16.09.2025 à 18:03
nono
Lors des mobilisations et manifestations, nos smartphones sont des outils cruciaux pour s’organiser. Bien qu’ils soient extrêmement pratiques à bien des égards, ils peuvent aussi devenir dangereux s’ils tombent dans de mauvaises mains ou sont mal utilisés (voir notre article de 2023, toujours d’actualité ). Les informations que nos téléphones contiennent doivent donc être protégées. Voici 3 applications libres et gratuites à découvrir et installer, afin de réduire ces risques autant que possible en amont des mobilisations à venir (ou après !).
Un avertissement toutefois avant de commencer : ne croyez pas que ces 3 applications, ou quelque autre application, peuvent assurer une sécurité parfaite. La sécurité numérique est un sujet complexe, qui dépend avant tout de votre contexte et des menaces auxquelles vous faites face. Voyez-les comme une première étape pour se prémunir de certaines menaces, mais pas comme une assurance totale de votre sécurité. Nous listons en fin d’article des ressources et des guides qui vous permettront d’en apprendre plus sur l’autodéfense numérique.
De manière générale, la meilleure option reste de ne pas avoir son téléphone sur soi lors d’une action. Dans le cas où l’usage d’un téléphone est difficilement évitable, voici quelques recommandations d’applications qui permettent de réduire les risques.
Signal est une application de messagerie instantanée qui protège vos messages grâce à un chiffrement de bout en bout. C’est-à-dire que le chiffrement des messages est fait sur votre téléphone, et sur les téléphones de vos correspondant·es. Ni Signal, ni aucune autre tierce personne n’a accès aux clés cryptographiques qui permettent de chiffrer / déchiffrer vos messages. Signal ne connaît pas le contenu des messages, et ne sait même pas qui parle à qui. Vous pouvez également protéger l’accès à Signal via un code, à l’aide d’un paramètre dans l’application.
Signal ne semble pas conserver l’adresse IP utilisée pour se connecter. Cette information ne ressort en tout cas pas des rapports de transparence de la fondation qui développe l’application. Il n’est toutefois pas possible d’exclure techniquement que l’adresse IP de connexion soit conservée et rattachable au numéro de téléphone utilisé pour s’inscrire. Signal peut alors être contraint par la police de partager ces données. Si vous avez besoin de cacher à Signal votre adresse IP de connexion, vous pouvez alors utiliser Tor, ou un VPN.
Signal est une application libre, c’est-à-dire que, contrairement à Whatsapp ou d’autres applications commerciales, son fonctionnement est décrit publiquement dans son code source, lisible par tous·tes, ce qui permet à chacun·e de vérifier que le code fait bien ce qu’il dit faire, sans backdoors ou autre fonctionnement caché.
Si vous avez un smartphone avec Android, vous pouvez télécharger Signal depuis F-Droid, un magasin d’applications alternatif qui ne propose que des logiciels libres, en suivant ce tutoriel et en ajoutant le dépôt du Guardian Project, ou bien en téléchargeant directement l’application sur le site de Signal. L’application est également disponible sur le magasin d’applications de Google ou d’Apple.
Duress vous permet de définir un code de déverrouillage secondaire qui, lorsqu’il est saisi, effacera l’ensemble de votre téléphone. Dans une situation où un tiers chercherait à obtenir des informations sur votre téléphone par la force ou si vous avez besoin d’effacer votre téléphone en urgence, vous n’avez qu’à saisir ce code.
Si vous êtes dans une situation où il y a un risque imminent, vous pouvez alors effacer vos données en utilisant le code de Duress. Attention toutefois : si vous êtes en garde à vue et qu’un officier de police judiciaire (OPJ) vous demande votre code, provoquer l’effacement des données peut conduire à des poursuites.1
Comme Signal, cette application libre et gratuite est disponible sur F-Droid.
Wasted fonctionne de manière similaire à Duress, mais peut aussi être activée à distance. Lors du premier lancement, Wasted génère un code secret qui, s’il est reçu par votre téléphone, lancera l’effacement de votre téléphone. Wasted peut aussi mimer une fausse application sur votre téléphone qui, si elle est ouverte, lancera également l’effacement.
Cette application est très pratique si vous perdez votre téléphone et souhaitez l’effacer à distance, ou s’il est volé et que quelqu’un cherche à fouiller votre téléphone.
Les mêmes avertissements que pour Duress s’appliquent à Wasted : si un Officier de Police Juridicaire vous demande d’accéder à votre téléphone, provoquer la suppression de ses données peut vous faire courir un risque de poursuites.
Comme Signal et Duress, Wasted est une application libre et gratuite disponible sur le store F-Droid.
Briar est une application de messagerie pensée pour les situations où l’accès à Internet n’est plus possible, ou si vous avez besoin d’une sécurité renforcée (par exemple dans des pays autoritaires). Elle ne nécessite aucune information personnelle pour s’inscrire. Elle passera toujours par le réseau Tor pour transmettre les messages afin de garantir votre anonymat, et peut aussi utiliser le Bluetooth si Internet n’est pas disponible ou est censuré.
L’application est elle-aussi disponible sur F-Droid, le magasin d’application de Google, ou directement depuis le site web de Briar.
Attention toutefois : utiliser le réseau Tor permet de cacher les données qui transitent à un tiers qui écouterait la communication, mais cela peut aussi attirer l’attention de la police. Dans certains pays autoritaires qui criminalisent l’usage de Tor ou de VPN, cela peut donc être dangereux. En France, l’utilisation d’un VPN est légitime et parfaitement légal et paraît peu risqué dans un contexte de manifestations. Mais la justice française a déjà reconnu que l’usage de Tor caractérisait un comportement « clandestin » pouvant permettre de condamner des personnes pour association de malfaiteurs à caractère terroriste.
Pour avoir une meilleure pratique de la sécurité numérique, accessible à tous·tes, il est intéressant de comprendre le pourquoi et le comment du fonctionnement et des enjeux autour de nos usages. Pour cela, nous vous recommandons plusieurs guides, édités par différentes organisations, qui peuvent vous aider à vous instruire sur le sujet :
Si vous le souhaitez, vous pouvez rejoindre notre groupe de discussion sur l’autodéfense numérique. Vous aurez besoin d’un compte sur le réseau Matrix, que vous pouvez obtenir, entre autres, en installant l’application Element.
Et les iPhones ? Vous aurez peut-être remarqué que seule l’appli Signal est disponible sur iOS. Malheureusement, Apple a une approche beaucoup trop restrictive qui, à notre connaissance, ne permet pas l’existence d’applications comme Duress ou Wasted.
Et, si vous le pouvez, vous pouvez aussi nous faire un don pour nous permettre de continuer nos combats.
Illustration: 31C3 – Impressions par heipei, sous licence CC BY-SA 2.0.
12.09.2025 à 19:40
robinson
Bonjour à toutes et à tous,
C’est la rentrée du « Que se passe-t-il au Garage » après une longue pause d’été, si longue qu’on nous a même demandé si on avait arrêté l’infolettre ou si on avait désabonné sauvagement les gens — trois mois sans nouvelles c’est trop, et vous nous avez manqué aussi !
Alors ce numéro est copieux, on a beaucoup à rattraper, avec six sujets différents : la validation abusive de la transcription du règlement antiterroriste européen dans la loi française, nos divergences politiques profondes avec d’autres groupes technocritiques, le retour de la vidéosurveillance algorithmique au prétexte des JO d’hiver, le problème de la sanction de la violence en ligne après la mort en direct de Jean Pormanove, l’entêtement du gouvernement pour faire accepter la reconnaissance faciale en France, et la fin du processus législatif européen qui vise à détruire la confidentialité des communications.
Bonne fin de semaine et bonne lecture à vous !
Alex, Bastien, Eda, Eva, Félix, Marne, Mathieu, Myriam, Noémie, Nono et Vi
En novembre 2023, nous avions déposé avec d’autres organisations européennes un recours devant le Conseil d’État pour contester certaines mesures du décret d’application en France du règlement européen contre le terrorisme (TERREG). L’idée était d’amener le Conseil d’État à constater que ces mesures sont en contradiction avec d’autres piliers de la législation européenne, et à demander à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de trancher la question.
Malheureusement, la décision rendue le 16 juin dernier est très décevante : le Conseil d’État a rejeté notre demande de transmettre le problème à la CJUE, en estimant qu’il était visiblement compétent pour résoudre seul un problème de droit européen.
Les polices européennes, et notamment la police française, vont donc pouvoir continuer de censurer des sites web au prétexte de la lutte antiterroriste, même quand il s’agit de contenus politiques légitimes, et sans aucun contrôle préalable d’un juge.
Article du 18 juin : Le Conseil d’État enterre de manière illégitime le débat sur la loi sur la censure d’internet
La Quadrature est souvent invitée à prendre la parole dans des événements publics, des festivals ou des tables-rondes, où nous sommes amenées à croiser les militant·es de Anti-Tech Résistance (ATR). On pourrait croire que le discours de cette organisation a des points communs avec le nôtre – une position technocritique qui témoigne fort peu d’enthousiasme pour la technique numérique telle qu’elle est exploitée aujourd’hui par l’industrie capitaliste – mais nous avons surtout beaucoup de différences. Ce constat, d’autres groupes amis l’ont fait aussi : Le Mouton numérique, Extinction Rebellion, l’AG Antifa Paris 20e, Désert’Heureuxses, Technopolice Paris Banlieue, Voix Déterres et d’autres encore, qui ont décidé d’écrire un texte ensemble pour clarifier les choses et exprimer une position commune.
Le fond du problème est le suivant : au sein d’une galaxie technocritique militante et progressiste, ATR tient un discours profondément réactionnaire, comparable à celui que les féministes identitaires tiennent de leur côté, asservissant leur prétendu féminisme à l’expression de leurs idées racistes. ATR se livre au même genre d’entourloupe : sous prétexte de dénoncer le « grand remplacement » des humains par les machines, ATR puise abondamment dans le répertoire idéologique et sémantique de l’extrême droite la plus moisie, et n’hésite pas à tenir des propos transphobes, homophobes, validistes ou racistes sous prétexte de défendre une « nature » dont on sait qu’elle est l’objet de fantasmes régressifs infinis, et toujours bancale quand on parle de l’espèce humaine, si profondément culturelle, sociale et politique.
Voilà l’histoire en très gros traits. Pour entrer dans le détail de l’analyse politique et philosophique de notre différend avec ATR, lisez le texte intégral sur notre site au format web ou ici au format brochure (PDF et ePub). Ça paraît long, 8 pages, mais il y a 3 pages de références et de liens divers, et l’ensemble est passionnant
Article du 24 juillet : Pourquoi la technocritique d’Anti-Tech Résistance n’est pas la nôtre
Vous vous rappelez forcément que le gouvernement français (celui d’Élisabeth Borne, que vous aviez peut-être oubliée), avait mis dans la loi sur les JO 2024 une grande quantité de mesures sécuritaires, dont la légalisation de la vidéosurveillance algorithmique (VSA) à titre « expérimental ». Cette expérimentation a pris fin en mars 2025, sept mois après la fin des JO qui la justifiaient. Le rapport d’évaluation conclut à une absence d’efficacité évidente. Malgré cela, le gouvernement (celui de Michel Barnier puis celui de Français Bayrou, il faut suivre) a d’abord tenté de passer par une loi sur les transports pour imposer la VSA dans les gares et les métros. Mais le Conseil constitutionnel a censuré ces dispositions, non pas sur le fond, mais parce qu’elles n’avaient rien à faire dans ce texte de loi – ce qu’on appelle un « cavalier législatif », quand une mesure monte sur le dos d’une loi d’une autre espèce.
Alors bis repetita, voici que la VSA se retrouve, toujours à titre « expérimental », dans le texte de loi qui encadrera les JO d’hiver de 2030. Notre article détaille les stratégies politiques et psychologiques mises en place par le(s) gouvernement(s) pour faire admettre peu à peu cette technologie intrusive qui évoque immédiatement les pires dystopies sécuritaires et semblait encore, jusqu’à l’épidémie et au confinement de 2020, réservée à une Chine totalitaire, exotique et lointaine. On n’arrête pas le progrès.
Article du 28 juillet : Jeux Olympiques 2030 : vous reprendriez bien un peu de VSA ?
Les réseaux sociaux et l’économie de l’attention exigent toujours plus de violence, sous toutes ses formes : verbale, idéologique, politique, psychique et physique. On le sait, on le dit depuis longtemps. Malheureusement, un événement vient de temps en temps rappeler cette évidence de façon cruelle. La mort le 18 août du streameur Jean Pormanove (pseudo de Raphaël Graven), alors qu’il participait à un live sur une chaîne Kick a braqué les projecteurs de l’actualité sur le sujet. La chaîne à laquelle il participait était connue pour jouer avec les humiliations et les violences, simulées ou bien réelles, dont il était l’objet et le souffre-douleur depuis des mois et des années. Mediapart s’était d’ailleurs emparé du sujet dès la fin de 2024, bien avant le décès du streameur.
Cette mort brutale a provoqué de vives réactions médiatiques et politiques, et déclenché la surenchère habituelle pour demander des lois plus répressives et domestiquer le web – cette fameuse « zone de non-droit » sur laquelle on légifère pourtant en permanence. Les demandes de presse ont été nombreuses. Bastien, juriste à La Quadrature, qui tenait le fort pendant les vacances de ses collègues, a répondu à ces demandes (les liens vers les articles sont dans la revue de presse ci-dessous) et écrit une tribune dans Le Monde. Il rappelle qu’en l’état du droit, tout était là pour empêcher la diffusion de cette chaîne dégradante. Mais rien n’assure que cela aurait pu avoir un impact. Tant qu’on ne s’en prendra pas au modèle économique des réseaux sociaux et des chaînes dont les revenus dépendent de « l’engagement » des internautes et donc de la promotion des contenus polémiques ou transgressifs, on n’avancera pas.
Lire la tribune : « L’affaire Pormanove ne traduit pas un droit inadapté à Internet »
L’ancien ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, devenu ministre de la Justice, veut rester une force de proposition dans la surenchère sécuritaire qui fait les bons candidats de droite à la présidentielle. Il a donc annoncé en mai 2025 la création d’un groupe de travail pour pour « créer un cadre légal » permettant d’« introduire cette mesure [la reconnaissance faciale] dans notre législation ».
Félix Tréguer, membre et salarié de la Quadrature du Net, a publié en juin dernier une tribune dans la revue en ligne AOC, pour dénoncer l’incompatibilité profonde de cette technologie avec nos habitudes démocratiques : « Si nos grands-mères et nos grands-pères avaient dû vivre au début des années 1940 dans un monde saturé de ces technologies, ils n’auraient pas pu survivre bien longtemps en clandestinité, et donc organiser des réseaux de résistance capables de tenir tête au régime nazi ». Vous pouvez lire sa tribune en intégralité chez AOC (pour les abonnés) ou sur notre site (pour tout le monde).
Lire la tribune : Le serpent de mer de la reconnaissance faciale
Vous en avez probablement entendu parler dans la presse ou sur vos réseaux sociaux habituels, le règlement européen CSAR, surnommé « Chat Control », continue son processus législatif. Il doit son petit nom à une mesure choquante : pour lutter contre à peu près tout ce qui se fait de mal, ici les abus sur enfants, les gouvernements demandent que les messageries chiffrées de bout en bout, les mails, les réseaux sociaux et les hébergeurs mettent à disposition des polices un système pour contourner ce chiffrement. Un chiffrement qui n’est plus chiffré, c’est un peu ballot. Et plus sérieusement, c’est une faiblesse critique qui mettrait les échanges professionnels ou privés à la portée de n’importe quel acteur malintentionné. La Quadrature est donc absolument opposée à cette mesure.
Nous ne sommes pas les seul·es. Dans le cadre de la coalition EDRi dans laquelle nous échangeons avec nos homologues européens, nous avons travaillé pour que le Parlement européen adopte une position moins dangereuse. Mais le Conseil, qui rassemble les gouvernements des États membres, discute ce vendredi 12 septembre de sa position et un certain nombre d’États, dont la France, ont des idées très dures sur la question. Nous n’avons pas de marge d’action dans ce moment-là, les gouvernements sont beaucoup moins sensibles que les parlementaires aux appels des citoyen·nes. Mais il faut provoquer un débat public pour que le chiffrement des communications devienne un sujet de discussion démocratique où les demandes de la police ne seront pas les seules à être entendues. Vous pouvez retrouver sur nos raisons sociaux, par exemple sur Mastodon, un résumé des enjeux et les liens vers nos articles qui traitent le sujet en profondeur.
Notre campagne de soutien pour 2025 est toujours ouverte ! Nous avons récolté environ 80% de notre objectif pour l’année. En prenant en compte les dons mensuels à venir d’ici à la fin de l’année, on pense arriver environ à 90% de l’objectif. Il manquera des sous. Aidez-nous à boucler le budget 2025 ! Vous pouvez nous faire un don sur notre site.
Divers
Reconnaissance faciale
Chat Control
Affaire Kick-Pormanove
Surveillance
Datalove Lire sur le site
04.09.2025 à 15:04
startuffenation
En mai dernier, le gouvernement a lancé un groupe de travail visant à légaliser la reconnaissance faciale en temps réel. Loin d’être une surprise, cette annonce s’inscrit dans une suite de propositions émises par les plus hautes instances de l’État, en lien avec des acteurs industriels et scientifiques. Nous publions cette tribune de Félix Tréguer, adaptée d’un texte publié initialement sur AOC, qui estime que la reconnaissance faciale est incompatible avec les formes de vie démocratique.
En ce mois de mai 2025, Gérald Darmanin s’agite. Doublé par sa droite par son successeur à la place Beauvau, Bruno Retailleau, le ministre de la Justice a bien du mal à raccrocher le tablier de « premier flic de France ». C’est alors qu’il sort de son chapeau une proposition en apparence assez nouvelle : la légalisation du recours à la reconnaissance faciale en temps réel.
L’encre de la loi narcotrafic, avec son lot de nouvelles mesures de surveillance policière, n’est pas encore sèche – le Conseil constitutionnel devait se prononcer quelques jours plus tard – que le ministre en est déjà au coup d’après. Après sa sortie, son cabinet confirmera à l’AFP qu’un groupe de travail est sur le point d’être lancé pour « créer un cadre légal » permettant d’« introduire cette mesure dans notre législation ». Selon le ministre, qui en 2022 se disait opposé à la reconnaissance faciale, « utiliser la technologie et la reconnaissance faciale, ce sont les solutions pour lutter drastiquement contre l’insécurité ». Quelques jours plus tard, son rival Retailleau lui emboîte le pas, appelant à son tour une utilisation « très encadrée » de la reconnaissance faciale en temps réel dans le cadre des enquêtes judiciaires.
Le contexte de concurrence politique exacerbée à droite pourrait laisser penser à un énième ballon d’essai sans lendemain. Il s’agit en réalité d’un projet politique assumé de longue date par les gouvernements d’Emmanuel Macron, mais chaque fois repoussé à plus tard de peur qu’il ne suscite une levée de boucliers dans la population.
Lorsqu’avec mes camarades de La Quadrature du Net et d’autres collectifs à travers le pays, nous avons lancé la campagne Technopolice en 2019 pour documenter les nouvelles technologies de surveillance policière et fédérer les résistances locales, la reconnaissance faciale était déjà sur toutes les bouches. À l’époque, l’Office parlementaire des choix scientifiques et techniques, aiguillé par un parlementaire macroniste, appelait déjà à une loi d’expérimentation pour autoriser son usage en temps réel. Quelques semaines plus tard, le secrétaire d’État Cédric O, accordait un entretien au journal Le Monde sur le sujet. Dans cette toute première sortie gouvernementale sur le sujet, il estimait nécessaire « d’expérimenter la reconnaissance faciale pour que nos industriels progressent ».
L’enjeu économique était alors exprimé avec candeur. Il faut dire que depuis le début des années 2010, la reconnaissance faciale et les autres techniques de couplage de l’intelligence artificielle et de la vidéosurveillance – un spectre d’applications regroupées sous le terme de vidéosurveillance algorithmique (VSA) – font l’objet d’investissements publics. Au travers des politiques publiques de recherche pilotées par la Commission européenne ou l’Agence nationale de la recherche, mais aussi via des mécanismes fiscaux comme le Crédit impôt recherche, des startups ou des grands groupes du secteur comme Idemia et Thales font financer une part importante de leurs R&D par le contribuable. Bpifrance de même que la Caisse des dépôts et consignations se sont également activés pour aider l’industrie française à se structurer pour se faire une place sur ces marchés porteurs : l’an dernier, le marché mondial de la reconnaissance faciale augmentait en effet de 16 % par an et devrait atteindre 12 milliards de dollars en 2028 ; celui portant sur les autres applications de la VSA était de 5,6 milliards en 2023 et pourrait représenter 16,3 milliards en 2028.
En 2019, Cédric O propose donc de légaliser la reconnaissance faciale à titre expérimental à l’occasion des Jeux Olympiques de 2024. Mais à la veille de l’élection présidentielle de 2022, avant de se retirer de la politique politicienne et de devenir lobbyiste en chef de l’industrie de la tech, il reconnaît publiquement que les conditions politiques d’un recours à cette technologie ne sont pas réunies. « La priorité a été mise sur d’autres sujets […] compte tenu du contexte et de la sensibilité du sujet » explique-t-il alors, non sans dénoncer au passage les « associations libertaires » ayant selon lui alimenté un climat de « psychose ».
Le gouvernement se rabat alors sur des applications de la VSA jugées moins sensibles. Elles seront légalisées à titre expérimental et temporaire dans le cadre de la loi de 2023 relative aux Jeux Olympiques et mises en œuvre ces derniers mois : il s’agit notamment de détecter des personnes ou véhicules à contre sens, des chutes au sol, des mouvements de foule, des départs de feu, etc. Une expérimentation aux résultats peu concluants mais que le gouvernement souhaite aujourd’hui prolonger dans le cadre de la prochaine loi relative aux Jeux Olympiques de 2030. Fin 2022, lors des débats parlementaires, Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, et sa collègue en charge des sports, Amélie Oudéa-Castera défendent cette expérimentation a minima et font de la reconnaissance faciale une ligne rouge : « le dispositif ne prévoit aucunement […] de créer un système d’identification biométrique » affirme ainsi la ministre dans l’hémicycle : « Le Gouvernement ne souhaite rien de cela, ni de près ni de loin ».
Mais ces réassurances relèvent du double-jeu. Car dans le même temps, à Bruxelles, le gouvernement français est à la manœuvre dans le cadre des négociations sur le règlement relatif à l’intelligence artificielle. Comme l’a démontré une enquête du média Disclose parue cet hiver, et alors même que le marketing politique de la Commission européenne autour de ce texte reposait en partie sur la promesse d’une interdiction de la « surveillance biométrique en temps réel », la France fait au contraire pression de toutes ses forces sur les autres États membres de l’Union européenne pour épargner aux forces de l’ordre toute régulation trop contraignante.
Cette stratégie s’avère payante. Dans la version finalement adoptée de l’« AI Act », le principe d’interdiction de la reconnaissance faciale en temps réel est immédiatement assorti de quantité de dérogations. Elle est par exemple autorisée pour prévenir « une menace réelle et actuelle ou réelle et prévisible d’attaque terroriste », mais aussi dans le cadre d’enquêtes pénales afin de retrouver les suspects de toute une gamme d’infractions punies de plus de quatre ans d’emprisonnement, dont le sabotage. Des activités militantes, notamment associées à la mouvance écologiste, pourront sans mal être concernées.
Une autre concession obtenue par la France, particulièrement glaçante, permet aux forces de police d’utiliser des systèmes de VSA « qui classent individuellement des personnes physiques sur la base de leurs données biométriques afin de déduire ou d’inférer leur race, leurs opinions politiques, leur appartenance syndicale, leurs croyances religieuses ou philosophiques, leur vie sexuelle ou leur orientation sexuelle ». Soit non seulement la détection d’insignes ou de vêtements dénotant une orientation politique, mais aussi le retour en force de théories naturalisantes, de pseudosciences censées révéler la « race » ou l’orientation sexuelle à partir de caractéristiques morphologiques ou de traits du visage, désormais inscrites dans de puissants systèmes automatisés visant à mettre en œuvre la violence d’État.
L’annonce par Gérald Darmanin du lancement d’un « groupe de travail » en vue de légaliser la reconnaissance faciale n’est donc pas une surprise. Elle s’inscrit dans la suite logique des efforts menés depuis des années au plus haut sommet de l’État, en lien avec des acteurs industriels et scientifiques, pour préparer la population française et minimiser autant que possible le coût politique d’une légalisation de la reconnaissance faciale en temps réel.
Le ministre de la Justice prétend ainsi que la reconnaissance faciale serait indispensable pour assurer la sécurité de la population, tout en tâchant d’en minimiser les enjeux : « Les gens disent qu’à Roissy on met 1h30 pour passer, à Dubaï on met 10 minutes ; oui, mais à Dubaï, il y a la reconnaissance faciale » tentait-il de justifier début mai, vantant le surcroît de commodité que les « braves gens » seraient en droit d’attendre d’une généralisation de cette technologie. On aurait envie de rappeler au ministre : « Oui mais à Dubaï, on enferme les défenseurs des droits, on pratique la torture, et les Émirats-Arabes-Unis sont de fait une dictature. Est-ce bien là un modèle à suivre ? »
S’il fait mine d’oublier que la reconnaissance faciale est déjà une réalité dans certains aéroports et certaines gares, c’est pour mieux défendre son marché de dupes : vie privée et libertés contre une plus grande praticité pour celles et ceux qui se meuvent dans les monde des flux. Le ministre y voit un bon deal, capable de convaincre le quidam de remiser au placard ses réserves, lui qui – à la suite de Cédric O – se désole aujourd’hui d’« une paranoïa sur la technologie, les libertés publiques, la question des fichiers ».
En haut lieu, le changement de paradigme induit par la reconnaissance faciale en temps réel est pourtant bien compris. En 2019, alors qu’avec un camarade de La Quadrature, nous étions invités à donner notre avis sur « l’acceptabilité sociale de la reconnaissance faciale » devant un aréopage de hiérarques policiers, de préfets, de scientifiques et d’industriels à la Direction générale de la gendarmerie nationale, un colonel de Gendarmerie était venu présenter une note qu’il venait tout juste de publier sur le sujet. Il y livrait une analyse plutôt lucide quant à la place de la reconnaissance faciale dans l’histoire des techniques d’identification :
« L’intérêt de cette technologie est d’exécuter systématiquement et automatiquement les actes de base des forces de l’ordre que sont l’identification, le suivi et la recherche d’individus en rendant ce contrôle invisible. Sous réserve d’algorithmes exempts de biais, elle pourrait mettre fin à des années de polémiques sur le contrôle au faciès puisque le contrôle d’identité serait permanent et général [nous soulignons]. »
Un contrôle d’identité « invisible, permanent et général » ? Michel Foucault ne croyait sans doute pas si bien dire lorsque, dans Surveiller et Punir (1975), il résumait le fantasme d’un pouvoir policier devenu « l’instrument d’une surveillance permanente, exhaustive, omniprésente, capable de tout rendre visible, mais à la condition de se rendre elle-même invisible ».
Si une loi était prochainement adoptée pour autoriser la reconnaissance faciale en temps réel, les choses pourraient aller très vite. Car même si pour l’heure, en France, son usage policier n’est légalement possible qu’a posteriori, dans le cadre d’enquêtes judiciaires et pour le seul fichier « Traitement des antécédents judiciaires » (le TAJ, qui contient près de 10 millions de photographies de visages), l’infrastructure technique permettant un usage en temps réel est d’ores et déjà en place. Les capteurs d’abord : autour de 90 000 caméras de vidéosurveillance placées sur la voie publique à travers le pays, soit autant de points géolocalisés dédiés à la collecte d’images. Ensuite, les bases de données centralisées de photos d’identité adossées aux données d’état civil : outre le fichier TAJ, la plupart des fichiers liés à l’immigration intègrent désormais des photographies de visages exploitables par les algorithmes. C’est aussi le cas du fichier « Titres électroniques sécurisés » (TES) créé en 2016 par le ministère de l’Intérieur et qui permet de collecter les empreintes faciales de tous les demandeurs de cartes d’identité et de passeports. Et enfin, la dernière pièce du puzzle : les algorithmes de reconnaissance faciale permettant de comparer les images aux fichiers, fournis par des prestataires privés comme la multinationale Idemia, et dont le taux de fiabilité a beaucoup progressé ces dernières années.
Avec la reconnaissance faciale, nos visages deviennent à leur tour les termes indexiques des fichiers de police, ce par quoi nos données d’état civil peuvent être automatiquement révélées (nom, prénom, lieu de naissance, lieu de résidence, etc.). Si son usage en temps réel était autorisé, circuler à visage découvert reviendrait à arborer une carte d’identité infalsifiable, lisible à tout moment par l’État. L’anonymat serait rendu pratiquement impossible. Et, au détour de ce processus, nos visages – qui témoignent de nos émotions, de nos attitudes, de nos manières d’être – en seraient réduits à être des faces : des yeux, un nez, une bouche, des oreilles et autres éléments anatomiques dont les mensurations, les formes ou les couleurs pourront être automatiquement classifiées. Vitrines de nos subjectivité, ils deviendraient de nouveaux objets du pouvoir, ce par quoi l’État peut nous gérer.
La reconnaissance faciale, c’est aussi ce par quoi le fascisme pourrait s’installer et perdurer. Lors de cette journée de septembre 2019 à la Direction générale de la gendarmerie nationale, nous avions ainsi rappelé à tous ses partisans présents dans l’assistance pourquoi elle était selon nous inacceptable. Croyant pouvoir faire vibrer quelques cordes sensibles dans l’assistance, nous leur avions dit notre conviction que, si nos grands-mères et nos grands-pères avaient dû vivre au début des années 1940 dans un monde saturé de ces technologies, ils n’auraient pas pu survivre bien longtemps en clandestinité, et donc organiser des réseaux de résistance capables de tenir tête au régime nazi.
Cette hypothèse contrefactuelle permet d’illustrer pourquoi la reconnaissance faciale est tout simplement incompatible avec la défense des formes de vie démocratiques. Par les temps qui courent, elle n’est pas à prendre à la légère.
Félix Tréguer est chercheur, membre de La Quadrature du Net et auteur de Technopolice, la surveillance policière à l’ère de l’intelligence artificielle (Divergences, 2024).
28.07.2025 à 16:25
noemie
La lutte contre la vidéosurveillance algorithmique (VSA) est une bataille de longue haleine. L’expérimentation officielle, menée au prétexte des Jeux Olympiques, s’est pourtant achevée fin mars et a été émaillée de multiples défaillances. En parallèle, les luttes locales s’intensifient dans les villes où ces logiciels sont déployés illégalement. Le gouvernement veut pourtant remettre une pièce dans la machine. Ainsi, le projet de loi sur les Jeux Olympiques d’hiver 2030 propose de repartir pour un tour d’expérimentation de deux ans. Le texte a déjà été examiné au Sénat et devrait arriver à l’Assemblée Nationale à la rentrée. Une pierre de plus à l’édifice de la surveillance algorithmique de l’espace public…
Il y a deux ans déjà, nous luttions contre la loi relative aux Jeux Olympiques de 2024. Elle prévoyait, pour la première fois en Europe, le déploiement de logiciels de reconnaissance de comportements en temps réel dans l’espace public. Adopté au printemps 2023, ce texte a autorisé la police, la gendarmerie et les opérateurs de transports à utiliser les logiciels d’entreprises privées de VSA pendant plus d’un an et bien au-delà des seuls Jeux d’été. Ces algorithmes ont analysé les foules lors de concerts, matchs de foots, fêtes de la musique et autres événements publics au gré des envies des pouvoirs publics. Ce premier round s’est achevé le 31 mars 2025 avec, à la clé, une évaluation officielle qui faisait état des résultats peu probants, pour ne pas dire que la VSA n’avait servi à rien du tout.
Mais le gouvernement, déterminé à imposer la surveillance automatisée et la reconnaissance faciale, ne souhaite pas s’arrêter en si bon chemin. Plutôt que de conclure à l’abandon de ces logiciels, il persiste, espérant que ces systèmes finissent par fonctionner un jour. Au mois de février dernier, le ministre des transports tentait ainsi un coup de force à l’Assemblée en faisant voter un amendement qui prolongeait l’expérimentation jusqu’en 2027 dans une loi qui n’avait rien à voir. Raté ! Le Conseil constitutionnel a estimé qu’il s’agissait d’un cavalier législatif et l’a censuré.
Face à cet obstacle, les promoteurs de la Technopolice se devaient de trouver une manière de revenir à la charge. Et quoi de mieux que de tenter une combine qui a déjà marché ? Les Jeux d’hiver de 2030, qui auront lieu dans les Alpes, sont ainsi apparus comme une parfaite excuse pour légitimer une nouvelle salve d’expérimentations. A l’instar des Jeux de 2024, le gouvernement utilise la dimension exceptionnelle de ce méga-événement sportif pour mettre en oeuvre une politique prétendument expérimentale et donc socialement plus acceptable. Comme le théorise le chercheur Jules Boykoff, les Jeux Olympiques agissent comme un accélérateur de politiques exceptionnelles. Ils prennent appui sur un moment de fête ou de spectacle, par essence « extra-ordinaire », où les règles politiques peuvent être temporairement suspendues, pour faire progresser des politiques qu’ii aurait été impossibles de mettre en place en temps normal.
Pour prolonger l’utilisation de la vidéosurveillance algorithmique, le projet de loi déposé par le gouvernement relatif à l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030 prévoit ainsi un article 35 expéditif : « L’expérimentation mise en œuvre sur le fondement de l’article 10 de la loi [relative aux JO 2024] est reconduite, dans les mêmes conditions, jusqu’au 31 décembre 2027. »
La stratégie mise en oeuvre ici est de prétendre que cette pérennisation serait indolore et presque anodine puisqu’il n’y a aucune modification du cadre légal. Il s’agirait uniquement de prolonger les « petites expériences » de la police. Telle est notamment la position du Conseil d’État. Consulté pour avis, il estime « que la reconduction pure et simple du dispositif, contraignant mais protecteur, auquel il a déjà donné un avis favorable (…) et que le Conseil constitutionnel a expressément reconnu comme conforme à la Constitution (…) répond de manière adéquate au bilan de l’évaluation et permettra, au terme de cette période, de décider de l’abandon ou de la pérennisation de la technique ». Rappelons que le choix de poursuivre ou non devait initialement être fait en 2025 et qu’avec cette logique, il serait possible « d’expérimenter » à l’infini.
La CNIL, elle, n’a même pas été sollicitée pour avis, ce qui illustre une nouvelle fois le peu d’égard que lui accorde le gouvernement. Pourtant, si la loi était votée en l’état, des dizaines et dizaines d’utilisations de la VSA, voire des centaines, pourraient être mises en oeuvre dans les rues de France, d’ici à la fin de l’année 2027. La loi de 2023 permet en effet que cette technologie de surveillance de masse puisse être utilisée pour tout événement récréatif, sportif ou culturel, sur simple autorisation d’un préfet. Lors du passage du texte au Sénat, les parlementaires ont d’ores et déjà étendu le périmètre des personnes pouvant utiliser le dispositif de VSA aux simples agents municipaux chargés du visionnage des images de surveillance, donc potentiellement à toutes les villes de France équipées de caméras.
De plus, si le cadre juridique de 2023 limitait le déploiement d’algorithmes à huit cas d’usage, les volontés d’étendre l’expérimentation à davantage de situations est sur toutes les lèvres des promoteurs de la VSA, et ce depuis plusieurs mois. Or, plutôt que de modifier la loi, Julie Mercier, directrice du comité de pilotage et de la DEPSA (direction des entreprises et partenariats de sécurité et des armes), chargée de piloter l’expérimentation au sein du ministère de l’intérieur, assumait récemment dans une interview au média spécialisé AEF vouloir « déverrouiller » le sujet dans la loi JOP 2030. Elle précise, concernant les cas d’usages, vouloir « regagner de la souplesse à travers les décrets ». En d’autres termes, il s’agirait d’étendre le périmètre de l’expérimentation par des actes administratifs du gouvernement, en dehors de tout débat parlementaire et de tout contrôle démocratique. Un tel élargissement du dispositif pourrait par exemple inclure la recherche et le suivi de personnes, comme cela est demandé par la SNCF et la RATP dans le rapport d’évaluation ou bien la reconnaissance de banderoles militantes tel que suggérée par le député LR Eric Pauget. On peut aussi s’attendre à ce que les récentes annonces de Bruno Retailleau et Gérald Darmanin concernant la reconnaissance faciale en temps réel soient poussées par voie d’amendement au cours de l’examen du projet de loi.
Il faut le rappeler : la vidéosurveillance algorithmique s’assimile à une surveillance de masse automatisée de l’espace public et à ce titre est totalement inacceptable. De plus, ces logiciels sont déployés de façon illégale dans de nombreuses villes de France, comme à Lille ou Saint-Denis, et le gouvernement lui-même l’a déployée de manière totalement illégale ces dernières années.
Obsédé par l’objectif d’une légalisation de cette technologie, souhaitant conforter les industriels du secteur de la surveillance qui fournissent les algorithmes, le gouvernement enchaîne les justifications grossières pour mieux imposer la VSA. Pour les Jeux Olympiques de 2024, les mouvements de foule étaient brandis comme le prétexte ultime pour s’équiper de ces logiciels. Après les Jeux, l’inutilité et l’inefficacité de la VSA ont été écartés d’un revers de main, avec l’excuse selon laquelle leur intérêt était de toute façon mineur compte tenu du grand nombre de policiers sur le terrain. Désormais, pour l’édition de 2030, la ministre des sports Marie Barsacq explique très sérieusement que « là, on va être dans les territoires de montagnes. On n’aura pas autant de forces de l’ordre […] donc, la vidéo algorithmique pourra être beaucoup plus pertinente ». Sachant que l’expérimentation est prévue jusqu’en 2027 pour un évènement qui se tiendra en 2030… Logique on vous a dit !
On pourrait se moquer du ridicule de ce texte et de ces stratégies si seulement la composition de l’Assemblée nationale ne rendait pas très probable l’adoption du texte. Dominée par l’extrême droite, obnubilée par les thèmes sécuritaires, il y a fort à parier que l’Assemblée laisse passer cet article sans encombre.
Nous scruterons donc attentivement les avancées et débats dès que ce texte sera débattu dans l’hémycicle de l’Assemblée nationale à la rentrée. En attendant, nous devons continuer à faire valoir le refus populaire de ce projet de société. Cela passe notamment par l’échelon local : il ne faut pas lâcher les combats au niveau des villes et des villages contre les projets mortifères de vidéosurveillance, en particulier dans le contexte des élections municipales de 2026. Pour vous y aider n’hésitez pas à consulter notre brochure et nos ressources sur notre page de campagne.
Aussi, pour soutenir ce travail vous pouvez nous faire un don !
24.07.2025 à 13:55
marne
Comme de nombreuses associations, collectifs et personnes, nous avons reçu des sollicitations de la part d’Anti-Tech Résistance. Bien qu’iels affirment s’opposer à la surveillance technopolicière et à l’IA nous avons refusé de travailler avec elleux en raison de leur propos confus. Nous republions donc cette tribune éclairante sur les problèmes que représente ATR rédigée par des membres de divers collectifs dont Technopolice Paris Banlieue.
Ce texte est issu d’un travail collectif entre des membres des collectifs l’AG Antifa Paris 20e, Extinction Rebellion, Désert’Heureuxses, le Mouton Numérique, la SAMBA (Section Antifasciste Montreuil Bagnolet et Alentours), Soin Collectif Île-de-France, Technopolice Paris Banlieue, Voix Déterres … et des allié·es d’autres horizons. Vous pouvez le télécharger en format brochure ici.
À l’heure où les idées d’extrême-droite et réactionnaires 1 sont de plus en plus répandues, il est important de savoir avec qui nous pouvons lutter, et avec qui nous ne voulons ni ne pouvons nous organiser. Cela passe par de la veille, de la sensibilisation et des actions contre les projets réactionnaires et ennemis de l’émancipation de toutes et tous, dont Anti-Tech Resistance fait partie.
Fondé en 2022 à Rennes par des anciens membres de Deep Green Resistance 2, ATR est un groupe qui se présente comme un mouvement révolutionnaire qui a pour objectif de démanteler le système technologique au nom d’une «écologie radicale anti-industrialiste» en diffusant en France les idées de Theodore Kaczynski, un ancien universitaire étatsunien ayant perpétré des attentats meurtriers à la bombe ciblés pendant 17 ans 3.
Ces derniers temps, le collectif a bénéficié d’une certaine visibilité 4 : par l’organisation d’actions comme le contre-sommet de l’IA et l’interruption en fanfare d’un contre-sommet concurrent en février 2025 ; par sa maîtrise des outils de communication, particulièrement sur les réseaux sociaux où le collectif a su trouver une audience ; par sa présence grandissante et envahissante dans nos réunions et nos événements, où il vient recruter et défendre sa position technocritique 5 soi-disant radicale 6.
Par son horizon politique qui se reflète dans ses modes d’action, ATR s’oppose à la pluralité des existences et la variété de collectifs et de stratégies de lutte qu’elle crée, au nom d’une « efficacité » creuse. De plus, il alimente le confusionnisme qui arme l’extrême-droite. Ainsi, ce texte a pour objectif d’expliciter ce qui pose problème dans le projet porté par le collectif 7 .
ATR entretient une proximité tant idéologique qu’organisationnelle avec des figures et collectifs dont les intérêts et positions sont radicalement incompatibles avec l’émancipation de tousxtes. Cette proximité, qui se traduit par la mise en avant sur leur site et leur blog de ces personnes, par la complaisance ou par le soutien affirmé, participe à la légitimation de figures politiques, ou de concepts utilisés par des groupes sexistes, islamophobes, antisémites, validistes et transphobes.
Ici, l’encombrante figure de Theodore Kaczynski, omniprésente sur le blog d’ATR, avec une centaine de citations, est primordiale. Celui-ci a notamment défendu une vision de la révolution qui se ferait non seulement sans, mais contre «les gauchistes» 8 et les mouvements antiracistes qu’il juge comme racialistes 9. De plus, il a aussi promu la primauté de la famille dans l’éducation sexuelle 10, le recours à la violence comme méthode d’éducation 11 et exprimé sa fascination pour les régimes autoritaires 12.
Parmi les autres influences les plus citées et alliées de leurs événements, on trouve par exemple Renaud Garcia, présenté comme un « penseur anarchiste contemporain », pourtant réputé pour ses prises de positions anti-trans 13 ou encore le collectif Pièces et Mains d’Œuvre, groupe antiqueer, islamophobe et sexiste 14 ou encore Floraisons, média résolument transphobe à qui il emprunte sa « culture de résistance » 15. Non content de citer les anti-« wokistes » d’hier et d’aujourd’hui, ATR les convie à leurs tables. Ainsi le journal La Décroissance est invité à l’Assemblée Anti-Industrielle Parisienne (AGAIP) initiée par ATR le 17 janvier 2025 et à son « Contre-sommet de l’IA » du 8 février 2025, à tenir un stand et à y intervenir. Or, il n’est plus permis de douter du tournant réactionnaire, islamophobe et transphobe du journal 16.
De plus, ils entretiennent une porosité indubitable avec un langage et des concepts réactionnaires. C’est ainsi qu’ils ont participé à la publication d’un tract reprenant la rhétorique du « grand remplacement » 17 : « Se soumettre à l’IA, c’est perdre sa capacité en tant qu’humain à réfléchir et créer sans l’aide d’un ordinateur. C’est accepter le grand remplacement des humains par la machine, par la perte des milliers d’emplois que va causer le développement de l’IA » 18. Une reprise rhétorique (sans guillemets ni détournement) qui légitime de fait un concept issu de la plus identitaire des extrêmes droites. On pourrait aussi interroger le détournement du #redpill employé par les masculinistes, en #tedpill, en référence à « Ted » Kaczynski 19 ou le recours à des traductions d’extrême droite de l’auteur 20.
ATR n’emprunte pas qu’aux réactionnaires et revendique de « piocher des idées chez d’autres quand celles-ci peuvent servir à la lutte antitech » 21. Il ne faut toutefois pas se tromper : ces emprunts sont opportunistes et sélectifs et tendent au confusionnisme 22, technique rhétorique déjà présente chez Theodore Kaczynski 23. Il en va ainsi de l’anarchisme, mouvement auquel ATR dédie un dossier entier sur son blog 24 mais qui réussit le tour de force d’expliquer sa proximité idéologique avec ce courant au travers de ses auteurs diffusant les idées les plus discriminatoires – Pierre-Joseph Proudhon 25 ou Renaud Garcia – sans qu’à aucun moment leurs positions oppressives ne soient même abordées. De plus, alors que les questions de l’éthique, d’une culture collective de la liberté et la lutte conjointe et nécessaire contre l’ensemble des dominations sont centrales chez les anarchistes, ATR ne retient que certaines conséquences de ces pensées : la lutte contre l’État et la nécessité révolutionnaire.
Plus globalement, le choix de références exclusivement masculines s’accompagne d’une absence totale de prise en compte des savoirs issus notamment des luttes féministes, antiracistes ou dévalidistes. Les auteurs cités partagent pour la plupart une vision homogène, blanche, valide et viriliste, dont les angles morts révèlent une absence d’approche intersectionnelle.
Si on ne compte plus les attaques contre les « gauchistes » et les « progressistes », on peut constater que le collectif s’appuie sur ces autres luttes. La stratégie d’ATR de disqualifier systématiquement les autres collectifs écologistes et technocritiques a pour objectif de recruter des membres en se présentant comme la seule alternative. Elle a surtout pour conséquence de parasiter les collectifs qui tentent de conjuguer une lutte efficace contre le techno-capitalisme avec la construction d’une société juste et égalitaire.
Cela a été le cas pour les Soulèvements de la Terre (SDT). Après avoir tenté à plusieurs reprises de recruter dans des groupes locaux des SDT, ATR a publié sur son blog pas moins de trois articles critiquant durement tant le positionnement politique du collectif écologiste que ses stratégies de luttes. Ce désaccord stratégique n’a pas empêché ATR d’organiser ou de participer à des actions inspirées des stratégies promues par les SDT 26.
ATR met également en place des stratégies d’entrisme et de noyautage, jusqu’à la prise de contrôle de groupes locaux. C’est ce qui est arrivé à Extinction Rebellion (XR), dont le groupe local rennais est aujourd’hui contrôlé par des membres d’ATR et n’a plus de liens avec le reste du mouvement 27. Cela leur permet de revendiquer en tant qu’Extinction Rebellion des actions qu’Anti-Tech Resistance entend mener et de présenter comme porte-parole d’XR des personnes inconnues du mouvement. Cette manœuvre – observée et combattue notamment autour du Sommet de l’IA début 2025 – vise à faire croire qu’ATR agit au sein d’une coalition 28.
Pour ATR, la technologie post-industrielle est la racine de tous les maux contemporains et toute autre lutte ne fait que retarder la révolution anti-tech. Dans la droite lignée de Theodore Kaczynski, le collectif établit comme évidente et nécessaire une stratégie à but unique : le démantèlement du système techno-industriel. Les personnes subissant le capitalisme, le patriarcat, le racisme, l’homophobie ou la transphobie devraient donc attendre le démantèlement de ce système pour lutter contre les systèmes de domination 29.
ATR admet sans détour qu’il « ne milite pas (…) pour des causes progressistes (féminisme, antiracisme, luttes LGBT, animalisme, écologisme, etc.) » 30. D’après le collectif, la multiplication des cibles entraîne une dilution de l’impact des actions collectives et une couverture nécessairement incomplète des sujets traités : « les luttes sociales accentuent la résilience du système technologique » 31. La référence à la figure de Theodore Kaczynski permet ici d’éclairer son instrumentalisation des luttes émancipatrices à des fins stratégiques : « Le véritable mouvement anti-tech rejette toute forme de racisme ou d’ethnocentrisme. Absolument pas par “tolérance”, “pluralisme”, “multiculturalisme”, “égalité” ou “justice sociale”. Le rejet du racisme est – purement et simplement – un impératif stratégique » 32. Ça a le mérite d’être clair : pour le collectif, « les émotions ou la morale ne doivent en aucun cas interférer avec la réalisation de notre objectif » et leur « seule éthique est celle de l’efficacité et du résultat » 33. Pourtant de nombreux collectifs parviennent à allier une position anti-industrielle, une attention à l’intersectionnalité des luttes, l’horizontalité et aux attaques concrètes (sabotages, blocages, mobilisation…) 34.
Chez ATR, la technologie est vue comme intrinsèquement mauvaise, corruptrice et dotée d’une volonté propre, telle un « système indivisible et auto-entretenu » 35. Pour le collectif, le mal n’est pas dans les usages sociaux ou les conditions de production et d’exploitation des technologies, mais dans la nature même des choses (ici, la technologie). C’est ainsi que, dans le discours d’ATR, la « Technologie » devient le fer de lance du monde artificiel qui « détruit la vie ». La radicalité écologique et la technocritique ne peuvent se construire sur le rejet de la complexité. L’approche d’ATR exclut toute réflexion démocratique sur les choix technologiques et industriels. Refusant de confronter les différentes options, le collectif prétend imposer un modèle unique sans débat ni consentement collectif, ce qui traduit une dérive autoritaire. ATR n’a qu’un objectif parce que sa vision du monde est binaire : les choses y sont, soit naturelles et fondamentalement bonnes, soit artificielles et donc nécessairement néfastes.
Les technologies sont extraites des réalités sociales et déposées loin, très loin des enjeux politiques. C’est ainsi que tout se vaut, et qu’aucune distinction n’est faite entre les partis xénophobes carbofascisants, comme le RN, et les partis se revendiquant de la gauche écologiste parlementaire : il n’est que question d’être ou ne pas être de l’unique « parti technologiste » 36. Cela a pour conséquence une dynamique de persécution à outrance du collectif : c’est « eux contre le système », « eux contre tout le monde ».
ATR – en tant que collectif et sans préjuger des orientations de ses membres pris individuellement – n’est pas seulement poreux aux idées et personnes réactionnaires : son projet idéologique est réactionnaire en tant que tel et vecteur, selon nous, d’une fascisation de l’écologie. En effet, non content de véhiculer une approche essentialiste de la technique 37, ATR l’appuie sur une vision essentialiste de « la Nature » 38.
ATR rejette ainsi toute démarche de compromis éthique ou de sélection démocratique des technologies. Le prisme apocalyptique crée un paradoxe : toute proposition, aussi immorale soit-elle, peut apparaître comme légitime face à l’urgence perçue. En rejetant en bloc la société industrielle, le mouvement laisse la porte ouverte à des idées autoritaires ou rétrogrades, justifiées par la prétendue nécessité de sauver l’humanité à tout prix.
La « Nature » d’ATR apparaît comme une entité idéalisée qui justifie tout positionnement idéologique : toute notion ou idée établie comme « naturelle » devient à défendre 39. Sinon elle relève de l’artificiel et est à anéantir. Cet antagonisme entre la nature et l’artificiel devient alors un artifice rhétorique pour légitimer des positions à moindres frais, en plus d’être un terreau de choix pour les idées réactionnaires. Ici aussi, ATR déploie la vision politique de Theodore Kaczynski : une pensée conservatrice d’essentialisation de « la Nature » (avec le recours à la notion de « Nature sauvage » 40 et de « peuple primitif » 41, sans aucune distance avec ses prises de position natalistes 42 et eugéniste 43. La valorisation par ATR d’un « retour à la Nature sauvage », idéalisée, prend racine dans une vision colonialiste 44.
Les courants réactionnaires ont de fait pour habitude de qualifier de « contre-nature » les pratiques s’écartant de leur norme sociale comme l’homosexualité ou la contraception. C’est le cas du collectif qui en vient à promouvoir la famille nucléaire 45, l’érigeant comme seul rempart communautaire face à l’atomisation des individus par le capitalisme. Rappelons que la famille nucléaire fait partie des structures qui soutiennent et reproduisent le système hétérosexuel patriarcal. En faire sa promotion sans discussion c’est légitimer les violences qui en découlent (physiques, sexuelles, psychologiques). De plus, la critique de l’artificiel engendre un validisme illustré par la promotion du corps idéal, celui du guerrier ou de la guerrière viril·es 46. Sans renier une critique légitime de l’industrie médicale, on ne peut que craindre l’abandon des personnes usagères de techniques médicales lors de la révolution anti-industrielle qui se veut sans concession 47. Le programme d’ATR reste volontairement flou voire silencieux sur des questions essentielles telles que la santé sexuelle, la contraception et toutes les autres questions de santé aujourd’hui adressées par une intervention industrielle.
Loin de se contenter d’une distance passive vis-à-vis du féminisme, de l’antiracisme, des luttes LGBTQIA+, ou de l’écologie, ATR les pointe comme ses adversaires politiques, complices de l’écocide en cours. Les militant·es de ces luttes « sont les idiots utiles de l’expansion industrielle, les gardiens de l’écologiquement correct, les agents de la technocratie en milieu militant, bref, les complices de l’écocide » 48. Iels seraient même les responsables directes de ce dernier : « l’inextinguible promesse progressiste est une incitation à poursuivre dans la même voie, avec pour horizon l’artificialisation – donc l’annihilation – de l’humanité elle-même » 49.
On ne peut pas s’insurger contre les « progressistes » et les « gauchistes » à longueur de blog et prétendre porter un projet démocratique de justice sociale. En prônant la destruction du « système technologique », tout en rejetant l’idée même de révolution progressiste, ATR s’inscrit dans une logique réactionnaire effondriste 50, similaire à celle de certains primitivistes 51, survivalistes 52 ou écologistes d’extrême droite 53. Pourtant le collectif se considère comme un collectif de « résistants » tant au capitalisme industriel, qu’au « techno-fascisme » 54. Se pose alors la question de savoir quel fascisme 55 combat ATR.
Quand ATR dit se lever contre le fascisme, il semble que le collectif ne considère que l’autoritarisme, le totalitarisme et la surveillance généralisée 56. Ce cadre d’analyse occulte une des dynamiques majeures de la fascisation et de l’instauration des régimes fascistes, à savoir celle de la racisation et la déshumanisation des minorités opprimées, et leur minorisation jusqu’à la légitimation de leur éradication, symbolique puis physique.
Les enjeux majeurs de l’époque contemporaine ne peuvent pas être compris comme étant seulement « l’écologie, la démocratie et la liberté » 57. Les mouvements pour l’émancipation doivent lutter contre le développement et le renforcement d’une internationale fasciste et suprémaciste blanche 58 : le racisme, le masculinisme et le colonialisme sont centraux dans la fascisation actuelle.
ATR ne peut prétendre être contre le fascisme en ayant comme programme le rejet du clivage gauche/droite et du « [rassemblement d]es peuples au-delà de tous les clivages politiques, religieux, géographiques et identitaires » 59, qui résonne tristement comme un écho avec la « réconciliation de la nation » par la « collaboration des classes » qu’avaient voulus les fascistes italiens 60. En contexte strictement français et actuel, ATR, qui s’associe objectivement avec des groupes islamophobes, ne saurait être des allié·es antifascistes quand le fascisme français actuel se construit principalement autour de la volonté d’épuration des mulsuman·es (ou assigné·es comme tel·les).
En décidant d’afficher et de lutter contre celleux qu’ATR considère des « technocollabos » – les « gauchistes » et les « progressistes » – 61, ATR s’inscrit dans une dynamique d’avant garde autoritaire qui participe aux dynamiques de fascisation de l’écologie et maintient la technocritique dans le giron réactionnaire.
La stratégie de but unique d’ATR l’empêche de penser, entre autres, la race, le genre, la classe notamment comme des constructions sociales maintenues par des politiques d’oppression systématiques. C’est pour nous un point d’irréconciliabilité politique.
Le « combat » d’ATR n’offre aucune perspective politique et seulement un purisme militant réactionnaire. Face à leur défense impérieuse de « la Vie » et de « la Nature » contre « la Technologie », il faut se demander quels espaces et quelles formes de vie ATR est prêt à sacrifier.
Face à ATR, nous l’affirmons encore une fois : les technocrates ne sont pas nos seuls ennemis. Il faut évidemment prendre très au sérieux la lutte contre les technologies fascistes et écocidaires. Mais il faut aussi lutter contre la fascisation de l’écologie en renforçant les liens entre les luttes écologistes et technocritiques, et toutes les autres luttes pour l’émancipation de tou⋅tes.
18.06.2025 à 14:52
bastien
En novembre 2023, La Quadrature du Net, Access Now, ARTICLE 19, European Center for Not-for-Profit Law (ECNL), European Digital Rights (EDRi) et Wikimedia France lançaient une action en justice contre le décret français d’application du Règlement européen relatif à la lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne (TCO, ou « TERREG »). L’objectif était d’obtenir l’invalidation par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de ce règlement dangereux en raison de son incompatibilité avec la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Malheureusement, dans sa décision rendue lundi, la plus haute juridiction administrative française, le Conseil d’État, a rejeté les arguments des organisations et leur demande de renvoi de l’affaire devant la CJUE.
Ce résultat est extrêmement décevant pour deux raisons principales. Premièrement, le Conseil d’État s'est illégitimement approprié le débat juridique sur la compatibilité du règlement TCO avec le droit primaire de l'UE. Cette question devrait pourtant être traitée au niveau de l’UE. Selon les Traités, la CJUE est la juridiction principale compétente pour statuer sur la légalité des actes de l’UE – c’est pour cela que les organisations demandaient le renvoi de l’affaire devant celle-ci. En menant son propre contrôle de légalité, le Conseil d’État empêche de facto la CJUE d’exercer ses compétences exclusives.
Deuxièmement, cette décision signifie également que les polices de l’ensemble de l’UE peuvent continuer à exercer leurs pouvoirs de censure excessive en vertu du règlement TCO pour encore un certain temps. Depuis la publication initiale de la proposition en 2018, les organisations qui ont contesté le règlement TCO ont régulièrement fait part de leurs préoccupations quant aux violations potentielles des droits fondamentaux en raison de l’insuffisance des garanties prévues. Au vu des données disponibles sur la mise en œuvre du règlement, certains éléments indiquent que certains États membres pourraient utiliser le TERREG comme un outil politique pour réprimer certains types d’expressions en ligne.
Par exemple, sur les 349 injonctions de retrait émises dans l’UE entre juin 2022 et avril 2024, 249 l’ont été par les autorités allemandes à la suite des événements du 7-Octobre en Israël. Cette situation est très préoccupante compte tenu de la répression croissante en Allemagne à l’encontre de la liberté d’expression, de réunion et d’association qui vise celles et ceux qui défendent les droits des Palestiniens et Palestiniennes (notamment par des interdictions de manifester, annulations d'événements, répression d’initiatives étudiantes, etc.).
Les organisations insistent sur la nécessité urgente de mettre fin aux pouvoirs de censure disproportionnés que confère le TERREG à la police et de protéger la liberté d'expression en ligne, en particulier dans un contexte de rétrécissement de l’espace démocratique à travers tout le continent. Elles s’engagent à rechercher d’autres voies de recours afin d’obtenir le renvoi devant la CJUE de la question de la légalité du règlement TCO.
La Quadrature du Net (LQDN) promeut et défend les libertés fondamentales dans le monde numérique. Par ses activités de plaidoyer et de contentieux, elle lutte contre la censure et la surveillance, s’interroge sur la manière dont le monde numérique et la société s’influencent mutuellement et œuvre en faveur d’un internet libre, décentralisé et émancipateur.
Le European Center for Not-for-Profit Law (ECNL) est une organisation non-gouvernementale qui œuvre à la création d’environnements juridiques et politiques permettant aux individus, aux mouvements et aux organisations d’exercer et de protéger leurs libertés civiques.
Access Now défend et améliore les droits numériques des personnes et des communautés à risque. L’organisation défend une vision de la technologie compatible avec les droits fondamentaux, y compris la liberté d’expression en ligne.
European Digital Rights (EDRi) est le plus grand réseau européen d’ONG, d’expert·es, de militant·es et d’universitaires travaillant à la défense et à la progression des droits humains à l’ère du numérique sur l’ensemble du continent.
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