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10.04.2025 à 11:58
Comment limiter l’empreinte carbone des Coupes du monde de football ?
Texte intégral (2285 mots)
Les compétitions internationales de football polluent, mais surtout du fait du transport des équipes et des supporters. La Fifa, qui a affirmé faire du développement durable une de ses priorités, a pourtant annoncé une démultiplication inédite du nombre d’équipes en compétition et de pays hôtes pour la Coupe du monde de 2026 puis celle de 2030. Au risque d’accroître encore l’empreinte carbone des transports liés au football.
Le 13 février 2025, le Shift Project présentait un rapport de 180 pages consacré à l’impact climatique du football, et en particulier de l’Union des associations européennes de football (UEFA) et de la Fédération internationale de football association (Fifa).
Parmi les nombreux chiffres avancés dans cette étude, on retrouve deux chiffres marquants : 6 % – soit la part des matchs internationaux sous la responsabilité de ces deux organisations, et 61 % – soit la part que ces matchs représentent en termes d’émissions carbone dans le football mondial.
En cause, le déplacement des équipes et surtout des spectateurs. Le rapport explique que, pour la France uniquement, la compétition de football émet 275 000 tonnes de CO2 par an, ce qui correspond à un an de chauffage au gaz pour 41 000 familles.

Pourtant, la Fifa a fait du développement durable l’une de ses priorités pour les prochaines années. On pourrait ainsi s’attendre à ce que celle-ci cherche à limiter le nombre de matchs pour limiter les déplacements provoqués par ces manifestations. Mais il n’en est rien.
La Fifa continue de développer ses compétitions
Le nombre d’équipes en compétition pour la Coupe du monde de football n’a cessé de croître : 16 de 1934 à 1978, 24 de 1982 à 1994, 32 de 1998 à 2022.
Pour la Coupe du monde 2026, la Fifa a acté un passage à 48 équipes. Il est désormais possible d’organiser le tournoi tous les deux ans au lieu de quatre, et d’y impliquer plusieurs pays organisateurs – par exemple, le Canada, les États-Unis et les Mexique, pour 2026.
Pour la Coupe du monde 2030, la Fifa envisage ainsi une compétition à 64 équipes, ceci avec pas moins de six pays hôtes différents : l’Argentine, l’Espagne, le Paraguay, le Portugal, le Maroc et l’Uruguay.

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À noter également, l’arrivée de la nouvelle Coupe du monde des clubs à 32 équipes (en remplacement de l’ancienne formule qui comportait seulement sept équipes) aux États-Unis, en juin et juillet 2025. Les équipes qualifiées cette année ne sont pas forcément les championnes des grandes compétitions continentales.
En effet, le Real Madrid, vainqueur de la Ligue des champions – trophée le plus prestigieux d’Europe – sera accompagné de 11 autres équipes européennes, ainsi que de six équipes d’Amérique du Sud, quatre équipes africaines, quatre équipes asiatiques, quatre équipes nord-américaines et une équipe d’Océanie.
Pour aller encore plus loin dans la démesure de ses évènements, le président de la Fifa Gianni Infantino déclarait en mars 2025 vouloir animer la mi-temps de la finale du Mondial 2026 avec un show inspiré par le Super Bowl.
Une stratégie cohérente ?
L’organisation d’événements sportifs de cette échelle contredit l’enjeu à réduire nos émissions de gaz à effet de serre pour limiter le changement climatique. Le choix d’augmenter le nombre de participants – et ainsi le nombre de matchs à vendre aux partenaires commerciaux – semble être une vision uniquement financière. Une coupe du monde classique à 32 équipes et dans un seul pays émet déjà, selon les estimations de la Fifa elle-même, 3,6 millions de tonnes de CO2.
Mais ce choix est également critiquable d’un point de vue économique. Il est important de rappeler à la Fifa qu’en matière de stratégie des organisations, il existe généralement deux grandes stratégies possibles.
La première est la stratégie générique de domination globale par les coûts, où l’avantage concurrentiel obtenu passera par la recherche d’augmentation des volumes de production et, traditionnellement, par la mise en place d’économie d’échelles.
La seconde est celle de différenciation, où l’assemblage de facteurs clés de succès va permettre de se démarquer de ses concurrents.
Dans un monde où les ressources sont limitées et vont être de plus en plus difficiles d’accès, la logique d’augmentation des volumes semble être la moins intéressante à long terme. Au contraire, on peut rappeler à la Fifa l’intérêt des modèles de stratégie permettant d’évaluer les avantages concurrentiels d’une entreprise.
L’un de ces modèles, le VRIST, développé par Laurence Lehman-Ortega et ses collègues, se base sur les ressources et compétences de l’organisation qui permettent d’obtenir de la valeur.
Selon ce modèle, les organisations doivent évaluer leurs ressources et compétences au regard de cinq critères clés : la création de valeur : pour une organisation, organiser un événement sportif n’est intéressant que si cet événement intéresse suffisamment de personnes pour en tirer un revenu ; la rareté ; la protection contre l’imitation ; la protection contre la substitution et enfin la protection contre le transfert de la ressource ou de la compétence.
Pour faciliter cette protection, l’organisation peut jouer sur trois leviers :
La spécificité : il s’agit de développer pour un client un produit ou service spécifique ;
L’opacité des ressources, ou la non-transparence : cette technique permet de garder la recette, si l’on peut dire, secrète ;
La complémentarité des ressources : elle permet d’avoir la présence de liens informels entre les aptitudes et ressources qui les protègent. Par exemple, avoir deux wagons dans un train n’est intéressant que si nous n’avons un engin de traction capable de les déplacer. La complémentarité s’évaluera au regard non seulement du nombre de locomotives, mais également en fonction de leurs puissances et du nombre de wagons qu’elles peuvent tracter.
Ce que devrait faire la Fifa
La Fifa aurait ainsi tout intérêt à appliquer cette logique issue de la théorie des ressources en cherchant à rendre ses événements plus rares. Selon cette logique, se diriger vers une coupe du monde tous les deux ans, plutôt que tous les quatre ans, est un non sens.
Elle devrait plutôt chercher à rendre ses ressources et compétences inimitables, non substituables et non transférables, en s’appuyant sur la maîtrise historique, la spécificité de ses compétitions qui se voulaient exclusives en autorisant uniquement les meilleurs équipes du monde à y participer et la complémentarité d’une Coupe du monde des équipes nationales tous les quatre ans avec une Coupe du monde des clubs limitée aux sept champions continentaux tous les ans.
En augmentant le nombre de matchs et de compétitions, l’organisation internationale en charge du football ne protège pas ses ressources et compétences et ne tient pas compte du changement climatique. En fin de compte, le football semble s’exonérer de ses responsabilités environnementales au motif qu’il divertit.
Pour réduire l’impact environnemental des compétitions internationales de football, les auteurs du rapport du Shift Project suggèrent quelques pistes. Les deux principales sont la proximité – limiter les déplacements trop nombreux et trop fréquents en favorisant les spectateurs locaux – et la modération – limiter le nombre de matchs.
Pour le moment, la Fifa semble prendre le chemin opposé, alors que la voie à suivre serait un retour à une Coupe du monde avec moins d’équipes, où des qualifications régionales regagneraient en intérêt, notamment avec la disparition de compétitions comme la Ligue des nations en Europe, qui diluent l’intérêt pour l’épreuve reine.
La proximité des matchs permettrait de jouer sur les rivalités régionales et renforcer l’intérêt des spectateurs, comme lors des matchs Brésil-Argentine ou France-Allemagne.
En définitive, la Fifa devrait chercher à proposer des sommets mondiaux rares, générant une forte attente, plutôt que de proposer des matchs nombreux, mais ennuyeux. C’est un point sur lequel convergent à la fois le rapport du Shift Project et la théorie des ressources.

Frédéric Lassalle ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
10.04.2025 à 11:58
Le défi du recyclage des plastiques des équipements sportifs
Texte intégral (2351 mots)

Skis, raquettes, ballons, planches de surf… Tous nos équipements sportifs sont de vrais casse-tête à recycler. Pour minimiser leur impact et faciliter leur fin de vie, il devient donc nécessaire de repenser leur conception.
C’est un constat qui s’impose dès qu’on met un pied dans un magasin d’équipements sportifs. Le plastique y est devenu omniprésent et a fini par remplacer les matériaux comme le bois dans presque tous les sports : skis et vélos en fibres de carbone, kayaks en polyéthylène pour les loisirs et en fibres de verre pour les compétitions… Malgré leurs qualités indéniables en termes de performance, ces matériaux deviennent problématiques, en fin de vie de ces produits, pour la gestion des déchets et la pollution qu’ils génèrent.
Cette réalité interpelle alors même que, dans la foulée des Jeux olympiques Paris de 2024, les JO d’hiver de 2030 se dérouleront dans les Alpes françaises. Leur organisation est déjà lancée avec l’objectif de jeux responsables et soutenables pour nos montagnes. En parallèle, le comité d’organisation des Jeux de Paris 2024 a, lui, publié en décembre dernier son rapport de soutenabilité présentant les initiatives engagées pendant ces jeux (emballages, installations, logements, transports…). Il montre qu’il est possible de prendre en compte la question environnementale lors d’un grand événement.
Mais qu’en est-il exactement pour les équipements sportifs utilisés au quotidien ?
Une nouvelle filière REP dédiée aux articles de sport et de loisirs
Si vous avez chez vous un ballon, une raquette de ping-pong ou bien un tapis de yoga, sachez que cette question vous concerne désormais directement depuis l’instauration d’un principe de responsabilité élargie du producteur (REP) pour les articles de sport et de loisirs (ASL), entré en vigueur en 2022.
Une REP est un dispositif qui rend responsable les entreprises du cycle de vie de leurs produits, de la conception jusqu’à la fin de vie. La première REP a été instaurée en 1993 pour les emballages ménagers. La REP ASL est, quant à elle, le premier dispositif à l’échelle mondiale qui se penche sur les équipements sportifs.
Elle concerne tous les équipements utilisés dans le cadre d’une pratique sportive ou d’un loisir de plein air ; incluant les accessoires et les consommables (chambre à air, leurre de pêche, cordage de raquette de tennis…). Globalement, tout produit qui ne peut être utilisé que pour la pratique d’un sport entre dans le périmètre de cette REP. Ainsi, des baskets qui peuvent être portées quotidiennement entrent dans le périmètre de la REP textiles chaussures et linges de maison (REP TLC), instaurée en 2007, tandis que des chaussons d’escalade entrent dans la REP ASL.
Cette réglementation est du ressort des fabricants et distributeurs, mais elle vous concerne également, car les vendeurs et producteurs doivent désormais payer une écocontribution qui se répercute sur le prix final (de quelques centimes à quelques euros) que le consommateur paye.
Cette écocontribution permet de financer la collecte, le tri et les opérations de broyage et de nettoyage de la matière, en vue du recyclage et de l’élimination, ainsi que la réutilisation en seconde main des produits en fin de vie. Mais dans la réalité, il ne suffit pas de payer ce traitement de fin de vie pour qu’il soit réalisé. Car la tâche est complexe et qu’elle implique de nombreux acteurs.

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Les spécificités du plastique dans les articles de sport et de loisirs
D’ici à 2027, la moitié (en masse) des articles de sport et de loisirs devront être recyclés. Pour les vélos, cet objectif est encore plus grand puisqu’il est de 62 %. Les plastiques sont à traiter en priorité, car ils représentent un tiers des matériaux constituant les ASL. En effet, la recherche de performance dans le milieu du sport et des loisirs implique une grande diversité et complexité de matières pour ce gisement. Les produits eux-mêmes sont composés de différents plastiques :
mélangés (dans les formulations), comme pour les kayaks ;
multicouches (superposés et/ou collés), comme pour les skis ;
assemblés (clipsés, vissés, etc.), comme pour les casques de vélo ;
composites (fibre de verre ou de carbone), comme pour les planches de surf ;
mousses, comme le rembourrage des crash pads d’escalade ;
élastomères, comme les balles de tennis ;
plastiques souples, comme les ballons de foot…

Cette diversité de matériaux au sein même de la fraction plastique engendre des difficultés pour le tri et, donc, pour le recyclage. Les technologies et les circuits logistiques diffèrent selon les produits, les matériaux et les composants.
La mise en circularité du plastique depuis la fin d’utilisation jusqu’à sa réutilisation dans un nouveau produit est singulière et propre à chaque matière. La complexité des produits a aussi des conséquences sur la rentabilité du recyclage, ce qui peut freiner les investissements.
Les pistes et champs d’action en matière de recyclage
Mettre en place une nouvelle filière dédiée à ce type de produits implique également de connaître le flux de déchets, sa disponibilité pour le recyclage, la caractérisation des matières au sein des produits et nécessite une demande suffisante pour justifier des investissements.
Pour être le plus efficace possible, il faudra donc que ces investissements s’appuient sur d’autres éléments en amont. Tout d’abord, l’écoconception pour prolonger la durée de vie des produits et pour faciliter le désassemblage. Ce dernier point constitue un axe clé de la circularité des équipements sportifs. En effet, la majeure partie des équipements sportifs sont complexes à désassembler manuellement, et cela peut même être dangereux pour les agents qui en sont chargés et qui peuvent se blesser ou se couper.
Plus le produit est performant, plus il est complexe à démonter. Les rollers sont, par exemple, composés de plastiques durs et d’inserts métalliques qui n’ont pas été conçus pour être démonter. Pour résoudre cela, le désassemblage robotisé peut être une voie à expérimenter.
L’écoconception facilite également le tri et les opérations de recyclage, par exemple en réduisant le nombre de matières utilisées (casques de ski uniquement en polypropylène), en privilégiant des matières pour lesquelles les technologies de recyclage sont matures (kayaks en polyéthylène). Les matières biosourcées constituent une voie alternative, mais leur recyclage reste limité ou en phase de développement. Ces matières peuvent donc être un frein au traitement de fin de vie actuelles et ont parfois des impacts plus élevés sur l’environnement au moment de leur production.
Agir chacun à son échelle (utilisateur, club, fédération, producteur…)
Chacun peut enfin contribuer à l’efficacité de la nouvelle filière en déposant ses articles en fin de vie dans les lieux réservés à la collecte : déchetteries, clubs sportifs, distributeurs, recycleries (certaines sont spécialisées dans la récupération d’équipements sportifs) et lieux de l’économie sociale et solidaire. Déposer son article usagé est la première étape pour réussir la mise en circularité des ASL.
Les clubs sportifs, par le biais des fédérations nationales, peuvent également organiser des collectes permanentes ou ponctuelles d’équipements usagés sur les lieux de pratique et faciliter à plus grande échelle la récupération des matériaux, nécessaire à la performance de la filière. Les distributeurs spécialisés peuvent eux aussi développer l’offre des bacs de collecte.
C’est par ces gestes que commence la mise en circularité des ASL. Enfin, les sportifs et les utilisateurs (clubs, kinésithérapeutes…) d’équipements peuvent privilégier le réemploi et la réparation.
Les producteurs doivent, quant à eux, travailler sur l’écoconception, en discussion avec les acteurs de gestion des déchets ainsi qu’avec les recycleurs pour que le recyclage soit le plus efficace possible. Les équipementiers de sports d’hiver ont déjà fait des efforts dans ce sens pour certains modèles de skis et de casques de ski, mais cela reste encore insuffisant.

Madeline Laire-Levrier a reçu des financements de l'ADEME et ECOLOGIC France.
Carola Guyot Phung a bénéficié de financements d'entreprises privées de la filière forêt-bois et d'ECOLOGIC France
Carole Charbuillet a bénéficié de financements publics de l'ADEME et l'ANR dans le cadre de ses travaux de recherche mais également d'Ecologic et ecosystem (chaire Mines Urbaines).
Nicolas Perry ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
09.04.2025 à 15:04
L’incendie du centre de tri à Paris, symbole de l’envers des déchets ?
Texte intégral (1764 mots)
Les départs de feu dans les centres de tri sont malheureusement très fréquents et souvent causés par des erreurs humaines qui peuvent intervenir à différents stades de la gestion du tri, une activité qui rassemble de nombreux acteurs, ayant des objectifs parfois contradictoires.
Lundi 7 avril au soir, le centre de tri des déchets du XVIIe arrondissement de Paris s’est embrasé, provoquant la stupeur des riverains. Le feu, maîtrisé durant la nuit grâce à l’intervention de 180 pompiers, n’a fait aucun blessé parmi les 31 salariés présents, l’alarme incendie s’étant déclenchée immédiatement.
Si aucune toxicité n’a pour l’heure été détectée dans le panache de fumée émanant du site, l’incident a eu des conséquences pour les habitants : une portion du périphérique a dû être fermée à la circulation et un confinement a été décrété pour les zones à proximité. Le bâtiment, géré par le Syctom (le syndicat des déchets d’Île-de-France), s’est finalement effondré dans la matinée du mardi 8 avril.
Mais comment un feu aussi impressionnant a-t-il pu se déclarer et durer toute une nuit en plein Paris ? Si les autorités n’ont pas encore explicité toute la chaîne causale entraînant l’incendie, elles ont cependant mentionné, lors notamment de la prise de parole du préfet de police de Paris Laurent Nuñez, la présence de bouteilles de gaz dans le centre de tri et l’explosion de certaines, ce qui a pu complexifier la gestion du feu par les pompiers, tout comme la présence de nombreuses matières combustibles tel que du papier et du carton dans ce centre de gestion de tri.
Une chose demeure elle certaine, un départ de feu dans un centre de tri n’est malheureusement pas une anomalie. De fait, si cet incendie, de par son ampleur et peut-être aussi les images virales des panaches de fumées devant la tour Eiffel, a rapidement suscité beaucoup d’émois et d’attention, à l’échelle de la France, ce genre d’événement est bien plus fréquent qu’on ne le pense.
Depuis 2010, 444 incendies
La base de données Analyse, recherche et information sur les accidents (Aria), produite par le Bureau d’analyse des risques et pollutions industriels (Barpi) nous éclaire à ce sujet.
Depuis 2010, 444 incendies ont été recensés en France sur des installations de traitement et d’élimination des déchets non dangereux (centres de tri, plateformes de compostage, centres d’enfouissement…).
À ces incendies s’ajoutent parfois des explosions, des rejets de matières dangereuses et des pollutions des espaces environnants et de l’air. L’origine humaine est souvent retenue comme la cause de ces catastrophes. Même si elles n’entraînent pas toujours des blessés, elles soulignent la fragilité structurelle de nombreuses infrastructures du secteur des déchets ménagers.
Au-delà de cet événement ponctuel, l’incendie de Paris soulève donc peut-être un problème plus profond. En effet, notre système de gestion des déchets implique une multiplicité d’acteurs (ménages, industriels, services publics…) et repose sur une organisation complexe où chaque maillon peut devenir une source d’erreur, conduisant potentiellement à la catastrophe.
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Un métier dangereux et méconnu
De fait, pénétrer dans un centre de gestion de tri, comme il m’a été donné de le faire dans le cadre de mes recherches doctorales, c’est se confronter immédiatement aux risques quotidiens associés aux métiers de tri des déchets dans les centres.
Si l’on trouve dans ces centres des outils toujours plus perfectionnés, notamment pour réaliser le premier tri entrant, l’œil et la main humaine restent malgré tout toujours indispensables pour corriger les erreurs de la machine.
Ces métiers, bien qu’essentiels au fonctionnement des services publics des déchets, sont pourtant peu connus, malgré leur pénibilité et leurs risques associés. Les ouvriers, dont le métier consiste à retirer les déchets non admis des flux défilant sur des tapis roulants, sont exposés à des cadences élevées, des heures de travail étendues et des niveaux de bruits importants.
Ils sont aussi confrontés à de nombreux risques : des blessures dues à la répétition et la rapidité des gestes, mais aussi des coupures à cause d’objets parfois tranchants, voire des piqûres, car des seringues sont régulièrement présentes dans les intrants.
Des erreurs de tri persistantes
La majorité du travail des ouvriers de ces centres consiste ainsi à compenser les erreurs de tri réalisées par les ménages. Ce sont souvent des éléments qui relèvent d’autres filières de recyclage que celle des emballages ménagers et sont normalement collectés différemment : de la matière organique comme des branchages ou des restes alimentaires, des piles, des ampoules ou des objets électriques et électroniques, ou encore des déchets d’hygiène comme des mouchoirs et des lingettes.
Ces erreurs, qui devraient théoriquement entraîner des refus de collecte, ne sont pas toujours identifiées par les éboueurs lors de leurs tournées.
Derrière cette réalité, on trouve également les erreurs de citoyens, qui, dans leur majorité, font pourtant part de leur volonté de bien faire lorsqu’ils trient leurs déchets.
Mais cette intention de bien faire est mise à l’épreuve par plusieurs obstacles : le manque de clarté des pictogrammes sur les emballages, une connaissance nécessaire des matières à recycler, des règles mouvantes et une complexité technique croissante.
Ainsi, l’extension récente des consignes de tri, depuis le 1er janvier 2023, visant à simplifier le geste en permettant de jeter tous les types de plastiques dans la poubelle jaune, a paradoxalement alimenté la confusion. Certains usagers expliquent qu’ils hésitent désormais à recycler certains déchets, comme les emballages en plastique fin, par crainte de « contaminer » leur bac de recyclage, compromettant ainsi l’ensemble de la chaîne du recyclage.
Malgré ces précautions, les erreurs de tri persistent. À titre d’exemple, le Syndicat mixte intercommunal de collecte et de traitement des ordures ménagères (Smictom) des Pays de Vilaine comptait 32 % de déchets non recyclables dans les poubelles jaunes collectées sur son territoire en 2023. Après 20 000 vérifications de bacs jaunes effectuées en une année afin de mettre en place une communication adaptée à destination de la population, ce taux n’a chuté que de cinq points en 2024, signe que la sensibilisation seule ne suffit pas à réorienter durablement les pratiques des usagers.
Les défis de notre système complexe de gestion des déchets
Notre système de gestion des déchets comporte donc un paradoxe. D’un côté, les ménages ont depuis longtemps adopté le geste de tri au quotidien et s’efforcent de le réaliser de manière optimale, malgré des informations parfois peu claires et un besoin constant d’expertise sur les matières concernées. De l’autre, il n’est pas possible d’attendre un tri parfait et les centres de tri se retrouvent dans l’obligation de compenser les erreurs.
À cela s’ajoute une complexité supplémentaire qui réside dans les intérêts divergents des acteurs de la gestion des déchets en France.
Les producteurs et les grandes surfaces cherchent à mettre des quantités toujours plus importantes de produits sur le marché, afin de maximiser leurs profits, ce qui génère toujours plus de déchets à trier pour les consommateurs.
Les services publics chargés de la gestion des déchets sont aussi confrontés à une hausse constante des ordures à traiter, ce qui entre en tension avec la protection de l’environnement et de la santé des travailleurs. Enfin, les filières industrielles du recyclage, communément nommées REP, souhaitent pour leur part accueillir toujours plus de flux et de matières, dans une logique de rentabilité et de réponse à des objectifs croissants et des tensions logistiques complexes.
Dans un tel contexte, attendre une organisation fluide et parfaitement maîtrisée de la gestion des déchets relève de l’utopie. Chacun des maillons de la chaîne poursuit des objectifs parfois contradictoires, entre recherche de la rentabilité, contraintes opérationnelles, protection des humains et de l’environnement et attentes des citoyens. Si des initiatives émergent (simplification du tri, contrôle des infrastructures, sensibilisation des citoyens, innovations technologiques, etc.), elles peinent à harmoniser l’ensemble du système.
Dès lors, le risque d’incidents ne peut être totalement éliminé. L’incendie du centre parisien n’est donc pas une exception, mais bien le témoin d’un système qui, malgré les efforts, reste structurellement vulnérable. Loin de pouvoir atteindre le risque zéro, la gestion des déchets oscille en permanence entre prévention, adaptation et situation de crise.

Maxence Mautray a reçu, de 2020 à 2024, des financements de la part du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche et du SMICVAL Libournais Haute Gironde dans le cadre d'une recherche doctorale.
08.04.2025 à 16:33
Afrique : comment les drones de livraison pourraient transformer les prévisions météo
Texte intégral (2152 mots)

Alors que les données météo manquent cruellement en Afrique, une idée fait son chemin. Celle d’utiliser les drones, de plus en plus nombreux dans les ciels du continent pour livrer par exemple des médicaments. Car ces derniers peuvent fournir également de nombreuses données météo.
Un drone fend le ciel au-dessus des plaines ensoleillées d’Afrique de l’Ouest. Ses hélices vrombissent doucement dans l’air chaud de l’après-midi. Au sol, un agriculteur suit du regard l’appareil qui survole son champ, où ses cultures peinent à se développer, à cause d’un épisode de sécheresse. Comme la plupart des paysans de cette région, il ne peut compter que sur les précipitations, de plus en plus irrégulières et imprévisibles. Ce drone qui passe pourrait-il changer la donne ? Peut-être.
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Une véritable explosion des drones de livraison en Afrique
Nés dans divers contextes civils et militaires (photographie, surveillance, cartographie…), les drones connaissent aujourd’hui une expansion fulgurante en Afrique, surtout pour la livraison de produits de première nécessité dans des zones difficiles d’accès. Parmi eux, la société états-unienne Zipline et les Allemands de Wingcopter sont particulièrement actifs au Rwanda, au Ghana, au Nigeria, au Kenya, en Côte d’Ivoire et au Malawi, où ils transportent du sang, des vaccins, des médicaments ou encore du matériel médical.
Mais ce que l’on sait moins, c’est que ces drones portent aussi en eux un potentiel météorologique : au fil de leurs livraisons, et afin de sécuriser les vols et planifier efficacement leur route, ils enregistrent des données sur la vitesse du vent, la température de l’air ou la pression atmosphérique.
Un manque criant de données météo
Pourquoi ces informations sont-elles si précieuses ? Parce qu’en matière de prévision météo, l’Afrique souffre d’un déficit majeur. Par exemple, alors que les États-Unis et l’Union européenne réunis (1,1 milliard d’habitants à eux deux) disposent de 636 radars météorologiques, l’Afrique – qui compte pourtant une population quasi équivalente de 1,2 milliard d’habitants – n’en possède que 37.
Les raisons derrière cela sont multiples : budgets publics en berne, manque de moyens techniques, mais aussi monétisation progressive des données, rendant l’accès à l’information plus difficile. La question du financement et du partage de ces données demeure pourtant cruciale et devient un enjeu majeur pour la sécurité alimentaire et la gestion des risques climatiques.
À lire aussi : Le paradoxe des données climatiques en Afrique de l’Ouest : plus que jamais urgentes mais de moins en moins accessibles
La « collecte opportuniste » de données météo
Dans ce contexte, chaque nouveau moyen de récupérer des informations est un atout. Or, si les drones de livraison africains ont d’abord été pensés pour desservir des lieux isolés, ils permettent aussi des relevés météo dits « opportunistes » effectués en marge de leurs missions, dans une logique comparable aux relevés « Mode-S EHS » transmis par les avions de ligne depuis des altitudes beaucoup plus importantes. Zipline affirme ainsi avoir déjà compilé plus d’un milliard de points de données météorologiques depuis 2017. Si ces relevés venaient à être librement partagés avec les agences de météo ou de climat, ils pourraient ainsi, grâce à leurs vols à basse altitude, combler les lacunes persistantes dans les réseaux d’observation au sol.
La question du partage reste toutefois ouverte. Les opérateurs de drones accepteront-ils de diffuser leurs données ? Seront-elles accessibles à tous, ou soumises à des accords commerciaux ? Selon la réponse, le potentiel bénéfice pour la communauté scientifique et pour les prévisions météorologiques locales pourrait varier considérablement.

Les drones déjà destinés à la météo
L’idée d’utiliser des drones destinés aux observations météo n’est pas neuve et rassemble déjà une communauté très active composée de chercheurs et d’entreprises. Des aéronefs sans équipage spécifiquement conçus pour la météorologie (appelés WxUAS pour Weather Uncrewed Aircraft Systems) existent déjà, avec des constructeurs comme le Suisse Meteomatics ou l’états-unien Windborne qui proposent drones et ballons capables de fournir des relevés sur toute la hauteur de la troposphère. Leurs capteurs de pointe transmettent en temps réel des données qui nourrissent directement les systèmes de prévision.
Selon les conclusions d’un atelier organisé par Météo France, ces observations contribuent déjà à améliorer la qualité des prévisions, notamment en réduisant les biais de prévision sur l’humidité ou le vent, facteurs clés pour détecter orages et phénomènes connexes. Pourtant, les coûts élevés, l’autonomie limitée et les contraintes réglementaires freinent encore une utilisation large de ces drones spécialisés.
Or, les appareils de livraison déployés en Afrique ont déjà surmonté une partie de ces défis grâce à leur modèle économique en plein essor, à un espace aérien moins saturé et à une large acceptation sociale – car ils sauvent des vies.
Fiabilité des données : des défis mais un fort potentiel
Reste la question de la fiabilité. Même si les drones de livraison captent des variables essentielles (vent, température, pression…), on ne peut les intégrer aux systèmes de prévision qu’à condition de valider et d’étalonner correctement les capteurs. Mais avec des protocoles rigoureux de comparaison et de calibration, ces « données opportunistes » pourraient répondre aux exigences de la météo opérationnelle et devenir un pilier inédit de la surveillance atmosphérique.
Leur utilisation serait d’autant plus précieuse dans les zones rurales, en première ligne face au changement climatique. Là où les stations au sol manquent ou vieillissent, les survols réguliers des drones pourraient fournir des relevés indispensables pour anticiper épisodes secs, orages violents ou autres phénomènes météo extrêmes.
À lire aussi : VIH : et si les drones servaient aussi à sauver des vies ?
L’essor d’initiatives locales
Parallèlement, des initiatives émergent pour démocratiser l’accès à la technologie drone. Au Malawi, par exemple, des projets universitaires (dont EcoSoar et African Drone and Data Academy) montrent que l’on peut construire à bas coût des drones de livraison efficaces à partir de matériaux simples (mousse, pièces imprimées en 3D). Cette démarche ouvre la voie à une potentielle collecte de données météo supplémentaires, accessible à des communautés qui souhaitent mieux comprendre et anticiper les aléas climatiques.
Coopération internationale et perspectives
À une échelle plus large, l’Organisation météorologique mondiale (OMM) mène la campagne Uncrewed Aircraft Systems Demonstration Campaign (UAS-DC), réunissant des opérateurs publics et privés autour d’un même objectif : intégrer les drones dans le réseau mondial d’observation météorologique et hydrologique. Les discussions portent sur la définition des mesures fondamentales (température, pression, vitesse du vent, etc.), et l’harmonisation des formats de données et sur leur diffusion pour que ces mesures soient immédiatement utiles aux systèmes de prévision.
Cependant, ces perspectives ne deviendront réalité qu’au prix d’une coopération poussée. Entre acteurs publics, opérateurs de drones et gouvernements, il faudra coordonner la gestion, la standardisation et, surtout, le partage des informations. Assurer un libre accès – au moins pour des organismes à but non lucratif et des communautés rurales – pourrait transformer ces données en un levier majeur pour la prévision et la résilience climatiques.
Qu’ils soient opérés par de grandes sociétés ou construits localement à moindre coût et s’ils continuent d’essaimer leurs services et de collecter des relevés, les drones de livraison africains pourraient bien inaugurer une nouvelle ère de la météorologie sur le continent : plus riche, plus précise et, espérons-le, plus solidaire – grâce à des modèles économiques soutenables, à l’utilisation déjà effective de données météo embarquées et à la créativité citoyenne qui émerge un peu partout.

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
07.04.2025 à 16:56
Plus de trace de l’objectif « zéro artificialisation nette » ?
Texte intégral (2530 mots)

La proposition de loi Trace (Trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus), en cours de discussion au Parlement, diminue fortement les objectifs de « zéro artificialisation nette » (ZAN), fixés en 2021. Mais quels étaient ces objectifs et en quoi sont-ils menacés ?
Chaque année, la France hexagonale voit en moyenne 200 km2 d’espaces naturels, agricoles ou forestiers disparaître. C’est l’équivalent de 20 000 terrains de football qui sont ainsi artificialisés. Dans les deux tiers des cas, ces espaces sont dévolus à la construction de nouveaux logements, souvent loin des métropoles, dans des zones à faible croissance démographique. Plus frappant encore, un quart de cette artificialisation concerne des communes qui perdent des habitants.
Ces chiffres sont préoccupants, alors que de nombreux travaux scientifiques soulignent le rôle de l’artificialisation des sols dans les crises écologiques actuelles. La fragmentation et la disparition d’espaces naturels figurent de fait parmi les principales causes de l’effondrement de la biodiversité. La diminution de la capacité des sols à stocker le CO2 – voire la transformation de ces derniers en sources d’émission lorsqu’ils sont dégradés – accentue les dérèglements climatiques. L’imperméabilisation des sols favorise, elle, le ruissellement de surface, amplifiant la pollution des cours d’eau et les risques d’inondations.
Les récentes crues dévastatrices dans les Hauts-de-France au cours de l’hiver 2023-2024 ou encore les inondations survenues en octobre 2024 dans le centre et le sud de la France sont les derniers témoins des conséquences directes de l’artificialisation et de l’altération des fonctions écologiques des sols.
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Le ZAN : une ambition environnementale reléguée au second plan
Pour enrayer l’effondrement de la biodiversité et amorcer une stratégie nationale de préservation des sols, la France s’est fixé un objectif ambitieux dans la loi Climat et résilience (2021) : « zéro artificialisation nette » (ZAN) en 2050. Construit en 2 étapes, cet objectif vise dans un premier temps à réduire de moitié la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf) sur la période allant de 2021 à 2031 par rapport à la décennie précédente, puis, d’ici à 2050, de prendre les dispositions nécessaires pour qu’à l’échelle nationale, un hectare soit « désartificialisé » pour chaque hectare artificialisé.
Initialement pensé comme une politique environnementale ambitieuse, le ZAN a néanmoins suscité de nombreux débats autour de sa mise en œuvre et sur la répartition des « enveloppes » d’artificialisation. Son déploiement territorial, censé permettre aux régions d’organiser la réduction de la consommation d’Enaf, s’est transformé en un exercice comptable. Plutôt que de s’intéresser à évaluer les conséquences des choix d’aménagement sur le fonctionnement des écosystèmes composant leurs territoires, les représentants des collectivités se sont en effet opposés aux méthodes retenues pour compter les mètres carrés artificialisés.
Les autorités environnementales, chargées de rendre des avis publics sur les études d’impacts des projets, plans et programmes, rappellent pourtant dans leurs avis successifs et leurs rapports annuels que le ZAN ne se limite pas à un simple contrôle des surfaces artificialisées : il implique aussi d’évaluer l’impact des projets sur les fonctions écologiques des sols.
Malgré ces rappels, face à la pression des associations d’élus, le Sénat a déjà assoupli le dispositif, en 2023, avec la loi ZAN 2, qui repousse le calendrier de mise en œuvre et offre à de nombreuses communes la garantie de pouvoir consommer à hauteur d’un hectare d’Enaf, sans prendre la peine de discuter des besoins en matière d’aménagement et des alternatives à explorer.
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La loi Trace : assouplissement ou déconstruction du ZAN ?
Avec la proposition de loi Trace (Trajectoire pour une réduction de l’artificialisation concertée avec les élus) – adoptée par le Sénat, le 18 mars dernier, et dans l’attente d’un examen à l’Assemblée nationale, l’objectif ZAN risque une nouvelle fois d’être profondément fragilisé. Présentée comme un simple assouplissement, cette réforme remet en cause des avancées de la loi Climat et résilience. Elle retourne par exemple, à une définition comptable de l’artificialisation, fondée uniquement sur la consommation d’Enaf et supprime celle de la loi Climat et résilience qui la qualifiait comme une « altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques des sols ».
Cette dernière définition s’approchait pourtant des constats issus des travaux en écologie, selon lesquels l’intensification des usages de l’espace participe aux impacts sur le bon fonctionnement des écosystèmes.

De fait, la suppression de cette définition suppose qu’un sol peut être interchangeable avec un autre tant que son usage reste naturel, agricole ou forestier, ignorant ainsi tous les processus écologiques qui conduisent à la création, à l’évolution et à la santé d’un sol.
En choisissant de prendre en compte uniquement la consommation d’Enaf, la proposition de loi laisse aussi de côté le principal outil qui permettait de mesurer, à une échelle fine, les changements d’usage et d’occupation des sols. Les données d’occupation du sol à grande échelle (OCS GE), produites par l’IGN pour comptabiliser l’artificialisation permettaient en effet de suivre l’artificialisation causée par les politiques de planification de l’urbanisme.

Autre recul significatif : le report à 2034 de l’objectif intermédiaire de réduction de l’artificialisation, dont l’ambition sera désormais fixée par les régions. Ce décalage enterre l’idée d’une transition immédiate vers une sobriété foncière, pourtant essentielle pour repenser nos besoins en aménagement, alors même que de nombreux élus ont déjà commencé à intégrer ces objectifs (c’est le cas par exemple de la Région Bretagne ou encore du schéma de cohérence territoriale (Scot) de Gascogne).
S’y ajoute par ailleurs une disposition visant à accorder un droit à artificialiser de 0,5 ha en cas de requalification d’un hectare de friche. Autrement dit, lorsqu’une collectivité s’emploiera à aménager sur 4 ha d’espaces délaissés, elle sera autorisée à détruire par ailleurs 2 ha supplémentaires d’Enaf.
Enfin, l’exclusion des projets d’envergure nationale ou européenne du calcul de l’artificialisation marque un autre tournant préoccupant. Ces grands projets, dont la liste ne cesse de s’allonger, sont supposés permettre de concilier le développement économique et la transition écologique. Y figurent pourtant de nombreux projets routiers, des établissements pénitentiaires et des zones d’activité. Le législateur choisirait ainsi d’exonérer l’État des contraintes du ZAN, opposant de fait sa politique de réindustrialisation aux impératifs de préservation de l’environnement.
En quelques articles seulement, la proposition de loi Trace transforme ainsi l’objectif ZAN en un catalogue d’exceptions, autorisant la destruction et la fragmentation des espaces naturels sans réelle évaluation de leurs fonctions écologiques. Il ne reste, de fait, plus grand-chose des ambitions initiales d’une loi qui voulait donner un élan nouveau à une politique de régulation de l’aménagement qui peine à porter ses fruits depuis vingt-cinq ans.
Quelques semaines après l’annulation par le tribunal administratif de Toulouse du projet d’autoroute A69 – qui devait artificialiser 366 hectares de sols et dont les travaux ont déjà causé la destruction de nombreux espaces naturels, cette nouvelle proposition de loi illustre les tensions croissantes entre, d’un côté, les mobilisations citoyennes contestant les grands projets d’aménagement consommateurs de foncier et, de l’autre, une volonté politique de simplification, qui semble aller à rebours des engagements environnementaux annoncés dans la stratégie nationale Biodiversité 2030.
En cherchant à détricoter les principes du ZAN, la loi Trace pose donc une question fondamentale : voulons-nous réellement engager la transition, ou préférons-nous maintenir un modèle dépassé, aux dépens de l’environnement dont nous dépendons ?

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.