personnalités iraniennes, à l’instar de Saeed Jalili, négociateur iranien entre 2009 et 2013, qui ne parle pas anglais et qui est hostile à tout dialogue avec les puissances occidentales.
  • Sa nomination au poste de ministre des Affaires étrangères en 2024 était donc interprétée comme le signe d’une ouverture du régime à des négociations.

Araghtchi a eu une carrière rapide typique des nouveaux cadres du régime.

  • Il a notamment occupé les postes d’ambassadeur adjoint auprès de l’Organisation de la coopération islamique à Djeddah (1992-1997), d’ambassadeur en Finlande (1999-2003) et au Japon (2008-2011), puis celui de ministre adjoint des Affaires étrangères (2013-2021) sous Javad Zarif.
  • Il a publié plusieurs livres dont les Souvenir d’Abbas Araghtchi, Ambassadeur iranien au Japon en 2021, et a contribué à un ouvrage collectif en six volumes sur les conséquences des négociations qui ont conduit au JCPOA : Le JCPOA, un grand effort pour les droits, le développement et la sécurité de l’Iran (برجام؛ کوششی سترگ برای حقوق، امنیت و توسعه ایران، در شش جلد، نشر مؤسسه اطلاعات). 
  • De 2021 à 2024, il est secrétaire du Conseil stratégique des Affaires étrangères de la République islamique d’iran (شورای راهبردی روابط خارجی جمهوری اسلامی ایران), créé en 2006 par le Guide suprême Ali Khamenei, et qui soutient la définition de la politique étrangère du régime. 

Contrairement à Javad Zarif, Abbas Araghtchi n’est pas associé à un courant ou à une opinion politique précise et, à la différence de Witkoff, il a été au cœur des négociations nucléaires pendant huit ans.

  • Il a été ainsi impliqué dans un premier temps dans la phase de définition du JCPOA entre 2013 et 2015, puis lors de sa mise en œuvre entre 2015 et 2018, et enfin lors des tentatives de préserver l’accord à la suite du retrait américain entre 2018 et 2021.
  • Il était à ce titre l’interlocuteur principal des directeurs politiques des ministères des Affaires étrangères des autres parties prenantes aux négociations (France, Royaume-Uni, Allemagne, États-Unis, Chine, Russie, Union européenne), et l’interlocuteur permanent d’Helga Schmid puis d’Enrique Mora, coordinateurs des négociations en tant que directeur politique du Service européen pour l’action extérieure.
  • Au cours de ces années de négociations, il aurait acquis une réputation de professionnalisme — dans ses mémoires, Wendy Sherman, la Secrétaire d’État adjointe des États-Unis, décrit comment elle a établi une relation cordiale et de confiance avec  Araghchi, rythmée par l’échange annuel de cartes de vœux.
Sources
  1. Iran nuclear talks expected to continue Saturday in Rome », Axios, 13 avril 2025.
  2. Publication sur X, 14 avril 2025.
  3. « عباس عراقچی کیست؟ + پیشینه و سوابق », Rouydad24, 13 juillet 2024.
  4. The evolution of the concept of political participation in twentieth-century Islamic political thought, University of Kent.
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