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03.05.2024 à 12:23

Les mômes à la shlague

L'équipe de CQFD

Lundi 22 avril dernier, le premier Sinistre Gabriel Attal s'est rendu dans un lycée niçois, pour vanter fier comme un coq les mérites de la dernière trouvaille sortie de son chapeau autoritaire, l'« internat éducatif » à destination des élèves décrocheurs – sommés d'y passer leurs vacances. Il s'y est notamment livré à un hideux exercice de com' face à une dizaine de mômes âgés de 13 à 16 ans, rechignant clairement à l'exercice et humiliés dans les grandes largeurs. « Est-ce que vous êtes (…)

- CQFD n°230 (en kiosque) /
Texte intégral (556 mots)
par Caroline Sury

Lundi 22 avril dernier, le premier Sinistre Gabriel Attal s'est rendu dans un lycée niçois, pour vanter fier comme un coq les mérites de la dernière trouvaille sortie de son chapeau autoritaire, l'« internat éducatif » à destination des élèves décrocheurs – sommés d'y passer leurs vacances. Il s'y est notamment livré à un hideux exercice de com' face à une dizaine de mômes âgés de 13 à 16 ans, rechignant clairement à l'exercice et humiliés dans les grandes largeurs. « Est-ce que vous êtes contents d'être là ? » demande-t-il. « Nan », marmonne un minot, peu à l'aise dans son uniforme tricolore. « Bah c'est rassurant, sermonne-t-il, tel un père fouettard, parce que si vous étiez contents d'être là, on se dirait que c'est pas utile pour vous. » Plus tard, il somme les mômes pris en otage de l'opération médiatique de définir le terme discipline. « C'est le respect de soi, des autres », répond un môme hésitant, qui se fait tout de suite rembarrer, par un Attal méprisant : « Et ? Et ? Et ? … C'est le respect des règles. […] Ne pas respecter les règles conduit toujours à l'échec. » Un mix de Pétain et de Pascal le Grand Frère.

À l'instar des vidéos utilisées pour propagander le Service national universel (SNU), ces images provoquent des bouffées de haine (ou d'angoisse, selon les tempéraments) à quiconque s'intéresse un chouïa à la question du bien-être des adolescents ou aux idéaux d'une éducation émancipatrice. Mais elle résume parfaitement la politique éducative d'un gouvernement qui, entre le recours à l'uniforme (obligatoire dès la rentrée 2026), la grotesque interdiction de l'abaya et l'obsession du « réarmement civique » fouille dans les poubelles de l'histoire pour ressusciter des dispositifs autoritaires les plus facho-friendly. Les enfants, et en premier lieu ceux des banlieues, n'auraient besoin que d'une chose, d'« autorité », mot utilisé la bagatelle de 32 fois dans un discours prononcé par le même Attal le 18 avril à Viry-Châtillon, dans lequel il prenait soin de ne pas oublier leurs « parents démissionnaires » à « responsabiliser ».

Il paraît que cette monomanie autoritaire est une stratégie à destination des boomers, ces vieux réacs qui pencheraient de plus en plus vers le RN. « Tu casses tu répares, tu salis tu nettoies, tu défies l'autorité on t'apprend à la respecter », comme mantra, c'est vrai que ça peut séduire les plus séniles scotchés à CNews. En tout cas, bien joué les champions ! Après n'avoir pas démérité dans la destruction de l'hôpital, du droit du travail, de la protection sociale ou de l'école, le dernier étage de la fusée est glorieux : détruire la jeunesse. C'est comment qu'on les freine ?

03.05.2024 à 12:11

« Sur la chaîne du génocide, il n'y a pas de petits maillons »

Étienne Jallot

Le 1er avril dernier, une manifestation était organisée à Marseille devant l'usine du fabricant de maillons pour munitions militaires Eurolinks. Les militant·es dénonçaient la vente de ce matériel à destination d'Israël et la complicité militaire de la France dans la guerre en cours. Reportage. Sur le trajet qui mène devant l'usine Eurolinks, des tags fleurissent « Eurolinks = morts » ou « Sur la chaîne du génocide, il n'y a pas de petits maillons » alors que les manifestant·es scandent : (…)

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Texte intégral (1727 mots)

Le 1er avril dernier, une manifestation était organisée à Marseille devant l'usine du fabricant de maillons pour munitions militaires Eurolinks. Les militant·es dénonçaient la vente de ce matériel à destination d'Israël et la complicité militaire de la France dans la guerre en cours. Reportage.

par Clément Buée

Sur le trajet qui mène devant l'usine Eurolinks, des tags fleurissent « Eurolinks = morts » ou « Sur la chaîne du génocide, il n'y a pas de petits maillons » alors que les manifestant·es scandent : « Eurolinks assassine les enfants de Palestine ! ». À l'appel d'une trentaine d'orga­nisations1, 400 manifestant·es se sont déplacé·es ce 1er avril vers le « technopôle » du quartier Château-Gombert, dans le 13e arrondissement de Marseille, pour manifester contre l'usine Eurolinks, spécialisée dans la fabrication de maillons pour les munitions militaires. Quelques jours auparavant, à la fin du mois de mars, une information révélée par Marsactu et Disclose a défrayé la chronique : Eurolinks a envoyé en Israël, en octobre 2023, 100 000 maillons et le doute persiste sur leur utilisation dans les combats en cours à Gaza2. L'occasion pour les militant·es de dénoncer le soutien militaire de la France à Israël et de réfléchir à de nouvelles stratégies pour stopper la guerre en cours.

Le doute face aux marchands d'armes

Devant l'usine, un barrage de flics bloque l'entrée. C'est ici que les manifestant·es s'arrêtent et que démarrent les prises de paroles : « Alors que cela fait six mois que la guerre a débuté, nous nous retrouvons devant Eurolinks qui fait son business sur la guerre à Gaza.

« La simple suspicion d'un usage des maillons Eurolinks par Israël devrait suffire à exiger l'arrêt immédiat des livraisons »

La simple suspicion d'un usage des maillons Eurolinks par Israël devrait suffire à exiger l'arrêt immédiat des livraisons. Nous exigeons que plus aucun colis ne soit envoyé ! » explique une militante. Et pour cause. Dans les révélations de mars dernier, on apprend que dix caisses de maillons contenant au total 100 000 maillons « M27 » qui permettent de lier des balles de calibre 5,56 mm – notamment utilisées par des mitrailleuses israéliennes – ont été envoyées en direction de la société IMI Systems, entreprise d'armement israélienne basée dans le nord de Tel-Aviv.

Après la publication de l'enquête, le ministre des Armées Sébatien Lecornu a assuré que le matériel livré à IMI Systems « ne concerne que de la réexportation » et que la licence3 « ne donne pas droit à l'armée israélienne d'utiliser ces composants », sans pour autant fournir de preuves matérielles à ses déclarations. Alors qu'IMI Systems se présente comme « le fournisseur exclusif des forces de défense » d'Israël, le PDG d'Eurolinks a joué cartes sur table, déclarant à Marsactu que « même si la licence précise que ça ne doit pas être utilisé par les forces armées du pays, personne ne peut le garantir […] Je n'ai évidemment pas d'agent pour surveiller ce que fait IMI Systems. »

Ce que confirme Aymeric Elluin, responsable du plaidoyer armes à Amnesty International France dans l'émission 28 Minutes : « La France a fait le choix de contrôler l'armement en amont mais pas en aval. [Difficile dès lors] de contrôler sur le terrain la destination de ces armes. »

Quand la France arme Israël

Au-delà du cas Eurolinks, les militant·es critiquent aussi les livraisons d'armes de la France en direction de l'État hébreu. Le ministre des Armées l'a affirmé en janvier dernier ; du matériel a bien été livré à Israël, mais uniquement « afin de lui permettre d'assurer sa défense 4 ». « C'est illusoire de penser que les armes livrées à Israël servent à sa défense, alors que depuis 75 ans Israël massacre les Palestiniens. Comment peut-on parler d'armes défensives pour une armée coloniale ? » s'insurge une militante au micro. Elle poursuit : « Alors que la Cour internationale de justice a reconnu qu'il existait un risque de génocide à Gaza, et que les Pays-Bas, la Belgique ou le Canada ont cessé leurs exportations, la France continue de livrer des armes à Israël. » Un choix qui pourrait également aller à l'encontre du Traité sur le commerce des armes (TCA) de l'ONU dont la France est signataire depuis 2013, et qui interdit la livraison d'armes à un pays susceptible de commettre un génocide, des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre.

La collaboration militaire entre la France et Israël n'est pas nouvelle, comme l'explique au micro Pierre Stambul, militant à l'Union juive française pour la paix (UJFP) : « Dès les années 1950, la France fournissait des armes à Israël et elle a continué à le faire dans toutes les guerres qu'Israël a menées, y compris aujourd'hui ! » Dans le rapport annuel sur les exportations d'armes présenté par le ministère des Armées en juillet 2023, en dix ans, la France a vendu pour 208 millions d'euros de matériel militaire à Israël, dont 25,6 millions seulement pour 2022.

« Eurolinks, on vous lâche pas ! »

L'usine de maillons est un point stratégique sur lequel les militant·es souhaitent faire pression.

« On pourrait intensifier cette pression contre d'autres usines françaises qui arment Israël, comme Thalès ou Dassault »

« Il suffit que les livraisons s'arrêtent trois jours pour qu'Israël soit à sec ! » s'exclame Robert, militant propalestinien. « On pourrait intensifier cette pression contre d'autres usines françaises qui arment Israël, comme Thalès ou Dassault », explique une représentante du collectif Technopolice. Pour un membre du mouvement BDS5, il s'agit surtout de multiplier les stratégies de lutte : « On pourrait se rendre dans les salons d'armement pour faire des manifs ! Il faut aussi multiplier les recours avec l'aide des avocats, interpeller les parlementaires et les conseils municipaux qui laissent ces entreprises s'implanter ! »

De nombreuses manifestations et actions de blocage devant des sites d'armements ont eu lieu à travers le monde depuis novembre dernier. Une usine d'armement Elbit System a même été contrainte de vendre ses locaux dans la ville de Tamworth au Royaume-Uni à la fin du mois de mars après des actions répétées d'activistes anglais. En France, les actions symboliques se multiplient devant des usines ou sièges d'entreprises comme à Lyon, Toulouse, Créteil ou Brest. Côté juridique, onze ONG ont attaqué la France en justice pour qu'elle suspende les livraisons d'armes en direction d'Israël en raison du risque d'être utilisées dans les attaques à Gaza. De quoi inspirer les militant·es marseillais·es, prêt·es à continuer le combat pour la cause palestinienne. Sous la clameur des militant·es réuni·es au pied de l'usine, l'une d'elles crie : « Quoi qu'il arrive, Eurolinks on vous lâche pas ! »

Par Étienne Jallot

1 Dont des groupes aussi variés que Révolution Permanente Marseille, BDS Provence, les Soulèvements de la Terre 13, XR Marseille, action Palestine Marseille, Urgence Palestine Marseille, Tsedek, Sud Éduc 13, Stop arming Israël…

2 « Guerre à Gaza : la France a fourni en secret des équipements de mitrailleuses à Israël », Disclose, 25/03/2023.

3 C'est le gouvernement, réuni en commission interministérielle sous la responsabilité du Premier ministre, qui fournit les licences d'exportations. Il est seul à juger si ces licences respectent les traités signés par la France à l'international et il n'existe pas de mesures juridiques pour les suspendre.

4 « Guerre à Gaza : la France vend-elle des armes à Israël ? Les réponses ambiguës de Sébastien Lecornu », L'Humanité, 28/02/2024.

5 Pour Boycott désinvestissement sanction, une campagne de boycott visant Israël.

03.05.2024 à 12:11

Virer Debord

Laurent Perez

V'là que soudain tu réfléchis. Et que tu fais ce bilan. Parmi tous les artistes que tu as écoutés, regardés et lus dans ta jeunesse, une grosse partie étaient des mecs. Pire : beaucoup avaient des facettes toxiques. Ce mois-ci, place à Guy Debord, le tonton impressionnant dont on s'aperçoit trop tard que c'était en fait un vieux vicelard. Quand j'ai commencé à lire Guy Debord, j'avais seize ans. Debord était mort deux ans plus tôt (en 1994) et il était à la mode. Il avait fait la une des (…)

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Texte intégral (1744 mots)

V'là que soudain tu réfléchis. Et que tu fais ce bilan. Parmi tous les artistes que tu as écoutés, regardés et lus dans ta jeunesse, une grosse partie étaient des mecs. Pire : beaucoup avaient des facettes toxiques. Ce mois-ci, place à Guy Debord, le tonton impressionnant dont on s'aperçoit trop tard que c'était en fait un vieux vicelard.

Sleven

Quand j'ai commencé à lire Guy Debord, j'avais seize ans. Debord était mort deux ans plus tôt (en 1994) et il était à la mode. Il avait fait la une des Inrocks. La Société du Spectacle venait de sortir en poche, bientôt suivie des Commentaires et du recueil du bulletin de l'Internationale lettriste Potlatch. On rééditait la revue Internationale situationniste, on entamait la publication de la Correspondance. Je parle d'un temps où internet n'existait pour ainsi dire pas en France, où les textes circulaient sur papier. Bref, pendant la petite dizaine d'années que la mode a duré, j'ai tout dévoré. À chaque déménagement, j'écrème ma bibliothèque, mais du Debord et des situs, il m'en reste un mètre linéaire. Ça doit bien faire dix ans que je n'ai rien relu : à chaque fois que j'essaie, j'ai l'impression de sentir un étau presser mes tempes.

*

Qu'est-ce qui chez Debord a tellement enthousiasmé l'ado et le post-ado intello que j'étais, tendance révolutionnaire ? La radicalité, d'abord. La radicalité la plus extrême, l'ultra-gauchisme dans sa variante la plus snob. Radicalité dans le discours, hein, s'agissait pas de prendre les armes ni même un manche de pioche. Ce sont, sur un mur, ces mots : « Ne travaillez jamais ». Et Dieu sait que l'idée de devoir travailler un jour me terrorisait – l'ennui, les horaires contraints, la subordination. Mais jamais, ça veut dire jamais. (Que se passe-t-il si tu travailles ? Eh bien, tu es méprisable, c'est Debord lui-même qui le dit dans Panégyrique.) Dans les saumâtres années 1980-1990, la radicalité debordienne, ce n'était même pas no future, c'était no present. Il n'y avait plus rien à sauver, tout était foutu – et si tu aimais quoique ce soit du monde qui t'entourait, tu étais soit un collabo, soit un pigeon. Pour décorer tout ce désespoir, il y avait ces références cryptiques, les grands moralistes du XVIIe siècle, et ce style que les fans de Debord ont longtemps continué à singer. Séduction du snobisme. Il paraît qu'en privé, Debord aimait transmettre ; dans ses livres, il était puant. Et, comme beaucoup de jeunes fans de Debord depuis un demi-siècle, j'étais un petit mec puant, que la lecture de Debord n'a fait qu'encourager là-dedans.

À bien y regarder, il y avait pourtant, déjà à l'époque, de quoi me mettre la puce à l'oreille. Certains avaient tiqué en voyant Debord signer chez Gallimard pour la réédition de ses œuvres, puis chez Canal+ pour son dernier film, diffusé un mois après sa mort. Question pureté révolutionnaire, ça la foutait mal. Ce que ça venait rappeler, c'est que Debord était avant tout un rejeton de la grande bourgeoisie, très à l'aise avec les affaires d'argent. Dans sa biographie, Christophe Bourseiller raconte qu'à l'époque où il écrivait « Ne travaillez jamais » sur un mur de la rue de Seine, à Paris, il renvoyait toutes les semaines son linge sale à sa grand-mère, à Cannes. Je suppose qu'à 18 ans, j'ai trouvé ça stylé. Je n'avais pas percuté tout ce que ça change, dans la vie, de naître avec ou sans argent – dangereuse erreur, quand on appartient à la seconde catégorie. Les situs, c'est pas une école de lutte des classes1. Quelque part dans La Société du Spectacle (si je me souviens bien), Debord définit le prolétariat comme la classe des révolutionnaires. Si tu es – si tu te dis – révolutionnaire, même si tu as hérité ou que tu vis de la sueur de tes locataires, t'es un prolétaire. Pratique. Il y avait aussi ces lettres gênantes, publiées par son ex-disciple Jean-François Martos, où on voyait Debord contrecarrer la publication en français de L'Obsolescence de l'homme de Günther Anders, dont il n'avait aucune idée, accusant le traducteur de « debordiser » sa pensée. Et pour cause : Anders y exprimait, dès 1956, un grand nombre des idées que Debord énoncerait onze ans plus tard dans La Société du Spectacle. De fait, une bonne partie de ce que j'ai appris chez Debord, je l'ai retrouvé ailleurs : la critique des médias chez Karl Kraus, celle de la culture de masse chez Adorno et Horkheimer, l'art de la promenade chez Walter Benjamin2. Mais, à peu de chose près, j'ai dû le chercher par moi-même. Car ce que révélait l'attitude de Debord envers Anders, c'était une mesquinerie présomptueuse qui est parfois un (mauvais) trait de caractère de certains autodidactes – comme Debord l'était, et moi aussi dans une large mesure : le fait de rejeter, de traiter par avance et systématiquement avec mépris ce qu'on ne connaît pas, de peur d'être pris en défaut. Au lieu de reconnaître ses dettes, de discuter les penseurs proches de lui et de donner des billes à son lecteur pour qu'il se fasse sa propre idée, Debord dézingue tous ceux qui risqueraient d'un peu trop marcher sur ses plates-bandes.

*

J'ai peu à peu arrêté de lire Debord, sans trop savoir pourquoi. Le déclic est venu plus tard, en plein réexamen de mes attitudes merdiques, en lisant sa biographie par Jean-Marie Apostolidès. Le bouquin est malveillant, plein de commentaires psy à la truelle, mais solidement référencé. D'un bout à l'autre, c'est le catalogue classique des mœurs d'une avant-garde et de son gourou : les décisions arbitraires, les caprices, les ruptures (sentimentales comme politiques), les porte-flingues tyrannisés, exploités. Et pressurés : quand on a des goûts de luxe, pas d'argent et envie ni d'en gagner ni de prendre de risques, la seule issue, c'est de taper les autres (ou d'envoyer bosser sa meuf.) Mais surtout, le portrait que dresse Apostolidès est celui d'un manipulateur pervers, ne connaissant de relation à l'autre que dans la possession, la sujétion. Le tableau de la vie de bohème du jeune Debord et de ses copains, romantisée dans Potlatch et dans les livres de sa première femme Michèle Bernstein, était particulièrement peu reluisant.

Réflexion faite, tout ça apparaissait déjà en toutes lettres dans l'œuvre de Debord, dans ses livres et surtout dans sa correspondance, que j'avais dévorée. À 15 ans, 20 ans ou 25 ans, je n'ai pas su le lire. Ça correspondait sans doute en partie à ce que j'étais alors, et ça n'a pas arrangé les choses. Je ne vais pas raconter ma life ici – rien de plus vomitif que les mecs quadragénaires qui monopolisent le crachoir pour expliquer combien ils étaient des connards, avant. Mais quand un jeune homme se trouve sur un fil, en équilibre instable entre la pression des rôles sociaux – la famille, le virilisme ambiant – et l'image du type bien qu'il aimerait être malgré tout, un auteur comme Debord pèse lourd pour le faire pencher du côté petite merde toxique.

*

En novembre, cela fera 30 ans que Debord est mort. Ses archives sont à la Bibliothèque nationale de France (BnF). On s'en souvient : en 2008, l'université de Yale ayant fait une offre d'achat à la veuve, la ministre de la Culture de Sarkozy avait classé le legs « trésor national » afin qu'il soit préempté par l'État. Reconnaissant l'un des leurs, des mécènes ultra-friqués avaient mis la main à la poche pour la BnF. Une grande expo a fêté tout ça en 2013. Dix ans plus tard, j'ai l'impression qu'à part quelques mondains de l'art, Debord n'intéresse plus grand monde. Ce n'est pas forcément très grave.

Par Laurent Perez

1 Ce qui, parmi les différentes traditions de la critique du travail, et sous l'allure hégélo-marxiste de son discours, rattache plutôt Debord à une éthique aristocratique. D'où la séduction qu'il exerça sur un dandy bourgeois comme Philippe Sollers.

2 Reste la question de la place de Debord dans l'histoire de la pensée marxienne, que décrivait Anselm Jappe en 1995 dans sa remarquable petite biographie intellectuelle. Jappe est aujourd'hui l'un des principaux théoriciens de la critique de valeur et, sauf erreur, il ne mobilise plus guère dans ses livres que le Debord métaphysique, moraliste – le contempteur de la disparition du goût et du sens rationnel, et du grand remplacement de la culture (populaire comme bourgeoise) par l'industrie des loisirs.

03.05.2024 à 12:11

JO 2024 : Paris lave plus blanc que blanc

Émilien Bernard

Cela fait désormais plus d'un an qu'un nettoyage social est en cours à Paris et en Seine-Saint‑Denis. L'objectif des autorités ? Envoyer en province les personnes considérées comme malvenues dans le décor des Jeux olympiques, essentiellement des exilées et exilés, à la rue. Une scandaleuse opération de tri urbain, qui a des conséquences sociales désastreuses, de Marseille au fin fond de l'Alsace. Faubourgs de Marseille, fin avril 2024. Le portail d'entrée est défoncé, ouvert à tous les (…)

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Texte intégral (1936 mots)

Cela fait désormais plus d'un an qu'un nettoyage social est en cours à Paris et en Seine-Saint‑Denis. L'objectif des autorités ? Envoyer en province les personnes considérées comme malvenues dans le décor des Jeux olympiques, essentiellement des exilées et exilés, à la rue. Une scandaleuse opération de tri urbain, qui a des conséquences sociales désastreuses, de Marseille au fin fond de l'Alsace.

Gwen Tomahawk

Faubourgs de Marseille, fin avril 2024. Le portail d'entrée est défoncé, ouvert à tous les vents, ça m'arrange. Jonchée d'ordures les premiers mètres, l'allée goudronnée s'avance entre des grilles vertes, délimitant d'un côté un centre social dans la cour duquel des gamins se déhanchent sur « Suavemente » de Soolking, de l'autre un parc envahi de poussettes et d'adeptes de la sieste printanière. Une grosse centaine de mètres et l'ambiance se fait moins bucolique. Surplombant un grand parking désert, deux gros bâtiments jaunis de huit étages dressent leur laideur fonctionnelle à l'écart des regards, gérés par le prestataire social Adoma – ex-Sonacotra. Pas un bruit, tout semble dépeuplé. Je fais le pied de grue au bas des tours, quand un jeune homme finit par sortir. Très timide, il confie s'appeler Lamine et venir de Gambie. Il vit dans les lieux depuis quelques semaines. La suite ? Il ne sait pas trop. Encore quelques jours ici, et il ne bénéficiera plus de ce foyer, sera dispatché dans les environs ou partira pour Paris. C'est d'autant plus flou qu'il n'a pas l'air en forme et tousse comme un damné.

La capitale, Lamine l'a quittée dans un bus affrété par la préfecture de Paris, direction Marseille, « comme les autres », dit-il. Je le suis vers un petit bâtiment qui sert de QG administratif. Venant à notre rencontre, un salarié d'Adoma s'étonne de me voir là : « C'est une zone privée ! » Après m'avoir confirmé que sont logées ici pour trois semaines une cinquantaine de personnes récemment arrivées de Paris l'Olympienne (cela constituerait un tiers des personnes installées ici plus durablement1), il me demande de partir. Croisés devant le portail, deux jeunes hommes d'origine subsaharienne visiblement de mauvaise humeur rechignent à discuter, me disent juste qu'ils veulent repartir à Paris, qu'ici c'est pourri.

De Marseille à Geispolsheim

Ici c'est un coin paumé du quartier de la Capelette, dans le 10e arrondissement de Marseille, loin du centre-ville, loin des regards. Le bâtiment où vivent temporairement les personnes affrétées de Paris fait partie du dispositif mis en place dans une dizaine de régions françaises pour opérer un « désengorgement », via des « sas de desserrement régionaux ».

Logés pendant trois semaines, ils seront ensuite, selon leur situation administrative, remis à la rue ou placés dans des dispositifs d'accueil locaux déjà débordés

Logés pendant trois semaines, ils seront ensuite, selon leur situation administrative, remis à la rue ou placés dans des dispositifs d'accueil locaux déjà débordés.

Régi par une circulaire de mars 2023, ce type de dispositif fait évidemment réagir les associations suivant les personnes précaires. Quatre-vingts d'entre elles, dont ATD Quart Monde, Médecins du Monde ou la Ligue des droits de l'Homme, se sont regroupées dans un collectif intitulé Le Revers de la médaille2 et appellent à cesser le « nettoyage social » en cours, qui se fait dans la plus grande discrétion. « Les sas ont été activés et mis en place sans prévenir la ville et les élus, sans aucune construction avec les acteurs associatifs locaux et les ressources possibles », explique Jean, qui bosse pour Médecins du Monde. Un amateurisme qui a des conséquences : « Gérés par le réseau Adoma, ces lieux sont assez vite dépassés sur les situations complexes, notamment en matière de consommation de drogues, sachant qu'il y a par exemple des personnes venant de la porte de la Chapelle où il y a une présence du crack. »

Marseille n'est pas la ville accueillant le plus de personnes délocalisées, sans doute parce que la ville a aussi des sites olympiques, notamment pour les épreuves de voile. Fin mars, le ministre du Logement Guillaume Kasbarian annonçait que 3 800 personnes avaient déjà été déplacées hors de Paris. Selon une enquête de StreetPress3, les lieux d'accueil sont généralement fort peu adaptés à leur mission : « Comme souvent dans l'hébergement d'urgence, les personnes sont placées dans des hôtels bas de gamme au fin fond de zones industrielles, loin de tout. StreetPress a identifié quatre sas dans ces configurations : Rennes-Montgermont, Beaucouzé en périphérie d'Angers (49), Olivet à dix kilomètres d'Orléans (45) ou Geispolsheim, à 12 km au sud de Strasbourg (67). Gabriel, membre du collectif des migrants de Strasbourg, connaît bien le dernier endroit. Il résume : “Un hôtel miteux très difficile d'accès. Il y a un bus qui passe une fois par heure, et pas tout le temps, qui vous dépose à l'entrée d'un chemin lugubre. Il faut marcher 15 minutes le long de l'autoroute.” » Royal.

Paris, capitale des expulsions

Les images sont connues, de Calais à Paris : une armée de bleus caparaçonnés entourant les tentes de personnes exilées et les sommant plus ou moins gentiment de décamper. Mais depuis quelques mois elles s'accompagnent généralement d'une proposition, qu'ils seraient pour l'instant libres de décliner : monter dans un bus les conduisant dans l'un de ces sas de desserrement évoqués plus haut, pour trois semaines de logement garanti. Cela se fait généralement au très petit matin, comme le 30 mars sur un quai de Seine, quand 150 exilés, pour la plupart mineurs non accompagnés, sont réveillés par des CRS. L'un d'eux témoigne avoir déjà fait l'expérience de cet exil temporaire avant de se retrouver à la rue dans une ville inconnue – retenter le coup ? Très peu pour lui4.

Ces opérations d'expulsion, qui s'accélèrent ces derniers temps, concernent aussi des squats, dont certains servaient de refuge à des centaines de personnes. Le dernier en date était situé à Ivry. Considéré comme le plus grand de France et abritant environ 450 personnes, il a été évacué au matin du 17 avril. Un exemple parmi d'autres.

Un nettoyage social des personnes considérées comme indésirables, exilés et SDF, sommées de ne pas faire tâche quand les touristes débarqueront

Alors que la capitale a vu le nombre de SDF augmenter de 16 % en 2023 (coucou Macron et sa promesse de zéro personne à la rue), que les résidences Crous vont mettre à la porte 2 000 étudiants et que de nombreux hôtels autrefois dévolus à l'hébergement social se recyclent en vue des lucratifs JO, cette vague d'expulsions accroît encore la précarité et le traitement inique des indésirables, ballottés au gré des rues et des villes selon les bons vouloir d'un pouvoir accro à l'autoritarisme. « Plus on va s'approcher des JO, plus on va saturer l'espace public de policiers », s'est enflammé le préfet de Paris Laurent Nuñez en avril 2023. La fête s'annonce grandiose. Alors que des associations dénoncent des intimidations lors des maraudes, que des vidéos de CRS gazant les affaires de personnes à la rue sont récemment sorties, que le harcèlement policier semble grimper d'un cran de jour en jour5, on peut se demander si la politique « zéro point de fixation » appliquée à Calais depuis quelques années, pour des résultats désastreux, n'a pas été importée à Paris. Qu'elle soit totalement inefficace en matière de réduction du nombre de candidats au passage n'y change rien. Quand il s'agit de harceler les plus faibles et les plus précaires, la police française répond toujours présente. De vrais champions, pour le coup, portant haut les valeurs de l'Olympie, et notamment le slogan officiel choisi par le comité Paris 2024 : « Ouvrons grand les jeux ! » Médaille d'or de novlangue olympique.

Par Émilien Bernard

2 Plus d'infos sur leur site : lereversdelamedaille.fr.

4 Migrants : un “nettoyage” social à Paris avant les JO 2024 ? », vidéo de France 24, 09/04/2024.

03.05.2024 à 12:11

Fatch, y'en a du vent

L'équipe de CQFD

Mais quel printemps pourri, nom d'un schnaps ! Avril à Marseille, c'était sous les rafales de vent, et comble du comble, sous la pluie. On s'est trainé·es tout le mois des températures « en dessous des normales de saison ». Non seulement ça caillait, mais en plus le vent avait une fâcheuse tendance à nous arracher nos tasses de café et notre feuille de choux des mains. Des jours et des jours de vent fada, le mistral qui rend fou. De quoi déserter les terrasses. Livia, qui débarque de (…)

- CQFD n°230 (en kiosque)
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Par Baptiste Alchourroun

Mais quel printemps pourri, nom d'un schnaps ! Avril à Marseille, c'était sous les rafales de vent, et comble du comble, sous la pluie. On s'est trainé·es tout le mois des températures « en dessous des normales de saison ». Non seulement ça caillait, mais en plus le vent avait une fâcheuse tendance à nous arracher nos tasses de café et notre feuille de choux des mains. Des jours et des jours de vent fada, le mistral qui rend fou. De quoi déserter les terrasses. Livia, qui débarque de Grenoble pour nous aider à boucler (bienvenue !), a même fait remarquer qu'il faisait meilleur là-bas, l'archouma climatique. On se croirait presque à Paris. Beurk.

Sans compter que c'était les vacances scolaires. Certes, le comité de rédaction ne sait pas trop ce que c'est (sauf quand on balance un numéro d'été principalement composé de jeux marrants pour mômes décérébrés, et qu'aucun·e abonné·e ne remarque le pot au feu). N'empêche. Notre graphiste – l'homme à la doudoune jaune poussin, pour les intimes – à travers qui on vit par procuration les aléas du calendrier zone B, a dû écourter ses vacances dans un trou d'Héraut : sa tente menaçait de s'envoler, et sa gamine aussi. Après avoir goûté toutes les variantes de tielles du coin et de s'être extasié sur le 20e pâté de sable de sa joyeuse progéniture, on finit par déchanter des charmes du hors-saison à la Cabrel. Dans tes dents, le poussin déserteur.

Mais peut-être qu'on va pouvoir se rabibocher avec le temps pourri et apprécier de bouffer nos cheveux toute la journée : le Belem, l'espèce de bateau à gueule de Pirates des Caraïbes qui a pour mission sacrée de ramener au Vieux-Port le foutu brasier olympique débarquera le 8 mai, sans doute (nous dit Météo-Rance) dans le vent et les orages ! Si c'est pour gâcher le début de « la grande fête populaire », on est avec toi le Mistral ! Et n'hésite pas à éteindre la flamme en passant, pour bien annoncer le début des hostilités…

03.05.2024 à 11:59

Au sommaire du n°230 (en kiosque)

L'équipe de CQFD

Dans ce n°230 de mai 2024, on rembobine, et on s'intéresse à l'effacement au long cours du peuple Palestinien. On y inspecte aussi le grand ménage social orchestré par l'État avant les JO, on manifeste devant une usine qui produit des composants d'armes pour Israël, on s'indigne du traitement réservé aux éxilé.es en Calabre et on rend un femmage aux combattantes kurdes. Avant de dézinguer Debord en écoutant hurler un soldat loup-garou, et de se réchauffer le coeur avec un festival (…)

- CQFD n°230 (en kiosque) / , ,
Texte intégral (1898 mots)

Dans ce n°230 de mai 2024, on rembobine, et on s'intéresse à l'effacement au long cours du peuple Palestinien. On y inspecte aussi le grand ménage social orchestré par l'État avant les JO, on manifeste devant une usine qui produit des composants d'armes pour Israël, on s'indigne du traitement réservé aux éxilé.es en Calabre et on rend un femmage aux combattantes kurdes. Avant de dézinguer Debord en écoutant hurler un soldat loup-garou, et de se réchauffer le coeur avec un festival féministe des savoir-faire techniques.

Quelques articles seront mis en ligne au cours du mois. Les autres seront archivés sur notre site progressivement, après la parution du prochain numéro. Ce qui vous laisse tout le temps d'aller saluer votre marchand de journaux ou de vous abonner...

Audrey Esnault

En couverture : « Palestine, résister à l'effacement », par Audrey Esnault

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Actualités d'ici & d'ailleurs

JO 2024 Paris lave plus blanc que blanc – Cela fait désormais plus d'un an qu'un nettoyage social est en cours à Paris et en Seine-Saint‑Denis. L'objectif des autorités ? Envoyer en province les personnes considérées comme malvenues dans le décor des Jeux olympiques, essentiellement des exilées et exilés, à la rue. Une scandaleuse opération de tri urbain, qui a des conséquences sociales désastreuses, de Marseille au fin fond de l'Alsace.

Elias Sanbar : « Nous ne sortirons pas de scène ! » – Alors que les massacres continuent en toute impunité à Gaza, l'auteur palestinien Elias Sanbar remonte aux origines du « déni d'existence » du peuple palestinien : la Nakba. Il nous raconte sa lutte, en tant que historien et écrivain exilé, contre cet « effacement ». Entretien.

Eurolinks : « Sur la chaîne du génocide, il n'y a pas de petits maillons » – Le 1er avril dernier, une manifestation était organisée à Marseille devant l'usine du fabricant de maillons pour munitions militaires Eurolinks. Les militant·es dénonçaient la vente de ce matériel à destination d'Israël et la complicité militaire de la France dans la guerre en cours. Reportage.

Robin Szczygiel

Exilés exploités en Calabre : les habits neufs de l'esclavage –Dans leur article intitulé « Rosarno et la plaine de Gioia Tauro, entre luttes sociales, violence et exploitation », les chercheurs William Bonapace et Maria Perino retracent la construction historique d'un véritable système d'esclavagisme moderne, mêlant néolibéralisme, mafia, racisme, État démissionnaire et exploitation des opprimés.

« C'était comme un oiseau » – Le 5 mars 2024, Lamine est mort d'overdose à Marseille. Il avait 20 ans, il était queer et algérien. Sa mort interroge sur le destin que la France et ses institutions réservent aux personnes marginalisées.

Femmage aux combattantes kurdes : « Nous n'aimons pas l'idée de mourir pour peu » – Dans Nous sommes le cri d'un peuple, le photographe et journaliste Loez part sur les traces de deux femmes kurdes engagées dans la lutte armée. En tentant de reconstituer leur parcours de vie, jusqu'à leur mort sur le champ de bataille, il raconte l'histoire de tout un peuple qui combat pour sa survie.

Ce qui se cache sous l'uniforme – Dans Le Soldat Loup-Garou, une brochure publiée en 1848, Ernest Lebloys livre une critique atemporelle de l'armée et de la guerre. Alors largement diffusée auprès des ouvriers et des paysans, cette fable témoigne de l'horreur de la conquête coloniale de l'Algérie et de la répression des révoltes ouvrières des journées de juin 1848.

Mes héros toxiques #7 : Virer Debord – V'là que soudain tu réfléchis. Et que tu fais ce bilan. Parmi tous les artistes que tu as écoutés, regardés et lus dans ta jeunesse, une grosse partie étaient des mecs. Pire : beaucoup avaient des facettes toxiques. Ce mois-ci, place à Guy Debord, le tonton impressionnant dont on s'aperçoit trop tard que c'était en fait un vieux vicelard.

Sleven

Savoir faire la Chignole ! – À Marseille, en ce début avril, c'est la deuxième édition de la Chignole, un festival féministe des savoir-faire techniques, organisé par et pour des meufs et des personnes queer. Neuf jours, une cinquantaine d'ateliers, et de beaux moments de partage et de transmission des savoirs à la clé !

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Côté chroniques & culture

Aïe tech # 18 : La cabale au fond du jardin – Mois après mois, Aïe Tech défonce la technologie et ses vains mirages. Dix-huitième épisode dédié à la dissémination tous azimuts des fantasmes de complot sur les réseaux sociaux, véritables autoroutes à fake news et délires anxiogènes.

Lu dans Pivot : Ventes de terres palestiniennes à Montréal – Journaliste au média indépendant québécois Pivot, Oona Barrett s'est infiltrée début mars dans une foire montréalaise à l'objectif bien particulier : promouvoir l'achat de propriétés luxueuses en Israël et dans les colonies illégales de Cisjordanie. Extraits.

Ulrike Meinhof : Lettres du crépuscule – Figure centrale de la Fraction armée rouge, Ulrike Meinhof (1934-1976) est morte en prison après des années de détention et de torture. La publication de ses « textes de prison » démontre qu'elle n'a jamais courbé l'échine, tout entière dévouée à son idéal révolutionnaire.

Magie noire & billets verts – Avec humour et esprit, le podcast Glossaire de la finance et de la sorcellerie révèle comment les nouveaux sorciers, en costume trois-pièces et cravates ajustées, manipulent le jargon ésotérique de la finance moderne pour marabouter les simples mortels que nous sommes.

Élections, pièges de colons –Dans leur livre De la démocratie en Françafrique, l'économiste Ndongo Samba Sylla et la journaliste Fanny Pigeaud racontent deux siècles d'impérialisme électoral entre Paris et ses anciennes colonies africaines.

Une île à Dijon – Des pirates voguent depuis quelques mois entre fermes, squats, ZAD, salles associatives et refuges de montagne pour projeter un petit bijou de cinéma : Une île et une nuit, un film de fiction en onze langues, sans sous-titres, imaginé et réalisé collectivement dans le quartier libre des Lentillères à Dijon.

Robin Szczygiel

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Et aussi...

L'édito« Les mômes à la schlague »

Ça brûle !« Fatch, y'en a du vent »

Les brèves du n°230

L'animal du mois : le bébé manchot

Abonnement - (par ici)

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La une en pdf

26.04.2024 à 09:00

La forêt limousine n'est pas une marchandise

Élie Marek

Cela fait plusieurs décennies que la scierie industrielle Farge Bois ne cesse d'étendre son emprise sur la forêt limousine, au détriment des riverains et de l'environnement. Et dans la lutte contre son agrandissement, s'entrechoquent deux visions radicalement différentes de ce qu'est une forêt. En Corrèze, au sud du plateau de Millevaches, le train régional qui relie Eymoutiers à Ussel s'aventure sur le viaduc des Farges. Depuis la vitre du wagon, on peut apercevoir la cime d'une quinzaine (…)

- CQFD n°229 (avril 2024) /
Texte intégral (1885 mots)

Cela fait plusieurs décennies que la scierie industrielle Farge Bois ne cesse d'étendre son emprise sur la forêt limousine, au détriment des riverains et de l'environnement. Et dans la lutte contre son agrandissement, s'entrechoquent deux visions radicalement différentes de ce qu'est une forêt.

Pole Ka

En Corrèze, au sud du plateau de Millevaches, le train régional qui relie Eymoutiers à Ussel s'aventure sur le viaduc des Farges. Depuis la vitre du wagon, on peut apercevoir la cime d'une quinzaine de sapins de Douglas. Ils ont poussé de part et d'autre des ruisseaux qu'enjambe l'ouvrage. À première vue, rien d'original dans une région qui vit en partie de son exploitation. Sauf que ces douglas-là plantés en 1895, culminent à 60 mètres de hauteur et sont les plus vieux du Limousin.

À 25 kilomètres au sud du viaduc se trouve une scierie du même nom, Farges Bois, qui appartient depuis 2004 au groupe Piveteau Bois, le leader français du granulé. Au moment de son rachat, la scierie comptait une vingtaine de salariés, quelques intérimaires, et produisait 32 000 m3 de bois scié chaque année. Aujourd'hui, plus de 200 employés participent à la transformation de 150 000 m3 de bois scié par an. Mais l'industriel ne compte pas s'arrêter là, et vise à devenir une des plus grandes scieries de France en doublant sa production actuelle. Ce à quoi les riverains s'opposent, soutenus par des associations environnementales, des élus et des syndicats, tout en défendant une autre conception de la forêt, de son exploitation et du territoire.

Défendre la croissance durable…

Depuis le pas de sa porte, sur la commune de Moustier-Ventadour, Jacqueline Monjanel a de quoi enrager. Installée ici en 1974, l'octogénaire a pu observer l'insatiable croissance de la scierie Farges Bois. Mais le prochain projet d'agrandissement du site est d'une autre ampleur. La communauté de communes, après avoir exproprié les terres de la riveraine ainsi qu'une partie de celles d'un éleveur et d'une éleveuse sous couvert d'utilité publique, entend bien les vendre à l'industriel. Au menu : l'agrandissement du parc à grume (les arbres abattus et prêts au sciage), l'installation d'un scanner à rayons X pour maximiser l'utilisation du bois et la création d'une unité de fabrication de lamellé-croisé, ces grands panneaux de bois censés concurrencer le béton et verdir le milieu de la construction.

« L'extension, c'est pour internaliser la production de valeur ajoutée », raconte le responsable du projet lors d'une visite des installations. Ce jour de septembre 2023, des centaines de badauds viennent découvrir la scierie à l'occasion des journées du patrimoine. L'immense chaîne de sciage, le nouveau système automatisé de triage des produits : l'usine est taillée pour utiliser jusqu'aux derniers copeaux qui entrent sur le site. Notre guide ne cesse de le répéter : l'usine répondrait à une « demande croissante » tout en adoptant un fonctionnement « durable ».

… à coups de propagande

Tous les employés rencontrés ce jour-là insistent : leur production est en phase avec une forêt respectée. Une petite exposition accueille les visiteurs après leur parcours dans l'usine. Un panneau résume les étapes du cycle du carbone dans deux types de forêts. Pour la première, « naturelle », les arbres « arrivent à maturité et commencent à rejeter du carbone » après 100 ans. Un petit nuage rouge le montre : c'est mal. La seconde, « gérée durablement », stocke du carbone sans jamais en rejeter, malgré les coupes et les plantations régulières. Un petit nuage vert le montre : c'est bien.

Un visiteur regarde le schéma, sceptique. Un responsable s'empresse de confirmer les informations qu'il contient. La pédagogie industrielle sait user du martelage, et qu'importe que des études prouvent le contraire1. « C'est faux », me dira plus tard Olivier, écologue et opposant au projet. « Une plantation c'est des plans en pépinière qu'il a fallu faire pousser, donc du carbone. Le transport jusqu'à la parcelle et la plantation : carbone. L'exploitation – tronçonneuses, abatteuses, débardeuses, transport : carbone. La transformation et la vente : carbone. » Pour convaincre, l'industriel met les moyens : quelques cadeaux dans un sac en toile sont distribués avant de repartir – un jeu en bois, un gobelet à l'insigne de l'entreprise et, surprise, un jeune douglas à planter chez soi.

Si le groupe Piveteau communique de la sorte, c'est autant pour reprendre la main sur le récit qui accompagne son projet d'extension que pour devancer les nombreuses critiques. Après plusieurs reportages consacrés aux expropriations occasionnées par l'agrandissement de la zone de stockage2, une manifestation a réuni 200 personnes dans les rues d'Égletons en décembre 2022. Depuis, le collectif Méga-Scierie Non Merci s'est constitué pour accompagner l'association AssoCitra dans son combat juridique et y ajouter une réflexion sur l'avenir de ces forêts déjà largement exploitées3. Il réunit des habitants de la communauté de communes Ventadour-Égletons-Monédières, mais aussi des massifs forestiers concernés par l'augmentation de la production, quelques professionnels de la filière et des naturalistes soucieux de la Goutte molle, le cours d'eau sur lequel la scierie s'est implantée.

« C'est la lutte d'ici !

»

Février 2024, Rosier-d'Égletons, à quelques kilomètres de l'usine. La salle polyvalente est pleine. Environ 200 personnes ont fait le déplacement ce samedi après-midi pour assister à la première réunion publique à propos de l'extension de la scierie Farges Bois – mais pas les porteurs de projet. « C'est la lutte d'ici », explique une militante. Dehors, il pleut. Des enfants en chasuble jouent au foot devant leurs entraîneurs et leurs parents trempés. Dans le public, on reconnaît la députée de la Creuse, des représentants de syndicats, d'associations environnementales et des membres du groupe forêt du Syndicat de la montagne limousine, qui fédère diverses initiatives collectives à l'échelle du plateau de Millevaches.

C'est d'ailleurs par le biais de cette organisation que Catherine, trop souvent « ravitaillée par les corbeaux », a été mise au courant de la réunion. Elle vient d'un village situé à une trentaine de kilomètres, près d'Ussel. « Je n'en peux plus », lâche-t-elle tandis que les participants prennent place, avant de s'excuser pour les quelques larmes qui se frayent un chemin sur ses joues. Autour de chez elle, les coupes rases se multiplient. Pour contrer l'impuissance, elle s'est mise en quête de parcelles qu'elle a fini par réussir à acheter. Une poignée d'hectares. Trop peu pour rompre avec un sentiment d'isolement géographique et politique. Le temps d'échanger un numéro ainsi que la promesse d'une visite des feuillus préservés et la salle se fait silencieuse.

La réunion débute sur une bonne nouvelle : le tribunal administratif de Limoges a retoqué le Plan local d'urbanisme (PLU) devant modifier l'affectation des terrains sur lesquels la scierie veut s'étendre. Une victoire qui devra toutefois attendre confirmation après l'appel demandé par la communauté de communes. Les prises de parole s'enchaînent pour faire le bilan des impacts négatifs du projet. Le public approuve. Quelques questions invitent à la nuance, d'autres, au contraire, critiquent la filière forêt-bois en général et l'imposition d'une exploitation industrielle de la forêt. Même la structure de la salle, faite en pièces de lamellé-collé, est prise à partie. Un participant questionne : « Est-ce qu'on veut produire du bois ou de la colle ? » Au terme de deux heures d'échanges, une élue d'opposition conclut : « J'ai appris plus de choses aujourd'hui qu'au conseil communautaire. »

*

Les chaises ont été empilées. Sur une table en plastique, des chips, quelques bouteilles. L'heure est au bilan informel. Antoine, scieur à « 80 % bénévole » dans une structure associative, trouve que la réunion a fait son office, c'est-à-dire diffuser de l'information et regrouper les opposants, mais que la bataille se gagnera sur le terrain juridique. Plus loin, Jacqueline, la doyenne de la mobilisation, et Brigitte, particulièrement active au sein de l'association AssoCitra, savourent un après-midi réussi. Ce que le collectif Méga-scierie Non Merci confirmera quelques jours plus tard : « Le succès de cette réunion témoigne encore une fois de la volonté des habitant·es de ne pas être exclus des décisions politiques qui risquent de transformer durablement leurs activités, leur environnement et leur cadre de vie4. »

Par Élie Marek

1 « Tree growth never slows », Nature (15/01/2014).

3 « Les forêts au charbon », CQFD, n° 166 (juin 2018).

4 Lire « Retour sur la réunion publique du 10 février », sur le site du collectif : megascierienonmerci.org.

26.04.2024 à 09:00

C'est sur le terrain que ça se passe

Ashley Tellis, Camille Auvray

Universitaire, journaliste et activiste gay, Ashley Tellis raconte comment la libération sexuelle n'a pas encore eu lieu en Inde. Critique des ONG luttant pour les droits des LGBT+, qu'il considère animées par la bourgeoisie, il défend un militantisme radical de terrain auprès des plus marginalisé·es. La sexualité n'est pas à l'agenda politique en Inde. Pas seulement au sein du parti au pouvoir, mais dans tous les partis politiques. Le viol est à l'agenda, les angoisses liées au fantasme (…)

- CQFD n°229 (avril 2024) /
Texte intégral (1846 mots)

Universitaire, journaliste et activiste gay, Ashley Tellis raconte comment la libération sexuelle n'a pas encore eu lieu en Inde. Critique des ONG luttant pour les droits des LGBT+, qu'il considère animées par la bourgeoisie, il défend un militantisme radical de terrain auprès des plus marginalisé·es.

Garte

La sexualité n'est pas à l'agenda politique en Inde. Pas seulement au sein du parti au pouvoir, mais dans tous les partis politiques. Le viol est à l'agenda, les angoisses liées au fantasme d'une « reproduction musulmane agressive » sont à l'agenda, mais le désir, l'orientation sexuelle ou la sexualité en général n'y sont pas. L'amour ? On en parle à la rigueur pour condamner le « Love Jihad », cette théorie complotiste des nationalistes qui postule que quand un homme musulman et une femme hindoue décident de s'enfuir pour vivre une histoire librement, c'est que l'homme l'a séduite pour « grand-remplacer » la population hindoue. Si la plupart de nos élus ont conscience qu'il y a un grand besoin d'éducation sexuelle à l'école, ils ne font pas grand-chose pour qu'elle soit véritablement mise en œuvre – certains même s'y opposent.

Aux quatre coins du pays, des tribunaux obligent des victimes à épouser leurs violeurs. Ainsi, un célèbre juge dira lors d'une audition en 2021 à une personne ayant commis un viol : « Si vous voulez vous marier avec elle, nous pouvons vous aider. Sinon, vous perdrez votre travail et irez en prison. » Une nouvelle loi, passée début 2024 en Uttarakhand, un État du Nord, rend illégal le fait de vivre en concubinage sans le déclarer : il faut désormais remplir une autorisation devant les pouvoirs publics !

La vie privée est un luxe bourgeois

Les classes et les castes* moyennes et supérieures ont toujours été au pouvoir en Inde. Elles n'ont donc jamais été véritablement progressistes – qu'elles appartiennent au parti social-démocrate du Congrès ou au BJP*.

S'abritant derrière leurs ordinateurs ou dans le confort des bureaux de leurs ONG, leurs militant·es ne sortent pas des enclaves urbaines réservées aux riches

Féodales, patriarcales et oppressives, elles dirigent le pays de cette manière-là… Logique ! Hélas, l'immense majorité des personnes qui défendent la cause LGBT+ sont issues de ces mêmes classes et castes supérieures. Cette cause est apparue dans les années 1990, avec le néolibéralisme et le financement de la lutte contre le Sida dans le « Sud global ». L'homosexualité était alors davantage une catégorie sanitaire/épidémiologique que politique. S'abritant derrière leurs ordinateurs ou dans le confort des bureaux de leurs ONG, leurs militant·es ne sortent pas des enclaves urbaines réservées aux riches. La cause LGBT+ en Inde n'a jamais été une lutte de terrain, contrairement, par exemple, au mouvement des femmes des années 1970 qui, bien que majoritairement urbain, de caste et de classe supérieures, s'alliait au mouvement des dalits* et se mobilisait sur le terrain sur des problématiques transclasses et transcastes – la dot1, la sati2, les violences sexuelles et domestiques.

Le droit est le seul domaine de « lutte » des militant·es de ces ONG, de quoi révéler leur conception descendante du changement. Et même au sein du combat légaliste, leur vision est élitiste. Alors que les militants d'AIDS Bhedbhav Virodhi Andolan (ABVA) [voir encadré] demandaient l'abrogation de l'article 377 du Code pénal indien qui criminalise les actes sexuels « contre-nature » et légalise le harcèlement des homosexuel·les, les ONG de la cause LGBT+ se sont limitées à en demander une « révision ». Elles se sont contentées de la décriminalisation des relations sexuelles homosexuelles, mais « en privé » et « entre personnes consentantes ». La vie privée est un luxe bourgeois. Celles et ceux qui peuvent s'offrir des chambres à coucher n'ont pas besoin qu'on les autorise à baiser « en privé ». Ce qui n'est pas le cas des personnes LGBT+ de la classe ouvrière ou habitant les zones rurales. Et ce texte laisse complètement de côté les hijras, femmes trans dépourvues de droits fondamentaux qui vivent en communauté en marge de la société, souvent obligées à se prostituer ou à mendier, et qui ne sont absolument pas protégées par ces « autorisations ».

Les besoins de la communauté hijra ignorés

Le résultat est édifiant lorsqu'on s'intéresse aux deux grandes causes actuelles de la lutte pour les droits des minorités sexuelles en Inde : le mariage homosexuel et la pleine intégration des personnes trans dans la société. La Cour suprême a renvoyé la balle au parlement concernant la demande de légalisation du mariage entre personnes du même sexe en déclarant, à juste titre, qu'il n'était pas de son ressort de produire des lois, mais simplement de les interpréter. Il est peu probable que le Parlement, qu'il reste à majorité suprémaciste hindoue ou non, soit un jour favorable au mariage homosexuel.

Quant à la loi de 2019 de « protection des droits des personnes transgenres », elle a été orientée pour satisfaire avant tout les personnes trans aux statuts sociaux privilégiés, qui ont focalisé le débat législatif sur les terminologies de l'identité (queer, genre fluide, non binaire, et toutes ces catégories intellectuelles) plutôt que de batailler pour les besoins des personnes de la communauté hijra. Celles-ci se battent pour l'accès à une sécurité sociale et à la discrimination positive3 : privées d'éducation, d'emploi et de tout moyen de survie, la mendicité et le travail du sexe, qui sont leurs activités, étant lourdement criminalisés.

Finalement, les minorités sexuelles n'ont pas subi d'attaques significativement plus virulentes de la part de l'extrême droite que du côté des élites sociales-démocrates. Les plus privilégié·es de notre mouvement, complices du capitalisme, apparaissent donc paradoxalement comme des adversaires plus direct·es que les adorateurs de Modi. Seul un travail indépendant, organisé par et avec les minorités sexuelles des sections les plus marginalisées de la société, pourra amener des avancées véritablement révolutionnaires.

Par Ashley Tellis
La décriminalisation de l'homosexualité

C'est en 1991 que paraît un rapport précurseur et explosif écrit par les 7 auteurs du jeune collectif autonome et autofinancé ABVA (pour AIDS Bhedbhav Virodhi Andolan), fondé en 1988 : Less Than Gay - A Citizens' Report on the Status of Homosexuality in India [Moins que gay – Un rapport citoyen sur la situation de l'homosexualité en Inde]. Derrière sa couverture rose, ses 70 pages nous livrent le premier rapport national jamais écrit sur cette question. Une étude réunissant des expériences queers des quatre coins du pays et racontant les sexualités réprimées, l'amour interdit, la fuite du domicile familial, la prostitution, les suicides lorsqu'on découvre qu'on est séropositif·ve. Dans son introduction, le rapport affirme d'emblée que l'homosexualité n'est pas un concept occidental, ni de culture étrangère ou d'origine capitaliste, et prévient « qu'aucune de ces allégations ne peut tenir face à la réalité empirique ou le pur et simple bon sens ». On y trouve une liste de revendications d'avant-garde pour la société d'alors, telle l'abrogation de la section 377 du Code pénal qui criminalise les actes sexuels « contre l'ordre naturel », mais aussi le droit à la vie privée, et la modification de la Constitution pour qu'elle contienne « l'orientation sexuelle ». Au début des années 1990, ABVA lance des campagnes subversives, comme celle réclamant la distribution de préservatifs en prison, en pleine épidémie de sida, ou encore l'ouverture à New Delhi d'un centre de santé communautaire gratuit pour les travailleur·ses du sexe. En 1994, lorsqu'ABVA dépose une requête contre l'article 377 devant le tribunal, aucune personne homosexuelle n'ose témoigner publiquement. Trente ans plus tard, les choses ont bien bougé : en 2018, la Cour suprême décriminalise les relations homosexuelles entre adultes consentants et considère l'article 377 anticonstitutionnel, provoquant liesses et manifestations publiques de joie dans tout le pays. Mais la loi n'a pas été abrogée : le sexe oral ou anal peuvent toujours être considérés comme « contre-nature » et passibles de sanctions si l'un·e des partenaires d'une relation hétérosexuelle décide de l'invoquer. Le travail de terrain continue et ABVA a sorti en 2022 une nouvelle édition du « petit livre rose ».

Par C.A.

1 Pratique culturelle patriarcale, cause d'endettement, qui oblige la famille de la mariée à honorer la famille du marié avec une rétribution sous forme de grosse somme d'argent et d'objets.

2 Ancienne pratique hindoue qui veut qu'une femme devenue veuve s'immole sur le bûcher de son mari. Le Parlement indien l'interdit en 1987.

3 Système de quotas visant à assurer la représentation dans les assemblées et l'accès à des emplois dans les services publics pour les castes et classes les plus défavorisées.

26.04.2024 à 09:00

« Nous avons trouvé dans le théâtre un remède puissant »

Angarika G.

Partie rencontrer des femmes victimes de violences pour tourner un documentaire, Angarika G. a bifurqué et décidé de monter une troupe de théâtre avec elles. Récit d'une expérience transformatrice qui les mène aux quatre coins du pays. Maraa signifie « arbre » en langue kannada. C'est aussi le nom d'un collectif d'artistes né en 2008 à Bangalore, au sud de l'Inde, dans l'intention de diffuser les pratiques qui ont lieu dans les « marges ». Depuis 15 ans, ils et elles ont participé – avec (…)

- CQFD n°229 (avril 2024) /
Texte intégral (1687 mots)

Partie rencontrer des femmes victimes de violences pour tourner un documentaire, Angarika G. a bifurqué et décidé de monter une troupe de théâtre avec elles. Récit d'une expérience transformatrice qui les mène aux quatre coins du pays.

Illustration de Camille Jacquelot

Maraa signifie « arbre » en langue kannada. C'est aussi le nom d'un collectif d'artistes né en 2008 à Bangalore, au sud de l'Inde, dans l'intention de diffuser les pratiques qui ont lieu dans les « marges »1. Depuis 15 ans, ils et elles ont participé – avec peu de moyens – à la fondation des dix premières radios communautaires du pays, formé des femmes au journalisme, proposé des formations et de l'accompagnement à la création, produit des films sur les questions de travail et de migration, écrit sur les sexualités, la censure des médias et les littératures minorisées. Autogestion, salaire identique pour tout le monde, décisions au consensus : voilà comment ce petit groupe de personnes déterminées propose un regard radical et poétique sur le monde. Angarika, travailleuse inclassable et féministe, a rejoint le collectif Maraa il y a quelques années. Elle nous raconte la fondation d'une troupe avec des femmes victimes de violences sexuelles : le Freeda Theatre. Verbatim.

« Tout a commencé quand je suis partie tourner un documentaire sur les expériences de femmes victimes de violences sexuelles et de caste*, avec une autre membre du collectif Maraa. C'était en 2018, au Madya Pradesh, un État du centre du pays. Nous les avons écoutées raconter leurs combats face aux discriminations et à l'indifférence du système juridique, face à l'humiliation et à l'isolement au sein de leurs familles. À travers ce film, nous avions pour objectif de faire entendre leurs histoires par la police, les médias et divers représentants gouvernementaux. Cela nous obligeait à travailler leurs récits sous la forme de témoignages clairs et précis, à rendre la réalité bien lisse. Une question a surgi : que faire du reste ? De ce qui est si difficile à exprimer et que nous sentions si fort, pourtant, lorsque nous rencontrions ces femmes ?

De retour à Bangalore, nous avons décidé de nous mettre au théâtre et c'est le metteur en scène Anish Victor2 qui nous a formées. Il nous a proposé de placer nos corps au centre de notre exploration. Comment est-il témoin ? Comment stocke-t-il la mémoire ? Le processus de création théâtrale a été, pour nous, une véritable révélation.

Lors des représentations, la frontière avec les spectatrices s'est estompée. On avait l'impression qu'elles respiraient avec nous

Nous avons créé un spectacle, Chu Kar Dekho, basé sur les témoignages que nous avions récoltés, mais aussi sur nos propres expériences de la violence sexiste. En 2021, nous avons joué cette pièce devant les femmes qui nous avaient confié leurs histoires quelques années auparavant. Lors des représentations, la frontière avec les spectatrices s'est estompée. On avait l'impression qu'elles respiraient avec nous. Nous leur avons demandé si elles aimeraient faire du théâtre et c'est ainsi que l'aventure a commencé. Avec cinq d'entre elles, âgées de 21 à 40 ans, nous avons construit un spectacle.

Nous avons créé des scènes autour du travail des femmes : au travail, à la maison, pendant la grossesse. Nous avons exploré des désirs considérés comme tabous au sein de notre société patriarcale : être belle, étudier, vivre seule, tomber amoureuse. Nous avons aussi passé beaucoup de temps à discuter autour de questions comme : la superstition est-elle une réalité ? Qu'est-ce qui détermine la valeur d'une femme ? Sa caste, son travail, ou le simple fait d'être elle-même ? Que signifie la liberté pour une femme ?

Si je mets du rouge à lèvres, ou si je mets un nouveau sari, ma famille me dit : pourquoi tu te fais si belle ? As-tu oublié ce qui t'est arrivé ?” raconte l'une des membres du Freeda Theatre, révélant les dimensions morales qui infusent dans le quotidien et prolongent l'agression. Ainsi circule l'idée que si une femme a vécu des violences sexuelles, elle ne ressentira plus de désir ou bien que marier rapidement une victime est un moyen de regagner son “honneur perdu”.

Dès le début, les femmes étaient certaines qu'elles ne voulaient pas être identifiées uniquement comme des survivantes, victimes d'évènements traumatiques. Aussi, la jeune génération plaidait pour la liberté, l'émancipation, l'affranchissement de la tradition, tandis que les plus âgées se tenaient fermement à l'autre extrémité de la ligne. Cependant, nous constations que les discriminations subies de génération en génération avaient laissé des traces enfouies dans les corps des participantes, appartenant toutes les cinq à des castes inférieures. Durant l'atelier, ces traces se sont révélées, et elles ont trouvé une sorte d'appartenance à un corps collectif intergénérationnel. En tant que coordinatrices issues de classes et de castes plus privilégiées, n'ayant pas vécu de telles violences, nous étions confrontées à des questions difficiles. Le processus n'est-il pas en train d'amener les personnes à revivre leurs traumatismes ? Nos positions sociales nous autorisent-elles à les “diriger” ? Après une répétition difficile, nous avons décidé de poser ces questions au groupe. “Parfois, lorsque nous jouons cette scène particulière, je revis ce moment précis. Ma tête devient lourde. C'est difficile. Mais alors je me souviens que je ne suis pas seule. Je sens les autres sur scène avec moi. Et cela me donne le courage d'avancer”, nous dira une des femmes de la troupe. Nous avons trouvé dans le théâtre un remède puissant. “Avant, lorsque le souvenir de ce qui s'était passé me revenait, je restais bloquée. J'avais l'impression de me noyer. Mais travailler sur le spectacle m'a ouvert une porte de sortie. Quelque part, je me sens enfin libérée de ma propre histoire”, raconte l'une des comédiennes.

Lentement et doucement, nous avons découvert la possibilité d'un “toucher” qui ne soit ni sexualisé ni menaçant

Travailler en partant du corps est un travail de longue haleine. Les femmes ont passé plusieurs mois à se remettre sur pied et rassembler leurs forces. L'une des participantes, par exemple, ne pouvait pas regarder son interlocuteur dans les yeux. Plus tard, elle a raconté comment son père lui avait toujours appris à baisser les yeux, car c'est ce qu'on attend de sa caste inférieure. Lentement et doucement, nous avons découvert la possibilité d'un “toucher” qui ne soit ni sexualisé ni menaçant. Le spectacle est devenu un espace où nous pouvons revendiquer notre dignité. Un lieu où nous pouvons chuchoter et nous confier ; être une femme qui s'enfuit avec son amant d'une autre caste ; qui mange à sa faim ; ou bien qui prend son temps pour se préparer avant de sortir. Le théâtre n'est pas seulement là pour déclarer ce qui ne va pas, mais aussi pour suggérer : “et si ?”, “et pourquoi pas ?”.

Nous avons intitulé notre pièce Nazar Ke Samne, (Devant vos yeux). Nous sommes contactées par des organisations à travers le pays, qui nous invitent à jouer. C'est parfois difficile de quitter le foyer : certaines racontent que leurs maris se retrouvent forcés à s'occuper d'eux-mêmes, le temps de la tournée ! Le spectacle, gratuit, se termine par un tour de chapeau qui permet à la troupe de se déplacer pour de nouvelles dates. Aujourd'hui, alors que le Freeda Theatre parcourt l'Inde rurale et des quartiers populaires pour jouer son spectacle, dans des maisons, des théâtres, des salles des fêtes, les performeuses rencontrent d'autres femmes qui leur ressemblent. La discussion s'engage à la fin des représentations. “Il y a quelques années, nous étions dans le public. Aujourd'hui, nous sommes sur scène. Ce parcours que nous avons fait permet d'aider d'autres femmes”. C'est la base du Freeda Theatre, nommé ainsi, car l'une des femmes voulait que l'idée de liberté y soit centrale. Une étincelle qui peut construire un mouvement, à travers le théâtre et la création, pour retrouver le pouvoir, en nous-mêmes, de créer et d'exprimer. Comme le dit souvent l'une des comédiennes : “C'est depuis la scène de théâtre que nous avons enfin obtenu justice.” »

Par Angarika G.

1 Plus d'informations sur le site du collectif : maraa.in.

2 Anish Victor est l'ex-directeur des programmes de formation à la India Foundation For the Arts. Il a cofondé la troupe de théâtre Rafiki.

26.04.2024 à 09:00

Les étudiant·es gauchistes payent l'addition

Anirban Bhattacharya et Banojyotsna Lahiri

L'Université Jawaharlal Nehru de New Delhi a longtemps été réputée pour ses grèves étudiantes. Mais depuis décembre 2023, toute manifestation ou fresque politique est passible d'une lourde amende. Les ex-syndicalistes étudiants Anirban Bhattacharya et Banojyotsna Lahiri s'inquiètent de la destruction de cet espace de liberté dans une tribune publiée en décembre dernier. Quand nous étions étudiants à la Jawaharlal Nehru University (JNU), les grèves de la faim étaient récurrentes. À chaque (…)

- CQFD n°229 (avril 2024) /
Texte intégral (2194 mots)

L'Université Jawaharlal Nehru de New Delhi a longtemps été réputée pour ses grèves étudiantes. Mais depuis décembre 2023, toute manifestation ou fresque politique est passible d'une lourde amende. Les ex-syndicalistes étudiants Anirban Bhattacharya et Banojyotsna Lahiri s'inquiètent de la destruction de cet espace de liberté dans une tribune publiée en décembre dernier.

Une affiche des syndicats étudiants communistes AISF (All India Students Fédération) et AISA (All India Students Association) défendant les « besoins du peuple » contre les « profits du capitalisme ».
Jean-Thomas Martelli

Quand nous étions étudiants à la Jawaharlal Nehru University (JNU), les grèves de la faim étaient récurrentes1. À chaque rentrée, les nouveaux étudiants étaient accueillis par des fêtes de bienvenue, mais l'union syndicale2 s'empressait d'organiser sa propre cérémonie d'accueil : une grève de la faim prolongée [installée sur des tapis à l'entrée du bâtiment de la direction, ndlr]. C'est par ce moyen que nous présentions nos revendications : critères d'admissions conformes aux objectifs sociaux, construction de résidences adaptées, accès aux soins facilités, rémunération décente des travailleurs sur le campus, etc. Alors que nous affrontions la faim, nous ne manquions pas de choses à faire : réfléchir à notre rapport de force face à l'administration, accueillir patiemment les multiples voix issues de la communauté étudiante, chanter des chants de lutte, confectionner des affiches colorées… sans pour autant délaisser nos tâches universitaires, entre les devoirs à rendre et les thèses à écrire.

Parfois, la grève était totalement victorieuse, parfois nous repartions complètement perdants de la table des négociations ! Mais cette manière d'assiéger l'esplanade du « Palace Rose » [L'ensemble des bâtiments du campus est construit en brique, lui donnant un aspect rose-rouge] était un exercice d'apprentissage crucial pour nous, en tant qu'étudiants mais aussi comme citoyens appliquant des principes démocratiques. Les nouveaux venus ne pouvaient donc pas commencer leur année scolaire sans être passés par nos rassemblements !

La direction au chevet des grévistes

Les étudiants trouvaient dans cette sorte de « cursus alternatif » une initiation à la pensée critique, l'assurance d'un collectif dévoué se battant avec acharnement pour les droits étudiants, ainsi qu'une vision solidaire de l'engagement, lorsque nous soutenions les professeurs et les employés d'entretien, qui organisaient leurs propres manifestations.

Même les membres de l'administration s'arrangeaient pour que les grévistes de la faim soient suivis régulièrement par des médecins. Ils gardaient un œil sur leur état d'affaiblissement et les faisaient hospitaliser si nécessaire. Ainsi, la direction reconnaissait que ces grèves étaient une forme légitime de militantisme. Elle était loin de criminaliser nos luttes.

Nous savions comme cela coûte (symboliquement) de se battre pour ses droits. Or, sous la férule du régime actuel, la direction de la fac a littéralement fixé un prix. Vingt mille roupies [environ 220 euros]. C'est le coût de l'amende inscrite dans le nouveau « Règlement sur la discipline et la bonne conduit des étudiants », qui criminalise tout notre répertoire politique : l'organisation de dharnas (sit-ins), la conduite de grèves de la faim, la tenue de toute forme de manifestations dans un rayon de 100 mètres autour de tout bâtiment universitaire (y compris celui de la direction). Tout contrevenant s'y voit menacé d'une amende pouvant monter à 20 000 roupies, mais aussi d'une expulsion temporaire ou définitive.

Nos murs lessivés

En 2016 et 2017, qui furent des années mouvementées [voir encadré], le Palace Rose avait été converti en ce que nous appelions la « Place de la Liberté » : une salle de classe géante en plein air où des milliers d'étudiants se réunissaient pour entendre des orateurs discourir sur la liberté, le nationalisme ou la démocratie. Ce même Palace Rose est complètement méconnaissable. Désormais entouré de grilles de fer, le parking où nous organisions les grèves de la faim ressemble à une prison. Ces dernières années, ces offensives contre ce qu'avait représenté le campus ont été incessantes : enquêtes de police contre des activistes étudiants ; falsification des quotas d'accès aux plus défavorisés ; violations des règles de recrutements aux postes enseignants ; refus du statut de membre aux syndicats étudiants dans les organes statutaires, et enfin, cerise sur le gâteau : l'interdiction des élections annuelles syndicales étudiantes [voir encadré].

« Vandalisme », c'est ainsi que l'administration nomme désormais nos murs saturés de peintures et de textes politiques – un geste lui aussi réprimé de la même amende. Or, les murs de la JNU ont toujours constitué un espace de dialogue, de respiration, de sensibilité. Ils racontaient des milliers d'histoires d'émancipation, par le pinceau et la peinture. Alors que dans nombre de structures éducatives, les murs sont aseptisés, concédant parfois quelques espaces dédiés aux affiches, ici les murs étaient libres. Des luttes des montagnes Niyamgiri à celles de la Palestine, des droits des travailleurs à l'émancipation des femmes, de Marx à Ambedkar, de Savitribai Phule à Rosa Luxemburg, nos sources d'inspiration couvraient les murs. La droite et l'extrême droite s'adonnaient d'ailleurs au même exercice, couvrant les briques de drapeaux nationalistes !

Ce sont les manifestations, les grèves de la faim, les couleurs sur les murs et les nombreuses voix dissidentes qui nous aident à ne pas devenir ces personnages qui « attendent avec patience et obéissance le maître du spectacle, pour être agités dans un mimétisme de la vie », selon les mots du poète Tagore.

Par Anirban Bhattacharya et Banojyotsna Lahiri
Fachos hors de nos facs

L'université publique JNU est fondée en 1969, avec une mission radicale énoncée par son premier vice-chancelier : créer un centre universitaire interdisciplinaire destiné à résoudre les problèmes intrinsèques de la société indienne, tels que la pauvreté, le développement et la division sociale. Très tôt bastion de la pensée marxiste, professeur·es et étudiant·es y discutent théories révolutionnaires et planification sociale – les penseurs français Sartre, Foucault ou Althusser y ont une belle place.

Dès les années 1970, la JNU fait partie de ces espaces politisés où l'on pense les questions sociales en même temps qu'on vit et qu'on dort ensemble. C'est grâce aux mobilisations étudiantes au cours des décennies suivantes, que les objectifs sociaux de l'université ont été tenus : augmentation du nombre d'inscrit·es, parité régionale dans l'attribution des places, discrimination positive pour les candidat·es issu·es de « castes répertoriées » et « tribus répertoriées » – catégories défavorisées de la société. Ainsi, 40 % d'étudiant·es sont issus de familles à faible et moyen revenu.

Depuis l'arrivée au pouvoir du BJP*, de nombreuses attaques contre cette institution ont eu lieu. En 2016, les étudiant·es de JNU ont été présenté·es comme d'antinationaux séditieux ; le président de l'union syndicale et d'autres personnes dont Umar Khalidont été arrêtés pour des motifs fallacieux3. La communauté étudiante et enseignante est écartée des consultations sur la gouvernance de l'université. L'admission des candidats issus de groupes défavorisés est rendue plus difficile par de nouvelles règles d'admission et une augmentation des frais d'hébergement dans les foyers.

Outre cette dégradation des droits, des attaques de groupes fascistes ont régulièrement lieu : la plus spectaculaire est celle du 5 janvier 2020, quand une centaine de militants d'extrême droite, cagoulés, déboulent sur le campus et font 34 blessé·es4. Le 1er mars 2024, des étudiant·es d'extrême droite ont mené une nouvelle attaque avec des bâtons de bois et des barres de fer contre une réunion des syndicats de gauche. Aux élections syndicales de mars 2024, c'est la joie sur le campus. Le syndicat d'extrême droite ressort grand perdant : il n'a obtenu aucun des quatre postes qui constituent l'union syndicale.

Par Camille Auvray

(1)

(2)

(3)

Sur les murs des bâtiments du campus, la gauche et la droite s'affrontent en couleurs. D'un côté, les syndicats étudiants communistes AISF (All India Students Fédération) et AISA (All India Students Association) défendent les « besoins du peuple » contre les « profits du capitalisme » [en haut de la page web], la complaisance des médias vis-à-vis du régime (1) ou encore le pillage des ressources et le vol de la dignité du peuple par les 1 % les plus riches (2). De l'autre, le syndicat étudiant ­d'extrême droite ABVP (Akhil Bharatiya Vidyarthi Parishad) écrit « L'Inde d'abord » sur fond d'affiche de cinéma (3).Photos : Jean-Thomas Martelli.

1 L'article original est consultable en ligne : « In JNU today, the price for free speech is Rs 20,000 », The Indian Express, 14/12/2023.

2 L'union syndicale est élue chaque année par l'ensemble des étudiant·es. Elle se compose de 4 représentant·es, issu·es de différents syndicats, pouvant aller de l'extrême gauche à l'extrême droite. Les grèves de la faim sont néanmoins menées par les représentant·es gauchistes.

3 Pour en savoir plus sur ce lieu et les révoltes de 2016-2017, lire « Révolte étudiante à New Delhi », sur le site Les blogs du Monde diplomatique , 17/04/2016.

4 Pour plus d'infos sur les attaques et révoltes étudiantes, à JNU et sur d'autres campus, voir le très beau film Toute une nuit sans savoir (2021).

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