LePartisan.info À propos Podcasts Fil web Écologie Blogs REVUES Médias
Souscrire à ce flux
Site d’analyse et d’opinion collectif, internationaliste, antifasciste, féministe et résolument contre l’antisémitisme et l’islamophobie.

▸ les 10 dernières parutions

07.05.2025 à 12:49

Alger 1957: racines françaises de la guerre contre le terrorisme, entretien avec Fabrice Riceputi

Kurteas

Nadia Meziane pour Lignes de Crètes : Bonsoir Fabrice, merci de nous accorder cet entretien. On va peut-être commencer par ta présentation, que tu nous racontes, peut-être, comment tu as choisi ce sujet précis qu’est la guerre d’Algérie, ce qui peut paraître évident à des jeunes étudiants aujourd’hui avec les études décoloniales et toute cette profusion de travaux qu’on peut avoir en Europe, mais aussi ailleurs, sur le sujet mais qui ne l’était pas forcément il y a encore quelques temps. Fabrice Riceputi : Alors c’est une question qu’on me pose souvent mais à laquelle j’ai un peu de mal à répondre simplement. Alors d’abord, moi, je ne suis pas un universitaire : j’ai fait pas mal de choses avant de me remettre à la recherche historique. J’ai été prof dans le second degré ; j’ai été militant syndicaliste et puis il se trouve que j’ai été l’étudiant de Pierre Vidal-Naquet qui est l’historien français qui a vraiment fait un énorme travail sur la guerre d’Algérie. Je n’ai pas pu poursuivre la recherche à ses côtés en particulier, je suis devenu prof parce qu’il fallait manger et  je me suis remis sur le tard à tout ça , il y a une grosse dizaine d’années par le fait d’un certain nombre de rencontres, un peu de hasard, mais aussi parce qu’en tant que militant antiraciste et historien j’ai toujours bien perçu la connexion entre la problématique de l’histoire coloniale et l’héritage du racisme aujourd’hui. Je me suis plongé d’abord dans cette histoire de…
Texte intégral (11379 mots)

Nadia Meziane pour Lignes de Crètes : Bonsoir Fabrice, merci de nous accorder cet entretien. On va peut-être commencer par ta présentation, que tu nous racontes, peut-être, comment tu as choisi ce sujet précis qu’est la guerre d’Algérie, ce qui peut paraître évident à des jeunes étudiants aujourd’hui avec les études décoloniales et toute cette profusion de travaux qu’on peut avoir en Europe, mais aussi ailleurs, sur le sujet mais qui ne l’était pas forcément il y a encore quelques temps.

Fabrice Riceputi : Alors c’est une question qu’on me pose souvent mais à laquelle j’ai un peu de mal à répondre simplement. Alors d’abord, moi, je ne suis pas un universitaire : j’ai fait pas mal de choses avant de me remettre à la recherche historique. J’ai été prof dans le second degré ; j’ai été militant syndicaliste et puis il se trouve que j’ai été l’étudiant de Pierre Vidal-Naquet qui est l’historien français qui a vraiment fait un énorme travail sur la guerre d’Algérie. Je n’ai pas pu poursuivre la recherche à ses côtés en particulier, je suis devenu prof parce qu’il fallait manger et  je me suis remis sur le tard à tout ça , il y a une grosse dizaine d’années par le fait d’un certain nombre de rencontres, un peu de hasard, mais aussi parce qu’en tant que militant antiraciste et historien j’ai toujours bien perçu la connexion entre la problématique de l’histoire coloniale et l’héritage du racisme aujourd’hui. Je me suis plongé d’abord dans cette histoire de retour à la mémoire du 17 octobre 61 par un biais un peu particulier, dont je parlerai peut-être tout à l’heure, et puis voilà, c’est parti comme ça et il se trouve que je participe aussi à une équipe qui anime un site internet qui s’appelle histoirecoloniale.net qui connait un regain de connexion là depuis l’affaire « Aphatie », c’est assez extraordinaire, et puis  aussi j’ai fait une découverte d’archives dont je ne m’attendais pas à ce qu’elle produise autant d’effets, en 2018, à propos de ce qu’on appelle « les disparus de la bataille d’Alger » qui a donné une naissance à un projet qui prend pas mal d’ampleur, qui fait que je vais faire des missions en Algérie et justement je rentre d’une de ces missions de d’enquête.

NM : Justement, entrons dans le cœur de l’actualité, avec cette affaire, finalement assez étrange si on les voyait avec les lunettes d’il y a encore quelques années, qui est : un chroniqueur disons plutôt centriste, enfin, qui n’a rien d’extraordinairement gauchiste ou décolonial ou islamiste et qui compare, ce qui peut apparaître aussi comme une banalité, ce qu’il s’est passé en Algérie, et notamment la destruction et le massacre de villages par dizaines, à ce qu’il s’est passé à Oradour sur Glane, c’est-à-dire une opération punitive, mais faite par les nazis. Alors, que la comparaison fasse polémique, tu nous diras ce que tu en penses, mais il se passe cette chose qui rappelle d’autres décennies : immédiatement se pose la question de la censure. Je voulais savoir ce que toi t’a inspiré cette affaire, au regard de la manière dont on parle et dont on traite l’histoire de la guerre d’Algérie en France depuis le début.

FR : Oui alors il se trouve que j’ai découvert moi cette polémique autour des propos d’Aphatie en rentrant précisément d’une enquête sur un massacre qu’a commis l’armée française en 1956, dans trois villages de Kabylie. J’étais parti avec une journaliste belge et algérienne qui s’appelle Safia Kessas pour interroger des témoins sur un massacre prémédité : les militaires avaient une liste de gens à assassiner en représailles collectives, parce que les villageois étaient soupçonnés d’aider, de soutenir ou de ne pas dénoncer les maquisards de l’ALN qui étaient très nombreux à ce moment-là dans ces montagnes de Kabylie. Et donc, à peine rentré d’avoir baigné dans cette histoire, je découvre que de dire que la France a commis des crimes comparables à ceux d’Oradour sur Glane en Algérie faisait scandale chez certains. Alors bon, pour un historien, cette comparaison elle est, enfin en tout cas pour moi, elle est absolument fondée, évidemment, et ce qui est le plus remarquable, bien sûr, ce sont les réactions d’indignation, plus ou moins sincères, qui sont peut-être encore plus graves si elles sont sincères puisqu’elles dénotent d’une ignorance et un mépris pour cette histoire qu’on ne découvre pas aujourd’hui, en tout cas pas moi, mais qui éclate au grand jour. Et puis là, je viens d’apprendre qu’un film, auquel un ami historien a participé, qui révèle vraiment au grand public un autre crime de guerre de l’armée française en Algérie, qui est l’utilisation de gaz toxiques, comparables à ceux qu’on utilisait dans les tranchées pendant la Première Guerre mondiale, ont été utilisé à très grande échelle, de 1959 à 1962, à des milliers de reprises, pour asphyxier des maquisards et aussi des civils, des villageois qui s’étaient réfugiés dans les très nombreuses grottes qu’on trouve, par exemple, en en Kabylie ou dans les Aurès et que ce film, qui était programmé pour le 16 mars à venir par France 5, on a appris aujourd’hui qu’il était déprogrammé. C’est aussi assez amusant, pour un historien, alors que le film est déjà passé en Suisse, puisqu’il était aussi coproduit par la télé Suisse, ce qui rappelle l’époque où un éditeur de Lausanne, Nils Andersson, éditait les livres interdits en France aux éditions de Minuit. Il se trouve que la justification de France Télévision est qu’ils remanient leur soirée pour parler de l’Ukraine. Admettons. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de date de reprogrammation, ce qui est quand même assez problématique. Il y a tout un contexte. Alors, effectivement, je pense que aujourd’hui, on est à l’apogée -c’est ce que ce que ce que nous dit cette flambée médiatique autour d’Apathie – d’une régression sur cette question qui a commencé au début des années 2000, et qui s’est en particulier installée avec Sarkozy, avec l’invention du concept de repentance pour bloquer un mouvement pour une exigence de vérité, de faire jour dans les années 80 et 90 en France autour notamment de l’histoire du 17 octobre 61 du massacre des manifestants algériens et de la torture. Et on voit bien qu’aujourd’hui, avec l’extrême-droitisation, la montée du racisme et de l’islamophobie, on est moins capable qu’à l’époque d’avancer sur ces questions. Voilà, je ne vais pas faire un long tunnel là-dessus, je pourrais en parler longtemps.

NM :  Justement on va peut-être revenir sur le début, parce que je crois qu’il y a une idée toute faite, mais qui traverse beaucoup de générations quand on découvre notre histoire, ou quand  des gens la découvrent, c’est qu’on a l’impression que c’est la première fois que la vérité éclate au grand jour au sujet de la torture de de Jean-Marie Le Pen (puisque c’est le sujet de ton livre) alors qu’en fait, cette histoire-là, elle est, comme tu le montres dans ton ouvrage, affaire d’amnésie provoquée, puis de retour de la mémoire, puis de nouvelles amnésies provoquées. J’aimerais bien qu’on revienne finalement sur le début, c’est-à-dire pendant et juste après la guerre d’Algérie, comment un jeune militaire d’extrême-droite, Jean-Marie Le Pen,  ne va pas forcément cacher qu’il a torturé, va appeler ça d’une manière ou d’une autre, et va le décrire et comment, finalement, il va finir par lui-même attaquer des gens qui reprennent ses propres propos. Et au-delà de Jean-Marie Le Pen, quelle est l’ambiance à la fin de la guerre d’Algérie, donc, quand l’Algérie obtient son indépendance et puis dans les années qui suivent.

FR : oui alors Jean-Marie Le Pen. Il a torturé durant les trois premiers mois de 1957 à Alger et il faut bien répéter et insister sur le fait qu’il n’est qu’un tortionnaire parmi beaucoup d’autres et qu’il est même un petit tortionnaire puisqu’il est resté 2 mois et demi, qu’il a pas joué un rôle important dans la guerre, dans le déroulement de ce qu’on appelle la bataille d’Alger, mais il est déjà député du 5e arrondissement de Paris dans le mouvement poujadiste. Il est farouchement anticommuniste, colonialiste, nationaliste et avec d’autres de ses copains du même acabit, il s’est déjà engagé auparavant dans une autre guerre coloniale en Indochine, qui, comme on le sait, a été perdue sèchement par la France et en fin 56, il décide de remettre ça, en allant faire cet espèce de tourisme sous l’uniforme,  qui consiste à aller s’engager, signer un contrat de 6 mois, avec un régiment d’élite comme on qualifiait le premier régiment étranger parachutiste.Et alors il se trouve qu’il arrive, probablement par hasard, quelques jours avant que le gouvernement socialiste de l’époque, et le gouvernement de Guy Mollet, ne donne tous les pouvoirs à l’armée, parce que l’armée lui a promis cette chose folle d’arriver à éradiquer complètement le nationalisme dans la ville vitrine de l’Algérie française et que ce pouvoir socialiste est prêt à abandonner tout contrôle légal sur les activités de l’armée. Donc on donne ce qu’on appelle les pouvoirs de police au général Massu et Le Pen se trouve, après quelques jours de présence en Algérie, impliqué dans ce que les historiens préfèrent appeler, plutôt que bataille d’Alger, la grande répression d’Alger. Et là, il y a des témoignages nombreux et très circonstanciés qui le disent, et pas seulement des témoignages d’algériens, il torture, donc, en utilisant une des méthodes qui sont déjà normées dans l’armée française, essentiellement la torture à l’électricité et à l’eau. Il torture pour avoir l’adresse de quelqu’un, pour savoir où se trouve untel, il torture même à domicile. Je ne rentre pas dans le détail des témoignages tout de suite, mais voilà. Et dès son retour en France, il fait constamment l’apologie de la torture comme on la faisait fréquemment à cette époque-là, en expliquant que c’était le seul moyen. C’est tout le scénario de la bombe à retardement, c’est une fable qu’on a inventé pour justifier la première guerre contre le terrorisme, finalement, c’est-à-dire que torturer, ce n’était pas bien, mais c’était indispensable pour éviter que des bombes prêtes à exploser ne le fassent, ce qui ne s’est jamais produit en réalité, ils n’ont jamais été capable de citer le moindre exemple où ça s’est produit. Bref, la torture, en réalité, c’est un élément dans tout un système de terreur, qui est basé d’ailleurs d’abord sur la disparition forcée : on enlève les gens. Le droit qu’ont obtenu les militaires du gouvernement français c’est de déclarer suspects des gens, de les enlever, de les interroger sans témoin dans des lieux qui ne sont même pas déclarés comme des centres d’interrogatoire, et d’en faire ce qu’ils veulent, y compris, donc, les torturer, y compris pratiquer les exécutions sommaires, parce qu’ils estiment qu’ils doivent faire ce qu’ils appellent « une justice parallèle » parce que la justice, qui condamne pourtant à tour de bras à mort à ce moment-là, à leurs yeux, n’est pas assez féroce. Voilà, alors, il fait cette apologie en maintenant l’ambiguïté sur sa participation personnelle, parce que à ce moment-là, il faut savoir que selon la loi française, la torture, même si elle est couverte par le gouvernement, reste un crime et que rien ne dit qu’un jour, le pouvoir politique pouvant changer, ces militaires qui ont participé à cette terreur ne soient pas devant un tribunal. Alors ça ne se produira pas, puisque de Gaulle va voter l’amnistie. On en reparlera mais c’est une fois l’amnistie votée en 62 qu’il déclare au journal Combat, en juin 62 me semble-t-il ou quelques semaines après l’amnistie, qu’il a lui-même torturé. Il l’a avoué, il l’a même revendiqué. D’ailleurs, la première accusation portée contre lui vient du FLN. Elle vient d’une publication clandestine qui s’appelait Résistance algérienne, dès la fin de 57 ou l’été 57. Le FLN a bien enregistré que ce type-là était député et elle publie un premier article dans Résistance algérienne où elle décrit des tortures abominables subies par un Algérien, dont le nom m’échappe à l’instant, mais dans la villa où Le Pen cantonnait à Alger : la Villa des Roses à El Biar et c’est ce texte qui est repris à Lausanne par l’éditeur dont je parlais tout à l’heure, Nils Andersson, dans un bouquin qui s’appelle « La Pacification ». Voilà donc les premiers écrits arrivent vite. Et puis, parmi les autres documents accablants, on trouve en 62 Pierre Vidal-Naquet, notamment, le comité Odin publie une des plaintes, un rapport de police du commissaire principal d’Alger qui a enregistré, chose peu commune, des plaintes d’Algériens contre Jean-Marie Le Pen. Il y en a deux : il y en a un qui a été torturé parce qu’il refusait d’ouvrir le bar de l’hôtel Albert 1er à Alger à 3h du matin, il l’a emmené à la villa Susini pour le torturer et l’autre qui était censé lui donner une information qu’il ne lui a pas donné. Alors ça, c’est ce qu’on a en 62. Et à ce moment-là, Jean-Marie Le Pen, c’est personne. Il est encore un peu député de temps en temps, mais c’est pas du tout le personnage qu’il va devenir à partir des années 80. Et puis, en France, tout est fait pour qu’on ne parle plus de la guerre d’indépendance algérienne, avec, notamment, cette amnistie qui interdit à la justice française de revenir sur quelque crime ou délit commis par un agent de l’État français en relation avec ce qu’on appelait « les événements d’Algérie ». Donc, ça c’est un facteur d’oubli actif particulièrement fort, puisque les procès de ce type, par exemple quand il concerne le procès Papon, le procès Touvier etc… ont été des vecteurs d’information énormes dans l’opinion, ça ne se produira quasiment jamais à propos de l’Algérie, du fait de cette amnistie. Puis, deuxième verrou qu’on impose très vite, c’est qu’on rend les archives, notamment de l’armée, mais pas seulement de l’armée, à peu près incommunicables aux citoyens et aux chercheurs pendant très longtemps. Et puis, il y a une volonté, un consensus, dans tous les principaux partis politiques français, pas seulement à l’extrême-droite, sur ces temps-ci chez les gaullistes, pour ne plus revenir sur cette affaire dans laquelle ils ont tous trempé à des titres divers, mais ils ont tous trempé et aucun n’a intérêt à ce qu’on revienne là-dessus. Et alors, pour faire le pont avec ce que je disais tout à l’heure, c’est dans les années 80, les premiers mouvements antiracistes autonomes, au moment de la Marche pour l’Egalité contre le racisme, qu’il y a des retours à la mémoire, comme ça, de la sale guerre, à part à propos du 17 octobre 61, puis après pour la torture. Mais pour ce qui concerne Le Pen, ça commence à peu près en même temps, c’est quand même assez troublant c’est-à-dire que c’est quand il est candidat aux européennes en 84 que des journalistes de gauche Français, inquiets de la montée du Front National, se mettent à aller fouiller son passé. C’est la rançon de sa gloire. Pour les autres tortionnaires, ils sont tous morts dans leur lit sans avoir jamais eu aucun problème. On a rarement rappelé leurs crimes parce qu’ils ne sont pas devenus Jean-Marie Le Pen. Mais Jean-Marie Le Pen, lui, il prétend aux plus hautes fonctions et donc, on va à Alger et on rencontre sans peine des gens qu’on aurait pu rencontrer bien avant, qui ont été souvent les victimes directes de Le Pen, ou des témoins, et ça commence à sortir dans la presse dans le Canard Enchaîné, dans Libération… Et là, Le Pen se met à attaquer systématiquement en diffamation avec la quasi-certitude de gagner. Alors ça paraît incroyable, mais il faut savoir que les faits étant amnistiés. Là il sait que la justice n’aura jamais à se prononcer sur les faits dont il est question, ce qu’on va juger, c’est la bonne foi, la modération, le sérieux de ceux qui l’accusent. Alors, c’est très ambigu, ça ne veut pas dire grand-chose, mais c’est comme ça. Et de fait, il gagne ses premiers procès en grand nombre, contre toutes sortes de médias, de personnalités, jusqu’à la fin des années 90. Pendant cette période-là, la justice entend, reçoit ses arguties sur le fait que ce dont on parle, ce n’est pas vraiment de la torture, ce sont des interrogatoires un peu brusques, un peu forcés, un peu durs, mais ça ne mérite pas le nom de torture. Alors ça, la justice va arrêter de l’entendre à la fin des années 90 et il va perdre sèchement trois procès en diffamation contre Pierre Vidal-Naquet, justement, l’autre contre Michel Rocard et le 3è contre le journal Le Monde qui est à ce moment-là, avec Florence Beaugé, en pleine campagne d’enquête sur le phénomène de la torture.

NM : moi je voudrais revenir sur un petit point. Tu as parlé de première guerre contre le terrorisme et c’est un sujet qui est assez rarement évoqué en France, celui de Guantanamo. Est-ce que tu penses qu’il y a, malgré tout, une filiation française dans l’inspiration qu’il va y avoir plus tard aux États-Unis, par rapport, notamment, à ce qu’il s’est passé en Afghanistan. Est-ce que tu penses que dans la construction de la légitimation de la torture et de ses méthodes, la France a pu jouer un rôle auprès d’autres puissances plus grandes qu’elle ?

FR : elle en a joué un qui est même très bien documenté, puisque si on lit, par exemple, le bouquin de Marie-Monique Robin qui s’appelle « Escadron de la mort, l’école française », on découvre que nombre des officiers qui étaient autour du général Massu, qui étaient des officiers idéologues qui avaient conçu ce qu’ils appelaient la doctrine de la guerre révolutionnaire – comprendre contre insurrectionnelle- sont allés physiquement donner des cours pour enseigner la méthode, d’abord dans les dictatures d’Amérique latine, en Argentine, au Brésil, à Fort Bragg aux États-Unis, auprès de l’armée américaine et qu’ensuite la légende parachutiste de la bataille d’Alger a essaimé dans le monde entier, alors par des vecteurs assez étonnants, par exemple : il y a un type qui écrivait des romans de gare à la gloire des parachutistes, dont un qui s’appelle « les Centurions » qui s’appelait Jean Lartéguy, qui était lui-même un ancien parachutiste. Ces romans-là ont été vendus par millions, ils ont été traduits dans toutes les langues ils étaient même la bible, il y a un chercheur qui s’appelle Jérémy Rubenstein qui l’a établi, ce bouquin et d’autres romans du même genre, qui mettent en scène bizarre sous un pseudo etc… sont devenues les bibles des militaires argentins par exemple. Et puis, le scénario de la bombe à retardement, cette fable perverse de justification de la torture, on la retrouve exactement dans les débats autour de la torture à Abou-Ghraib ou à Guantanamo.  Voilà, c’est bien une matrice. Alors, est-ce que c’est une invention française, il faudrait étendre les recherches là-dessus, mais, en tout cas, sans aucun doute c’est une matrice d’un phénomène mondial de la justification de la torture dans la « guerre contre le terrorisme » qui a fait la fortune qu’on sait.

NM : alors on va revenir sur Jean-Marie Le Pen, et justement, sur le débat français et le débat international au temps de la victoire de toutes les extrêmes-droites, je me souviens parfaitement, bien que j’aie été jeune, du scandale qu’ont pu être ce qui n’était pas des révélations, mais, ce moment où on apprend quand même des choses très précises sur le rôle physique qu’a joué un dirigeant d’extrême-droite. Quel a été ton sentiment quand Jean-Marie Le Pen est mort et qu’on ne peut pas dire que le débat ait eu lieu dans les mêmes termes, ni même que cette question-là ait été finalement très contredite ou abordée, quand il y a eu des hommages qui venaient d’un peu partout, finalement.

FR : oui c’est même un aspect des choses qui a été très souvent complètement occulté. Alors ça, c’est le résultat de de 20 années de « lepénisation » généralisée en France, que certains appellent la dédiabolisation du FN devenu RN, mais en réalité, moi, je parle de lepénisation, qui est tellement étendue qu’elle en a produit, par exemple, ce qui m’a poussé à écrire ce bouquin. Je connais pas ton âge, mais moi, je suis de la génération qui a lu et connu les révélations dans la presse dans les années 80, dans les années 2000. Et pour moi, jusqu’à ce que j’entende une émission de France-Inter produite par Philippe Collin sur Le Pen, l’idée de passer du temps à travailler sur le Pen et la torture ne serait jamais venue. Or, on a pu entendre dans une émission à très grande audience que Jean-Marie Le Pen n’avait sans doute pas torturé en Algérie dans la bouche de Philippe Collin, qui, ensuite, malgré le mea-culpa de Benjamin Stora qui avait fait une erreur factuelle à l’origine de ça, a continué à s’empêtrer là-dedans en disant “Ah mais on n’a pas de preuve.”. C’est-à-dire, « on n’a pas de preuve », ça veut dire les témoignages des Algériens, à la poubelle, c’est exactement ça que ça veut dire. Alors non, on n’a pas effectivement de film montrant Jean-Marie Le Pen en train de d’actionner la gégène, c’est peut-être la seule preuve qui lui suffirait. D’ailleurs, pour continuer sur Philippe Collin, il a fini par corriger correctement son podcast, par dire que Le Pen avait torturé mais pas du tout en prenant en compte mes modestes travaux ou bien les témoignages des Algériens, mais par le fait que Le Pen a déclaré au Monde en 2019 (on ne l’a appris qu’après sa mort), il a nouveau dit “J’ai torturé”. C’est donc c’est la parole de Le Pen qui a paru suffisante et nécessaire à Philippe Collin pour finir, au bout de 3 ans, par, dans la 3è correction de son podcast, dire qu’il avait torturé. C’est très révélateur d’une difficulté extrême, qui est loin d’être seulement celle de Philippe Collin, de prendre au sérieux la parole des Algériens dans l’histoire de la guerre d’indépendance ou de la colonisation. C’est toujours aujourd’hui quelque chose considéré comme une sorte d’intelligence avec l’ennemi pour certains, alors que, quand on fait l’histoire d’autres crimes qui ont été niés, dissimulés par des États on a recours toujours aux témoignages des victimes pour reconstituer les faits, parce que dans les archives de ces états, par définition, on ne trouve quasiment rien. Donc, quand on fait l’histoire du génocide des Arméniens, pour prendre un exemple, on n’a pas beaucoup de choses dans les archives turques. En revanche, on a des récits qui ont permis aux historiens de reconstituer les faits. Quand il s’agit de l’Algérie, la parole algérienne est, chez beaucoup, disqualifiée à priori comme étant affabulation, propagande etc… Bon, et ça c’est quelque chose qui me tient particulièrement à cœur, moi je travaille avec Malika Rahal à un projet donc qu’on appelle « 1000 autres » sur les disparus, qui a un site internet https://1000autres.org/ qui consiste, justement, à lancer un appel à témoignage de gens, pour qu’ils nous disent ce que sont devenus un certain nombre de personnes, de leur famille, dont on a trouvé la preuve dans les archives qu’ils ont été enlevés par l’armée française. Et là, on s’aperçoit, alors c’est tard, on aurait dû faire ce travail bien avant, malheureusement, y compris chez les historiens ça n’a pas été fait pendant très longtemps, que d’aller recueillir la parole des gens, je ne parle pas de la parole officielle gouvernementale, qui peut être effectivement propagandiste. Quand on va en Algérie, dans toutes les maisons on entend des récits de gens qui ont vécu, beaucoup sont encore vivants, mais pas tous, voilà il commence à être tard, donc c’est ça faire l’histoire du temps présent, c’est aller voir les gens qui ont vécu des événements quand ils sont encore vivants.  Bref, à propos de Le Pen quand j’ai entendu ça, je me suis dit « Mais bon sang ! Voilà le résultat final de la lepénisation », on en vient à effacer des choses qui étaient considérées, entre autres, par Pierre Vidal-Naquet, qui n’est pas n’importe qui, qui passait son temps à dire ce serait diffamer Jean-Marie Le Pen que de ne pas le traiter de tortionnaire. En dehors de la fachosphère, il n’y avait plus grand monde qui niait ces choses-là. Il y a une époque, et on revient toujours au thème de la régression. Aujourd’hui, il a fallu batailler. Et mon bouquin dans lequel je réunis quand même pour la première fois l’ensemble du dossier, jusque-là il y avait des choses éparses dans les archives de la presse, dans les archives tout court, c’est la première fois que tout ça est rassemblé et contextualisé, parce que je connais bien les événements d’Alger en 57. Il a eu un écho, j’aurais pu faire d’avance la liste des médias qui allaient en parler, c’est toujours les mêmes, c’est en général ceux qui, quand ils existaient, condamnaient déjà la torture pendant la guerre d’indépendance, ça n’a guère changé, à part quelques petites surprises.

NM : oui j’ai été assez marquée par ce silence, alors que Jean-Marie Le Pen est quand même une personnalité médiatique et politique qui fascine toutes les générations, même celles qui n’ont pas connu sa triste et grande heure de gloire, ça s’inscrit dans le contexte de nos années. J’aimerais bien qu’on revienne à un contexte différent mais une période, justement, de croisement des mémoires, c’est-à-dire à la fois plein de choses qui explosent, par rapport à la mémoire de la Shoah et du rôle joué par la France dans l’extermination des Juifs d’Europe et puis en même temps, la mémoire du 17 octobre qui revient, et au milieu de tout ça, des grands procès et notamment le procès Papon, dont beaucoup de gens ne savent pas pourquoi il va être, justement à cause de l’amnistie, une des occasions où, enfin, le sujet du massacre du 17 octobre va pouvoir être évoqué, à côté de ce que le préfet a fait pendant la Seconde Guerre mondiale. Donc, si tu peux revenir sur ce moment où les mémoires se croisent assez naturellement, finalement, sans provoquer les polémiques qu’elles provoquent immédiatement aujourd’hui…

FR : oui en effet j’ai écrit un petit peu là-dessus dans « Ici on noya les Algériens ». Alors le procès Papon est un moment tout à fait extraordinaire, de ce point de vue-là, puisque on a un type qui est jugé pour sa complicité  dans la déportation de 1600 et quelques juifs de Gironde à Drancy, puis à Auschwitz, pas du tout pour des histoires d’Algérie alors qu’il a été donc préfet de police, enfin « préfet iam » comme on disait, c’est-à-dire super préfet de la région de Constantine en Algérie, puis préfet de police de Paris pendant la guerre d’Algérie également. E là, l’Algérie fait irruption littéralement dans ce procès, puisqu’on voit arriver à la barre, au moment où le tribunal étudie ce qu’on appelle le curriculum vitae de l’accusé, donc sa vie, sa carrière, un type qui s’appelle Jean-Luc Einaudi qui est éducateur à la PJJ de son métier, mais qui a écrit, quelques années auparavant, un livre dans lequel il a, pour la première fois, reconstitué le massacre des manifestants et manifestantes algériens et algériennes à Paris le 17 octobre 1961 et les jours suivants. Et alors qu’est-ce qu’il fait là Jean-Luc Einaudi ? Il est là, c’est très intéressant, parce qu’une partie civile juive, qui s’appelait Levinski me semble-t-il, excusez-moi j’ai un trou, et puis l’avocat du MRAP, dont j’ai oublié le nom également, sont allés le voir en lui disant : voilà, les Algériens ne doivent pas être oubliés dans la carrière de Papon, il faut que les deux faces de Papon soient réunies, même s’il ne pourra pas être condamné pour ce qu’il a fait, du fait de l’amnistie, notamment en Algérie ou à Paris. Il faut absolument que les Algériens ne soient pas oubliés, donc on a une déposition qui est le premier événement du procès Papon (je rappelle que c’est un procès qui est en mondovision, c’est un procès vraiment avec un écho considérable), qui, pendant 2 heures, raconte les massacres du 17 octobre 61 à Paris. Ca a un effet de « savoir » puisque Jean-Luc Einaudi dépose le 16 octobre 1997 à la cour d’assise de Bordeaux et c’est donc la veille du 17 octobre et le 17 octobre, tous les médias en font des tartines sur ce crime oublié, occulté etc… C’est donc comme ça que c’est vraiment parti dans l’opinion (publique). Il y a donc, effectivement, un lien très fort. Ce n’est pas moi qui l’ai dit le premier, ça. Par exemple, le discours de Chirac sur la complicité de Vichy dans la Shoah, cette chose qui a mis si longtemps à être avouable, le discours de 95 de Chirac a un effet de stimulation sur d’autres exigences de vérité sur l’histoire de France, et notamment sur celle-là (le 17 octobre 1961). Dans les années 80 et 90, ce sont vraiment des années où on voit émerger, dans certains secteurs de la société française, et aussi et en particulier dans la jeunesse immigrée ou d’origine immigrée, mais au-delà également, dans les mouvements antiracistes, on voit pointer une exigence de vérité sur la guerre coloniale d’Algérie. Et puis il y a un deuxième moment, juste après, c’est le début des années 2000, avec le travail considérable que fait le Monde, dont à ce moment-là c’est Edwy Plenel le directeur de la rédaction, avec la journaliste Florence Beaugé, qui publie une série où elle va enquêter pendant 5 ans sur cette affaire de torture. Elle va multiplier les enquêtes, les scoops, et en allant, elle aussi, faire le travail d’aller voir les témoins en Algérie, et ça c’est très important. J’indique d’ailleurs que son livre formidable, qui s’appelle « Algérie, une guerre sans gloire » reparaît, puisqu’il était épuisé et que son éditeur refusait de le rééditer, au Passager clandestin, avec une préface de Malika Rahal et de moi-même. Alors, l’analyse que je fais, c’est qu’ensuite il y a un backlash, c’est-à-dire que le fond nationaliste, qu’il soit d’extrême-droite, de droite ou même de gauche, avec Chevènement par exemple à l’époque, provoque un retour de bâton et tente de refermer toutes les portes. Et c’est le moment où des essayistes d’extrême-droite inventent le concept de repentance, qui est censé stigmatiser toute tentative d’histoire critique de l’histoire de France, pas seulement de l’histoire coloniale. Il ne faut pas faire de repentance et ça devient une doctrine d’État. Sarkozy en fait une doctrine d’État. Et, aujourd’hui encore, quand on lit les communiqués de Macron, qui a pris un certain nombre d’initiatives mémorielles relatives à l’Algérie, ça commence toujours par « nous n’allons pas faire de repentance » et donc avec ça, on détourne complètement la problématique, parce que, en réalité, personne en Algérie ou en France ne demande de repentance. Ce qu’on demande simplement, c’est que la France reconnaisse enfin la vérité, pas seulement de la torture, ou de telle ou telle chose, mais la vérité du colonialisme, ce qu’elle n’a toujours pas fait et qu’elle semble moins capable de faire aujourd’hui que jamais – voir la polémique « Aphatie ». C’est très simple en réalité : par exemple, récemment, Macron, comme pour s’excuser de son rapprochement avec le Maroc sur le Sahara occidental, a pris une initiative concernant le grand chef du FLN Larbi Ben M’hidi. Quand on lit son communiqué avec attention, il reconnaît quelque chose que tout le monde sait, que Paul Aussaresses a avoué depuis longtemps, c’est à dire que c’est lui qui l’a pendu et qu’il ne s’est pas suicidé, comme on l’a prétendu, alors d’une part, c’est le seul coupable, c’est le méchant Paul Aussaresses, qui est effectivement très méchant, qui a avoué des crimes, qui a été condamné pour apologie de ces crimes et non pas pour les avoir commis, du fait de l’amnistie, on lit « que Ben M’hidi ait été coupable ou innocent nous reconnaissons qu’il a été assassiné ». Qu’il a été coupable ou innocent, ça veut dire qu’on ne sait toujours pas dire si oui ou non, quelque chose de vraiment très simple oui ou non, ceux qui se sont battus pour se libérer de la colonisation étaient dans leur droit ou pas. C’est quand même quelque chose d’assez évident. Et bien, ça, c’est toujours quelque chose d’impossible à dire, et, je répète, de moins en moins possible à dire en France actuellement, contrairement, semble-t-il, à ce que disait Pierre Vidal-Naquet en 2000 : “Ça y est les temps sont mûrs a on va enfin pouvoir dire les choses.” Et en fait depuis, on a régressé.

NM : oui on régresse tous les jours, mais ça, c’est une illusion qu’on a eue et en pensant que les contestations parce qu’il y a toujours eu des contestations notamment d’anciens militaires qui sont très actifs et qui ont toujours tenté d’interdire des colloques, des commémorations… Mais effectivement on ne s’attendait pas à ce qu’il s’est passé, par exemple l’an dernier, où la commémoration parisienne du 17 octobre a été interdite par le préfet de police, en même temps que les manifestations « Palestine ». On a été vraiment dans ce moment-là où les deux ont été liés et où, je pense, tous les issus de l’immigration algérienne qui n’avaient jamais pensé revivre ce qu’avaient vécu leurs grands-parents, l’état d’urgence, les interdictions de manif etc. se sont posés des drôles de questions. Moi je voudrais qu’on revienne sur le lien entre la deuxième Guerre Mondiale, le rôle de la France, et la période coloniale ensuite, parce que ça m’a fait « sourire », parce qu’on en est à sourire de toute cette histoire sur « Aphatie », qui compare à Oradour sur Glane, à cause d’un objet qui est un objet symbole : le poignard qui a servi de preuve pour montrer l’implication de Jean-Marie Le Pen dans la torture de certaines personnes précises, et ce poignard qui est souvent appelé « le poignard nazi » qui montre que dans l’armée française il y avait apparemment plein de gens qui revendiquaient ouvertement l’affiliation avec Vichy, et évidemment, avec le nazisme. Alors d’abord que tu nous parles de cet objet qui a l’air romanesque et un peu invraisemblable tellement c’est caricatural et puis aussi que tu nous dises si tu penses que l’épuration, qui n’aurait pas été faite à la fin de la seconde Guerre Mondiale, a conduit finalement en Algérie, et ailleurs, à ce que l’histoire de Vichy en tout cas dans l’usage de la torture et dans les crimes de guerre et même les crimes contre l’humanité, puissent se perpétuer dans les années 50 et 60.

FR :  Alors il y a beaucoup de questions. Pour tout savoir sur l’histoire de ce poignard, il faut lire vraiment le bouquin de Florence Beaugé dont je parlais tout à l’heure, parce qu’elle raconte (même s’il avait été déjà vu par Lionel Duroi de Libération dans les années 84) mais elle non seulement elle le refait connaître dans le monde plus largement, mais, ensuite, elle l’amène en France et il est produit dans un procès en diffamation que perd Le Pen contre elle. A la stupéfaction du Tribunal, elle a réussi à lui faire traverser la Méditerranée. Ce n’était pas simple, elle raconte tout ça de façon tout à fait passionnante et émouvante. Alors, ce poignard. Le Pen a dit « mais enfin, qu’est-ce que je pourrais faire avec un poignard nazi ? ». Ce poignard des jeunesses hitlériennes, il peut très bien lui avoir été offert par l’un de ses hommes, parce que dans la Légion française, en 45, on incorpore, de force ou pas, des milliers d’anciens soldats allemands et d’anciens Waffen SS. Et dans le premier régiment étranger parachutiste, il y avait une très forte proportion, je ne sais pas laquelle exactement, mais c’est sûr qu’elle était très forte, d’anciens Waffen SS, dont certains se sont fait connaître à la Villa Sésini, où l’homme à tout faire, le bourreau principal de la villa Sésini c’était un ancien nazi. Il y en a d’autres qui sont mentionnés par des victimes. C’est l’origine du poignard, elle est simple. Mais pour en revenir à cette histoire de colonialisme et de nazisme, Aphatie, dans l’émission, dit quand même quelque chose d’assez fort et juste. Quelqu’un lui dit : “Comment ? On a fait comme les nazis en Algérie ?” et il dit “Mais on n’a pas fait » il parle de la conquête de l’Algérie. Il répond : “Mais les nazis pendant la conquête ils n’existaient pas, c’est les nazis qui ont fait comme nous.”. Alors c’est évidemment dit sommairement, mais il y a des travaux qui montrent bien que, dans un certain nombre de pratiques nazies, je crois que c’est Hannah Arendt qui a été une des premières à écrire là-dessus, les nazis, je sais pas quel mot utiliser, se sont inspirés des pratiques qui avaient cours dans les colonies allemandes, notamment lors du génocide des Héréros et des Namas et donc, il se trouve que, quand, pendant la guerre d’indépendance algérienne, on va découvrir que l’armée française torture, on va dire “Ah là là il y a une gestapo française.”. Mais en réalité, la torture dans les colonies, elle existait depuis 1830 en Algérie. Dans les années 50 il y a deux rapports qui sont officiels, qui n’ont jamais été publiés, enfin, qui ont été publiés par Pierre Vidal-Naquet après, mais deux rapports officiels qui sont remis au gouvernement qui démontrent, qui documentent très largement le fait que la torture des suspects est routinière dans les commissariats d’Algérie. C’est une routine et les flics disent “Mais on ne peut pas utiliser d’autre méthode avec les Arabes etc… ». C’est vraiment une coutume. Ce qu’il se passe pendant la guerre de l’indépendance algérienne, à partir de 57, il y a un papier que je vais sortir dans Médiapart jeudi c’est qu’on passe à l’échelle industrielle. Ça devient prôné, ça devient le cœur de l’action militaro-policière, la recherche du renseignement. Et les militaires ont carte blanche et ils vont en faire un système qui va faire des dizaines de milliers de victimes entre 57 et 62. On a sorti, à juste titre, un beau document sur les réseaux sociaux : on a trouvé une publication de Franc-tireur partisan de 1945 qui titre « des Oradour sur Glane en Algérie ». C’est la seule référence qu’ont les gens qui découvrent les réalités coloniales à ce moment-là, c’est le Nazisme. Et c’était une comparaison qui était fréquente, pas courante, mais que beaucoup ont fait, même avant la guerre d’indépendance algérienne. Claude Bourdet en 51, je crois, écrit un article en disant “Y a-t-il une gestapo française en Algérie ?”. Voilà je ne sais pas si j’ai répondu à ta question que j’ai un peu oubliée là.

NM : si ça y répond. C’est comme toujours, c’est-à-dire que c’était une évidence et ça ne l’est plus aujourd’hui : la filiation elle est à la fois antérieure au nazisme de la même manière que l’histoire du fascisme est là aussi des prémisses en France au niveau théorique au 19e siècle. Donc il y a une filiation française des autres fascismes européens, et il y a aussi une filiation très pratique et matérielle dans ce qui a pu se passer, notamment au sein de l’armée française, où, même aujourd’hui j’ai découvert à propos de madame Florence Bergeaud-Blackler la « grande chercheuse » quand elle a été décorée de la Légion d’honneur, je suis allée voir qui était le général à ses côtés : c’est un général qui dit, lui-même, que sa référence c’est son oncle, para en Algérie et qui a malheureusement péri dans un incendie déclenché par la résistance. Encore aujourd’hui, des grands militaires comme ça peuvent très bien assumer. C’est un monsieur qui a été commandant des armées, il peut très bien assumer de dire « ma référence c’est l’Algérie et c’est la destruction du FLN. ». Et après, c’est ce moment où justement les deux histoires sont totalement disjointes par le discours actuel et la théorie du nouvel antisémitisme qui bloque immédiatement tout ce qui peut se passer sur l’histoire européenne, à la fois dans son rôle sur l’extermination des juifs d’Europe, et sur ce qu’il s’est passé ensuite en Algérie et ailleurs. Et justement, je voulais t’interroger là-dessus : qu’est-ce que tu as rencontré par le passé, en termes de censure et de blocage, dans ton travail de chercheur et qu’est-ce qu’il se passe aujourd’hui,  notamment pour de jeunes chercheurs qui travaillent sur ces questions, parce que finalement Aphatie, c’est ce qu’on voit, mais, j’imagine que si on en est là dans les grands médias, évidemment, sur le terrain de la recherche, la censure ou les blocages doivent être aussi très importants ?

FR : Et bien écoute, personnellement, je n’ai jamais eu à subir véritablement ce genre de choses. Alors bon, quand j’étais encore sur X (ex Twitter) j’avais droit à ma ration quotidienne d’injures, « traître à ta race » ; « soumis » ; « dhimmi » ; et autres trucs qui ont cours chez ces gens-là. Bon,  cela dit, mes travaux je les ai menés. Pour ce qui est de la recherche sur le colonialisme en général le problème, c’est peut-être plutôt le le peu de part qui est donnée à cette recherche-là dans les universités françaises, à ma connaissance. Je ne suis pas dans le sérail, donc je ne peux pas en parler avec beaucoup d’expertise, mais,  je sais qu’on parle beaucoup des archives et des archives de l’armée française ou des archives de la guerre d’Algérie, beaucoup aujourd’hui sont ouvertes,  pas toutes, mais il y a une énorme quantité d’archives et il n’y a pas beaucoup d’historiens pour les consulter, malheureusement. Alors c’est évidemment, aussi, un problème politique, mais  voilà…

NM :  c’est-à-dire qu’aujourd’hui, il y a toute une partie de l’Histoire qui ne se fait pas, parce qu’il n’y a pas de crédit pour…

FR : écoute oui, je pense que ce n’est pas une priorité, c’est pas les carrières les plus profitables sur la question coloniale.

NM : Par rapport à l’éventuelle censure et par rapport à ce qui va suivre…

FR : c’est plutôt au niveau des médias que ça se passe, c’est-à-dire qu’on a vraiment un blocage. Il m’est arrivé quelque chose d’assez rigolo en 2022, c’était l’année du 60e anniversaire de l’indépendance algérienne, France 2 m’a contacté pour faire un sujet, au journal télévisé de 20h, sur les disparues d’Alger en 57. Formidable ! Donc on m’envoie avec une équipe de un caméraman, un preneur de son et une journaliste à Aix en Provence aux archives nationales d’Outremer. Je fais ouvrir les archives nationales d’Outremer tout un après-midi d’un jour férié pour que le tournage puisse se produire tranquillement, les journalistes rentrent à Paris, moi chez moi à Besançon et le soir dit, ça devait être le 19 mars 2022, anniversaire des accords d’Evian, le sujet qui est passé c’est un sujet sur les pieds noirs. Et le sujet sur les disparus a été fait, payé, monté mais il n’a jamais été diffusé. Alors, c’est une petite anecdote, mais il y a vraiment un blocage. Alors, il y a quand même des petites avancées ici là, on a pu voir quelques très bons documentaires, celui qui a été dirigé par Raphaëlle Branche, qui était passé sur Arté (voir ici). Mais on entend beaucoup d’âneries dans la classe politique et médiatique. C’est dans nos « élites », on entend une quantité d’âneries astronomique avec le truc qui tue les historiens : c’est la théorie des torts partagés. L’armée française a fait des choses pas belles, mais le FLN aussi, donc voilà. C’est aussi le sens de ce que fait Macron, avec son goutte-à-goutte mémoriel, là, un truc de temps en temps : c’est de dépolitiser, de refroidir complètement cette Histoire. On est au niveau de la compassion. Parce que c’est vrai que la souffrance des Algériens, des pieds noirs, des Harkis, c’est de la souffrance humaine, et donc, ça mérite de la compassion. Sauf que, là, on est au niveau historico-politique, on est complètement à côté quoi. Et donc, on vous dit “Oui mais bon il y a eu des violences des deux côtés » comme si on ne pouvait pas faire comprendre que les deux violences ne sont pas du tout équivalentes, ni moralement, ni politiquement, qu’il y a d’un côté un état surpuissant qui mène une guerre pour empêcher un peuple de se libérer, et de l’autre, une violence d’un peuple à qui on n’a pas laissé d’autre choix que cette violence,  pour aller vite.

NM : par rapport au discours, parce que tu as beaucoup parlé du FLN, on a beaucoup travaillé  contre les négationnistes du génocide commis par les nazis et par Vichy, il y a eu toutes ces questions de ce qu’on appelle la pénalisation du négationnisme, pas que en France d’ailleurs, dans d’autres pays aussi, et de ces infractions qui, de fait, se fondent sur un délit d’opinion. Je voudrais ton opinion sur un délit qui est très utilisé, qui a été créé soi-disant pour lutter contre les propos de Dieudonné (le premier procès emblématique pour apologie du terrorisme  quand ça a été sorti des délits de presse, ça a été celui de Dieudonné) qu’on pouvait très bien poursuivre pour incitation à la haine. Je voudrais ton opinion sur ce délit-là, parce qu’actuellement il s’applique de manière de plus en plus large en France, à propos de la Palestine c’est-à-dire que, contrairement à ce qui se passe au niveau des jurisprudences de la Cour européenne des Droits de l’Homme aujourd’hui, ce n’est plus simplement le fait de parler de manière positive ou vaguement positive de mouvements qui sont qualifiés en France de terroristes, de leurs actes, mais c’est aussi simplement le fait de parler de manière positive d’un personnage, qui, par ailleurs, est accusé de terrorisme. Ce qu’il s’est passé pour le procès d’Abdouramane Ridouane, qui a eu lieu hier, ce qui a été dit  très clairement, c’était que le simple fait de retweeter une bio d’un dirigeant du Hamas, puisque c’était ce dont il était question, c’était comme applaudir tous les actes à caractère terroriste (et non pas à caractère politique) de ce dirigeant-là. Je voulais te demander ton sentiment d’historien là-dessus, parce que, finalement, on finit par se demander dans le contexte où en plus on lie Algérie et Palestine, ce qui va nous arriver dans un ou deux ans, si on ose dire ce qu’on dit à toutes les commémorations du 17 octobre : « vive le FLN ». Donc, je voulais avoir un peu ton sentiment sur ces délits-là qui finissent aussi par impacter plus seulement la parole publique, mais aussi plus largement la recherche, l’expression des chercheurs.

FR : Oui, j’ai constaté moi aussi, sans être aussi impliqué que toi, sans connaître aussi bien les choses que toi, ce que certains appellent un néo Maccartisme à la française sur la question, notamment, palestinienne, jusque dans l’université. Là, on vient de voir des étudiants de Sciences-po virés de leur école parce qu’ils ont osé soutenir la Palestine et contesté un partenariat avec, si j’ai bien compris, une université israélienne. Il y a pléthore de gens qui ont été convoqués par les flics sur la plainte de cette association ultrasioniste dont j’ai oublié le nom …

NM : oui l’OJF et l’OJE et deux ou trois autres…

FR : voilà donc : intimidation, condamnation, interdiction professionnelle, c’est particulièrement inquiétant et grave. On n’en est pas encore là. Il faut quand même remettre à sa place l’importance de cette fachosphère qu’on entend quand même beaucoup dans beaucoup de médias mainstream, maintenant, c’est ça la grande nouveauté de ces dernières années. Mais sur les réseaux sociaux, il y a en France, dans la société française, des forces, même si elles n’ont pas forcément de débouché politique, qui sont sur des positions, on va dire, décoloniales. On a pu le constater, par exemple, au moment de ce qu’on a appelé la génération Adama en 2021. On a quand même vu des masses de gens, de jeunes en particulier, descendre dans la rue et en faisant des liens très explicitement entre l’héritage colonial, le racisme systémique aujourd’hui, l’islamophobie etc… Bon alors maintenant s’il n’y a plus non seulement Retailleau mais aussi Julien Odoul et je ne sais qui d’autre encore dans le gouvernement, on peut s’attendre à tout, c’est clair. C’est un des risques qu’on court si le RN arrive lui-même au pouvoir, et je dis « lui-même » parce qu’il est déjà présent dans certains ministères, mais bien sûr que c’est quelque chose qui peut se produire, c’est-à-dire qu’on criminalise dans un régime – là je veux dire ce qui se passe aux États-Unis avec Trump nous nous a ouvert le l’esprit

NM : …et nous montre que ça peut aller très vite …

FR : nous fait comprendre que tout peut aller à une vitesse complètement folle et on peut penser qu’il y ait une criminalisation du décolonialisme, alors il y en a déjà une en particulier, il y a déjà du harcèlement judiciaire, il y a déjà des résolutions votées, des projets de résolution proposés à l’Assemblée ou au Sénat, qui sont déjà des choses de ce type-là. Oui c’est quelque chose qu’on peut craindre effectivement. Et alors, pour ce qui est du lien entre le déni colonial français et le refus d’envisager de regarder en face la situation coloniale qui est celle des Palestiniens, ou celle des Kanaks, c’est clair : ceux qui nient les réalités coloniales en Algérie, les réalités passées, ce sont les mêmes qui refusent de les voir aujourd’hui en Palestine ou en Kanakie, on est dans la même logique.

NM : Alors, pour finir peut-être sur une perspective plus positive, admettons que la gauche gagne les élections, il faut qu’elle ait un programme avant. Il se trouve que dans l’histoire de la mémoire des génocides et des crimes contre l’humanité, il a été possible, malgré des législations nationales au départ très restrictives, et puis avec, par exemple en Allemagne, tout ce qui a été fait pour que d’anciens SS ne soient pas jugés. Malgré tout, même encore aujourd’hui, on réussit à juger des nazis, notamment des gardiens de camp d’extermination, est-ce que tu penses que, en tant qu’historien, ce serait possible, à un moment, de revendiquer que cette loi d’amnistie saute, au moins pour des faits extrêmement graves, et qu’enfin, ne serait-ce que pour la vérité, c’est pas la question que les gens aillent en prison à 95 ans ou ce genre de choses, on n’est pas comme eux, mais de revendiquer qu’il y ait ces procès tant que ces personnes sont encore vivantes, parce que ça va au-delà du crime de guerre, et que c’est aussi du crime contre l’humanité.

FR : on est bien d’accord alors tu disais « dans l’hypothèse où la gauche arrive au pouvoir », le problème c’est que la gauche, toute la gauche, est loin d’être prête à faire ce genre de choses. C’est-à-dire qu’il faudrait déjà, par exemple, que tout le courant issu du Parti socialiste, mais aussi dans une certaine mesure, enfin, dans une moindre, beaucoup moindre mesure, du Parti communiste, ait fait l’inventaire de sa propre histoire colonialiste. La SFIO, l’ancêtre du parti socialiste, est la force politique qui a la plus lourde responsabilité dans, par exemple, l’intensification de la terreur en Algérie, pour ne parler que de l’Algérie. Elle n’a jamais fait l’inventaire de tout ça, donc il n’y a pas de réflexion -et on le voit sur le positionnement par rapport aux situations coloniales présentes d’un grand nombre de socialistes-. Donc, ça ne serait pas suffisant qu’elle arrive au pouvoir. Alors ensuite, il y a eu des tentatives de faire sauter, enfin de contourner l’amnistie en essayant d’attaquer sur le terrain justement du crime contre l’humanité. Le problème, c’est que ce qu’a signé la France dans les… -alors écoute j’ai pas révisé donc j’ai oublié les dates- mais ce qu’a signé la France, c’est l’idée que les crimes coloniaux de la France sont exclus du champ du crime contre l’humanité. Et ça, c’est très compliqué. J’essaie d’avoir un texte… Il se trouve qu’il y a eu un truc en Belgique qui est peut-être une brèche. Il y a quelques mois, des plaignantes qui avaient subi, je crois que ça se passait au Congo belge, les horreurs de la part de l’autorité coloniale belge, ont fait reconnaître qu’elles étaient des victimes d’un crime contre l’humanité. C’est la première fois en Europe qu’un Etat est condamné, y compris à des réparations, pour crime contre l’humanité en situation coloniale. Alors, je ne suis pas juriste et je ne suis pas capable de voir quelle portée ça peut avoir, ce qui est sûr, c’est que l’abrogation des quatre ou cinq décrets d’amnistie, le premier a été pris deux jours après la fin de la guerre par De Gaulle, il était exigé par les militaires français qui avaient peur de ce qu’il pourrait éventuellement leur arriver, le vent ayant tourné après la fin de la guerre, donc, tout de suite, on leur a accordé une impunité judiciaire perpétuelle. Mais ensuite, on a multiplié les amnisties complémentaires, jusqu’à amnistier, sous Mitterrand, les anciens criminels de l’OAS en les réintégrant dans les grades, fonctions et pensions qui étaient les leurs avant etc.. Tout ça est très complexe. En théorie, c’est toujours possible d’abroger tout ça, ou de faire une loi qui remplace tout ça, mais ça paraît extrêmement peu probable et, malheureusement, je pense que, à considérer qu’on engage ça aujourd’hui, le temps que ça prendra, fera que tous ces gens-là seront morts et enterrés depuis longtemps. Il n’y a plus beaucoup de protagonistes qui sont en vie. Il y en a un, qui n’est pas des moindres, qui s’appelle Maurice Schmitt, qui est accusé par des témoignages extrêmement circonstanciés d’avoir torturé dans une école qui servait de centre de torture en bordure de la casbah d’Alger, l’école Sarrouy à l’été 1957 et Maurice Schmitt est devenu ensuite chef d’état-major de François Mitterrand, et lui comme Papon ou comme Le Pen, il attaquait en diffamation ceux qui relayaient ces accusations. Il a gagné, plusieurs fois, en vertu de l’amnistie et il coule des jours heureux en Provence. Il doit être très âgé maintenant.

NM : Je crois que c’est bien de faire ressortir des noms comme ça, finalement, parce que tout le monde pense que tout le monde est mort, mais ça ne l’est pas et il y a aussi toutes les associations de leur mémoire à eux qui font vivre cette mémoire de la torture en toute impunité et puis qu’après, ça peut aussi faire partie du rêve, on peut demander n’importe quoi aujourd’hui dans la situation où on est, une éventuelle victoire de la gauche n’étant pas acquise et  peut-être que ça sera un moyen de mettre fin à ce concept de la concurrence des mémoires, qui a été développée par l’extrême-droite et de montrer qu’encore une fois, on peut, comme au temps du procès Papon, faire qu’une victoire pour les uns puisse aboutir au moins dans le débat parce que je pense que par exemple si on parle de ce monsieur Maurice Schmitt très précisément il y a forcément de ses amis sur X qui vont hurler qu’on oserait évoquer ce dossier mais si peut-être que si des politiques et des historiens sont relayés par les politiques on pourra avoir au moins ce débat parce que moi je suis née à la conscience politique avec cette histoire de loi d’amnistie et je crois que ça a beaucoup compté pour ma génération parce que nous-même on était amnésiques, nos grands-parents, mon grand-père n’en parlait pas de ce qu’il a vécu le 17 octobre et notamment de ses amis qui sont morts et ensuite on découvre qu’il y a cette amnistie légale qui de fait a empêché toute une génération de savoir ce qu’il s’était réellement passé d’avoir aussi enfin les procès du nazisme, c’est aussi l’occasion d’écouter la parole des bourreaux et dont certains disent enfin la vérité.

FR : je suis bien d’accord.

NM : et ben écoute merci beaucoup, en tout cas, donc « Le Pen et la torture » si tu peux nous rappeler la maison d’édition parce que j’oublie tout le temps.

FR : alors c’est publié en France au PassagerClandestin et en Algérie par les éditions Barzac.

NM : d’accord et est-ce que tu peux nous redire donc l’initiative sur la mémoire des disparus il y a déjà un site avec Malika Rahal que je suis aussi sur les réseaux

FR : c’est un site qui s’appelle 1000autres.org. Et  vous verrez maintenant après toutes ces années donc de recueil de témoignages,  la home page du site ressemble à un mémorial on a  des dizaines et des dizaines de photos que nous envoient les familles de leurs disparus alors tous n’ont pas… Alors notre demande elle est pas seulement ne concerne pas seulement ceux qui ne sont jamais réapparus après leur arrestation par leur enlèvement par l’armée française, elle concerne tous ceux que j’ai trouvé dans un fichier dont certains ont réapparu après des mois ou des années de camp de concentration, et donc on rassemble avec Malika des matériaux considérables grâce à ça qui nous permettront d’écrire prochainement une autre histoire de la bataille d’Alger, comme on dit, parce que ce qu’on lit encore bien souvent, y compris sur des sites sérieux c’est vraiment tiré des mémoires du général Massu, et ça c’est assez insupportable.

NM :  merci beaucoup pour le temps que tu nous as consacré puis pour la richesse de l’entretien et puis à très vite.

FR : merci à vous !

07.05.2025 à 12:39

Contre l’islamophobie: le 11 mai et après, aimez nous vivants

Nadia Meziane

L’assassinat d’Aboubakar Cissé a déclenché une immense émotion au delà de la communauté musulmane mais aussi des débats indignes en réponse : pendant des jours, l’extrême droite, la droite, les macronistes ont essayé de démontrer  que le meurtre d’un jeune homme noir et musulman dans une mosquée par un homme qui a blasphémé et tenu des propos négrophobes en le poignardant à des dizaines de reprises n’avait rien à voir avec l’islamophobie. L’ignominie de ces forces politiques, leur indécence dans un tel contexte n’étonnera personne, sauf  des extra-terrestres venus d’une lointaine planète et qui n’auraient pas suivi la montée paroxystique du racisme éradicateur dans l’Hexagone. Mais l’on peut se demander pourquoi il était à ce point important que l’islamophobie ne soit pas le motif de l’assassinat. Sans doute parce que la mort violente apparaît en France comme la seule raison légitime pour défendre les musulmans. A force de reculs politiques, à force de renoncements pour ne pas braquer l’électorat chauffé à blanc par la propagande raciste , à force de concessions pour ne pas paraitre “islamo-gauchiste”, il faut qu’une personne soit sauvagement assassinée dans son lieu de culte pour que l’antiracisme apparaisse comme une cause défendable, lorsqu’il s’agit  de l’appliquer aux musulmans . Pour nous la mobilisation pour notre frère, l’émotion politique que suscitent à sa suite les agressions de sœurs couvertes qui en temps ordinaire passent désormais inaperçues sont des émotions à double tranchant. Oui, nous avons peur de mourir au quotidien. Oui, nous avons surtout peur pour les…
Texte intégral (2523 mots)

L’assassinat d’Aboubakar Cissé a déclenché une immense émotion au delà de la communauté musulmane mais aussi des débats indignes en réponse : pendant des jours, l’extrême droite, la droite, les macronistes ont essayé de démontrer  que le meurtre d’un jeune homme noir et musulman dans une mosquée par un homme qui a blasphémé et tenu des propos négrophobes en le poignardant à des dizaines de reprises n’avait rien à voir avec l’islamophobie.

L’ignominie de ces forces politiques, leur indécence dans un tel contexte n’étonnera personne, sauf  des extra-terrestres venus d’une lointaine planète et qui n’auraient pas suivi la montée paroxystique du racisme éradicateur dans l’Hexagone. Mais l’on peut se demander pourquoi il était à ce point important que l’islamophobie ne soit pas le motif de l’assassinat. Sans doute parce que la mort violente apparaît en France comme la seule raison légitime pour défendre les musulmans. A force de reculs politiques, à force de renoncements pour ne pas braquer l’électorat chauffé à blanc par la propagande raciste , à force de concessions pour ne pas paraitre “islamo-gauchiste”, il faut qu’une personne soit sauvagement assassinée dans son lieu de culte pour que l’antiracisme apparaisse comme une cause défendable, lorsqu’il s’agit  de l’appliquer aux musulmans .

Pour nous la mobilisation pour notre frère, l’émotion politique que suscitent à sa suite les agressions de sœurs couvertes qui en temps ordinaire passent désormais inaperçues sont des émotions à double tranchant.

Oui, nous avons peur de mourir au quotidien. Oui, nous avons surtout peur pour les hommes de notre entourage, identifiés au danger absolu et cibles des violences fascistes et policières. Oui , nous renonçons souvent à des déplacements tant les transports en commun sont devenus le lieu de la banalité de l’insulte, de la bousculade volontaire, des mauvais regards perpétuels pour les musulmanes visibles. Oui nous sommes sensibles à la compassion que des politiques et des militants expriment en masse .

Mais un autre sentiment parfaitement raisonnable nous étreint.

Faut il que nous mourrions dans des conditions atroces pour être des humains à part entière dans ce pays ? Sommes nous condamnées à faire pitié pour ne plus être les monstres ou les fréquentations honteuses de nos concitoyens et du monde politique ?

La question mérite d’être posée surtout en période électorale.  Nous sommes la deuxième religion de France: la droite, l’extrême droite peuvent bien monter au plafond et redescendre douze fois en nous persécutant au passage, les faits sont têtus et les incantations inefficaces. Bruno Retailleau peut hurler ” A bas le Voile”, ou ” Abracadabra,  à 3 l’islam disparaîtra’  , cela aura aussi peu d’effet sur nous que les milliers de discours islamophobe  que opus entendons chaque jour sur les réseaux de la part d’anonymes qui appellent à nous tuer et à nous tondre en toute impunité .  Des millions de femmes continueront à exister, comme elles sont et les mosquées seront aussi pleines le vendredi suivant. Il n’ y pas de hiérarchie dans nos vies quotidiennes entre la France, la démocratie  et l’islam. Nous sommes les musulmans et les musulmanes de France et voilà.

Dans ce contexte nous connaissons nos ennemis, ceux qui ont décidé de la Croisade et la mènent férocement. Nous savons que le temps du débat est terminé de leur côté, nous connaissons leur projet: nous éradiquer .

Inutile d’employer des euphémismes pour nous rassurer nous mêmes: la gouvernement français soutient le génocide commis par Israel depuis la première minute de son commencement, depuis le 7 octobre à 22h49 quand une dépêche AFP a repris les propos sans ambiguïté aucune de monsieur Netanyahu ” Nous allons détruire la Cité du Mal, il ne restera que des ruines : habitants de Gaza, quittez ce lieu car nous allons frapper de toutes nos forces“. Ici, chacun peut nier la réalité islamophobe de ce génocide, nous, nous savons qu’il n’y a pas de raison profane de détruire aussi les mosquées et de retourner même la terre des cimetières au bulldozer après les avoirs bombardés pour profaner même les morts.  Ici nous savons que ce génocide est le rêve reproductible de tous les islamophobes du monde, et notamment en France.

Ici, notre communauté s’est levée contre ce génocide islamophobe malgré la répression et elle a entraîné toutes les forces humanistes derrière elle, à commencer par la gauche.

Notre jeunesse est descendue en masse dans la rue pour défendre des idéaux qui ne sont pas seulement les siens, mais ceux de tous les êtres épris de justice et de paix,  de tous ceux qui rêvent d’un autre monde possible. La centralité palestinienne a rallié mondialement et aussi en France, apportant une force nouvelle à la gauche, dont la base était déprimée et exsangue après la défaite lors du mouvement contre la réforme des rétraites.

Mais nous payons le prix fort: avant le génocide et depuis des décennies nous étions déjà la cible. La loi de 2004 a exclu les musulmanes de l’école et bien au delà , elle a été le geste fondateur des politiques islamophobes dans un  pays où l’école est l’institution centrale de la société , celle qui est censée introduire les petits humains dans le corps social. Exclure les musulmans et les musulmanes de l’école, c’était faire de nous les ennemis intérieurs dès l’enfance, visiblement.

Ensuite toutes les lois successives n’ont fait que développer concrètement ce narratif d’exclusion et de persécution. En 2010 , une loi est allée jusqu’à interdire des femmes d’espace public. Dans quelques temps une autre va les interdire d’université. Ce n’est pas une atteinte aux valeurs féministes comme on l’entend trop souvent à gauche, c’est un des éléments centraux visant à briser notre communauté en exigeant des femmes qu’elles se séparent de leur foi visiblement. L’exigence de retirer le hijab n’est pas une exigence vestimentaire, c’est une injonction à rejoindre le butin de guerre des colonialistes islamophobes où à dépérir voir périr avec nos pères, nos frères, nos époux et nos fils dans un récit où l’homme musulman est le Mal absolu , celui à qui la République n’offre aucune chance de rédemption.

Mais il est vrai que ces deux lois sont les plus faciles à combattre pour la gauche: leur abrogation peut être portée aussi au nom des valeurs qu’elle défend et qui se recoupent avec les nôtres sans souci. Pourtant, en 2025 , alors qu’un magnifique mouvement autonome de jeunes filles a eu lieu l’an dernier contre l’interdiction du port de la abaya, que ce mouvement a été rejoint par la jeunesse non musulmane, aucun parti politique représenté à l’Assemblée Nationale  n’a osé inscrire l’abrogation de la loi de 2004 dans son programme, comme geste fondateur d’un nouveau contrat social avec les musulmans de France.

Sans ce préalable, comment ne pas nous sentir des humains de seconde zone , même aux côtés de de nos aliié.e.s ? Au lendemain de la mort d’Aboubakar Cissé, au rassemblement à République  j’étais aux côtés d’un jeune frère palestinien à qui les élus de tous les partis de gauche sont venus demander le micro pour prendre la parole. Militante depuis mes 18 ans , de tous les combats sociaux et sociétaux aux côtés des camarades de gauche, je regardais toutes les personnalités défiler, et je pensais à d’autres scènes possibles. Des lundi matin , où ces mêmes camarades laisseraient mes sœurs et moi sur le trottoir devant la porte close d’un établissement scolaire, d’une université, d’une assemblée élective et pourquoi pas demain des magasins, des parcs et des jardins puisque c’est déjà le cas pour les sœurs qui portent le niqab. Aurons nous le droit, ce jour là à autre chose qu’un sourire triste et gêné ?

La ségrégation ne peut pas être combattue seulement dans les manifestations qui ont lieu parce que la communauté musulmane a la force de les organiser.

C’est tout l’enseignement des débats ignobles qui ont lieu depuis l’assassinat d’Aboubakar Cissé et de la difficulté de la gauche à les mener : que disent les macronistes et l’extrême-droite ? Que la gauche tente d’instrumentaliser cet assassinat pour mettre la lutte contre l’islamophobie au cœur du débat politique et faire avancer les revendications musulmanes.

Que doit répondre la gauche ? Qu’elle est coupable. Coupable de défendre la liberté, l’égalité et la fraternité pour toutes et tous , sans attendre que l’islamophobie nous tue après avoir ravagé nos vies.

La gauche doit se déclarer coupable de vouloir rétablir la liberté de culte inconditionnelle pour les musulmans.

Le discours de l’extrême droite la plus violente,  aussi atroce soit-il contient une part de vérité: lorsqu’ils disent qu’Aboubakar n’aurait pas été tué s’il n’avait pas été en France, lorsqu’ils affirment qu’il nous suffirait de retirer le hijab et de raser les barbes et les murs pour ne pas être insultés, ils ont raison. Lorsque tous les imans qui prêchent selon les préceptes de notre foi auront été expulsés, lorsque les seules mosquées ouvertes seront celles où ne sont énoncés que des discours corrigés au préalable par le Ministère de l’intérieur, lorsque toutes nos librairies auront été fermées, lorsque toutes celles et ceux qui dénoncent le génocide en Palestine seront en prison pour apologie du terrorisme, lorsque les musulmans visibles auront été chassés des universités, des crèches, des écoles, des assemblées, des associations, des émissions de divertissement, lorsqu’un Guantanamo à la française aura été ouvert comme le réclame le bateleur de foire fasciste le plus populaire de France, Cyril Hanouna, alors nous serons en sécurité derrière ses murs . Nous ne risquerons plus 57 coups de couteau pour une prière dans un lieu de culte

Un autre scénario est possible , si nous le mettons en oeuvre tout de suite, sans plus attendre, car Netanyahu, Trump et Retailleau vont vite pour tuer dans l’œuf l’espoir  qui se lève.

Il n’a pas fallu 48h pour que les musulmans et la gauche se lèvent ensemble pour honorer la mémoire d’Aboubakar face à la meute islamophobe qui a commencé à la salir dès l’annonce de sa mort, et au plus haut niveau de l’état.

Une des raisons de cette indignation en actes,  qui va s’amplifier le 11 mai est que nous sommes déjà ensemble et en partie les mêmes: ces dernières années, en même temps que la mobilisation communautaire ralliait absolument toutes les sensibilités des issus de l’immigration musulmane, toutes les générations, toutes les mémoires anticoloniales, toutes celles des luttes passées, les partis de gauche ont été irrigués par l’apport musulman qui s’incarne dans la masse des militants et des personnalités qui les ont investis avec succès.

Ce n’est pas un concours mais dans un pays où les discriminations structurelles et le plafond de verre sont une réalité pour nous tous et toutes, il faut se réjouir du fait que des noms comme celui de Sihame Assbague, de Rima Hassan , de Taha Bouhafs, d’Elias d’Imzalene pour ne citer qu’eux sont plus connus chez la jeunesse de gauche que ceux de bien des députés LFI ou EELV non musulmans. Ce n’est pas un concours mais nous avons été tellement invisibilisés en tant que nous même dans toutes les mobilisations qu’une de nos rares consolations dans le contexte terrible du génocide est de pouvoir faire défiler sur nos écrans des photos de manifestation partagées par les étudiants des plus grandes écoles de France où la tête de cortège nous ressemble .

Mais l’amour a besoin de preuves d’amour au quotidien. Le 11 mai, la gauche sera avec les musulmans dans la rue, et devant les caméras. Mais le 12 au matin, toutes les forces politiques islamophobes, tous les médias Bolloré lui demanderont quelle est la suite de l’histoire.

C’est à partir du lundi matin que tout va se jouer . Face au “A bas le voile ” de Retailleau, il n’y a qu’une seule réponse digne des directions de gauche: A bas l’islamophobie d’Etat et toutes ses lois.

La demi-mesure serait une défaite absolue à très court terme et en 2027.

Si pour abroger les lois islamophobes  il faut changer de régime et proclamer une nouvelle république pluriculturelle,  quel est le problème ? Des Gilets Jaunes aux travailleurs précarisés, des féministes aux écologistes conséquents, des agents du service public aux ouvriers jamais régularisés de tous les grands chantiers de ce pays, tout le monde déteste la Vème République qui a renoué avec ses origines, celle de l’état réduit à son rôle répressif d’abord contre les peuples colonisés puis contre la jeunesse des printemps de 68 et ceux qui ont suivi.

Exactement comme au début des années 60, le peuple de gauche tout entier, celui qui compte pour prendre le pouvoir, c’est à dire celui qui bat le pavé, est prêt à aimer les musulmans de France puissants et libres, à ses côtés pour mener les combats pour la justice et la liberté.

Pour que cela se traduise dans les urnes, il faut que cela se traduise dans les programmes: l’abrogation de toutes les lois islamophobes à commencer par la loi de 2004, c’est assumer dès le 11 mai et après, que les musulmans ne sont pas pour la gauche seulement des victimes que l’on préfère faibles tout en s’en méfiant , mais des alliés dont on a besoin vivants et sans entraves pour gagner ensemble. Un électorat  que l’on soigne, pour le dire simplement.

 

30.04.2025 à 19:57

Urgence Palestine, la dissolution de trop

Lignes de Crêtes

Emmanuel Macron a été porté au pouvoir par les voix de millions de personnes qui ont voté pour faire barrage à l’extrême droite. Il n’aura eu de cesse d’insulter ceux qui ont permis son élection, notamment en utilisant une loi votée par le Front Populaire en 1936 pour mettre fin à la violence des groupes de combat et des ligues d’extrême droite qui faisaient régner la terreur et avaient tenté un coup d’état en 1934. En 2025, son gouvernement se sert de cette loi pour tenter de dissoudre Urgence Palestine, le cœur battant de la lutte contre un génocide mené par l’extrême droite israélienne devenu le modèle de tous les fascistes occidentaux. Bruno Retailleau dissout Urgence Palestine en meme temps que la Jeune Garde, groupe antifasciste au lendemain de l’assassinat islamophobe d’Aboubakar Cissé , poignardé sauvagement dans un lieu de culte, au lendemain de l’assassinat d’une jeune lycéenne par un admirateur d’Adolf Hitler. Il n’y a pas besoin de longues analyses : les dissolutions ont d’abord concerné les associations musulmanes, dans un contexte où la deshumanisation islamophobe battait déjà son plein. Elles ont donc été accueillies dans l’indifférence. Elles ont ensuite concerné les écologistes conséquents, dont les actions massives et populaires mettaient en péril des projets capitalistes démentiels qui mènent partout l’humanité à sa perte. La dissolution d’Urgence Palestine est logique dans le contexte de la victoire idéologique provisoire de l’extrême-droite française, dont le macronisme est le valet tremblant. Depuis un an et demi, Urgence Palestine est en France le…
Lire + (499 mots)

Emmanuel Macron a été porté au pouvoir par les voix de millions de personnes qui ont voté pour faire barrage à l’extrême droite.
Il n’aura eu de cesse d’insulter ceux qui ont permis son élection, notamment en utilisant une loi votée par le Front Populaire en 1936 pour mettre fin à la violence des groupes de combat et des ligues d’extrême droite qui faisaient régner la terreur et avaient tenté un coup d’état en 1934.

En 2025, son gouvernement se sert de cette loi pour tenter de dissoudre Urgence Palestine, le cœur battant de la lutte contre un génocide mené par l’extrême droite israélienne devenu le modèle de tous les fascistes occidentaux. Bruno Retailleau dissout Urgence Palestine en meme temps que la Jeune Garde, groupe antifasciste au lendemain de l’assassinat islamophobe d’Aboubakar Cissé , poignardé sauvagement dans un lieu de culte, au lendemain de l’assassinat d’une jeune lycéenne par un admirateur d’Adolf Hitler.

Il n’y a pas besoin de longues analyses : les dissolutions ont d’abord concerné les associations musulmanes, dans un contexte où la deshumanisation islamophobe battait déjà son plein. Elles ont donc été accueillies dans l’indifférence. Elles ont ensuite concerné les écologistes conséquents, dont les actions massives et populaires mettaient en péril des projets capitalistes démentiels qui mènent partout l’humanité à sa perte.

La dissolution d’Urgence Palestine est logique dans le contexte de la victoire idéologique provisoire de l’extrême-droite française, dont le macronisme est le valet tremblant. Depuis un an et demi, Urgence Palestine est en France le cœur battant de la résistance au nihilisme génocidaire, comme la Palestine est le pays de coeur de toutes celles et ceux qui espèrent encore en l’humanité. Urgence Palestine, dès octobre 2023 n’a pas été seulement un mouvement parmi d’autres, mais le nom de l’antifascisme, le cri de ralliement, le centre névralgique de toutes les énergies positives pour un autre monde possible.

On ne peut dissoudre une atmosphère, même en empêchant les gens de respirer avec des lois mortifères. Comme tous les régimes autoritaires en fin de règne, le macronisme crée lui même les conditions de sa chute. L’islamophobie n’est jamais une diversion, mais depuis le début du génocide en Palestine , elle est devenue le seul moteur du régime.

Très logiquement, l’antifascisme qui se lève est en partie palestinien et musulman : Urgence Palestine rallie vastement, et la plus grande défaite des forces fascistes et macronistes du nationalisme français vieillissant , c’est de voir la jeunesse et leurs propres enfants aux côtés de l’ennemi intérieur que désignent leurs grands parents.

On ne dissout pas le Printemps.

03.04.2025 à 09:26

Zemmour et Pétain: en temps de génocide, que vaut la mémoire des victimes de Vichy ? ?

Nadia Meziane

Il y eut autrefois des survivants et survivantes de l’extermination des Juifs d’Europe pour inviter des victimes algériennes de Papon à la barre lorsque celui-ci eut à répondre des crimes commis au nom de l’État français sous Vichy. Ce fut historique, car en vertu de la loi d’amnistie votée par la jeune Vème République créée pour mater l’insurrection algérienne, Papon était protégé de toute poursuite concernant les crimes contre l’humanité et la torture en Algérie. Certes, aucune des associations actuelles de lutte contre l’antisémitisme n’invitera des Palestiniens de France ou des musulmans au pourvoi en cassation que formera Eric Zemmour contre une décision qui ne lui semble encore pas assez laxiste dans la France d’aujourd’hui : 10 000 euros d’amende pour avoir tenu des propos négationnistes d’un niveau inimaginable sur de grands médias il y a quinze ans, c’est encore trop à ses yeux. L’Histoire, le respect des victimes de la France vichyste servile devant le nazisme, devançant les désirs des SS, à leur grande surprise parfois, on s’en fiche en 2025. Monsieur Zemmour n’a dit qu’un mensonge, finalement très mesuré, en affirmant que Pétain a sauvé des Juifs, quand les sionistes au pouvoir en Israël en sont à proclamer que ce sont les arabes qui ont poussé Hitler à exterminer les Juifs, quand des assassins et des génocidaires portent une étoile jaune en allant à l’ONU, profanant ainsi la mémoire des victimes juives de Hitler à qui cette étoile ne donnait, certes, que le pouvoir d’être fichées, traquées, interdites…
Texte intégral (1834 mots)

Il y eut autrefois des survivants et survivantes de l’extermination des Juifs d’Europe pour inviter des victimes algériennes de Papon à la barre lorsque celui-ci eut à répondre des crimes commis au nom de l’État français sous Vichy. Ce fut historique, car en vertu de la loi d’amnistie votée par la jeune Vème République créée pour mater l’insurrection algérienne, Papon était protégé de toute poursuite concernant les crimes contre l’humanité et la torture en Algérie.

Certes, aucune des associations actuelles de lutte contre l’antisémitisme n’invitera des Palestiniens de France ou des musulmans au pourvoi en cassation que formera Eric Zemmour contre une décision qui ne lui semble encore pas assez laxiste dans la France d’aujourd’hui : 10 000 euros d’amende pour avoir tenu des propos négationnistes d’un niveau inimaginable sur de grands médias il y a quinze ans, c’est encore trop à ses yeux. L’Histoire, le respect des victimes de la France vichyste servile devant le nazisme, devançant les désirs des SS, à leur grande surprise parfois, on s’en fiche en 2025. Monsieur Zemmour n’a dit qu’un mensonge, finalement très mesuré, en affirmant que Pétain a sauvé des Juifs, quand les sionistes au pouvoir en Israël en sont à proclamer que ce sont les arabes qui ont poussé Hitler à exterminer les Juifs, quand des assassins et des génocidaires portent une étoile jaune en allant à l’ONU, profanant ainsi la mémoire des victimes juives de Hitler à qui cette étoile ne donnait, certes, que le pouvoir d’être fichées, traquées, interdites d’éducation, de travail, de s’asseoir sur les bancs, spoliées de leurs biens puis exterminées. Pas celui de commettre un génocide tout en se promenant aux Nations Unies pour y éructer des insanités racistes.

Finalement, Zemmour présentant le bourreau en chef de Vichy comme un sauveur de Juifs, en quoi est-ce le problème d’une musulmane ?

Pourquoi voler sa Shoah à Yvan Attal ? Sincèrement, je m’en passe fort bien, et je n’aimerais certes pas en venir à faire rougir de honte toute ma famille et susciter la colère de toute ma communauté en osant m’approprier les victimes du colonialisme pour ma petite boutique politique sanglante. Mais tout le monde n’a pas les mêmes valeurs.

Et l’on pourrait, à l’heure où les Palestiniens sont menacés de déportation ou d’extermination, en termes très clairs par Israël acter simplement des faits :   la lutte contre l’antisémitisme en France en 2025, la législation antiraciste comme le discours public à ce sujet sont devenus le fer de lance de la répression contre celles et ceux qui contestent non pas la mémoire de crimes contre l’humanité, mais des crimes contre l’humanité en train d’être commis. Lorsque Serge Klarsfeld, dont les travaux sont justement la cible de Zemmour dans cette affaire, applaudit l’extrême-droite avec ferveur, la boucle historique semble bouclée et ne nous concerner en aucun cas.

Mais comme tout le monde, les musulmans ont le droit à l’Histoire, à la transmission de la vérité, surtout sur le sujet des génocides commis par les Européens. Et ce droit, nous l’avons,  même si les sionistes nous le dénient, eux qui, par la voix de leurs associations et de leurs avocats, ont reproché à notre frère Elias d’Imzalene d’être allé devant le Mémorial des Insurgés du ghetto de Varsovie. Cela a fait partie des griefs soulevés par les avocats de la LICRA et de l’Observatoire Juif de France, car se recueillir pour les insurgés armés du Ghetto, c’était reconnaître ses propres projets antisémites violents, selon eux.

Notre Frère a été condamné à cinq mois de prison avec sursis pour avoir dit “Intifada”. Ses avoirs sont gelés, la spoliation des biens par le pouvoir exécutif s’ajoute à une condamnation, pathétique tentative de le priver de moyens et de soutiens avant l’appel.

Pour avoir nié les crimes commis par le maréchal Pétain et sa clique venue de tout le champ politique français, Zemmour, après six ans de procédure et deux relaxes, écope d’une amende que son mouvement paiera sans souci. Il le lui doit bien, car Zemmour, comme tous les négationnistes, sait ce qu’il gagne à aller volontairement au procès dans un pays qui s’est toujours montré très complaisant avec eux. La promotion de son récit.

Un récit qui va bien au-delà des seuls intérêts de l’extrême droite officielle en cette période où la France, ses intellectuels appointés, ses écrivains, ses polémistes, et une grande partie du champ politique, hurlent à la mort contre les Palestiniens avec Israël, par amour des Juifs disent ils.  Pour être crédible, ce récit doit effacer le passé, impérativement : il faut faire oublier la participation de la France au génocide antisémite.

Pétain, le héros de la boucherie nationaliste de la Première Guerre mondiale, encensé par Macron pour sa première vie, doit être petit à petit exonéré de la seconde.

Alors, prétendre partout qu’il a sauvé des Juifs et surtout sur C News, c’est important. Les faits sont têtus et terriblement dégradants pour la France éternelle amie des Juifs dont on nous rebat les oreilles toute la journée, même au regard des autres pays européens sous la domination nazie. Il y eut deux pays dans lesquels une collaboration d’état fut officiellement acceptée : la France et le Danemark. Mais au Danemark, immédiatement, les autorités firent savoir aux nazis que les Juifs danois ne seraient pas déchus de leur citoyenneté. Les nazis acceptèrent cette décision-là jusqu’à mi-1943, où ils opérèrent des rafles massives. À ce moment, le gouvernement danois démissionna en bloc. En France, le premier statut des Juifs est décrété dès le 3 octobre 1940. Il n’y pas eu la moindre protection des Juifs français, les seuls dont Zemmour parle et pour cause.

Lorsqu’il tente d’inventer une “protection ” des Juifs français en arguant, avec une abjection absolue, que seuls des Juifs “étrangers “, moins humains sans doute, furent arrêtés par la police française, puis exterminés pendant la rafle du Vel d’Hiv, il oublie un léger détail de l’histoire : 3000 enfants nés de parents juifs étrangers, mais français, furent arrêtés. L’amende de 10 000 euros infligée à Zemmour estime donc à 3 euros et 30 centimes la mémoire de chaque enfant juif français raflé. Et à rien celle des autres : les étrangers, qui, il est vrai, étaient déjà l’objet de lois contre les immigrés de plus en plus dures à la fin de la 3ᵉ République et objets de campagnes xénophobes puissantes.

L’enjeu politique est là, en ce qui nous concerne : en 2025, la remise en cause du droit du sol est une banalité lamentable. Les camps d’internement des étrangers, en majorité musulmans, ne cessent de s’agrandir et font partie d’un quotidien européen, celui qui traite comme des criminels, des hommes, des femmes et des enfants qui n’ont pas eu la décence de mourir noyés dans la Méditerranée. En 2025, même des députées visées comme palestiniennes et musulmanes sont menacées de déchéance de nationalité par des Ministres. En 2025, on ne répète pas la Shoah, on se contente de répéter l’histoire de France, celle qui amena la République et des socialistes à rejeter dans la catégorie des sous-humains même celui qui fut leur dirigeant le plus brillant, Léon Blum, et à voter les pleins pouvoirs aux ancêtres politiques de Zemmour, couchés devant les nazis.

En 2025, il n’y a pas à voler sa Shoah à Yvan Attal, il y a simplement à s’approprier l’Histoire, car elle est la nôtre.

Les mensonges de Zemmour, il faut le savoir, s’appuient sur une seule œuvre, celle d’Alain Michel, historien et rabbin en Israël : Alain Michel est un homme qui affirme que l’on ne peut librement faire de la recherche sur la Shoah et Vichy en France, que la “doxa “règne. Ça vous rappelle les discours négationnistes ? C’est normal, monsieur Alain Michel est un précurseur dans le domaine des amitiés franco-israéliennes, il ne se cache pas d’avoir rencontré le gendre de Pierre Laval et d’avoir été sensible à ses arguments.

Face à la démence des discours fascistes, face à l’union pour tous les génocides, nous avons l’Histoire à préserver : celle d’un pays profondément coupable et éternellement dans le déni de ses crimes, capable de se présenter en patrie de la lutte contre l’antisémitisme pour condamner des musulmans qui luttent contre un génocide, alors même que la France est une des patries de l’antisémitisme, dont les nazis lurent avec avidité les intellectuels.

Faut-il préciser que même si l’histoire des génocides n’était pas un savoir, mais une arme de guerre, nous ne la volerions désormais à personne et surtout pas aux sionistes ? De droite ou se disant de gauche, leur seule préoccupation, affichée fièrement, est, aujourd’hui, le destin d’un état génocidaire. Leur seul projet : attaquer l’antisionisme, avec le pouvoir macroniste, avec les fascistes, en s’acharnant, non seulement sur les musulmans, mais également sur les Juifs antisionistes à longueur de tribune, en leur déniant même le droit de faire vivre dans des colloques la mémoire de l’extermination des Juifs d’Europe, ou de projeter des films qui disent la vérité sur les nazis. La vérité historique, sa transmission aux masses ? Ils s’en moquent, donc.

Dans ce contexte historique, la lutte contre l’antisémitisme n’est pas un devoir pour les musulmans. Personne en France n’a à dicter aux victimes d’un racisme d’état, qui, à bien des égards, imite ce qu’il a toujours su faire, le devoir de faire autre chose que se défendre. Par contre, notre devoir et notre intérêt sont de préserver la mémoire de la sombre histoire française, de sa collaboration à un génocide, industrialisé froidement, sur son propre sol. Sombre histoire qui ne s’est jamais interrompue, juste exportée.

31.03.2025 à 19:33

Lettre ouverte à ceux qui attaquent le chercheur du CNRS François Burgat

Nadia Meziane

Lettre ouverte à ceux qui attaquent le chercheur du CNRS François Burgat   Christophe Oberlin 26 mars 2025   Alors qu’un génocide est en cours en Palestine occupée, les appuis occidentaux de l’Etat d’Israël font feux de tout bois. En France, pays clé, l’existence de lobbys est légale, ce qui est normal.  Ce qui l’est moins, c’est que la Justice s’en trouve parfois encombrée voire instrumentalisée.  Le comble serait que les chercheuses et chercheurs les plus compétents soient entravés dans leur recherche, voire condamnés personnellement. J’ai été victime, moi-même, il y a treize ans, d’une tentative d’intimidation utilisant le chantage à l’antisémitisme. La tentative s’est soldée par l’échec du lobby qui m’attaquait, assorti d’une jurisprudence allant à l’encontre du Conseil de l’Ordre des médecins qui s’était laissé instrumentaliser. Mais la force d’un lobby, tant qu’il est alimenté, est de ne pas se décourager. Aujourd’hui, dix ans plus tard, le chantage classique à l’antisémitisme a pris une autre forme. Il s’appuie sur un nouvel Esprit des lois, inquiétant. On prétend combattre « l’atteinte aux valeurs de la République », « l’incitation à la haine », « l’apologie de terrorisme ». Avec un champ d’application tout trouvé : l’une des valeurs de la République française serait de soutenir notre allié Israël, de promouvoir son amour pour cet Etat, et de considérer toute déclaration contraire comme une apologie de terrorisme. C’est exactement ce dont se plaint une association lobbyiste européenne  à l’encontre de François Burgat, éminent chercheur aux travaux de notoriété internationale. L’allégation est proprement ridicule, mais le lobby…
Texte intégral (3832 mots)

Lettre ouverte à ceux qui attaquent le chercheur du CNRS François Burgat

 

Christophe Oberlin 26 mars 2025

 

Alors qu’un génocide est en cours en Palestine occupée, les appuis occidentaux de l’Etat d’Israël font feux de tout bois.

En France, pays clé, l’existence de lobbys est légale, ce qui est normal.  Ce qui l’est moins, c’est que la Justice s’en trouve parfois encombrée voire instrumentalisée.  Le comble serait que les chercheuses et chercheurs les plus compétents soient entravés dans leur recherche, voire condamnés personnellement.

J’ai été victime, moi-même, il y a treize ans, d’une tentative d’intimidation utilisant le chantage à l’antisémitisme. La tentative s’est soldée par l’échec du lobby qui m’attaquait, assorti d’une jurisprudence allant à l’encontre du Conseil de l’Ordre des médecins qui s’était laissé instrumentaliser. Mais la force d’un lobby, tant qu’il est alimenté, est de ne pas se décourager.

Aujourd’hui, dix ans plus tard, le chantage classique à l’antisémitisme a pris une autre forme. Il s’appuie sur un nouvel Esprit des lois, inquiétant. On prétend combattre « l’atteinte aux valeurs de la République », « l’incitation à la haine », « l’apologie de terrorisme ». Avec un champ d’application tout trouvé : l’une des valeurs de la République française serait de soutenir notre allié Israël, de promouvoir son amour pour cet Etat, et de considérer toute déclaration contraire comme une apologie de terrorisme. C’est exactement ce dont se plaint une association lobbyiste européenne  à l’encontre de François Burgat, éminent chercheur aux travaux de notoriété internationale. L’allégation est proprement ridicule, mais le lobby par définition n’a pas peur du ridicule, c’est aussi à cela qu’on le reconnait. Ce qui est troublant, c’est que la plainte ait été estimée recevable par un parquet.

Alors, penseront certains, ce n’est pas si grave car, dans notre pays, l’Université et la Recherche, sont solides et indépendantes du pouvoir. Ce ne fut pas toujours le cas : on se souvient avec horreur de l’appui apporté par le monde académique à la colonisation, par le biais de travaux « scientifiques » sur l’inégalité des races humaines, l’instrumentalisation du génial Darwin à travers un « darwinisme social » meurtrier, celle moins connue du visionnaire français Alfred Binet, apôtre du dépistage et du traitement de la dyslexie des enfants, honteusement transformé aux États-Unis en « QI ».

Alors aujourd’hui, pas d’instrumentalisation politique de la science ?  Eh bien si. Avec une cible toute trouvée : les Arabes, les musulmans, l’islam. Avec quels moyens ?

Certains Instituts flagorneurs, certaines thèses de sciences sociales amalgamant de soi-disant « prescriptions religieuses » pour tuer avec certains territoires supposés perdus. Peu importe que de telles thèses aient été scientifiquement démontées[1], l’allégeance « académique » de certains.nes au pouvoir actuel suffit à conseiller les ministres, à justifier l’usage de l’outil judiciaire. Les meilleurs chercheurs sont vulgairement attaqués, tandis que leurs publications sont ignorées. Car le lobby est ignorant, c’est aussi à cela qu’on le reconnait.

Pour ceux qu’un peu plus de lecture n’effraie pas, qu’ils trouvent ici la relation de mon audience, en appel, devant la chambre nationale du Conseil de l’Ordre des médecins, le 11 octobre 2016.

 

Lorsque j’ai été mis en cause par le Conseil de l’Ordre, en première instance et avec mon avocate, nous avons pensé que l’Ordre avait commis une grosse faute en me trainant devant sa juridiction disciplinaire. Et nous avons parlé en droit pour permettre à la Chambre de s’en tirer avec les honneurs.  La première instance n’était pas politique. Nous nous sommes évertués à expliquer au jury que les positions politiques sur le sujet israélo palestinien n’avaient pas à être discutées devant une instance ordinale. Et en particulier n’avaient pas à faire l’objet d’une plainte initiée par le Conseil de l’Ordre à la suite du « signalement » d’un lobby. Quand je discute la légitimité d’un Etat juif à majorité juive, il s‘agit d’une opinion personnelle que le Conseil de l’Ordre n’a pas à contester. C’est une opinion exprimée en dehors de mes fonctions[2]. Quand le Conseil de l’Ordre porte plainte contre moi, et que l’avocat du Conseil de l’Ordre, qui est en même temps l’avocat du CRIF, choix peu adroit de la part du Conseil de l’Ordre, s’offusque que « le Dr Oberlin conteste la nature juive de l’Etat d’Israël », cela voudrait dire que l’Ordre aurait derrière lui les 200 000 médecins français : c’est tout à fait excessif.

Nous pensions que dans sa sagesse la première instance sous la présidence d’un juge issu des tribunaux administratifs, allait faire comme le Défenseur des droits[3] et classer l’affaire. Or ce n’est pas le cas, donc nous sommes contraints aujourd’hui de parler politique.

Je voudrais vous lire quelques textes, qui ne sont pas des pièces ajoutées au dossier, mais simplement des textes écrits par certaine personnalités et qui reflètent fidèlement mes convictions. Vous pouvez me les attribuer.

« Je sais qu’il y a des gens qui, sans me connaitre, me haïssent. Le pire c’est que certains sont de bonne foi. Car ce qu’ils savent de moi, ce sont des propos déformés et non mes positions réelles. J’ai eu la tentation face à un tel tir de barrage de ne plus m’exprimer sur le sujet. Certains amis me l’ont conseillé pour me protéger. Après avoir longuement hésité, j’ai décidé de ne pas me taire car il n’y a aucune raison qu’on ne puisse pas traiter, avec des désaccords mais librement et sereinement ce sujet. Le débat sur le Proche-Orient ne doit pas être dramatisé, doit être sorti de l’ornière, des insultes, des menaces, de la diabolisation, pour revenir dans un cadre démocratique et il est capital de ne pas céder au chantage visant à l’étouffer [4]».

Le mot est prononcé, le mot chantage. Comme l’a rappelé maitre Devers, je vais trois fois par an depuis quinze ans en Palestine.

Je ne vais d’ailleurs pas faire de la chirurgie humanitaire « qu’en Palestine », comme cette question un peu vicieuse m’est posée régulièrement.

Et j’observe qu’Israël est un bateau qui fait eau de toutes parts. Avec une population à l’intérieur de frontières de 1967 qui est dépressive, des soldats et des soldates qui n’en peuvent plus de passer trois ans à faire leur service militaire. J’étais à Gaza la semaine dernière, j’ai encore passé deux heures à la sortie par Tel Aviv à être fouillé par des jeunes gens de 20 ans qui m’ont demandé de baisser mon pantalon, tout comme à une infirmière de bloc opératoire qui était avec moi et qui est âgée de quatre-vingt ans. L’état psychologique de ces jeunes m’inquiète.

Pour la situation internationale d’Israël au niveau de l’ONU, ce n’est guère mieux. Imaginez une association de pêcheurs à la ligne dont un membre indélicat pêcherait à la dynamite. On lui délivrerait un blâme, et s’il récidivait on l’exclurait. Voici un Etat, Israël, qui n’a respecté aucune des dizaines de résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU concernant ses exactions.

Protestation du jury qui m’oblige à hausser le ton pour continuer.

 Excusez-moi Mme la présidente, je suis un enseignant, je sais parler en public, je vais faire vite, mais si vous m’interrompez cela va rallonger un peu ma présentation.

Autrement dit que reste-il comme outil aujourd’hui en France[5] pour soutenir Israël ?  Il nous reste le chantage à l’antisémitisme.

« Prétendre que cet antisémitisme est en montée ne représente aucunement une situation réelle mais une opération de stigmatisation. Cette opération est un fusil à deux coups. Elle vise d’une part la jeunesse noire et arabe et de l’autre ceux qui la soutiennent et se trouvent presque tous hostiles à la politique des gouvernements israéliens successifs. Il est essentiel d’empêcher ces gens-là de nuire car ils écrivent parfois des livres et peuvent de temps à autre faire entendre leur voix. Pour tenter de les réduire au silence on va les accuser eux aussi d’antisémitisme et peu importe si cette accusation est totalement absurde[6] ».

Interruption par la présidente.

 Je vais continuer et vous parler du Conseil de l’Ordre, de ceux qui m’ont jugé en première instance, des personnes qui sont censées me donner des leçons de morale.

Il ne s’agit pas de leçon de morale dit la présidente.

Réponse : Si, la déontologie c’est de la morale.

La présidente : Nous n’allons pas statuer sur ce que vous allez dire.

Réponse : Je le sais très bien mais aujourd’hui vous m’avez contraint à parler de ces choses-là.

« Tous ces procédés, si tirés par les cheveux qu’ils soient, finissent par former une rhétorique d’intimidation » – c’est ce que vous êtes en train de faire – « dont le seul but est de coller à l’adversaire l’étiquette antisémite avec l’idée qu’une fois appliquée, on ne pourra plus s’en défaire comme le capitaine Hadock avec son célèbre sparadrap. » Alain Badiou a même de l’humour.

« Hormis l’hypothétique désir de défendre les juifs, on peut se poser la question de ce qui pousse certains intellectuels à user de la très grave accusation d’antisémitisme. Ces raisons sont diverses, on peut en dégager le fond commun : soutien à l’ordre existant, collusion avec le pouvoir en place, anticommunisme historique, conviction que l’armée américaine est le dernier rempart des libertés, défense de l’Etat d’Israël, sans compter un bien compréhensible souci d’autopromotion ».

« Alors il faut comme toujours tenir bon. Et rendre coup pour coup, disent Alain Badiou et Éric Hazan, rien n’est plus important que d’avoir notre propre idée de ce qui dans les dispositions et les combats du monde contemporain a valeur universelle. Si nous sommes sur ce point de vue invulnérables dans la pensée, les inquisiteurs sauront que nous nous sentons entièrement libres de tenir leurs vaticinations non comme un péril pour nous mais comme un symptôme supplémentaire de leur indignité ».

 

Or les exemples d’indignité ne manquent pas dans notre affaire. Je vais vous en citer quelques-uns.

Cette fameuse enquête administrative qui a été annoncée dans la presse[7], qui a fait que pour la première fois on a cité mon nom dans tous les journaux nationaux et toutes les télévisions, de manière globalement hostile[8]. Un an après que cette enquête ait été initiée, j’ai interrogé le président de l’université Vincent Berger[9], le doyen Benoit Schlemmer, l’administration : ils m’ont dit « on ne sait pas » ! Ils ne m’ont pas dit qu’il y avait eu un non-lieu, ils m’ont dit « on ne sait pas » ! Je suis allé au siège de l’université, j’ai ouvert mon dossier administratif : pas une trace !

Quand je suis allé à Gaza on m’a pEh bien oui, ils étaient 86 sur 90 ont bien rosé la seule question vraiment intelligente « les étudiants ont-ils bien répondu ? » épondu. Ils ont donné les définitions des crimes de guerre relevant de la Cour Pénale Internationale, avec les arguments pour appuyer chaque crime et notamment la nécessité d’une investigation indépendante pour juger du caractère intentionnel. Les copies d’examen, je pense qu’elles sont conservées par l’université, vous pouvez les consulter.

Tout ça n’est pas très glorieux pour Vincent Berger qui était le président de l’université qui a écrit dans la presse que c’était « une atteinte à la laïcité ». Benoit Schlemmer qui a affiché un communiqué me condamnant dans la cour de la faculté[10], apporté immédiatement par les étudiants.

Le professeur Robert Haiat est quelqu’un pour lequel j’ai beaucoup de respect en tant que cardiologue, j’ai utilisé ses très bonnes questions quand je préparais l’internat. Mais l’Association des Médecins Israélites de France[11] qu’il préside se prétend « apolitique », alors que son site précise qu’elle invite à débattre « les personnalités les plus prestigieuses du monde politique », que l’association est « présente sur tous les fronts de l’action en faveur d’Israël ». Le Pr Haiat n’a jamais été convoqué pour enfreinte à la déontologie ! Le changement de qualification entre « plainte » et « doléance » évite au professeur Haiat de se confronter avec moi [12]pour discuter d’égal à égal, tranquillement, argumenter, pas plus que madame C[13].

Mme Kahn Bensaude : j’ai été effaré d’apprendre le passé de cette dame qui a été vice-présidente puis présidente de la chambre disciplinaire de l’Ordre des médecins.[14]

Tentative d’interruption par la présidente. Le rapporteur se lève outré…

 Je suis désolé je vais en parler car il était absolument inadmissible que quelqu’un ait couvert pendant des années et mis sous le coude des plaintes de femmes agressées sexuellement en consultation par un médecin le Dr Hazout.   Des plaintes relatant des faits commis dès les années 1980. En 2014 le Dr Hazout a été jugé aux assises comme c’est normal quand on a commis un crime, et le viol est un crime. Aujourd’hui le Dr Hazout est en prison. Et Mme Kahn Bensaude ose, au nom du Conseil de l’Ordre, porter plainte contre moi[15]  pour des entorses à la morale ! le Conseil de l’Ordre en 2012 a été condamné dans cette affaire. Mme Bensaude aurait dû démissionner au minimum.

Tentative d’interruption.

 J’entends terminer mon intervention comme je l’entends.

Donc ce n’est pas acceptable de se faire donner des leçons de morale par des personnes qui ont commis des actes d’une gravité extrême, qui ont été complices de recel de crimes, car le viol aujourd’hui en France est un crime.

Ariel Tolédano[16]. C’est amusant de se faire donner des leçons de morale par quelqu’un qui fait de la phlébologie esthétique avenue des Champs Elysées…

Tentative d’interruption

Son site internet comporte une rubrique « titres universitaires » alors qu’il n’en a pas. Un médecin qui se fait de la publicité médicale, interdite à ma connaissance par la déontologie. Et il fait même de la publicité, dans le cadre du traitement des jambes lourdes, pour l’application de boues de la Mer morte !

Tentative d’interruption

C’est assez amusant et je dois dire que cette histoire prêterait à rire s’il ne s’agissait pas en réalité d’un conflit extrêmement meurtrier. J’ai vu encore lors de mon séjour récent à Gaza des gens qui vivent dans des maisons en carton, gorgées d’humidité et de cafards.

J’y ai vu des handicapés mentaux enchainés parce qu’ils habitent en bordure de la frontière et s’ils s’en rapprochent errants ils vont se faire mitrailler. Ceci est une affaire extrêmement grave.

Mais au milieu il y a un peu d’humour et je remercie Mr Tolédano de nous donner l’occasion de rire un peu.

Par ailleurs Mr Tolédano, c’est tout à fait intéressant, …

Tentative d’interruption

… m’avait posé la seule et unique question en provenance du jury ce jour-là : « Auriez-vous posé une question sur les crimes commis par le Hamas ? » Je lui ai répondu par l’affirmative, mais lui-même m’aurait-il trainé devant une juridiction si j’avais posé une question mettant en cause la Somalie, le Soudan ou le Hamas ?

Il y a ici effectivement, nous en sommes conscients, un outil qui est utilisé qui est le chantage à l’antisémitisme. Avec des attaques non pas sur les idées, car aucun opposant ne veut venir débattre, mais des attaques contre les personnes. C’est quelque chose qui existe, j’en suis conscient, je ne suis pas un héros, ma carrière est derrière moi. Mais j’assume complètement ce que je viens de vous dire, et je prétends même continuer.

J’ai été interdit de parole à l’université de Freiburg en Allemagne. La personne qui m’avait invité, un médecin, a porté plainte. Lors de l’audience au tribunal, le président de l’université a cru bon de faire venir comme témoins deux vieux professeurs juifs de l’université. Et ces professeurs ont parlé du génocide. L’effet a été très mauvais sur le jury, car ce n’était pas le sujet, et l’université de Freiburg a été condamnée. Un an après j’ai pu donner ma conférence dans les locaux de l’université de Freiburg.

 

 

 

 

 

________________________________________________________

 

[1] Margot Dazey, Enquêter sur des mouvements islamistes. Enjeux conceptuels, méthodologiques et épistémologiques d’une approche centrée sur l’idéologie, Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], 155 (1/2024) | 2024, mis en ligne le 04 décembre 2023, consulté le 20 décembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/remmm/20611 ; DOI : https://doi.org/10.4000/remmm.20611

[2] Témoignage étudiant.

[3] Plainte du Conseil de l’Ordre classée sans suite le 28 mai 2014.

[4] Est-il permis de critiquer Israël ? Pascal Boniface, Robert Laffont Paris 2003, p 224.

[5] La France dispose du droit de veto au Conseil de sécurité.

[6] L’antisémitisme partout – Aujourd’hui en France, Alain Badiou et Eric Hazan, la Fabrique, Paris 2011

[7] Le 14 juin 2012

[8] La presse étrangère a été unanimement favorable, curieux ?

[9] Qui n’a pas répondu

[10] Il « partage l’émotion légitime » suscitée par une question de droit humanitaire tirée du Rapport Goldstone sur la guerre de Gaza 2008-2009. Voir https://www.youtube.com/watch?v=xQbcd8Zar8U

[11] Membre du CRIF, elle y dispose de trois délégués au sein de l’Assemblée générale, et d’un représentant au Comité directeur

[12] Ce qui est la règle lorsqu’un médecin porte plainte contre un confrère. Ici c’est la Conseil de l’Ordre qui a repris à son compte la plainte.

[13] Plainte anonyme ou anonymisée ?

[14] Enquête sur les mandarins de la médecine – Le Conseil de l’Ordre : protections, affaires et gaspillages, René Chiche, Editions du Moment, Paris 2013

[15] Comme elle a fait condamner pour diffamation un médecin qui s’était plaint à l’Ordre du viol de sa femme par le Dr Hazout !

[16] L’un des juges en première instance

26.03.2025 à 09:33

Sommes-nous vraiment tous des terroristes ?

Nadia Meziane

“Islamiste ou pas, bon ou méchant, si on transige sur l’Etat de droit pour les autres on le paye soi-même ou des proches un jour“   Si les erreurs judiciaires ne correspondaient pas aux errements de l’opinion publique, elles seraient vite réparées. Mais les raisonnements, contraires à tous les principes fondamentaux en démocratie, qui ont conduit Abdelhakim Sefrioui à être placé quatre ans à l’isolement, au titre de sa complicité présumée avec l’assassinat de Samuel Paty, avant d’être condamné à 15 ans d’incarcération, sont malheureusement très partagés en France. Quels sont les faits exacts qui lui sont reprochés ? Il ne connaissait pas l’assassin de Samuel Paty, et celui-ci n’a vu aucune de ses vidéos. Il n’y a donc pas eu la moindre association entre eux. “Rappelle-moi vite, un malade a assassiné le professeur”, s’est-il exclamé en apprenant le crime, sans savoir que son téléphone était sur écoute. Et, en garde à vue, ses premiers mots ont été : “ Si j’avais pu donner ma vie pour protéger le professeur (…) j’aurais donné ma vie ”. Abdelhakim Sefrioui est militant contre l’islamophobie. Comme tous les militants, il a appliqué un principe simple : croire celle qui s’adressait à lui en se disant victime et la défendre avec toute sa force de conviction. On peut naturellement critiquer cette démarche qui fonde le combat de tous les activistes, musulmans ou non. Mais elle est commune et rarement reprochée à d’autres acteurs du débat public : lorsqu’il n’y a pas si longtemps, toute…
Texte intégral (1595 mots)

Islamiste ou pas, bon ou méchant,

si on transige sur l’Etat de droit pour les autres on le paye soi-même ou des proches un jour

 

Si les erreurs judiciaires ne correspondaient pas aux errements de l’opinion publique, elles seraient vite réparées.
Mais les raisonnements, contraires à tous les principes fondamentaux en démocratie, qui ont conduit Abdelhakim Sefrioui à être placé quatre ans à l’isolement, au titre de sa complicité présumée avec l’assassinat de Samuel Paty, avant d’être condamné à 15 ans d’incarcération, sont malheureusement très partagés en France.

Quels sont les faits exacts qui lui sont reprochés ? Il ne connaissait pas l’assassin de Samuel Paty, et celui-ci n’a vu aucune de ses vidéos. Il n’y a donc pas eu la moindre association entre eux.
Rappelle-moi vite, un malade a assassiné le professeur”, s’est-il exclamé en apprenant le crime, sans savoir que son téléphone était sur écoute. Et, en garde à vue, ses premiers mots ont été : “ Si j’avais pu donner ma vie pour protéger le professeur (…) j’aurais donné ma vie ”.

Abdelhakim Sefrioui est militant contre l’islamophobie. Comme tous les militants, il a appliqué un principe simple : croire celle qui s’adressait à lui en se disant victime et la défendre avec toute sa force de conviction.

On peut naturellement critiquer cette démarche qui fonde le combat de tous les activistes, musulmans ou non. Mais elle est commune et rarement reprochée à d’autres acteurs du débat public : lorsqu’il n’y a pas si longtemps, toute la classe politique et médiatique s’émut pour une jeune fille qui se disait victime d’une grave agression antisémite dans le RER (1), laquelle se révéla fausse, beaucoup de ceux qui applaudissent aujourd’hui la condamnation d’Abdelhakim Sefrioui ne s’excusèrent pas d’avoir défendu cette jeune fille et tiré d’immédiates conclusions politiques. Et ils avaient des raisons de prendre son parti, car en matière antiraciste et antisexiste, toutes les statistiques montrent que les mensonges sont excessivement rares. La foi dans la parole de la victime, réelle ou supposée, est donc bien légitime. Évidemment, les conclusions politiques précises qu’on tire de cette parole sont autre chose.

Dans l’affaire du RER D, de nombreux acteurs aujourd’hui très actifs contre les musulmans ont immédiatement crié à la validation de leur thèse islamophobe sur le « nouvel antisémitisme ».

Abdelhakim Sefrioui, lui, a simplement demandé des sanctions administratives et légales contre un enseignant dont il s’inquiétait des pratiques pédagogiques qui lui avaient été rapportées et dont le comportement avait déjà été signalé à l’inspection : d’une part, ce qui semblait être une volonté non pas de critiquer des croyances religieuses, mais d’insulter spécifiquement la religion musulmane à travers exclusivement des caricatures du prophète de l’islam ; d’autre part, et de façon plus caractérisée encore, l’exclusion d’élèves musulmans en tant que musulmans.

Voilà donc condamné non pas un bourreau mais un critique ; non pas un homme qui a assassiné, mais un homme qui s’est indigné et mobilisé pour que soit prise une mesure légale face à ce qu’il estimait être une injustice. Et voilà que, dans une confusion que ne renieraient pas les régimes les moins démocratiques, l’un devient synonyme de l’autre : l’indigné devient l’assassin, la critique, une mise à mort. Imagine-t-on un instant ce genre d’équivalence appliqué à un contexte où les personnes incriminées ne seraient pas musulmanes ? Les syndicalistes qui pourfendaient nominativement et régulièrement “les grands patrons”, les anti-militaristes qui dénonçaient “les généraux” n’ont jamais – et c’est heureux – été tenus pour responsables des assassinats dont ceux-ci ont été victimes de la part de groupes comme Action Directe.

Nous tous qui avons condamné, y compris avec virulence, les pratiques islamophobes de Charlie Hebdo, sommes-nous donc tous des “terroristes” ? Il semble que oui, a cru pouvoir dire la Cour d’assises spéciale de Paris.

Car nous sommes en 2025. Le simple fait de comparer un militant musulman contre l’islamophobie à un activiste contre l’antisémitisme ou à un syndicaliste non-musulman génère des cris d’indignation et prend valeur de scandale.

L’atmosphère surchauffée par une extrême-droite aux portes du pouvoir a, en effet, érigé en norme la déshumanisation et la mise au ban systématiques d’une catégorie de droits humains : ceux des musulmans.

Pour condamner Abdelhakim Sefrioui, au prétoire comme dans l’opinion publique, un seul argument semble suffir : Samuel Paty a été assassiné de manière  atroce… par un musulman. Fin du débat.

Mais si l’on défend l’universalisme des principes, et les règles de base de l’Etat de droit, force est de constater que la violence et le crime d’un homme ne sauraient justifier la condamnation à l’identique d’individus parfaitement étrangers à ce crime… excepté si le criminel est musulman.

Le tueur du marché de Noël de Magdebourg était un islamophobe convaincu, abonné aux comptes de nombreuses personnalités d’extrême-droite françaises et allemandes. Il interagissait de longue date dans cette sphère virtuelle. Personne, pour autant, n’y sera poursuivi pour association de malfaiteurs terroristes.

En remontant un peu plus loin, il est établi que Brenton Tarrant, l’assassin de masse de la mosquée de Christchurch ( 51 morts et 49 blessés ), avait voyagé en France, contacté et fait des dons au Bloc Identitaire et se déclarait inspiré par cette mouvance. De même, l’assaillant de la mosquée de Bayonne qui fit deux blessés graves en 2019 commentait sur Riposte Laïque et avait été candidat du RN. Riposte Laïque n’a pour autant jamais été poursuivie, quand bien même trouve-t-on sur le site des apologies explicites des tueurs suprémacistes comme Tarrant. Tout juste le site fait-il parfois l’actu lorsqu’il en vient à menacer les juges et les avocats dans l’affaire des assistants parlementaires du Rassemblement National.

Mais, en droit, le crime des tueurs suprémacistes blancs reste leur crime. Et pas celui de ceux qui ont pourtant été en contact soit simplement politique et indirect, soit même direct avec eux.

C’est heureux ! Quand bien même on a la plus profonde répugnance politique pour l’extrême-droite, quand bien même on la combat de toutes ses forces dans le débat démocratique. En démocratie justement, l’on est coupable seulement de ses actes.

Les sept semaines de procès d’Abdelhakim Sefrioui ont démontré, qu’à aucun moment, il n’avait agi ou inter-agi avec l’homme qui a assassiné Samuel Paty. Il doit donc être acquitté en appel.

L’ensemble des acteurs des droits humains, l’ensemble des défenseurs de la démocratie doivent aujourd’hui se mobiliser pour un procès juste et non dicté par la rumeur, l’émotion et le ressentiment.

Cela va nécessiter d’affronter la meute fasciste. Ce n’est pas simple.
Mais…“Islamiste ou pas, bon ou méchant, si on transige sur l’Etat de droit pour les autres, on le paye soi-même ou des proches un jour”. (Alex Robin, LDH PACA, répondant à Sam Abramovitch)

 

___________________________________________

(1) En jullet 2004, une jeune femme, Marie Leblanc affirme avoir été agressée avec sa fille de 13 mois par des arabes et des noirs dans le RER D , en présence d’une vingtaine de passagers. Des croix gammées auraient été taggées sur son ventre sans susciter aucune réaction. 

De la présidence de la République aux députés socialistes, en passant par des chercheurs comme Pierre André Taguieff, tout le monde dénonce ce “nouvel antisémitisme”. Mais la police établit en 48 heures que la jeune femme a inventé cette histoire. 

On trouvera ici un article de Mogniss Abdallah où figurent beaucoup de citations de l’époque, attestant de la virulence qui se manifesta. Cette affaire est celle qui permit aux défenseurs de la théorie du “nouvel antisémitisme” de percer dans l’espace médiatique. 

Après la révélation du caractère mensonger des propos de la jeune femme en détresse psychologique aigue qui voulait attirer l’attention de son compagnon et pas de la France entière, Jacques Chirac affirma “ne pas regretter sa réaction “.Dominique Strauss Kahn, député ”  Un coup monté ? Cela ne changerait rien au fait que c’est la 10ème ou 20ème aggression de ce genre”.

Alain Jacubowicz , avocat, président de la LICRA, ex-président du CRIF Rhône Alpes eut ces mots forts justes “Il est préférable de s’indigner à tort, et de bonne foi , plutôt que se taire”

​​

6 / 10
  GÉNÉRALISTES
Ballast
Fakir
Interstices
Lava
La revue des médias
Le Grand Continent
Le Monde Diplo
Le Nouvel Obs
Lundi Matin
Mouais
Multitudes
Politis
Regards
Smolny
Socialter
The Conversation
UPMagazine
Usbek & Rica
Le Zéphyr
 
  CULTURE / IDÉES 1/2
Accattone
Contretemps
A Contretemps
Alter-éditions
CQFD
Comptoir (Le)
Déferlante (La)
Esprit
Frustration
 
  IDÉES 2/2
L'Intimiste
Jef Klak
Lignes de Crêtes
NonFiction
Nouveaux Cahiers du Socialisme
Période
Philo Mag
Terrestres
Vie des Idées
Villa Albertine
 
  THINK-TANKS
Fondation Copernic
Institut La Boétie
Institut Rousseau
 
  TECH
Dans les algorithmes
Framablog
Goodtech.info
Quadrature du Net
 
  INTERNATIONAL
Alencontre
Alterinfos
CETRI
ESSF
Inprecor
Journal des Alternatives
Guitinews
 
  MULTILINGUES
Kedistan
Quatrième Internationale
Viewpoint Magazine
+972 mag
 
  PODCASTS
Arrêt sur Images
Le Diplo
LSD
Thinkerview
 
   Fiabilité faible
Contre-Attaque
Issues
Korii
Positivr
Regain
Slate
Ulyces
🌓