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03.06.2025 à 11:14
Activité physique : les objets connectés peuvent-ils nous motiver ?
Texte intégral (2049 mots)
Appli, jeux vidéo actifs, montres intelligentes, plateformes… les outils numériques consacrés à l’activité physique ont-ils fait leurs preuves pour nous motiver à bouger davantage ? Et conviennent-ils à tous les publics, depuis les enfants jusqu’aux personnes âgées ? On fait le point.
L’activité physique est largement reconnue comme bénéfique pour la santé. À l’inverse, l’inactivité physique représente un facteur de risque majeur pour le développement de maladies non transmissibles. Face à ce constat, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a établi des recommandations.
Les adultes devraient pratiquer entre 150 et 300 minutes d’exercice aérobie d’intensité modérée (comme la marche rapide), ou entre 75 et 150 minutes d’activité soutenue par semaine. Pour les personnes âgées, ces recommandations incluent également des exercices d’équilibre tandis que, pour les enfants, 60 minutes d’activité physique quotidienne sont préconisées. Pourtant, une grande partie de la population ne parvient pas à atteindre ces niveaux de pratique.
À lire aussi : Activité physique et santé : aménager nos espaces de vie pour contrer notre tendance au moindre effort
Les outils numériques semblent constituer un levier prometteur pour l’adoption d’un mode de vie plus actif. Mais quels sont ces outils, et dans quelle mesure permettent-ils d’encourager la pratique d’une activité physique ?
Peuvent-ils constituer un moyen efficace d’engagement et de motivation, ou se heurtent-ils à des limites en termes d’accessibilité, d’usabilité ou de durabilité de leurs effets ?
Engagement et motivation pour la pratique d’une activité physique : de quoi parlons-nous ?
L’engagement reflète l’implication d’un individu dans un domaine, tandis que la motivation est l’énergie qui le pousse à agir, qu’elle soit intrinsèque (plaisir personnel, bien-être) ou extrinsèque (influencée par des récompenses).
Dans le domaine des activités physiques et sportives, des études montrent que la motivation impacte les émotions, la vitalité et les performances des pratiquants. Celle-ci constitue un facteur clé de réussite, en lien avec la théorie de l’autodétermination, qui repose sur trois besoins psychologiques fondamentaux : l’autonomie, le lien social et le sentiment de compétence.
Engagement et motivation sont donc essentiels pour maintenir une pratique régulière et dépendent d’un ensemble de facteurs psychologiques, sociaux et environnementaux. À long terme, un mode de vie actif repose sur l’adoption de stratégies adaptées qui tiennent compte de ces différents déterminants.
Montres intelligentes, applis, plateformes ou jeux vidéo actifs
Les outils numériques ont profondément transformé notre quotidien. Appliqués à l’activité physique, ils présentent plusieurs avantages, tels que la mesure et l’enregistrement des performances, le suivi des progrès, le partage des données avec d’autres pratiquants ou encore la gamification, c’est-à-dire l’intégration d’éléments de jeu à des contextes non ludiques, ce qui rend la pratique plus attractive.
Les objets connectés, notamment les montres intelligentes, développées par des marques comme Fitbit, Apple ou Garmin, sont de plus en plus populaires parmi les pratiquants.

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Ces dispositifs permettent de mesurer le nombre de pas, la fréquence cardiaque ou les calories brûlées, tout en encourageant l’atteinte d’objectifs quotidiens. Ils offrent également une vision claire de l’évolution des performances et renforce la motivation à poursuivre l’effort.
Avec plusieurs millions de téléchargements à travers le monde, les applications mobiles consacrées à l’activité physique sont devenues des outils incontournables pour encourager une pratique régulière.
Des plateformes telles que Strava, Fitbit, Nike Training Club ou MyFitness, proposent des programmes personnalisés adaptés aux objectifs des utilisateurs, qu’il s’agisse de perte de poids, de gain musculaire ou d’amélioration de l’endurance.
Certaines de ces applications incluent des fonctionnalités de suivi des progrès, des défis entre pratiquants et des rappels pour maintenir la régularité de la pratique. Ce type de gamification transforme l’effort physique en un défi motivant, tout en générant un sentiment d’accomplissement.
Voués aux enfants et adolescents… également aux personnes âgées
Les jeux vidéo actifs, ou exergames, s’avèrent particulièrement pertinents pour les enfants et les adolescents, en combinant exercice physique et jeu vidéo. Qu’il s’agisse d’exercices aérobiques, de renforcement ou d’équilibre, les consoles, comme la Nintendo Wii ou Switch, mais aussi la Xbox et la PlayStation, encouragent le mouvement de façon ludique.
Ces technologies sollicitent également certaines fonctions cognitives (attention, contrôle exécutif), ce qui peut présenter un intérêt chez les personnes âgées.
À lire aussi : Pour booster son cerveau, quelles activités physiques privilégier après 60 ans ?
Quant à la pratique de l’activité physique par le biais de visioconférences, elle a connu son essor durant la crise sanitaire, et est restée largement utilisée après la fin du confinement.
Ce mode d’entraînement à distance, accessible via des plateformes, comme Zoom, Teams ou Google Meet, permet de lever certains freins à la pratique, notamment chez les individus vivant dans zones géographiques éloignées ou confrontées à des limitations physiques, liées à l’âge ou à une pathologie, qui restreignent leurs déplacements.
Des technologies prometteuses, mais qui présentent des limites
Si ces outils ouvrent de nouvelles perspectives, notamment pour les groupes vulnérables, ils peuvent aussi présenter des limites, comme le renforcement de l’isolement, en remplaçant les activités de groupe par des pratiques individuelles.
Les enjeux financiers représentent également une barrière. Les outils plus performants étant souvent coûteux, ils risquent d’accentuer les inégalités d’accès. L’ergonomie peut aussi poser des freins, notamment pour les personnes âgées ou en situation de handicap, si les interfaces ne sont pas suffisamment adaptées.
Une complexité excessive peut en fait décourager les débutants et limiter l’adoption de ces outils par certaines populations. Et il reste à déterminer si les comportements peuvent vraiment être impactés par leur utilisation.
Le changement de comportement en matière d’activité physique désigne un processus graduel par lequel une personne modifie ses habitudes pour adopter une pratique régulière. Selon le modèle dit transthéorique du changement (développé par Prochaska et Di Clemente), outre la motivation et l’engagement, le soutien social et l’accessibilité représentent également des facteurs clés.
Une étude a montré que les applications pour l’activité physique intègrent des techniques de changement de comportement, telles que des instructions pour la réalisation des exercices, la fixation d’objectifs, la planification du soutien ou du changement social, ainsi que le feedback sur les performances. Ces outils semblent avoir des effets plus intéressants chez les néo-pratiquants, en augmentant leur motivation à débuter la pratique.
Des résultats scientifiques encourageants mais encore restreints
Concernant les preuves scientifiques relatives aux effets de ces technologies, une méta-analyse a révélé des augmentations significatives du niveau d’activité physique chez les participants soumis à des interventions basées sur des applications pour smartphones, par rapport aux groupes contrôles bénéficiant des séances classiques.
Ces résultats encourageants ont également été observés dans un essai contrôlé randomisé, où les applications mobiles ont considérablement augmenté le nombre moyen de pas quotidiens. En revanche, ces effets n’ont été étudiés que sur le court terme. Cette limite fréquemment relevée dans la littérature scientifique empêche d’évaluer pleinement leur potentiel à générer des changements de comportement durables. Par ailleurs, certaines recherches s’appuient sur des échantillons de petite taille, ce qui restreint la généralisation des résultats.
Si ces technologies suscitent un intérêt croissant – en grande partie grâce à leurs fonctionnalités et leur dimension ludique –, elles présentent à la fois des avantages et des limites, sur le plan pratique comme sur le plan scientifique.
Néanmoins, dans un contexte où l’inactivité physique atteint des niveaux préoccupants, toute solution susceptible de favoriser l’activité physique mérite une attention particulière.
À ce stade des connaissances, il apparaît pertinent de considérer ces outils numériques comme des moyens complémentaires pouvant contribuer à l’adoption d’un mode de vie plus actif.

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
03.06.2025 à 08:20
Quand a-t-on le droit de réutiliser les eaux de pluie et les eaux grises en France ?
Texte intégral (857 mots)

La réglementation française a évolué concernant la réutilisation des eaux de pluie et des eaux grises à des fins d’usage non potable, domestique et non domestique. L’enjeu de ces textes, nous expliquent Julie Mendret (université de Montpellier) et Thomas Harmand (Aix-Marseille Université) : valoriser ces eaux « non conventionnelles » pour économiser et limiter la pression sur les ressources en eau.
L’eau de pluie est précieuse, tant au plan écologique qu’économique : jardins, chasses d’eau, lavage des voitures… Jusqu’à peu, leur réutilisation était strictement encadrée par un arrêté de 2008, qui n’autorisait leur usage que dans plusieurs cas très précis (évacuation des excrétas, lavage des sols ou encore arrosage des espaces verts à certaines conditions).
Plus strict pour les eaux grises
Ce cadre juridique a évolué en 2023 et 2024 : les usages non domestiques de l’eau de pluie sont désormais autorisés, et un nouveau cadre réglementaire s’applique à ses usages domestiques. Par exemple, il est maintenant permis de laver son linge, d’arroser des jardins potagers ou de laver son véhicule à son domicile. Il faut toutefois en passer par une déclaration en mairie – et pour une déclaration supplémentaire au préfet pour le lavage du linge ou l’alimentation des fontaines décoratives non destinées à la consommation humaine. Dans ce cas, les eaux de pluie utilisées doivent aussi atteindre des objectifs de qualité précis.
Autre nouveauté législative : il est désormais possible d’utiliser ces eaux dans les établissements de santé, thermaux ou encore scolaires, dans les mêmes conditions de déclaration que précédemment.
Au-delà des eaux de pluie, les nouveaux textes de loi autorisent aussi la réutilisation des eaux grises (qui proviennent des éviers, lavabos, douches, baignoires et machines à laver et ne contiennent pas de matières fécales, ou encore qui proviennent des piscines à usage collectif). Les conditions sont toutefois plus strictes que pour les eaux de pluie : la procédure minimale est ici une déclaration préfectorale.
Évaluation en 2035
Les usages sont théoriquement plus limités : au niveau domestique, il s’agit de l’alimentation des fontaines décoratives non destinées à la consommation humaine, de l’évacuation des excrétas, du nettoyage des surfaces extérieures, ainsi que de l’arrosage des espaces verts à l’échelle du bâtiment. Le lavage du linge, le nettoyage des sols en intérieur et l’arrosage des jardins potagers font toutefois l’objet d’une procédure dérogatoire, et peuvent être autorisés à titre expérimental. L’évaluation de ces expérimentations aura lieu en 2035, et leur généralisation éventuelle sera décidée en conséquence.
Pour les établissements recevant du public sensible, la procédure est encore plus stricte pour la réutilisation des eaux grises ou de piscines, où il faut obtenir une autorisation.
Les contraintes de surveillance diffèrent également. Pour les usages soumis à des exigences de qualité, un suivi sanitaire est requis. Il est à effectuer jusqu’à six fois par an. On le devine, il sera plus difficile de mettre en œuvre ce type de valorisation dans ces établissements.
Ces textes représentent malgré tout une avancée : les sources d’eaux non conventionnelles sont désormais identifiées par la réglementation, et peuvent être intégrées à la gestion de l’eau.

Cet article a été édité par le service Environnement de The Conversation à partir de la version longue écrite par Julie Mendret (Maître de conférences, HDR, Université de Montpellier) et Thomas Harmand (Doctorant en droit de l'eau, Aix-Marseille Université).
02.06.2025 à 17:03
Karol Nawrocki élu président de la Pologne : une mauvaise nouvelle pour l’UE, pour l’Ukraine et pour les Polonaises
Texte intégral (1934 mots)

Le nouveau président, un historien ouvertement nationaliste largement aligné sur Donald Trump, refuse l’entrée de l’Ukraine dans l’UE et l’OTAN, critique Bruxelles sur de nombreux dossiers et est opposé au droit à l’avortement.
C’est peu dire que le résultat du second tour de l’élection présidentielle polonaise a contrarié, en Pologne et partout ailleurs sur le Vieux continent, les tenants du camp pro-européen.
Historien de formation, Karol Nawrocki, connu pour son nationalisme intransigeant et pour son alignement sur Donald Trump, a battu de justesse le maire libéral et pro-UE de Varsovie, Rafal Trzaskowski, avec 50,89 % des suffrages contre 49,11 %.
Le président polonais a peu de pouvoirs exécutifs, mais il peut opposer son veto à l’adoption de nouvelles lois. Cela signifie que les conséquences de la victoire de Nawrocki seront ressenties avec acuité, tant en Pologne que dans le reste de l’Europe.
Nawrocki, qui s’est fait élire en tant qu’indépendant mais qui sera soutenu par le parti conservateur Droit et Justice (PiS), fera sans aucun doute tout son possible pour empêcher le premier ministre libéral Donald Tusk et la coalition formée autour du parti de celui-ci, la Plate-forme civique, de mettre son programme en œuvre.
Le blocage législatif promis à la Pologne pour les prochaines années pourrait bien voir Droit et Justice revenir au gouvernement lors des élections législatives de 2027, et remettre le pays sur la voie anti-démocratiques que le parti avait empruntée lors de son dernier passage au pouvoir, de 2015 à 2023. Durant ces huit années, le PiS avait notamment affaibli l’indépendance du pouvoir judiciaire polonais en prenant le contrôle des nominations aux plus hautes fonctions judiciaires et à la Cour suprême.
Au-delà de la Pologne elle-même, la victoire de Nawrocki a donné un coup de fouet aux forces pro-Donald Trump, antilibérales et anti-UE à travers le continent. C’est une mauvaise nouvelle pour l’UE et pour l’Ukraine.
La Pologne, nouveau poids lourd du continent
Pendant la majeure partie de la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, la Pologne n’a eu qu’une influence limitée au niveau européen. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’économie polonaise est en plein essor depuis l’adhésion à l’UE en 2004. Elle consacre près de 5 % de son produit intérieur brut à la défense, soit près du double de ce qu’elle dépensait en 2022, au moment de l’invasion massive de l’Ukraine par la Russie.
La Pologne possède aujourd’hui une plus grande armée que le Royaume-Uni, que la France ou encore que l’Allemagne. Et son PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat vient de dépasser celui du Japon.
Ajoutée au Brexit, cette progression a entraîné un déplacement du centre de gravité de l’UE vers l’est, en direction de la Pologne. Puissance militaire et économique montante de 37 millions d’habitants, la Pologne contribuera à façonner l’avenir de l’Europe.
Quel impact sur l’Ukraine ?
L’influence dont la Pologne bénéficie aujourd’hui en Europe est illustrée de façon éclatante par le rôle central qui est le sien dans l’appui de l’UE à l’Ukraine contre la Russie. On l’a encore constaté lors du récent sommet de la « Coalition des volontaires » à Kiev, où Donald Tusk, aux côtés des dirigeants des principales puissances européennes – la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni —, s’est engagé à rehausser le niveau de soutien de l’Union à l’Ukraine et à son président Volodymyr Zelensky.
Ce soutien inconditionnel de la Pologne à l’Ukraine est désormais menacé, car Nawrocki a eu des propos très durs à l’encontre des réfugiés ukrainiens arrivés dans son pays et s’oppose à l’intégration de l’Ukraine à l’UE et à l’OTAN.
Pendant sa campagne, Nawrocki a reçu le soutien de l’administration Trump. Lors de la récente Conservative Political Action Conference, tenue en Pologne, Kristi Noem, la secrétaire à la sécurité intérieure des États-Unis, a déclaré :
« Nous avons chez nous un leader fort, Donald Trump. Mais vous avez la possibilité d’avoir un leader tout aussi fort si vous faites de Karol le leader de votre pays. »
Trump a d’ailleurs accueilli Nawrocki dans le Bureau ovale alors que celui-ci n’était qu’un simple candidat à la présidence. Il s’agit là d’un écart important par rapport au protocole diplomatique standard des États-Unis, qui consiste à ne pas se mêler des élections à l’étranger.
Nawrocki n’est pas aussi favorable à la Russie que la plupart des autres dirigeants internationaux estampillés « MAGA », mais cela est dû en grande partie à la géographie de la Pologne et à l’histoire de ses relations avec la Russie. La Pologne a été envahie à plusieurs reprises par les troupes russes ou soviétiques dans ses plaines orientales. Elle a des frontières communes avec l’Ukraine ainsi qu’avec le Bélarus, État client de la Russie, et avec la Russie elle-même à travers l’enclave fortement militarisée de Kaliningrad, située sur la mer Baltique.
J’ai fait l’expérience de l’impact que peut avoir sur la Pologne la proximité de ces frontières lors d’un terrain en 2023, quand j’ai effectué un voyage en voiture de Varsovie à Vilnius, la capitale lituanienne, en passant par le corridor de Suwalki.
Cette frontière stratégiquement importante entre la Pologne et la Lituanie, longue de 100 kilomètres, relie les États baltes au reste de l’OTAN et de l’UE au sud. Elle est considérée comme un point d’ignition potentiel si la Russie venait à occuper ce corridor afin d’isoler les États baltes.
À lire aussi : Kaliningrad au cœur de la confrontation Russie-OTAN
Du fait de ce contexte géopolitique, les conservateurs nationalistes polonais sont nettement moins pro-russes que ceux de Hongrie ou de Slovaquie. Nawrocki, par exemple, n’est pas favorable à l’arrêt de l’approvisionnement en armes de l’Ukraine.
Il n’en demeure pas moins que son accession à la présidence Nawrocki ne constitue pas une bonne nouvelle pour Kiev. Pendant la campagne, Nawrocki a déclaré que Zelensky « traite mal la Pologne », reprenant ainsi le type de formules que Trump lui-même aime à employer.
Un pays divisé
L’importance de l’élection s’est traduite par un taux de participation record de près de 73 %.
L’alternative qui se présentait aux électeurs polonais entre Nawrocki et Trzaskowski était extrêmement tranchée.
Trzaskowski souhaitait une libéralisation des lois polonaises sur l’avortement – l’IVG avait de facto été interdite en Pologne sous le gouvernement du PiS – et l’introduction de partenariats civils pour les couples LGBTQ+. Nawrocki s’oppose à de telles mesures et à ces changements et mettra très probablement son veto à toute tentative de loi allant dans ce sens.
Un sondage Ipsos effectué à la sortie des urnes a mis en évidence les divisions sociales qui traversent aujourd’hui le pays.
Comme lors d’autres élections récentes dans le monde, les femmes et les personnes ayant un niveau d’éducation élevé ont majoritairement voté pour le candidat progressiste (Trzaskowski), tandis que la plupart des hommes et des personnes ayant un niveau d’éducation moins élevé ont voté pour le candidat conservateur (Nawrocki).
Après le succès surprise du candidat à la présidence libéral et pro-UE aux élections roumaines il y a quinze jours, les forces pro-UE espéraient un résultat similaire en Pologne. Ces espoirs ont été déçus : les libéraux du continent devront désormais s’engager dans une relation difficile avec ce dirigeant trumpiste de droite qui jouera un rôle majeur au sein d’un pays devenu, à bien des égards, le nouveau cœur battant de l’Europe.

Adam Simpson ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
02.06.2025 à 16:02
Démocraties en danger : pourquoi nous minimisons les risques, selon les sciences du comportement
Texte intégral (1747 mots)

La psychologie sociale explique pourquoi le risque d’effondrement démocratique n’est pas suffisamment pris au sérieux par les populations qui vivent en démocratie depuis longtemps. Quels outils mobiliser pour amener à une prise de conscience ?
La chute du mur de Berlin en 1989 a ouvert la voie à la démocratisation de nombreux pays d’Europe de l’Est et a triomphalement inauguré l’ère de la démocratie libérale mondiale que certains universitaires ont célébrée comme « la fin de l’histoire ». L’idée était que l’histoire politique de l’humanité aurait suivi une progression inéluctable, culminant avec la démocratie libérale occidentale, perçue comme le point final d’une forme sécurisée de gouvernement. Malheureusement, les événements se sont déroulés quelque peu différemment.
Forte progression de l’extrême droite
Les 20 dernières années n’ont pas suivi la trajectoire du progrès énoncé, encore moins marqué « la fin de l’histoire ». Le succès électoral croissant des partis d’extrême droite dans de nombreux pays occidentaux, de la France à la Finlande, des Pays-Bas à l’Allemagne, a transformé « la fin de l’histoire » en un possible écroulement de la démocratie.
Qu’est-ce qui pousse autant d’Européens à se détourner d’un système politique qui a permis de reconstruire le continent après la Seconde Guerre mondiale et de le transformer en marché unique le plus prospère au monde ?
Les raisons sont multiples : crises économiques, inégalités croissantes, impact négatif des médias sociaux sur le comportement politique, violations des normes démocratiques par les élites. Mais il existe un autre facteur qui est rarement discuté : le pouvoir de l’expérience personnelle.
Au cours des deux dernières décennies, les spécialistes du comportement ont largement exploré la manière dont nos actions sont guidées par nos expériences. La douleur, le plaisir, les récompenses, les pertes, les informations et les connaissances acquises au cours d’événements vécus nous aident à évaluer nos actions passées et à guider nos choix futurs.
Une expérience positive associée à une option donnée augmente la probabilité que celle-ci soit à nouveau choisie ; une expérience négative a l’effet inverse. Cartographier les expériences des individus – en particulier face aux risques de la vie – peut nous éclairer sur des comportements déroutants, comme le fait de construire des habitations sur des zones inondables, en région sismique ou au pied d’un volcan actif.
Des risques mal évalués
La dernière éruption violente du Vésuve, la « bombe à retardement » de l’Europe, date d’il y a 81 ans. Le Vésuve est considéré comme l’un des volcans les plus dangereux au monde. Pourtant, quelque 700 000 habitants vivent dans la « zone rouge » à ses pieds, semblant ignorer les avertissements alarmants des volcanologues.
Pour comprendre cette relative indifférence face à un possible Armageddon, il faut analyser l’expérience individuelle et collective face à ce risque. La plupart des habitants de la zone rouge n’ont jamais vécu personnellement l’éruption du Vésuve. Leur expérience quotidienne leur donne probablement le sentiment rassurant que « tout va bien ».
De nombreuses études psychologiques ont confirmé comment ce type de comportement peut émerger. Notre expérience tend à sous-estimer la probabilité et l’impact des événements rares pour la simple raison qu’ils sont rares.
Les crises exceptionnelles, mais dont la portée est désastreuse, en particulier sur le marché financier, ont été appelés « cygnes noirs ». Les négliger a contribué à une réglementation bancaire insuffisante et à des effondrements majeurs comme la crise financière mondiale de 2008.
Sous-estimation de l’effondrement démocratique
Les populations d’Europe occidentale vivent dans des démocraties prospères depuis plus de 70 ans. Elles ont été épargnées, jusqu’à présent, par les prises de pouvoir autoritaires, et par ce fait, sous-estiment le risque d’un effondrement démocratique.
Paradoxalement, le succès même des systèmes démocratiques peut semer les graines de leur propre destruction. C’est un phénomène comparable au paradoxe de la prévention des maladies : lorsque les mesures préventives, comme les vaccins infantiles, sont efficaces, la perception de leur nécessité diminue, entraînant une méfiance quant à la vaccination.
Une autre connexion inquiétante existe entre l’érosion d’un système démocratique et les expériences vécues par ses citoyens. L’histoire a montré que les démocraties ne s’effondrent pas brutalement, mais périssent lentement, coup par coup, jusqu’à atteindre un point de basculement.
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Le public ne perçoit généralement pas un risque pour la démocratie lorsqu’un dirigeant politique rompt avec une convention. Mais lorsque les violations répétées des normes démocratiques par les élites sont tolérées, que les transgressions rhétoriques s’intensifient, et qu’un flot de mensonges et de manipulations devient « normal », le fait que le public ne sanctionne pas ces signes précoces dans les urnes, peut avoir des conséquences dramatiques.
Tout comme une centrale nucléaire peut sembler fonctionner en toute sécurité jusqu’à ce que la dernière soupape de sécurité lâche, une démocratie peut sembler stable jusqu’à basculer dans l’autocratie.
Des solutions contre le basculement autocratique
Un moyen de contrer ces problèmes peut être de simuler l’expérience des risques, même si ce n’est que par procuration. Par exemple, les centres de formation aux catastrophes au Japon miment l’expérience d’un tremblement de terre d’une manière bien plus réaliste que toute alerte sous forme de graphiques.
Nous soutenons qu’il est aussi possible de simuler ce que l’on ressent sous un régime autoritaire. L’Europe accueille des centaines de milliers d’immigrés qui ont subi le joug des autocraties et qui peuvent être invités dans les salles de classe pour partager leur vécu. Les expériences détaillées vécues par procuration sont susceptibles de s’avérer très persuasives.
De même, est-il possible pour tout à chacun de mieux comprendre ce que signifiait être un prisonnier politique en visitant des lieux tels que l’ancienne prison de la Stasi, Hohenschönhausen à Berlin, en particulier lorsque le guide est un ancien détenu. Il existe de nombreuses autres façons de reproduire les traits caractéristiques de l’oppression et de l’autoritarisme, permettant ainsi d’informer ceux qui ont eu la chance de ne jamais les avoir endurés.
L’absence persistante d’événements à risque peut être séduisante et trompeuse. Mais nous ne sommes pas condamnés par ce que nous n’avons pas encore vécu. Nous pouvons également utiliser le pouvoir positif de ces expériences afin de protéger et d’apprécier nos systèmes démocratiques.

Ralph Hertwig remercie la Fondation Volkswagen pour son soutien financier (subvention "Récupérer l'autonomie individuelle et le discours démocratique en ligne : Comment rééquilibrer la prise de décision humaine et algorithmique") et de la Commission européenne (subvention Horizon 2020 101094752 SoMe4Dem).
Stephan Lewandowsky remercie le Conseil européen de la recherche (ERC) pour son soutien financier dans le cadre du programme de recherche et d'innovation Horizon 2020 de l'Union européenne (convention de subvention avancée n° 101020961 PRODEMINFO), la Fondation Humboldt pour une bourse de recherche, la Fondation Volkswagen (subvention ``Reclaiming individual autonomy and democratic discourse online : Comment rééquilibrer la prise de décision humaine et algorithmique"), et la Commission européenne (subventions Horizon 2020 964728 JITSUVAX et 101094752 SoMe4Dem). Il est également financé par Jigsaw (un incubateur technologique créé par Google) et par UK Research and Innovation (par l'intermédiaire du centre d'excellence REPHRAIN et de la subvention de remplacement Horizon de l'UE numéro 10049415).
02.06.2025 à 16:02
Devoir de vigilance : quel bilan après l’annonce de son retrait par Macron ?
Texte intégral (1885 mots)

Avec la réforme « Omnibus », l’Union européenne opère un retour en arrière sur le dispositif du devoir de vigilance. Pour quelles leçons de sa mise en application dans certaines entreprises françaises pionnières ? L’abrogation de la loi française 2017-339, votée à la suite du drame du Rana Plaza en 2013, obligeant les entreprises à prendre en compte les risques sociaux et environnementaux sur l’ensemble de leurs filiales, sera-t-elle envisagée ?
Le 26 février dernier, la Commission européenne présente un paquet de mesures de simplification baptisé « Omnibus ». Elles ont pour effet de reporter, voire supprimer l’application des obligations de vigilance et de reporting pour les entreprises, tout en modifiant leur champ d’application. Cette procédure Omnibus est critiquée pour son calendrier précipité, son manque de débat, l’exclusion des acteurs de la société civile… et un retour en arrière dans la création de normes sociales et environnementales.
Les lois sur le devoir de vigilance sont votées en réaction au scandale du Rana Plaza. En 2013, cet immeuble au Bangladesh abritant des ateliers de textile, sous-traitants de grandes marques comme H&M, s’effondre et entraîne la mort de plus de 1 000 salariés. La France réagit en 2017 avec une loi pionnière. La directive européenne du 13 juin 2024 étend ce concept à l’ensemble de ses États membres. Elle impose aux entreprises – d’au moins 5 000 salariés en France et de plus de 10 000 salariés dans l’Hexagone ayant leur siège social ailleurs dans le monde – de repenser leur approche des risques sociaux, environnementaux et de gouvernance.
Ce dispositif s’étend aux activités de leurs filiales et de leurs partenaires commerciaux. Une façon de responsabiliser les entreprises à tracer tous leurs sous-traitants. Pour mieux comprendre comment les entreprises françaises vivent ces évolutions, nous avons interrogé des managers de terrain dans des secteurs d’activité divers : responsables de conformité, dirigeants en responsabilité sociale et environnementale (RSE) et de contrôle qualité.
Processus itératif
Pour les entreprises interrogées, se conformer à la loi implique des ressources importantes et des capacités organisationnelles solides. Elles attestent de la nécessité à former leurs équipes et développer des systèmes de contrôle performants. C’est pourquoi les départements de conformité jouent un rôle clé, avec divers départements tels le développement durable, les directions d’achats et les équipes de qualité.
Face à une incertitude juridique s’ajoute la complexité des chaînes d’approvisionnement mondiales ; de facto, une grande difficulté dans l’établissement des cartographies de risques. La traçabilité et la transparence deviennent difficiles à assurer, notamment au-delà du premier niveau de sous-traitance où l’identification des partenaires est beaucoup moins aisée. Un dirigeant en RSE dans une entreprise de production et distribution d’articles de sport, questionne la complexité pour connaître les impacts de ses partenaires, fournisseurs ou sous-traitants :
« Si nous sommes capables d’identifier les impacts de notre activité, il n’est pas aussi évident de le faire pour les impacts sectoriels de nos partenaires. Quelle est notre connaissance des impacts du secteur de transport, du e-commerce, des services de prestations informatiques ? »
Adapter les contrats
Si certains fournisseurs sont réticents à partager les informations de leurs partenaires, l’application du devoir de vigilance est caduque pour certaines parties de la chaîne de valeur. Les entreprises n’ont pas d’autres choix que de renégocier leurs contrats avec des clauses spécifiques en matière d’éthique et de conformité ; des négociations souvent longues et potentiellement conflictuelles. Les audits environnementaux, en particulier, sont difficiles à mener en raison de réglementations différentes dans les pays comme le traitement de l’eau et la gestion des déchets par exemple :
« On peut demander des matières recyclées/recyclables à nos fournisseurs, mais comment gèrent-ils leurs déchets si au local ils ne sont pas assujettis à des exigences particulières de traitement des eaux ? », se demande un responsable conformité du secteur de la grande distribution
Pour les groupes opérant dans des secteurs d’activités très différents – tels Elo, Aedo, Engie, LVMH et d’autres –, la demande d’une cartographie unique, censée regrouper tous les risques identifiés, est souvent perçue comme ambiguë, voire inadaptée. Il leur est difficile de produire un document unique à la fois pertinent, opérationnel et fidèle à la diversité de leurs métiers et de leurs chaînes de valeur. Les managers rencontrés soulignent le caractère itératif et évolutif de ce processus, ainsi que l’importance d’ajuster en permanence les pratiques en fonction de la réévaluation continue des risques.
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Orange et Air Liquide en pointe
Le retour d’expérience des professionnels interviewés confirme un bilan positif. Les activités de conformité s’alignant sur des objectifs organisationnels plus larges, notamment les initiatives de RSE, créent souvent un chevauchement significatif entre les rapports extrafinanciers et les obligations du devoir de vigilance. Résultat ? Un effet de levier. Les entreprises s’appuient sur des outils de suivi des risques environnementaux et sociaux ainsi que sur des données extra-financières pour établir leur plan de vigilance et harmoniser leur reporting de durabilité.

Certaines entreprises, comme Air Liquide et Orange, se distinguent même par des plans de vigilance exemplaires, récompensés par le prix du Meilleur Plan de vigilance des entreprises du CAC40. Air Liquide a été saluée pour son approche globale et la transparence de la cartographie des risques, l’évaluation régulière de ses sous-traitants, ses actions de prévention ciblées et son mécanisme d’alerte développé en collaboration avec les syndicats. Orange, de son côté, a intégré la vigilance dans les formations de ses employés. Cette valorisation illustre l’importance de stratégies de vigilance solides, fondées sur la transparence, la gouvernance et le dialogue.
Les ONG en partenaire incontournable
Le rôle des ONG dans la mise en œuvre du devoir de vigilance est à la fois essentiel et source de tensions. En France, de nombreux managers reconnaissent que, si les organisations non gouvernementales jouent un rôle clé en matière de défense des droits humains et de l’environnement, leur approche est parfois perçue comme trop dogmatique. Certaines ONG se positionnent en gardiennes absolues des normes éthiques, ce qui freine la possibilité d’un travail réellement collaboratif avec les entreprises.
Sur le dialogue avec les ONG, un responsable RSE dans le secteur du BTP déclare : « Très peu d’ONG collaborent avec nous, et c’est vraiment dommage. Les ONG nous reprochent de faire du profit, mais elles oublient souvent que c’est justement grâce à ce profit qu’on peut investir dans des solutions durables ou dans des outils techniques pour mesurer notre impact environnemental. Il y a quand même quelque chose de vertueux dans le profit – ce n’est pas le diable. »
Les attentes sont souvent mal alignées : les ONG méconnaissent parfois les contraintes opérationnelles, juridiques et économiques auxquelles sont confrontées les entreprises, rendant les échanges difficiles et parfois peu productifs. Une coopération plus ouverte entre entreprises et ONG serait pourtant cruciale.

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.