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20.05.2025 à 14:03

Vers une Communauté de l’Atlantique oriental

Matheo Malik

Le long des rives orientales de l’océan Atlantique, une « grande verticale » intégrant l’Europe et l’Afrique pourrait devenir un espace stratégique pour réparer la mondialisation.

Jamal Machrouh et Florent Parmentier proposent d’inventer une nouvelle communauté.

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Texte intégral (4389 mots)

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En organisant conjointement la Coupe du monde 2030, l’Espagne, le Maroc et le Portugal ouvriront la voie à une coopération régionale novatrice et sans précédent entre l’Europe et l’Afrique. Cette « petite verticale » mériterait de s’inscrire dans une échelle beaucoup plus large et innovante amplifiant les liens entre les deux continents pour construire ce qu’on pourrait appeler une « Communauté de l’Atlantique Oriental » (CAO). 

Au moment où des logiques de coopération verticale se consolident ailleurs dans le monde, dans l’Atlantique occidental entre les États-Unis, le Canada et le Mexique — au moins jusqu’à une date récente — ou dans le Pacifique entre la Chine et les pays de l’Asie du Sud-Est, l’Atlantique oriental, un espace à fort potentiel économique et stratégique, demeure encore largement sous-exploité.

C’est la raison pour laquelle une « grande verticale » — c’est-à-dire l’établissement d’un axe géopolitique structurant entre l’Europe et l’Afrique le long des côtes de l’Atlantique, s’impose aujourd’hui comme une nécessité stratégique. Cette communauté comprendrait au minimum, selon un critère géographique, les États riverains de l’Atlantique africains et européens de l’Afrique du Sud au Maroc, ainsi que du Portugal à l’Europe du Nord.

Dans cette pièce de doctrine, nous entendons souligner la pertinence stratégique du projet de la Communauté de l’Atlantique Oriental, donner à voir son utilité pour les deux continents partenaires mais aussi au-delà, tout en esquissant son architecture institutionnelle et son modus operandi

À la recherche d’une « grande verticale » : la nécessité stratégique d’une nouvelle communauté

Dans un monde cassé, la création d’une Communauté de l’Atlantique Oriental permettrait à ses membres de faire face à des défis et de saisir des opportunités uniques en s’organisant autour de dynamiques verticales tournées vers l’océan.

Du monde cassé au spectre d’un dérapage stratégique

Le retour des guerres de haute intensité et la rivalité sino-américaine induisent des risques de déclassement et de marginalisation à la fois pour l’Europe et l’Afrique. Les deux continents, placés dans une situation de vulnérabilité stratégique accrue devraient non seulement se préparer à faire face à des crises immédiates, mais aussi chercher à imposer leurs intérêts dans un ordre mondial en mutation où leur place reste à redéfinir.

La montée en puissance de la Chine et son ambitieuse initiative géostratégique des « Nouvelles routes de la Soie » (Belt and Road Initiative) sont au cœur de la confrontation avec les États-Unis — qui menace de monter aux extrêmes depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. Dans cette « deuxième guerre froide », l’Europe devrait composer avec son statut d’ancien allié inconditionnel des États-Unis, tout en ménageant ses relations économiques importantes avec Pékin et en préservant son autonomie stratégique. L’Afrique, quant à elle, se retrouve courtisée par les deux grandes puissances : la Chine y poursuit une stratégie d’investissement massif tandis que les États-Unis tentent de regagner leur influence en soutenant des projets de développement et de coopération dans le domaine sécuritaire.

Face à ces tensions mondiales, le risque de déclassement stratégique de l’Afrique et de l’Europe devient palpable.

Bien que puissante sur le plan économique, l’Union peine, on le sait, à s’imposer comme acteur stratégique. Son incapacité à prévenir la guerre en Ukraine et ses difficultés à parler d’une seule voix sur le conflit israélo-palestinien alimentent les doutes quant à son aptitude à peser dans un ordre mondial reconfiguré par la rivalité sino-américaine. Pour l’Afrique, le risque est plutôt de voir croître sa vulnérabilité aux chocs externes majeurs — instabilité des marchés mondiaux et dépendance aux importations alimentaires. À bien des égards, ne disposant pas des mêmes capacités de résilience que les grandes puissances, les intérêts des pays africains pourraient grandement souffrir du retour de la guerre comme instrument de régulation des rapports internationaux 1

L’Afrique est courtisée par les deux grandes puissances : la Chine y poursuit une stratégie d’investissement massif tandis que les États-Unis tentent de regagner leur influence en soutenant des projets de développement et de coopération dans le domaine sécuritaire.

Jamal Machrouh et Florent Parmentier

Une nouvelle dynamique de coopération  : la « grande verticale »

Aussi cette « grande verticale » ferait-elle écho à d’autres dynamiques de coopération dans le monde, alors que la Chine cherche à impulser une ample intégration régionale via le Partenariat économique régional global, tandis que les États-Unis consolident leur zone économique avec l’USMCA (United States-Mexico-Canada Agreement).

Dans ces conditions, l’axe transatlantique, jadis central, semble aujourd’hui affaibli et les ambitieux projets de partenariats transpacifique et transatlantique ont été abandonnés. Couplée à des stratégies verticales d’intégration, la proximité géographique est devenue un levier central dans la reconfiguration des échanges mondiaux : le Mexique est ainsi devenu le premier partenaire économique des États-Unis devant la Chine depuis 2023, et l’ASEAN se trouve désormais au cœur des priorités économiques chinoises.

Face à l’intégration régionale des espaces américains et asiatiques, la faible coopération entre les pays de l’Atlantique oriental témoigne d’un décalage stratégique majeur : en 2024, parmi les partenaires commerciaux de l’Union, le premier pays africain — le Maroc — n’arrive qu’en onzième position. 

La nécessité de bâtir une relation plus étroite et mutuellement bénéfique entre les deux continents devient urgente non seulement pour des raisons économiques mais aussi pour relever de multiples défis communs — transition énergétique, sécurité alimentaire, gestion des migrations et adaptation au changement climatique.

Carte d’Avignon, XIIIème siècle. Fragment d’une carte-portulan représentant la Méditerranée occidentale et les côtes de l’Europe du nord.
Carte Pisane, 1290. Peut-être tracée à Gênes, la Carta Pisana est la plus ancienne carte-portulan, répondant au besoin d’une cartographie empirique des navigateurs méditerranéens au temps des croisades.

Pour l’Europe, il s’agit de considérer l’Afrique non plus comme une périphérie vulnérable, mais comme un partenaire stratégique au cœur des équilibres futurs. 

Pour l’Afrique et le « nouveau Sud », il s’agit d’affirmer sa souveraineté dans cette dynamique de coopération en définissant ses priorités et ses prérequis. 

La proximité géographique est devenue un levier central dans la reconfiguration des échanges mondiaux.

Jamal Machrouh et Florent Parmentier

Connectivité et espaces maritimes : cartographier la transformation globale

Dans un monde où 90 % du commerce mondial exprimé en volume transite par la mer et où l’Atlantique occupe une place essentielle, la connectivité maritime est un levier clef du développement économique.

Elle repose avant tout sur des infrastructures portuaires performantes : les ports ne sont plus de simples points de transit mais des hubs logistiques intégrés aptes à transformer les flux maritimes en opportunités de croissance locale et régionale. 

Dans cette configuration technique et infrastructurelle nouvelle, l’océan Atlantique pourrait devenir un acteur privilégié 2.

En Afrique atlantique, plusieurs ports jouent déjà un rôle stratégique dans le développement économique de la région — celui de Lagos au Nigéria, celui d’Abidjan en Côte d’Ivoire, ou celui de Tema au Ghana — mais d’un point de vue global, la région souffre encore de nombreux défis : l’insécurité des routes maritimes, la congestion portuaire, le manque d’infrastructures modernes, la piraterie et la faible connectivité terrestre avec les arrière-pays freinent le potentiel de développement des États côtiers et réduisent leur compétitivité sur le marché mondial. 

La réalisation d’une « grande verticale » devient un enjeu stratégique essentiel et l’Union européenne, dotée d’une expérience en matière de logistique et de transport maritime, pourrait jouer un rôle clef en finançant et en accompagnant des projets portuaires stratégiques en Afrique. En retour, une meilleure connectivité des ports africains pourrait offrir à l’Europe de nouvelles opportunités commerciales et un accès privilégié à des ressources stratégiques.

En complément de la logistique portuaire, l’économie bleue représente un formidable accélérateur de développement. 

L’exploitation durable des ressources marines peut générer des chaînes de valeur locales et régionales prometteuses. Elle impliquerait un renforcement de la connectivité entre les ports et leurs hinterlands via le développement de corridors logistiques intégrés, reliant les principaux ports aux grandes villes et aux zones industrielles intérieures. Des ports modernes et bien connectés pourraient réduire la dépendance des économies africaines aux importations de produits transformés, en favorisant l’émergence d’industries locales créatrices de valeur sur place tout en stimulant le commerce intra-africain.

La faible coopération entre les pays de l’Atlantique oriental témoigne d’un décalage stratégique majeur : en 2024, parmi les partenaires commerciaux de l’Union, le premier pays africain — le Maroc — n’arrive qu’en onzième position.

Jamal Machrouh et Florent Parmentier

Construire une résilience mutuelle  : économie, énergie, stratégie

La construction d’une Communauté de l’Atlantique Oriental serait ainsi fondée sur une résilience mutuelle qui pourrait reposer à court terme sur trois piliers : l’économie, l’énergie et la stratégie.

Elle gagnerait à devenir un véritable partenariat stratégique, allant vers la mutualisation des moyens et l’agrégation des capacités des deux régions.

Économie

L’Atlantique oriental recèle un potentiel économique considérable : dotée d’une population jeune, d’une classe moyenne en expansion et d’une ambitieuse Zone de Libre Échange (ZLECAf) 3, l’Afrique représente un marché prometteur pour les entreprises européennes. L’industrialisation croissante, le besoin en infrastructures modernes et les projets d’innovation dans les technologies numériques et vertes offrent des opportunités inestimables. Le renforcement de ses relations économiques avec l’Afrique permettrait à l’Europe d’accéder à des marchés en pleine croissance tout en diversifiant ses chaînes d’approvisionnement grâce au friendshoring).

Énergie

La question énergétique se trouverait également au cœur de la résilience des États de l’Atlantique oriental. 

Disposant d’importantes ressources naturelles, notamment des hydrocarbures, mais aussi d’un potentiel considérable dans les énergies renouvelables — solaire, éolien, hydrogène et hydraulique — le continent africain serait un partenaire stratégique de choix pour l’Europe qui fait face aux contraintes de la transition énergétique et à la nécessité de diversifier ses sources d’approvisionnement.

Le développement d’un réseau énergétique intégré entre les deux continents, allié à des investissements dans les infrastructures et les technologies vertes, pourrait permettre de créer un cercle vertueux de croissance et de sécurité énergétique, tout en réduisant l’empreinte carbone des deux régions.

Stratégie

Enfin, sur le plan stratégique, la construction d’une Communauté de l’Atlantique Oriental apparaît essentielle pour renforcer l’autonomie des deux régions face aux rivalités des grandes puissances.

Elle permettrait la mutualisation des capacités en matière de sécurité maritime, de lutte contre la piraterie et de gestion des flux migratoires.

La sécurisation des voies maritimes dans l’Atlantique oriental — notamment dans le Golfe de Guinée — est cruciale pour garantir la stabilité des échanges commerciaux et la protection des intérêts économiques des deux rives. De même, la coopération en matière de défense et de gestion des crises pourrait renforcer la souveraineté régionale face à des ingérences extérieures — on pense notamment aux actions cyber de la Russie — qui ciblent à la fois l’Afrique et l’Europe.

Éviter le « piège de la fragmentation stratégique » entre le Nord et le nouveau Sud

Dans un contexte de dégradation globale du contexte stratégique et alors que les relations entre le Nord et le Sud global sont marquées par des incompréhensions mutuelles et des fractures historiques, il est crucial d’éviter le « piège de la fragmentation stratégique ».

À l’image du « piège de Thucydide » 4 appliqué aux rivalités sino-américaines, les relations Nord-Sud risqueraient en effet d’entrer dans une dynamique où la coopération internationale laisse place à la conflictualité, accentuée par des intérêts divergents et des asymétries économiques. 

L’espace de l’Atlantique oriental offre une opportunité de nature à dépasser ces tensions par la création d’une communauté stratégique fondée sur la complémentarité et le partenariat.

Certains croient encore au mythe d’un Occident homogène et d’un « Sud global » uni dans ses revendications.

La réalité est autrement plus complexe.

Zuane Pizzigano, carte-portulan des côtes européennes et africaines, 1424.
Jorge de Aguilar, Carte-portulan de la mer Méditerranée, de l’océan Atlantique Nord, de la mer Noire et de la côte ouest-africaine jusqu’à la Sierra Leone, 1492.

Alors que l’Union européenne prône une approche aussi multilatérale et coopérative que possible, les États-Unis risquent d’osciller entre isolationnisme et interventionnisme. Quant au nouveau Sud, il ne s’inscrit pas forcément et unanimement dans un schéma de rejet de l’Occident.

L’intérêt global de l’émergence d’une force médiane 

La Communauté de l’Atlantique Oriental pourrait légitimement incarner un espace de coopération intercontinentale innovant, transcendant les clivages traditionnels et devenir un laboratoire de coopération Nord–Sud face aux grands défis globaux. 

Les avancées en IA et en technologies autonomes, portées principalement par les grandes puissances, posant des questions éthiques et stratégiques majeures. Une approche commune d’innovation, de régulation et de gouvernance technologique — favorisant un usage responsable des nouvelles technologies — pourrait peser davantage dans le débat international.

En s’appuyant sur des initiatives intercontinentales, les États membres pourraient initier des solutions basées sur l’IA en vue de poursuivre simultanément plusieurs objectifs : améliorer les systèmes de santé, optimiser les chaînes logistiques, renforcer la sécurité alimentaire ou encore élaborer des normes partagées pour encadrer l’usage des technologies autonomes, notamment les armes intelligentes et les systèmes d’IA militaires.

Les pays de l’Atlantique oriental étant particulièrement vulnérables aux retombées du changement climatique — montée des eaux, intensification des tempêtes, érosion côtière — la mise en place d’une gouvernance climatique devrait également être une priorité. La coopération dans le cadre de la Communauté de l’Atlantique Oriental devrait être axée sur la résilience environnementale, la transition énergétique, le développement d’une économie bleue durable et le renforcement de la résilience côtière. 

Forte de sa diversité géographique et culturelle, la Communauté pourrait jouer un rôle de médiateur dans les grandes crises internationales, offrant une plateforme de dialogue neutre, audible et respectée.

En adoptant une posture de coopération pragmatique et innovante, fondée sur la complémentarité économique et la mutualisation des moyens, elle pourrait offrir une réponse crédible aux grands défis globaux tout en évitant les pièges de la fragmentation stratégique et de la confrontation entre blocs.

La coopération dans le cadre de la Communauté de l’Atlantique Oriental devrait être axée sur la résilience environnementale, la transition énergétique, le développement d’une économie bleue durable et le renforcement de la résilience côtière.

Jamal Machrouh et Florent Parmentier

Instituer une Communauté de l’Atlantique Oriental : une gouvernance innovante et minimaliste autour d’une « union de projets »

La Communauté gagnerait à reposer sur une organisation légère et flexible, conçue pour s’adapter aux besoins de ses membres et évitant les pesanteurs bureaucratiques inhérentes aux organisations complexes.

Au cœur de cette gouvernance, les chefs d’État et de gouvernement joueront un rôle central, impulsant la vision politique et garantissant la cohérence des actions menées.

Enfin, cette Communauté devrait être fondée sur une union polylatérale de projets impliquant très largement le secteur privé et la société civile, privilégiant des réalisations concrètes, qu’il s’agisse de corridors logistiques, de ports intelligents ou de programmes communs d’exploitation et de préservation des ressources marines.

Entre le forum et l’organisation régionale : une structure flexible

Si les objectifs assignés à la Communauté de l’Atlantique Oriental se veulent ambitieux, l’organisation à créer pour les prendre en charge doit être légère, agile et pragmatique — le déficit d’efficience des organisations internationales étant hélas très souvent imputable à une bureaucratisation excessive. 

La Communauté pourrait éviter ces écueils en adoptant un modèle de gouvernance résolument innovant et minimaliste. Loin des structures rigides, elle s’organiserait comme une « union de projets » où la priorité serait donnée aux actions concrètes et aux résultats mesurables. Chaque initiative serait portée par un ou plusieurs États membres, qui en assureraient la coordination, avec le soutien ponctuel d’experts et de partenaires techniques ou financiers selon les besoins.

Les chefs d’État et de gouvernement au cœur de la gouvernance

Les chefs d’État et de gouvernement seraient au cœur de sa gouvernance, en se réunissant lors de sommets stratégiques organisés une à deux fois par an. 

Ces rencontres auraient pour but de définir collectivement les priorités communes, en identifiant les domaines clefs d’intervention — le développement des infrastructures, la gestion durable des océans, la sécurité maritime, les échanges culturels — et d’allouer les financements nécessaires aux projets en cours, qu’il s’agisse de contributions nationales, d’investissements privés ou de partenariats internationaux. En outre, ces réunions permettraient de renforcer le dialogue politique, favorisant une compréhension mutuelle et une coordination accrue entre les États membres face aux grands enjeux régionaux et mondiaux.

Enfin, un volet essentiel reposerait sur l’évaluation des résultats : chaque initiative devrait être analysée en termes d’impact concret, avec des ajustements éventuels réalisés en fonction des défis émergents et des opportunités nouvelles, garantissant ainsi une dynamique d’amélioration continue.

Une union de projets : donner la priorité aux actions concrètes

Plutôt qu’une institution lourde, la Communauté fonctionnerait comme une plateforme flexible, adaptée aux besoins spécifiques des projets concrets impliquant aussi bien les acteurs publics que privés, les États membres et les sociétés civiles. 

La CAO se distinguerait par une approche pragmatique, ciblant avant tout les trois domaines stratégiques suivants : mers, énergie et climat, espace.

Connectivité portuaire et intégration maritime

Un projet de développement portuaire pourrait ainsi être piloté par un pays africain, bénéficiant de l’expertise technique et des financements européens pour moderniser les infrastructures maritimes et renforcer sa capacité logistique et son rôle dans le commerce international. La sécurité maritime dans des zones stratégiques comme le golfe de Guinée pourrait aussi être renforcée grâce à une coopération accrue entre les marines nationales des deux continents, soutenues par des organisations régionales telles que l’Union européenne et l’Union africaine.

La Communauté gagnerait à reposer sur une organisation légère et flexible, conçue pour s’adapter aux besoins de ses membres et évitant les pesanteurs bureaucratiques inhérentes aux organisations complexes.

Jamal Machrouh et Florent Parmentier

Énergie et environnement

En matière énergétique et climatique, la Communauté pourrait renforcer non seulement les capacités locales visant à agir sur les urgences environnementales mais aussi créer des ponts entre les chercheurs, les entreprises et les gouvernements des deux continents pour soutenir la transition énergétique et les pratiques durables. Parallèlement, les deux parties pourraient joindre leurs efforts pour favoriser leur souveraineté énergétique à travers le développement de corridors énergétiques reliant les zones de production aux consommateurs. Des initiatives de formation en technologies vertes pourraient associer universités africaines et européennes pour développer des programmes conjoints, favorisant le transfert de compétences et l’émergence de solutions innovantes adaptées aux défis locaux.

Ces ambitions pourraient inclure la mise en place d’une stratégie d’exploitation raisonnée des métaux rares afin de faire face à la transition énergétique et numérique, dans une logique de partenariat et de co-localisation des activités économiques.

Coopération spatiale

L’Europe et l’Afrique pourraient enfin établir un programme de coopération spatiale global et mutuellement bénéfique qui réponde à des défis clefs par des applications dans les domaines de la sécurité alimentaire, la durabilité environnementale et le développement régional. 

À ce titre, le lancement du Conseil spatial africain de l’Union africaine en avril 2025 pourrait ouvrir la voie à la structuration d’un dialogue sur les solutions spatiales au service de toutes les parties prenantes. 

*

Inspirés d’une vision holistique — connectivité numérique, spatial, commerce durable, financement vert et inclusion sociale — ces exemples illustrent la capacité de la Communauté de l’Atlantique oriental en devenir à catalyser des synergies et à produire des résultats concrets, répondant aux besoins des populations tout en consolidant un partenariat stratégique entre l’Afrique et l’Europe.

Dans ce schéma, la Communauté représenterait à la fois un trait d’union, un espace de co-prospérité et un levier d’autonomie stratégique pour les deux parties de l’Atlantique oriental.

Sources
  1. Les conséquences géopolitiques et géoéconomiques de la guerre en Ukraine sur l’Afrique », PCNS, 10 mai 2022.
  2. The Atlantic Ocean  : A new frontier for global cooperation and African growth », Brookings, 11 février 2025.
  3. Destined for War : Can America and China Escape Thucydides’s Trap ?, Houghton, Mifflin Harcourt, 1er janvier 2014.

20.05.2025 à 13:42

L’Union approuve son 17e paquet de sanctions contre la Russie

Marin Saillofest

Aujourd’hui, mardi 20 mai, les États membres de l’Union ont formellement approuvé un nouveau paquet de sanctions contre la Russie — le 17ᵉ depuis février 2022. Il est toutefois peu probable que ces nouvelles mesures européennes, à elles seules, aient un impact dissuasif sur les ventes d’hydrocarbures russes, comme en témoigne l'absence d'opposition de la Hongrie et de la Slovaquie.

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Le nouveau paquet de sanctions européennes approuvé aujourd’hui, mardi 20 mai, vise principalement la flotte fantôme russe (ciblant 200 pétroliers) ainsi que des personnes et entités qui aident Moscou à contourner les restrictions énergétiques. En addition, de nouvelles mesures restrictives portant sur la situation des droits de l’homme en Russie ainsi que les menaces hybrides posées par Moscou ont également été approuvées.

  • Il est toutefois peu probable que ces nouvelles mesures européennes seules aient un impact dissuasif sur les ventes d’hydrocarbures russes – comme en témoigne l’absence de l’opposition de la Hongrie et de la Slovaquie, respectivement premier et troisième importateurs européens d’hydrocarbures russes en avril 1.
  • Dans une étude publiée début mai, l’économiste Craig Kennedy notait que les sanctions imposées par le Trésor américain en janvier avaient quant à elles conduit à un effondrement de 46 % des capacités de la flotte fantôme russe.
  • Afin de combler cette perte de capacité, les entreprises énergétiques ont davantage recours à des pétroliers traditionnels, exposés quant à eux aux sanctions.

Il y a dix jours, les alliés européens de l’Ukraine ainsi que les États-Unis apportaient leur soutien à l’ultimatum lancé par Kiev à Moscou intimant Poutine d’accepter la mise en place d’un cessez-le-feu, ou bien de faire face à de nouvelles sanctions. 

  • Pour la première fois depuis le retour au pouvoir de Trump le 20 janvier, les États-Unis semblaient s’aligner sur la position des Européens en choisissant d’accroître la pression sur la Russie plutôt que sur l’Ukraine pour mettre fin au conflit.
  • Toutefois, la stratégie employée par le président russe lors des discussions à Istanbul semble pour l’heure avoir réussi à mettre fin à ce momentum.
  • Selon le conseiller de Poutine Iouri Ouchakov, le président américain aurait « informé » son homologue russe des sanctions en préparation par des sénateurs républicains lors de l’appel ayant eu lieu hier, lundi 19 mai, mais aurait « souligné qu’il préférait parvenir à un accord plutôt que de recourir à des sanctions » 2.

Si Kaja Kallas a assuré aujourd’hui, mardi 20 mai, que de nouvelles sanctions étaient d’ores et déjà en préparation — Merz a également fait une déclaration similaire la veille —, l’incapacité des Européens à avoir su imposer des mesures restrictives suite au refus de Moscou d’accepter un cessez-le-feu nuit à la crédibilité du bloc. Quelques heures avant l’expiration de l’ultimatum, lundi 12 mai, le porte-parole du gouvernement fédéral allemand, Stefan Kornelius, assurait : « À l’issue de cette journée, des préparatifs seront engagés au niveau des conseillers politiques en vue de l’adoption de sanctions […] Le compte à rebours a commencé » 3.

Sources
  1. April 2025 — Monthly analysis of Russian fossil fuel exports and sanctions, CREA, 14 mai 2025.
  2. Two-hour Trump-Putin call ends without ceasefire », Axios, 19 mai 2025.
  3. Bundesregierung stellt Putin Ultimatum », Bild, 12 mai 2025.

20.05.2025 à 06:30

Économie russe : Moscou s’inquiète des impacts liés à un renforcement du rouble

Ramona Bloj

Au début de l’année, avant l’investiture de Trump, un dollar américain s’échangeait contre 110 roubles. Aujourd’hui, ce taux de conversion a considérablement baissé et un dollar équivaut à 80 roubles, soit une appréciation de la monnaie russe de près de 30 %. Si la surévaluation de la monnaie permet aux touristes russes de profiter de vacances à des prix plus abordables, elle rend également les exportations moins compétitives.

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Depuis le début de l’année, le rouble s’est apprécié de près de 30 % face au dollar américain. Boostée à la fin du mois de janvier par l’investiture de Trump, vu par les marchés comme étant favorable au président russe à une potentielle ouverture vers la Russie, la monnaie a continué de s’apprécier dans un contexte marqué par une baisse des prix du pétrole et du dollar américain 1.

  • L’objectif affiché par Trump de parvenir à un règlement de la guerre en Ukraine a également suscité l’intérêt des investisseurs américains et moyen-orientaux principalement, qui attendent la levée des sanctions afin de pouvoir retourner dans le pays. 
  • Ces dernières semaines, de nombreux acteurs du marché ont manifesté un intérêt marqué pour certains produits dérivés permettant d’échanger le rouble par le biais de contrats à terme non-livrables (ou NDF), qui n’impliquent pas l’achat direct d’actifs.
  • L’investissement sur les marchés financiers russes demeure toutefois largement un sujet tabou, la plupart des banquiers et gestionnaires de fonds déconseillant cette prise de risque à leurs clients qui veulent être parmi les premiers à profiter de la réouverture des marchés russes.

Pour Moscou, un rouble trop élevé face au dollar américain présente de nombreux risques. Selon un haut responsable qui s’est confié à l’agence Reuters, il existe un « large intérêt » pour un taux de change autour de 100 roubles pour un dollar, contre environ 80 actuellement 2. Si la surévaluation de la monnaie russe permet aux touristes russes de profiter de vacances à des prix plus abordables, elle rend également les exportations moins compétitives.

Or, le gouvernement russe pourrait utiliser des recettes supplémentaires générées par un rouble plus faible pour renflouer ses caisses.

Un rouble situé à autour de 110 à 120 pour un dollar, serait quant à lui « bénéfique pour le budget » et augmenterait les recettes tirées des exportations d’hydrocarbures. Il contribuerait en revanche à une hausse de l’inflation — qui se situe déjà à 10,2 % en avril.

Sources
  1. Рублю обосновали рост », Коммерса́нтъ, 14 avril 2025.
  2. Hundred roubles to dollar would be acceptable, says Russian government source », Reuters, 19 mai 2025.
  3. Правительство внесло в Госдуму поправки к федеральному бюджету 2025 года », Интерфакс, 12 mai 2025.

20.05.2025 à 06:00

Nucléaire : le moment européen de la dissuasion française en 6 points

Matheo Malik

Alors que la question de l’européanisation de la force de frappe française revient au cœur des discussions dans les chancelleries et les cercles experts, il faut repartir des objectifs et des moyens pour comprendre ce qui est réalisable dans la phase actuelle.

Du rôle du Royaume-Uni à la décision d’emploi, François Heisbourg propose six points pour cadrer le débat.

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Avec la guerre russe à grande échelle contre l’Ukraine et la confrontation américaine sur l’Alliance atlantique, la question de la dimension européenne de la dissuasion nucléaire est devenue un sujet d’actualité.

Les déclarations françaises sur ce sujet faites au fil des ans 1 sont passées aux yeux des partenaires de la France du registre abstrait au rang d’hypothèses à examiner au fond. 

Comment répondre aux préoccupations et suggestions qu’ils pourront exprimer après que Paris a affirmé et répété qu’il était prêt à entrer en discussion ?

Nous aborderons ici successivement les objectifs visés, les options possibles, les conditions stratégiques,  la nature et le contenu de la coopération potentielle entre la France et ses partenaires européens membres de l’OTAN, la question de la décision d’emploi et le rôle du Royaume-Uni.

1 — Quels objectifs ?

Le but serait de pouvoir assurer la dissuasion face à un adversaire nucléaire potentiel — en particulier la Russie — à une échelle embrassant l’ensemble des partenaires européens avec lesquels la France est liée par l’actuel article 5 du traité de Washington et l’article 42-7 de l’Union européenne. Cela implique que toute mise en cause de leurs  intérêts vitaux soit considérée comme étant à l’égal des intérêts vitaux de la France. Cet objectif large peut, par définition, être assigné dans un cadre plus étroit, défini tant par la volonté de ces partenaires de partager cette solidarité de destin que par leur acceptation de la matérialiser. Tel est déjà le cas de façon explicite entre la France et le Royaume-Uni 2.

Dans la pratique, cela pourrait aussi se traduire par une coalition d’États volontaires.

À cela s’ajoute un objectif dérivé : celui de ne pas contribuer à accroître les risques de prolifération nucléaire évoqués plus bas.

2 — Quelles options ?

Trois options de base permettraient hypothétiquement de conduire à une dimension européenne de la dissuasion. 

L’existant : la dissuasion en Europe par la présence américaine

La première, dont la force de frappe française n’est pas directement partie prenante, consiste à se reposer sur l’existant, à savoir le partage des missions nucléaires de l’OTAN, actuellement  assurées par plusieurs dizaines de bombes planantes américaines B-61 dites non-stratégiques embarquées sur des avions de quelques pays européens (Allemagne, Belgique, Italie, Pays-Bas) 3, eux-mêmes opérant de conserve avec les moyens non-nucléaires des autres pays européens membres de l’OTAN. L’ensemble est adossé à l’ensemble des plus de 1500 armes nucléaires stratégiques américaines prêtes à l’emploi  non stationnées en Europe.

C’est précisément cette option que déstabilise la nouvelle posture américaine, dont les premiers jalons ont été posés dès février 2024 par le candidat Trump lorsqu’il affirmait que la Russie pourrait faire ce qu’elle voudrait si l’argent européen n’était pas au rendez-vous 4. En Allemagne, ces propos avaient provoqué l’ouverture d’un débat politique et médiatique  sur l’avenir de la dissuasion nucléaire.

Cette option adoptée par ses partenaires de l’OTAN ne pose pas de problèmes à Paris. Mais force est de constater qu’elle est devenue précaire et révocable  : les États-Unis peuvent retirer leurs charges nucléaires d’Europe, unilatéralement ou dans le cadre par exemple d’un accord avec la Russie et la Chine prévoyant un retrait dans le cadre d’une conférence d’examen du Traité de Non-Prolifération des armes nucléaires (TNP).

Une prolifération de forces nationales en Europe

La mise sur pied d’une force nucléaire nationale souveraine est une voie qui a été empruntée par la France et le Royaume-Uni, cependant que la Suède a été proche de le faire jusqu’à la fin des années 1960, conservant  jusqu’au début des années 1990 les éléments clefs du cycle du combustible. Si certains autres pays ont été tentés tels l’Allemagne, l’Italie et la Suisse 5 dans la seconde moitié des années 1950, depuis lors tous les États européens ont progressivement rallié le TNP — ouvert à la signature en 1968 6.

Aujourd’hui, seule la Pologne évoque publiquement l’hypothèse d’un programme national 7, choix qui contredirait les obligations de Varsovie au titre du TNP. Elle a aussi et plus spécifiquement émis le vœu de pouvoir participer aux missions nucléaires de l’OTAN avec des armes nucléaires américaines 8 — ce qui n’a pas été accepté par les autres alliés.

En termes de politique de non-prolifération, il ne serait peut-être tactiquement pas inutile de soutenir la demande polonaise — du moins tant que les États-Unis maintiennent des armes nucléaires en Europe. Mieux vaut en effet une Pologne traitée au plan nucléaire comme l’Allemagne ou l’Italie, plutôt qu’une Pologne tentée par un cavalier seul nucléaire. La posture nucléaire de l’OTAN — tout comme, d’ailleurs, le stationnement d’armes nucléaires russes en Bélarus — n’est pas en violation du TNP. 

Européaniser la dissuasion française

La troisième option qu’est la dimension européenne de la dissuasion présentée par le président Macron en février 2020 demeure théorique.

Notons cependant que la France contribue, aux côtés de ses alliés nucléaires américain et britannique à la dissuasion d’ensemble de l’Alliance Atlantique aux termes de la Déclaration signée en 1974 par les chefs d’État et de gouvernement de l’Alliance à Ottawa 9.

3 — Quelles conditions stratégiques ?

Pour qu’il puisse y avoir une dissuasion européenne, il faut convaincre trois catégories d’acteurs.

Tout d’abord, il faut que l’adversaire soit convaincue de sa consistance.

Même si Sergueï Lavrov a violemment dénoncé les ambitions françaises 10, il serait présomptueux de partir du principe que le Kremlin prendra au sérieux une dissuasion européenne qui se baserait sur l’actuelle force nucléaire française que Paris présente depuis des décennies comme étant au strict minimum nécessaire pour assurer la crédibilité dans ses missions traditionnelles. 

Quantitativement et qualitativement, il faudra vraisemblablement changer de voilure même si cette force nucléaire se prête remarquablement à la coopération stratégique  : les Rafale et leurs missiles de croisière nucléaires supersoniques ASMP-A ne sont pas cloués à l’Hexagone ni contraints à la discrétion propre aux sous-marins nucléaires lance-engins. Le fait que Paris ait entamé un troisième grand cycle de modernisation de sa force de dissuasion lui fournit l’occasion de tenir compte de la nouvelle donne stratégique en Europe.

Ensuite, il faut que la France soit prête à faire le nécessaire alors que la possibilité de l’élection d’un « Trump français » à la prochaine présidentielle est déjà posée — nous y reviendrons dans l’examen de la décision souveraine d’emploi

Enfin, les pays avec lesquels la France partagerait son destin nucléaire doivent avoir discuté et fait connaître leurs avis tant sur ce qui pourrait convaincre l’acteur russe que sur ce qu’ils souhaiteraient ou non faire avec Paris. Ce débat paraît encore proche du degré zéro dans les cercles officiels et même dans les think-tanks avec lesquels des échanges ont lieu. Mais dans certains pays, à commencer par la Pologne, et peut être en Europe du Nord, cela pourrait venir assez vite — à telle enseigne que les stratèges français devraient réfléchir à la manière de réagir par rapport à leurs remarques et propositions.

4 — Quelle seraient la nature et le contenu de la coopération franco-européenne ?

Il ne s’agit pas ici d’entrer prématurément dans le détail des discussions mais seulement d’énumérer les catégories concernées.

D’abord, il y a le domaine déclaratoire : ce registre est fondamental à toute politique de dissuasion. Il passe par la définition des intérêts vitaux de la France à l’échelle de l’Europe.

Ensuite, la participation à d’éventuelles opérations, y compris en termes d’exercices nucléaires. Cela s’est déjà fait au moins une fois avec la participation d’un avion de ravitaillement en vol de l’armée de l’air italienne à l’un des exercices périodiques « Poker » mettant en œuvre les forces aériennes stratégiques de la France. Beaucoup plus peut être envisagé.

De même, les Rafales à capacité nucléaire peuvent se manifester hors de l’Hexagone, en temps de paix comme en cas de crise. Là aussi, il y a eu premier précédent dans une crise européenne dès 2014 avec l’envoi d’avions en Pologne lors de l’annexion de la Crimée. Cette opération était purement ad hoc. D’autres depuis, notamment dans les États Baltes, n’avaient pas forcément un but explicite de « signalement stratégique » pour reprendre une formule du vocabulaire de la dissuasion. Mais là aussi, il y aurait matière à systématisation.

Des initiatives matérielles pourraient être proposées par les partenaires de la France en matière d’infrastructure de leurs bases aériennes.

Enfin, et ce n’est pas le moins important, une organisation de consultation et coopération entre les pays d’une coalition des pays volontaires devrait être envisagée si les premières entrées en matière s’avèrent prometteuses.

5 — Qu’en serait-il de la décision d’emploi ?

La réaction négative du Rassemblement National à la dimension européenne de la dissuasion en témoigne : la question de la décision d’emploi fait partie du débat. 

Le rappel par le président Macron qu’il n’était pas question d’un partage de la décision d’emploi a été entendu par les partenaires de la France mais cela ne suffit pas à évacuer le sujet  : en effet, les membres de l’OTAN ont l’habitude des accords de double clef qui valent partage de la décision d’emploi s’agissant des missions nucléaires de l’OTAN.

Or ici, un rappel s’impose.

La logique de la dissuasion étendue (extended deterrence) est fort différente de ce qui peut être fait entre Européens.

Le partage nucléaire otanien avec les États-Unis passe moins par une double clef que par un double verrou — qui vaut double véto  : chaque partenaire (Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Italie) peut interdire physiquement l’emploi puisque les armes américaines sont embarqués sur les avions de ces pays et les armes stockées dans des bunkers installés sur leur territoire  ; les Américains de leur côté peuvent retenir à distance l’armement des bombes. Au plan politique, la mise en œuvre des missions nucléaires de l’OTAN suppose que le commandant en chef militaire de l’organisation en Europe (SACEUR) ait été autorisé à y procéder par les États-membres. 

En d’autres termes : ce dispositif est essentiellement conçu pour empêcher l’emploi.

Si on ajoute à cela que la capacité opérationnelle de remplir les missions nucléaires de l’OTAN a par ailleurs été obérée par le choix d’utiliser des bombes — fussent-elles planantes — et non par des missiles tirés à distance de sécurité et l’on aura quelque raison de penser que le tout relève largement d’un théâtre d’ombres.

Pourtant, ce dispositif a rempli la fonction dissuasive espérée au fil des décennies.

Il y a à cela une raison simple qui ne s’applique pas à la France ou au Royaume-Uni :  plus de 99 % des armes nucléaires américaines ne sont pas sous double clef. Si les forces américaines en Europe étaient attaquées, les États-Unis veilleraient à la riposte dont le volet nucléaire proprement otanien ne serait en fait qu’un élément périphérique. 

C’est pourquoi les partenaires non-nucléaires de la France n’ont pas partagé pendant sept décennies le scepticisme du général de Gaulle quand celui-ci considérait que les États-Unis ne sacrifieraient pas Los Angeles si Stuttgart était vitrifiée 11. La cavalerie nucléaire américaine ne laisserait en effet pas impunie une attaque soviétique contre des centaines de milliers de soldats américains en Europe.

En attendant, le partage nucléaire dans l’OTAN marquait en temps de paix la solidarité de destin.

Évidemment, un retrait américain changerait les termes de cette équation contournée mais crédible.

Répliquer le double verrou du partage nucléaire (nuclear sharing)

Mais l’argument de certains analystes notamment américains 12 selon lequel les forces nucléaires françaises et britanniques seraient insuffisantes pour dissuader la Russie se retourne comme un gant  : Paris a les moyens de faire subir des dommages inacceptables aux œuvres vives de la Russie — mais à condition de ne pas être bridée par des vétos multiples. Le refus du partage n’est donc pas un syndrome propre aux Gaulois récalcitrants mais une donnée d’entrée.

Les partenaires de Paris ont à l’inverse toutes les raisons — et doivent avoir toutes les opportunités — de modeler avec la France la configuration de la dissuasion européenne.

6 — Quel serait le rôle du Royaume-Uni dans une européanisation de la dissuasion française ?

Depuis la fin des années 1940, à une époque pendant laquelle les États-Unis avaient suspendu (jusqu’en 1958) toute coopération nucléaire avec les Britanniques, les gouvernements britanniques ont constamment veillé à disposer d’une force nucléaire dont la décision d’emploi serait souveraine.

Tel est toujours le cas malgré de fortes dépendances matérielles notamment en ce qui concerne les missiles et l’interface entre les missiles et leur charges nucléaires,  et opérationnelles par rapport aux États-Unis et cela dans la durée. La force nucléaire britannique est entièrement sous-marine, le nombre de têtes étant par ailleurs en cours d’augmentation. Les missiles Trident II D-5 doivent pouvoir remplir des missions dites pré-stratégiques et de seconde frappe stratégique. Jusqu’au milieu des années 1990, le Royaume-Uni participait aux missions nucléaires de l’OTAN avec leurs avions Harrier basés en Allemagne, embarquant des armes nucléaires à gravité britanniques.

L’ensemble des missiles à bord des SNLE est actuellement alloué à l’OTAN, mais sans passer par la chaîne de commandement de son chef pour l’Europe (SACEUR).

Outre le partenariat nucléaire franco-britannique dans le cadre des traités de Lancaster House, qui concernent spécialement le maintien en condition des charges nucléaires, il y a a priori deux voies d’approche d’une contribution britannique à la dimension européenne de la dissuasion.

D’une part, ils pourraient pousser pour l’adoption d’un langage commun en matière de définition des intérêts vitaux à l’échelle européenne. Le pas serait d’autant plus logique que la France et le Royaume-Uni ont déjà une lecture commune pour ce qui les concerne réciproquement.

D’autre part, les Britanniques pourraient se doter à nouveau d’armes nucléaires aéroportées. Sous réserve de validation technique et opérationnelle, peut-être serait-il possible d’intégrer des missiles français actuels (ASMP-A+) ou futurs (AS4NG) sur des avions Typhoon, de génération comparable aux Rafales de génération actuelle  ? 

Conclusion

Dans une Europe menacée par la Russie et en l’absence d’une garantie américaine crédible, il n’y aura pas de sécurité sans dissuasion.

Les moyens techniques, opérationnels, financiers et juridiques pour ce faire existent. 

La volonté politique sera peut-être au rendez-vous.

Mais la dissuasion nucléaire n’existe pas dans le vide. Sa crédibilité est toujours fonction, aussi, d’une défense conventionnelle adéquate — en France et en Europe, elle doit être renforcée en parallèle pour permettre d’échapper au piège du tout ou rien.

Sources
  1. I would encourage Russian to do whatever the hell they want [to any NATO country that doesn’t meet spending guidelines] », Conway South Dakota, 11 février 2024.
  2. Strategic Simplicity, 14 mars 2025.

19.05.2025 à 19:25

Après son appel avec Trump, Poutine se dit prêt à travailler avec l’Ukraine à un « mémorandum » et refuse toujours le cessez–le-feu 

Marin Saillofest

Aujourd’hui, lundi 19 mai, dans l’après-midi, Donald Trump et Vladimir Poutine ont échangé au téléphone pour la deuxième fois depuis le retour à la Maison-Blanche du président américain. Au cours de l’appel, qui a duré plus de deux heures, le président russe s’est dit prêt à entamer des négociations avec Kiev pour parvenir à un règlement du conflit, sans toutefois donner plus de détails quant au format des négociations ou aux délais.

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Texte intégral (816 mots)

Aujourd’hui, lundi 19 mai, Donald Trump a eu un appel téléphonique avec Vladimir Poutine pour la deuxième fois depuis son retour à la Maison-Blanche le 20 janvier. Au cours de celui-ci, qui a duré plus de deux heures, le président russe a signalé être favorable à la conclusion d’un « mémorandum relatif à un futur traité de paix en Ukraine », selon un compte-rendu publié par l’agence TASS, sans toutefois fournir plus d’indications.

  • Poutine a qualifié la conversation de « très informative, très franche et très utile ». Selon TASS, il aurait « exprimé sa position sur le cessez-le-feu » : un arrêt des combats « pendant un certain temps » serait possible pour la partie russe « dès que les accords nécessaires auront été conclus ».
  • Il a également affirmé que les négociations d’Istanbul indiquaient que les parties étaient « sur la bonne voie » pour parvenir à un règlement de la guerre.
  • Les déclarations initiales de Poutine suggèrent que ce deuxième appel avec Trump s’inscrit dans la dynamique à l’œuvre depuis le début de l’année. Le dirigeant russe continue de tenter de convaincre Trump qu’il est favorable à la paix, tout en n’apportant aucune concession dans ses revendications et en refusant la mise en place d’un accord de cessez-le-feu.
  • Dans un message publié sur Truth Social, Trump a fait savoir que Poutine avait communiqué au cours de l’appel son intention « d’établir des relations commerciales à grande échelle avec les États-Unis ». Depuis février, le président russe détourne l’attention de Donald Trump du conflit en affichant une ouverture à des « deals » et une coopération économique accrue entre Washington et Moscou.
  • Malgré le refus de Poutine d’observer un cessez-le-feu, Trump n’a pas signalé vouloir accroître les sanctions sur la Russie.
  • Le président américain s’était entretenu au téléphone avec Volodymyr Zelensky avant son appel avec Poutine. Le dirigeant ukrainien avait également discuté avec J.D. Vance à Rome ce week-end.

Cet appel fait suite au premier cycle de négociations directes entre Ukrainiens et Russes depuis le printemps 2022 qui s’est tenu la semaine dernière en Turquie, après que Poutine a de facto refusé un accord de cessez-le-feu.

Donald Trump avait déclaré le 15 mai que « rien ne se passera [en Ukraine] tant que Poutine et moi ne nous rencontrons pas ». Si le président américain souhaite un sommet bilatéral entre les deux dirigeants, le Kremlin y est pour l’heure défavorable.

  • Les négociations d’Istanbul n’ont débouché sur aucun progrès significatif. Les deux parties sont parvenues à un accord sur un échange de 1 000 prisonniers russes contre 1 000 prisonniers ukrainiens, ainsi que sur un « accord de principe » pour « échanger des plans de cessez-le-feu », sans qu’aucun calendrier ne soit fixé.
  • Au cours du week-end, Poutine a répété que la Russie voulait « éliminer les causes » du conflit en Ukraine et le président russe l’a rappelé après sa conversation avec Trump.
  • En amont de l’appel, le Kremlin avait diffusé des extraits issus d’un documentaire publié au début du mois de mai dans lequel le président russe réitérait sa volonté, présentée comme « prioritaire », de « protéger les populations russophones » dans l’est et le sud de l’Ukraine 1.

Au cours du week-end, la Russie a lancé l’attaque de drones la plus importante sur l’Ukraine depuis le lancement de l’invasion à grande échelle, en février 2022. Dans la nuit du 17 au 18 mai, 273 drones russes se sont abattus sur l’Ukraine, parmi lesquels 88 ont été interceptés par les défenses anti-aériennes et 128 se sont écrasés sans atteindre leurs cibles.

Sources
  1. New clips from Putin documentary suggest Russia dismissed Ukraine peace talks, ceasefire weeks ago », The Kyiv Independent, 18 mai 2025.
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