23.07.2025 à 17:07
Deborah Pain, Visiting Academic, University of Cambridge; Honorary Professor, University of East Anglia, University of Cambridge
Niels Kanstrup, Wildlife Biologist in the Department of Ecoscience, Aarhus University
Rhys Green, Professor of Conservation Science, University of Cambridge
La Commission européenne a proposé le 27 février 2025 d’interdire l’usage du plomb dans les munitions de chasse. Au Royaume-Uni, une pareille interdiction vient d’être annoncée. Ces mesures devraient permettre de sauver des milliers d’oiseaux mais également de protéger les humains qui consomment du gibier.
Au Royaume-Uni, la sous-secrétaire d’État à l’eau et aux inondations, Emma Hardy, a annoncé l’interdiction des munitions toxiques au plomb afin de protéger les campagnes du pays. Cette interdiction concerne la vente et l’usage, à des fins de chasse, aussi bien des cartouches de fusils chargées de plomb (comportant des centaines de petites billes appelées « grenailles ») et utilisées pour chasser le petit gibier, que des balles de gros calibre en plomb, destinées à la chasse au grand gibier, comme les cerfs.
C’est une excellente nouvelle pour les oiseaux britanniques : cette mesure devrait permettre d’épargner chaque année la vie de dizaines de milliers d’entre eux, actuellement victimes d’empoisonnements au plomb. La majorité des grenailles tirées ne touchent pas leur cible et des milliers de tonnes de plomb se retrouvent dispersées dans l’environnement chaque année. Or, les oiseaux aquatiques comme terrestres les confondent avec de la nourriture ou du gravier, qu’ils consomment pour broyer leurs aliments dans leur gésier. Les grenailles s’y désagrègent et le plomb est alors absorbé dans le sang.
On estime qu’entre 50 000 et 100 000 oiseaux d’eau meurent chaque année au Royaume-Uni des suites de cette intoxication, souvent après de longues souffrances. D’autres oiseaux subissent des effets dits « sublétaux » : leur système immunitaire et leur comportement sont altérés, ce qui augmente leur vulnérabilité face à d’autres menaces.
L’utilisation de grenailles de plomb pour la chasse aux oiseaux d’eau et au-dessus de certaines zones humides est déjà interdite en Angleterre et au Pays de Galles. En Écosse, cette interdiction s’applique à l’ensemble des zones humides, sans exception.
Cependant, le respect de la réglementation en Angleterre n’atteint qu’environ 30 %, et il est également faible en Écosse, tandis qu’aucune donnée n’est disponible pour le Pays de Galles. Cette nouvelle interdiction générale, plus étendue, devrait améliorer considérablement la situation dans tous les milieux naturels à travers la Grande-Bretagne.
Les rapaces comme les aigles, les buses variables ou les milans royaux sont également touchés : ils ingèrent des fragments de plomb en se nourrissant d’animaux tués ou blessés par des munitions en plomb. L’acidité dans leur estomac favorise l’absorption du métal. Nos recherches montrent que, bien que l’on estime que moins de rapaces que d’oiseaux d’eau meurent directement d’un empoisonnement au plomb, les conséquences sur leurs populations peuvent être bien plus graves. Cela concerne en particulier les espèces qui commencent à se reproduire tardivement, dont le taux de reproduction annuel est naturellement faible et qui, en temps normal, bénéficient d’un taux élevé de survie annuelle chez les adultes.
Ce bannissement bénéficiera aussi bien aux oiseaux résidents qu’aux migrateurs de passage au Royaume-Uni. Mais tant que d’autres pays continueront à autoriser ces munitions , les oiseaux migrateurs resteront exposés ailleurs, pendant leur trajet ou sur leurs lieux de reproduction ou d’hivernage.
Pour protéger toutes les espèces, les munitions au plomb doivent être remplacées partout par des alternatives sans plomb. L’usage de grenailles de plomb est déjà interdit dans de nombreuses zones humides à travers le monde. Dans l’Union européenne, (en France notamment, ndlr), une interdiction de l’utilisation de grenailles de plomb dans ou à proximité des zones humides est entrée en vigueur en février 2023 .
Le Danemark a été le premier pays à interdire les munitions au plomb dans tous les milieux. En 1996, il a interdit l’usage des grenailles de plomb et, en avril 2024, il a interdit les balles en plomb. Nos recherches montrent que l’interdiction des grenailles de plomb au Danemark a été très efficace, avec un bon niveau de conformité.
Le Royaume-Uni s’apprête maintenant à devenir le deuxième pays à interdire la plupart des usages des munitions au plomb. Cela a été rendu possible grâce à la disponibilité croissante d’alternatives sans plomb, sûres, efficaces et abordables, principalement les grenailles en acier et les balles en cuivre.
En février 2025, la Commission européenne a publié un projet de règlement interdisant la plupart des usages des munitions et des plombs de pêche en plomb. Ce projet attend encore l’approbation dans le cadre des procédures de l’UE. S’il est adopté, cela constituera une avancée majeure.
Les oiseaux sont particulièrement sensibles aux effets du plomb issu des munitions qu’ils ingèrent, en raison de leur gésier musculeux et de l’acidité de leur estomac. Mais ce plomb met aussi en danger la santé de nombreux autres animaux, y compris les animaux domestiques et les humains.
Au Royaume-Uni, nous avons trouvé dans des aliments crus pour chiens à base de faisan, provenant de trois fournisseurs, des concentrations moyennes de plomb plusieurs dizaines de fois supérieures à la limite maximale autorisée de résidus de plomb dans les aliments pour animaux.
Le gouvernement britannique a fondé sa décision d’interdire les munitions au plomb sur un rapport de l’agence REACH pour la Grande-Bretagne, ou Health and Safety Executive, qui soulignait les risques pour la santé des jeunes enfants et des femmes en âge de procréer, en cas de consommation fréquente de viande de gibier chassé avec des munitions au plomb. Le système nerveux en développement des enfants est particulièrement sensible aux effets du plomb.
Nous avons récemment appelé le comité des États appliquant la réglementation sur les produits chimiques (REACH), le Parlement européen et le Conseil à soutenir pleinement la proposition de la Commission européenne visant à restreindre les munitions au plomb.
Nous avons également encouragé l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) à recommander à la Commission européenne de fixer une limite légale maximale de plomb dans la viande de gibier commercialisée pour la consommation humaine, similaire à celle déjà établie pour la viande issue de la plupart des animaux d’élevage.
Tant que cela n’aura pas été mis en place, et tant que davantage de pays n’auront pas interdit tous les usages de munitions au plomb pour la chasse, la santé de la faune sauvage, des animaux domestiques et des groupes humains les plus vulnérables continuera d’être menacée par les effets toxiques du plomb issu de ces balles.
Deborah Pain est professeure honoraire à l’Université d’East Anglia (sciences biologiques) et chercheuse invitée au département de zoologie de l’Université de Cambridge. Elle est scientifique indépendante depuis avril 2018. Depuis cette date, elle n’a perçu aucune rémunération pour ses recherches sur l’intoxication au plomb, mais, avec ses collègues, elle a reçu des financements pour couvrir les coûts de la recherche et des analyses chimiques de la part de plusieurs sources, comme indiqué dans les publications scientifiques. Elle a été membre du groupe d’experts scientifiques indépendants du Royaume-Uni pour la réglementation REACH (RISEP), et dans ce cadre, du groupe de travail sur le plomb dans les munitions, ce pour quoi elle a été rémunérée. Cependant, ses travaux publiés sur l’intoxication au plomb ont été réalisés indépendamment de ce processus.
Rhys Green a reçu des financements pour ses recherches de la part de plusieurs organisations, dont la RSPB (Royal Society for the Protection of Birds), au sein de laquelle il a occupé le poste de principal scientifique en conservation jusqu’en 2017. Il est désormais à la retraite. Il est chercheur bénévole non rémunéré à la RSPB et professeur honoraire émérite en sciences de la conservation au département de zoologie de l’Université de Cambridge. Il est membre du groupe d’experts scientifiques indépendants du Royaume-Uni pour la réglementation REACH (RISEP), un groupe mis en place par une agence gouvernementale britannique, la Health & Safety Executive. Il reçoit ponctuellement des paiements pour les travaux réalisés dans le cadre de RISEP. Il siège également au conseil d’administration du zoo de Chester.
Niels Kanstrup ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
22.07.2025 à 16:34
Thierry Gauquelin, Professeur émérite, Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale (IMBE), Aix-Marseille Université (AMU)
Alors qu’on ne le trouve que dans une unique vallée au Maroc, le cyprès de l’Atlas est aujourd’hui menacé par l’exploitation humaine et a été durement touché par le séisme qui a frappé le Maroc en septembre 2023. Pourtant, cette espèce, protégée et plantée dans d’autres régions, résiste particulièrement bien au réchauffement climatique.
Le bassin méditerranéen est l’un des 36 points chauds de biodiversité d’importance mondiale en raison de sa grande biodiversité, souvent propre à la région. Il est en effet riche de plus de 300 espèces d’arbres et d’arbustes contre seulement 135 pour l’Europe non méditerranéenne. Parmi ces espèces, un certain nombre sont endémiques, comme le genévrier thurifère, le chêne-liège, plusieurs espèces de sapins mais aussi le remarquable cyprès de l’Atlas.
Décrit dès les années 1920, ce cyprès cantonné dans une seule vallée du Haut Atlas, au Maroc, a intéressé nombre de botanistes, forestiers et écologues, qui ont étudié cette espèce très menacée, mais aussi potentielle réponse au changement climatique.
Le premier à faire mention en 1921 de la présence de ce cyprès dans la vallée de l’oued N’Fiss, dans le Haut Atlas, est le capitaine Charles Watier, inspecteur des eaux et forêts du Sud marocain. Mais c’est en 1950 que Henri Gaussen, botaniste français, qualifie ce conifère de cyprès des Goundafa, l’élève au rang d’espèce et lui donne le nom scientifique de Cupressus atlantica Gaussen.
C’est à l’occasion de son voyage au Maroc en 1948 qu’il a constaté que cet arbre, dont la localisation est très éloignée de celles des autres cyprès méditerranéens, est bien une espèce distincte. En particulier, son feuillage arbore une teinte bleutée et ses cônes, que l’on appelle familièrement des pommes de pin, sont sphériques et petits (entre 18 et 22 mm) alors que ceux du cyprès commun (Cupressus sempervirens), introduit au Maroc, sont beaucoup plus gros (souvent 3,5 cm) et ovoïdes.
Le cyprès de l’Atlas se développe presque uniquement au niveau de la haute vallée du N’Fiss, région caractérisée par un climat lumineux et très contrasté.
On a aujourd’hui une bonne estimation de la superficie couverte par cette espèce dans la vallée du N’Fiss, qui abrite donc la population la plus importante de cyprès de l’Atlas. : environ 2 180 hectares, dont environ 70 % couverts de bosquets à faible densité. Dans les années 1940 et 1950, elle était estimée entre 5 000 et 10 000 hectares. En moins de cent ans, on aurait ainsi perdu de 50 à 80 % de sa surface ! Malgré les imprécisions, ces chiffres sont significatifs d’une régression importante de la population.
Dans ces espaces boisés, la densité des arbres est faible et l’on peut circuler aisément entre eux. Les couronnes des arbres ne se rejoignent jamais et, hormis sous celles-ci, le soleil frappe partout le sol nu.
L’originalité de cette formation est que cohabitent aujourd’hui dans cette vallée de magnifiques cyprès multiséculaires aux troncs tourmentés, des arbres plus jeunes, élancés et en flèche pouvant atteindre plus de 20 mètres de hauteur et des arbres morts dont ne subsistent que les troncs imputrescibles. Ce qui est frappant, et que signalait déjà le botaniste Louis Emberger en 1938 dans son fameux petit livre les Arbres du Maroc et comment les reconnaître, c’est que la majorité des arbres « acquièrent une forme de candélabre, suite à l’amputation de la flèche et à l’accroissement des branches latérales ».
L’allure particulière de ces arbres et la proportion importante d’arbres morts sont avant tout à imputer à l’être humain qui, depuis des siècles, utilise le bois de cyprès pour la construction des habitations et pour le chauffage. Il coupe aussi le feuillage pour nourrir les troupeaux de chèvres qui parcourent la forêt.
En plus de ces mutilations, les arbres rencontrent des difficultés pour se régénérer, en lien avec le surpâturage, toutes les jeunes régénérations des arbres étant systématiquement broutées. La pression anthropique est ainsi une composante fondamentale des paysages de forêt claire de cyprès de l’Atlas.
Cette dégradation des arbres et la régression de la population de cyprès ne sont sans doute pas récentes. La vallée du N’Fiss est le berceau des Almohades, l’une des plus importantes dynasties du Maroc, qui s’est étendue du Maghreb à l’Andalousie, du XIIe au XIIIe siècle. La mosquée de Tinmel, joyau de l’art des Almohades, s’imposait au fond de cette vallée, témoin de la fondation de cette grande dynastie. Et il est fort à parier que c’est du bois local, donc de cyprès, qui a été utilisé à l’origine pour la toiture de cette monumentale construction.
Pourquoi aller chercher bien loin du cèdre, comme certains historiens l’ont suggéré, alors qu’une ressource de qualité, solide et durable, existait localement ? L’étude anatomique de fragments de poutres retrouvées sur le site devrait permettre de confirmer cette hypothèse, les spécialistes différencient facilement le bois de cyprès de celui des autres essences de conifères. Dans tous les cas, il est certain que lors de cette période, le cyprès a subi une forte pression, du fait de l’importance de la cité qui entourait ce site religieux.
On notera enfin, confortant les relations intimes entre le cyprès et les populations locales, les utilisations en médecine traditionnelle : massages du dos avec des feuilles imbibées d’eau ou encore décoction des cônes employée comme antidiarrhéique et antihémorragique.
Le 8 septembre 2023, le Maroc connaît le séisme le plus intense jamais enregistré dans ce pays par les sismologues. Les peuplements de cyprès se situent autour de l’épicentre du séisme. Ce dernier affecte la vallée du N’Fiss et cause d’importants dégâts matériels, détruisant des habitations et des villages et causant surtout le décès de près de 3 000 personnes. Le séisme a également endommagé le patrimoine architectural, et notamment la mosquée de Tinmel, presque entièrement détruite, qui fait, depuis, l’objet de programme de restauration.
Malgré son intensité (6,8), le séisme ne semble pas avoir eu d’effets directs sur les cyprès par déchaussements ou par glissements de terrain, bien que cela soit difficile à apprécier. Ceux-ci ont néanmoins subi des dégâts collatéraux.
Lors du réaménagement de la route principale, des arbres ont été abattus, notamment un des vieux cyprès (plus de 600 ans) qui avait pu être daté par le Pr Mohamed Alifriqui, de l’Université Cadi Ayyad de Marrakech. De plus, des pistes et des dépôts de gravats ont été implantés au sein même des peuplements, à la suite d’une reconstruction rapide, et évidemment légitime, des villages. Cela a cependant maltraité, voire tué, de très vieux cyprès.
Malgré la distribution restreinte de l’espèce et l’importante dégradation qu’elle subit, une forte diversité génétique existe encore dans cette population. Cependant, il existe un risque important de consanguinité et de perte future de biodiversité au sein de cette vallée. Ainsi, C. atlantica est classé par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) parmi les 17 espèces forestières mondiales dont le patrimoine génétique s’appauvrit.
Une autre menace est celle du changement climatique qui affecte particulièrement le Maroc et ses essences forestières. Les six années de sécheresse intense que cette région du Maroc a subies n’ont sans doute pas amélioré la situation, même si l’impact sur les cyprès semble moins important que sur les chênes verts, sur les thuyas ou sur les genévriers qui montrent un dépérissement spectaculaire.
Pour toutes ces raisons, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a classé le cyprès de l’Atlas comme étant en danger critique d’extinction. Il faut alors envisager des stratégies à grande échelle afin d’assurer la survie voire la régénération des forêts de cyprès. Cela passe à la fois par la fermeture de certains espaces, afin d’y supprimer le pâturage, et par l’interdiction des prélèvements de bois.
Tout ceci ne sera cependant possible qu’en prévoyant des mesures compensatoires pour les populations locales.
Il est aussi nécessaire de replanter des cyprès, ce qui nécessite la production de plants de qualité, même si les tentatives menées par le Service forestier marocain ont pour le moment obtenu un faible taux de réussite.
Le cyprès de l’Atlas, adapté à des conditions de forte aridité, pourrait d’ailleurs constituer une essence d’avenir pour le Maroc et pour le Maghreb dans son ensemble face au changement climatique. Dans le bassin méditerranéen, le réchauffement provoque en effet une aridification croissante et notamment une augmentation de la période de sécheresse estivale. Henri Gaussen disait déjà en 1952 :
« Je crois que ce cyprès est appelé à rendre de grands services dans les reboisements de pays secs. »
Et pourquoi ne pas penser au cyprès de l’Atlas pour les forêts urbaines ? Un bon moyen de préserver, hors de son aire naturelle, cette espèce menacée.
Conservation, reboisements et utilisation raisonnée nécessitent ainsi des investissements financiers importants. Richard Branson, le célèbre entrepreneur britannique, s’est particulièrement investi dans le développement de la vallée du N’Fiss et est notamment venu au secours de ses habitants à la suite du séisme meurtrier d’il y a deux ans. Si son but est d’améliorer la vie et le futur des habitants de la vallée, espérons qu’il saura aussi s’intéresser à cet écosystème particulier, et que d’autres fonds viendront soutenir les efforts de conservation.
Thierry Gauquelin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
21.07.2025 à 18:15
Florian Fizaine, Maître de conférences en sciences économiques, Université Savoie Mont Blanc
Guillaume Le Borgne, Maître de conférences en sciences de gestion - En délégation INRAE, Université Savoie Mont Blanc
Plus on connaît le changement climatique et les actions du quotidien les plus émettrices de CO2, moins notre empreinte carbone est importante. C’est ce que confirme une nouvelle étude, qui indique que les connaissances sont un levier individuel et collectif qui peut faire diminuer cette empreinte d’une tonne de CO2 par personne et par an. Mais cela ne suffira pas : la transition écologique doit aussi passer par les infrastructures publiques et l’aménagement du territoire.
Les rapports successifs du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), mais aussi le traitement de plus en plus massif de l’urgence climatique par les médias témoignent d’une information sur le sujet désormais disponible pour tous. Pourtant, à l’échelle des individus, des États ou même des accords intergouvernementaux comme les COP, les effets de ces rapports semblent bien maigres face aux objectifs fixés et aux risques encourus.
Ce constat interpelle et questionne le rôle des connaissances accumulées et diffusées dans la transition environnementale. Plutôt que de les rejeter d’un bloc, il s’agit de revisiter les formes qu’elles doivent prendre pour permettre l’action.
Est-ce que plus de connaissances sur le réchauffement climatique poussent au changement ? C’est précisément à cette question que nous avons souhaité répondre dans une étude publiée récemment. Ce travail s’appuie sur une enquête portant sur 800 Français interrogés sur leurs croyances relatives au réchauffement climatique, leurs connaissances sur le sujet ainsi que sur leur comportement et leur empreinte carbone grâce au simulateur de l’Agence de la transition écologique (Ademe) « Nos gestes climat ».
Avant tout, précisons ce qu’on appelle connaissances. Si notre outil évalue les connaissances liées au problème (réalité du réchauffement, origine anthropique…), une large part de notre échelle évalue par ailleurs si l’individu sait comment atténuer le problème au travers de ses choix quotidiens – quels postes d’émissions, comme l’alimentation ou les transports, et quelles actions ont le plus d’impact. En effet, une bonne action ne nécessite pas seulement d’identifier le problème, mais de savoir y parer efficacement. Et les Français ont des connaissances très hétérogènes sur ce sujet – constat qui se retrouve au niveau international.
En s’appuyant sur le pourcentage de bonnes réponses à notre questionnaire et en le comparant au niveau autoévalué par l’individu, on observe d’ailleurs que les personnes les plus incompétentes sur le sujet surestiment drastiquement leur niveau de connaissances de plus d’un facteur deux, tandis que les plus compétents sous-estiment légèrement leur niveau de 20 %.
Pour aller au-delà de la simple observation d’une corrélation entre connaissances et empreinte carbone, déjà observée dans d’autres études récentes et confirmée par la nôtre, nous avons regardé comment le niveau de connaissances moyen de l’entourage d’un individu influence ses propres connaissances et contribue par ce biais à réduire son empreinte carbone.
Nous avons montré que le niveau de connaissances influence significativement à la baisse l’empreinte carbone : en moyenne, les personnes ayant 1 % de connaissances en plus ont une empreinte carbone 0,2 % plus faible. Cela s’explique par les causes multifactorielles sous-jacentes à l’empreinte.
Nous observons surtout des résultats très différents selon les postes de l’empreinte carbone. Le transport réagit beaucoup (-0,7 % pour une hausse de 1 % de connaissances), l’alimentation beaucoup moins (-0,17 %) tandis qu’il n’y a pas d’effet observable sur les postes du logement, du numérique et des consommations diverses.
Ces résultats sont encourageants dans la mesure où le transport et l’alimentation représentent près de la moitié de l’empreinte carbone, selon l’Ademe.
L’absence de résultat sur les autres postes peut s’expliquer par différents facteurs. Sur le logement par exemple, les contraintes sont probablement plus pesantes et difficiles à dépasser que sur les autres postes. On change plus facilement de véhicule que de logement et isoler son logement coûte cher et reste souvent associé à un retour sur investissement très long. Le statut d’occupation du logement (monopropriétaire, copropriétaire, locataire…) peut aussi freiner considérablement le changement.
Enfin, concernant les postes restants, il y a fort à parier qu’il existe à la fois une méconnaissance de leur impact, des habitudes liées au statut social ou d’absence d’alternatives. Plusieurs études ont montré que les individus évaluent très mal l’impact associé aux consommations diverses, et que les guides gouvernementaux qui leur sont destinés fournissent peu d’informations à ce sujet.
Comme notre questionnaire ne porte pas sur les connaissances relatives à la totalité des choix du quotidien, il est possible que les individus très renseignés sur l’impact des plus grands postes (logement, transport, alimentation) et qui sont bien évalués dans notre étude ne l’auraient pas nécessairement été sur les autres postes (vêtement, mobilier, électronique…). Par ailleurs, même si un individu sait que réduire son usage numérique ou sa consommation matérielle aurait un effet positif, il peut se sentir isolé ou dévalorisé socialement s’il change de comportement.
Pour finir, le numérique est souvent perçu comme non substituable, omniprésent, et peu modulable par l’individu. Contrairement à l’alimentation ou au transport, il est difficile pour l’individu de percevoir l’intensité carbone de ses usages numériques (streaming, cloud, etc.) ou de les choisir en fonction de cette information.
Notre étude montre que l’on peut atteindre jusqu’à environ une tonne de CO2e/an/habitant en moins grâce à une augmentation drastique des connaissances, ce qui pourrait passer par l’éducation, la formation, la sensibilisation et les médias. C’est déjà bien, mais c’est une petite partie des 6,2 t CO2e/habitant à éviter pour descendre à 2 tonnes par habitant en France, l’objectif établi par l’accord de Paris. Cela rejoint l’idée que les connaissances individuelles ne peuvent pas tout accomplir et que les individus eux-mêmes n’ont pas toutes les clés en main.
Les actions des individus dépendent pour partie des infrastructures publiques et de l’organisation des territoires. Dans ce cadre, seules des décisions prises aux différents échelons de l’État peuvent dénouer certaines contraintes sur le long terme. D’un autre côté, les décideurs politiques ou les entreprises ne s’engageront pas sur des mesures désapprouvées par une large part de la population. Il faut donc rompre le triangle de l’inaction d’une manière ou d’une autre pour entraîner les deux autres versants.
Il ne s’agit pas de dire que les individus sont seuls responsables de la situation, mais d’observer qu’au travers du vote, des choix de consommation et des comportements, les leviers et la rapidité des changements sont probablement plus grands du côté des individus que du côté des entreprises et des États.
Comment alors mobiliser les citoyens au-delà de l’amélioration des connaissances ? Nous ne répondons pas directement à cette question dans notre étude, mais une littérature foisonnante s’intéresse à deux pistes prometteuses.
La bonne nouvelle, c’est qu’il n’est pas toujours nécessaire d’interdire, de subventionner massivement ou de contraindre pour faire évoluer les comportements. Parfois, il suffit d’aider chacun à voir que les autres bougent déjà. Les politiques fondées sur les normes sociales – qu’on appelle souvent nudges – misent sur notre tendance à nous aligner avec ce que font les autres, surtout dans des domaines aussi collectifs que le climat.
Avec un minimum d’investissement public, on peut donc maximiser les effets d’entraînement, pour que le changement ne repose pas seulement sur la bonne volonté individuelle, mais devienne la nouvelle norme locale. Ainsi, en Allemagne, une étude récente montre que lorsque l’un de vos voisins commence à recycler ses bouteilles, vous êtes plus susceptible de le faire aussi. Ce simple effet d’imitation, reposant sur la norme sociale, peut créer des cercles vertueux s’il est combiné à des dispositifs d’aide publique habilement ciblée voir à de l’information.
Ensuite, les émotions – telles que la peur, l’espoir, la honte, la fierté, la colère… – possèdent chacune des fonctions comportementales spécifiques qui, bien mobilisées, peuvent inciter à l’adoption de comportements plus vertueux d’un point de vue environnemental. Des chercheurs ont d’ailleurs proposé un cadre fonctionnel liant chaque émotion à des contextes d’intervention précis et démontré que cela peut compléter efficacement les approches cognitives ou normatives classiques.
Par exemple, la peur peut motiver à éviter des risques environnementaux immédiats si elle est accompagnée de messages sur l’efficacité des actions proposées (et, à l’inverse, peut paralyser en l’absence de tels messages), tandis que l’espoir favorise l’engagement si les individus perçoivent une menace surmontable et leur propre capacité à agir. Par ailleurs, l’écocolère peut amener à un engagement dans l’action plus fort que l’écoanxiété.
Cibler stratégiquement les émotions selon les publics et les objectifs maximise les chances de changements comportementaux. En outre, mobiliser les émotions requiert de convaincre les individus de l’efficacité de leurs actions (et de l’implication des autres), et du caractère surmontable du défi du changement climatique. Ce n’est pas une mince affaire, mais cela reste une question centrale pour la recherche et les acteurs de la lutte contre le changement climatique.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
21.07.2025 à 18:12
Yvonne Ryan, Associate Professor in Environmental Science, University of Limerick
Les vélos électriques ont le vent en poupe : ils rendent les déplacements cyclistes accessibles à tous indépendamment de la condition physique et n’émettent pas de gaz à effet de serre pendant leur utilisation. Oui, mais encore faut-il qu’en fin de vie, ils soient correctement recyclés – et, en particulier, leurs batteries électriques. Ce n’est pas toujours le cas et cela provoque déjà des incidents, sans parler des pollutions qui peuvent en découler.
Les vélos électriques rendent la pratique du vélo plus facile, plus rapide et plus accessible. Ils jouent déjà un rôle important pour réduire l’impact environnemental des transports, en particulier lorsqu’ils remplacent un trajet en voiture individuelle.
Mais lorsqu’on met un vélo électrique au rebut, il faut aussi se débarrasser de sa batterie. Or, ces batteries peuvent être particulièrement dangereuses pour l’environnement et difficiles à éliminer (les filières de recyclage appropriées n’étant pas toujours mobilisées, ndlt). L’essor des vélos électriques s’accompagne donc d’un nouveau problème environnemental : l’augmentation des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEE).
Le secteur a besoin d’une réglementation plus stricte pour l’encourager à réduire ses déchets. Il s’agirait notamment d’encourager la conception de vélos plus faciles à réparer ou à recycler et d’établir des normes universelles permettant aux pièces de fonctionner pour différentes marques et différents modèles, de sorte que les composants puissent être réutilisés au lieu d’être jetés.
Malgré tout, les vélos électriques passent souvent entre les mailles du filet législatif. Leur exclusion des produits prioritaires, dans le cadre du règlement de l’UE sur l’écoconception des produits durables, introduit en 2024, est regrettable.
À lire aussi : Peut-on recycler les batteries des véhicules électriques ?
À l’Université de Limerick, en Irlande, des collègues et moi avons mené des recherches sur l’impact environnemental des vélos électriques. Nous nous sommes intéressés à l’ensemble de leur cycle de vie, depuis l’extraction minière des métaux jusqu’à la fabrication, l’utilisation et l’élimination finale des vélos, afin de voir s’il existait des moyens de réduire la quantité de matériaux utilisés.
Nous avons interrogé des détaillants et des personnes travaillant dans le domaine de la gestion des déchets. Ils nous ont fait part de leurs préoccupations concernant la vente en ligne de vélos électriques de moindre qualité, dont les composants deviennent plus facilement défectueux, ce qui conduit à un renouvellement plus fréquent.
En utilisant les données relatives à la flotte de vélos électriques en usage sur notre université, nous avons constaté des problèmes de conception et de compatibilité des composants. Les pneus de vélo, par exemple, sont devenus de plus en plus atypiques et spécialisés.
La fabrication additive, par exemple l’impression 3D, pourrait devenir plus importante pour les détaillants et les réparateurs de vélos, qui pourraient l’utiliser pour imprimer eux-mêmes des écrous, des vis ou même des selles de rechange. Cela pourrait être particulièrement nécessaire dans les États insulaires comme l’Irlande, où il y a souvent des retards dans l’approvisionnement en pièces détachées.
Mais il faut d’abord que les vélos électriques soient d’une qualité suffisante pour pouvoir être réparés. Et pour créer les pièces de rechange, encore faut-il avoir accès aux données nécessaires, c’est-à-dire à des fichiers numériques contenant des dessins précis d’objets tels qu’un pneu ou un guidon de vélo.
De nouveaux modèles d’affaires voient le jour. Certaines entreprises prêtent des vélos électriques à leurs employés, une société de gestion se chargeant de l’entretien et de la réparation.
Il existe également un nombre croissant de services mobiles de réparation de vélos électriques, ainsi que des formations spécialisées à la réparation et la vente au détail de vélos électriques, par l’intermédiaire de plateformes de fabricants tels que Bosch ou Shimano.
Les marques de vélos électriques changent elles aussi progressivement, passant de la vente de vélos à une offre de services évolutifs. Par exemple, le détaillant de vélos électriques Cowboy propose un abonnement à des mécaniciens mobiles, et VanMoof s’associe à des services de réparation agréés. Mais, si ces modèles fonctionnent bien dans les grandes villes, ils ne sont pas forcément adaptés aux zones rurales et aux petites agglomérations.
Il convient toutefois de veiller à ce que les consommateurs ne soient pas désavantagés ou exclus des possibilités de réparation. Aux États-Unis, les fabricants de vélos électriques ont demandé des dérogations aux lois visant à faciliter la réparation des produits, tout en insistant sur le fait que le public ne devrait pas être autorisé à accéder aux données nécessaires pour effectuer les réparations.
En ce qui concerne le traitement des déchets, certaines des innovations qui ont rendu les vélos électriques plus accessibles créent de nouveaux problèmes. Par exemple, les vélos électriques ont évolué pour devenir plus fins et élégants – et, de ce fait, ils sont parfois impossibles à distinguer des vélos ordinaires. Il est donc plus facile pour eux de se retrouver dans des unités de traitement des ordures ménagères (tri, incinération, mise en décharge, etc.) qui ne sont pas équipées pour les déchets électroniques. Si une batterie lithium-ion à l’intérieur d’un vélo électrique est encore chargée et qu’elle est écrasée ou déchiquetée (au cours du tri, par exemple), elle peut déclencher un incendie.
Ce problème est pourtant loin d’être insoluble. La vision par ordinateur et d’autres technologies d’intelligence artificielle pourraient aider à identifier les vélos électriques et les batteries dans les installations de gestion des déchets. Les codes QR apposés sur les cadres des vélos pourraient aussi être utilisés pour fournir des informations sur l’ensemble du cycle de vie du produit, y compris les manuels de réparation et l’historique des services, à l’instar des passeports de produits proposés par l’Union européenne.
La sensibilisation, le choix et l’éducation des consommateurs restent essentiels. S’il appartient aux consommateurs de prendre l’initiative de l’entretien et de la réparation des vélos électriques, les décideurs politiques doivent veiller à ce que ces options soient disponibles et abordables et à ce que les consommateurs les connaissent.
Les détaillants, de leur côté, ont besoin d’aide pour intégrer la réparation et la réutilisation dans leurs modèles commerciaux. Il s’agit notamment de mettre en place des forfaits domicile/lieu de travail pour faciliter l’entretien des vélos électriques. Cela passe aussi par un meilleur accès aux assurances et aux protections juridiques, en particulier pour la vente de vélos électriques remis à neuf. Enfin, il leur faut disposer d’une main-d’œuvre ayant les compétences nécessaires pour réparer ces vélos.
Partout dans le monde, les « vélothèques » (services de prêt ou location de vélos, ndlt) et les programmes « Essayez avant d’acheter » aident les consommateurs à prendre de meilleures décisions, car ils leur permettent de tester un vélo électrique avant de s’engager. L’abandon du modèle de la propriété traditionnelle – en particulier pour les vélos électriques coûteux – pourrait également rendre la mobilité active plus accessible.
Les politiques qui favorisent les ventes, telles que les subventions et les incitations à l’achat de nouveaux vélos, peuvent aller à l’encontre des efforts déployés pour réduire les déchets. Nous avons besoin de davantage de politiques qui favorisent la réparation et la remise à neuf des vélos électriques.
Ce secteur présente un fort potentiel pour limiter notre impact environnemental et améliorer la santé publique. Mais pour que ces avantages se concrétisent, nous devons nous efforcer de les faire durer plus longtemps et de consommer moins de ressources naturelles pour ces derniers.
Yvonne Ryan ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
17.07.2025 à 15:52
Karen Burga, Cheffe de projet, Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses)
De plus en plus de crèmes solaires se présentent comme « respectueuses » de l’environnement. Est-ce vraiment le cas ? En 2023, une expertise de l’Anses a mis en évidence les risques posés par plusieurs substances chimiques pour le milieu marin, et en particulier pour les récifs coralliens. En cause, des pesticides, des métaux, mais également des filtres UV utilisés dans les crèmes solaires, comme le salicylate de 2-éthylhexyle, l’enzacamène, l’octocrylène, la benzophénone-3 et l’octinoxate.
Toutes sortes de substances chimiques terminent leur vie dans les océans : métaux, pesticides, mais également les molécules servant de filtres UV dans les crèmes solaires. Tous ces polluants peuvent affecter la biodiversité marine et notamment les récifs coralliens, déjà mis à mal par le changement climatique.
Face à ces préoccupations, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a publié, en 2023, une évaluation, avec l’appui de l’Office français de la biodiversité (OFB). L’enjeu : comprendre les risques posés par la pollution chimique sur la santé des coraux.
L’Agence a ainsi évalué les risques pour une cinquantaine de substances parmi la centaine identifiée comme potentiellement toxique pour les coraux. Les résultats sont préoccupants : la moitié des substances évaluées présentent bien des risques pour les récifs coralliens. Parmi celles-ci, on trouve les filtres UV présents dans les crèmes solaires, des métaux et des pesticides.
Avec une mauvaise nouvelle à la clé : le bilan des substances à risque est très probablement sous-estimé.
Les récifs coralliens constituent des écosystèmes cruciaux pour la planète. Même s’ils couvrent moins de 1 % de la surface des océans, ils abritent plus de 25 % de la biodiversité mondiale, comptant parmi les écosystèmes les plus diversifiés de la planète. Malgré leur importance écologique (et les enjeux économiques qui en découlent), les récifs coralliens déclinent.
D’après les Nations unies, il est estimé que 20 % des récifs coralliens mondiaux ont déjà été détruits. Ces écosystèmes font face à des pressions multiples à toutes les échelles spatiales : du niveau local (du fait par exemple des pollutions, de la surpêche, des aménagements côtiers, etc.) au niveau mondial (notamment à cause du changement climatique).
En termes de pollution marine, les coraux sont exposés à diverses substances chimiques provenant de différences sources, ponctuelles ou diffuses. Ces effets éveillent l’intérêt des chercheurs depuis des décennies. Pour mener leur expertise quant aux risques posés par les substances chimiques sur la santé des coraux, l’Anses et l’OFB se sont ainsi appuyés sur une revue de littérature scientifique réalisée par Patrinat.
Ceci a permis d’identifier une centaine de substances pouvant avoir des effets toxiques sur les espèces coralliennes.
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Commençons par les pesticides. Grâce aux données de surveillance des substances chimiques dans l’eau disponibles pour la Guadeloupe, pour la Martinique, pour La Réunion et pour Mayotte, l’Anses a pu évaluer les risques sur ces territoires. Parmi les 21 substances étudiées :
deux pesticides dangereux pour l’environnement marin ont été identifiés, le chlordécone et le chlorpyrifos, surtout en Guadeloupe et Martinique ;
le risque ne peut pas être écarté pour huit autres pesticides : TBT, profénofos, perméthrine, naled, monuron, dichlorvos, cyanures et carbaryl.
S’agissant des métaux, des risques ont été identifiés pour six métaux (zinc, vanadium, manganèse, fer, cobalt et aluminium) sur les 12 étudiés.
En Martinique, les niveaux d’aluminium, de manganèse et de zinc dépassent les niveaux de référence,
pour les autres territoires, il n’est pas possible de déterminer si les concentrations mesurées dans l’eau de ces métaux sont d’origine anthropique ou naturelle.
Ces dernières années, un nouveau type de pollution chimique des récifs coralliens a retenu l’attention du public et des scientifiques : les produits de protection solaire, en particulier les filtres UV.
Il est difficile d’évaluer les risques pour ces substances, faute de données disponibles quant aux concentrations de ces substances dans les eaux des territoires français ultramarins.
Cependant, sur la base des concentrations rapportées dans la littérature scientifique dans d’autres zones marines, l’expertise a pu identifier cinq filtres UV à risque sur les 11 identifiés par la revue systématique. Il s’agit du salicylate de 2-éthylhexyle, de l’enzacamène, de l’octocrylène, de la benzophénone-3 et de l’octinoxate.
Dans ce groupe, l’enzacamene est reconnu comme un perturbateur endocrinien. Et cela non seulement pour la santé humaine, mais aussi pour l’écosystème marin. Les autres substances sont, elles aussi, suspectées d’être des perturbateurs endocriniens. Elles font actuellement l’objet d’évaluations par les États membres de l’Union européenne dans le cadre du règlement Registration, Evaluation, Authorization of Chemicals (REACH).
Concernant l’octocrylène en particulier, la France constitue actuellement un dossier de restriction pour les usages cosmétiques auprès de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA). Ceci tient aux risques identifiés, en particulier pour le milieu aquatique.
Ceci a des implications très claires : les produits solaires contenant des substances identifiées dans cette expertise comme à risque pour les récifs coralliens ne doivent pas prétendre qu’ils sont sans danger pour le milieu marin et qu’ils le respectent.
Une autre leçon de l’expertise tient au nombre de substances chimiques qu’il a été possible d’étudier. Celui-ci est très restreint au regard du nombre de contaminants que l’on peut retrouver dans l’environnement marin.
Cela plaide pour une surveillance accrue des substances chimiques dans le milieu marin des territoires d’outre-mer, en particulier à proximité des récifs coralliens. Il est important de mettre en place ou de renforcer les dispositifs de suivi existants, en particulier dans certains territoires ultramarins.
D’autres groupes de substances présents dans les océans, parmi lesquels les hydrocarbures, les produits pharmaceutiques ou les microplastiques, n’ont pas pu être évalués, par manque de données robustes sur les concentrations retrouvées et leur toxicité pour les coraux. Ainsi, le nombre de substances présentant des risques pour les coraux est très sous-estimé.
Si on veut donner une chance aux récifs coralliens de faire face aux effets du changement climatique, qui seront de plus en plus intenses dans les années à venir, il est essentiel de préserver la qualité de l’eau et d’intensifier la lutte contre les pollutions à toutes les échelles.
Cela passe, par exemple, par une application plus stricte des réglementations liées aux substances chimiques ou encore par le contrôle des rejets vers les océans et par l’amélioration des réseaux d’assainissement des eaux usées.
Cet article s’appuie sur un rapport d’expertise de l’Anses publié en 2023 auquel ont contribué des agents de l’Anses et les experts suivants : C. Calvayrac (Université de Perpignan Via Domitia), J.-L. Gonzalez (Ifremer), C. Minier (Université Le Havre Normandie), A. Togola (BRGM) et P. Vasseur (Université de Lorraine).
Karen Burga ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
17.07.2025 à 15:48
Steven Sherwood, Professor of Atmospheric Sciences, Climate Change Research Centre, UNSW Sydney
Benoit Meyssignac, Associate Research Scientist in Climate Science, Université de Toulouse
Thorsten Mauritsen, Professor of Climate Science, Stockholm University
L’énergie du rayonnement solaire qui arrive sur Terre est en partie absorbée par son atmosphère, où elle est piégée sous forme de chaleur : c’est l’effet de serre. Mais les modèles climatiques semblent s’être trompés. La chaleur s’accumule désormais deux fois plus vite qu’il y a vingt ans, le double de ce que la théorie prévoyait.
Comment mesurer le changement climatique ? L’une des méthodes consiste à enregistrer la température à différents endroits sur une longue période. Même si cette méthode fonctionne bien, les variations naturelles peuvent rendre plus difficile l’observation de tendances à long terme.
Mais une autre approche peut nous donner une idée très claire de ce qui se passe : il s’agit de suivre la quantité de chaleur qui entre dans l’atmosphère terrestre et la quantité de chaleur qui en sort. Cela revient à dresser le budget énergétique de la Terre, et il est aujourd’hui bel et bien déséquilibré.
Notre étude récente a montré que ce déséquilibre a plus que doublé au cours des vingt dernières années. D’autres chercheurs sont arrivés aux mêmes conclusions. Ce déséquilibre est aujourd’hui beaucoup plus important que ce que les modèles climatiques estimaient.
Au milieu des années 2000, le déséquilibre énergétique était d’environ 0,6 watts par mètre carré (W/m2) en moyenne. Ces dernières années, la moyenne était plus proche de 1,3 W/m2. Cela signifie que la vitesse à laquelle l’énergie s’accumule à la surface de la planète a doublé.
Ces résultats suggèrent que le changement climatique pourrait bien s’accélérer dans les années à venir. Pis, ce déséquilibre inquiétant apparaît alors même que l’incertitude concernant les financements états-uniens d’études du climat menace notre capacité à suivre les flux de chaleur.
Le budget énergétique de la Terre fonctionne un peu comme un compte en banque, où l’énergie sert de monnaie, et peut entrer et sortir. En réduisant les dépenses, on accumule de l’argent sur le compte. La vie sur Terre dépend de l’équilibre entre la chaleur provenant du Soleil et celle qui sort vers l’espace. Cet équilibre est en train de basculer d’un côté.
L’énergie solaire frappe la Terre et la réchauffe. Les gaz à effet de serre qui piègent la chaleur dans l’atmosphère retiennent une partie de cette énergie. Mais la combustion de charbon, de pétrole et de gaz a ajouté plus de deux billions (soit deux mille milliards) de tonnes de CO2 et d’autres gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Ces gaz emprisonnent de plus en plus de chaleur, l’empêchant de s’échapper.
Une partie de cette chaleur supplémentaire réchauffe la Terre ou fait fondre les banquises, les glaciers et les nappes glaciaires. Mais cela ne représente qu’une infime partie de l’énergie que reçoit la Terre : 90 % de cette chaleur est absorbée par les océans en raison de leur énorme capacité calorifique.
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La Terre perd naturellement de la chaleur de plusieurs manières. L’une d’entre elles consiste à réfléchir la chaleur entrante sur les nuages, la neige et la glace et à la renvoyer dans l’espace. Notre planète perd aussi une partie de son énergie sous forme de rayonnement infrarouge qui est également émis vers l’espace.
Depuis le début de la civilisation humaine jusqu’à il y a tout juste un siècle, la température moyenne à la surface était d’environ 14 °C. Le déséquilibre énergétique qui s’accumule a maintenant fait grimper les températures moyennes de 1,3 à 1,5 °C.
Les scientifiques suivent le bilan énergétique de deux manières. Tout d’abord, nous pouvons mesurer directement la chaleur provenant du Soleil et retournant dans l’espace, en utilisant des radiomètres, des instruments embarqués sur des satellites de surveillance. Cet ensemble de données et ses prédécesseurs existent depuis la fin des années 1980.
Ensuite, nous pouvons suivre avec précision l’accumulation de chaleur dans les océans et l’atmosphère en effectuant des relevés de température. Des milliers de flotteurs robotisés ont surveillé les températures dans les océans du monde entier depuis les années 1990.
Les deux méthodes montrent que le déséquilibre énergétique a rapidement augmenté. Ce doublement a été un choc, car les modèles climatiques les plus élaborés que nous utilisons ne prévoyaient pas un changement aussi important et aussi rapide. En général, ils prévoient moins de la moitié du changement que nous observons en réalité.
Nous n’expliquons pas encore complètement cette situation. Mais de nouvelles recherches suggèrent qu’un facteur important est à trouver dans les nuages.
Les nuages ont en général un effet de refroidissement. Mais la zone couverte par les nuages blancs très réfléchissants a diminué, tandis que la zone couverte par les nuages épars et moins réfléchissants a augmenté.
On ne sait pas exactement pourquoi les nuages changent. Une explication possible pourrait être les conséquences des efforts fructueux déployés pour réduire la teneur en soufre des carburants utilisés pour le transport maritime depuis 2020, car la combustion de carburants plus sales pourrait avoir eu un effet d’éclaircissement des nuages. Toutefois, l’accélération du déséquilibre du budget énergétique terrestre a commencé avant cette évolution.
Les fluctuations naturelles du système climatique, telles que l’oscillation décennale du Pacifique, pourraient également jouer un rôle. Enfin, et c’est le plus inquiétant, le changement de la nature des nuages pourrait faire partie d’une tendance causée par le réchauffement climatique lui-même : il s’agirait d’une rétroaction positive, qui amplifie le réchauffement.
Ces résultats suggèrent que les températures extrêmement élevées de ces dernières années ne sont pas des cas isolés, mais qu’elles pourraient refléter un renforcement du réchauffement au cours de la prochaine décennie, voire pendant plus longtemps encore. Cela signifie qu’il y aura davantage de risques que les événements climatiques soient plus intenses, qu’il s’agisse de vagues de chaleur caniculaire, de sécheresses ou de pluies extrêmes, ou de vagues de chaleur marine plus intenses et plus durables.
Ce déséquilibre pourrait avoir des conséquences plus graves à long terme. De nouvelles recherches montrent que les seuls modèles climatiques qui s’approchent d’une simulation qui reflète les mesures réelles sont ceux dont la « sensibilité climatique » est plus élevée. Ces modèles prévoient un réchauffement plus important au-delà des prochaines décennies, dans les scénarios où les émissions ne sont pas réduites rapidement. Toutefois, nous ne savons pas encore si d’autres facteurs entrent en jeu. Il est encore trop tôt pour affirmer que nous sommes sur une trajectoire de sensibilité élevée.
Nous connaissons la solution depuis longtemps : arrêter la combustion d’énergies fossiles et supprimer progressivement les activités humaines qui provoquent des émissions, comme la déforestation.
Conserver des données précises sur de longues périodes est essentiel si nous voulons détecter les changements inattendus.
Les satellites, en particulier, constituent notre système d’alerte précoce, car ils nous informent des changements dans les processus de stockage de la chaleur environ une décennie avant les autres méthodes.
Mais les coupes budgétaires et les changements radicaux de priorités aux États-Unis pourraient menacer la surveillance essentielle du climat par satellite.
Steven Sherwood a reçu des financements du Conseil australien de la recherche et de la Mindaroo Foundation.
Benoit Meyssignac a reçu des financements de la Commission européenne, de l'Agence spatiale européenne (ESA) et du CNES.
Thorsten Mauritsen a reçu des financements du Conseil européen de la recherche (ERC), de l'Agence spatiale européenne (ESA), du Conseil suédois de la recherche, de l'Agence spatiale nationale suédoise et du Centre Bolin pour la recherche sur le climat.