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20.11.2024 à 17:10

Comment les planètes naissent-elles ? La réponse pourrait se trouver dans les astéroïdes

Marco Delbo, Directeur de recherche à l’Observatoire de la Côte d’Azur, Université Côte d’Azur

La formation des planètes est une question fondamentale en astronomie. Comprendre comment elles se forment et évoluent est crucial pour déchiffrer le système solaire et au-delà.
Texte intégral (1956 mots)
Le télescope infrarouge de la NASA au sommet du volcan endormi Mauna Kea, sur la grande île d’Hawaï, aux États-Unis. Jenly Chen/Flickr, CC BY-SA

La formation des planètes est une question fondamentale en astronomie et en science planétaire. Comprendre comment elles se forment et évoluent est crucial pour déchiffrer le système solaire et au-delà. Malgré les avancées de la science, nous sommes encore loin de comprendre tous les détails de la formation planétaire.


Il est bien connu par la théorie et les observations astronomiques que les planètes se forment dans des disques de gaz et de poussière autour d’étoiles très jeunes. Il est donc logique que les planètes de notre système solaire se soient également formées dans le disque protoplanétaire de notre soleil. Cela s’est produit il y a 4,5 milliards d’années.

Cependant la phase la plus obscure de la formation planétaire est peut-être la façon dont la poussière s’accumule dans un disque protoplanétaire pour donner naissance aux planétésimaux, les objets constitutifs des planètes.

Les modèles classiques reposaient sur une coagulation collisionnelle progressive, un processus où de petits grains de poussière s’agglomèrent petit à petit pour former des particules de plus en plus grosses par des collisions, allant de quelques micromètres jusqu’à la taille des planètes. Cependant, des tests en laboratoire ont montré que ces modèles ne fonctionnent pas, car ils rencontrent un certain nombre d’obstacles, par exemple, les grains de poussière ne peuvent pas croître par collisions successives d’une taille submillimétrique à une taille kilométrique.

Une nouvelle théorie

De nouveaux modèles suggèrent que les planétésimaux se forment à partir des nuages de poussière qui atteignent des densités suffisamment élevées pour se soutenir sur eux-mêmes par la gravité. C’est ce qu’on appelle la Streaming Instability, une théorie qui a pris de l’ampleur dans la communauté de planétologues. Différentes études ont montré que cette théorie reproduit bien la distribution des tailles des grands astéroïdes et des objets transneptuniens.

Pourtant, il n’était pas clair jusqu’où s’étendait la distribution des tailles prédite par cette théorie, c’est-à-dire si elle produisait beaucoup de petits planétésimaux ou s’il existait une taille minimale pour ces derniers.

D’autre part, différentes études trouvent une taille typique d’environ 100 km de diamètre pour les planétésimaux, suggérant ainsi que les petits agrégats de particules ne donnent pas nécessairement naissance à de petits planétésimaux. En effet, il semble que les petits agrégats se dispersent en raison de la turbulence du gaz dans le disque protoplanétaire avant d’avoir la possibilité de former des planétésimaux. Ces derniers se sont-ils formés, donc, à grande ou à petite échelle ? Une réponse définitive n’était pas encore établie.

À la recherche des planétésimaux survivants

Origins, un projet de recherche que je dirige et financé par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR), a apporté une contribution originale dans ce domaine en utilisant une méthodologie novatrice. Celle-ci repose sur l’analyse d’observations et de données astronomiques pour identifier les planétésimaux encore survivants parmi la population des astéroïdes, afin de mesurer leur distribution de taille.

Ces planétésimaux sont localisés dans la partie interne de la ceinture d’astéroïdes, entre 2,1 et 2,5 unités astronomiques, cette dernière étant la distance moyenne Soleil-Terre. Cela a permis de fournir des contraintes observationnelles strictes aux modèles de formation des planétésimaux.

L’idée fondatrice de notre projet repose sur le concept selon lequel les astéroïdes représentent bien les vestiges de l’ère de formation des planètes, mais que tous les astéroïdes que l’on observe aujourd’hui ne sont pas des survivants de cette époque primordiale. Il est connu que de nombreux astéroïdes sont des fragments issus de collisions entre des corps parentaux plus volumineux. Ces collisions ont eu lieu tout au long de l’histoire de notre système solaire. L’âge de ces fragments d’astéroïdes correspond au temps écoulé depuis l’événement de collision qui les a produits jusqu’à aujourd’hui. Bien que ces fragments conservent encore la composition originale de leurs géniteurs, leurs dimensions et formes ne fournissent aucune information sur les processus d’accrétion ayant conduit à l’accrétion des planétésimaux, et par conséquent, des planètes. Les méthodes développées dans le cadre de notre projet ont efficacement distingué les astéroïdes originaux, ayant été accumulés en tant que planétésimaux dans le disque protoplanétaire, des familles des fragments résultant de collisions. Par la suite, elles ont également permis d’étudier les événements dynamiques qui ont contribué à sculpter la structure actuelle du système solaire.

Notre équipe a développé et utilisé une méthode pour découvrir, localiser et mesurer l’âge des familles des fragments de collisions les plus anciennes : chaque membre d’une famille de fragments s’éloigne du centre de la famille en raison d’une force thermique non gravitationnelle connue sous le nom d’effet Yarkovsky.

Cette dérive se produit de manière dépendante de la taille du membre de la famille, les petits astéroïdes dérivant plus rapidement et plus loin que les plus grands. La méthode novatrice de notre projet consistait à rechercher des corrélations entre la taille et la distance dans la population d’astéroïdes. Cela a permis de révéler les formes des familles de fragments les plus anciennes.

Des astéroïdes vieux de 3 à 4,5 milliards d’années

Grâce à cette technique, quatre familles importantes et très anciennes d’astéroïdes ont été découvertes par les chercheurs de notre projet. Ce sont parmi les familles d’astéroïdes les plus répandues. Leur extension est d’environ une moitié d’unité astronomique et ils sont localisés dans la partie plus interne de la ceinture d’astéroïdes et ont des âges entre 3 et 4,5 milliards d’années.

Cependant, une nouvelle méthode d’identification des familles d’astéroïdes nécessite encore des vérifications. L’une de ces vérifications consiste à déterminer la direction de rotation de chaque membre des familles.

Pour ce faire, les chercheurs ont lancé une campagne internationale d’observations appelée « Ancient asteroids », impliquant des astronomes professionnels et amateurs. Ils ont obtenu des observations photométriques des astéroïdes afin de mesurer leur variation de luminosité en fonction de leur rotation (courbe de lumière). Grâce à des méthodes d’inversion de courbe de lumière, l’équipe de notre projet a pu déterminer l’orientation tridimensionnelle des astéroïdes dans l’espace et extraire la direction de rotation. Cela a révélé que les astéroïdes rétrogrades se trouvent généralement plus près du Soleil que le centre des familles, tandis que les astéroïdes progrades se trouvent au-delà du centre des familles, conformément aux attentes théoriques. Ces recherches ont permis de confirmer l’appartenance de plusieurs astéroïdes aux familles très anciennes identifiées par notre équipe.

Une question scientifique majeure qui s’est posée après l’identification des astéroïdes les plus primordiaux était de savoir quelle était leur composition. Pour répondre à cette question, les scientifiques de l’ANR Origins sont retournés à leurs télescopes pour étudier spectroscopiquement ces corps. Leur investigation spectroscopique des planétésimaux de la ceinture principale interne a confirmé que les corps riches en silicates dominaient cette région. Cependant, presque tous les types spectraux d’astéroïdes sont présents, à l’exception notable des astéroïdes riches en olivine. Leur absence parmi les planétésimaux pourrait être due à la rareté de ces types parmi les grands astéroïdes.

Certains types d’astéroïdes sont très rares

Mais pourquoi les astéroïdes riches en olivine sont aussi rares ? On s’attend à ce que les astéroïdes les plus anciens soient riches en olivine en raison du processus de différenciation. Ce processus entraîne l’organisation d’un corps en couches de densités et de compositions différentes, en raison de la chaleur générée par la désintégration d’éléments radioactifs.

Les chercheurs ont découvert, pour la première fois, une famille de fragments d’astéroïdes riche en olivine, probablement formée par la fragmentation d’un corps parent partiellement différencié. Cette famille pourrait également provenir de la fragmentation d’un corps riche en olivine, peut-être issu du manteau d’un planétésimal différencié qui aurait pu se briser dans une région différente du système solaire, et l’un de ses fragments aurait pu être implanté dynamiquement dans la ceinture principale.

En effet, l’idée que des astéroïdes pourraient avoir été implantés dans la ceinture principale par des processus dynamiques a été largement étudiée ces dernières décennies. L’un de ces processus dynamiques pourrait être l’instabilité orbitale des planètes géantes. Cela suggère que Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune se sont formés sur des orbites rapprochées avant de migrer vers leurs positions actuelles. Cette migration aurait pu déclencher des interactions gravitationnelles avec les planétésimaux, les déplaçant dans le système solaire primitif. Déterminer l’époque de cette instabilité est une question majeure car elle est cruciale pour comprendre son impact sur la déstabilisation des populations de petits corps, la perturbation des orbites des planètes telluriques, et éventuellement son rôle dans leur évolution.

The Conversation

Marco Delbo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

20.11.2024 à 17:10

La climatisation et le boom de l’IA vont-ils faire dérailler les engagements climatiques des États ?

Djedjiga Kachenoura, Coordinatrice du projet de recherche sur la finance et le climat, Agence française de développement (AFD)

Le budget carbone (ce que nous pouvons encore émettre avant de dépasser +1,5 ou 2 °C) doit être réparti équitablement entre États et secteurs, mais il n’existe pas de cadre sur la façon de s’y prendre
Texte intégral (3057 mots)

Tandis que les États s’engagent sur des réductions d’émissions de gaz à effet de serre dans le cadre des négociations climatiques internationales, certains domaines d’activité, comme la climatisation ou l’intelligence artificielle (IA), voient leur consommation d’électricité bondir. Comment répercuter les engagements nationaux au niveau des entreprises : selon quelles règles et quelles priorités ? Faudrait-il favoriser les considérations éthiques ou stratégiques ?


Alors que la COP29 sur le climat se déroule ce mois de novembre 2024 à Bakou, en Azerbaïdjan, l’avenir des énergies fossiles se trouve sous le feu des projecteurs.

L’électrification et la décarbonisation de nos économies (l’électricité étant, à condition d’être produite à partir de renouvelables, la plus « propre » des énergies) étaient justement à l’honneur du rapport annuel dévoilé par l’Agence internationale de l’énergie (AIE) en octobre dernier.

Cette édition du rapport, une référence internationale pour décrypter les tendances énergétiques mondiales, les prévisions de consommation et les meilleurs scénarios pour atteindre les objectifs climatiques, aurait pu s’intituler :

« bienvenue dans l’ère contrariée de l’électrique ».

D’ici 2035, la demande mondiale d’électricité devrait augmenter à un rythme annuel équivalent à la consommation électrique d’un pays comme le Japon (1 000 térawattheures). Cette hausse est portée par l’électrification des usages, mais également la demande croissante de climatisation et de dessalement d’eau de mer, en réponse au réchauffement climatique. Et dans une moindre mesure, par l’essor des data centers, en lien avec la croissance des usages liés à l’intelligence artificiel (IA).

De quoi interroger la hiérarchie de ces usages et de leurs finalités : le Financial Times soulignait que l’augmentation du recours à la climatisation constituait l’un des impacts à venir les plus « imprévisible » pour les systèmes électriques mondiaux.

Si l’on replace cela dans le contexte plus général des efforts de la diplomatie climatique pour limiter le réchauffement à 1,5 °C ou 2 °C, ce boom annoncé de l’électrique interpelle. En effet, il interroge la distribution internationale et sectorielle du budget carbone, cette quantité de CO2 que nous pouvons encore émettre sans que le réchauffement ne dépasse la limite souhaitée. Pour réfléchir à cette question, l’AFD a récemment publié une proposition de cadrage comptable et écologique des crédits carbone.


À lire aussi : Combien de tonnes d’émissions de CO₂ pouvons-nous encore nous permettre ?


IA et énergie, un cas emblématique… et un dilemme éthique

Comme le rapportait un article publié par le Washington Post en octobre 2024, des centrales à charbon subsistent aux États-Unis dans certaines régions pour répondre aux besoins énergétiques des data centers, ces infrastructures indispensables à l’IA.

En parallèle, les acteurs de l’IA et leurs fournisseurs de solutions de data centers cherchent à répondre à cette demande d’électricité tout en réduisant leur empreinte carbone. Ceci alimente la demande sur les marchés volontaires de la compensation carbone, et plus largement de solutions de décarbonisation, comme celles de capture du CO2 et même le renouveau de l’énergie nucléaire aux États-Unis.

Le cas de l’IA est emblématique car il cristallise des tensions qui peuvent aussi s’appliquer à d’autres secteurs d’activités :

  • Jusqu’à quel point un acteur ou un secteur économique peut-il augmenter ses émissions de gaz à effet de serre (GES) ? Peut-on définir une « légitimité à émettre » ?

  • Ces acteurs doivent-ils contribuer au développement et à la préservation des puits de carbone naturels (forêts, océans, sols…) et si oui, comment ?

  • Faudrait-il des règles ou des grands principes pour allouer au mieux entre les acteurs privés le budget carbone restant et l’accès aux crédits carbone ?

  • Ou encore, faudrait-il, au minimum, expliciter les règles du jeu pour gagner en transparence ?

Ces questions soulèvent des enjeux techniques, comptables, mais surtout politiques et éthiques.

  • Une éthique centrée sur l’individu prioriserait les usages de l’électricité pour la climatisation, facteur de confort individuel,

  • les États qui hébergent des acteurs majeurs de l’IA auraient, de leur côté, tendance à favoriser cet usage en raison de son importance stratégique,

  • D’autres pays, en revanche, pourraient refuser de limiter l’élevage, secteur très émissif, invoquant des raisons culturelles. Par exemple en Argentine, où la pratique des asados (barbecues) est profondément enracinée dans l’identité nationale.

Budget carbone : de quoi parle-t-on ?

Répondre aux questions qui précèdent n’est pas trivial : cela impliquerait d’avoir un cadre commun et partagé sur la scène internationale. Celui-ci pourrait s’inspirer de concepts financiers, comme les notions de dette et de remboursement de la dette.

Pour rappel, les États signataires de l’accord de Paris s’engagent déjà sur des réductions d’émissions à travers les contributions déterminées au niveau national (CDN). Mais rien n’est prévu pour répartir les budgets carbone au sein d’un même pays, où les actions de décarbonisation sont, in fine, déléguées aux acteurs.

La notion de budget carbone a été conceptualisé par le GIEC dans son sixième rapport d’évaluation du climat.

  • Pour limiter le réchauffement à 1,5 °C avec 50 % de probabilité et la neutralité carbone à l’horizon 2050, le budget carbone restant s’élève à 275 milliards de tonnes (Gt) de CO₂ – soit environ 7 ans d’émissions au rythme actuel.

  • Pour atteindre l’objectif de 2 °C, ce budget grimpe à 625 Gt CO2, ce qui correspond à 15 ans d’émissions au rythme actuel.

Où en sommes-nous ? Les émissions mondiales de gaz à effet de serre s’élèvent actuellement à 40 Gt équivalent CO2 par an, et proviennent approximativement à 90 % des combustibles fossiles (36 Gt) et à 10 % des changements d’usage des sols (4 Gt).

Depuis 1750, l’humanité a émis environ 2 800 Gt équivalent CO2. Heureusement, les écosystèmes terrestres et océaniques ont pu jouer leur rôle de puits de carbone, en divisant par deux la vitesse à laquelle les concentrations atmosphériques de CO2 ont augmenté.

Les émissions de gaz à effet de serre issues des énergies fossiles ne sont plus entièrement compensées par les puits de carbone naturels : le climat se réchauffe. Global Carbone Project, CC BY

À titre d’exemple, entre 2013 et 2022, les systèmes océaniques ont capté 26 % et les terrestres 31 % des émissions. Cependant, leur efficacité diminue avec la hausse des températures, comme le soulignait le dernier rapport du Global Carbon Budget.

Climat : une rigueur budgétaire à géométrie variable ?

Pourrait-on imaginer, pour mieux distribuer le budget carbone, un système de « débiteurs » du CO2 émis avec une obligation de remboursement ? L’enjeu semble surtout être de fixer les priorités. Un peu comme lors d’un exercice budgétaire, ou tout resserrement budgétaire doit conduire à un meilleur optimum social et/ou économique, et où les arbitrages réalisés doivent être explicités.

À l’échelle globale, aucun cadre universel ne permet actuellement de mesurer précisément la contribution des entreprises aux objectifs des CDN des États ou à la gestion du budget carbone mondial : encore faudrait-il savoir selon quels critères le faire, et sur la base de quelle comptabilité.

Le concept d’« alignement » tente d’y remédier : il qualifie les efforts de décarbonisation des entreprises et autres organisations par rapport à une trajectoire idéalisée de leur secteur de référence compatible avec un scénario net zéro.

Schéma explicatif du concept d’alignement avec l’accord de Paris. I4CE

Certaines de ces méthodes, comme celle développée par l’emblématique SBTi (Science Based target Initiative), allouent des budgets carbone d’abord par secteur, puis par entreprise.

Ce processus est controversé car il repose sur des scénarios sectoriels. Ces derniers sont donc bâtis sur des compromis politiques, ainsi que sur des hypothèses en matière de développement technologique et d’évolution de la demande.

Ce système favorise souvent les gros émetteurs actuels, selon le principe du « grandfathering », qui attribue les budgets carbone au prorata des émissions actuelles. Il échappe ainsi à toute délibération politique, créant ainsi une répartition implicite du budget carbone pour les entreprises, sans prendre en compte les trajectoires des CDN déclarées par les pays dans lesquels opèrent les acteurs concernés.

En France, la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) prévoit de répartir le budget carbone national de la France en plusieurs budgets sectoriels. Cette répartition sectorielle, définie par la loi de transition énergétique pour la croissance verte, est le fruit d’un processus politique.

Concrètement, cette loi

« donne des orientations pour mettre en œuvre, dans tous les secteurs d’activité, la transition vers une économie bas carbone, circulaire et durable. Elle définit une trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre jusqu’à 2050 et fixe des objectifs à court-moyen termes : les budgets carbone ».

Les entreprises ne sont toutefois pas tenues de respecter ces budgets carbone sectoriels : la démarche est sur une base volontaire.


À lire aussi : Histoire des crédits carbone : vie et mort d'une fausse bonne idée ?


Faudrait-il aller plus loin et « désagréger » au niveau des entreprises le budget carbone dévolu à un secteur ? Dans un monde idéal avec un prix du carbone approprié, la décarbonisation s’opèrerait naturellement selon un critère optimal coûts-bénéfices. Comme ce n’est pas le cas, il faut descendre au niveau de l’entreprise pour comprendre comment se répartissent les efforts de décarbonisation.

L’entreprise semble être le lieu le plus approprié pour cela : elle a une existence juridique, des comptes financiers, des comptes carbone, et peut être tenue responsable. Elle est le lieu où convergent les investisseurs, les politiques publiques et la société civile.

Dans tous les cas, les méthodes de répartition des budgets au niveau individuel devraient distinguer et expliciter les différents enjeux d’ordre scientifique, technique, économique et politique qui les constituent et les soumettre à des délibérations élargies.


À lire aussi : Le grand flou de la comptabilisation des quotas carbone dans les entreprises


Vers l’épuisement du budget carbone

Le dépassement du budget carbone devrait engendrer la reconnaissance d’une dette climatique qu’il serait obligatoire de rembourser. Ce n’est pas le cas à l’heure actuelle.

Les crédits carbone liés aux puits de carbone (par exemple reforestation ou capture du CO2), qui relèvent principalement des marchés volontaires, ne sont en aucun cas liés à une dette climatique. En effet, aucune comptabilité ne reconnaît formellement le budget carbone, et du coup, ne peut enregistrer son dépassement. Bien que la méthode SBTi mentionnée précédemment tente d’introduire des règles, elle ne s’inscrit pas dans une logique de dette climatique.

Le GIEC a malgré tout formulé des recommandations, notamment le fait de réserver les puits de carbone aux secteurs difficiles à décarboniser (comme l’industrie lourde, l’aviation) ou aux émissions résiduelles, sans qu’il existe de consensus clair sur la définition de ces dernières. Le GIEC propose ainsi une tentative de hiérarchisation partielle (merit order) d’accès aux puits de carbone.

Il faut aussi rappeler que si la maintenance des puits de carbone existants est négligée, la création de nouveaux puits deviendra plus difficile, augmentant ainsi la nécessité de réduire ou d’éviter les émissions pour rester dans les limites du budget carbone global.

À ce jour, aucun cadre ne garantit donc la cohérence entre les systèmes de redevabilité ou de comptabilité carbone entre l’échelle de l’entreprise et celle d’un État. Cette absence de coordination empêche d’aligner efficacement les actions des entreprises avec le budget carbone national, et pose un risque clair de voir naître des politiques climatiques biaisées, des subventions captées par les mauvais acteurs voire des réglementations trop sévères pour d’autres.

The Conversation

Djedjiga Kachenoura ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

20.11.2024 à 17:10

Alliance AUKUS : les problèmes de fond des forces sous-marines australiennes

Benjamin Blandin, Doctorant en relations internationales, Institut catholique de Paris (ICP)

Confrontée à divers défis économiques, techniques et diplomatiques, l’Australie mesure les difficultés liées à la mise en œuvre de l’accord AUKUS.
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Le HMAS Waller, l’un des six sous-marins de classe Collins exploités depuis les années 1990 par les forces armées australiennes, dans le port de Sydney le 29 mai 2008. Horatio J. Kookabura/Flickr, CC BY-SA

Voilà plus de cent ans que l’Australie accorde une grande importance à ses capacités sous-marines. En signant en 2021 l’accord AUKUS, elle s’est lancée dans un projet colossal, dont la mise en œuvre rencontre dernièrement de nombreuses difficultés.


En septembre 2021, l’accord AUKUS est annoncé au grand jour. Ce partenariat stratégique entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis (d’où l’acronyme choisi pour le désigner) porte sur l’acquisition par Canberra d’une dizaine de sous-marins à propulsion nucléaire de fabrication américano-britannique – au grand dam de la France.

L’histoire de la force sous-marine australienne n’a été que rarement mentionnée dans cette affaire, alors qu’elle constitue un facteur clé pour comprendre les tenants et les aboutissants de ce partenariat tripartite.


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Une histoire ancienne semée d’embûches

L’Australie, en dépit d’une base militaro-industrielle assez limitée, d’un éloignement géographique relatif vis-à-vis de ses alliés occidentaux et d’un territoire faiblement peuplé – trois éléments n’en faisant pas un acteur naturel dans le domaine complexe et coûteux des sous-marins –, dispose de plus d’un siècle d’expérience en la matière.

En 1914, durant la Première Guerre mondiale, qui sévit aussi en Océanie, le pays reçoit sa première capacité sous-marine avec la livraison par le Royaume-Uni de deux sous-marins de type « E-class ».

L’escadre australienne entrant dans le port de Simpson, à Rabaul, en septembre 1914
L’escadre australienne entrant dans le port de Simpson, à Rabaul, en septembre 1914. Wikimedia, CC BY-NC-ND

L’un d’eux disparaît, la même année, lors de la campagne contre la base allemande de Rabaul (aujourd’hui en Papouasie-Nouvelle-Guinée). Le second est rapatrié en Europe et utilisé durant la campagne de Gallipoli.

Une deuxième tentative est initiée en 1919, avec la livraison de six sous-marins britanniques « J-class », mais ces derniers, en mauvais état, passent la plupart du temps en réparation et sont décommissionnés en 1922 après avoir été très peu utilisés. S’ensuit une troisième tentative en 1927 avec trois sous-marins britanniques « O-class », qui ne sont livrés qu’en 1930 et rapatriés en 1931, à nouveau en raison de nombreuses difficultés techniques.

Durant la Seconde Guerre mondiale, l’Australie est dépourvue de force sous-marine, à l’exception d’un submersible néerlandais, le K.IX rebaptisé K9, qui permet de former des hommes à la lutte anti-sous-marine. Cependant, de nombreux marins australiens servent dans la Royal Navy et les ports australiens de Brisbane et de Fremantle voient passer 122 sous-marins américains, 31 britanniques et 11 néerlandais. Entre 1949 et 1969, le Royaume-Uni maintient en Australie une flottille comprenant seulement deux à trois submersibles.

La première force sous-marine australienne véritable remonte donc à l’acquisition de six sous-marins de la classe Oberon, mis en service entre 1967 et 1978. Ces appareils nécessitaient cependant une maintenance très coûteuse (75 % du prix d’achat tous les cinq ans) et près de 85 % des pièces détachées et de soutien ont été fournis par des industriels extérieurs, entravant l’autonomie stratégique du pays.

En 1990, débute la construction des six sous-marins de la classe Collins – premiers sous-marins conçus et fabriqués en Australie dans le chantier naval ASC d’Adélaïde. Exploités entre 1996 et 2003, ces submersibles sont une version améliorée et plus longue du mini sous-marin suédois Västergötland.

Cette initiative était ambitieuse, le pays ne disposant pas à l’époque d’un complexe militaro-industriel naval à proprement parler, et son expérience se limitant à la production de navires de taille moyenne et à l’entretien de la classe Oberon. Canberra, via ce projet, souhaite alors gagner en indépendance dans le domaine des systèmes d’armes complexes. Le pays doit importer de nombreux composants et faire appel à l’expertise étrangère, mais la conception de la classe Collins présente l’avantage d’adapter les ambitions du gouvernement aux capacités industrielles nationales.

Les sous-marins de la classe Collins sont une version plus longue du petit sous-marin suédois Västergötland, utilisable par un équipage réduit de 50 personnes. Wikimedia, CC BY

Toutefois, cette expérience rencontre de nombreux problèmes techniques, de la phase de conception jusqu’à la phase d’exploitation et de maintenance. À tel point que moins de 25 ans après la mise en service du premier sous-marin, l’entièreté de la flotte a été jugée inapte, alors que sa durée de vie initiale était fixée à 30 ans. Les autorités australiennes pensaient que ces sous-marins ne pourraient être entretenus que pour une dernière période de sept ans avant l’accord AUKUS. Mais la nécessité de les maintenir en mer jusqu’au début des années 2040, en raison de la difficile mise en œuvre du pacte, exigera une modernisation approfondie et un entretien toujours plus coûteux et complexe.

En 2016, pourtant, Canberra avait signé avec le groupe français Naval Group un contrat qui prévoyait la livraison par la France de huit sous-marins Barracuda « Attack-class » (chiffre plus tard réévalué à douze). La livraison de ces sous-marins diesel, adaptés aux besoins stratégiques de l’Australie et à son opposition de longue date à la technologie nucléaire, était prévue pour le début des années 2030.

Étant donné que la conception, la production et la maintenance des sous-marins de la classe Collins constituaient la seule expérience australienne antérieure, ce contrat offrait à Canberra l’occasion d’accroître son expérience, son expertise et sa capacité industrielle et lui octroyait de surcroît un plus large niveau d’autonomie stratégique. Mais le contrat a été annulé en septembre 2021, entraînant une compensation de 555 millions d’euros versée à Paris et la perte de 3,4 milliards de dollars australiens (2 milliards d’euros) d’investissement initial, après sept années de coopération technique, technologique et industrielle entre les deux nations.


À lire aussi : Sous-marins australiens : le modèle français d’exportation d’armes en question


Un avenir tumultueux pour le pacte AUKUS

L’Australie a-t-elle fait le bon choix en se détournant de Paris au profit des sous-marins nucléaires promis par Londres et Washington ? Plusieurs éléments permettent d’en douter.

En ce qui concerne l’exploitation de la propulsion nucléaire des sous-marins, l’Australie ne dispose d’aucune installation ni expertise, technicien, ingénieur ou scientifique spécialisés. De plus, sa Constitution interdit la production, l’enrichissement, le stockage, l’usage et le transit d’uranium et/ou de plutonium enrichi.

La construction à Adélaïde des futurs sous-marins prévus dans le cadre du pacte AUKUS doit débuter à partir des années 2040, soit près de 40 ans après la dernière production d’un sous-marin sur le sol australien. Une situation susceptible de générer une perte de compétences significative, des retards et des coûts supplémentaires. Seule la dernière modernisation prévue pour la classe Collins pourra contribuer à un transfert de savoir-faire pour la construction des nouveaux sous-marins.

En outre, le coût financier se révèle exorbitant. Entre 2020 et 2050, le montant devrait s’élever entre 268 et 368 milliards de dollars australiens (164 à 225 milliards d’euros) pour la livraison de trois à cinq sous-marins américains de classe Virginia et environ huit sous-marins SSN-AUKUS. Les douze sous-marins de Naval Group avaient été négociés pour 56 milliards d’euros (100 milliards de dollars australiens) et leur coût aurait probablement été de 150 milliards de dollars australiens s’ils avaient été conçus avec un système de propulsion nucléaire.

De plus, la classe de sous-marins du pacte AUKUS nécessite l’amélioration et l’agrandissement des capacités du chantier naval de Perth, pour un coût estimé à 4,3 milliards de dollars. 1,5 milliard devront aussi être investis dans la base navale de Henderson.

Ajoutons que l’accord AUKUS devrait être conclu entre 2023 et les années 2050. Pour les États-Unis, cette période de 35 ans représente l’équivalent de neuf mandats présidentiels américains qui risquent d’entraîner des changements de politique intérieure et extérieure susceptibles d’entraver la mise en œuvre du pacte, à l’égard duquel le président nouvellement réélu Donald Trump s’est d’ailleurs montré critique.

Sans oublier que l’élaboration d’une politique cohérente avec quatre modèles différents (Collins, Astute, Virginia et AUKUS) est un défi supplémentaire pour Canberra. Comment former et transférer les équipages et les officiers d’une classe à l’autre ? Pour rappel, l’« AUKUS improved visit and onboarding program » prévu à cet effet devait débuter en 2023. Mais le positionnement permanent des sous-marins ne sera pas donné avant 2027, les sous-marins SSN-AUKUS ne doivent être livrés qu’au début des années 2040 et la livraison de la classe Virginia prévue en 2030 a été retardée.

La production des sous-marins Virginia par Washington est effectivement loin d’être terminée. La capacité de production est ralentie et la rivalité grandissante avec la Chine pourrait motiver les États-Unis à exploiter plus longtemps leur plus récent modèle de sous-marin avant de le livrer à l’Australie.

Dès lors, quel intérêt l’Australie trouve-t-elle dans ce partenariat ? Difficile de répondre à cette question, sachant que le pacte AUKUS inflige à Canberra une perte de temps et d’argent considérable, suscite une détérioration de ses relations avec la France et l’Asean, une tension accrue avec la Chine et peu voire aucune autonomie stratégique à l’horizon.

Ainsi, la volonté du gouvernement australien de faire de l’alliance AUKUS l’alpha et l’oméga de sa stratégie de défense et de considérer ce contrat comme « trop gros pour échouer » (« too big to fail ») est pour le moins imprudente. Cet apparent excès de confiance ne correspond pas aux réalités que souligne le Congressional Research Service, un think tank du Congrès américain, dans un rapport portant sur le pacte et mis à jour en octobre 2024. Ce dernier alerte sur la quasi-impossibilité pour Washington de livrer les sous-marins prévus et conseille aux autorités australiennes de réorienter leurs investissements militaires dans la défense aérienne, les drones et les capacités de frappe de précision à longue portée.

The Conversation

Benjamin Blandin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

20.11.2024 à 17:10

L’externalisation des contrôles migratoires de l’UE : une politique dangereuse et inefficace

Alice Mesnard, Reader in Economics, City St George's, University of London

Filip Savatic, Chercheur postdoctoral sur le projet Migration Governance and Asylum Crises (MAGYC) au Centre de recherches internationales , Sciences Po

Hélène Thiollet, Chargée de recherche au CNRS, CERI Sciences Po, spécialiste des politiques migratoires, Sciences Po

Jean-Noël Senne, Maître de conférence en Economie, Université Paris-Saclay

Non seulement l’externalisation du contrôle de la migration met en danger les réfugiés et les autres migrants, mais elle se révèle en outre inefficace pour réduire l’immigration irrégulière.
Texte intégral (2668 mots)

Le Pacte sur la migration et l’asile adopté par l’UE en 2024, qui vise à réduire l’immigration irrégulière, consiste notamment à confier le contrôle des frontières aux États d’origine et de transit des migrants. Un examen attentif de la politique d’asile mise en œuvre jusqu’ici par l’Union et, notamment, du fameux accord avec la Turquie de 2016 concernant les Syriens met en évidence les nombreuses failles de ce projet.


Depuis 2014, plus de 30 000 personnes ont péri dans la mer Méditerranée en tentant de rejoindre l’Europe, et des centaines sont mortes en traversant la Manche dans l’espoir de gagner le Royaume-Uni. Ces catastrophes humanitaires récurrentes en Europe ont remis en question la manière dont les pays de destination, de transit et d’origine des migrants gèrent le « contrôle » de leurs frontières.

En réponse, les institutions de l’Union européenne (UE) ont formellement adopté en avril 2024, après environ neuf ans de négociations depuis la « crise » migratoire de 2015, un ensemble de mesures connu sous le nom de Pacte sur la migration et l’asile. Ce texte réforme la manière dont l’UE gère les flux migratoires, avec pour objectif principal de mettre fin à la « migration irrégulière » vers l’Europe.

L’une des principales composantes du Pacte est le renforcement des partenariats internationaux avec les pays d’origine et/ou de transit des migrants dans le but de maîtriser les flux migratoires avant que les individus n’atteignent les frontières extérieures de l’UE. Ces partenariats et les politiques qui en découlent ont été qualifiés d’« externalisation » des contrôles migratoires, car ils représentent des tentatives de la part des États européens et des autres États du Nord de coopter les États d’origine/de transit pour stopper ou décourager les migrations.

À la suite de l’adoption du Pacte, 15 États membres de l’UE ont adressé une lettre commune à la Commission européenne, insistant sur la nécessité de poursuivre l’externalisation et demandant que les demandes d’asile soient traitées et évaluées en amont dans les pays partenaires.

L’externalisation (et l’engagement de l’UE à cet égard) a été largement critiquée par les organisations de la société civile et les défenseurs des migrants, ainsi que par des universitaires de différentes disciplines. Ces critiques soulignent que les politiques d’externalisation limitent la capacité des individus à demander l’asile en Europe et conduisent à de nombreuses violations des droits de l’homme.

De leur côté, les décideurs européens font valoir que les politiques d’externalisation sont compatibles avec les obligations juridiques internationales et nationales de fournir une protection humanitaire à ceux qui en ont besoin. Ils affirment que ces politiques découragent les migrations « irrégulières » tout en garantissant le droit aux personnes fuyant la violence et la persécution de pouvoir continuer de demander l’asile.

Or notre article de recherche récemment publiée montre que les politiques d’externalisation réalisent le contraire de ces objectifs affichés : elles empêchent les demandeurs d’asile de solliciter une protection internationale tout en déplaçant la migration irrégulière vers d’autres itinéraires moins contraints.

Distinction entre migration forcée et irrégulière

Pour évaluer l’impact des politiques d’externalisation, il est d’abord nécessaire de distinguer la migration forcée des individus qui obtiendront probablement le statut de « réfugiés » dans leur pays de destination des autres migrations probablement « irrégulières ».

Cette distinction est controversée en sciences sociales. Loin d’être une description exacte des personnes migrantes ou un fait purement juridique, elle s’ancre dans des pratiques et des politiques de catégorisation et de hiérarchisation des groupes et de leurs droits à entrer ou rester sur un territoire. Ces pratiques et ces politiques varient dans le temps et sont largement déterminées par les dynamiques politiques des gouvernements qui les mettent en place, qui sont le plus souvent ceux des pays de destination ou de circulation des personnes migrantes.

Pour opérer une distinction entre les « réfugiés probables » et les « migrants irréguliers probables », nous avons développé une nouvelle méthode de catégorisation des flux migratoires qui prend en compte les décisions d’octroi ou non de l’asile dans les pays de destination, en fonction de la nationalité des demandeurs et de l’année de la demande.

Alors que les conditions dans les pays d’origine influencent la probabilité que les individus obtiennent le statut de réfugié, les décisions en matière d’asile prises dans les pays de destination sont au terme du processus celles qui déterminent si quelqu’un « est » ou « n’est pas » un réfugié. En outre, bien que les décisions en matière d’asile soient généralement prises au cas par cas, la nationalité des demandeurs d’asile est largement prise en considération. En pratique, le Pacte de l’UE préconise lui-même l’utilisation des taux d’acceptation des demandes d’asile par nationalité pour déterminer si les individus entreront dans une procédure d’asile accélérée plutôt que dans une procédure d’asile standard.

En utilisant les données d’Eurostat sur les décisions d’asile en première instance, nous avons calculé une moyenne pondérée annuelle du taux d’acceptation des demandes d’asile par nationalité des demandeurs dans 31 États européens de destination (l’UE-27, l’Islande, la Norvège, la Suisse et le Royaume-Uni). La pondération tient compte du nombre de décisions prises par nationalité dans chaque pays. Par exemple, le taux d’acceptation du statut de réfugié des ressortissants syriens en Allemagne a un poids plus important car c’est dans ce pays que la plupart des Syriens arrivés sur le territoire de l’UE ont demandé l’asile.

Ensuite, nous avons utilisé cette moyenne pondérée annuelle pour diviser l’enregistrement des flux migratoires non autorisés vers l’Europe en deux catégories : « réfugiés probables » et « migrants irréguliers probables ». Plus précisément, nous avons utilisé les données sur les détections de « franchissement illégal des frontières » (IBC) publiées par Frontex, l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, qui fournit à ce jour les seules données systématiquement disponibles sur les flux migratoires précédemment non autorisés vers l’Europe.

Dans une publication récente, nous avons démontré que l’étiquetage « irrégulier ou illégal » de cet ensemble de données est très problématique étant donné qu’il n’est pas illégal de franchir les frontières des États parties à la Convention sur les réfugiés de 1951 sans autorisation préalable et d’y demander l’asile. Nous montrons dans quelle mesure, depuis 2015, cet ensemble de données a toutefois été fréquemment cité par des sources d’information à destination du grand public à travers l’Europe, ainsi que par des organisations internationales et des chercheurs, comme une mesure objective de la migration « irrégulière » ou « illégale ».

Les données publiées par Frontex indiquent le nombre de passages de frontières sans autorisation préalable identifiés par les États membres de l’UE et de l’espace Schengen et sont organisées en neuf itinéraires types vers l’Europe. La route de la Méditerranée orientale (représentant les passages de la Turquie vers la Grèce) et la route de la Méditerranée centrale (représentant les passages de la Libye et de la Tunisie vers l’Italie et Malte) sont les deux principales routes en termes de nombre de passages. La nationalité de chaque individu identifié lors du passage est indiquée, ce qui nous permet de répartir chaque franchissement dans l’une de nos deux catégories en utilisant le taux moyen pondéré d’octroi de l’asile par nationalité.

Évaluer l’impact de la déclaration UE-Turquie

Notre nouvelle méthode de catégorisation des migrations nous permet de révéler la nature dite « mixte » des flux migratoires vers l’Europe et d’évaluer les impacts des politiques d’externalisation sur les différentes catégories de migrants.

Tout d’abord, nos résultats montrent que 55,4 % des passages non autorisés de frontières sur la période 2009-2021 représentent des franchissements de « réfugiés probables » – une proportion qui atteint 75,5 % pour l’année de crise de 2015 et un minimum de 20 % les autres années. Les franchissements de frontières dits « irréguliers » représentent donc toujours des migrations « mixtes », tandis que les pics de flux représentent le plus souvent des migrations forcées de réfugiés probables. Cela remet en question la manière dont les données de Frontex sont étiquetées et utilisées.

Deuxièmement, nous avons mené une analyse quantitative approfondie de l’impact de la déclaration UE-Turquie de mars 2016 sur nos deux catégories de migrants. Cette politique est un exemple paradigmatique d’externalisation, souvent présentée par les décideurs politiques comme une avancée majeure qui a permis de mettre un terme à la crise migratoire de 2015.

En nous concentrant sur la période des 12 mois précédant et suivant l’adoption de la déclaration, nous montrons comment cette politique n’a en réalité pas atteint ses objectifs. Certes, sur la route de la Méditerranée orientale, directement ciblée par la politique, le nombre total de franchissements non autorisés a nettement diminué. En revanche, sur la route de la Méditerranée centrale – l’itinéraire alternatif le plus proche – ce nombre a parallèlement grimpé en flèche. Ces deux changements sont presque entièrement dus au nombre de « migrants irréguliers probables » identifiés sur chacune des routes. Sur l’itinéraire de la Méditerranée orientale, la politique n’a précisément pas eu d’effet significatif sur les traversées effectuées par les « réfugiés probables », malgré les dispositions de l’accord qui restreignent considérablement leur accès à l’asile. Dans le même temps, peu d’entre eux ont déplacé leurs trajectoires de migration vers la route de la Méditerranée centrale.

La nécessité d’alternatives politiques

Signé en 2024, le Pacte européen sur la Migration et l’Asile, âprement négocié au sein de l’UE, veut renforcer les partenariats extra-internationaux pour mieux gérer l’immigration et l’asile. Or nos conclusions révèlent que la déclaration UE-Turquie, souvent mis en avant pour favoriser ces partenariats, a été un échec en soi. Elle a largement empêché les personnes susceptibles d’être reconnues comme réfugiés de demander l’asile, tout en détournant les migrants irréguliers vers d’autres routes migratoires. En outre, les promesses de relocalisation de réfugiés syriens en Europe depuis la Turquie ne se sont pas concrétisées, seulement 40 000 personnes ayant été réinstallées depuis 2016 sur plusieurs millions présents en Turquie.

L’analyse que nous avons menée révèle les dangers de l’externalisation et la manière dont les politiques qui y sont liées sont potentiellement incompatibles avec les engagements juridiques pris par les États européens en matière de protection humanitaire, ainsi qu’avec les politiques d’asile qu’ils mettent en œuvre au niveau national. En proposant une analyse quantitative approfondie de son (in) efficacité au regard de son objectif déclaré de stopper la migration irrégulière, notre travail de recherche complète ainsi les critiques existantes de l’externalisation, qui ont mis l’accent sur la menace qu’elle représente pour le droit des individus à demander l’asile, et sur la dangerosité accrue des parcours migratoires du fait de la criminalisation des voies d’accès légales aux pays européens.

À la lumière de ces constats, il apparaît nécessaire que les décideurs politiques au sein de l’UE reconsidèrent leur engagement en faveur de l’externalisation des contrôles migratoires, notamment dans le cadre du Pacte sur la migration et l’asile. D’autres formes de coopération internationale mettant l’accent sur les voies légales de migration ainsi que sur l’organisation de la réinstallation des réfugiés depuis leur pays d’origine ou des premiers pays d’asile dans le Sud global serviraient mieux les intérêts de tous les États tout en protégeant les droits fondamentaux des personnes en déplacement.

The Conversation

Alice Mesnard a reçu des financements de l'Union Européenne (H2020) dans le cadre du projet MAGYC Migration Governance and Asylum Crises https://cordis.europa.eu/project/id/822806 (projet 822806).

Filip Savatic a reçu des financements de l'Union Européenne (H2020) dans le cadre du projet MAGYC Migration Governance and Asylum Crises https://cordis.europa.eu/project/id/822806 (projet 822806).

Hélène Thiollet a reçu des financements de l'Union Européenne (H2020) dans le cadre du projet MAGYC Migration Governance and Asylum Crises https://cordis.europa.eu/project/id/822806 (projet 822806).

Jean-Noël Senne a reçu des financements de l'Union Européenne (H2020) dans le cadre du projet MAGYC "Migration Governance and Asylum Crises": https://cordis.europa.eu/project/id/822806 (projet 822806).

20.11.2024 à 17:10

Mobilités internationales des professionnels de santé : comment faire pour qu’elles profitent à tous ?

Stéphanie Tchiombiano, Maitresse de conférence associée dans le département de science politique, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Maëlle de Seze, Chercheuse en santé mondiale et science politique, Université de Bordeaux

Face à la pénurie de personnels, les frontières s’ouvrent pour laisser entrer les soignants étrangers. Comment éviter de saigner les systèmes de santé de leurs pays d’origine, tout en respectant la liberté individuelle ?
Texte intégral (2744 mots)
EVG Kowalievska/Pexels

De nombreux États recrutent des soignants étrangers pour pallier le manque de personnel au sein de leurs systèmes de santé. Au détriment, parfois, des pays d’origine. Pour s’assurer que tous tirent bénéfice de cette situation, diverses solutions sont explorées, entre recommandations éthiques, accords bilatéraux ou mesures incitatives.


La pénurie mondiale de soignants, particulièrement criante pendant le pic de la pandémie de Covid-19 et les discussions sur les lois cherchant à réguler l’immigration, en France comme ailleurs, ont remis à l’agenda la question des mobilités internationales des professionnels de santé.

Pendant la crise Covid, plusieurs pays européens ont sollicité l’aide médicale de Cuba, d’autres ont envoyé des émissaires faire du recrutement actif de soignants dans des pays où la pénurie de professionnels de santé était déjà extrêmement grave, une pratique allant à l’encontre de toutes les recommandations internationales en termes de recrutement de professionnels de santé.

Selon le point de vue que l’on adopte, l’émigration des soignants peut être considérée comme un problème pour les pays d’origine qui voient leurs personnels partir pour l’étranger, ou comme une source d’opportunités, à la fois pour les professionnels de santé concernés, pour les systèmes de santé des pays d’accueil, voire pour les pays originaires, lorsque ces flux sont régulés et encadrés. Quels sont les garde-fous qui existent pour s’en assurer ?

Des flux de mobilités complexes

Le nombre de médecins et d’infirmiers nés à l’étranger a augmenté de 20 % dans les années 2010, par rapport à la décennie précédente. Actuellement, on considère qu’un médecin sur six exerçant dans les pays de l’OCDE a été formé à l’étranger.

Les mobilités de ces personnels sont complexes et ne se résument pas à de simples flux « Sud-Nord » qui résulteraient uniquement d’un phénomène de « fuite des cerveaux » (« brain drain » en anglais).

Le cas de l’Afrique du Sud est particulièrement édifiant : les médecins étrangers y représentent plus de 10 % de la main-d’œuvre médicale totale et le gouvernement traite des demandes d’enregistrement de médecins provenant de plus de 60 pays. Si le Nigeria est le principal pays d’origine de ces médecins qui migrent en Afrique du Sud (devant le Royaume-Uni, Cuba et la République démocratique du Congo), il est étonnant de constater qu’à l’inverse, 17 % des médecins exerçant au Nigeria sont étrangers (par ailleurs, 50 % des médecins nés à l’étranger qui y exercent viennent d’Asie, 29 % viennent d’Afrique, 14 % viennent d’Europe et 4 % viennent d’Amérique).

Le Nigéria est donc à la fois un pays « importateur » de médecins et, dans le même temps, un pays « exportateur », puisque certains médecins nigérians font à l’inverse le choix de partir, espérant trouver de meilleures conditions de travail aux États-Unis ou au Canada, par exemple. L’espoir d’un meilleur salaire occupe une place centrale dans leurs choix. L’herbe est souvent plus verte ailleurs, et les dynamiques migratoires délicates à décoder…

Mondialisation et inégalités économiques, deux moteurs des mobilités

La mobilité accrue des professionnels de santé ne s’explique pas uniquement par l’épidémie de Covid-19. Elle est également liée à l’augmentation des échanges mondialisés et à l’internationalisation des formations (facilitée par des dispositifs de reconnaissance des diplômes de plus en plus nombreux, même si leur absence est encore souvent un frein).

Elle est aussi renforcée par les inégalités économiques entre les pays, les différences en termes de conditions d’exercice, de conditions de travail et de conditions de vie.

Les raisons qui poussent les soignants et leurs familles à la migration peuvent être variées, au-delà du salaire : certains décident de migrer pour des raisons sécuritaires, d’autres, car ils ne reçoivent pas leurs attributions de postes, d’autres encore parce qu’ils ne peuvent pas pratiquer la médecine dans de bonnes conditions, etc.

Dans de nombreux pays à revenu faible ou intermédiaire, les professionnels de santé travaillent dans des conditions souvent difficiles, avec des statuts parfois précaires et des systèmes de santé qui n’ont pas toujours les moyens de créer des postes en nombre suffisant ou de retenir les professionnels de santé en zones rurales et reculées.

En comparaison, les perspectives d’emploi dans les pays à revenu plus élevé sont plus attractives, en particulier lorsque des émissaires de ces pays démarchent à l’international pour recruter en période de stress aigu sur les systèmes de santé (comme durant l’épidémie de Covid-19).

Des régions plus touchées que d’autres

Si la pénurie de soignants est mondiale, certaines régions du monde sont plus touchées que d’autres. En 2013, les professionnels de santé manquants dans la région « Afrique » de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) représentaient un quart de la pénurie mondiale de soignants.

En 2030, l’OMS estime que ce chiffre augmentera pour atteindre 52 %. Avec la région de la Méditerranée orientale (20 %) et la région de l’Asie du Sud-est (19 %), ces trois régions représenteront 90 % de la pénurie mondiale de personnels de santé en 2030.

Comment atténuer les effets négatifs de ces mobilités sur les systèmes de santé des pays d’origine, en particulier lorsque ces pays sont en situation de pénurie critique de professionnels de santé, sans priver pour autant les individus de leurs droits à migrer ? Plusieurs pistes sont actuellement explorées.

Des recommandations éthiques

L’OMS a mis en place des dispositifs comme le Code de pratique mondial qui fixe quelques « règles du jeu » éthiques : ne pas nuire aux systèmes de santé des pays d’origine, respecter des principes de transparence, d’équité, de durabilité, tenir compte du droit à la santé des populations, respecter les droits individuels et la liberté des professionnels de santé qui souhaitent migrer, etc.

Une liste d’appui et de sauvegarde des personnels de santé est régulièrement mise à jour, pointant les pays où la pénurie de professionnels de santé est la plus critique et la densité de soignants la plus faible. Le recrutement actif de professionnels de santé de ces pays est théoriquement proscrit et ce sont les pays prioritaires pour les actions de la communauté internationale visant à lutter contre la pénurie de soignants.

Il s’agit aussi, avec les directives opérationnelles de l’OIT (Organisation internationale du travail), de s’assurer que les conditions de recrutement et de travail de ces professionnels de santé étrangers respecteront des normes éthiques.

En France, par exemple, des professionnels de santé sont régulièrement embauchés dans le système hospitalier en dessous de leurs qualifications, avec des salaires inférieurs ou de moins bonnes conditions de travail que leurs collègues nationaux.

La création d’une carte de séjour « talents-professions médicales et de la pharmacie », entrée en vigueur en France en janvier 2024, entretient l’idée de professionnels de santé formés à l’étranger comme variables d’ajustement de la pénurie nationale. Ce type de carte de séjour, qui doit être renouvelé tous les quatre ans, maintient par ailleurs les professionnels de santé dans une précarité relative et nuit à leur intégration durable dans le système de santé.

Pour les pays d’accueil, les mesures mises en place peuvent viser à faciliter les arrivées (via par exemple des procédures spécifiques de visas permettant aux professionnels de santé migrants de se stabiliser plus rapidement dans le pays d’accueil), ou encore à proposer des allègements fiscaux en reconnaissance de l’apport des soignants migrants.

Mise en place d’accords bilatéraux

Des accords bilatéraux peuvent être mis en place entre pays d’accueil et pays d’origine, instaurant non seulement des mécanismes compensatoires financiers (au bénéfice des États qui forment massivement des professionnels employés par d’autres États), mais aussi des dispositifs de formation linguistique ou d’aide à l’intégration.

C’est par exemple le cas du programme allemand « Triple win » qui a passé des accords avec sept pays : Inde, Vietnam, Tunisie, Serbie, Bosnie-Herzégovine, Philippines, et Jordanie.

Certains pays d’accueil ont également mis en place des dispositifs de formation et d’enseignement structurés pour les agents de santé migrants, à l’exemple de l’Irlande, dont le système de santé dépend fortement de personnels de santé notamment originaires du Pakistan et du Soudan.

Pour concilier cette nécessité avec son engagement envers le Code de pratique mondial de l’OMS, le gouvernement irlandais a lancé un programme de formation postuniversitaire de deux ans – l’International Medical Graduate Training Initiative (IMGTI) – à l’intention des médecins pakistanais.

L’objectif global est qu’à court terme, ces diplômés acquièrent une expérience de formation clinique qui leur est autrement inaccessible, afin d’améliorer à long terme les services de santé dans leur pays d’origine.

Mesures incitatives

Conscients des enjeux liés à la mobilité des professionnels de santé, de plus en plus de pays mettent en place des politiques spécifiquement dédiées à ces questions. Il peut s’agir pour les pays d’origine de mesures incitatives visant à convaincre les soignants de ne pas partir, ou à faire revenir ceux qui sont partis à l’étranger (comme le programme chinois d’aide au retour « Young Thousand talents »).

Pour les pays d’accueil, les mesures mises en place peuvent viser à faciliter les arrivées (via par exemple des procédures spécifiques de visas permettant aux professionnels de santé migrants de se stabiliser plus rapidement dans le pays d’accueil), ou encore à proposer des allègements fiscaux en reconnaissance de l’apport des soignants migrants.

Toutefois, les pays à revenu élevé, et notamment la France, doivent également « jouer le jeu » et accepter de ne pas pratiquer le recrutement international actif alors qu’ils ont d’autres moyens à leur disposition afin de lutter contre la pénurie relative de professionnels de santé à l’intérieur de leurs frontières (augmentation du nombre de places en formation et en stage, accroissement du nombre de postes de fonctionnaires au sein du service public hospitalier, etc.).

Soulignons que le droit international est non contraignant sauf accord explicite du pays concerné. Le respect des recommandations et bonnes pratiques dépend donc du bon vouloir des États et du risque « réputationnel » qu’ils courent en ne respectant pas ces principes.

Mieux reconnaître la valeur des soignants migrants

Il faut retenir de ces expériences l’idée générale de mettre en place des dispositifs incitatifs plutôt que contraignants pour répondre aux différents déséquilibres (nationaux, régionaux, internationaux). La mobilité des professionnels de santé est un fait, il nous semble qu’elle doit globalement être considérée comme une opportunité (échange de pratiques venant de cultures médicales différentes, mise en place de réseaux internationaux, etc.).

Les soignants migrants traversent souvent de nombreuses difficultés d’ordres administratif, financier, familial, etc. Obtenir une équivalence à la hauteur de leurs diplômes et de leurs qualifications par exemple peut prendre des années, même lorsque les candidats sont excellents.

Il ne s’agit donc pas de mettre en place de nouvelles entraves, de chercher à limiter les mobilités, mais plutôt de les accompagner de mesures incitatives et de mécanismes compensatoires afin de rétablir une forme d’équilibre.

Tant qu’il y aura des situations paradoxales où des pays à revenus faibles financent la formation de nombreux professionnels de santé qui vont ensuite pratiquer ailleurs, ces États ne parviendront pas à diminuer leur propre pénurie nationale de professionnels de santé et les inégalités en matière de densité de soignants continueront à croître.

The Conversation

Le présent article est en lien avec une étude "Les métiers de la santé de demain", réalisée pour le think tank Santé mondiale 2030 (http://santemondiale2030.fr) et financée par l'Agence Française de Développement. Stéphanie Tchiombiano a été la coordinatrice de ce think tank de 2016 à 2023.

Maëlle de Seze était salariée du think tank Santé mondiale 2030 de février 2022 à février 2023 afin de réaliser l'étude "Les métiers de la santé de demain", qui portait en partie sur les données présentées dans l'article.

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