16.05.2025 à 11:28
la Rédaction
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par Loïc Le Clerc
Le 7 avril 1803, Toussaint Louverture mourrait au Fort de Joux, dans le Doubs. Cela faisait sept mois que le héros de Saint-Domingue (l’actuelle Haïti) croupissait dans cette geôle de la République. Son tort ? Avoir mené la révolte des esclaves, avoir été tant révolutionnaire au point de faire des mots de liberté, égalité et fraternité des actes. Saint-Domingue n’abolissait pas seulement l’esclavage, elle s’affranchissait des Empires, notamment français, pour devenir la première République noire du monde. Toussaint Louverture avait porté la République mais il avait défié la France. La « perle des Antilles » finira par obtenir son indépendance, mais la sanction de la France sera immense : 200 ans plus tard, les Haïtiens payent encore ce lourd tribut, une dette colossale pour compenser le manque à gagner esclavagiste et colonialiste. Haïti est un enfer, gangrenée par la corruption, la violence et la misère.
La France n’apprend-elle rien de ses erreurs ? La question se pose à l’heure où la crise s’installe profondément en Nouvelle-Calédonie.
Voilà bientôt un an que Christian Tein, l’un des leaders du mouvement indépendantiste kanak, et six autres personnes sont enfermés à l’autre bout du monde, au centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach (Haut-Rhin). Ils sont traités comme de dangereux criminels insurrectionnels alors que tous les témoignages rendent compte de leur pacifisme et de leur ouverture au dialogue. Ils sont accusés par le gouvernement d’avoir fomenté les « émeutes » de mai 2024 – émeutes « gérées » par la France à grands renforts militaires, ayant causé la mort de onze Kanaks.
Les raisons de la colère commencent à s’accumuler à Nouméa. Il y a ces référendums sur l’indépendance dont le processus dure depuis 1988. Il y a cette idée des macronistes de réformer le code électoral, l’année dernière, pour donner plus de poids aux électeurs blancs – farouchement contre l’indépendance. Le camp dit loyaliste se radicalise, au point qu’aujourd’hui, la situation politique devient absurde : Manuel Valls, ministre des outre-mer, a désormais plus de facilité à discuter avec les indépendantistes, les loyalistes étant arc-boutés sur leur position de dominants. Emmanuel Macron leur vient en renfort : « La France serait moins grande et moins belle sans la Nouvelle-Calédonie. »
L’affaire est coloniale. La droite et l’extrême droite ne s’y trompent pas. Ils ne comptent pas perdre une nouvelle fois la guerre d’Algérie… Mais nous ne sommes plus au XXe siècle ! L’île est exsangue économiquement (et nécessite d’importants financements pour reconstruire), encore traumatisée par la violence de l’année 2024. Le gouvernement ne saurait ignorer un peuple qui demande le respect et le choix. Pour trouver le chemin de la démocratie, il faudra trouver autre chose que l’interdiction des manifestations et la suspension des réseaux sociaux. Si la démocratie c’est aussi permettre à chacun de se projeter dans l’avenir, il est décisif que les projets soient sur la table et que la définition du corps électoral soit consensuelle. La République française doit se réinventer, élargir ses conceptions qui ne tiennent pas compte de l’historie, des cultures, des réalités géographiques et politiques. Et même géostratégiques. Sinon, la crise perdurera ad nauseam.
En 1998, une inscription a été faite au Panthéon, en hommage à Toussaint Louverture. En faudra-t-il une pour les Kanaks, dans 200 ans ?
par Maxime Sirvins
Un an après les émeutes de mai 2024, la Nouvelle-Calédonie reste marquée par une répression exceptionnelle. Militarisation, arrestations massives et atteintes aux libertés ravivent les blessures du passé colonial jamais refermé.
Un article à lire juste ici
par Lucas Sarafian
Le ministre des Outre-mer se confronte au terrain et semble se saisir de ses dossiers. Mais il se heurte à la difficulté du dossier calédonien.
Un article à lire juste ici
Benoît Trépied, anthropologue, auteur de « Décoloniser la Kanaky-Nouvelle-Calédonie » aux éditions Anarchasis, est l’invitée de #LaMidinale.
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16.05.2025 à 11:26
Lucas Sarafian
Le ministre des Outre-mer se confronte au terrain et semble se saisir de ses dossiers. Mais il se heurte à la difficulté du dossier calédonien.
Son come-back a fait grincer des dents. « Un gouvernement avec Valls, Retailleau, Darmanin et Borne… Personne à gauche ne peut soutenir ce gouvernement, lâchait le député Génération.s et porte-parole du groupe Écologiste et social, Benjamin Lucas, quelques jours après l’annonce du gouvernement de François Bayrou à la fin du mois de décembre dernier. En France, il y a une volonté de tourner la page du macronisme. La récidive en matière pénale est un facteur aggravant, c’est pareil en politique. Avec Bayrou, Borne, Valls… Le gouvernement voudrait être censuré qu’il ne s’y prendrait pas autrement. » Pas de chance : le gouvernement n’est jamais tombé. Et cinq mois plus tard, Manuel Valls, choisi expressément par François Bayrou qui rêvait de «poids lourds » dans son gouvernement, est toujours dans l’exécutif, ministre d’État et numéro trois d’un gouvernement à l’assise parlementaire plus que fragile.
« Personne n’attendait Manuel Valls à ce poste. Sa nomination nous a beaucoup surpris, mais pas dans le bon sens, estimait le président de la délégation des Outre-mer à l’Assemblée, Davy Rimane, à Politis en janvier. La première chose qu’il met en avant lorsqu’il prend la parole, c’est son statut d’ancien Premier ministre et ministre d’État. Il veut faire comprendre que s’il est là, c’est en raison de son passé. Mais cette posture qui consiste à s’appuyer sur son parcours antérieur sans exposer de projet concret pour les Outre-mer interroge. Nous attendons des actes, pas des titres. » La nomination de cet ancien Premier ministre se résume-t-elle à une affaire de symbole ?
Quelques semaines plus tard, le ministre s’installe. Et la gauche s’apaise. Son refus d’appeler au « front républicain » aux législatives de 2024 semble loin. Manuel Valls se montre ouvert au dialogue. « Il est plutôt bon, consensuel. Difficile de trouver des angles d’attaque », concède un sénateur communiste. « Même s’il y a de la méfiance, mon impression est plutôt bonne, il a l’intelligence de traiter les socialistes », admet un cadre du Parti socialiste (PS). Les roses auraient donc vite oublié la trahison en 2017 de l’ancien maire d’Evry. À l’époque, Manuel Valls avait promis qu’il suivrait le vainqueur de la primaire de son parti. Il avait fini par appeler à voter pour Emmanuel Macron, dès le premier tour de la présidentielle.
Au sein des délégations sur l’outre-mer à l’Assemblée et au Sénat, on félicite le nouveau locataire de la rue Oudinot d’avoir, a minima, refusé la coupe budgétaire de la « mission outre-mer » à hauteur de 500 millions d’euros prévus initialement dans la mouture du projet de loi de finances de Michel Barnier. Après d’importantes manifestations contre la vie chère en Martinique et dans un contexte de crise en Nouvelle-Calédonie, le nouveau ministre tente d’éviter d’aggraver les dégâts. « On s’est plutôt habitué à ne pas attendre grand-chose des ministres qui se succèdent aux Outre-mer, déplore le député de la Réunion Frédéric Maillot, siégeant au sein du groupe de Gauche démocrate et républicaine (GDR). Valls a été Premier ministre, il donne l’impression d’avoir pris certains sujets très importants à bras-le-corps. Mais on attend surtout des actes et des réponses. »
L’ancien socialiste était clivant : il est devenu sobre, quasi absent des plateaux télé, se refusant à tout commentaire de la vie politique. Dans l’hémicycle, il se montre moins sanguin. Une grande mue politique ? Manuel Valls reste simplement dans son périmètre ministériel. À l’exception, peut-être, du 26 mars dernier. Le ministre est invité par l’association Agir ensemble, émanation du lobby Elnet, l’un des porte-voix les plus influents du gouvernement israélien en France.
Sur la scène du Dôme de Paris, il prend la parole après l’ex-ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer, l’avocat très droitier Thibault de Montbrial, l’islamologue contestée Florence Bergeaud-Blackler et le patron de la place Beauvau, Bruno Retailleau. Se plaçant en combattant de l’islamisme et de l’antisémitisme, il fustige les « complices à l’extrême gauche, ceux qui ont fait de l’antisionisme et de la haine d’Israël leur fonds de commerce politique et électoral ». Sa cible : La France insoumise (LFI). Difficile de rompre totalement avec son identité politique. Le théoricien des « gauches irréconciliables », l’homme qui croyait surtout dans le combat identitaire et culturel, a toujours en tête ses vieilles obsessions.
Retour à son action ministérielle. Après le passage du cyclone Chido, il fait adopter une loi d’urgence pour la reconstruction de Mayotte. Il porte aujourd’hui une nouvelle loi de programmation pour la refondation du département : 3,2 milliards d’euros, échelonnés sur six ans, sont sur la table. Le texte comporte notamment un chapitre consacré à l’immigration : il prévoit d’allonger le délai de résidence de trois à cinq ans pour obtenir la carte « parent d’enfants français », de conditionner la délivrance d’une carte de séjour « liens personnels et familiaux » après une résidence à Mayotte de sept ans, et la possibilité du retrait de titre de séjour à un parent dont l’enfant serait une « menace pour l’ordre public ».
Depuis fin février, le ministre s’emploie dans la reprise du dialogue entre indépendantistes et loyalistes en Nouvelle-Calédonie. Certains louent son expérience auprès de Michel Rocard, qui a conclu en 1998 les accords de Matignon, et de Lionel Jospin, qui s’est aussi occupé du dossier. Il a même réussi à ramener l’Union calédonienne, la composante majeure du FLNKS, à la table des négociations. Mais l’arrêt des discussions, le 8 mai, a mis un frein à l’action du locataire de la rue Oudinot. Son projet d’accord a provoqué l’ire des loyalistes qui soupçonnent le ministre de vouloir installer une relation d’« indépendance-association ». L’ex-ministre Sonia Backès et le député Ensemble pour la République (EPR), Nicolas Metzdorf, demandent aujourd’hui sa démission. Son capital politique est affaibli.
« Malgré tout, il a restauré un dialogue respectueux du rythme calédonien, tempère le député Liot de Guadeloupe Olivier Serva. Valls a hérité d’une situation très dégradée et il n’a pas ménagé ses efforts. » Le député socialiste de La Réunion Philippe Naillet est plus catégorique : « On sait que le dossier n’est pas simple. Mais on n’a pas avancé, on est en situation de blocage. » Sur cette question épineuse, il doit également faire entendre sa ligne à côté d’Emmanuel Macron, rangé du côté loyaliste et tenant au respect du résultat des trois derniers référendums de 2018, 2020 et 2021.
« La position n’est pas stabilisée, pas unanime, au sein de l’exécutif. Emmanuel Macron a toujours démontré sa volonté de maintenir la Nouvelle-Calédonie en France », observe un député. Mais le ministre y croit. « Je ne lâcherai pas l’idée que l’on peut trouver les voies d’une conciliation », affirme-t-il sur Franceinter ce 16 mai.
Manuel Valls n’a pas non plus perdu ses habitudes : c’est un ministre qui aime se frotter au terrain. Quelques jours après le passage du cyclone Garance, il se rend à La Réunion pour annoncer, le 7 mars, la mobilisation d’un fonds représentant de 200 millions d’euros. « Pour l’instant, nous n’avons rien vu, accuse le socialiste, Philippe Naillet. Chez Valls, il y a de l’énergie, il y a incontestablement de l’expérience et il y a de la communication. Mais aujourd’hui, il n’y a pas de résultat. »
En mars, Valls se rend aussi en Martinique pour promettre un « plan de bataille complet et structurel » contre la vie chère avant l’été. « Il veut avoir sa loi à lui, commente Frédéric Maillot. Le ministère des Outre-mer est-il aussi un tremplin pour la suite ? Il a fait des pieds et des mains pour revenir en politique. Est-ce qu’il a vraiment envie de régler les problèmes des Outre-mer ? En quoi ce ministère va lui servir ? » Manuel Valls n’a peut-être pas dit son dernier mot.
16.05.2025 à 11:26
Pablo Pillaud-Vivien
Benoît Trépied, anthropologue, auteur de « Décoloniser la Kanaky-Nouvelle-Calédonie » aux éditions Anarchasis, est l’invitée de #LaMidinale.
16.05.2025 à 11:15
Maxime Sirvins
Un an après les émeutes de mai 2024, la Nouvelle-Calédonie reste marquée par une répression exceptionnelle. Militarisation, arrestations massives et atteintes aux libertés ravivent les blessures du passé colonial jamais refermé.
Le long de la route provinciale n° 1, entre Nouméa et le sud de l’île, la circulation est complètement réouverte depuis février 2025. Pendant sept mois, des blocs de bétons, des blindés de la gendarmerie mobile, plusieurs véhicules tout-terrain et camions, barrent l’accès à la tribu de Saint-Louis. Lors des révoltes de mai 2024, cette portion stratégique reliant Nouméa au sud de la Grande Terre est devenue un point de cristallisation des tensions. Saint-Louis, bastion indépendantiste kanak, est le théâtre de violents affrontements entre indépendantistes et forces de l’ordre.
Une route coupée, une population isolée
Mai 2024. Dès les premiers jours des émeutes, cette route, parmi de nombreuses autres, est coupée par des barrages de fortune. Des pneus enflammés, des carcasses de voitures, parfois même des engins de chantier, empêchent toute circulation. Les forces de l’ordre réagissent rapidement : les blindés sont déployés et des postes fixes sont installés à l’entrée de la tribu. Les habitants des quartiers voisins voient leur quotidien bouleversé.
Au début de ce qu’on appelle le « verrou de Saint-Louis », la circulation est totalement coupée, piégeant pas moins de 15 000 habitants. Des navettes maritimes sont mises en place par la province pour relier Nouméa au sud de l’île, seul moyen pour de nombreuses familles de se déplacer. Pendant plusieurs mois, cette route est fermée ou réduite à une circulation sous escorte, à horaires fixes, parfois annulée à la dernière minute, laissant les habitants vivre dans une atmosphère de siège.
Une mobilisation sécuritaire inédite
Face à la vague de colère, l’État français a mobilisé près de 3 000 forces de l’ordre. Outre les gendarmes mobiles, CRS et policiers nationaux, des unités d’élite comme le GIGN et le RAID ont été envoyées sur place. « Au plus fort de la crise, 35 escadrons de gendarmerie mobile étaient présents en Nouvelle-Calédonie, contre quatre à cinq escadrons habituellement », explique la gendarmerie. Un lance-grenades multicoups, dont l’arrivée en toute discrétion a été révélée par Politis, symbolise cette évolution. L’état d’urgence a été instauré dès le 15 mai, avec couvre-feux, interdiction de TikTok, perquisitions administratives et contrôles systématiques.
Pour Mathieu Rigouste, spécialiste de la dimension coloniale du maintien de l’ordre, « les militaires, gendarmes et policiers, les armes, les véhicules et les technologies, les savoir-faire, les discours et les imaginaires employés pour « pacifier » le soulèvement kanak de 2024, constituent une malle à outils pour la gestion du maintien de l’ordre dans les autres périphéries coloniales, mais aussi dans les quartiers populaires et les prisons de la métropole ».
L’auteur de « La guerre globale contre les peuples » aux (La Fabrique, 2025) explique que cette mobilisation massive de moyens est aussi une « vitrine sur le marché global de la guerre et du contrôle ». Tous les équipements et les armes « sont des marchandises qui s’exportent mieux après avoir été fournies à son propre État puis validées sur le terrain ». Pendant ce temps, les affrontements causent la mort de 14 personnes, dont deux gendarmes. Plusieurs victimes sont tombées dans des échanges de tirs face aux forces de l’ordre, dont trois à Saint-Louis.
Arrestations massives et détentions prolongées
Selon les chiffres officiels, plus de 3 700 interpellations ont été recensées entre mai 2024 et décembre 2024. L’Observatoire international des prisons, OIP, a dressé le bilan judiciaire fin avril 2025 : 502 défèrements, 650 convocations différées devant la justice, 243 incarcérations, 520 mesures alternatives et 600 classements sans suite. Plusieurs figures du mouvement indépendantiste sont arrêtées, dont Christian Tein, porte-parole de la CCAT (Cellule de coordination des actions de terrain). « Il me semble que Christian Tein est un prisonnier de guerre coloniale », estime Mathieu Rigouste.
Il est incarcéré sur l’Hexagone, au centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach (Haut-Rhin) depuis juin 2024, tout comme plusieurs de ses proches, accusés d’avoir organisé ou soutenu les émeutes. Pour le sociologue, il s’agit d’une « déportation politique » qui « résonne avec les déportations au bagne en Kanaky des insurgés algériens et martiniquais aux côtés des communard·es en 1870-1871 ». Le mardi 8 avril 2025, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de Christian Tein qui contestait son placement en détention provisoire en métropole.
Un passé colonial qui ne passe pas
Pour Mathieu Rigouste, « la répression militarisée de 2024 en Kanaky résonne avec celles des années 1980 et plus largement avec l’histoire globale de la domination coloniale. » Depuis 1853, l’histoire de la Nouvelle-Calédonie est jalonnée de violences. Aujourd’hui, « tout le continuum de guerre et de contrôle (institutions militaires, policières, judiciaires, carcérales, de surveillance et de frontières) se transforme en puisant des dispositifs dans les répertoires coloniaux et en les réagençant », explique le sociologue. De la révolte kanake de 1917, avec des centaines de morts, à la crise des années 1980, le recours à la force par l’État français est récurrent face aux aspirations à l’autodétermination.
La quasi guerre civile de 1984 à 1988, que l’on a surnommé “Les Événements”, a vu l’affrontement entre les militants du Front de libération nationale kanak et socialiste, FLNKS, qui avaient proclamé un gouvernement provisoire de Kanaky, et les partisans du maintien dans la République française. Cette période a été marquée par des affrontements violents, une prise d’otages, et l’intervention militaire de l’État. Le bilan est de plus de 90 morts. La révolte s’est conclue par les accords de Matignon en 1988 qui prévoit un nouveau statut transitoire en attendant un référendum sur l’indépendance.
Des tensions toujours vives
Depuis les émeutes de mai 2024, dix-sept arrêtés successifs ont été pris pour interdire les rassemblements. Selon un communiqué de la LDH, « en plus d’une atteinte grave à un principe constitutionnel, ce sont les conséquences durablement délétères d’une telle politique, liberticide, que la LDH entend dénoncer ». Un an après les révoltes, aucun accord politique n’a été conclu suite à la visite du ministre des Outre-mer, Manuel Valls. Pour autant, la surenchère sécuritaire continue : , plus de 2 600 forces de l’ordre ont été déployées, avec l’appui de 23 blindés, dont 16 Centaure avec une attention particulière sur le secteur de Saint-Louis. Alors que la Nouvelle-Calédonie figure toujours sur la liste de l’ONU des territoires dits « non autonomes » à décoloniser, le spectre des violences de mai 2024 continue de planer, laissant derrière lui un territoire fracturé et endeuillé.
16.05.2025 à 11:10
Loïc Le Clerc
Un an après les révoltes en Nouvelle Calédonie, la crise s’installe. En jeu : la capacité à sortir d’un rapport colonial, ici comme ailleurs. L’histoire nous enseigne les conséquences d’un entêtement buté et absurde.
Le 7 avril 1803, Toussaint Louverture mourrait au Fort de Joux, dans le Doubs. Cela faisait sept mois que le héros de Saint-Domingue (l’actuelle Haïti) croupissait dans cette geôle de la République. Son tort ? Avoir mené la révolte des esclaves, avoir été tant révolutionnaire au point de faire des mots de liberté, égalité et fraternité des actes. Saint-Domingue n’abolissait pas seulement l’esclavage, elle s’affranchissait des Empires, notamment français, pour devenir la première République noire du monde. Toussaint Louverture avait porté la République mais il avait défié la France. La « perle des Antilles » finira par obtenir son indépendance, mais la sanction de la France sera immense : 200 ans plus tard, les Haïtiens payent encore ce lourd tribut, une dette colossale pour compenser le manque à gagner esclavagiste et colonialiste. Haïti est un enfer, gangrenée par la corruption, la violence et la misère.
La France n’apprend-elle rien de ses erreurs ? La question se pose à l’heure où la crise s’installe profondément en Nouvelle-Calédonie.
Voilà bientôt un an que Christian Tein, l’un des leaders du mouvement indépendantiste kanak, et six autres personnes sont enfermés à l’autre bout du monde, au centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach (Haut-Rhin). Ils sont traités comme de dangereux criminels insurrectionnels alors que tous les témoignages rendent compte de leur pacifisme et de leur ouverture au dialogue. Ils sont accusés par le gouvernement d’avoir fomenté les « émeutes » de mai 2024 – émeutes « gérées » par la France à grands renforts militaires, ayant causé la mort de onze Kanaks.
Les raisons de la colère commencent à s’accumuler à Nouméa. Il y a ces référendums sur l’indépendance dont le processus dure depuis 1988. Il y a cette idée des macronistes de réformer le code électoral, l’année dernière, pour donner plus de poids aux électeurs blancs – farouchement contre l’indépendance. Le camp dit loyaliste se radicalise, au point qu’aujourd’hui, la situation politique devient absurde : Manuel Valls, ministre des outre-mer, a désormais plus de facilité à discuter avec les indépendantistes, les loyalistes étant arc-boutés sur leur position de dominants. Emmanuel Macron leur vient en renfort : « La France serait moins grande et moins belle sans la Nouvelle-Calédonie. »
L’affaire est coloniale. La droite et l’extrême droite ne s’y trompent pas. Ils ne comptent pas perdre une nouvelle fois la guerre d’Algérie… Mais nous ne sommes plus au XXe siècle ! L’île est exsangue économiquement (et nécessite d’importants financements pour reconstruire), encore traumatisée par la violence de l’année 2024. Le gouvernement ne saurait ignorer un peuple qui demande le respect et le choix. Pour trouver le chemin de la démocratie, il faudra trouver autre chose que l’interdiction des manifestations et la suspension des réseaux sociaux. Si la démocratie c’est aussi permettre à chacun de se projeter dans l’avenir, il est décisif que les projets soient sur la table et que la définition du corps électoral soit consensuelle. La République française doit se réinventer, élargir ses conceptions qui ne tiennent pas compte de l’historie, des cultures, des réalités géographiques et politiques. Et même géostratégiques. Sinon, la crise perdurera ad nauseam.
En 1998, une inscription a été faite au Panthéon, en hommage à Toussaint Louverture. En faudra-t-il une pour les Kanaks, dans 200 ans ?
15.05.2025 à 13:04
Pablo Pillaud-Vivien
Qu’une telle affaire ne pousse pas un premier ministre à la démission en dit long sur l’impasse de la Macronie.
Embrouillaminis, confusion et joute politique : pendant près de 5h30, François Bayrou a tenté de répondre aux questions incisives des députés réunis en commission d’enquête pour comprendre son rôle dans l’affaire Bétharram. Celui qui était sur le grill, c’était le premier ministre, l’ancien élu local, l’ancien président du conseil général, l’ancien ministre de l’éducation nationale. Ça, c’était ce que les deux co-rapporteurs, la macroniste Violette Spillebout et l’insoumis Paul Vannier, ainsi que la présidente socialiste Fatiha Keloua-Hachi, ont essayé de travailler. Mais François Bayrou a préféré répondre en tant que père de famille d’une autre époque, éludant ses responsabilités politiques. Cette stratégie creuse un fossé d’incompréhension dans lequel s’enlise le résidant de Matignon.
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« Des méthodes un peu rudes » : voilà comment François Bayrou continue de qualifier les conditions « d’éducation » de l’établissement Bétharram, sous le prétexte que l’on était « en 1996 » et que l’époque n’était pas la même. Mais c’était déjà inacceptable… et identifié, par les parents qui y plaçaient leurs enfants pour ces méthodes d’un autre âge. L’incapacité du premier ministre à prendre de la hauteur pour expliquer son inaction face à ces exactions confine à la faute politique grave. C’est précisément ce que l’on attendait de lui hier : comprendre, expliquer pourquoi, durant ces longues années, il n’a rien vu, rien dit. La généralisation des responsabilités – « Nous sommes tous coupables » – ne permet pas de tracer une direction politique au confusément élaboré.
François Bayrou premier ministre est le fruit de circonstances qui rendent le pouvoir exécutif tellement faible que même l’absence de sincérité ou de compréhension de la société ne semble pas une raison suffisante pour coaliser assez de forces et le démettre.
Le rôle de François Bayrou dans les horreurs révélées sur Bétharram n’est pas en tant qu’acteur des exactions. Évidemment. Il n’était pas entendu non plus là en tant que père de famille. C’est au titre de ses fonctions politiques passées et de son devoir de vérité devant les députés que le chef du gouvernement est interrogé. Sur ce dernier point, il est établi clairement qu’il a baratiné en prétendant dans l’hémicycle n’avoir rien su et reconnaitre aujourd’hui ne savoir que ce que la presse avait rendu public. Ses attaques à l’encontre de la professeure de mathématique qui a donné l’alerte ont provoqué un réel malaise : elles peuvent être qualifiées d’odieuses et d’hors de propos. Jamais son discours n’est revenu de façon étayée sur le système et sur les victimes. Des enfants et des adultes ont parlé, ont porté plainte mais n’ont pas été entendus ; ils entendent que cela change et que leur place, la première, revienne dans les réflexions. Déconstruire le système de violences des établissements catholiques est une nécessité à laquelle François Bayrou se dérobe.
Pourtant, le premier ministre ne court pas le risque imminent de se voir démissionné. Paradoxalement, la force de sa position institutionnelle actuelle réside dans sa faiblesse politique. La coalition à la tête de laquelle il a été placé ne sera pas remise en question par son audition malaisante. D’abord parce qu’aux yeux d’Emmanuel Macron, il n’y a pas d’alternative. Le président a rappelé, la veille sur TF1, sa confiance en François Bayrou qu’il « connaît depuis longtemps ». Un soutien d’« homme à homme ». En vérité, ce n’est pas la dextérité politique ou la justesse de son récit qui ont permis à François Bayrou de devenir premier ministre. Il est le fruit de circonstances qui rendent le pouvoir exécutif tellement faible que même l’absence de sincérité ou de compréhension de la société ne semble pas une raison suffisante pour coaliser assez de forces et le démettre. François Bayrou sur Bétharram est la preuve de la profondeur de l’impasse politique dans laquelle nous sommes enlisés. Devient d’une gravité extrême quand elle touche la morale et affecte la probité.