06.11.2025 à 01:00
Human Rights Watch
(Bangkok) – Les autorités cambodgiennes ont arbitrairement arrêté et inculpé au moins 16 personnes pour avoir exprimé leur opinion sur les réseaux sociaux au sujet du conflit frontalier survenu entre le Cambodge et la Thaïlande en juillet et août, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch.
Les autorités ont inculpé la plupart des personnes arrêtées d’« incitation à la révolte », en vertu des articles 494 et 495 du Code pénal cambodgien, qui prévoient jusqu'à deux ans d'emprisonnement. Au moins trois personnes sont accusées de trahison et encourent des peines de cinq à quinze ans d'emprisonnement. Le gouvernement devrait immédiatement libérer et abandonner les poursuites contre les journalistes, les utilisateurs des réseaux sociaux et les membres de l'opposition politique qui sont poursuivis simplement pour avoir exercé leur droit à la liberté d'expression.
« Les autorités cambodgiennes utilisent le récent conflit frontalier avec la Thaïlande comme prétexte pour intimider les personnes qui expriment librement leurs opinions sur les réseaux sociaux, et pour harceler les détracteurs du gouvernement », a déclaré Bryony Lau, directrice adjointe de la division Asie à Human Rights Watch. « Ces arrestations injustifiées et les accusations infondées de trahison et d'incitation à la révolte démontrent le mépris du gouvernement cambodgien à l’égard de la liberté d'expression et de la liberté des médias. »
Après des semaines de tensions croissantes dans des zones frontalières contestées, des affrontements armés entre la Thaïlande et le Cambodge ont éclaté le 24 juillet et ont duré environ deux semaines. Les deux pays se sont mutuellement accusés d'avoir déclenché les combats. La Thaïlande a accusé le Cambodge d'avoir posé des mines terrestres qui ont blessé des soldats thaïlandais, tandis que le Cambodge a affirmé que la Thaïlande utilisait des armes à sous-munitions.
Le 29 octobre, les autorités cambodgiennes ont arrêté un activiste, Phon Yuth, à son domicile dans la province de Takeo. Le tribunal provincial de Takeo a ensuite publié un communiqué confirmant qu'il avait été inculpé d'« incitation à la révolte », suite à ses publications sur Facebook critiquant la gestion du conflit par le gouvernement.
Phon Yuth, qui souffre d'un handicap physique et se déplace en fauteuil roulant, avait déjà été arrêté à deux reprises, en 2019 et en 2024, après avoir publié sur les réseaux sociaux des messages critiquant le gouvernement. Les prisons cambodgiennes sont surpeuplées, et il a déclaré avoir eu des difficultés à utiliser les toilettes et à accéder à des soins de santé adéquats lors de son incarcération en 2019.
Les autorités cambodgiennes ont également récemment pris pour cible des journalistes pour leur couverture du conflit frontalier, trois d'entre eux ayant été arrêtés depuis juillet. Le 21 août, les autorités ont révoqué la licence médiatique du site Sara NCC Daily (CCN Online TV) ; une semaine plus tard, elles ont arrêté Meas Sara, principal journaliste de ce média. Il avait diffusé en direct des interviews de villageois cambodgiens déplacés d'une zone située le long de la frontière thaïlandaise. Les autorités l'ont accusé d'« incitation à la révolte » ; il a depuis été libéré, mais il reste sous surveillance judiciaire pendant que la procédure judiciaire se poursuit.
Le 31 juillet, les autorités ont arrêté deux autres journalistes, Phorn Sopheap (Battambang Post) et Pheap Pheara (TSP 68 TV Online) ; ils ont ensuite été accusés d'avoir « fourni à un État étranger des informations préjudiciables à la défense nationale », en vertu de l'article 445 du Code pénal. Il s’agit d’une accusation de complot encore plus grave que l’« incitation à la révolte ». Les deux journalistes avaient publié sur les réseaux sociaux une photo les montrant aux côtés de soldats cambodgiens devant le temple de Ta Krabei dans le sud-est du Cambodge, près de la frontière avec la Thaïlande. Les médias thaïlandais ont ensuite republié la photo et ont affirmé qu'elle montrait des mines terrestres, en arrière-plan.
Phorn Sopheap et Pheap Pheara ont été placés en détention provisoire, et risquent entre 7 et 15 ans de prison s'ils sont reconnus coupables.
Le 14 août, les autorités ont arrêté Chheng Sreyrath, une personnalité connue en ligne sous le nom de Love Riya, après qu’elle eut déclaré sur les réseaux sociaux qu'elle continuerait à acheter des produits thaïlandais disponibles légalement, malgré des appels au boycott lancés en ligne. Les autorités l'ont accusée d'« incitation à la discrimination » et de « démoralisation de l'armée », en vertu des articles 496 et 472 du Code pénal. Elle risque une peine de prison de deux à cinq ans si elle est reconnue coupable.
La répression menée par le gouvernement a également touché des membres de l'opposition politique et des détracteurs qui ont exprimé leur opinion sur le conflit frontalier. Les autorités ont arrêté et détenu plusieurs membres du parti d'opposition Nation Power Party, accusés d’« incitation à la haine » après avoir critiqué la gestion du conflit frontalier par le gouvernement sur Facebook et d’autres médias sociaux. Parmi les personnes arrêtées figurent Soeung Heang, chef du Nation Power Party dans la province de Battambang, et Eam Ravuth, responsable de ce parti à Phnom Penh.
Keo Heang, 75 ans, secrétaire provincial du Nation Power Party dans la province de Kampot, a été arrêté début juillet peu après avoir publié des critiques sur les modifications apportées à la Constitution et à la loi sur la nationalité du Cambodge, qui confèrent au gouvernement des pouvoirs étendus pour révoquer la citoyenneté. L'ancien Premier ministre et actuel président du Sénat, Hun Sen, avait déclaré que ces modifications étaient nécessaires pour permettre au gouvernement de retirer la citoyenneté aux Cambodgiens accusés de collusion avec des puissances étrangères.
Le gouvernement cambodgien a depuis longtemps recours à des accusations pénales abusives pour restreindre la liberté d'expression. Il a systématiquement utilisé à mauvais escient l’accusation d'« incitation à la rébellion » pour réprimer des détracteurs du gouvernement. En 2021, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l'homme au Cambodge a exprimé sa préoccupation quant au recours abusif à cette accusation.
Depuis que Hun Manet est devenu Premier ministre en 2023 après la démission de son père, le gouvernement a aussi fréquemment recouru à l’accusation de « trahison » pour réprimer les libertés fondamentales. De telles accusations ont été portées contre des membres de l'opposition politique et des activistes écologistes en 2021, des défenseurs des droits fonciers en 2023, des leaders étudiants et des activistes qui avaient cherché refuge en Thaïlande en 2024, et maintenant des utilisateurs de réseaux sociaux et des journalistes en 2025.
« Tous les Cambodgiens devraient pouvoir exercer leur droit de s'exprimer en ligne et hors ligne, sans crainte d’être détenus et inculpés simplement pour avoir exprimé une opinion critique », a conclu Bryony Lau. « Les gouvernements étrangers que cette situation préoccupe devraient exhorter les autorités cambodgiennes à abandonner ces accusations infondées, et à libérer les personnes détenues illégalement. »
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05.11.2025 à 08:00
Human Rights Watch
(Washington) – La résurgence du choléra dans le département de l’Ouest en Haïti met en évidence l’urgence d’une action coordonnée et à long terme pour restaurer les systèmes d’approvisionnement en eau et d’assainissement de base, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. L’épidémie, qui s’inscrit dans le cadre d’une recrudescence saisonnière pendant la période des pluies, se propage à Port-au-Prince et dans sa région métropolitaine, alors que les infrastructures sanitaires de la capitale sont au bord de l’effondrement et que l’insécurité s’aggrave.
Entre le 1er janvier et le 30 octobre, les autorités sanitaires haïtiennes ont enregistré 2 852 cas suspects de choléra, 186 cas confirmés et 48 décès. Selon les données du gouvernement, plus d’un tiers des cas suspects concernent des enfants de moins de 9 ans. Après une période de 11 semaines sans nouveau cas signalé, les autorités de santé publique constatent actuellement une résurgence du choléra.
« Le choléra menace à nouveau des milliers de vies en Haïti parce que la population n’a pas accès aux services les plus élémentaires : eau potable, assainissement et soins médicaux », a déclaré Nathalye Cotrino, chercheuse senior auprès de la division Amériques à Human Rights Watch. « Les Haïtiens ont besoin que le gouvernement et la communauté internationale déploient des efforts sérieux pour lutter contre l’épidémie et prévenir d’autres décès évitables. »
Après plus de trois ans sans cas confirmés de choléra, les infections sont réapparues dans le pays à la fin du mois de septembre 2022. Cette résurgence marque la douloureuse poursuite de la lutte du pays contre le choléra.
En 2010, la première épidémie de choléra en Haïti a été attribuée au déversement négligent d’eaux usées dans une rivière à partir d’une base de maintien de la paix des Nations Unies. Elle a causé environ 9 800 décès et plus de 820 000 infections. En 2016, les Nations Unies ont reconnu leur rôle dans la propagation de l’épidémie et ont accepté la responsabilité morale, mais non juridique, d’y remédier. Aujourd’hui, les lacunes persistantes en matière d’assainissement, d’accès à l’eau potable et de préparation aux situations d’urgence continuent d’exposer dangereusement la population à de nouvelles épidémies.
« L’eau stagnante, les canalisations d’égouts endommagées et l’accumulation de déchets dans toute la ville créent des conditions idéales pour la propagation des épidémies dès que les pluies arrivent », a déclaré Diana Manilla Arroyo, cheffe de mission pour Médecins Sans Frontières (MSF) Hollande en Haïti, à Human Rights Watch. « En outre, une grande partie de l’infrastructure du pays a été détruite lors du tremblement de terre de 2010. »
Le manque d’accès à l’eau potable, le mauvais état des installations sanitaires et l’hygiène insuffisante sont les principaux facteurs contribuant à la propagation du choléra. En Haïti, seulement 25 % des ménages ont accès à des installations adéquates pour se laver les mains à l’eau et au savon, et 70 % de la population n’a pas accès à un système d’assainissement amélioré, selon l’ONU. Les fortes pluies causées par l’ouragan Melissa risquent également de propager la bactérie à d’autres sources d’eau non chlorées.
La résurgence du choléra est exacerbée par une insécurité extrême. Des groupes criminels ont étendu leur contrôle sur une grande partie du pays, bloquant les routes, limitant l’accès humanitaire et isolant les communautés dans le besoin. La violence a déplacé plus de 1,4 millions de personnes cette année, le nombre le plus élevé jamais enregistré en Haïti, forçant nombre d’entre elles à s’installer dans des sites spontanés surpeuplés, avec peu ou pas d’accès à l’eau potable ou à l’assainissement. Ces conditions exposent les personnes déplacées à de graves risques.
Pour les personnes qui tombent malades, l’accès aux soins de santé est difficile. Selon l’ONU, seulement 11 % des établissements de santé disposant d’une capacité d’hospitalisation dans la capitale restent pleinement opérationnels. Alors que les habitants des quartiers plus aisés et plus sûrs peuvent se rendre dans des hôpitaux privés et des centres de traitement, ceux qui vivent dans des zones contrôlées par des groupes criminels, comme Cité Soleil et le bas Delmas, sont sévèrement restreints dans leurs mouvements et n’ont pas les moyens de payer des soins de santé privés.
La dernière épidémie a atteint Pétion-Ville, un quartier plus aisé de Port-au-Prince où se trouvent la plupart des bureaux des Nations Unies et des missions diplomatiques, qui avait largement échappé à une transmission importante du choléra dans les dernières années.
Avec l’aide de l’Organisation panaméricaine de la santé et d’autres partenaires humanitaires, le ministère haïtien de la Santé a intensifié ses efforts dans les zones les plus touchées, notamment à travers des campagnes de désinfection, des initiatives de sensibilisation du public et la fourniture de chlore, d’eau potable et de produits d’hygiène.
Le gouvernement de transition haïtien, avec le soutien de ses partenaires internationaux, devrait réparer d’urgence le réseau national d’approvisionnement d’eau et d’assainissement, garantir un accès humanitaire sûr aux zones à haut risque et rétablir la capacité opérationnelle des institutions de santé publique, a déclaré Human Rights Watch. Les efforts visant à chlorer les sources d’eau et à mener des campagnes de sensibilisation du public à la prévention du choléra et à l’utilisation de l’eau chlorée sont également essentiels, en particulier pendant les saisons à haut risque.
Malgré la détérioration des conditions humanitaires et sécuritaires, plusieurs pays continuent de renvoyer un grand nombre de personnes en Haïti, notamment la République dominicaine, les États-Unis et les Bahamas, ainsi que le territoire britannique d’outre-mer des îles Turques-et-Caïques. Selon l’Organisation internationale pour les migrations, ces pays et d’autres ont expulsé plus de 225 000 personnes vers Haïti entre janvier et fin octobre 2025.
Personne ne devrait pas être expulsée ou renvoyée en Haïti, où les crises humanitaires, sécuritaires et sanitaires mettent des vies en danger, et où il existe un risque élevé de violence sans accès effectif à la protection ou à la justice, a déclaré Human Rights Watch.
« Cette épidémie de choléra est alimentée par des années de négligence institutionnelle et par la quasi-paralysie des services essentiels », a conclu Nathalye Cotrino. « Les gouvernements étrangers devraient faire tout leur possible pour aider Haïti à mettre fin au choléra. »
04.11.2025 à 18:41
Human Rights Watch
(Nairobi) – Les autorités tanzaniennes ont répondu aux manifestations de grande ampleur qui ont suivi les élections du 29 octobre en recourant à une force létale et commettant divers abus, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Le 1er novembre, la Commission électorale nationale indépendante (INEC), rattachée au gouvernement tanzanien, a annoncé que la présidente Samia Suluhu Hassan avait été officiellement réélue avec 97,66 % des voix. Le 3 novembre, elle a prêté serment pour son second mandat lors d'une cérémonie fermée au public, alors que les manifestations se poursuivaient.
Les manifestations, dont certaines ont été violentes, ont éclaté le jour du scrutin et se sont poursuivies pendant trois jours à Dar es Salaam et dans d'autres villes. La police a réagi en utilisant des gaz lacrymogènes et des balles réelles pour disperser la foule. Le gouvernement a imposé des restrictions sur Internet à l'échelle nationale le 29 octobre ; plusieurs organisations de surveillance d'Internet ont confirmé que la connexion Internet avait été interrompue. Selon des informations publiées dans la soirée du 3 novembre, l'accès à Internet a été partiellement rétabli, mais les restrictions sur les réseaux sociaux et les plateformes de messagerie persistent.
« La réponse violente et répressive des autorités tanzaniennes aux manifestations liées aux élections sape encore davantage la crédibilité du processus électoral », a déclaré Oryem Nyeko, chercheur senior auprès de la division Afrique à Human Rights Watch. « Le gouvernement a la responsabilité de maintenir la sécurité, mais il doit aussi respecter les droits et veiller à ce que tous les responsables de violences fassent l'objet d'enquêtes et soient poursuivis de manière appropriée. »
En octobre, Human Rights Watch a signalé que le gouvernement tanzanien avait intensifié la répression politique visant les opposants et les détracteurs du parti au pouvoir, muselé les médias et manqué à son devoir de garantir l'indépendance de la commission électorale à l'approche des élections.
Le principal parti d'opposition tanzanien, Chama Cha Demokrasia na Maendeleo (Chadema), avait exhorté ses partisans à ne pas participer aux élections. Un responsable de ce parti et un habitant de Dar es Salaam ont déclaré à Human Rights Watch que des policiers et des individus en civil avaient tiré et tué des manifestants et des passants le jour des élections, et les deux jours suivants.
John Kitoka, directeur du Chadema chargée des questions de politique étrangère et de la diaspora, a déclaré que le parti avait recueilli des informations faisant état de la mort de près de 1 000 personnes tuées par la police et par des membres des forces de sécurité non identifiés à la suite des élections, dans huit des 31 régions de Tanzanie.
Human Rights Watch n'a pas été en mesure de confirmer ces chiffres, mais des organismes régionaux et internationaux tels que la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, la Communauté de développement de l'Afrique australe, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme et l'Union européenne ont fait part de leurs préoccupations dans leurs déclarations publiques concernant le nombre élevé de victimes.
Une habitante du quartier de Temeke à Dar es Salaam a déclaré par téléphone à Human Rights Watch que le 30 octobre vers 15h30, son voisin, qui ne participait pas aux manifestations, a été abattu devant son domicile par un homme qui, selon des témoins, portait des vêtements civils.
Dans la soirée du 29 octobre, le gouvernement a imposé un couvre-feu, ordonnant à tous les habitants de rester chez eux ; ce couvre-feu a duré jusqu’au 3 novembre. Un habitant de Dar es Salaam a déclaré à Human Rights Watch que les magasins avaient été fermés pendant trois jours après le jour du scrutin, mais qu'ils avaient été autorisés à ouvrir brièvement le 2 novembre. Il a ajouté que ce confinement les avait empêchés de quitter leur domicile pour acheter de la nourriture et retirer de l'argent à la banque.
Le confinement a empêché les médias de couvrir les élections et les manifestations qui ont suivi. Deux journalistes basés en Tanzanie ont déclaré qu'ils n'avaient pas pu couvrir les événements en cours en raison du confinement.
Les autorités semblent avoir empêché les journalistes étrangers de couvrir les élections en ne répondant pas, dans certains cas, aux demandes d'accréditation. L'Association internationale de la presse d'Afrique de l'Est a déclaré ne pas avoir connaissance de journalistes travaillant pour des médias internationaux qui auraient été accrédités pour se rendre sur le continent afin de couvrir les élections.
L'Agence France-Presse a rapporté le 24 octobre que ses journalistes, bien qu'accrédités, s'étaient vu refuser l'accès au site de Stone Town, à Zanzibar, où la présidente Samia Suluhu Hassan devait tenir un rassemblement.
Un journaliste a déclaré à Human Rights Watch qu'il avait demandé une accréditation pour couvrir les élections sur le continent tanzanien via un portail en ligne sur le site web de la commission électorale, mais qu'il n'avait reçu aucune réponse. Il a ensuite appelé la commission et un haut responsable lui a dit qu'on le rappellerait, mais cela n'a pas été le cas.
Les autorités tanzaniennes devraient immédiatement mettre fin à l'usage excessif et meurtrier de la force contre les manifestants, prendre des mesures pour garantir que les allégations de meurtres, de passages à tabac et d'agressions commis par les forces de sécurité dans le cadre des élections fassent l'objet d'enquêtes et que les responsables soient traduits en justice, a déclaré Human Rights Watch.
La Tanzanie est tenue de respecter les droits de chacun à la liberté d'expression, de réunion pacifique et d'association en vertu du droit international des droits humains et de sa constitution. Les forces de sécurité tanzaniennes devraient se conformer aux Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois, qui exigent que les responsables de l'application des lois recourent à des moyens non violents et n'utilisent la force que lorsque cela est strictement inévitable pour protéger des vies. Ces principes exigent également des gouvernements qu'ils veillent à ce que l'usage arbitraire ou abusif de la force et des armes à feu par les agents chargés de l'application des lois soit puni comme une infraction pénale en vertu du droit national.
En vertu du droit international relatif aux droits humains, les autorités tanzaniennes devraient s'abstenir d'imposer des coupures d'Internet, des perturbations ou des blocages d'accès à des sites web et à des plateformes, y compris avant, pendant et après les élections. La Commission africaine a déclaré que la récente coupure d'Internet en Tanzanie violait l'article 9 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, qui garantit les droits à la liberté d'expression et à l'accès à l'information. Elle a appelé le gouvernement tanzanien à respecter et à protéger les droits à la liberté d'expression et à l'accès à l'information.
« Les manifestations de rue contre le déroulement des élections ne devraient pas servir de prétexte aux autorités pour violer les droits des citoyens », a conclu Oryem Nyeko. « Les autorités ont l'obligation de promouvoir et de protéger les droits à la liberté d'expression et de réunion pacifique, et de rétablir pleinement l'accès à Internet. »
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04.11.2025 à 15:24
Human Rights Watch
Dans l'après-midi du 25 octobre, Cheick Oumar Diallo discutait avec des amis dans une rue de Bamako, la capitale du Mali. Soudain, quatre gendarmes sont arrivés à bord d’un pick-up et de motos, l'ont arrêté et sont repartis en l’emmenant de force.
Click to expand Image Cheick Oumar Diallo, à Bamako, Mali, en 2025. © PrivéUne semaine plus tard, Cheick Oumar Diallo, âgé de 43 ans, ancien membre d'un syndicat et détracteur éminent de la junte militaire malienne, n'a toujours pas été revu et son sort reste inconnu.
Des témoins ont déclaré que les gendarmes ont dit à Cheick Oumar Diallo qu'ils avaient reçu l'ordre de l'arrêter. Lorsqu'il leur a demandé pourquoi il était détenu, ils ont refusé de lui donner des explications. Une bagarre a alors éclaté lorsqu’il a résisté l’arrestation et tenté de s'enfuir. En courant, il est tombé dans un fossé et s'est blessé à la jambe. Des témoins ont déclaré que les gendarmes l’ont sorti du fossé et jeté à l'arrière de leur pick-up.
Les collègues de Cheick Oumar Diallo ont déclaré l'avoir cherché dans des commissariats et gendarmeries de Bamako, en vain. Ils pensent que sa disparition est liée à son activisme syndical et à ses critiques à l'égard de la junte.
Cheick Oumar Diallo est un ancien employé de la Société malienne de gestion de l’eau potable (SOMAGEP), membre du syndicat autonome de l'entreprise et lanceur d'alerte. Dans une lettre ouverte publiée en juillet 2024, il affirmait que l'eau consommée par les Maliens n'était pas potable. Les autorités l'ont arrêté peu après et, à sa libération en mai 2025, l’entreprise publique SOMAGEP l'a licencié.
La junte a déjà pris pour cible des syndicalistes dans le passé. Le 6 juin 2024, le Syndicat national des assurances, banques et établissements financiers du Mali (Synabef) a lancé un appel à la grève après l'arrestation de son Secrétaire général, Hamadoun Bah. Celui-ci avait été arrêté pour « faux et usage de faux » dans le cadre de conflits internes au syndicat, une mesure largement considérée par les travailleurs comme une intimidation politique. Après cinq jours, Hamadoun Bah a été libéré et le syndicat a mis fin à la grève.
Depuis son arrivée au pouvoir à la suite d'un coup d'État militaire en 2021, la junte malienne mène une offensive acharnée contre l'opposition politique, la dissidence pacifique, les organisations de la société civile et les médias.
L'arrestation de Diallo présente tous les signes d'une disparition forcée, c'est-à-dire lorsqu'un gouvernement arrête une personne sans reconnaître sa détention ni révéler où elle se trouve, la plaçant ainsi hors de la protection de la loi. Les disparitions forcées sont susceptibles de violer divers droits humains, notamment l'interdiction de la détention arbitraire, de la torture et autres mauvais traitements, et des exécutions extrajudiciaires.
Depuis 2009, le Mali est un État partie à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.
Les autorités maliennes devraient immédiatement révéler le lieu de détention de Cheick Oumar Diallo, le libérer et mettre fin à leurs attaques contre les membres des syndicats et autres détracteurs.
03.11.2025 à 05:00
Human Rights Watch
(Freetown) – Les femmes qui accouchent dans des établissements de santé publics en Sierra Leone sont confrontées au risque de négligence et d’abus humiliants, dangereux et potentiellement mortels de la part des prestataires de soins de santé si elles ne peuvent pas payer ces soins gynécologiques, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui.
2 novembre 2025 “No Money, No Care”Le rapport de 75 pages, intitulé « No Money, No Care: Obstetric Violence in Sierra Leone » (« Pas d'argent, pas de soins : Violence obstétricale en Sierra Leone »), documente des cas de violence verbale, de négligence médicale et d'abandon de soins pour certaines femmes et filles confrontées à de graves complications obstétricales ; selon les experts interrogés, ces pratiques sont courantes. De nombreuses femmes interrogées ont déclaré avoir été humiliées et maltraitées par des prestataires de soins de santé avoir s’être plaintes de douleurs ou avoir demandé de l'aide, sans assez d'argent pour payer ces soins. D'autres femmes ont décrit des expériences humiliantes au cours desquelles les prestataires de soins de santé les ont traitées rudement ou ne leur ont pas divulgué des informations importantes sur leur santé. Certains cas documentés constituent des formes de « violence obstétricale », un type de violence sexiste répandue dans le monde entier, mais relativement peu connue.
« Des femmes qui accouchent dans certains hôpitaux publics en Sierra Leone y subissent des pratiques humiliantes, de longues périodes d’attente, des douleurs non soignées, ou même le risque de décès ou de mort de leur nouveau-né », a déclaré Skye Wheeler, chercheuse senior auprès de la division Droits des femmes à Human Rights Watch. « Le gouvernement sierra-léonais n’a pas agi pour mettre fin aux pratiques néfastes dans son système de santé publique, comme la pression exercée par certains prestataires de soins pour obtenir de l’argent de la part de patientes extrêmement vulnérables. »
Le terme « violence obstétricale » recouvre divers abus subis par des femmes dans des établissements de santé reproductive ; ce phénomène est répandu à l'échelle mondiale, mais peu reconnu. Il s’agit notamment de violations de l'autonomie corporelle, telles que la stérilisation forcée et d'autres opérations ou interventions médicales pratiquées sans le consentement de la patiente. Le terme « violence obstétricale » désigne aussi certaines pratiques néfastes dans des salles d'accouchement, comme le fait d’attacher des femmes à leur lit d'hôpital lors de l'accouchement, des violences verbales, la négligence, le refus d'administrer des analgésiques, ou l'abandon des soins.
Human Rights Watch a mené des entretiens avec plus de 50 femmes sierra-léonaises en période de post-partum (après l’accouchement), et avec 50 prestataires de soins de santé. Certains membres du personnel hospitalier ont affirmé avoir régulièrement vu des cas de femmes et, plus souvent, de nouveau-nés, ayant souffert de complications sanitaires graves et parfois même mortelles ; ceci était dû au retard des soins prodigués, ou au refus de fournir de tels soins, si une femme n’était pas en mesure de rémunérer le personnel hospitalier. Human Rights Watch s'est également entretenu avec des femmes dont les nouveau-nés étaient décédés ou étaient nés avec des problèmes de santé graves après avoir attendu des heures, voire des jours, pour recevoir des soins à l'hôpital Princess Christian Maternity Hospital (PCMH), le principal hôpital obstétrique du pays, situé à Freetown, la capitale.
Une femme qui n'avait pas suffisamment d'argent, et dont le nouveau-né est décédé à cet hôpital, a attribué sa mort à la mauvaise qualité des soins qu'elle y a reçus. « Ils ne s'occupaient que [des femmes] qui avaient de l'argent et comme je n'en avais pas, j'ai dû souffrir », a-t-elle déclaré. Elle a expliqué que comme elle ne pouvait pas payer le savon et les bâches en plastique, elle a été abandonnée pendant deux heures lors de son accouchement ; durant cette période, son mari a désespérément collecté de l'argent auprès de leur communauté. Finalement, une sage-femme est arrivée. « J'ai entendu le bébé, mais il est mort », a déclaré la femme qui venait d’accoucher.
Une autre femme enceinte a attendu près de trois jours pour être soignée à l'hôpital PCMH, dormant à même le sol, avant d'être enfin examinée par des professionnels de santé. À ce stade, son état nécessitait une intervention chirurgicale majeure, mais il était trop tard pour sauver son bébé. Le médecin qui a pratiqué sa césarienne lui a dit que le bébé était mort à cause du retard pris dans les soins, qu'elle attribue à son incapacité à payer les frais qu’on lui demandait. « [Le médecin] était vraiment en colère », a-t-elle déclaré. « Il a dit que c'était la faute du PCMH que mon bébé soit mort. »
Toutes les femmes interrogées ont déclaré que les frais exigés par le personnel hospitalier, qui sont souvent impossibles à distinguer de pots-de-vin sollicités de manière opportuniste, déterminaient leur accès ou non aux soins, ainsi que la rapidité et la qualité des soins qu'elles recevaient. Elles ont déclaré que ces demandes étaient souvent exorbitantes et coercitives, et qu'elles étaient souvent formulées alors qu'elles se trouvaient dans une situation d’extrême détresse physique ou mentale. Les femmes et leurs familles n'avaient accès à aucun système de plainte ni à aucune autre forme de responsabilité ou de recours.
Les taux de mortalité maternelle restent élevés en Sierra Leone, malgré une baisse de 70 % entre 2013 et 2023, alors qu'ils étaient autrefois considérés comme les plus élevés au monde. Le taux de mortalité des enfants âgés moins de 5 ans – dont des nouveau-nés - était parmi les plus élevés au monde en 2024.
La Sierra Leone a reconnu l'urgence d'améliorer la qualité des soins de santé maternelle et a mis en place une formation sur les soins de maternité respectueux, qui, selon certains prestataires de soins de santé interrogés, a permis de réduire les pratiques néfastes. La Commission anti-corruption de ce pays, qui relève du ministère de la Justice, a également pris des mesures pour réduire la corruption dans les établissements de santé publics.
En 2010, le gouvernement sierra-léonais a annoncé le lancement de son « Initiative pour des soins de santé gratuits » (Free Health Care Initiative, FHCI), prévoyant la gratuité des soins de santé pour les femmes enceintes et allaitantes et les enfants de moins de 5 ans. À peu près à la même époque, la Sierra Leone a également interdit aux accoucheuses traditionnelles d'assister aux accouchements à domicile. Mais plusieurs femmes et prestataires de soins de santé interrogés par Human Rights Watch interrogés ont décrit le FHCI comme un « programme fantôme » ou un « mirage », et que toutes les femmes avaient payé pour certains aspects de leurs soins.
Human Rights Watch a constaté que le soutien financier insuffisant du gouvernement au système de santé public est à l'origine de nombreux abus. Jusqu'à 50 % des travailleurs de la santé publique en Sierra Leone sont des bénévoles non rémunérés. Les établissements de santé publics sont confrontés à une pénurie chronique de produits de santé de base, y compris de médicaments essentiels. Tous les établissements de santé visités par Human Rights Watch présentaient des lacunes importantes, obligeant les patients à utiliser des produits achetés par les prestataires.
La Sierra Leone est un pays à faible revenu, mais pourrait faire davantage pour respecter ses obligations en matière de droit à la santé, y compris son objectif louable de parvenir à une couverture sanitaire universelle, a déclaré Human Rights Watch. Reconnaître publiquement les violations des droits humains, y compris la violence obstétricale, devrait être une première étape importante. Le gouvernement doit également se procurer les médicaments et autres produits nécessaires et réduire le nombre de travailleurs de santé bénévoles. Les femmes et leurs familles ont également besoin de systèmes de plainte accessibles et de mécanismes de recours efficaces en cas de mauvais traitements dans les établissements de santé publics.
Les autres pays et les institutions internationales devraient prendre des mesures pour veiller à ce que le remboursement de la dette internationale élevée de la Sierra Leone ne compromette pas sa capacité à lever et à allouer des ressources financières publiques à la réalisation des droits humains, notamment les soins de santé maternelle et néonatale.
« En l’absence d’action gouvernementale, les progrès significatifs réalisés par la Sierra Leone dans la réduction de la mortalité maternelle sont menacés », a conclu Skye Wheeler. « Mais il ne s'agit pas seulement de statistiques de santé publique. Le gouvernement devrait écouter les récits et les expériences des femmes, et reconnaître à quel point la violence obstétricale a porté gravement atteinte aux droits des filles et des femmes de ce pays. »
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30.10.2025 à 09:33
Human Rights Watch
Le Parlement français a adopté une loi historique qui définit le viol comme tout acte sexuel non consenti – une avancée majeure dans la lutte contre les violences sexuelles dans le pays.
Avec ce changement attendu de longue date, la France rejoint le Danemark, la Finlande, l'Espagne, la Grèce et d'autres pays européens qui ont actualisé leur cadre juridique afin d’affirmer clairement que l'autonomie, en particulier l'autonomie sexuelle des femmes et des filles, est au cœur des relations sexuelles.
La décision du Parlement français fait suite à un regain d’appels en faveur de l'inscription du consentement dans la loi à la suite de l'affaire Gisèle Pelicot, une femme droguée par son mari et violée à maintes reprises par des dizaines d'hommes. Cette affaire qui a conduit à la condamnation de 51 hommes, a suscité une large mobilisation féministe.
Mais protéger de manière adéquate les droits des innombrables personnes – en particulier des femmes et les filles – exposées chaque année au risque de violences sexuelles exige bien plus qu’une simple révision de la définition légale du viol. Cela nécessite la mise en œuvre de politiques telles qu’une éducation complète à la sexualité pour les enfants et les adultes, ainsi qu’un changement des mentalités, et la promotion d'une société où le consentement est attendu et respecté. Il est essentiel que le consentement soit compris non pas comme un concept juridique abstrait, mais comme un principe fondamental régissant toutes les interactions intimes. En outre, les systèmes de santé et de justice français devraient placer au cœur de leurs priorités les besoins des survivant·e·s de violences sexuelles.
Il est également essentiel que les autorités françaises cessent de réduire ou de fragiliser les financements publics, et qu’elles renforcent au contraire leur soutien aux associations œuvrant pour les droits sexuels et reproductifs ainsi que pour l’accompagnement des survivant·e·s de viol.
Dans le monde entier, les survivantes et survivants de viol se heurtent à de nombreux obstacles lorsqu’ils cherchent justice et réparation, à tel point que, pour beaucoup – sinon la majorité – signaler une violence sexuelle relève de l’héroïsme plutôt que de l’exercice d’un droit. Nombre d’entre eux·elles ont vu la justice arriver tard, voire jamais, souvent sans qu’aucune réparation ne leur soit accordée. Pour d’innombrables autres, la justice demeure hors de portée.
En France, selon une étude de l’Institut des politiques publiques menée entre 2012 et 2021, 94 % des plaintes pour viol et 86 % des plaintes pour violences sexuelles ont été classées sans suite par la justice. Ces chiffres rappellent la dette que nos sociétés ont envers les survivant·e·s de violences sexuelles.
La reconnaissance par la France du fait que le viol repose avant tout sur l'absence de consentement plutôt que sur la présence de la force ou de l’intimidation marque un progrès considérable. Mais les autorités devraient également poursuivre leurs efforts en vue de l'éradication totale de la culture du viol et des violences sexuelles.
L'objectif devrait être de réduire le nombre de viols et d'augmenter celui des auteurs traduits en justice, afin de construire une société où les violences sexuelles deviennent de plus en plus rares, parce que le consentement y est universellement compris, respecté et valorisé.