17.12.2025 à 20:59
hschlegel
« “Pitié, pas un pull, j’en ai des kilos dans mes tiroirs. Maman aussi est prévenue.” J’ai saisi au vol, ce matin, un bref échange angoissé dans la rue, en arrivant à la rédaction. Un père s’adressait à sa quadragénaire de fille. Il parlait de Noël et s’attendait déjà au pire. Alors quoi, sinon un gilet pour descendre les poubelles ?
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J-7. À une semaine de Noël, peut-être ressentez-vous déjà une certaine appréhension à l’idée de passer le réveillon en famille, redoublée par l’épreuve des cadeaux plus ou moins obligés. Les plus prévoyants auront sans doute déjà ficelé leurs gros paquets ; les autres, dans mon genre, commencent à y penser, préférant la précipitation à l’anticipation. Voici quelques idées de sorties, de spectacles et de lectures qui pourraient vous retirer une épine (de sapin) du pied !
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En danseIsrael et Mohamed, de Mohamed El Khatib et Israel Galván (à Rennes).Un spectacle joué et dansé par le comédien Mohamed El Khatib et le danseur de flamenco Israel Galván autour de ce que Lacan appellerait le “Nom-du-père”, soit une figure de l’interdit.
Ultimo Helecho, de François Chaignaud et Nadia Larcher (également à Rennes).Où le danseur offre une merveilleuse interprétation – queer, ou qui joue du “trouble dans le genre” pour le dire comme Judith Butler – des danses et des chants baroques sud-américains, dans un décor spectaculaire.
Chicago. Le musical (à Paris).Mettant sous les feux de la rampe des femmes fortes (mais criminelles), la fameuse comédie musicale s’exporte de Broadway à Paris. Où “le tout est plus que la somme des parties”, selon une idée aristotélicienne.
Brel, d’Anne Teresa de Keersmaeker et Solal Mariotte (à Paris).La chorégraphe et le danseur de breakdance s’allient pour interpréter l’intégralité de la discographie de Jacques Brel, convaincus que danser permet “d’articuler un trajet intellectuel”.
Au théâtreLa Vie secrète des vieux, de Mohamed El Khatib (à Grasse, Épinal, Blois, Vannes, Corbeil-Essonnes, Sartrouville, Lyon, Saint-Médard-en-Jalles, Paris, Sénart).Un spectacle infiniment touchant sur la persévérance du désir chez nos aïeux – ce que Spinoza désignerait sous le terme de conatus ?
L’Hôtel du libre échange, de Georges Feydeau, dans une mise en scène de Stanislas Nordey (à Brest, Bourges, La Rochelle, Mulhouse).Une adaptation hilarante de ce vaudeville qui parle aussi de désir et d’adultère… mais cite également Descartes, pour qui “l’amour est une émotion de l’âme causée par le mouvement des esprits animaux” !
Hécube pas Hécube, de Tiago Rodrigues (à Paris).La troupe de la Comédie-Française met en scène une double tragédie sur la vengeance inspirée d’Euripide qui exacerbe les sentiments de colère et d’amour.
Neandertal, de David Geselson (à Lyon).Une réflexion sur la quête des origines construites comme un thriller, où la quête du passé de l’humanité se confond avec l’exploration des histoires intimes, défaisant toute tentation identitaire.
Que d’espoir ! de Hanokh Levin, dans un mise en scène de Valérie Lesort (à Lyon).“La joie réelle n’est autre, en effet, qu’une vision lucide, mais assumée, de la condition humaine”… Ce n’est pas du Hanokh Levin mais du Clément Rosset ! Une citation qui sied bien à ces saynètes cyniques (parfois grivoises) reprises dans une forme joyeusement grotesque.
En librairieJohn Singer Sargent. Éblouir Paris, catalogue de l’exposition au musée d’Orsay (qui court encore jusqu’au 11 janvier).Cette remarquable exposition réunissant des chefs-d’œuvre ferme bientôt. Mais son catalogue vaut d’être parcouru, où l’on découvre notamment l’amitié du peintre pour l’écrivain Henry James (frère du philosophe William James).
Wish This Was Real, catalogue de l’exposition de Tyler Mitchell à la MEP (qui court encore jusqu’au 25 janvier).La rétrospective retrace le parcours de ce jeune photographe américain pour qui “montrer la beauté noire est un acte de justice”. Le catalogue ravira les amateurs de photo.
L’Art de Claude François. Génie de la chanson populaire, de Philippe Chevallier (PUF, 2025).Dans cet essai aussi sérieux qu’amusé, qui vient d’être réédité dans une version augmentée, le philosophe (et fan) fait l’analyse de la “forme moyenne” de Claude François, dans les pas d’Aristote.
Et aussi… Mille Vignes, de Pascaline Lepeltier (Hachette, 2022).Ce n’est pas une “nouveauté” (quoique le livre vienne d’être traduit en anglais !) mais j’ai découvert cet année ce volume illustré de la sommelière Pascaline Lepeltier à l’occasion d’un entretien. Ancienne étudiante en philosophie, elle y transmet sa passion en mobilisant les sciences humaines.
Joyeuses fêtes ! »
décembre 202517.12.2025 à 17:00
hschlegel
Le candidat d’extrême droite José Antonio Kast, admirateur assumé et héritier revendiqué de Pinochet, vient de remporter les élections présidentielles au Chili. Une surprise ? Pas vraiment, selon Rachel Théodore, chercheuse en sciences politiques à l’Universidad Mayor de Santiago. Nous l’avons interviewée pour comprendre l’état de la démocratie chilienne.
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Qui est José Antonio Kast ?
Rachel Théodore : José Antonio Kast est un avocat, né d’une famille d’immigrants allemands [et d’un père membre du parti nazi qui a fui l’Allemagne après guerre, avec un grand frère ministre pendant la dictature]. Il a d’abord construit sa carrière au sein de l’Unión Demócrata Independiente – la droite conservatrice pro-Pinochet, parti fondé par Jaime Guzmán, le père de la Constitution de 1980. C’est sous cette étiquette qu’il été élu député. Il a ensuite quitté le parti, affirmant qu’il était devenu trop modéré, pour créer le Parti Républicain (Partido Republicano), qui incarne une droite plus identitaire. Candidat à la présidentielle en 2017 et en 2021, où il obtient la première majorité au premier tour, Kast a réussi à canaliser le mécontentement d’une partie de l’électorat.
“Au Chili, Pinochet reste apprécié par les conservateurs et l’élite économique, pour qui il a ‘sauvé le pays’ du socialisme” Rachel Théodore
Quels ont été ses arguments de campagne ?
Kast a construit sa campagne autour de l’idée que le Chili serait entré dans une phase de déclin depuis la révolte sociale de 2019 et qu’un retour à l’ordre s’imposait face aux politiques de gauche, qu’il accuse d’avoir fragilisé les institutions. Il s’est progressivement imposé comme le chef de file d’une droite dure, en rupture avec la droite traditionnelle incarnée par Sebastián Piñera [ancien président du Chili], en structurant le débat politique autour de thèmes centraux : la sécurité et la lutte contre l’immigration – en particulier vénézuélienne et colombienne –, la relance de la croissance économique ainsi que la défense d’un modèle social ultra-conservateur, notamment opposé à l’avortement, et d’un modèle économique néolibéral, dans la droite ligne de Milton Friedman.
De quelle extrême-droite s’agit-il ? S’inspire-t-il d’autres figures à l’étranger ?
Sur le plan idéologique, Kast revendique une proximité avec des figures comme Donald Trump – qu’il a déclaré vouloir inviter lors de sa prise de fonction –, Jair Bolsonaro au Brésil et Javier Milei en Argentine. Il défend une ligne néolibérale radicale fondée sur la réduction drastique des dépenses publiques, à travers d’importantes coupes budgétaires, et sur une critique virulente de l’« assistanat social ». Dans cette perspective, la protection sociale ne doit pas relever prioritairement de l’État mais être largement régulée par les mécanismes du marché.
“Depuis la révolte sociale de 2019, le Chili évolue dans une dynamique politique presque bipolaire, oscillant entre des positions extrêmes” Rachel Théodore
Quel était le bilan de la gauche ?
Le bilan du gouvernement de Gabriel Boric apparaît comme ambivalent. Mais il faut replacer son mandat dans un contexte politique exceptionnel, marqué par le mouvement contre-révolutionnaire qui est apparu après la révolte sociale d’octobre 2019. Alors qu’une partie importante de la société réclamait des transformations profondes – sociales, économiques et institutionnelles –, la réaction politique et médiatique a été de refermer cette fenêtre de changement, réaffirmant les cadres de l’ordre établi. On voit le résultat aujourd’hui. Dans ce paysage, la gauche gouvernementale s’était présentée comme le vecteur moral d’un renouveau démocratique, en opposition à des élites politiques et économiques perçues comme corrompues, déconnectées et responsables de la crise de légitimité de l’État chilien. Le Frente Amplio (la grande coalition de gauche plus dure qui a porté Boric au pouvoir) et Boric lui-même avaient construit une partie de leur capital symbolique sur cette promesse, qui s’est heurtée rapidement à la réalité. Le mandat de Boric a été parasité par des scandales de corruption, de favoritisme ou d’opacité administrative, minant sa prétention à être en rupture avec les pratiques discréditées de la classe politique traditionnelle. Enfin le mouvement politique qui l’a porté au pouvoir a été accusé de donner la priorité à des agendas identitaires ou minoritaires – qualifiés de wokes – au détriment des préoccupations réelles de la population. Certains lui reprochent de ne pas avoir condamné avec suffisamment de fermeté les épisodes de violence grave survenus en 2019, alimentant l’idée que la gauche aurait contribué à radicaliser le conflit social. Le soutien explicite du gouvernement au projet constitutionnel de 2021, perçu comme un texte trop avant-gardiste [au final, la Constitution datant de Pinochet a été conservée], a aussi approfondi la distance entre l’exécutif et un électorat modéré qui souhaitait certes des changements, mais dans un cadre institutionnel stable. Cependant, à l’examen des résultats économiques et sociaux, le bilan du gouvernement Boric est loin d’être aussi négatif que ne l’a présenté l’opposition. Malgré une campagne publique particulièrement virulente visant à discréditer son action, le Chili a montré des signes de stabilité macroéconomique, de maîtrise de l’inflation, de reprise de l’emploi formel et d’amélioration de certains indicateurs sociaux.
La victoire de Kast est-elle due à une méfiance vis-à-vis de la candidate communiste ou à un véritable enthousiasme pour son programme ?
Depuis la révolte sociale, le Chili évolue dans une dynamique politique pendulaire – presque bipolaire – oscillant entre des positions extrêmes. L’un des facteurs qui a joué en faveur de Kast est que la candidate de la coalition de gauche appartenait au Parti communiste, ce qui était probablement le pire choix possible pour représenter la gauche, car l’anticommunisme reste très fort au Chili. La gauche avait organisé des primaires où la candidate de centre-gauche, Carolina Tohá, a été battue, ce qui a eu pour effet de pousser la compétition présidentielle vers les extrêmes. On peut donc considérer que le soutien véritable au projet politique de Kast ne dépasse probablement pas les résultats qu’il a obtenus au premier tour, soit environ 25% des voix. Sa victoire ne doit donc pas être interprétée comme une adhésion massive à son programme.
“La candidate en face de Kast était communiste. Probablement le pire choix possible pour représenter la gauche, car l’anticommunisme reste très fort au Chili” Rachel Théodore
Les citoyens qui ont voté pour Kast ont-ils été séduits par son conservatisme (sur l’avortement par exemple) ou par ses promesses de libéralisation économique ?
Selon certaines enquêtes, entre 78 et 81% des citoyens soutiennent l’IVG dans les trois situations autorisées par la loi – risque vital pour la mère, inviabilité fœtale et grossesse résultant d’un viol. L’avortement n’est donc pas condamné en soi. Les priorités des citoyens se sont plutôt déplacées vers la sécurité et la situation économique, d’où le succès de Kast. Par ailleurs se développe une méfiance envers le rôle de l’État, qui alimente des discours favorables à la réduction de son intervention ou critiques envers la fonction publique. Nombre de Chiliens souhaitent de meilleurs services sociaux, mais refusent une augmentation des impôts, estimant que l’État gère mal les ressources. Cette contradiction est un élément structurant du débat public au Chili, qui montre une tension permanente entre valeurs sociales progressistes, demandes de stabilité économique et méfiance envers l’État.
Kast dit admirer Pinochet. Comment expliquer que les Chiliens se tournent vers lui malgré le souvenir de la dictature ?
Kast est un admirateur déclaré d’Augusto Pinochet. Il appartient à la génération politique qui s’est opposée au « oui » à la transition démocratique lors du plébiscite de 1989. Pour un public français, cette position est difficile à comprendre, car elle implique une défense explicite d’un régime militaire responsable de violations massives des droits de l’homme. Pourtant, au Chili, Pinochet continue d’être une figure appréciée par une part non négligeable de l’opinion publique, particulièrement dans les milieux conservateurs et les élites économiques. Pour ces groupes, la dictature représente avant tout le « sauvetage » du pays face à ce qu’ils percevaient comme un effondrement imminent sous le gouvernement d’Allende : pénuries, files d’attente, polarisation sociale extrême et violences politiques. Cette mémoire, qui est partielle, sélective et ancrée dans l’expérience quotidienne des années 1970, reste structurante pour une frange importante de la droite chilienne, qui voit dans le régime militaire le moment où l’ordre a été rétabli et où a commencé la modernisation économique du pays.
“Nombre de citoyens veulent de meilleurs services sociaux mais refusent de payer plus d’impôts car ils se méfient de l’État. Cette contradiction structurelle, entre progressisme et demande de stabilité économique, est propre au Chili” Rachel Théodore
Le travail de mémoire n’a-t-il eu aucun effet ?
Le travail de mémoire au Chili a été profond mais incomplet. Certes, les rapports de la Commission Rettig (1991) et de la Commission Valech (2004) ont documenté les crimes de la dictature et permis une reconnaissance institutionnelle des violations des droits humains. Cependant, il y a eu comme un pacte implicite de prudence et de silence partiel : plusieurs partis de droite n’ont pas véritablement fait leur mea culpa et ont préféré taire les exactions, soit pour ne pas froisser leurs électeurs, soit parce qu’ils en minimisaient eux-mêmes la gravité. Nombre d’acteurs politiques et économiques ayant soutenu le régime n’ont jamais renoncé explicitement à cette adhésion, ce qui a empêché l’émergence d’un consensus national clair sur l’interprétation du passé. Cette absence de condamnation univoque a laissé perdurer des récits concurrents : celui de la dictature comme période de terreur et de destruction du tissu social, et celui d’un régime qui aurait « remis le pays sur les rails ». Dans ce contexte, la figure de Pinochet demeure un marqueur identitaire et politique fort, et l’ascension d’un Kast devient compréhensible à la lumière de cette mémoire fragmentée et non résolue.
“Les Chiliens n’ont jamais univoquement condamné la dictature : il y a toujours une guerre de narratifs sur Pinochet” Rachel Théodore
À quoi faut-il s’attendre dans les années à venir ? Y a-t-il un risque de durcissement dictatorial du régime ?
La crainte majeure de la gauche chilienne était que l’élection de Kast entraîne un retour à une forme de durcissement autoritaire. Cette peur s’enracinait autant dans ses positions passées que dans ses références idéologiques explicites. Toutefois, ces inquiétudes se sont atténuées dès la soirée du second tour. Dans un discours certes peu épique, mais politiquement très ciblé, Kast a adopté un ton nettement plus institutionnel que celui redouté. Il a appelé à l’unité nationale, a reconnu la légitimité de sa concurrente et insisté sur la nécessité de travailler avec la gauche. Il a également tempéré les attentes autour de ses promesses économiques et sécuritaires, prenant de la distance avec sa rhétorique de rupture radicale. En parallèle, l’attitude du président sortant, Gabriel Boric, a joué un rôle central dans l’apaisement du climat politique. Boric a respecté le protocole républicain : appel téléphonique au vainqueur, invitation officielle au palais de La Moneda et rencontre publique destinée à assurer une transition ordonnée. Cette séquence, hautement symbolique dans un pays marqué par une histoire institutionnelle fragile, a rassuré une partie de l’opinion. Elle a donné le sentiment que les règles démocratiques demeuraient solides et que Kast respecterait les institutions républicaines.
Quelles seront les répercussions sociales et économiques de son action ?
Il est encore difficile de le déterminer précisément. Ne disposant pas d’une majorité au Congrès, Kast sera obligé de gouverner dans un cadre démocratique et délibératif plus contraignant, par le biais de coalitions et de négociations. Ce qui limite toute tentation de passage en force.
décembre 202517.12.2025 à 12:15
hschlegel
Et si, au lieu d’acheter un énième bibelot inutile, on donnait une nouvelle vie à un objet ou un vêtement ? L’idée est bonne, mais rebute encore : qui ose offrir des cadeaux d'occasion à Noël ? Un article à relire avant d’acheter n’importe quoi !
décembre 2025