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24.07.2025 à 11:45

Dans les Pyrénées, la forêt ne s’étend pas aussi haut que le climat le lui permet

Déborah Birre, Docteure en géographie, Fondation pour la recherche sur la biodiversité
Thierry Feuillet, Professeur de géographie quantitative, Université de Caen Normandie, UMR CNRS IDEES
La forêt pourrait s’étendre bien plus haut sur les flancs des Pyrénées, alors pourquoi ne s’aventure-t-elle pas plus en altitude ?
Texte intégral (1897 mots)
Dans les Pyrénées (ici, le massif du Puigmal), la limite supérieure de la forêt semble survenir plus tôt que ce que prédisent les modèles. Comment l’expliquer ? Déborah Birre/Fondation pour la recherche sur la biodiversité, Fourni par l'auteur

La forêt pourrait s’étendre bien plus haut sur les flancs des Pyrénées, alors pourquoi ne s’aventure-t-elle pas plus en altitude ? Ce phénomène se manifestait déjà avant que les effets du réchauffement climatique ne se fassent ressentir, l’explication est donc ailleurs.


Vous l’avez peut-être déjà remarqué lors d’une randonnée dans les Alpes ou dans les Pyrénées : en montagne, le climat façonne la répartition de la végétation. Plus on monte en altitude et plus les températures diminuent, plus les forêts deviennent clairsemées, jusqu’à laisser la place aux pelouses alpines. Ce schéma classique se retrouve des Andes aux Alpes. Pourtant, dans les Pyrénées orientales, la réalité du terrain raconte une tout autre histoire : la forêt s’arrête bien en dessous de la limite que le climat seul devrait imposer.

La limite supérieure de la forêt, sentinelle du climat ?

La limite supérieure de la forêt marque une transition entre la forêt fermée de l’étage subalpin et la pelouse de l’étage alpin. Elle correspond à ce que les scientifiques appellent un « écotone » : une zone de transition entre deux milieux.

Longtemps, cette discontinuité paysagère a été considérée comme le reflet naturel des contraintes climatiques, principalement le froid et la durée de la saison de croissance des arbres avec des vitesses de croissance qui varient selon les espèces.

Le modèle théorique classique de l’étagement de la végétation en montagne : la température correspond à la température moyenne pendant la saison de croissance. Déborah Birre/Fondation pour la recherche sur la biodiversité, Fourni par l'auteur

Ce sujet n’est pas nouveau. Depuis plus de deux siècles, des scientifiques de toutes disciplines se sont intéressés à cet écotone. Au début du XIXe siècle, Alexander von Humboldt gravit le Chimborazo, un volcan de l’actuel Équateur, et y observe des changements graduels de la flore en altitude : la végétation s’y organise en bandes successives contrôlées par la température décroissante. Ces observations ont jeté les bases du modèle classique de l’étagement de la végétation. Un modèle qui, depuis, s’est longuement imposé avant d’être largement nuancé par les récentes recherches.

Les Pyrénées : un laboratoire grandeur nature

Les Pyrénées défient cependant ce paradigme. Ici, comme ailleurs en Europe, la limite supérieure de la forêt est située à une altitude bien plus basse (environ 1 900 mètres en moyenne dans la partie orientale des Pyrénées) que ce que les températures leur permettraient d’atteindre en théorie (environ 2 500 mètres d’altitude). La hausse actuelle des températures, liée au réchauffement climatique, n’entraîne pas non plus une progression systématique de cette limite.

Pour comprendre pourquoi, des chercheurs du programme SpatialTreeP ont mené une enquête d’envergure. Nous avons cartographié et comparé l’évolution de cet écotone sur 626 sites des Pyrénées ariégeoises et orientales entre 1955 et 2015 à partir de photographies aériennes.

Nous avons analysé plus de 90 variables caractérisant l’environnement de ces sites, allant du climat à la topographie, en passant par la géologie et les traces d’activités humaines. L’objectif était d’identifier les facteurs influençant la dynamique des lisières forestières et de détecter des profils de sites présentant des caractéristiques environnementales similaires.

Trois types de paysages forestiers dans les Pyrénées

Nos résultats révèlent une grande hétérogénéité dans l’évolution des forêts pyrénéennes au cours des soixante dernières années. Trois grands types de paysages et de dynamiques se dégagent.

Dans certains secteurs, la forêt progresse rapidement, gagnant plusieurs centaines de mètres en altitude sur soixante ans. Ailleurs, elle se densifie sans s’étendre, les arbres remplissant progressivement les clairières et espaces ouverts. Sur d’autres sites encore, la limite forestière reste figée voire recule.

Pourquoi de telles différences ? Parce que d’autres facteurs viennent interférer avec les conditions climatiques. Il est donc illusoire de chercher un unique coupable. La dynamique de limite forestière résulte d’une combinaison complexe et imbriquée de facteurs.

L’empreinte humaine : un héritage qui perdure

Les Pyrénées sont des montagnes profondément anthropisées, et ce depuis longtemps.

Pendant des siècles, les pratiques agropastorales (pâturage, défrichement, coupe de bois et reboisements) et l’exploitation du charbon de bois ont profondément façonné les paysages montagnards. Dans les zones les plus exploitées, la limite forestière a été largement abaissée, laissant place à des pâturages et à des landes dès l’étage montagnard.

Dans les zones pastorales actuelles, les milieux d’estives sont volontairement et activement laissés à l’état de prairie, empêchant toute colonisation forestière. À l’inverse, l’abandon progressif de ces pratiques, depuis le milieu du XXe siècle, a permis à la forêt de reconquérir les terrains délaissés, en particulier dans le département des Pyrénées-Orientales. L’abandon y a eu lieu plus tôt qu’en Ariège, ce qui explique que la limite forestière y atteigne des altitudes plus élevées.

Cette pression humaine, par son intensité variable selon les secteurs et les périodes, explique en grande partie pourquoi la position de l’écotone ne suit pas mécaniquement l’évolution du climat. Là où la pression humaine a diminué et où les conditions climatiques restent favorables, la forêt s’étend et rattrape progressivement l’écart avec son altitude maximum théorique.

Le terrain façonne aussi la forêt

D’autres variables liées au milieu conditionnent aussi le niveau de la forêt. L’exposition au vent et l’humidité des sols favorisent, par exemple, la densification des forêts au niveau de l’écotone. À l’inverse, la progression forestière est ralentie dans les zones où le relief est doux et donc plus favorable au maintien de l’activité agropastorale.

La composition des peuplements forestiers joue aussi un rôle. Les conifères comme les pins à crochets, mieux adaptés aux conditions rudes d’altitude, sont associés à des limites plus diffuses où arbres isolés et bosquets clairsemés s’échelonnent jusqu’à la pelouse alpine. Les feuillus comme les hêtres sont davantage associés à des limites plus nettes, avec une rupture paysagère marquée.

La nature du substrat a également une influence : les dépôts sédimentaires récents (dits quaternaires) et les roches cristallines (comme le granite ou le gneiss) favorisent des écotones plus diffus, caractérisés par des arbres épars. Cela pourrait s’expliquer par des sols plus pauvres et moins profonds, qui freinent la fermeture du couvert forestier.

Le réchauffement climatique : accélérateur de dynamiques déjà en cours

À l’échelle régionale, les variations climatiques n’expliquent pas ou peu les différences observées entre les sites. Elles jouent cependant probablement un rôle d’accélérateur des dynamiques, en facilitant l’établissement des arbres là où les conditions locales sont favorables. En ce sens, les dynamiques actuelles traduisent davantage une réponse à des conditions locales qu’un signal direct du réchauffement climatique.

En définitive, la limite supérieure de la forêt dans les Pyrénées ne se comprend qu’au travers de l’analyse des interactions complexes entre conditions environnementales et héritages des pratiques humaines.

Les recherches montrent qu’il n’existe pas un unique facteur et que, dans des milieux très transformés par l’être humain, comme c’est le cas dans ce massif, les effets du climat peuvent être localement dissimulés derrière les impacts humains. Chaque écotone porte ainsi l’héritage de son histoire et de ses particularités locales.

The Conversation

Déborah Birre a reçu des financements de l'Université Sorbonne Paris Nord dans le cadre d'un contrat doctoral.

Ces recherches ont été menées dans le cadre du programme SpatialTreeP, financé par l'agence nationale de la recherche (ANR-21-CE03-0002).

23.07.2025 à 17:09

Comment favoriser la réutilisation des eaux usées traitées en France ?

Jérôme Harmand, Directeur de Recherche, Inrae
Nassim Ait Mouheb, Directeur de Recherche, INRAE, expertises sur les techniques d'irrigation et les enjeux agronomiques et environnementaux de la réutilisation des eaux alternatives, Inrae
Sami Bouarfa, Agronome et chercheur en sciences de l'eau, Inrae
Le plan Eau vise 10 % de réutilisation des eaux usées traitées (REUT) en 2030. Comment y parvenir sans augmenter la quantité totale d’eau consommée ? Panorama des bonnes pratiques.
Texte intégral (2303 mots)

Le plan Eau de la France vise 10 % de réutilisation des eaux usées traitées à horizon 2030. Comment y parvenir sans augmenter la quantité d’eau consommée au total – c’est-à-dire, sans risquer un effet rebond ? Panorama des bonnes pratiques identifiées par la recherche scientifique.


En France, le plan Eau annoncé par le président de la République en 2023 affichait un objectif de développement de 1 000 projets de réutilisation des « eaux non conventionnelles (ENC) » en 2027. Il s’agit d’un objectif intermédiaire avant de viser 10 % de réutilisation des eaux usées traitées (REUT) à horizon 2030.

S’il est poursuivi sans suffisamment de discernement, cet objectif quantitatif national pourrait conduire à une maladaptation et à des projets inadéquats. Par exemple, à des projets qui auraient pour conséquence d’augmenter la quantité globale d’eau consommée à la faveur de l’« effet rebond ». Le risque serait de présenter la REUT comme une nouvelle ressource, alors même que cette eau remobilisée est susceptible de manquer aux milieux naturels.

Pourtant, l’état de l’art scientifique et l’analyse des retours d’expériences internationaux confirment l’intérêt du réusage de l’eau pour répondre à des situations de fortes tensions. Ces mêmes expériences démontrent aussi que les projets sont fortement conditionnés par les contraintes locales.

Autrement dit, leur réussite va dépendre de l’implication des acteurs, de l’adéquation entre la qualité de l’eau requise et le niveau de technologie des traitements, de la viabilité économique des projets, etc.

Les eaux usées, une ressource plutôt qu’un déchet

Pour aider nos sociétés à s’adapter au changement climatique et préserver notre environnement, une gestion maîtrisée et responsable de l’eau est essentielle, tant d’un point de vue quantitatif que qualitatif. Il s’agit d’un enjeu stratégique pour assurer des conditions de vie soutenables à tous.

Cela passe notamment par la sobriété et l’optimisation des usages et le partage de la ressource. Surtout, il ne faut pas oublier de prendre en compte de l’état des milieux aquatiques. Par exemple, en considérant le rôle environnemental des eaux usées traitées dans le maintien des débits d’étiage pendant les périodes de sécheresse.

Dans ce contexte, les eaux usées ne doivent plus être considérées comme un déchet à traiter et évacuer, mais comme une ressource. Ces eaux peuvent par exemple être riches en fertilisants utiles aux cultures agricoles. Dans une logique d’économie circulaire, on peut les considérer comme des flux de valeur, en fonction des spécificités territoriales (adéquation entre les besoins des cultures et l’eau disponible, proximité des usages…).

Les eaux usées domestiques constituent la principale ressource pouvant être mobilisée. Il est toutefois nécessaire d’élargir le concept d’économie circulaire de l’eau à l’ensemble des eaux non conventionnelles. Par exemple, les eaux de pluie, eaux de piscine ou encore les eaux évacuées du sous-sol pour permettre l’exploitation d’ouvrages enterrés tels les métros, tunnels ou parkings… Ceci permet d’équilibrer au mieux les usages et les prélèvements à l’échelle d’un territoire.

Boucler le « petit » et le « grand » cycle de l’eau

Pour faire face aux tensions sur la ressource, il nous faut donc inventer de nouvelles approches. L’enjeu est de repenser son utilisation tout au long des chaînes de valeur. Pour cela, on peut imaginer des usages en boucles (réusage après un usage précédent), là où ils étaient jusqu’à maintenant linéaires (mobilisation, utilisation, rejet).

Il s’agit de concevoir une gestion de l’eau plus intégrée à l’échelle d’un territoire, qui va contraindre ressources et besoins. L’objectif est que le cycle d’usage perturbe le moins possible le « grand » cycle (ou cycle naturel) de l’eau, aussi bien quantitativement que qualitativement.

Le contexte agricole, urbain ou industriel a également son importance. Il impose d’examiner les risques environnementaux et sanitaires. En effet, il s’agit de modifier le cycle de l’eau. La mise en place de solutions favorisant des cycles courts peut impacter les milieux et les populations à des degrés divers. C’est particulièrement vrai en périodes de sécheresse sévère.

Par exemple, la qualité microbiologique de l’eau peut poser question dans les situations de réutilisation indirecte. Dans ce cas, l’eau n’est pas prélevée directement en sortie de station (où elle serait alors soumise à des normes de qualité afin d’être réutilisée), mais en aval, dans le cours d’eau dans lequel la sortie de station s’est déversée. Ce type de prélèvement n’est réglementairement conditionné qu’à des contraintes quantitatives, et non plus qualitatives.

Quels sont les projets qui aboutissent ?

L’état de l’art scientifique et l’analyse des retours d’expériences internationaux sont utiles pour identifier les facteurs de réussite de ces projets.

Ils tirent tout d’abord parti d’un contexte géographique favorable. Par exemple, lorsque la distance entre les gisements et les usages potentiels est raisonnable ou que des aménagements hydrauliques existent déjà.

Ils organisent aussi la concertation des diverses parties prenantes concernées (gestionnaires, agriculteurs, consommateurs, financeurs…). L’enjeu est de les impliquer dans la gouvernance pour permettre de mieux aligner leurs intérêts respectifs.

Ils mettent également en place un plan de maîtrise des risques sanitaires et environnementaux, par exemple en adoptant une approche multibarrière.

Ces projets gagneraient à s’inscrire dans un cadre réglementaire et normatif clair et harmonisé, à une échelle dépassant le cadre national afin de tirer parti des retours d’expériences internationaux. À l’exception de la réutilisation à usage agricole, la réglementation sur les eaux usées pourrait être améliorée pour être mieux calibrée, plus cohérente, moins complexe et davantage inscrite dans la durée.

Enfin, ces projets doivent mobiliser des modèles économiques équilibrés entre les parties prenantes productrices et bénéficiaires. Ils devraient reposer sur une analyse au cas par cas de la rentabilité des infrastructures, dont le financement et l’exploitation croisent souvent acteurs privés et publics.

Les bonnes pratiques à adopter

Pour favoriser le succès des projets de REUT, il faut d’abord faire de la gestion responsable de l’eau une priorité dans chaque pays du monde. Cela implique d’inscrire dans la loi des instruments réglementaires de politique environnementale le permettant, sans alourdir et complexifier les cadres actuels.

Cela passe également par la promotion de mesures préalables. Notamment la sobriété, l’optimisation et le recyclage in situ des eaux lors de la conception puis l’exploitation de nouvelles d’infrastructures. Pour minimiser les impacts anthropiques de l’homme sur le cycle naturel de l’eau, il vaut mieux réutiliser un mètre cube d’eaux usées plutôt que de le puiser dans le milieu naturel.

Il convient d’intégrer dans l’analyse de rentabilité du projet, ses impacts et bénéfices sanitaires, sociaux et environnementaux sur l’ensemble de son cycle de vie, ainsi que le coût de renoncement global.

On pourrait également intégrer le recyclage de l’eau prélevée dans tous les schémas directeurs de l’aménagement et de gestion des eaux. La REUT peut ainsi être intégrée aux projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) et aux schémas d’aménagement et de gestion de l’eau (SAGE).

C’est à cette condition que l’on peut concevoir et planifier une réutilisation multiressource et multiusage (lorsqu’elle est possible et pertinente) des eaux usées. Cela permet de substituer la REUT à d’autres prélèvements sur le milieu ou à l’utilisation d’eau potable. Pour cela il faut prendre en compte de façon systématique les enjeux de restauration et de préservation des ressources et des écosystèmes

Cela nécessite également de repenser les appels d’offres et contrats de délégation de service public. Il faudrait tenir compte de la raison d’être et des fonctions diverses des stations de traitement des eaux usées, et élargir leur rôle de « stations d’épuration » à celui de véritables usines de valorisation, lorsque c’est pertinent.

Au-delà de la récupération de l’eau, on peut y prélever des nutriments, comme l’azote ou le phosphore, ou encore produire de la chaleur. Mais, pour que cela possible, il convient d’adapter en conséquence les instruments fiscaux, les modalités de tarification et plus largement les modèles économiques.

Renforcer le soutien financier à la recherche sur cette question est crucial. À diverses échelles, on peut par exemple citer le Défi Clé Water Occitanie (WOc), le projet REUTOSUD, le programme de financement Water4All ou encore le réseau européen de recherche Water4Reuse.

Cela passe aussi par la création et l’animation de structures de sensibilisation, d’échange de connaissances et de concertation. Celles-ci doivent impliquer les pouvoirs publics nationaux, régionaux et locaux aux côtés des autres parties prenantes. Ces dispositifs de recherche-action interdisciplinaire, appelés « Living Labs », sont ancrés dans les territoires et à l’interface science-politique-société. À l'image des Living Labs, mis en place dans le cadre du WOc déjà mentionné, ils doivent faciliter la conception d’outils, de services ou d’usages nouveaux autour du recyclage de l’eau.

Enfin, il convient de favoriser l’acculturation de toute la chaîne technique et administrative. Ceci passe par la formation initiale et continue des professionnels, des bureaux d’études, des élus et des fonctionnaires centraux et territoriaux. Ceci permettra une mise en œuvre plus aisée de ces nouvelles approches de gestion de l’eau, au service d’une économie circulaire de l’eau.


Ce texte a été élaboré à l’initiative d’Eau, Agriculture et Territoires, la chaire Eau, Agriculture et Changement Climatique, et le réseau REUSE d’INRAE, co-organisateurs de la première édition de la conférence internationale REUSE EUROMED qui s’est tenue du 29 au 31 octobre 2024 à Montpellier.

Les personnes suivantes ont collaboré à cet article, par ordre alphabétique :

Nassim Ait-Mouheb (Inrae ; Eau, Agriculture et Territoires), Claire Albasi (Université de Toulouse, Défi Clé Water Occitanie), Christophe Audouin (Suez), Gilles Belaud (Chaire EACC ; Eau, Agriculture et Territoires), Sami Bouarfa (Inrae ; Eau, Agriculture et Territoires), Frédéric Bouin (Université de Perpignan Via Domitia, UPVD), Pierre Compère (Explicite Conseil), Ehssan El Meknassi (Costea), Jérôme Harmand (Inrae ; Eau, Agriculture et Territoires), Marc Heran (Institut européen des membranes, Chaire SIMEV), Barbara Howes (SCP), Marie-Christine Huau (Veolia, Direction du Développement Eau), Vincent Kulesza (SCP ; Eau, Agriculture et Territoires), Rémi Lombard-Latune (Inrae ; EPNAC ; Groupe de travail national Eaux non conventionnelles), Alain Meyssonnier (Institut méditerranéen de l’eau), Bruno Molle (EIA/Inrae), Simon Olivier (Pôle de compétitivité Aqua-Valley), Carmela Orea (Eau, Agriculture et Territoires), Céline Papin (Eau, Agriculture et Territoires), Nicolas Roche (Aix-Marseille Université/University Mohammed VI Polytechnic, Eau, Agriculture et Territoires), Stéphane Ruy (Inrae, Institut Carnot), Pierre Savey (BRL ; Eau, Agriculture et Territoires) et Salomé Schneider (Chaire EACC).

The Conversation

Jérôme Harmand a reçu des financements de la Région Occitanie dans le cadre du financement du projet WOc WoD visant à étudier le traitement des eaux usées brutes pour les réutiliser. Il anime le réseau REUSE d'INRAE au niveau national et porte l'action COST CA23104 "Mainstreaming water reuse into the circular economy paradigm (Water4Reuse)".

Nassim Ait Mouheb et Sami Bouarfa ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

23.07.2025 à 17:07

Interdire les munitions au plomb pour sauver les oiseaux de l’empoisonnement ? L’exemple britannique

Deborah Pain, Visiting Academic, University of Cambridge; Honorary Professor, University of East Anglia, University of Cambridge
Niels Kanstrup, Wildlife Biologist in the Department of Ecoscience, Aarhus University
Rhys Green, Professor of Conservation Science, University of Cambridge
Pour protéger la faune sauvage, les animaux de compagnie, les animaux d’élevage et les êtres humains, les munitions au plomb doivent être remplacées partout par des alternatives sans plomb.
Texte intégral (1993 mots)
La majorité des grenailles tirées ne touchent pas leur cible et des milliers de tonnes de plomb se retrouvent dispersées dans l’environnement. Chuyko Sergey/Shutterstock

La Commission européenne a proposé le 27 février 2025 d’interdire l’usage du plomb dans les munitions de chasse. Au Royaume-Uni, une pareille interdiction vient d’être annoncée. Ces mesures devraient permettre de sauver des milliers d’oiseaux mais également de protéger les humains qui consomment du gibier.


Au Royaume-Uni, la sous-secrétaire d’État à l’eau et aux inondations, Emma Hardy, a annoncé l’interdiction des munitions toxiques au plomb afin de protéger les campagnes du pays. Cette interdiction concerne la vente et l’usage, à des fins de chasse, aussi bien des cartouches de fusils chargées de plomb (comportant des centaines de petites billes appelées « grenailles ») et utilisées pour chasser le petit gibier, que des balles de gros calibre en plomb, destinées à la chasse au grand gibier, comme les cerfs.

C’est une excellente nouvelle pour les oiseaux britanniques : cette mesure devrait permettre d’épargner chaque année la vie de dizaines de milliers d’entre eux, actuellement victimes d’empoisonnements au plomb. La majorité des grenailles tirées ne touchent pas leur cible et des milliers de tonnes de plomb se retrouvent dispersées dans l’environnement chaque année. Or, les oiseaux aquatiques comme terrestres les confondent avec de la nourriture ou du gravier, qu’ils consomment pour broyer leurs aliments dans leur gésier. Les grenailles s’y désagrègent et le plomb est alors absorbé dans le sang.

On estime qu’entre 50 000 et 100 000 oiseaux d’eau meurent chaque année au Royaume-Uni des suites de cette intoxication, souvent après de longues souffrances. D’autres oiseaux subissent des effets dits « sublétaux » : leur système immunitaire et leur comportement sont altérés, ce qui augmente leur vulnérabilité face à d’autres menaces.

L’utilisation de grenailles de plomb pour la chasse aux oiseaux d’eau et au-dessus de certaines zones humides est déjà interdite en Angleterre et au Pays de Galles. En Écosse, cette interdiction s’applique à l’ensemble des zones humides, sans exception.

Cependant, le respect de la réglementation en Angleterre n’atteint qu’environ 30 %, et il est également faible en Écosse, tandis qu’aucune donnée n’est disponible pour le Pays de Galles. Cette nouvelle interdiction générale, plus étendue, devrait améliorer considérablement la situation dans tous les milieux naturels à travers la Grande-Bretagne.

Les rapaces comme les aigles, les buses variables ou les milans royaux sont également touchés : ils ingèrent des fragments de plomb en se nourrissant d’animaux tués ou blessés par des munitions en plomb. L’acidité dans leur estomac favorise l’absorption du métal. Nos recherches montrent que, bien que l’on estime que moins de rapaces que d’oiseaux d’eau meurent directement d’un empoisonnement au plomb, les conséquences sur leurs populations peuvent être bien plus graves. Cela concerne en particulier les espèces qui commencent à se reproduire tardivement, dont le taux de reproduction annuel est naturellement faible et qui, en temps normal, bénéficient d’un taux élevé de survie annuelle chez les adultes.

Ce bannissement bénéficiera aussi bien aux oiseaux résidents qu’aux migrateurs de passage au Royaume-Uni. Mais tant que d’autres pays continueront à autoriser ces munitions , les oiseaux migrateurs resteront exposés ailleurs, pendant leur trajet ou sur leurs lieux de reproduction ou d’hivernage.

Au-delà des frontières

Pour protéger toutes les espèces, les munitions au plomb doivent être remplacées partout par des alternatives sans plomb. L’usage de grenailles de plomb est déjà interdit dans de nombreuses zones humides à travers le monde. Dans l’Union européenne, (en France notamment, ndlr), une interdiction de l’utilisation de grenailles de plomb dans ou à proximité des zones humides est entrée en vigueur en février 2023 .

Le Danemark a été le premier pays à interdire les munitions au plomb dans tous les milieux. En 1996, il a interdit l’usage des grenailles de plomb et, en avril 2024, il a interdit les balles en plomb. Nos recherches montrent que l’interdiction des grenailles de plomb au Danemark a été très efficace, avec un bon niveau de conformité.

Le Royaume-Uni s’apprête maintenant à devenir le deuxième pays à interdire la plupart des usages des munitions au plomb. Cela a été rendu possible grâce à la disponibilité croissante d’alternatives sans plomb, sûres, efficaces et abordables, principalement les grenailles en acier et les balles en cuivre.

En février 2025, la Commission européenne a publié un projet de règlement interdisant la plupart des usages des munitions et des plombs de pêche en plomb. Ce projet attend encore l’approbation dans le cadre des procédures de l’UE. S’il est adopté, cela constituera une avancée majeure.

Au-delà des oiseaux

Les oiseaux sont particulièrement sensibles aux effets du plomb issu des munitions qu’ils ingèrent, en raison de leur gésier musculeux et de l’acidité de leur estomac. Mais ce plomb met aussi en danger la santé de nombreux autres animaux, y compris les animaux domestiques et les humains.

Au Royaume-Uni, nous avons trouvé dans des aliments crus pour chiens à base de faisan, provenant de trois fournisseurs, des concentrations moyennes de plomb plusieurs dizaines de fois supérieures à la limite maximale autorisée de résidus de plomb dans les aliments pour animaux.

Le gouvernement britannique a fondé sa décision d’interdire les munitions au plomb sur un rapport de l’agence REACH pour la Grande-Bretagne, ou Health and Safety Executive, qui soulignait les risques pour la santé des jeunes enfants et des femmes en âge de procréer, en cas de consommation fréquente de viande de gibier chassé avec des munitions au plomb. Le système nerveux en développement des enfants est particulièrement sensible aux effets du plomb.

Nous avons récemment appelé le comité des États appliquant la réglementation sur les produits chimiques (REACH), le Parlement européen et le Conseil à soutenir pleinement la proposition de la Commission européenne visant à restreindre les munitions au plomb.

Nous avons également encouragé l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) à recommander à la Commission européenne de fixer une limite légale maximale de plomb dans la viande de gibier commercialisée pour la consommation humaine, similaire à celle déjà établie pour la viande issue de la plupart des animaux d’élevage.

Tant que cela n’aura pas été mis en place, et tant que davantage de pays n’auront pas interdit tous les usages de munitions au plomb pour la chasse, la santé de la faune sauvage, des animaux domestiques et des groupes humains les plus vulnérables continuera d’être menacée par les effets toxiques du plomb issu de ces balles.

The Conversation

Deborah Pain est professeure honoraire à l’Université d’East Anglia (sciences biologiques) et chercheuse invitée au département de zoologie de l’Université de Cambridge. Elle est scientifique indépendante depuis avril 2018. Depuis cette date, elle n’a perçu aucune rémunération pour ses recherches sur l’intoxication au plomb, mais, avec ses collègues, elle a reçu des financements pour couvrir les coûts de la recherche et des analyses chimiques de la part de plusieurs sources, comme indiqué dans les publications scientifiques. Elle a été membre du groupe d’experts scientifiques indépendants du Royaume-Uni pour la réglementation REACH (RISEP), et dans ce cadre, du groupe de travail sur le plomb dans les munitions, ce pour quoi elle a été rémunérée. Cependant, ses travaux publiés sur l’intoxication au plomb ont été réalisés indépendamment de ce processus.

Rhys Green a reçu des financements pour ses recherches de la part de plusieurs organisations, dont la RSPB (Royal Society for the Protection of Birds), au sein de laquelle il a occupé le poste de principal scientifique en conservation jusqu’en 2017. Il est désormais à la retraite. Il est chercheur bénévole non rémunéré à la RSPB et professeur honoraire émérite en sciences de la conservation au département de zoologie de l’Université de Cambridge. Il est membre du groupe d’experts scientifiques indépendants du Royaume-Uni pour la réglementation REACH (RISEP), un groupe mis en place par une agence gouvernementale britannique, la Health & Safety Executive. Il reçoit ponctuellement des paiements pour les travaux réalisés dans le cadre de RISEP. Il siège également au conseil d’administration du zoo de Chester.

Niels Kanstrup ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

22.07.2025 à 16:34

Le cyprès de l’Atlas, unique au Maroc, en danger critique d’extinction

Thierry Gauquelin, Professeur émérite, Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale (IMBE), Aix-Marseille Université (AMU)
Présent dans une seule vallée au Maroc, le cyprès de l’Atlas est menacé par l’exploitation humaine et les séismes, alors même qu’elle résiste au réchauffement du climat.
Texte intégral (3256 mots)
Majestueux mais en danger, le cyprès de l’Atlas marocain subit à la fois le réchauffement climatique et la pression locale des activités humaines. Thierry Gauquelin/Aix Marseille Université, Fourni par l'auteur

Alors qu’on ne le trouve que dans une unique vallée au Maroc, le cyprès de l’Atlas est aujourd’hui menacé par l’exploitation humaine et a été durement touché par le séisme qui a frappé le Maroc en septembre 2023. Pourtant, cette espèce, protégée et plantée dans d’autres régions, résiste particulièrement bien au réchauffement climatique.


Le bassin méditerranéen est l’un des 36 points chauds de biodiversité d’importance mondiale en raison de sa grande biodiversité, souvent propre à la région. Il est en effet riche de plus de 300 espèces d’arbres et d’arbustes contre seulement 135 pour l’Europe non méditerranéenne. Parmi ces espèces, un certain nombre sont endémiques, comme le genévrier thurifère, le chêne-liège, plusieurs espèces de sapins mais aussi le remarquable cyprès de l’Atlas.

Décrit dès les années 1920, ce cyprès cantonné dans une seule vallée du Haut Atlas, au Maroc, a intéressé nombre de botanistes, forestiers et écologues, qui ont étudié cette espèce très menacée, mais aussi potentielle réponse au changement climatique.

Un arbre singulier et endémique de sa vallée

Le premier à faire mention en 1921 de la présence de ce cyprès dans la vallée de l’oued N’Fiss, dans le Haut Atlas, est le capitaine Charles Watier, inspecteur des eaux et forêts du Sud marocain. Mais c’est en 1950 que Henri Gaussen, botaniste français, qualifie ce conifère de cyprès des Goundafa, l’élève au rang d’espèce et lui donne le nom scientifique de Cupressus atlantica Gaussen.

C’est à l’occasion de son voyage au Maroc en 1948 qu’il a constaté que cet arbre, dont la localisation est très éloignée de celles des autres cyprès méditerranéens, est bien une espèce distincte. En particulier, son feuillage arbore une teinte bleutée et ses cônes, que l’on appelle familièrement des pommes de pin, sont sphériques et petits (entre 18 et 22 mm) alors que ceux du cyprès commun (Cupressus sempervirens), introduit au Maroc, sont beaucoup plus gros (souvent 3,5 cm) et ovoïdes.

Le cyprès de l’Atlas se développe presque uniquement au niveau de la haute vallée du N’Fiss, région caractérisée par un climat lumineux et très contrasté.

Paysage de ma vallée du N’Fiss au Maroc, avec une population de Cyprès. Au premier plan, quelques arbres en forme de flèche
Une population de cyprès dans la vallée. Thierry Gauquelin/Aix Marseille Université, Fourni par l'auteur

On a aujourd’hui une bonne estimation de la superficie couverte par cette espèce dans la vallée du N’Fiss, qui abrite donc la population la plus importante de cyprès de l’Atlas. : environ 2 180 hectares, dont environ 70 % couverts de bosquets à faible densité. Dans les années 1940 et 1950, elle était estimée entre 5 000 et 10 000 hectares. En moins de cent ans, on aurait ainsi perdu de 50 à 80 % de sa surface ! Malgré les imprécisions, ces chiffres sont significatifs d’une régression importante de la population.

Des cyprès aux formes très diverses

Dans ces espaces boisés, la densité des arbres est faible et l’on peut circuler aisément entre eux. Les couronnes des arbres ne se rejoignent jamais et, hormis sous celles-ci, le soleil frappe partout le sol nu.

L’originalité de cette formation est que cohabitent aujourd’hui dans cette vallée de magnifiques cyprès multiséculaires aux troncs tourmentés, des arbres plus jeunes, élancés et en flèche pouvant atteindre plus de 20 mètres de hauteur et des arbres morts dont ne subsistent que les troncs imputrescibles. Ce qui est frappant, et que signalait déjà le botaniste Louis Emberger en 1938 dans son fameux petit livre les Arbres du Maroc et comment les reconnaître, c’est que la majorité des arbres « acquièrent une forme de candélabre, suite à l’amputation de la flèche et à l’accroissement des branches latérales ».

Des cyprès en forme de candélabre. Ce sont les branches sur l’extérieur de l’arbre qui continuent à se développer. Thierry Gauquelin/Aix Marseille Université, Fourni par l'auteur

Une pression humaine ancienne et toujours forte

L’allure particulière de ces arbres et la proportion importante d’arbres morts sont avant tout à imputer à l’être humain qui, depuis des siècles, utilise le bois de cyprès pour la construction des habitations et pour le chauffage. Il coupe aussi le feuillage pour nourrir les troupeaux de chèvres qui parcourent la forêt.

En plus de ces mutilations, les arbres rencontrent des difficultés pour se régénérer, en lien avec le surpâturage, toutes les jeunes régénérations des arbres étant systématiquement broutées. La pression anthropique est ainsi une composante fondamentale des paysages de forêt claire de cyprès de l’Atlas.

Un bosquet d’arbre dans la vallée, près d’un village, avec une chaîne de montagnes dans le fond
La présence humaine a façonné le paysage de la forêt claire de cyprès de l’Atlas marocain. Thierry Gauquelin/Aix Marseille Université, Fourni par l'auteur

Cette dégradation des arbres et la régression de la population de cyprès ne sont sans doute pas récentes. La vallée du N’Fiss est le berceau des Almohades, l’une des plus importantes dynasties du Maroc, qui s’est étendue du Maghreb à l’Andalousie, du XIIe au XIIIe siècle. La mosquée de Tinmel, joyau de l’art des Almohades, s’imposait au fond de cette vallée, témoin de la fondation de cette grande dynastie. Et il est fort à parier que c’est du bois local, donc de cyprès, qui a été utilisé à l’origine pour la toiture de cette monumentale construction.

Pourquoi aller chercher bien loin du cèdre, comme certains historiens l’ont suggéré, alors qu’une ressource de qualité, solide et durable, existait localement ? L’étude anatomique de fragments de poutres retrouvées sur le site devrait permettre de confirmer cette hypothèse, les spécialistes différencient facilement le bois de cyprès de celui des autres essences de conifères. Dans tous les cas, il est certain que lors de cette période, le cyprès a subi une forte pression, du fait de l’importance de la cité qui entourait ce site religieux.

On notera enfin, confortant les relations intimes entre le cyprès et les populations locales, les utilisations en médecine traditionnelle : massages du dos avec des feuilles imbibées d’eau ou encore décoction des cônes employée comme antidiarrhéique et antihémorragique.

Le séisme du 8 septembre 2023

Le 8 septembre 2023, le Maroc connaît le séisme le plus intense jamais enregistré dans ce pays par les sismologues. Les peuplements de cyprès se situent autour de l’épicentre du séisme. Ce dernier affecte la vallée du N’Fiss et cause d’importants dégâts matériels, détruisant des habitations et des villages et causant surtout le décès de près de 3 000 personnes. Le séisme a également endommagé le patrimoine architectural, et notamment la mosquée de Tinmel, presque entièrement détruite, qui fait, depuis, l’objet de programme de restauration.

Malgré son intensité (6,8), le séisme ne semble pas avoir eu d’effets directs sur les cyprès par déchaussements ou par glissements de terrain, bien que cela soit difficile à apprécier. Ceux-ci ont néanmoins subi des dégâts collatéraux.

Lors du réaménagement de la route principale, des arbres ont été abattus, notamment un des vieux cyprès (plus de 600 ans) qui avait pu être daté par le Pr Mohamed Alifriqui, de l’Université Cadi Ayyad de Marrakech. De plus, des pistes et des dépôts de gravats ont été implantés au sein même des peuplements, à la suite d’une reconstruction rapide, et évidemment légitime, des villages. Cela a cependant maltraité, voire tué, de très vieux cyprès.

Une arbre coupé au sol
Très vieux cyprès abattu lors de la reconstruction d’une route. Thierry Gauquelin/Aix Marseille Université, Fourni par l'auteur

Protéger une espèce en danger critique d’extinction

Malgré la distribution restreinte de l’espèce et l’importante dégradation qu’elle subit, une forte diversité génétique existe encore dans cette population. Cependant, il existe un risque important de consanguinité et de perte future de biodiversité au sein de cette vallée. Ainsi, C. atlantica est classé par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) parmi les 17 espèces forestières mondiales dont le patrimoine génétique s’appauvrit.

Une autre menace est celle du changement climatique qui affecte particulièrement le Maroc et ses essences forestières. Les six années de sécheresse intense que cette région du Maroc a subies n’ont sans doute pas amélioré la situation, même si l’impact sur les cyprès semble moins important que sur les chênes verts, sur les thuyas ou sur les genévriers qui montrent un dépérissement spectaculaire.

Pour toutes ces raisons, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a classé le cyprès de l’Atlas comme étant en danger critique d’extinction. Il faut alors envisager des stratégies à grande échelle afin d’assurer la survie voire la régénération des forêts de cyprès. Cela passe à la fois par la fermeture de certains espaces, afin d’y supprimer le pâturage, et par l’interdiction des prélèvements de bois.

Tout ceci ne sera cependant possible qu’en prévoyant des mesures compensatoires pour les populations locales.

Replanter dans la vallée, mais aussi dans le reste de la région

Il est aussi nécessaire de replanter des cyprès, ce qui nécessite la production de plants de qualité, même si les tentatives menées par le Service forestier marocain ont pour le moment obtenu un faible taux de réussite.

Le cyprès de l’Atlas, adapté à des conditions de forte aridité, pourrait d’ailleurs constituer une essence d’avenir pour le Maroc et pour le Maghreb dans son ensemble face au changement climatique. Dans le bassin méditerranéen, le réchauffement provoque en effet une aridification croissante et notamment une augmentation de la période de sécheresse estivale. Henri Gaussen disait déjà en 1952 :

« Je crois que ce cyprès est appelé à rendre de grands services dans les reboisements de pays secs. »

Et pourquoi ne pas penser au cyprès de l’Atlas pour les forêts urbaines ? Un bon moyen de préserver, hors de son aire naturelle, cette espèce menacée.

Conservation, reboisements et utilisation raisonnée nécessitent ainsi des investissements financiers importants. Richard Branson, le célèbre entrepreneur britannique, s’est particulièrement investi dans le développement de la vallée du N’Fiss et est notamment venu au secours de ses habitants à la suite du séisme meurtrier d’il y a deux ans. Si son but est d’améliorer la vie et le futur des habitants de la vallée, espérons qu’il saura aussi s’intéresser à cet écosystème particulier, et que d’autres fonds viendront soutenir les efforts de conservation.

The Conversation

Thierry Gauquelin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

21.07.2025 à 18:15

En apprendre plus sur le changement climatique, un levier pour diminuer l’empreinte carbone

Florian Fizaine, Maître de conférences en sciences économiques, Université Savoie Mont Blanc
Guillaume Le Borgne, Maître de conférences en sciences de gestion - En délégation INRAE, Université Savoie Mont Blanc
Une nouvelle étude indique qu’avoir plus de connaissances sur le climat peut faire diminuer notre empreinte carbone d’une tonne de CO₂ par personne et par an.
Texte intégral (2013 mots)

Plus on connaît le changement climatique et les actions du quotidien les plus émettrices de CO2, moins notre empreinte carbone est importante. C’est ce que confirme une nouvelle étude, qui indique que les connaissances sont un levier individuel et collectif qui peut faire diminuer cette empreinte d’une tonne de CO2 par personne et par an. Mais cela ne suffira pas : la transition écologique doit aussi passer par les infrastructures publiques et l’aménagement du territoire.


Les rapports successifs du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), mais aussi le traitement de plus en plus massif de l’urgence climatique par les médias témoignent d’une information sur le sujet désormais disponible pour tous. Pourtant, à l’échelle des individus, des États ou même des accords intergouvernementaux comme les COP, les effets de ces rapports semblent bien maigres face aux objectifs fixés et aux risques encourus.

Ce constat interpelle et questionne le rôle des connaissances accumulées et diffusées dans la transition environnementale. Plutôt que de les rejeter d’un bloc, il s’agit de revisiter les formes qu’elles doivent prendre pour permettre l’action.

Plus de connaissances pour faire évoluer les comportements : oui, mais lesquelles ?

Est-ce que plus de connaissances sur le réchauffement climatique poussent au changement ? C’est précisément à cette question que nous avons souhaité répondre dans une étude publiée récemment. Ce travail s’appuie sur une enquête portant sur 800 Français interrogés sur leurs croyances relatives au réchauffement climatique, leurs connaissances sur le sujet ainsi que sur leur comportement et leur empreinte carbone grâce au simulateur de l’Agence de la transition écologique (Ademe) « Nos gestes climat ».

Avant tout, précisons ce qu’on appelle connaissances. Si notre outil évalue les connaissances liées au problème (réalité du réchauffement, origine anthropique…), une large part de notre échelle évalue par ailleurs si l’individu sait comment atténuer le problème au travers de ses choix quotidiens – quels postes d’émissions, comme l’alimentation ou les transports, et quelles actions ont le plus d’impact. En effet, une bonne action ne nécessite pas seulement d’identifier le problème, mais de savoir y parer efficacement. Et les Français ont des connaissances très hétérogènes sur ce sujet – constat qui se retrouve au niveau international.

En s’appuyant sur le pourcentage de bonnes réponses à notre questionnaire et en le comparant au niveau autoévalué par l’individu, on observe d’ailleurs que les personnes les plus incompétentes sur le sujet surestiment drastiquement leur niveau de connaissances de plus d’un facteur deux, tandis que les plus compétents sous-estiment légèrement leur niveau de 20 %.

Pour aller au-delà de la simple observation d’une corrélation entre connaissances et empreinte carbone, déjà observée dans d’autres études récentes et confirmée par la nôtre, nous avons regardé comment le niveau de connaissances moyen de l’entourage d’un individu influence ses propres connaissances et contribue par ce biais à réduire son empreinte carbone.

Quand les connaissances butent sur des contraintes

Nous avons montré que le niveau de connaissances influence significativement à la baisse l’empreinte carbone : en moyenne, les personnes ayant 1 % de connaissances en plus ont une empreinte carbone 0,2 % plus faible. Cela s’explique par les causes multifactorielles sous-jacentes à l’empreinte.

Nous observons surtout des résultats très différents selon les postes de l’empreinte carbone. Le transport réagit beaucoup (-0,7 % pour une hausse de 1 % de connaissances), l’alimentation beaucoup moins (-0,17 %) tandis qu’il n’y a pas d’effet observable sur les postes du logement, du numérique et des consommations diverses.

Ces résultats sont encourageants dans la mesure où le transport et l’alimentation représentent près de la moitié de l’empreinte carbone, selon l’Ademe.

L’absence de résultat sur les autres postes peut s’expliquer par différents facteurs. Sur le logement par exemple, les contraintes sont probablement plus pesantes et difficiles à dépasser que sur les autres postes. On change plus facilement de véhicule que de logement et isoler son logement coûte cher et reste souvent associé à un retour sur investissement très long. Le statut d’occupation du logement (monopropriétaire, copropriétaire, locataire…) peut aussi freiner considérablement le changement.

Enfin, concernant les postes restants, il y a fort à parier qu’il existe à la fois une méconnaissance de leur impact, des habitudes liées au statut social ou d’absence d’alternatives. Plusieurs études ont montré que les individus évaluent très mal l’impact associé aux consommations diverses, et que les guides gouvernementaux qui leur sont destinés fournissent peu d’informations à ce sujet.

Comme notre questionnaire ne porte pas sur les connaissances relatives à la totalité des choix du quotidien, il est possible que les individus très renseignés sur l’impact des plus grands postes (logement, transport, alimentation) et qui sont bien évalués dans notre étude ne l’auraient pas nécessairement été sur les autres postes (vêtement, mobilier, électronique…). Par ailleurs, même si un individu sait que réduire son usage numérique ou sa consommation matérielle aurait un effet positif, il peut se sentir isolé ou dévalorisé socialement s’il change de comportement.

Pour finir, le numérique est souvent perçu comme non substituable, omniprésent, et peu modulable par l’individu. Contrairement à l’alimentation ou au transport, il est difficile pour l’individu de percevoir l’intensité carbone de ses usages numériques (streaming, cloud, etc.) ou de les choisir en fonction de cette information.

Au-delà des connaissances individuelles : le rôle des politiques publiques et des normes sociales

Notre étude montre que l’on peut atteindre jusqu’à environ une tonne de CO2e/an/habitant en moins grâce à une augmentation drastique des connaissances, ce qui pourrait passer par l’éducation, la formation, la sensibilisation et les médias. C’est déjà bien, mais c’est une petite partie des 6,2 t CO2e/habitant à éviter pour descendre à 2 tonnes par habitant en France, l’objectif établi par l’accord de Paris. Cela rejoint l’idée que les connaissances individuelles ne peuvent pas tout accomplir et que les individus eux-mêmes n’ont pas toutes les clés en main.

Les actions des individus dépendent pour partie des infrastructures publiques et de l’organisation des territoires. Dans ce cadre, seules des décisions prises aux différents échelons de l’État peuvent dénouer certaines contraintes sur le long terme. D’un autre côté, les décideurs politiques ou les entreprises ne s’engageront pas sur des mesures désapprouvées par une large part de la population. Il faut donc rompre le triangle de l’inaction d’une manière ou d’une autre pour entraîner les deux autres versants.

Il ne s’agit pas de dire que les individus sont seuls responsables de la situation, mais d’observer qu’au travers du vote, des choix de consommation et des comportements, les leviers et la rapidité des changements sont probablement plus grands du côté des individus que du côté des entreprises et des États.

Comment alors mobiliser les citoyens au-delà de l’amélioration des connaissances ? Nous ne répondons pas directement à cette question dans notre étude, mais une littérature foisonnante s’intéresse à deux pistes prometteuses.

La bonne nouvelle, c’est qu’il n’est pas toujours nécessaire d’interdire, de subventionner massivement ou de contraindre pour faire évoluer les comportements. Parfois, il suffit d’aider chacun à voir que les autres bougent déjà. Les politiques fondées sur les normes sociales – qu’on appelle souvent nudges – misent sur notre tendance à nous aligner avec ce que font les autres, surtout dans des domaines aussi collectifs que le climat.

Avec un minimum d’investissement public, on peut donc maximiser les effets d’entraînement, pour que le changement ne repose pas seulement sur la bonne volonté individuelle, mais devienne la nouvelle norme locale. Ainsi, en Allemagne, une étude récente montre que lorsque l’un de vos voisins commence à recycler ses bouteilles, vous êtes plus susceptible de le faire aussi. Ce simple effet d’imitation, reposant sur la norme sociale, peut créer des cercles vertueux s’il est combiné à des dispositifs d’aide publique habilement ciblée voir à de l’information.

Les émotions, un autre levier individuel et collectif

Ensuite, les émotions – telles que la peur, l’espoir, la honte, la fierté, la colère… – possèdent chacune des fonctions comportementales spécifiques qui, bien mobilisées, peuvent inciter à l’adoption de comportements plus vertueux d’un point de vue environnemental. Des chercheurs ont d’ailleurs proposé un cadre fonctionnel liant chaque émotion à des contextes d’intervention précis et démontré que cela peut compléter efficacement les approches cognitives ou normatives classiques.

Par exemple, la peur peut motiver à éviter des risques environnementaux immédiats si elle est accompagnée de messages sur l’efficacité des actions proposées (et, à l’inverse, peut paralyser en l’absence de tels messages), tandis que l’espoir favorise l’engagement si les individus perçoivent une menace surmontable et leur propre capacité à agir. Par ailleurs, l’écocolère peut amener à un engagement dans l’action plus fort que l’écoanxiété.

Cibler stratégiquement les émotions selon les publics et les objectifs maximise les chances de changements comportementaux. En outre, mobiliser les émotions requiert de convaincre les individus de l’efficacité de leurs actions (et de l’implication des autres), et du caractère surmontable du défi du changement climatique. Ce n’est pas une mince affaire, mais cela reste une question centrale pour la recherche et les acteurs de la lutte contre le changement climatique.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

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