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14.08.2025 à 07:27

Comment, de nouveau, conspirer pour l’égalité ?

Catherine Tricot

Elle s'est parfois reniée, elle s'est souvent trompée, elle a beaucoup renoncé, elle s'est tout de même régénérée, à ses marges. Mais la gauche a surtout échoué à répondre aux aspirations à l'égalité – les anciennes comme les nouvelles.
Texte intégral (2619 mots)

Elle s’est parfois reniée, elle s’est souvent trompée, elle a beaucoup renoncé, elle s’est tout de même régénérée, à ses marges. Mais la gauche a surtout échoué à répondre aux aspirations à l’égalité – les anciennes comme les nouvelles.

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Cet article est extrait du n°56 de la revue Regards, publié au premier semestre 2022 et toujours disponible dans notre boutique !
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Comment la gauche en est-elle arrivée à ce point de division et de faiblesse ? Les dates proposées pour cette grande bifurcation sont légion. Est-ce « la parenthèse de la rigueur » en 1983, jamais refermée ni remise en cause par les socialistes ? Est-ce, à l’automne 1989, l’improbable affirmation par le Parti communiste qu’il n’avait rien à voir avec ce qui se passait dans les pays d’Europe de l’Est ? Est-ce, en 2002, quand la gauche – groggy de son élimination du second tour de l’élection présidentielle – jura qu’elle allait tout changer… sans rien changer par la suite ? Ou est-ce quand le PCF choisit la continuité plutôt que sa profonde modernisation ? Est-ce, en 2005, la une de Paris-Match sur laquelle François Hollande et Nicolas Sarkozy posaient ensemble pour le « oui » au référendum sur le traité constitutionnel européen ? En 2007, l’éclatement des antilibéraux en autant de candidatures lilliputiennes à la présidence de la République ? Le coup de grâce fut-il la conversion officielle de Hollande à la « politique de l’offre » en faveur des entreprises ? Cette désolante liste pourrait se poursuivre : ainsi, dans nos banlieues, le béton serait « criminogène », quant à la France, elle ne saurait «accueillir toute la misère du monde». L’État, lui «ne peut pas tout» – mais il peut abaisser les protections sociales avec la loi Travail, envisager la déchéance de nationalité, ou remettre à plus tard le vote des étrangers aux élections locales…

Canards sans tête

Même ceux qui résistent à ce tsunami libéral et immoral nous désespèrent. La gauche se dit parfois « la gôche » pour mieux s’en moquer ! On tonitrue «La République, c’est moi», et on proclame que «la haine des médias et de ceux qui les animent est juste et saine». Un candidat à la présidentielle, qui se veut du parti d’Éluard et d’Aragon, ricane : «J’en ai un peu marre de ces intellectuels condescendants qui n’arrêtent pas de nous donner des leçons.» Quand on se retourne sur ces quarante années durant lesquelles la gauche fut unie ou divisée, dans l’opposition ou au pouvoir, on constate les échecs parfois, les renoncements souvent, à changer la vie. Mais, surtout, on voit des gauches politiques qui courent comme des canards sans tête. Ces années ont lessivé les idées les plus ancrées. La gauche devrait choisir entre populisme ou business ! « Wokisme » ou « laïcité » ! Certes, ces quarante ans n’ont pas été totalement vains. L’écologie n’est plus seulement un mouvement social ; il est devenu un parti puis une proposition qui irrigue désormais tous les projets de gauche. Et s’il n’y a pas unanimisme, c’est précisément parce que l’écologie est devenue politique et qu’elle ordonne les différentes visions en débat.

Écologie, renouveau de l’engagement, désenclavement des syndicats : voilà qui n’est pas rien. Mais ces dynamiques ne suffisent pas à reconstruire le socle d’un projet alternatif.

Ces quatre décennies ont vu un affaiblissement du mouvement social traditionnel, mais aussi une réinvention des mobilisations, et de nouvelles alliances. Les syndicats sortent de la seule défense du salariat, de grandes coalitions élargissent le champ du mouvement social comme Plus jamais ça (Attac, Confédération paysanne, CGT, FSU, Greenpeace, Amis de la terre, Oxfam, Solidaires), ou encore les « 66 propositions pour un pacte social et écologique » au nom de dix-neuf organisations, dont la CFDT et la Fondation Nicolas Hulot. Écologie, renouveau de l’engagement, désenclavement des syndicats : voilà qui n’est pas rien. Mais ces dynamiques ne suffisent pas à reconstruire le socle d’un projet alternatif, alors même que sombrait le projet social-démocrate dans le social-libéralisme et que le projet communiste se transformait en un étatisme. Des mutations majeures ont tout bousculé. Elles ont mis à bas les visions du progrès social. Comment et sur quoi reconstruire ? Les items sont connus. Les réponses convaincantes ne sont pas encore venues.

La mondialisation et l’Europe

Ces quarante années furent celles de l’arrivée au pouvoir du néolibéralisme. Une nouvelle phase de la mondialisation, pilotée par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et le Fonds monétaire international (FMI), vint déstabiliser le pacte social issu de la seconde guerre mondiale, affaiblir les États, contester la démocratie au nom d’une gouvernance efficace. Cette donne mondiale suscita un des plus larges mouvements sociaux. Il commença par se dire antimondialiste avant de se proclamer altermondialiste. La taxe contre les transactions financières fut son étendard ; les contre-sommets et les forums sociaux ses moments forts. Au tournant des années 2000, la gauche sociale et politique convergeait vers Porto Alegre, Florence et Saint-Denis. Mais l’unanimité pour contester la financiarisation du monde a buté sur les moyens politiques à lui opposer. Régulation ou retour aux frontières ? Multilatéralisme ou construction de grands ensembles régionaux ? La crise grecque, en 2015, a finalement démontré l’impuissance des propositions de gauche.

On se souvient qu’un gouvernement de gauche alternative fut porté au pouvoir en Grèce pour que cessent les purges qui exténuaient le pays et ses habitants. Face à l’intransigeance des autorités européennes, le gouvernement de Tsipras finit par céder. Vaincu pour les uns, traître pour les autres. Mais encore ? Comment aurions-nous fait, ici, en France ? Affirmer que cela ne pouvait nous arriver parce que nous sommes une grande puissance européenne ? Désobéir ? Sortir de l’Euro, de l’Europe ? Appeler à changer l’Europe ? En tout cas, la Grèce a été bien seule et cet échec a valu leçon pour tous. Les efforts solitaires de Yánis Varoufákis pour sortir du secret des négociations européennes n’auront pas suffi. La question reste entière : finance, pandémie, Internet, réchauffement climatique, prolifération nucléaire, migrations… Comment faire sans l’Europe ? Comment faire contre l’Europe ? Comment changer l’Europe ? Que reste-t-il des internationales politiques, des forums sociaux, des associations européennes comme Transform ou la Gauche unie européenne (GUE) ? Les gauches n’ont pas de réponses, et même plus de cadres pour réfléchir et faire face.

L’affirmation d’une nouvelle individualité

C’est dans le monde de l’entreprise qu’un mouvement vers un nouvel âge de l’individu, parti du Japon hypermoderne, fit ses premiers pas. Le travail ne devait plus être répétition, mais mobilisation des « agents ». La longue chaîne d’assemblage cédait la place aux ateliers robotisés qui fabriquent des produits tous différents, adaptés aux goûts de chaque consommateur. Les grandes unités de production fermaient et ensevelissaient avec elles la classe ouvrière, moteur des luttes sociales et figure centrale de la gauche. Le Parti communiste français prit la mesure de l’enjeu et se lança dans une lutte sans retenue pour contrer la fermeture de Renault Billancourt. Ce fut un solo funèbre et une bombe à fragmentation. Le 31 mars 1992, le constructeur arrêtait ses dernières chaînes de production sur l’île Seguin.

Le bouleversement se généralise. Il ne s’agit plus seulement d’une transformation de la production, mais de l’éclatement des statuts : l’intérim, les contrats courts et, aujourd’hui, l’autoentrepreneur ubérisé. La révolution déborde le cadre du travail. Chacun dispose d’un accès sans limite apparente à l’information, la culture, la diversité des façons de vivre et de s’exprimer. Le journal de 20 heures et le film du dimanche soir ne rassemblent plus la France. La cité n’est plus un progrès, la maison individuelle cristallise les rêves. Dans cette période où s’affirme le consumérisme, s’enclenche aussi une liste sans fin de luttes pour le respect, l’affirmation de soi, la reconnaissance de la diversité dans l’égalité. Tout y passe : le patriarcat, les normes hétérosexuelles, le racisme conscient et inconscient… Ça racle du sol au plafond : les dragueurs lourds sont priés de lâcher l’affaire, la dictature de la minceur est mise en cause, l’assignation à un genre n’est plus une évidence, la statue de Colbert a chaud aux fesses, le selfie devant les chefs-d’œuvre règne sans partage sur Facebook et Instagram…

Le combat contre les discriminations est devenu une dimension essentielle de celui pour l’égalité. Tenir le parti pris de l’égalité, c’est se débarrasser d’anciennes simplifications : « Tous égaux donc tous pareils ».

Dans ce grand chambardement des valeurs, les voix officielles de la science, du journalisme, de la politique sont réévaluées et contestées. C’est rude pour la gauche, qui voit ses figures de référence, sa pensée de la lutte et son magistère mis à mal. Les partis cherchent à s’adapter : ils acceptent plus de femmes dans leurs instances, parfois même la parité s’impose, les primaires font leur début. De nouveaux objets politiques émergent. Mouvements gazeux, ils ne réclament plus une « adhésion » – un simple « soutien » suffit pour en faire partie : comme chez MacDo, chacun vient comme il est. Reste entière la question des moyens pour reconstruire du collectif dans lequel les individus comptent vraiment. C’est en tout cas la condition sine qua non pour retrouver le lien avec les citoyens. Comment faire l’impasse sur la mobilisation de chacun dans un projet ambitieux de transformation sociale ?

Toni Negri a proposé, dans les années 2000, le concept de multitude. Chez le philosophe italien, le couple individu-collectif – basé sur une articulation et un compromis entre les deux termes – laisse la place au couple singulier-commun, dans lequel le commun se construit par l’agrégation du singulier. Cette pensée théorique est restée dans les livres. Les forces de gauche n’ont pas, quant à elles, proposé de nouvelles conceptions de chacun de ces termes. Trop souvent domine la nostalgie de l’unité perdue, voire l’amertume face au mouvement de la société vers « l’individualisme ». Quant à l’action politique, les citoyens restent cantonnés au rang de soutiens plutôt que d’acteurs. Très frustrant pour les uns. Très décrédibilisant pour les autres.

Redéfinir le combat pour l’égalité

Ces années de néolibéralisme sont allées de pair avec un accroissement brutal des inégalités. Une partie de la gauche a su résister aux idées libérales qui présentent les inégalités comme le moteur des sociétés. Pour cette gauche, l’égalité reste cardinale. Des intellectuels ont travaillé à la repenser. Pierre Rosanvallon a interrogé les lieux où se joue l’égalité. Thomas Piketty a montré de façon retentissante le rôle désormais structurant du patrimoine dans les dynamiques inégalitaires. Le premier a suscité peu de débats dans la gauche politique ; le second a surtout conforté la gauche dans son approche classique qui, historiquement, rabat l’égalité sur la question de la répartition des richesses. Or l’égalité touche à la fois la question des avoirs, des savoirs et des pouvoirs : l’accès égal à l’information, à l’évaluation, au contrôle, à la décision n’est pas moins important que la redistribution des ressources. L’égalité n’est pas que matérielle : la reconnaissance, la dignité des personnes valent autant que la distribution du patrimoine. Le combat contre les discriminations est devenu une dimension essentielle de celui pour l’égalité. Tenir le parti pris de l’égalité, c’est se débarrasser d’anciennes simplifications : « Tous égaux donc tous pareils ».

Mais, de fait, les luttes récentes qui portaient sur des enjeux d’égalité sans être liées directement à la répartition des richesses sont restées périphériques dans le projet des gauches, et l’égalité est trop souvent l’invocation consensuelle de la devise républicaine. Elles n’ont pas permis la reformulation contemporaine de l’éternel combat pour l’égalité. Pourtant, toutes les luttes contre les discriminations se mènent depuis quarante ans au nom de l’égalité. Les Gilets jaunes ont mis sur le devant de la scène les inégalités de territoire sans que la question du territoire, de la ville ne sortent d’une approche technique. Pourtant encore, la marche partie des Minguettes en 1983 n’était pas la marche des Beurs, mais « la marche pour l’égalité et contre le racisme ». Son onde de choc se poursuit et prend le visage d’Assa Traoré. Porteur d’une révolution anthropologique, le mouvement féministe se déploie aussi en ramifications sans fin autour de l’exigence d’égalité. Or ce combat reste trop exclusivement celui des femmes. À ce jour, seul l’écoféminisme en a fait un sujet systémique qui réorganise la compréhension du monde et la proposition politique.

Études documentées, mouvements sociaux, essais intellectuels, traditions ancrées : la gauche a tout pour reposer dans des termes neufs le combat pour l’égalité.

Cette faiblesse dans la reformulation de la notion d’égalité se paie politiquement au prix fort. Ainsi, les mobilisations en faveur de la défense des services publics, outil concret d’une politique publique en faveur de l’égalité, lieux de convergence entre usagers, salariés, syndicalistes, élus locaux, n’ont pas permis qu’émerge une proposition renouvelée des services publics qui rendrait tangible et solide une proposition de gauche. La question des protections sociales souffre elle aussi de ce non-renouvellement de la notion d’égalité. Études documentées, mouvements sociaux, essais intellectuels, traditions ancrées : la gauche a tout pour reposer dans des termes neufs le combat pour l’égalité. Elle peut le faire en articulant les demandes singulières, la préservation d’acquis, l’invention du moderne. Elle ne gagnera l’immense bataille pour l’égalité, mère de toutes les batailles idéologiques, culturelles et politiques, qu’à ce prix.

La gauche a souvent déçu, trahi, renoncé. Mais elle a surtout décroché, non pas d’un peuple abstrait, mais d’un peuple concret qui a reformulé ses attentes. Elle a pris du retard dans la compréhension du monde qui a émergé. C’est bien là que se situe le creuset de ses échecs et de ses impuissances. Ses faiblesses et ses divisions apparemment insurmontables en sont d’abord l’expression. 

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11.08.2025 à 08:00

TRIBUNE. Appel à soutenir, amplifier et prolonger la mobilisation du 10 septembre

Collectif

De nombreuses organisations et personnalités signent un appel en faveur d’une large mobilisation nationale et d’actions coordonnées sur le territoire.
Texte intégral (2087 mots)

De nombreuses personnalités issues ou membres de nombreuses organisations signent un appel en faveur d’une large mobilisation nationale et d’actions coordonnées sur le territoire.

Depuis que la macronie s’est installée, le président de la République et ses gouvernements successifs n’ont cessé de gouverner contre le peuple et la planète, organisant avec minutie la casse sociale démocratique et écologique au profit des milliardaires. Ils ont joué avec la démocratie comme ils auraient joué une partie de poker. Ils ont fait de la tactique, jouant aux cartes nos vies et notre avenir Nous nous sommes mobilisé·es par centaines de milliers contre la réforme des retraites, la loi Duplomb, les licenciements, contre les contrôle au faciès, l’islamophobie, l’antisémitisme et tous les racismes, les violences faites aux femmes, les politiques climaticides, l’A69 et tous les grand projets inutiles et imposés, contre les expulsions locatives, contre la destruction du monde associatif et de la culture… 

Nous n’avons cessé de lutter. La seule réponse à la mobilisation a été, avec constance, la répression, le 49.3, la propagande médiatique et finalement la poursuite aveugle et irresponsable d’un projet visant à écraser toujours plus la population, accaparer toujours plus de richesses, conserver toujours plus le pouvoir. Mais la colère est toujours là. Le cri sourd des femmes et des hommes qui subissent est en train de se transformer en clameur. Un mot d’ordre est repris, partout organisons-nous pour bloquer le pays à partir du 10 septembre. 

Nous militant·es, écologistes, féministes, antiracistes, syndicalistes, antivalidistes, mobilisé·es pour la biodiversité, la paix, la démocratie, les droits des personnes LGBTQIA+, la justice sociale, climatique et fiscale, nous qui luttons de notre mieux contre toutes les oppressions, les injustices et les inégalités, appelons à signer et faire signer cet appel pour soutenir, amplifier et prolonger le 10 septembre. 

Dans chaque quartier, chaque village, rassemblons-nous sur les places et les ronds points et décidons ensemble comment agir. Dans nos entreprises, nos administrations, nos écoles, organisons-nous, avec nos collectifs d’actions nos syndicats et associations. Ne laissons personne de coté, faisons du 10 septembre le début de la lutte de tous et toutes pour tous et toutes. Par la manifestation, la désobéissance, la grève, le blocage, l’occupation, arrachons une vie digne et heureuse pour chacun et chacune, dans un monde vivable. Ils nous empêchent de penser à demain en créant chez nous la peur de l’avenir.

Ensemble construisons les conditions de nos dignités.

Nous militons entre autres dans les organisation suivantes : Action Justice Climat-Paris, AFPS, Agir ensemble Contre le Chômage, Alternatiba, Alternative Communiste, ANVCOP21, Attac, Assemblée Populaire de Pantin, Bio Consom’Acteurs, Cannabis Sans Frontière,Cedetim, Cerise la Coopérative,Cimade, CGT Educ, CGT spectacle,Confédération Paysanne, Coordination des Intermittents et Précaires, Debout !. Egalités, Ensemble, Extinction Rébellion, Fondation Copernic, France Nature Environnement, Force Ouvrière, Fédération Syndicale Unitaire, Fondation Good Planet, Génération.S,Greenpeace, L214, La France Insoumise, Radio LaiR NU, L’APRÈS, Les amis de la conf, Les amis de l’Humanité, La Révolution Écologique pour le Vivant, Le Baranoux, Les Désobéissants, Les Écologistes, Les Gilets Jaunes, Le Parti Communiste, Le Parti Socialiste, Les Jeunes Ecologistes, Ligue des Droits de l’Homme, LPO, Mouvement de la Paix, Nouveau Parti Anticapitaliste, Nous Toutes, On s’en Méle, PEPS, Printemps écologique, Printemps de la Psychiatrie, Radio Cause Commune, Radio Parleur, Réseau Education Sans Frontiéres, Réseau Salariat,Rosies, SNAC, SNES, SNUIPP, Solidaires Asso, Soulévements de la terre,Stop Violences Policiéres, Sud Rail, Terres de Liens, UJFP, Victoires populaires…

Nous sommes ouvrier·es, chômeurs chômeuses, ingénieur·es,retraité·es,barmans, barmaids, paysan·ne, conseiller·es régionales, Travailleurs et travailleuses handicapé·es, consultant·es, cheminot·es,avocat·es,téléconseiller·es, médecins, lycéen·nes, scénaristes, artistes, auteurs autrices, menuisier·es, enseignant·es, bénévoles, technicien·nes, responsables politiques, directeurs directrices, intérimaires, agriculteurs agricultrices, économistes, cadre, activistes, maires, étudiant·es, juristes, musicien·nes, pédopsychiatres, employé·es, philosophes, conseiller·es municipales, jardinier·es, député·es, chef·fe de projet, conseiller·es communautaires, assistant·es sociale, senateurs senatrices, hôtelier·es peintre·s,député·es Intermittentes, historien·nes, développeurs développeuses, secrétaires,traducteurs traductrices,cuisinier·es, géographes, chercheurs chercheuses, conseiller·es, formateurs formatrices, ébénistes, sociologues, journalistes, postier·es, anthropologues, professeur·es…

Nous venons de : Abbeville, Angers, Antibes, Argenteuil, Arles, Audincourt, Auray, Bagnolet, Beaumes de Venise, Beuvrages, Brunoy, Bruyères, Captieux, Charenton-le-Pont, Châteauroux, Chaumont, Chelles, Clichy, Concarneau, Cremieu, Dieppe, Dole, Ermont, Eyragues, Fontenay Sous Bois, Gap, Gradignan, Ivry Sur Seine, Joigny, Joyeuse, La Baule, Langeais, Langon, Languidic, Lapeyrouse, La Tour Du Pin, La Trinité, Le pré Saint Gervais,  Les Pavillons Sous Bois, Levallois Perret, Lille, Lorgues, Lyon, Narbonne, Maison Alfort, Marignane, Marseille, Merignac, Miramas, Monterault-Fault-Yonne, Mongerons, Montalieu-Vercieu, Montferrand, Montpellier, Montreuil,  Mours, Neuvilles sur Saône, Nice, Nîmes, Nivillac,Noisy Le Sec, Olivet, Orléans, Paris, Pantin, Passy, Peyrehorade, Plérin, Plouaret, Pugnac, Rembercourt, Reims, Rennes, Ribérac, Romainville, Quimper, Saint-Brieuc, Saint-Cyr-l’Ecole, Saint-Martin-Boulogne, Saint Michel sur Orge, Saint Père en Retz, Saint-Pierre-des-Corps, Saint Savinien, Salérans,Salon, Sens, Serris, Strasbourg, Toulouse, Tours, Treigny, Valenciennes, Veynes, Villejuif, Vire, Viroflay, Vitry-Sur-Seine…

Marie Abriel, Agnès Added, Najat Aguidi , Bernard Aigloz, Omar Al Hammal, Françoise Alamartine, Julien Albert, Raynald Amadei, Marie-Ange Amico, Corinne Angelini, Jean-Marie Angelini, François Anquetil, Pascale Araujo, Estelle Armandès, Janie Arneguy, René Arveuf, Sylvain Aubrit, Clémentine Autain, Radwan Baa, Benjamin Ball, Mohsen Balti, Bastien Barberio, Isabelle Barborin Mangin, Arnaud Barras, Max Barraud, Laurence Bart, Steve Basseler, Notma Basso, Sandrine Bataille, Adda Bekkouche, Brice Belouin, Samia Benguetaïb, Jean Luc Bennahmias, Magali Benoit, Mathieu Berard, Jean-Louis Berland, Christiane Bernard, Alain Bertho, Raphaele Bertho, Solenn Bertrand, Joel Bertrand, Lucie Berweiller, Serge Besson, Bruno Bidet, Joëlle Bigey, Laurent Bihel, Martine Billard, Jacques Billiere-George, Antoine Billiottet, Leyla Binici, Sophie Bisiere, Julien Blain, Claudie Blanc, Monique Blanchard, Dominique Blanchard, Vaïna Bloch, Esther Bloquet, Isabelle Bonillo, Hugues Bonnefond, Pierre Bordone, Jorim Bouet-Leclere, Louis Boulet, Isabelle Bourboulon, Jasmine Bourdarias, Thérèse Bourgeois, Sophie Bournot, Magali Braconnot, Constantin Bréant, Amelia Brechet, Octave Bufi, Claudine Bultez-Lecomte, Jean Burdairon, Melanie Buzare, Thomas Caharel, Claude Calame, Marie Cambillard, Elsa Cansell, Nathalie Carlin, Béatrice Carretier, Magalie Cassez, Claire Cazin, Dominique Cellier, Marie-Françoise Chabanne, Patrick Chamblas, Francis Chambrelan, Benjamin Chapelot, Jean-Paul Chardon, Marylaine Charlin, Marianne Chignier, Samir Chikhi, Marie Chiocca, Fethi Chouder, Florence Chrétien, Eloïse Cianferani, Stéphane Clerjaud, Alexis Corbière, Jean-Pierre Coté, Alain Coudert, Marianne Coudroy, Alain Coulombel, Pierre Cours-Salies, Severine Courtiol, Tristan Cressot, Monique Crinon, Daniel Cueff, Alexis Cukier, Leïla Cukierman, Danièle D’Antoni, Laurent Daguet, Florian Dahuron, Christine Damon Lacoste, Isabelle Dangerfield, Lydie Danjean, Marie-Laure Darblade, Pierre Dard, Christophe Dargent, Gabriel Darmon, Denis Datin, Tanguy Daveine, Babette David, Vaillant David, Sara De Benedicis, Pierre De Bozza, Laurence De Cock, Jean-Luc Debard, Claude Debons, Nathalie Debotte, Emilie Decat, Christiane Dedryver, Sidonie Defives, Vinca Delamare Deboutteville, Eric Delhaye, Bruno Della Sudda, Stephane Deloupy, Serge Demailly, Elisabeth Demeester, Jean-Luc Dené, Christine Depuiset, Cécile Despres, Damien Deville, Anne Marie Dinvaut, Renaud Doitrand, Martine Doudelle, Martin Dravet, Christian Drouet, Vincent Dubois, Sylvain Dumas, Michel Dupont De Vieux Pont, Thomas Duquenne, René Durand, Clémence Duranson, Charlie Duval, Patrice Elmer, Jean-Christophe Eon, Sébastien Espagne, Vita Evenat, Marie-Hélène Faivre, Marlene Falgon, Valia Faraone, Jacques-Olivier Farcy, François Fasulo, Jean Fauché, Juliette Fauchot, Luc Fauconnier, Laurent Favriot, Valérie Fellini, Jean Marc Fert, Emmanuel Florac, Pablo Flye, Aline Follea, Cécile Fontaine, Ewen Forget, Ismaïl Forloul, Antoine Fort, Thierry 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Traore, Phillippe Traversat, Perrine Tricard, Sarah Trichet Allaire, Nikou Tridon, Stephane Trifiletti, Catherine Triou, Luce Troadec, Louise Ulrich, Dune Vaïtilingom, Constance Valentin, Marie-Olga Valpergue de Masin, Nathalie Varandes, Florian Vatageot, Marie-Christine Vergiat, Monique Vervondel-Gaulguet, Celine Verzeletti, Daniel Vey, Marie Vignolles, Eric Vincent, Julien Voisin, Christiane Vollaire, Florian Werlé, Nadia Zaimeddine, Zara Zefizef, Léon, Joseph, Carole, Oriane, Emilie, Arnold, Thérèse, JuG, Eric, Nathalie, Geneviève, Michèle, qui n’ont pas souhaité donner leur nom de famille.

Pour signer vous aussi cet appel, c’est par ici !

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11.08.2025 à 07:22

La France touche le fond du débat

Michel Wieviorka

La problème n'est pas l'absence de débat public en France, estime le sociologue Michel Wieviorka, mais sa dégradation et sa droitisation – à mille lieues de l'émulation intellectuelle des années 1970 et 1980.
Texte intégral (1742 mots)

La problème n’est pas l’absence de débat public en France, estime le sociologue Michel Wieviorka, mais sa dégradation et sa droitisation – à mille lieues de l’émulation intellectuelle des années 1970 et 1980.

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Cet article est extrait du n°55 de la revue Regards, publié au deuxième semestre 2021 et toujours disponible dans notre boutique !
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Michel Wieviorka est spécialiste de l’étude des mouvements sociaux et des discriminations.

En 2001, deux journalistes, Jérôme Bellay et Yves Calvi, inventaient « C dans l’air », une émission de débat pionnière en son temps. Aujourd’hui, il suffit de circuler sur les chaînes d’information : elles passent leur temps à faire débattre des invités. Elles semblent même avoir été créées à cette fin ! De nombreuses émissions, plus ou moins sérieusement, adoptent un format qui s’apparente à celui de « C dans l’air ». D’autres formules de débat télévisé, sur des chaînes non spécialisées dans l’information, prennent un autre tour, éventuellement sous la houlette d’un animateur à succès faisant du « débat » un élément de spectacle. Les radios, la presse écrite ne sont pas en reste. De même sur les réseaux sociaux : tout le monde discute, s’exprime, prend position, « like » ou pas, à une échelle qui n’a plus rien à voir avec le café du commerce. Le problème n’est donc pas dans l’inexistence du « débat », mais dans sa qualité. Les interrogations commencent là. Pour les aborder, une comparaison historique, dans le temps, peut servir de fil conducteur.

Victoire du « présentisme »

Il y a un demi-siècle, la télévision était un monopole au service du pouvoir, avec deux chaînes seulement – la troisième sera créée en décembre 1972. Deux ou trois radios périphériques faisaient souffler un petit air de liberté, mais on était encore éloigné des années 1980 et de l’essor des radios dites « libres ». Internet, les réseaux sociaux n’existaient pas. Et, dans un contexte qui était celui du fantastique essor des sciences humaines et sociales françaises, celles-ci rayonnaient dans le monde entier et irriguaient une riche vie intellectuelle, qui pouvait se transcrire dans la presse écrite. Le Nouvel Observateur était un haut lieu de cette transcription, et il existait d’autres supports, souvent – mais pas nécessairement – adossés à une orientation voire à un courant ou une force politique.

L’offre, depuis, a comme explosé. Des dizaines de chaînes de télévision aisément accessibles, d’innombrables radios dessinent avec la presse écrite un paysage médiatique particulièrement dense. Internet et les réseaux sociaux permettent une circulation illimitée, instantanée et interactive des idées et des opinions, pour le meilleur et aussi, hélas, souvent pour le pire. Mais l’offre, dans l’ensemble, n’autorise pas une réelle structuration des débats. Ceux-ci ne sont généralement pas très exigeants sur le fond, il n’y a que bien peu de journalistes qui, sur un plateau de télévision, savent maintenir le niveau, veiller à une certaine hauteur de vue, exiger des éléments de démonstration, contester une affirmation douteuse. Ceux qui cadrent, animent, dynamisent le débat ne sont généralement pas spécialistes des problèmes dont traitent leurs invités : ils sont « généralistes ». Ils font débattre de ce qui fait l’actualité, ils sont dans l’air du temps – sinon, l’audience tombe.

Les historiens professionnels sont remplacés par des histrions et l’expertise sur les grands problèmes de société est assurée plutôt par des sondeurs et des consultants que par des chercheurs

Le « présentisme » l’emporte et, avec lui le manque de goût pour le débat approfondi, sauf ici et là, sur France Culture ou sur Arte par exemple, là où l’audience est incomparablement moindre. Et, dans l’ensemble, les sciences humaines et sociales, si centrales dans la vie intellectuelle des années 1970 et encore 1980, n’intéressent plus, ou beaucoup moins ; les historiens professionnels sont remplacés par des histrions, des journalistes amateurs, et l’expertise sur les grands problèmes de société est assurée plutôt par des sondeurs et des consultants que par des chercheurs. La recherche scientifique, s’il s’agit de l’étude de la société, n’irrigue que très imparfaitement le débat public et, dès lors, ce sont des intellectuels publics qui donnent le ton, bien plus que des chercheurs en sciences humaines et sociales. Ces derniers ont certainement leur part de responsabilité dans cet état de fait.

Mais qui tient le haut du pavé parmi ces intellectuels publics qui animent le débat ? De plus en plus, des écrivains, des penseurs que l’on peut qualifier de droitiers. Les uns mettent en avant une vision identitaire de la nation, s’inquiétant par exemple, à la suite de Renaud Camus, de la perspective d’un « grand remplacement ». D’autres, parmi lesquels on peut rencontrer des universitaires, s’inscrivent surtout dans des orientations mettant en avant une conception pure et dure de la laïcité et de la République, qui témoigne avant tout d’une peur ou d’une hostilité dès qu’il s’agit de l’islam, et pas seulement d’islamisme. Une « islamophobie » dont ils récusent le concept, sans être pourtant gênés par le recours de certains d’entre eux à l’idée de « judéophobie ».

Gauche décomposée

Ainsi, parmi la centaine de signataires d’un « manifeste » (Le Monde, 31 octobre 2020), certains, qui peuvent défendre de manière respectable des positions « républicaines », côtoient des lambeaux de la gauche décomposée à la dérive. Tous se dirigent nettement vers la droite la plus dure. On retrouve quelques-uns d’entre eux dans des textes indignes, comme la tribune me visant ad hominem dans Marianne, le 3 mai dernier – ma réponse, le 7 mai, s’inquiète du « degré zéro de la vie intellectuelle ». Ou encore la tribune d’Isabelle de Mecquenem, non moins indigne, car témoignant d’un inquiétant inconscient où il est question de chauve-souris, parue fin avril 2021 sur le site du Droit de Vivre, la revue de la Licra (d’où elle a disparu, sauf à farfouiller sur ce site, emportant avec elle avec ma réponse sitôt parvenue, et qui a pour titre « Ad nauseam »).

La droitisation des positions prédominantes dans le débat d’idées contemporain n’est évidemment pas un phénomène isolé. Elle entretient un lien avec l’évolution générale de la vie politique de notre pays, et pas seulement. Ainsi, elle a quelque chose à voir avec l’extrême-droitisation de la politique israélienne depuis l’assassinat de Yitzhak Rabin, qu’elle vient comme relayer en France.

L’essentiel se joue entre l’extrême droite et un centre-droit pour lequel la vie des idées n’est pas une priorité, tant le pouvoir privilégie des approches « jupitériennes », technocratiques et gestionnaires.

La décomposition des grands partis de gauche et de droite a rendu obsolète l’idée d’un débat où s’opposeraient des penseurs de ces deux bords : aujourd’hui, l’essentiel, en politique, se joue entre l’extrême droite, qui a des idées nationalistes, plus ou moins xénophobes et racistes, et un centre-droit pour lequel la vie des idées n’est certainement pas une priorité, tant le pouvoir privilégie des approches top down, « jupitériennes », technocratiques et gestionnaires dans sa conception de l‘action politique. Tant, aussi, il s’est jusqu’ici employé à affaiblir les « corps intermédiaires » : une bonne partie des efforts de ceux qui dérivent vers des positions droitières consiste à compléter la démarche du chef de l’État en s’en prenant aux « esprits intermédiaires », aux porteurs d’idées qui ne s’identifient pas à la radicalité de leurs positions « républicaines », et qu’il s’agit en quelque sorte de cornériser, d’identifier de toute force à l’extrémisme du soi-disant « islamo-gauchisme » et autres perversions.

Il n’y a plus guère aujourd’hui de forces politiques importantes à gauche. La France insoumise pèse trois ou quatre fois moins que le Parti communiste français au temps de sa splendeur, et il y a bientôt dix ans que le Parti socialiste a liquidé un de ses rares espaces de vie intellectuelle, le « Laboratoire des idées », créé par Martine Aubry, alors première secrétaire de ce parti, et disparu le jour même de l’accession de François Hollande à la tête de l’État. Comment, dès lors, le débat pourrait-il se construire, sans attente de la part d’acteurs de gauche, devenus presque introuvables, et alors que les principaux enjeux de l’affrontement politique semblent n’opposer qu’Emmanuel Macron et Marine Le Pen ?

Les Français aiment le débat, et celui-ci se déroule, mais sans principe de structuration politique en dehors de la polarité peu exaltante Macron-Le Pen. Ce qui laisse surtout un espace pour des dérapages et des dérives dont les plus toxiques accompagnent la résistible ascension du Rassemblement national, et nourrissent le sentiment que la nuance n’est pas à l’ordre du jour. Quand le débat public devient spectacle et excès, il n’y a guère de place pour l’argumentation détaillée, pour la complexité, et beaucoup plus pour l’invective, les positions tranchées et, finalement, l’invective, les attaques ad hominem, le ressentiment et la haine. Ou pour le désintérêt, s’il s’agit de la vie des idées, et l’abstention, s’il s’agit des comportements électoraux.

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07.08.2025 à 07:13

Comment enseigner la laïcité sans tomber dans les caricatures ?

Marion Rousset

Sommés d’inculquer les « valeurs de la République » à leurs élèves, les enseignants restent livrés à eux-mêmes et à des situations complexes. Mais le débat a bel et bien lieu dans les classes, expliquent Françoise Lantheaume et Christophe Naudin.
Texte intégral (2396 mots)

Sommés d’inculquer les « valeurs de la République » à leurs élèves, les enseignants restent livrés à eux-mêmes et à des situations complexes. Mais le débat a bel et bien lieu dans les classes, expliquent Françoise Lantheaume et Christophe Naudin.

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Cet article est extrait du n°55 de la revue Regards, publié au deuxième semestre 2021 et toujours disponible dans notre boutique !
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Françoise Lantheaume est professeure des universités en sciences de l’éducation et de la formation à l’université Lumière Lyon-2.

Christophe Naudin est historien professeur d’histoire-géographie au collège.

E n octobre 2020, Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie à Conflans-Sainte-Honorine, a été décapité en pleine rue, peu de temps après avoir présenté à ses élèves des caricatures de Charlie Hebdo dans le cadre d’un cours sur la liberté d’expression. Un événement tragique qui vient réactiver les puissantes attentes pesant sur l’école française, dont la mission historique consiste à former des citoyens.

Selon une enquête de l’Ifop, les enseignants ressentiraient une montée de la contestation des valeurs républicaines en milieu scolaire. Qu’en pensez-vous ?

Christophe Naudin. Après l’assassinat de Samuel Paty, on nous a demandé de transmettre à nos élèves des valeurs de la République qui ne sont jamais précisément définies par notre ministre. Ce sont bien sûr la liberté, l’égalité et la fraternité. Mais on y ajoute souvent la laïcité, alors que c’est un principe et non une valeur, que l’on associe à la liberté d’expression sans que les deux soient forcément liées. Dans mon collège, très mixte socialement, nous avons choisi d’écouter les élèves, ce qu’ils avaient envie de dire sur cet événement tragique et ce qu’ils pensaient de la satire vis-à-vis de la religion. Nous n’avons assisté à aucune contestation ni provocation dans le cadre de cet hommage. Juste un sentiment de choc. Et beaucoup de réactions de curiosité chez les élèves les moins passifs. J’ai cependant constaté une évolution au fil des ans : les élèves ont parfois du mal à accepter qu’on puisse critiquer une religion qu’ils placent du côté de l’intime. Mais ils ne refusent pas l’échange. Autour de l’assassinat de Samuel Paty, de l’attentat contre Charlie Hebdo comme lors des enseignements habituels, la plupart sont friands de discussions. Je n’ai jamais vu de collégiens se braquer complètement.

Françoise Lantheaume. Les questions posées par le sondage de l’Ifop sont orientées et les résultats ne sont pas congruents avec les autres données dont nous disposons. Une étude réalisée par le Centre national d’étude des systèmes scolaires (Cnesco) montre au contraire que les élèves adhèrent très majoritairement aux valeurs de la République. C’est aussi ce qui ressort de l’enquête que je conduis depuis cinq ans sur les religions, les discriminations et le racisme en milieu scolaire. Au collège et au lycée, les élèves sont très curieux, intéressés par ces questions. Nous n’avons pas constaté d’opposition auxdites valeurs de la République – non seulement floues, mais aussi interprétées de différentes façons selon les politiques et les enseignants.

On a souvent entendu que les enseignants s’autocensureraient. Ne sont-ils pas désarmés, plutôt ?

Christophe Naudin. Je n’ai jamais rencontré d’autocensure chez des collègues. Moi-même, je n’hésite pas à montrer en classe les caricatures de Charlie Hebdo – mais, évidemment, en les comparant avec d’autres caricatures. Le problème est qu’on nous en demande trop. On veut que l’école transmette les valeurs de la République et, en même temps, on incrimine les enseignants lorsque des jeunes basculent dans le terrorisme. Et nous devons nous débrouiller avec ça. Même si les rectorats ont mis des outils intéressants à notre disposition, nous sommes dans le flou. Nous nous sommes rendu compte, en faisant un petit sondage dans mon collège, de la méconnaissance de beaucoup d’enseignants d’autres disciplines que la mienne, qui sont cependant avides d’échanges et d’informations. Par exemple, une jeune collègue de SVT était embêtée car elle n’était pas sûre de savoir réagir aux questions que peuvent susciter ses cours sur l’évolution et la reproduction. C’est compliqué, aussi, parce que nous nous sentons instrumentalisés politiquement par un ministère qui attend de nous que nous distillions une sorte de catéchisme républicain. Une enquête récente indique que les élèves auraient une vision dite « à l’anglo-saxonne » de la laïcité. Ils seraient très tolérants par rapport à la religion, ce qui a donné lieu à des commentaires acrimonieux contre les enseignants, accusés de ne pas faire leur travail. Notre rôle est de transmettre des notions comme la liberté de conscience et la neutralité de l’État, qui sont au fondement de la laïcité.

« Je m’interroge sur l’obsession française de montrer des caricatures de Mahomet, comme si c’était l’alpha et l’oméga du bon enseignement des valeurs de la République. »

Françoise Lantheaume

Françoise Lantheaume. Selon la discipline enseignée, les professeurs sont plus ou moins à l’aise avec ces questions. En histoire-géographie, ils sont investis d’une mission qu’ils maîtrisent. Ce n’est pas forcément le cas des professeurs de maths, par exemple. Et la tâche est plus difficile pour quelqu’un qui débute dans le métier, plus susceptible d’être « bizuté » par les collégiens sur une question qu’ils savent sensible, qui manque de ressources pour réagir quand il n’existe pas de collectif enseignant sur lequel s’appuyer, et qui exerce dans un établissement où il n’y a pas de mixité sociale ou culturelle. Entre parenthèses, je m’interroge sur l’obsession française de montrer des caricatures de Mahomet, comme si c’était l’alpha et l’oméga du bon enseignement des valeurs de la République. Cela me semble absurde ! Quant à la montée d’une conception plus libérale de la laïcité, c’est un fait de société. La conception et la pratique des religions et de leur coexistence entre elles, ainsi qu’avec l’agnosticisme ou l’athéisme, ont évolué dans toutes les sociétés démocratiques vers un sens libéral, assorti d’une demande de reconnaissance. Les enseignants prennent appui sur ce mouvement pour amener les élèves à une conception inclusive de la laïcité.

Christophe Naudin. J’ai montré des caricatures après l’attentat contre Charlie Hebdo, mais je ne me sens pas obligé de le faire tous les ans. Là encore, une injonction pèse sur nous, a fortiori depuis l’assassinat de Samuel Paty. C’était dit quasiment mot pour mot par le gouvernement et les médias : nous avions presque le devoir de les afficher, à commencer par celle sur laquelle avait travaillé notre confrère. Cela n’a aucun intérêt pédagogique. Quand je travaille sur de telles images, je ne les présente jamais hors contexte. J’essaye de les inscrire dans une histoire des caricatures depuis la fin de la Révolution, au XIXe siècle autour de l’affaire Dreyfus, au détour de la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État…

Depuis la Révolution française, on demande à l’école d’asseoir ou de sauver la République… Ce n’est donc pas une nouveauté ?

Christophe Naudin. La différence, depuis quelques années, est le retour de la question de la laïcité dans la sphère politique et médiatique. Il engendre une confusion, dans la tête de nos élèves, entre ce qu’on leur apprend et ce qu’ils entendent par ailleurs. Beaucoup de collégiens musulmans voient la laïcité comme anti-musulmane, ou plus largement antireligieuse.

« Si le débat est cadré et ne part pas dans tous les sens, ils apprennent à écouter l’autre, argumenter, mettre en forme leurs idées, accepter que nous ne soyons pas tous d’accord. »

Christophe Naudin

Françoise Lantheaume. Avant l’affaire de Creil [en 1989, trois collégiennes sont exclues pour avoir refusé d’enlever leur voile en classe], la laïcité ne faisait pas l’objet d’un apprentissage spécifique dans les établissements scolaires. Le retour de cette question est associé au projet d’un islam politique, lequel a imprégné le discours institutionnel sur la laïcité d’une méfiance qui s’est parfois élargie à l’islam tout entier. À tel point que l’on retrouve aujourd’hui chez certains enseignants – les plus perméables au discours public et les moins formés – l’idée qu’une élève qui porte le voile dans la rue porte atteinte à la laïcité. Quant aux élèves qui ne seraient pas d’accord avec ce principe, c’est leur droit ! Le rôle de l’école est de les amener à comprendre et intégrer ce principe qu’ils connaissent très mal. Ils n’arrivent pas à l’école avec tous les codes, toutes les connaissances. Et être dans la provocation, cela correspond à leur âge. Toute la question est d’en débattre, de mener un travail pédagogique comme celui que mènent les enseignants.

Au-delà de la transmission de contenus, quel rôle joue l’expérience du débat dans la formation à la citoyenneté ?

Christophe Naudin. Les élèves ne demandent que ça, de débattre ! De plus en plus, ils nous demandent quand on va faire de l’EMC, cette éducation morale et civique qui est souvent le parent pauvre de notre enseignement, même si tous les professeurs sont censés en faire. Les collégiens attendent la séance sur les discriminations en cinquième ou sur la liberté en quatrième. Si le débat est cadré et ne part pas dans tous les sens, ils apprennent à écouter l’autre, argumenter, mettre en forme leurs idées, accepter que nous ne soyons pas tous d’accord, à critiquer certains concepts.

Françoise Lantheaume. Le programme de l’EMC a évolué. Au début, il était fondé sur le débat. Aujourd’hui, la conception de cet enseignement est beaucoup plus normative, assertive. Ce qui n’empêche pas les enseignants de mettre en place des dispositifs pour déconstruire les stéréotypes des élèves, en partant de leur parole afin de savoir d’abord ce qu’ils ont dans la tête. Pour cela, ils ne s’appuient pas sur les discours publics, mais sur leur discipline – les SVT, la philosophie, les lettres ou l’histoire. La difficulté à laquelle sont confrontés les enseignants est que débattre n’est pas du tout naturel hors des couches moyennes éduquées, des milieux populaires politisés, syndiqués, militants. Tout centrer sur le débat peut mettre en difficulté des élèves qui n’ont pas les outils intellectuels et langagiers pour construire les argumentaires.

Les formations délivrées aux enseignants sont-elles trop théoriques ?

Christophe Naudin. Il faut déjà se battre pour obtenir une formation théorique sur la laïcité, alors ne parlons pas des stages de mise en pratique… Il y a là une grosse lacune. Le passage au concret est pourtant compliqué, y compris pour des enseignants armés intellectuellement.

Françoise Lantheaume. Quand on demande aux professeurs ce qu’ils attendent d’une formation à la laïcité, ils répondent qu’ils aimeraient travailler sur des situations locales, des cas précis. Dans les métiers de relation à autrui, les compétences « prudentielles », qui reposent sur la délibération, permettent de trouver les meilleures solutions. Les enseignants manquent d’espaces-temps pour échanger sur les cas humains, concrets, qui sont toujours complexes. Il ne suffit pas de mettre sur un tableau Excel un élève X en relation avec une solution Y pour que ça marche.

La question de la formation citoyenne prend tellement de place qu’elle finit par occulter celle des inégalitaires scolaires. Ne faut-il pas penser les deux ensemble ?

Françoise Lantheaume. Les politiques publiques devraient le faire. Quand on ne met pas en place les conditions d’une mixité sociale à l’école, il ne faut pas s’étonner que dans les établissements les plus homogènes, on rencontre des problèmes liés à la religion – quelle qu’elle soit. Les enseignants sont confrontés à une contradiction, que ressentent les élèves, entre les valeurs de la République et leur expérience sociale. Comment leur parler d’égalité alors qu’ils font l’expérience permanente des inégalités ? Les discours sur les valeurs de la République télescopent les conditions de vie de certains élèves qui sont dans la pauvreté.

Christophe Naudin. Parfois, on a l’impression que les injonctions sur les valeurs de la République servent de paravent. On nous dit que nous devons former des citoyens qui vont respecter ces valeurs, et ainsi on évite de parler des inégalités sociales.

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04.08.2025 à 11:06

Faut-il reconnaître les « communautés » ?

Roger Martelli

Le projet de révision constitutionnelle consacré à la Corse intègre la notion de "communauté", donnant ainsi une valeur constitutionnelle à un terme qui ne faisait pas partie de l’arsenal conceptuel du droit constitutionnel français.
Texte intégral (2206 mots)

À la demande de l’exécutif et de l’Assemblée de Corse, le projet de révision constitutionnelle consacré à la Corse justifie de la manière suivante le « statut d’autonomie » attribué à la Corse : il « tient compte de ses intérêts propres, liés à a son insularité méditerranéenne et à sa communauté historique, linguistique, culturelle, ayant développé un lien singulier à sa terre ». En intégrant la notion de « communauté », le texte donne ainsi une valeur constitutionnelle à un terme qui ne faisait pas partie de l’arsenal conceptuel du droit constitutionnel français.

Du côté des sciences sociales, la référence à la communauté apparaît à la fin de 19ème siècle. Le socialisant Ferdinand Tönnies lui donne ses titres de noblesse en proposant de distinguer la « société », qui divise les individus en classes, et la « communauté » qui les rassemble dans un « chez soi » pacifique. Elle les constitue en une totalité organique (« une communauté de sang, de lieu et d’esprit ») où le tout l’emporte sur la partie. Pour le philosophe allemand, le sang, la terre et la culture seraient donc les ciments de la concorde sociale.

L’attirance pour la communauté a trouvé plus tard ses ressorts, dans les carences de l’égalité et de la démocratie. Servant trop souvent à masquer les inégalités de fait, l’égalité en droit a laissé s’installer et se perpétuer la distinction des groupes majoritaires et des minoritaires, des dominants et des dominés, de ceux qui maîtrisent les ressources et de ceux qui ne le peuvent pas. Tant que les mécanismes redistributeurs de l’État-providence atténuaient les inégalités, la dévalorisation des groupes minorés pouvait rester tolérable. Mais dès l’instant où ces mécanismes se sont érodés, cette dévalorisation est devenue de plus en plus insupportable.

On rencontre souvent l’idée selon laquelle l’individu n’existe pas sans les communautés qui l’enserrent, d’autant plus fortement qu’elles sont plus anciennes. Dès lors une hypothèse prend corps peu à peu : pourquoi ne pas tempérer l’effet inévitable des inégalités sur les individus par l’imposition d’une égalité entre les communautés qui les regroupent ? En cultivant l’appartenance à des communauté et en régulant les rapports entre elles, on obtiendrait la paix sociale et l’ordre social pourrait se reproduire, sans conflits excessifs.

Ce que l’on appelle volontiers le « communautarisme » et qui s’est développé notamment dans le monde anglo-saxon, relève grosso modo de cette conviction. Il est bien sûr des communautarismes plus ou moins progressistes ou rétrogrades. Mais, dans l’ensemble, le choix de l’égalité en droit des communautés intériorise l’impossibilité d’une égalité entre les individus. La « communauté » se trouve ainsi plus dans l’horizon de l’équité et de « l’égalité des chances » que dans celui de l’égalité proprement dite. Elle suppose des « droits différentiels des groupes » ou « droits des minorités », mais elle laisse de côté l’égalité des personnes, y compris au sein des communautés.

L’insistance sur les « communautés imaginées »1 pose ainsi une série de problèmes délicats. Ces communautés, d’une part, finissent volontiers par se considérer comme exclusives, supérieures à toutes les autres formes d’appartenance et notamment les appartenances de classe. En outre, elles relient les individus et les protègent, mais au prix de leur soumission aux normes communautaires qui leur fournissent du sens. Enfin, par touches successives, tout droit à la différence, pour les individus comme pour les groupes, peut très vite se transformer en différence des droits, et institutionnaliser ainsi les inégalités de fait. 

Par un étonnant paradoxe, le « multiculturalisme » et le « monoculturalisme » qui en est le contraire fonctionnent en pratique comme les deux extrêmes du piège identitaire. Dans les deux cas, on assigne les individus à une identité qui les détermine de façon absolue, au risque de les opposer à tout ce qui n’est pas la communauté et de nier leur autonomie de personne. La communauté exclut tout autant qu’elle inclut ; elle enferme tout autant qu’elle protège.

Constitutionaliser la communauté corse ?

Il vaudrait donc mieux y réfléchir à deux fois, avant d’introduire la « communauté » dans le marbre d’une constitution. Si la communauté corse qu’elle institue, et donc si le groupe de celles et ceux qui se reconnaissent comme en faisant partie est le pivot du vivre ensemble, qu’en résulte-t-il pour quiconque est en marge de cette reconnaissance ? Il peut se trouver cantonné dans une nouvelle minorité, tolérée à une double condition : qu’elle intériorise les normes de la communauté majoritaire et qu’elle accepte une certaine invisibilité, pour ne pas heurter les sentiments de la communauté dominante.

En pensant la communauté sur le registre de la différence et en la fondant sur « un lien particulier à la terre », le projet constitutionnel passe sous silence que, depuis 1789, l’identification corse est au moins double : corse et française. Peuple corse et peuple français sont les deux faces indissociables d’une appartenance duale. Nier la réalité profonde de cette dualité, minorer l’une de ses faces revient à mutiler l’autre. C’est condamner ainsi, encore et toujours, l’individu à l’indétermination et à la souffrance du manque. Et c’est nier l’apport de ceux qui, en décidant de résider durablement sur la terre corse, peuvent se nourrir de la richesse humaine d’une histoire inscrite dans un sol, mais n’ont pas pour autant le désir de s’y fondre en totalité.

Formellement, aucune réalité historique n’est vouée à l’inéluctable reproduction. La population corse pourrait donc, si elle le voulait, décider de se couper d’une part de son identification de plus de deux siècles et de se retrouver dans une communauté qui ferait de la spécificité corse la base exclusive de son identification. C’est le rêve des nationalistes insulaires, majoritaires au sein de l’Assemblée de Corse et ce rêve est en soi respectable. Mais il ne semble pas être, pour l’instant du moins, celui d’une majorité attestée des Corses. À quoi bon alors introduire dans la Constitution une formulation communautaire qui laisse entendre qu’on est d’ores et déjà engagé dans ce processus de dissociation ?

On peut s’en étonner d’autant plus que l’on entend souvent, aux plus hauts niveaux de l’État et du monde politique, vitupérer le « communautarisme » en bloc, dès l’instant où il est présumé islamique. Supposera-t-on, pour justifier l’usage constitutionnel de la « communauté », qu’il y a des bons et des mauvais communautarismes ? Mais n’est-ce pas, au bout du compte, ajouter durablement de la confusion à une réalité française qui n’en manque pas ?

Le bal des politiciens

Le gouvernement Bayrou, sur le dossier corse, joue une fois de plus un jeu pervers. Officiellement, il est fidèle à la parole donnée, en ne retenant pas les objections et propositions – au demeurant modestes – du Conseil d’État2. Mais il sait que, si le texte amendé par le Conseil pouvait à la rigueur espérer une majorité au Parlement, la version initiale proposée par le gouvernement n’en a pratiquement aucune. 

Le premier ministre ne fait donc qu’anticiper l’inévitable crise. Le texte tel qu’il est, avec ses formulations les plus explosives, divise l’opinion française, à droite comme à gauche. Mais le texte amendé, même dans la variante proposée par le Conseil d’État, va relancer la tension en Corse. Dans tous les cas, alors qu’il n’hésite jamais à faire fi du Parlement et de l’opinion, le gouvernement ne fait ici que se défausser, faisant porter à d’autres, en Corse ou à Paris, la responsabilité qui est la sienne, comme elle est celle de ses prédécesseurs depuis trop longtemps.

Car, en polarisant tout sur la seule dimension constitutionnelle, l’État veut faire oublier que les questions qui touchent l’île vont bien au-delà des questions de droit. On traite en effet d’une région qui cumule les records de pauvreté, qui est pénalisée par l’insularité, qui connaît dans sa presque totalité les difficultés de la vie montagnarde, qui souffre de l’inégalité croissante entre les deux unités urbaines littorales et l’intérieur, qui manque de logements financièrement accessibles, qui est gravement touché par les dérives mafieuses, qui ne dispose pas de ressources suffisantes pour maitriser sa croissance urbaine, assurer sa couverture énergétique, développer ses communications et assurer le bon fonctionnement de ses services publics.

Il n’y avait pas besoin de réforme constitutionnelle et de formules qui divisent, pour engager les choix susceptibles de dédramatiser la situation. Cela aurait permis et permettrait encore d’apaiser l’inquiétude, d’éviter la désignation douteuse des inévitables boucs émissaires, de ramener la confiance et de mobiliser les forces vives insulaires. En bref, en apaisant les colères, l’État aurait anéanti du même coup les effets politiques délétères des ressentiments. Ces choix n’ont pas été faits, parce que l’orientation suivie à Paris ne s’y prête pas, parce que l’obsession de la dette annihile toute ambition, parce que nos gouvernants préfèrent les combinaisons tordues, les tractations avec les nationalistes en Corse et les clins d’œil à la droite extrême à Paris.

C’est une attitude de mépris à l’égard de la population qui vit en Corse. C’est un comportement qui mine un peu plus notre démocratie. C’est une nouvelle régression prévisible : pour la Corse et pour la France. Il est plus que temps de redresser la barre, en remettant au centre la question de l’égalité, d’une citoyenneté refondée et d’un espace public renforcé.

Ce dont la Corse a besoin, comme tout territoire français, c’est que l’on fasse enfin le choix d’un développement libre des capacités humaines, d’une utilisation sobre et partagée des ressources disponibles, d’une mobilisation citoyenne de toutes et tous, quelle que soit l’origine, la culture héritée, le groupe social ou le genre. Faire le choix d’un développement social et démocratique rassemble ; le texte constitutionnel ne fait que diviser. À la clé, c’est la paix civile qui est fragilisée. Les forces existent pour la protéger : encore faut-il ne pas les décourager.


  1. La formule a été inventée par l’historiens Benedict Anderson pour rendre compte de l’expansion de la thématique nationaliste au 19ème siècle. Il insistait sur l’idée que, pour être « imaginées », les représentations de la nation n’étaient pas pour autant irréelles et que les récits porteurs de sens qu’elles diffusaient mobilisaient concrètement l’action collective. ↩
  2. Le Conseil d’État propose la rédaction suivante : « La Corse est une collectivité à statut particulier dotée au sein de la République d’un régime d’autonomie qui tient compte de ses intérêts propres, liés à son insularité méditerranéenne, à son relief montagneux et aux caractéristiques historiques, linguistiques, culturelles et sociales de ses habitants. »  ↩
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04.08.2025 à 07:09

« La guerre est à la source de l’autorité politique »

Pierre Jacquemain

L'évolution du Musée de l'armée, d'une vocation idéologique vers une mission historique, témoigne du rapport de la France à sa puissance militaire, explique sa directrice adjointe Ariane James-Sarazin.
Texte intégral (1400 mots)

L’évolution du Musée de l’armée, d’une vocation idéologique vers une mission historique, témoigne du rapport de la France à sa puissance militaire, explique sa directrice adjointe Ariane James-Sarazin.

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Cet article est extrait du n°54 de la revue Regards, publié au premier semestre 2021 et toujours disponible dans notre boutique !
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Regards. Lors de sa création en 1905, le Musée de l’armée avait pour consigne d’être patriote, de renforcer le lien entre l’armée et la nation. Entièrement rénové entre 1994 et 2018, a-t-il toujours cette vocation ? 

Ariane James-Sarazin. La vocation du Musée de l’armée est définie par le code de la défense. L’une de ses priorités est d’œuvrer au renforcement du lien entre la nation et ses armées. Il s’est aussi vu assigner un rôle central dans l’entretien de l’esprit de défense, et il participe à ce titre à la naissance ou au développement des vocations militaires – à travers notamment la mise en avant des grandes figures et des hauts faits de l’histoire militaire de la France. Aujourd’hui, le code de la défense est en cours de réexamen pour la partie qui concerne le Musée de l’armée, afin d’établir un juste équilibre entre les missions lui sont propres, au regard de son ministère de tutelle, et les missions qui incombent ordinairement à un musée de France en vertu du code du patrimoine – comme l’enrichissement des collections, leur préservation, leur étude, leur valorisation, leur diffusion… et surtout leur accessibilité pour tous les publics.

« Dans la plupart des sociétés, la guerre est à la source de l’autorité politique et reste le moyen privilégié pour l’État de s’affirmer, de se maintenir, de s’étendre ou de protéger ses intérêts. »

C’est aussi une manière de rendre hommage aux armées françaises, à la puissance de feu, à la capacité à faire la guerre de la France ? 

Ça l’était de manière explicite au XIXe siècle, lorsqu’ont été créés les deux musées qui donneront naissance au Musée de l’armée. Celui-ci est en effet le fils – ou la fille ! – de deux entités très marquées du point de vue épistémologique et idéologique. D’une part, le Musée de l’artillerie, né au tournant de la Révolution et au tout début du Premier Empire en héritant des collections royales, à des fins technologiques et éducatives : c’était un musée dédié aux corps savants, les artilleurs, les polytechniciens, les ingénieurs… D’autre part, le Musée historique de l’armée, créé beaucoup plus tard en 1896 dans un esprit éminemment cocardier, patriotique, voire revanchard vis-à-vis de l’Allemagne après la défaite de Sedan. Son objectif assumé était d’exalter la grandeur militaire de la France et sa puissance de feu. C’est cette dimension idéologique et commémorative qui l’a emporté en 1905 lorsque le musée de l’Armée a été créé.

Aujourd’hui, on imagine que ce n’est plus exactement sa vocation… 

Cette vocation presque apologétique du Musée de l’armée a perduré au début du XXe siècle, et notamment durant la première guerre mondiale. Avec l’évolution de l’historiographie, mais aussi du regard sur le rôle nouveau qu’occupait la France en tant que puissance moyenne d’ambition mondiale après 1945, le Musée a connu une évolution en deux temps. D’abord à la faveur du projet de rénovation dit ATHENA, à la fin des années 1990. De musée d’objets et d’une institution, l’armée, il s’est transformé en un musée d’histoire militaire. Puis, avec le développement d’une politique d’expositions temporaires, en musée d’anthropologie militaire. Cela l’a conduit à diversifier ses regards sur le fait guerrier et militaire, et à aborder des sujets extrêmement polémiques comme la guerre d’Indochine ou la guerre d’Algérie, par exemple.

Justement, qu’est-ce que le Musée de l’armée tient à montrer quand il consacre et organise une exposition sur la guerre d’Algérie ? 

Lorsque l’exposition a eu lieu en 2012, c’était la première fois que l’armée en tant qu’institution acceptait de montrer les zones d’ombre de notre histoire, en abordant notamment la question de la torture. Ceci dans l’une de ses emprises à forte valeur symbolique, les Invalides. Dans cette exposition, le Musée n’a pas hésité à exposer des photographies et des témoignages lourds de sens, du côté de l’armée française comme de celui du FLN. Toutes ces archives montraient le déchaînement de la violence tant sur les combattants que sur les civils. Dans le souci de privilégier un discours équilibré, le Musée a fait appel à des historiens algériens afin qu’il n’y ait pas, même inconsciemment, dans la sémantique, de formes de biais de la part des conservateurs ou des historiens français. Cette exposition a marqué un véritable tournant : le Musée n’apparaissait plus comme la voix patrimoniale de l’institution militaire, il gagnait ses galons de musée d’histoire et d’anthropologie appliqué au monde militaire, capable de s’intéresser aux faits guerrier et militaire en tant qu’ils sont les révélateurs de l’évolution des sociétés.

Quels sont les objets les plus symboliques, ceux qui incarnent le plus l’idée de cette puissance, parmi les plus de 500 000 du Musée ? 

Il y a bien sûr les armures de la couronne, notamment les deux armures de François Ier ou celle de son fils Henri II, et plus globalement l’ensemble des armes et des armures des rois de France. Dans la plupart des sociétés, la guerre est à la source de l’autorité politique et reste le moyen privilégié pour l’État de s’affirmer, de se maintenir, de s’étendre ou de protéger ses intérêts. À travers ces armures qui brillent de mille feux par la beauté et la richesse de leurs ciselures, les détails de leur ornementation, le talent des artistes qui ont contribué à leur confection et qui participent de la magnificence du souverain, les princes clament la grandeur du régime qu’ils incarnent. En cela, les armures des rois de France sont certainement l’incarnation la plus patente de cette puissance de l’État. Les trophées et, parmi eux, les emblèmes pris à l’ennemi, constituent un autre exemple tout aussi significatif de l’imaginaire de la puissance. Ils sont une extrapolation symbolique de l’ambition territoriale, de la mainmise, de l’aura guerrière et donc de la puissance de la France sur l’ensemble du continent européen – et au-delà sur les pays de l’ancien empire colonial.

Comment devrait évoluer le musée de l’Armée ?

En 2015, Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense, a émis le souhait que le Musée puisse parler des sujets qu’il n’évoquait pas ou très peu, notamment de notre histoire coloniale et de celle des indépendances. C’est dans cette voie-là que le Musée va s’engager en s’appuyant sur des comités scientifiques ouverts à des historiens issus des anciens pays colonisés. Le musée ambitionne ainsi de parler de l’histoire militaire de la France, mais en adoptant un point de vue décentré et non ethnocentré. Il s’agit pour nous d’être le musée d’histoire mondiale de la France à travers ses armées.υ propos receuillis par pierre jacquemain 

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