16.10.2025 à 15:33
Pablo Pillaud-Vivien
Après le rejet des deux motions de censure de ce jeudi matin, Raquel Garrido, ancienne députée et cofondatrice de l’Après, est l’invitée de #LaMidinale.
16.10.2025 à 13:14
Roger Martelli
La France est au bord de la fracture politique et du naufrage démocratique. Le RN piaffe aux portes du pouvoir. Mais toute la vie politique est suspendue aux stratégies savantes d’états-majors, aux projections des sondages et au comptage des votes à l’Assemblée.
La composition du gouvernement n’est pas bonne ? La tonalité du budget qui se dessine est inacceptable ? Dans ce cas, aucune hésitation ne devrait être possible : la censure est une arme constitutionnelle, face à un pouvoir qui persiste et signe. La « suspension » de la loi sur les retraites est une bonne chose dans l’immédiat ? L’idée que l’usage du 49.3 n’est pas une bonne méthode démocratique est une bonne proposition ? Oui. Mais est-ce que cela justifie que l’on avale tout le reste ou que l’on laisse entendre qu’il sera possible, par le débat parlementaire, dans la Chambre telle qu’elle est, de parvenir à un bon budget et à une sortie de la crise politique ? Non.
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Une politique ne se juge pas à deux mesures, qui plus est de portées mineures. La réforme des retraites n’est pas abrogée, comme le voulaient les millions de manifestants, elle est au mieux décalée, dans le plus grand flou artistique sur le champ de ladite suspension. On promet de ne pas recourir au 49.3, mais on ne dit rien de l’arsenal des dispositions qui permettent au pouvoir de passer outre aux voix de l’Assemblée.
Quand une crise s’incruste, il n’y a pas d’autre choix que de se tourner vers le peuple souverain. Et si un risque existe qu’il se prononce en faveur du pire, ce n’est pas en reculant le moment du vote qu’on conjurera la catastrophe. Même si l’on tourne et retourne le problème dans tous les sens, on ne parviendra pas à se masquer l’essentiel de la réalité. À gauche, elle se résume à un constat : depuis 2017, la gauche ne se sort pas de ses basses eaux électorales. Quant à la droite, elle a pensé qu’elle pouvait faire barrage à l’extrême droite en jouant la carte de l’extrême centre : or, en dix ans, la droite dite « modérée » a plongé et l’extrême droite a fait un bond dans les votes exprimés.
La gauche ne peut gagner que si elle est bien à gauche et rassemblée. On peut penser ce qu’on veut de La France insoumise ou du Parti socialiste, mais ce n’est pas en se coalisant contre la « secte » LFI ou contre une énième « trahison » socialiste qu’on enrayera la mécanique infernale.
Pendant de longues années, entre 1983 et 2012, la gauche socialiste a considéré qu’elle était trop à gauche : en 2017, le total de la gauche en a payé le prix. Pendant de longues années, la droite dite « classique » a hésité pour savoir si elle devait aller un peu plus à droite ou un peu plus au centre : du coup, c’est l’extrême droite qui a fait ses choux gras des hésitations. Au cœur de la crise se trouve l’accumulation des échecs à droite et à gauche. Du coup, le face-à-face de la droite et de la gauche a perdu de son sens. Il doit être refondé, pour que l’esprit démocratique ne s’étouffe pas.
Si l’on veut éviter le pire, aujourd’hui, demain ou après-demain, ce ne sont pas les calculs tactiques et les petits marchandages qui nous protégeront. Si la droite ne se convainc pas que son avenir ne dépend pas des concessions sans cesse accumulées avec l’extrême droite, elle finira dans les fourgons de celle-ci. Et si la gauche veut éviter le désastre, elle n’y parviendra pas en se déchirant à nouveau ou en s’adonnant au sempiternel mirage de la conquête des centres. Dans le danger extrême, elle ne peut gagner que si elle est bien à gauche et rassemblée. On peut penser ce qu’on veut de La France insoumise ou du Parti socialiste, mais ce n’est pas en se coalisant contre la « secte » LFI ou contre une énième « trahison » socialiste qu’on enrayera la mécanique infernale.
La France est tiraillée entre le besoin du changement et la peur du chaos. Elle peut à la fois vouloir de la rupture et aspirer à la tranquillité et à la stabilité. Il est donc possible de ne pas reculer devant l’urgence du changement, sans pour autant ne pas entendre la peur des cataclysmes. Dès lors, il ne sert à rien de taxer d’irresponsables les impatients ou de pleutres les plus prudents. Quel que soit le moment du possible dénouement par les urnes, ce qui importe à gauche est qu’elle soit elle-même, qu’elle ne se contente pas d’attiser la colère, mais de nourrir de nouvelles espérances, qu’elle mobilise et qu’elle rassure en même temps, qu’elle parle au cœur et à l’esprit, qu’elle ajoute des forces et pas qu’elle en retranche. La gauche est diverse, mais ne se nourrit pas de querelles. Dans les grandes occasions du passé, elle a su mettre de côté ce qui la séparait et chercher ce qui la rassemblait. Il serait dramatique qu’elle y renonce aujourd’hui.
16.10.2025 à 13:13
la Rédaction
À Boston, le président américain a menacé de priver la ville des rencontres prévues pour la Coupe du monde de football 2026 après que sa maire, Michelle Wu, a refusé de coopérer à certaines politiques fédérales répressives et rappelé publiquement que la métropole restait une « ville sanctuaire » pour les migrants. Prétexte : « Boston ne mérite pas de célébrer le monde quand elle rejette les lois de son pays », a-t-il tonné. Dans le même élan, la Maison-Blanche a soutenu de nouvelles règles du Pentagone restreignant la couverture médiatique des opérations militaires. Les grands médias américains, du Washington Post au New York Times en passant, et c’est notable, par Fox News, ont unanimement refusé ces « entraves à la liberté de la presse ». Un refus salutaire face à un pouvoir qui rêve de silence au moment où Trump prépare une intervention directe au Venezuela : il vient de confirmer avoir « autorisé » la CIA à y mener des opérations secrètes et y a coulé des navires.
16.10.2025 à 12:07
La Rédaction
par Roger Martelli
La composition du gouvernement n’est pas bonne ? La tonalité du budget qui se dessine est inacceptable ? Dans ce cas, aucune hésitation ne devrait être possible : la censure est une arme constitutionnelle, face à un pouvoir qui persiste et signe. La « suspension » de la loi sur les retraites est une bonne chose dans l’immédiat ? L’idée que l’usage du 49.3 n’est pas une bonne méthode démocratique est une bonne proposition ? Oui. Mais est-ce que cela justifie que l’on avale tout le reste ou que l’on laisse entendre qu’il sera possible, par le débat parlementaire, dans la Chambre telle qu’elle est, de parvenir à un bon budget et à une sortie de la crise politique ? Non.
Une politique ne se juge pas à deux mesures, qui plus est de portées mineures. La réforme des retraites n’est pas abrogée, comme le voulaient les millions de manifestants, elle est au mieux décalée, dans le plus grand flou artistique sur le champ de ladite suspension. On promet de ne pas recourir au 49.3, mais on ne dit rien de l’arsenal des dispositions qui permettent au pouvoir de passer outre aux voix de l’Assemblée.
Quand une crise s’incruste, il n’y a pas d’autre choix que de se tourner vers le peuple souverain. Et si un risque existe qu’il se prononce en faveur du pire, ce n’est pas en reculant le moment du vote qu’on conjurera la catastrophe. Même si l’on tourne et retourne le problème dans tous les sens, on ne parviendra pas à se masquer l’essentiel de la réalité. À gauche, elle se résume à un constat : depuis 2017, la gauche ne se sort pas de ses basses eaux électorales. Quant à la droite, elle a pensé qu’elle pouvait faire barrage à l’extrême droite en jouant la carte de l’extrême centre : or, en dix ans, la droite dite « modérée » a plongé et l’extrême droite a fait un bond dans les votes exprimés.
Pendant de longues années, entre 1983 et 2012, la gauche socialiste a considéré qu’elle était trop à gauche : en 2017, le total de la gauche en a payé le prix. Pendant de longues années, la droite dite « classique » a hésité pour savoir si elle devait aller un peu plus à droite ou un peu plus au centre : du coup, c’est l’extrême droite qui a fait ses choux gras des hésitations. Au cœur de la crise se trouve l’accumulation des échecs à droite et à gauche. Du coup, le face-à-face de la droite et de la gauche a perdu de son sens. Il doit être refondé, pour que l’esprit démocratique ne s’étouffe pas.
Si l’on veut éviter le pire, aujourd’hui, demain ou après-demain, ce ne sont pas les calculs tactiques et les petits marchandages qui nous protégeront. Si la droite ne se convainc pas que son avenir ne dépend pas des concessions sans cesse accumulées avec l’extrême droite, elle finira dans les fourgons de celle-ci. Et si la gauche veut éviter le désastre, elle n’y parviendra pas en se déchirant à nouveau ou en s’adonnant au sempiternel mirage de la conquête des centres. Dans le danger extrême, elle ne peut gagner que si elle est bien à gauche et rassemblée. On peut penser ce qu’on veut de La France insoumise ou du Parti socialiste, mais ce n’est pas en se coalisant contre la « secte » LFI ou contre une énième « trahison » socialiste qu’on enrayera la mécanique infernale.
La France est tiraillée entre le besoin du changement et la peur du chaos. Elle peut à la fois vouloir de la rupture et aspirer à la tranquillité et à la stabilité. Il est donc possible de ne pas reculer devant l’urgence du changement, sans pour autant ne pas entendre la peur des cataclysmes. Dès lors, il ne sert à rien de taxer d’irresponsables les impatients ou de pleutres les plus prudents. Quel que soit le moment du possible dénouement par les urnes, ce qui importe à gauche est qu’elle soit elle-même, qu’elle ne se contente pas d’attiser la colère, mais de nourrir de nouvelles espérances, qu’elle mobilise et qu’elle rassure en même temps, qu’elle parle au cœur et à l’esprit, qu’elle ajoute des forces et pas qu’elle en retranche. La gauche est diverse, mais ne se nourrit pas de querelles. Dans les grandes occasions du passé, elle a su mettre de côté ce qui la séparait et chercher ce qui la rassemblait. Il serait dramatique qu’elle y renonce aujourd’hui.
Donald Trump multiplie les gestes autoritaires dans une logique cohérente : instrumentaliser le pouvoir, démontrer sa toute puissance, pour punir les bastions hostiles, sur le sol étasunien comme à l’étranger, et faire taire les critiques. À Boston, le président américain a menacé de priver la ville des rencontres prévues pour la Coupe du monde de football 2026 après que sa maire, Michelle Wu, a refusé de coopérer à certaines politiques fédérales répressives et rappelé publiquement que la métropole restait une « ville sanctuaire » pour les migrants. Prétexte : « Boston ne mérite pas de célébrer le monde quand elle rejette les lois de son pays », a-t-il tonné. Un avertissement clair à toutes les municipalités démocrates qui osent résister. Dans le même élan, la Maison-Blanche a soutenu de nouvelles règles du Pentagone restreignant la couverture médiatique des opérations militaires. Les grands médias américains, du Washington Post au New York Times en passant, et c’est notable, par Fox News, ont unanimement refusé ces « entraves à la liberté de la presse ». Un refus salutaire face à un pouvoir qui rêve de silence au moment où Trump prépare une intervention directe au Venezuela : il vient de confirmer avoir « autorisé » la CIA à y mener des opérations secrètes et y a coulé des navires. On apprenait par ailleurs qu’un professeur d’histoire à l’université Rutgers du New Jersey, spécialiste du mouvement antifa, a dû fuir son pays suite à de nombreuses menaces de mort de la part, notamment, de la mouvance de Charlie Kirk. La gerbe.
P.P.-V.
« Analyse à chaud: l’annonce du Premier ministre concernant la réforme des retraites », sur Alternatives économiques. L’économiste Michaël Zemmour détricote la promesse de suspension de la réforme des retraites du premier ministre Lecornu. À toutes fins très utiles.
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16.10.2025 à 11:09
Roger Martelli
« Berlinguer. La grande ambition »… Le film d’Andrea Segre raconte cinq années de la vie d’Enrico Berlinguer, secrétaire général du PC italien entre 1973 et 1978, entre attentats et compromis historique avec la démocratie chrétienne (DC). Un grand film politique sur une période dense et cruciale.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le PC italien (PCI) est le plus puissant des partis communistes européens. Dans une Italie de faible tradition démocratique, le PCI est cofondateur en 1946 du premier régime républicain, au même titre que la Démocratie chrétienne (DC), le parti catholique rival. Comme son homologue français, il est placé devant les contraintes d’un dispositif institutionnel qui lui permet d’être la principale expression politique de l’univers populaire, mais qui limite sa capacité à créer autour de lui des dynamiques majoritaires. Lui aussi est confronté à la crise du mouvement communiste international et à ce que l’on nommera plus tard la « stagnation brejnévienne » de l’URSS. Certes, le PCI a pris très tôt – bien plus tôt que le PC français – ses distances avec Moscou et le bloc de l’Est, mais il ne veut pas rompre totalement avec le système mondial issu de l’impulsion révolutionnaire russe de 1917.
Quand commence le film, dans le bureau de Berlinguer, le PCI est le premier parti de la péninsule par ses effectifs (1,8 million d’adhérents) et le second par ses résultats électoraux (27% aux législatives de 1972 contre 38,7% pour la DC). Mais Berlinguer est secoué, à la fin de l’été 1973, par le coup d’État du général chilien Augusto Pinochet contre le gouvernement d’Unité populaire du socialiste Salvador Allende. Il l’est d’autant plus que, depuis 1969, l’Italie, comme l’Allemagne, connaît une vague de violences terroristes, d’extrême gauche comme d’extrême droite, que l’histoire retiendra sous le nom « d’années de plomb ».
Comment éviter, trente ans à peine après la défaite du fascisme, qu’une majorité de gauche soit trop faible pour empêcher le recours en Italie à une contre-révolution d’extrême droite ou à une intervention américaine ? Berlinguer lance alors une formule qui fait choc. La seule solution, écrit-il dans Rinascita, la revue culturelle du PCI, est de s’appuyer sur l’existence, dans l’électorat démocrate-chrétien, d’une part importante d’éléments venant des catégories populaires, qui n’ont pas oublié que l’hégémonie de la DC a été légitimée par son combat contre le fascisme. Pour éviter une aventure à la chilienne, il faut donc convenir avec la DC d’un « compromis historique », sur la base d’un approfondissement de l’État-providence né de la Libération. En Italie, pensent Berlinguer et ses camarades, les alliances à gauche ne suffisent pas pour empêcher le pire.
La proposition de Berlinguer est un choc au sein du PCI. Elle suscite une double réaction. Sur la droite du parti (Giorgio Napolitano), on souhaite un accord global permettant sans attendre de participer à un gouvernement, même dominé par la DC. Sur la gauche (Pietro Ingrao), appuyée sur les réticences fortes de militants ouvriers, on craint la mise en tutelle du PC, son affadissement et sa coupure avec l’opinion plus radicalisée des « années 1968 ». Il faut alors toute l’autorité et le charisme du secrétaire général pour que les doutes et les oppositions n’altèrent pas l’unité d’un parti qui, au demeurant, sait conjuguer depuis la Libération son ouverture politique et sa combativité ouvrière, appuyée sur l’influence de la puissante Confédération générale italienne du travail (CGIL).
Soucieux du contexte international, Berlinguer veut conforter sa démarche en clarifiant les rapports du PCI et de la sphère d’influence soviétique. Entre 1973 et 1977, il se rapproche du PCF de Georges Marchais, allié au PS depuis 1972, et du PC espagnol de Santiago Carrillo, revenu au grand jour après la fin du franquisme. Tous trois se réclament de ce que l’on a appelé l’eurocommunisme. On peut y voir la dernière tentative collective pour relancer un mouvement communiste tétanisé par l’immobilisme de la nomenklatura soviétique. En dessinant les contours d’un communisme franchement déstalinisé, en dévalorisant la place de la violence dans les processus de transformation sociale et en revalorisant au contraire la composante pacifique démocratique, l’eurocommunisme se présente comme une alternative au modèle du communisme stalinisé. Il est d’autant plus attractif que son projet, pour la première fois, ne se construit dans les périphéries du système mondial (Russie, Yougoslavie, Chine…), mais au cœur de ses citadelles mondiales.
Le pari d’Enrico Berlinguer était optimiste. Il reposait sur l’hypothèse d’une poursuite de la détente internationale engagée en 1962 (après la « crise des fusées » à Cuba) et poursuivie jusqu’en 1975 (succès de la conférence d’Helsinki). Elle faisait aussi le pari que la pression communiste toucherait la part la moins conservatrice de la démocratie chrétienne (représentée par son secrétaire général, Aldo Moro) et la contraindrait à ne pas oublier sa composante populaire et son passé antifasciste.
C’était compter sans la virulence des attaques soviétiques contre l’eurocommuniste, le refus obstiné de l’Église catholique à tout accord avec un communisme « intrinsèquement pervers »1, la pression de l’extrême droite italienne et les manoeuvres des courants les plus cléricaux de la DC, regroupé autour de Giulio Andreotti – qui dominera le grand parti de la droite italienne jusqu’à l’effondrement du parti et de la Première République italienne, gangrenée par la corruption.
L’optimisme du dirigeant communiste n’était pas infondé. Entre 1970 et 1977, le PCI gagne près de 300 000 adhérents et il dépasse les 34% aux élections à la Chambre des députés en 1976. Il est alors à deux doigts de parvenir au dépassement (sorpasso) du grand concurrent démocrate-chrétien. Mais l’appellation de « compromis historique » continue de perturber l’univers culturel du PCI, tandis que ni les Américains ni les Soviétiques ne souhaitent le succès de l’expérience, les uns parce qu’ils ne veulent pas de ministres communistes dans un pays de l’Otan, les autres parce qu’ils ne veulent pas de l’émergence d’un pôle européen menaçant leur suprématie sur le communisme mondial.
En 1978, alors qu’il semblait à la veille d’officialiser un accord avec les communistes, Aldo Moro est enlevé et assassiné par un commando des Brigades rouges. C’en est fini des espérances de compromis historique. En 1979, de nouvelles élections législatives confirment l’épuisement de la dynamique : le PCI perd 1,5 million de voix et 5% des suffrages exprimés.
Berlinguer a l’intelligence de prendre acte de l’échec de son projet, dans sa double dimension nationale et internationale. C’est la naissance de ce qu’un observateur avisé de la politique italienne, le journaliste belge Hugues Le Paige, désigne comme la naissance du « second Berlinguer »2. Il sait que la ligne de compromis historique a élargi le champ de l’intérêt porté au PCI, mais qu’elle a déconcerté et même rebuté une part de la base ouvrière du parti et la frange la plus radicalisée des « années 68 ». Il décide donc d’impulser une inflexion vers sa gauche, mais sans revenir au point de départ.
Sa proposition s’articule alors autour d’un triptyque : une politique d’austérité pour remodeler la croissance – « austérité » : mot malheureux pour évoquer la sobriété ; la question morale pour relancer une représentation politique faussée ; la création d’un nouveau « bloc historique » – au sens gramscien du terme – unissant le mouvement ouvrier historique et les nouveaux mouvements critiques (femmes, jeunes, pacifistes, écologistes).
Ce nouveau cours n’aura pas plus d’effet bénéfique que le précédent, même si le scrutin européen de 1984 frôle celui de 1976 (34%). Berlinguer meurt le 11 juin 1984, en pleine campagne des élections européennes, sans avoir eu le temps de consolider la nouvelle démarche. L’expansion du PC après 1943 avait coïncidé avec l’installation et la consolidation de la première République italienne. De façon significative, l’épuisement de cette phase républicaine s’est accompagnée de l’échec simultané de ses deux piliers fondateurs, communiste et démocrate-chrétien.
Convaincu que l’impossibilité de parvenir à l’eldorado majoritaire est la conséquence de l’épuisement « du souffle de la révolution russe (la force propulsive) », le groupe dirigeant post-Berlinguer décide de rejoindre la famille sociale-démocrate et même bientôt son aile droite, plus « libérale » que « démocrate ». Berlinguer avait tenté un pari novateur ambitieux. Son échec ne fait qu’annoncer le glas du communisme politique en Italie. Il prépare en fait celui de la gauche.
Enrico Berlinguer a marqué de son empreinte l’histoire nationale et européenne. Le 13 juin 1984, ses obsèques rassemblent près de 2 millions de personnes. Ses détracteurs n’ont toutefois pas manqué par la suite. Les conservateurs l’ont toujours rejeté. L’historienne Annie Kriegel considérait ainsi l’eurocommunisme en bloc comme une simple variante relookée du vieux « mouvement communiste international ».
À l’autre extrémité de l’éventail politique, le regard n’est pas plus indulgent. L’économiste trotskiste Ernest Mandel voyait dans l’époque Berlinguer une pure et simple « orientation néo-réformiste », dans la continuité de la rupture stalinienne des années 1920. L’historien britannique, Perry Anderson renvoyait de son côté l’époque Berlinguer aux « illusions de la social-démocratie de gauche ». Quant à Enzo Traverso, il n’hésita pas à parler de « communisme social-démocrate ».
Il est vrai que les héritiers officiels de Berlinguer ont tiré son message du côté d’une droitisation de la gauche. L’austérité a perdu chez eux les vertus subversives de la sobriété et la « troisième voie » a fini comme un mantra du blairisme. Mais la pensée de Berlinguer n’était pas plus leur prototype que le socialisme européen d’avant 1914 n’était voué au bellicisme de l’Union sacrée.
La fragilité du moment Berlinguer tenait à ce que l’engagement italien était trop isolé pour marquer en profondeur le champ du communisme. L’eurocommunisme reposait sur l’hypothèse d’une détente internationale et de rassemblements durables, compromis historique en Italie et union de la gauche en France. Or, à peine installé (1975-19778), l’eurocommunisme voulu par Berlinguer se heurte au retour de la « guerre fraîche » et à l’échec presque concomitant du compromis historique et de l’union de la gauche.
LE PCF s’adapta à la nouvelle donne en se repliant sur ses « fondamentaux », le PCI s’essaya à la « différence communiste ». Dans les deux cas, il était bien tard et le « communisme du 20ème siècle » – qui n’a jamais été qu' »un » communisme et pas « le » communisme – était moribond. Berlinguer ne pouvait à lui seul sauver l’homme malade.
Mais son message nous disait qu’il n’y a pas de rupture sociale et démocratique si, loin de s’atteler à une fraction du peuple, on ne s’attache pas à son rassemblement autour d’un projet d’émancipation. Il nous rappelait que la liberté et l’égalité ne valent que si on les pense ensemble, que la séparation du social et du politique ne les renforce pas mais les affaiblit, que la critique sociale est fragile si elle ne s’adosse pas à de l’alternative positive, que la colère sans l’espérance peut conduire au pire, que la mobilisation sociale n’est pas propulsive si elle ne rassure pas sur l’avenir possible, que la rupture ne peut advenir sans le temps long qui la construit, que le réalisme ne vaut que s’il se marie à l’utopie. Dans l’esprit d’Enrico Berlinguer, ce message était communiste. Mais dans l’époque que nous vivons, comment ne pas voir qu’il devrait résonner au-delà de l’espace communiste ?
Le communisme tel qu’en rêvait le dirigeant italien n’est plus. Mais la majorité de la gauche s’est engluée dans la fausse modernité libérale ou s’est laissé tenter par les mirages du populisme. Que ce serait-il passé si Berlinguer n’avait pas prématurément disparu ? Bien sûr, on ne le saura jamais, pas plus qu’on ne saura ce qu’il serait advenu du socialisme si Jaurès n’avait pas été assassiné en 1914, ou comment aurait évolué la Russie soviétique si Lénine ne s’était pas éteint en 1924.
On ne réécrira pas l’histoire et, a fortiori, on ne la rejouera pas. Mais si l’imitation et la répétition sont des pièges, la mémoire peut être féconde.
15.10.2025 à 13:15
Pablo Pillaud-Vivien
Après le discours de politique générale de Sébastien Lecornu et l’annonce de la non-censure par le PS, Rémi Lefebvre, politologue, professeur à l’université de Lille et à Sciences Po Lille, est l’invité de #LaMidinale.