
05.12.2025 à 10:49
Yannis Varoufakis
Dans quelques années, quand tant de gens diront s’être opposés aux crimes de guerre d’Israël à Gaza, le monde se souviendra du juge Guillou et du comportement des dirigeants de ce monde à son encontre.
Imaginons une Europe où l’État de droit, la dignité des individus et l’autonomie stratégique seraient davantage que des belles paroles pour Bruxelles.
Dans cette Europe parallèle, l’histoire du juge Nicolas Guillou, magistrat français de la Cour pénale internationale (CPI), serait le scandale du siècle. Du genre à renverser des gouvernements et redonner sa fierté à l’Europe. Mais dans l’Europe où nous vivons, le calvaire du juge Guillou a été passé sous silence et illustre la vassalisation à grande vitesse du Vieux Continent.
De quoi parle-t-on ? D’un citoyen français et magistrat de renom siégeant à la CPI, institution pensée par la diplomatie européenne pour en finir avec la protection de criminels de guerre par leurs gouvernements. Suivant méticuleusement les procédures de la Cour, le juge a délivré des mandats d’arrêt à l’encontre du premier ministre et de l’ancien ministre de la défense israéliens pour suspicion de crimes de guerre à Gaza. La réponse du président Trump ne s’est pas faite attendre.
Les sanctions américaines dépouillent l’Europe de sa souveraineté en s’en prenant à un juge européen qui exerce en Europe dans une institution créée par des élus européens. Elles font de Nicolas Guillou une personne fantôme aux États-Unis comme dans son propre pays. Il n’a plus accès au monde numérique (Whatsapp, l’univers Google, Facebook et Instagram). Son compte français ne peut plus être utilisé et les banques européennes clôturent immédiatement ses comptes. Les entreprises européennes, dont les services de conformité se font le prolongement des autorités américaines, refusent de lui fournir des services.
La réaction de l’Europe est dramatique voire grotesque. Aucune réponse coordonnée, aucune condamnation, aucunes représailles pour protéger son pouvoir judiciaire et ses citoyens face à une telle attaque. Une soumission totale. Les institutions européennes regardent ailleurs et invoquent la « complexité » des relations transatlantiques. Elles ne protègent pas Guillou. Pire, elles appliquent activement les sanctions américaines à son encontre.
Alors qu’ils avaient vivement contesté leur mise à l’écart dans l’élaboration de l’accord de paix pour l’Ukraine, le silence des dirigeants européen sur l’affaire Guillou acte l’érosion de leur autorité. Emmanuel Macron et Friedrich Merz pensaient-ils vraiment que sacrifier leurs citoyens au profit de Trump leur ouvrirait la table des négociations sur l’Ukraine et la Palestine ? Questions existentielles pour l’Europe…
Le cauchemar kafkaïen vécu par Guillou ne devrait pas nous surprendre, mais le silence qui l’entoure doit toutes et tous nous choquer. Cette affaire est une métaphore de l’Europe : une union d’États-nations qui après avoir créé un tribunal international pour défendre ses valeurs laisse une puissance étrangère punir l’un de ses juges et contribue même à l’exécution de la peine. Cette union a perdu sa boussole, son âme et sa colonne vertébrale et fait de nous, Européens, les spectateurs de notre propre déclin.
Traduction assurée par Baptiste Orliange
04.12.2025 à 12:12
Catherine Tricot
C’est bien beau d’applaudir à l’unisson l’élection du maire de New-York. Ce serait encore mieux de s’en inspirer pour ne pas faire des élections de 2026 une énième Bérézina.
Le 1er janvier, Zohran Mamdani va prendre ses fonctions de maire de New-York. Toute la gauche française a applaudi à l’élection de celui qui affirme dans des politiques concrètes une autre façon de faire ville commune. Dans la ville-monde, cœur du capitalisme, Zohran Mamdani a gagné en parlant logement, transport, pouvoir d’achat, petite enfance. Il a fait des propositions qui ne sont, certes, pas toutes révolutionnaires mais qui apportent des débuts de solutions aux New-Yorkais. Il a indiqué qu’une autre politique est possible. Il a su faire entendre une voix de gauche plus forte que celle de Donald Trump, plus mobilisatrice et attirante que le filet d’eau tiède du Parti démocrate.
Cohérentes comme toujours, les gauches françaises s’en inspirent-elles ? Labourent-elles le pays avec des propositions de gauche, concrètes ? Se mobilisent-elles dans les villes et les villages, en faveur des cantines gratuites, bio ? Disent-elles comment aider la construction de logements sociaux et l’isolation des maisons ? Annoncent-elles des plans pour rendre accessibles tous les équipements publics (rampes, ascenseurs et horaires) et un autre pour que l’espace public soit partagé et planté, qu’ils soient des lieux de rencontre et de rafraîchissement des villes ? Vantent-elles les mérites des régies publiques de l’eau pour assurer une eau de qualité, sans PFAS ? Parlent-elles de démocratie, de paix, de solidarité, de vie associative, de culture et de sport… ? Partagent-elles ses bilans, ses expériences et ses projets nouveaux ?
Les candidats de gauche qui pourtant défendent ces projets progressistes… ne sont pas vraiment aidés dans leur campagne. Ils rament seuls. Les partis de gauche préfèrent continuer de s’écharper sur les alliances de premier et de second tour. Et que penser de la multiplication incohérente de listes avec des alliances tantôt comme ci, tantôt comme ça ? Qui ne voit les risques qui pèsent sur les plus grandes villes françaises comme sur une myriade de petites villes que convoitent le RN ?
Ah !? Vous n’en avez pas encore entendu parler ? En vérité, en dehors des premières réunions publiques tenues localement par les courageux candidats, personne n’en a entendu parler. Les candidats de gauche qui pourtant défendent ces projets progressistes… ne sont pas vraiment aidés dans leur campagne. Ils rament seuls. Les partis de gauche préfèrent continuer de s’écharper sur les alliances de premier et de second tour.
Nul ne considère secondaire la traduction cohérente et politique d’un projet. Les compositions de listes et les alliances politiques, ça compte. Aussi, nous nous réjouissons que communistes et insoumis, par exemple, aient enfin trouvé un accord pour que Saint-Denis la rouge redevienne une ville pour le peuple de Saint-Denis. C’est le cas dans beaucoup d’autres villes populaires où l’accord se fait aussi avec les écologistes et même souvent avec les socialistes. Mais que penser de la multiplication incohérente de listes avec des alliances tantôt comme ci, tantôt comme ça ? Qui ne voit les risques qui pèsent sur les plus grandes villes française comme sur une myriade de petites villes que convoitent le RN ?
Ces divisions ne s’enracinent que marginalement dans les désaccords sur les politiques locales. Quelle cohérence dans des listes insoumises face à Patrice Leclerc à Gennevilliers ou Patrice Bessac à Montreuil ? À l’évidence, il n’y a pas de quoi se pâmer devant le bilan de Delanoë-Hidalgo : Paris n’a jamais été aussi bourgeoise et ségréguée. Mais est-ce raisonnable de prétendre que quatre listes à gauche vont améliorer la question ? Est-ce tolérable que le PS annonce ne pas vouloir fusionner au second tour avec les insoumis ou que Sophia Chikirou ne veuille pas qu’un socialiste soit maire de Paris ? Laisser les clés à Rachida Dati, est-ce une bonne idée ? Et on peut allonger la liste : Jean-Michel Aulas à Lyon, le RN à Marseille…
Évidemment, c’est l’ombre portée des dissensions nationales et des compétitions futures qui pèsent dans ce désolant éclatement. Les directions des partis, les candidats pour la présidentielle, pourraient aussi voir que 2027 se passera très mal si les débats qui polarisent sont ceux portés par la droite et l’extrême droite, sur les impôts et la sécurité. 2027 s’annonce comme un cauchemar si le RN sort en force des municipales, si la gauche perd de grandes villes.
Avec les élections municipales, on pourrait ramener les confrontations politiques sur des bases qui oxygènent nos têtes, nos vies et la politique. On pourrait travailler à construire des ponts entre toutes les gauches, politiques, associatives, sociales, citoyennes. Et on va laisser passer cette opportunité !? C’est vraiment dur à avaler.
04.12.2025 à 12:10
la Rédaction

par Catherine Tricot
Le 1er janvier, Zohran Mamdani va prendre ses fonctions de maire de New-York. Toute la gauche française a applaudi à l’élection de celui qui affirme dans des politiques concrètes une autre façon de faire ville commune. Dans la ville-monde, cœur du capitalisme, Zohran Mamdani a gagné en parlant logement, transport, pouvoir d’achat, petite enfance. Il a fait des propositions qui ne sont, certes, pas toutes révolutionnaires mais qui apportent des débuts de solutions aux New-Yorkais. Il a indiqué qu’une autre politique est possible. Il a su faire entendre une voix de gauche plus forte que celle de Donald Trump, plus mobilisatrice et attirante que le filet d’eau tiède du Parti démocrate.
Cohérentes comme toujours, les gauches françaises s’en inspirent-elles ? Labourent-elles le pays avec des propositions de gauche, concrètes ? Se mobilisent-elles dans les villes et les villages, en faveur des cantines gratuites, bio ? Disent-elles comment aider la construction de logements sociaux et l’isolation des maisons ? Annoncent-elles des plans pour rendre accessibles tous les équipements publics (rampes, ascenseurs et horaires) et un autre pour que l’espace public soit partagé et planté, qu’ils soient des lieux de rencontre et de rafraîchissement des villes ? Vantent-elles les mérites des régies publiques de l’eau pour assurer une eau de qualité, sans PFAS ? Parlent-elles de démocratie, de paix, de solidarité, de vie associative, de culture et de sport… ? Partagent-elles ses bilans, ses expériences et ses projets nouveaux ?
Ah !? Vous n’en avez pas encore entendu parler ? En vérité, en dehors des premières réunions publiques tenues localement par les courageux candidats, personne n’en a entendu parler. Les candidats de gauche qui pourtant défendent ces projets progressistes… ne sont pas vraiment aidés dans leur campagne. Ils rament seuls. Les partis de gauche préfèrent continuer de s’écharper sur les alliances de premier et de second tour.
Nul ne considère secondaire la traduction cohérente et politique d’un projet. Les compositions de listes et les alliances politiques, ça compte. Aussi, nous nous réjouissons que communistes et insoumis, par exemple, aient enfin trouvé un accord pour que Saint-Denis la rouge redevienne une ville pour le peuple de Saint-Denis. C’est le cas dans beaucoup d’autres villes populaires où l’accord se fait aussi avec les écologistes et même souvent avec les socialistes. Mais que penser de la multiplication incohérente de listes avec des alliances tantôt comme ci, tantôt comme ça ? Qui ne voit les risques qui pèsent sur les plus grandes villes françaises comme sur une myriade de petites villes que convoitent le RN ?
Ces divisions ne s’enracinent que marginalement dans les désaccords sur les politiques locales. Quelle cohérence dans des listes insoumises face à Patrice Leclerc à Gennevilliers ou Patrice Bessac à Montreuil ? À l’évidence, il n’y a pas de quoi se pâmer devant le bilan de Delanoë-Hidalgo : Paris n’a jamais été aussi bourgeoise et ségréguée. Mais est-ce raisonnable de prétendre que quatre listes à gauche vont améliorer la question ? Est-ce tolérable que le PS annonce ne pas vouloir fusionner au second tour avec les insoumis ou que Sophia Chikirou ne veuille pas qu’un socialiste soit maire de Paris ? Laisser les clés à Rachida Dati, est-ce une bonne idée ? Et on peut allonger la liste : Jean-Michel Aulas à Lyon, le RN à Marseille…
Évidemment, c’est l’ombre portée des dissensions nationales et des compétitions futures qui pèsent dans ce désolant éclatement. Les directions des partis, les candidats pour la présidentielle, pourraient aussi voir que 2027 se passera très mal si les débats qui polarisent sont ceux portés par la droite et l’extrême droite, sur les impôts et la sécurité. 2027 s’annonce comme un cauchemar si le RN sort en force des municipales, si la gauche perd de grandes villes.
Avec les élections municipales, on pourrait ramener les confrontations politiques sur des bases qui oxygènent nos têtes, nos vies et la politique. On pourrait travailler à construire des ponts entre toutes les gauches, politiques, associatives, sociales, citoyennes. Et on va laisser passer cette opportunité !? C’est vraiment dur à avaler.
CONDAMNATION DU JOUR
Sept ans de prison confirmés pour le journaliste français Christophe Gleizes par un tribunal algérien. Malgré les signaux d’apaisement entre Paris et Alger, le verdict rappelle que, pour l’État algérien, un reportage en Kabylie ou un entretien ancien avec un responsable local peut suffire à relever de « l’apologie du terrorisme ». La libération de l’écrivain Boualem Sansal en novembre avait fait poindre une lueur : les perspectives diplomatiques se sont nettement améliorées depuis que des figures comme Bruno Retailleau et les obsédés racistes, nostalgiques de l’Algérie française, ne sont plus au gouvernement. Leur départ permet d’assainir le dialogue et d’éviter les surenchères qui empoisonnent chaque crise. Reste une issue possible : une grâce présidentielle d’Abdelmadjid Tebboune. Elle pourrait intervenir après un éventuel pourvoi en cassation. C’est ce à quoi va s’atteler le président Macron qui dit suivre la situation de près. En attendant, un journaliste demeure derrière les barreaux pour avoir fait son travail. Regards s’associe à celles et ceux qui demandent instamment sa libération.
P.P.-V.

« Lio », un documentaire France Télévision. Le film révèle la Lio politique : celle qui, derrière la pop acidulée, fut l’une des premières à briser l’omerta sur les violences sexuelles et conjugales, à dénoncer la brutalité sexiste de l’industrie musicale et à nommer les féminicides avant tout le monde. Suivant l’artiste au travail comme dans ses zones d’ombre, le film montre une femme qui a transformé son image de Lolita fabriquée en force de résistance féministe. Un portrait nécessaire d’une icône pop devenue figure de lutte.



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