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20.05.2025 à 12:01

LA LETTRE DU 20 MAI

la Rédaction

Gaza : à quand une grande mobilisation en France ?
Texte intégral (1683 mots)

Gaza : à quand une grande mobilisation en France ?

par Catherine Tricot

Au sommet des États et dans les rues, le monde sort peu à peu du silence face au martyr des Palestiniens. Mais en France, la gauche peine à organiser un rassemblement.

Face à la famine qui gagne, à l’intensification des bombardements et aux morts palestiniens toujours plus nombreux , les réactions internationales commencent à se faire entendre. Parmi les plus actifs, on trouve le gouvernement irlandais, qui s’était associé à la plainte déposée par l’Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice, accusant l’Etat hébreu de « génocide » à Gaza.

Pedro Sanchez, le chef du gouvernement espagnol affirmait ce week-end dans une allocution au sommet de la Ligue arabe qu’il faut « intensifier notre pression sur Israël pour arrêter le massacre à Gaza, notamment par les voies que nous offre le droit international ». Il précisait que l’Espagne allait présenter un projet de résolution à l’ONU pour que la Cour Internationale de Justice « se prononce sur le respect par Israël de ses obligations internationales » et une autre pour qu’Israël mette « fin au blocus humanitaire imposé à Gaza » et garantisse « un accès complet et sans restrictions à l’aide humanitaire » dans le territoire palestinien.

Les premiers ministres anglais et canadien ainsi que le président français prévenaient hier qu’ils ne resteraient pas « les bras croisés face aux actions scandaleuses ». Avec 19 autres chefs d’État et de gouvernement, ils exigent une « reprise complète de l’aide de Gaza, immédiatement ». Benyamin Netanyahou leur a répondu ce lundi même : « Nous prendrons le contrôle de tout le territoire de Gaza » et, dans un cynisme atroce, il a affirmé qu’il ne fallait pas laisser mourir de faim les Gazaouis pour « des raisons pratiques et pour des raisons diplomatiques ».

Les opinions publiques aussi se font entendre. Ce week-end, ils étaient des centaines de millier dans les rues de Londres ; 100 000 manifestants vêtus de rouge à La Haye, aux Pays-Bas pour appeler le gouvernement néerlandais à condamner Israël. Le week-end précédent, 50 000 personnes défilaient dans les rues de Madrid, comme dans une centaine d’autres villes d’Espagne. Les manifestants scandaient : « Ce n’est pas la guerre, c’est un génocide ! », « Boycottez Israël ! ». Il y a un mois, ils étaient 15 000 à Milan. En mars, Lisbonne connaissait des manifestations massives. Dans le monde arabe aussi, les opinions publiques pèsent sur les dirigeants. On se souvient que le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane confiait à des législateurs américains au sujet de l’accord de normalisation avec Israël : « Si je signe, mon peuple me tue ».

Et en France ?

Ça bouge un peu sur le plan diplomatique. Emmanuel Macron a redit en avril que l’hypothèse de la reconnaissance d’un État palestinien par la France est sur la table. Décidée par l’Assemblée générale des Nations unies, Emmanuel Macron co-présidera en juin, à New York, avec l’Arabie saoudite, une « conférence internationale de haut niveau pour le règlement pacifique de la question de la Palestine et la mise en œuvre de la solution des deux États ». 

Et dans la rue ? Tous les samedis à Paris et dans quelques villes se tiennent des rassemblements de soutien, souvent trop clairsemés. Le collectif Urgence Palestine, constitué il y a moins d’un an, a rassemblé les plus militants sans parvenir à élargir au-delà. L’insuffisance de la mobilisation est comme un paradoxe dans ce pays historiquement favorable à la cause palestinienne.

De fait, seuls 17% des Français – selon le dernier sondage de juin 2024 – s’opposent à la création d’un État palestinien. Malgré l’écœurement face au génocide en cours bien au-delà des cercles militants, aucune grande manifestation à l’horizon. Les logiques répressives, comme les interdictions de manifestations, de conférences ou la dissolution demandée par Retailleau d’Urgence Palestine pèsent sur les mobilisations. Mais, au-delà, il y a bien une question spécifique à la France. Dans un paysage où les associations de solidarité avec la Palestine sont faibles, c’est traditionnellement la gauche politique – le PCF, les Verts, LFI – qui conduit les mobilisations. La fracturation de la gauche, là aussi, produit ses effets. 

La France insoumise s’est mise aux avant-postes du combat dans une gestion cohérente avec sa stratégie de différenciation par rapport au reste de la gauche. Son choix de propulser Rima Hassan comme figure politique en est l’expression et a produit ses effets. La juriste franco-palestinienne s’interroge, comme beaucoup d‘intellectuels, sur la solution à deux États. Elle s’est fait connaitre en défendant la solution d’un état binational : « From the river to the sea ». Une proposition souvent avancée au sein de la gauche, israélienne, palestinienne et internationale qui est loin de faire consensus. Le passage d’intellectuelle à porte-parole puis figure de proue de la campagne des européennes a produit un brouillage, un clivage politique là où la gauche était rassemblée sur la revendication de deux États et d’une reconnaissance par la France de la Palestine. Aucune manifestation unitaire n’a dès lors été possible. Le poison d’une assimilation du soutien aux palestiniens à un combat d’antisémites a fini de démobiliser. 

Est-ce que cela excuse les autres forces de la gauche ? En aucune façon. Si la cause palestinienne est devenue un identifiant LFI, c’est aussi parce que le reste de la gauche – de toute la gauche – n’a pris aucune initiative de masse.

Il faut maintenant tourner la page de cette division. Et appeler à manifester contre le génocide, pour la solution à deux États, pour l’aide humanitaire, maintenant… Une telle initiative, en coordination avec les autres mouvements européens, serait une idée formidable. Et vite, s’il vous plaît.

Catherine Tricot

PLAIDOYER DU JOUR

« Pour défendre la retraite par répartition »

L’économiste atterré Henri Sterdyniak développe un argumentaire rigoureux à partir d’une question de société très politique : est-il réaliste et légitime que les salariés retraités aient un niveau de vie équivalent à celui des salariés actifs ? Le système français de retraite repose sur trois piliers : garantir aux salariés à la retraite un niveau de vie équivalent à celui des salariés actifs ; le faire sans recours aux marchés financiers et à partir d’un âge satisfaisant. Ces trois ambitions sont dénigrées et minées par les réformes en cours et par de nouvelles attaques. Elles sont, au contraire, toujours légitimes et réalistes, affirme Henri Sterdyniak. Son argumentaire en huit pages, dense et précis, réclame de l’attention. Il pose les enjeux réels de la justice entre générations. Il explique la nocivité de l’introduction de la capitalisation et celle de la désindexation des retraites. Il montre que les retraités ne sont pas particulièrement favorisés en matière de niches et de dépenses fiscales par rapport aux personnes d’âge actif et surtout par rapport aux revenus du capital. Revenus qui, il est vrai, concernent particulièrement des plus de 65 ans.

B.M.

ON VOUS RECOMMANDE…


L’enquête sur les médias Bolloré : « MÉDIAS DE LA HAINE : objectif, guerre civile ? » Créé en 2021, le site Off Investigation propose en accès libre de solides enquêtes conduites par Jean-Baptiste Rivoire, l’ex-rédacteur en chef adjoint de l’émission « Spécial investigation » sur Canal +. Les liens entre milliardaires et pouvoir sont particulièrement auscultés.

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20.05.2025 à 12:01

Gaza : à quand une grande mobilisation en France ?

Catherine Tricot

Au sommet des États et dans les rues, le monde sort peu à peu du silence face au martyr des Palestiniens. Mais en France, la gauche peine à organiser un rassemblement.
Texte intégral (1168 mots)

Au sommet des États et dans les rues, le monde sort peu à peu du silence face au martyr des Palestiniens. Mais en France, la gauche peine à organiser un rassemblement.

Face à la famine qui gagne, à l’intensification des bombardements et aux morts palestiniens toujours plus nombreux , les réactions internationales commencent à se faire entendre. Parmi les plus actifs, on trouve le gouvernement irlandais, qui s’était associé à la plainte déposée par l’Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice, accusant l’Etat hébreu de « génocide » à Gaza.


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Pedro Sanchez, le chef du gouvernement espagnol affirmait ce week-end dans une allocution au sommet de la Ligue arabe qu’il faut « intensifier notre pression sur Israël pour arrêter le massacre à Gaza, notamment par les voies que nous offre le droit international ». Il précisait que l’Espagne allait présenter un projet de résolution à l’ONU pour que la Cour Internationale de Justice « se prononce sur le respect par Israël de ses obligations internationales » et une autre pour qu’Israël mette « fin au blocus humanitaire imposé à Gaza » et garantisse « un accès complet et sans restrictions à l’aide humanitaire » dans le territoire palestinien.

Les premiers ministres anglais et canadien ainsi que le président français prévenaient hier qu’ils ne resteraient pas « les bras croisés face aux actions scandaleuses ». Avec 19 autres chefs d’État et de gouvernement, ils exigent une « reprise complète de l’aide de Gaza, immédiatement ». Benyamin Netanyahou leur a répondu ce lundi même : « Nous prendrons le contrôle de tout le territoire de Gaza » et, dans un cynisme atroce, il a affirmé qu’il ne fallait pas laisser mourir de faim les Gazaouis pour « des raisons pratiques et pour des raisons diplomatiques ».

Les opinions publiques aussi se font entendre. Ce week-end, ils étaient des centaines de millier dans les rues de Londres ; 100 000 manifestants vêtus de rouge à La Haye, aux Pays-Bas pour appeler le gouvernement néerlandais à condamner Israël. Le week-end précédent, 50 000 personnes défilaient dans les rues de Madrid, comme dans une centaine d’autres villes d’Espagne. Les manifestants scandaient : « Ce n’est pas la guerre, c’est un génocide ! », « Boycottez Israël ! ». Il y a un mois, ils étaient 15 000 à Milan. En mars, Lisbonne connaissait des manifestations massives. Dans le monde arabe aussi, les opinions publiques pèsent sur les dirigeants. On se souvient que le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane confiait à des législateurs américains au sujet de l’accord de normalisation avec Israël : « Si je signe, mon peuple me tue ».

Et en France ?

Ça bouge un peu sur le plan diplomatique. Emmanuel Macron a redit en avril que l’hypothèse de la reconnaissance d’un État palestinien par la France est sur la table. Décidée par l’Assemblée générale des Nations unies, Emmanuel Macron co-présidera en juin, à New York, avec l’Arabie saoudite, une « conférence internationale de haut niveau pour le règlement pacifique de la question de la Palestine et la mise en œuvre de la solution des deux États ». 

Et dans la rue ? Tous les samedis à Paris et dans quelques villes se tiennent des rassemblements de soutien, souvent trop clairsemés. Le collectif Urgence Palestine, constitué il y a moins d’un an, a rassemblé les plus militants sans parvenir à élargir au-delà. L’insuffisance de la mobilisation est comme un paradoxe dans ce pays historiquement favorable à la cause palestinienne.

Si la cause palestinienne est devenue un identifiant LFI, c’est aussi parce que le reste de la gauche – de toute la gauche – n’a pris aucune initiative de masse.

De fait, seuls 17% des Français – selon le dernier sondage de juin 2024 – s’opposent à la création d’un État palestinien. Malgré l’écœurement face au génocide en cours bien au-delà des cercles militants, aucune grande manifestation à l’horizon. Les logiques répressives, comme les interdictions de manifestations, de conférences ou la dissolution demandée par Retailleau d’Urgence Palestine pèsent sur les mobilisations. Mais, au-delà, il y a bien une question spécifique à la France. Dans un paysage où les associations de solidarité avec la Palestine sont faibles, c’est traditionnellement la gauche politique – le PCF, les Verts, LFI – qui conduit les mobilisations. La fracturation de la gauche, là aussi, produit ses effets. 

La France insoumise s’est mise aux avant-postes du combat dans une gestion cohérente avec sa stratégie de différenciation par rapport au reste de la gauche. Son choix de propulser Rima Hassan comme figure politique en est l’expression et a produit ses effets. La juriste franco-palestinienne s’interroge, comme beaucoup d‘intellectuels, sur la solution à deux États. Elle s’est fait connaitre en défendant la solution d’un état binational : « From the river to the sea ». Une proposition souvent avancée au sein de la gauche, israélienne, palestinienne et internationale qui est loin de faire consensus. Le passage d’intellectuelle à porte-parole puis figure de proue de la campagne des européennes a produit un brouillage, un clivage politique là où la gauche était rassemblée sur la revendication de deux États et d’une reconnaissance par la France de la Palestine. Aucune manifestation unitaire n’a dès lors été possible. Le poison d’une assimilation du soutien aux palestiniens à un combat d’antisémites a fini de démobiliser. 

Est-ce que cela excuse les autres forces de la gauche ? En aucune façon. Si la cause palestinienne est devenue un identifiant LFI, c’est aussi parce que le reste de la gauche – de toute la gauche – n’a pris aucune initiative de masse.

Il faut maintenant tourner la page de cette division. Et appeler à manifester contre le génocide, pour la solution à deux États, pour l’aide humanitaire, maintenant… Une telle initiative, en coordination avec les autres mouvements européens, serait une idée formidable. Et vite, s’il vous plaît.

20.05.2025 à 11:59

PLAIDOYER DU JOUR

la Rédaction

« Pour défendre la retraite par répartition » Henri Sterdyniak développe un argumentaire rigoureux à partir d’une question de société très politique : est-il réaliste et légitime que les salariés retraités aient un niveau de vie équivalent à celui des salariés actifs ? Le système français de retraite repose sur trois piliers : garantir aux salariés à la retraite un niveau…
Lire + (245 mots)

« Pour défendre la retraite par répartition »

Henri Sterdyniak développe un argumentaire rigoureux à partir d’une question de société très politique : est-il réaliste et légitime que les salariés retraités aient un niveau de vie équivalent à celui des salariés actifs ? Le système français de retraite repose sur trois piliers : garantir aux salariés à la retraite un niveau de vie équivalent à celui des salariés actifs ; le faire sans recours aux marchés financiers et à partir d’un âge satisfaisant. Ces trois ambitions sont dénigrées et minées par les réformes en cours et par de nouvelles attaques. Elles sont, au contraire, toujours légitimes et réalistes, affirme l’économiste atterré. Il pose les enjeux réels de la justice entre générations. Il explique la nocivité de l’introduction de la capitalisation et celle de la désindexation des retraites. Il montre que les retraités ne sont pas particulièrement favorisés en matière de niches et de dépenses fiscales par rapport aux personnes d’âge actif et surtout par rapport aux revenus du capital. Revenus qui, il est vrai, concernent particulièrement des plus de 65 ans.

19.05.2025 à 12:52

Festival de Cannes : art politique et langage vivant

Pablo Pillaud-Vivien

Le cinéma est un creuset des bouillonnements du monde, à la fois dedans et mis à distance. En 2025, il est toujours aussi nécessaire.
Texte intégral (950 mots)

Le cinéma est un creuset des bouillonnements du monde, à la fois dedans et mis à distance. En 2025, il est toujours aussi nécessaire.

Le cinéma est un art qui résonne mondialement ; ses protagonistes ont une idée de leur impact et parfois s’en servent. On se souvient bien sûr que ce sont les actrices américaines qui ont levé le voile sur un système de domination sexuelle, violent, imposé au corps des femmes. #MeToo est parti d’elles et est devenu une révolution planétaire qui ne cesse de s’étendre.


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Ce surgissement venu de l’intérieur d’Hollywood a révélé le cœur battant du cinéma : ce n’est pas seulement une industrie ou un art, c’est un espace traversé par les conflits sociaux, les rapports de domination, les récits hégémoniques. Et parfois, les artistes reprennent la main. Ils arrachent la parole aux figures imposées, renversent le dispositif. On ne filme plus « comme avant », après #MeToo, pas seulement parce qu’on a changé de sujets, mais parce que le regard, la mise en scène, la place du corps dans le cadre prend sens : la « fausse naïveté » n’est plus de mise.

Le Festival de Cannes reste cette caisse de résonance pour un monde qui invente et qui lutte. Le milieu du cinéma français n’est pas un idéal. Mais il est aussi marqué par des engagements d’acteurs et d’actrices, de réalisatrices et réalisateurs, de scénaristes, de monteurs et monteuses, de producteurs et productrices. Cette culture qui est celle d’une éthique vis-à-vis du monde et du public s’est fait entendre à Cannes au travers des prises de position de la présidente du jury de la sélection officielle Juliette Binoche, des choix de programmation, des exigences au sujet des violences sexuelles et sexistes, des hommages qui y sont rendu comme cette année au grand Robert De Niro, loquace comme jamais sur ce qui arrive à son Amérique.

Ce qui s’exprime cette année, c’est aussi un refus du silence. L’hommage rendu à la jeune photojournaliste palestinienne Fatima Hassouna, morte sous les bombardements israéliens à Gaza, au travers la présentation saluée largement du documentaire « Put your soul on your hand and walk », tranche avec la cérémonie des Oscars 2025 à Los Angeles, mutique face aux guerres et au désordre du monde, dont celle qui sévit depuis Trump. Le cinéma, ici, ne dit pas « regardez », il dit « vous ne pouvez plus ne pas voir ».

L’impact de Cannes se mesure souvent dans son palmarès. Cette année, il s’affirme dès son ouverture hors compétition : « Partir un jour » est un premier film qui s’inscrit dans la suite des nombreux et récents films audacieux, inventifs, qui racontent notre pays qui tient debout, en ville comme à la campagne. Les films de Cannes, des diverses sélections qui y sont présentées, dessinent un récit mondial. Et ils ne le font pas seulement par leur sujet, mais par leur forme.

La France reste un pays de cinéma par son enseignement dès le lycée, par la large diffusion de ces œuvres et par son mode de financement. Le CNC menacé doit être préservé. Canal + doit maintenir son engagement dans le financement des films. Le rôle du Festival de Cannes pour tenir haut cette culture est décisif. Il montre aussi que la France peut avoir de l’influence à l’échelle internationale. Le cinéma est une grande affaire politique.

Et c’est là un point essentiel : ce qui fait la vitalité d’un art, ce n’est pas seulement son audience et son box-office. Ce qui compte, c’est la liberté laissée à celles et ceux qui créent. C’est la possibilité de dire autrement, de filmer autrement, de penser autrement. C’est plonger dans l’histoire de l’art, dans l’histoire même du cinéma – de ses formes, de ses ruptures, de ses inventions. Revisiter ce que fut le montage soviétique, la lumière chez Sirk, le plan-séquence chez Akerman, le silence chez Bresson, le cadre chez Varda, ce n’est pas une affaire de musée : c’est une manière de comprendre le monde, et de s’y inscrire. C’est parfois une raison suffisante pour faire un film. Interroger cette histoire, c’est interroger notre capacité à voir autrement. La force du cinéma, c’est sa capacité à ouvrir des brèches dans l’imaginaire dominant. Même quand ces brèches n’attirent pas les foules. Mais elles existent, elles nourrissent.

Faire du cinéma, ce n’est pas seulement raconter des histoires : c’est une façon d’hériter, de critiquer, de bifurquer. La liberté des artistes et leur puissance de création ne se mesurent pas à l’aune de leur succès. Il faut de tout pour faire le cinéma.

19.05.2025 à 10:31

LA LETTRE DU 19 MAI

la Rédaction

Festival de Cannes : le cinéma, art politique et langage vivant
Texte intégral (1449 mots)

Festival de Cannes : art politique et langage vivant

par Pablo Pillaud-Vivien

Le cinéma est un creuset des bouillonnements du monde, à la fois dedans et mis à distance. En 2025, il est toujours aussi nécessaire.

Le cinéma est un art qui résonne mondialement ; ses protagonistes ont une idée de leur impact et parfois s’en servent. On se souvient bien sûr que ce sont les actrices américaines qui ont levé le voile sur un système de domination sexuelle, violent, imposé au corps des femmes. #MeToo est parti d’elles et est devenu une révolution planétaire qui ne cesse de s’étendre.

Ce surgissement venu de l’intérieur d’Hollywood a révélé le cœur battant du cinéma : ce n’est pas seulement une industrie ou un art, c’est un espace traversé par les conflits sociaux, les rapports de domination, les récits hégémoniques. Et parfois, les artistes reprennent la main. Ils arrachent la parole aux figures imposées, renversent le dispositif. On ne filme plus « comme avant », après #MeToo, pas seulement parce qu’on a changé de sujets, mais parce que le regard, la mise en scène, la place du corps dans le cadre prend sens : la « fausse naïveté » n’est plus de mise.

Le Festival de Cannes reste cette caisse de résonance pour un monde qui invente et qui lutte. Le milieu du cinéma français n’est pas un idéal. Mais il est aussi marqué par des engagements d’acteurs et d’actrices, de réalisatrices et réalisateurs, de scénaristes, de monteurs et monteuses, de producteurs et productrices. Cette culture qui est celle d’une éthique vis-à-vis du monde et du public s’est fait entendre à Cannes au travers des prises de position de la présidente du jury de la sélection officielle Juliette Binoche, des choix de programmation, des exigences au sujet des violences sexuelles et sexistes, des hommages qui y sont rendu comme cette année au grand Robert De Niro, loquace comme jamais sur ce qui arrive à son Amérique.

Ce qui s’exprime cette année, c’est aussi un refus du silence. L’hommage rendu à la jeune photojournaliste palestinienne Fatima Hassouna, morte sous les bombardements israéliens à Gaza, au travers la présentation saluée largement du documentaire « Put your soul on your hand and walk », tranche avec la cérémonie des Oscars 2025 à Los Angeles, mutique face aux guerres et au désordre du monde, dont celle qui sévit depuis Trump. Le cinéma, ici, ne dit pas « regardez », il dit « vous ne pouvez plus ne pas voir ».

L’impact de Cannes se mesure souvent dans son palmarès. Cette année, il s’affirme dès son ouverture hors compétition : « Partir un jour » est un premier film qui s’inscrit dans la suite des nombreux et récents films audacieux, inventifs, qui racontent notre pays qui tient debout, en ville comme à la campagne. Les films de Cannes, des diverses sélections qui y sont présentées, dessinent un récit mondial. Et ils ne le font pas seulement par leur sujet, mais par leur forme.

La France reste un pays de cinéma par son enseignement dès le lycée, par la large diffusion de ces œuvres et par son mode de financement. Le CNC menacé doit être préservé. Canal + doit maintenir son engagement dans le financement des films. Le rôle du Festival de Cannes pour tenir haut cette culture est décisif. Il montre aussi que la France peut avoir de l’influence à l’échelle internationale. Le cinéma est une grande affaire politique.

Et c’est là un point essentiel : ce qui fait la vitalité d’un art, ce n’est pas seulement son audience et son box-office. Ce qui compte, c’est la liberté laissée à celles et ceux qui créent. C’est la possibilité de dire autrement, de filmer autrement, de penser autrement. C’est plonger dans l’histoire de l’art, dans l’histoire même du cinéma – de ses formes, de ses ruptures, de ses inventions. Revisiter ce que fut le montage soviétique, la lumière chez Sirk, le plan-séquence chez Akerman, le silence chez Bresson, le cadre chez Varda, ce n’est pas une affaire de musée : c’est une manière de comprendre le monde, et de s’y inscrire. C’est parfois une raison suffisante pour faire un film. Interroger cette histoire, c’est interroger notre capacité à voir autrement. La force du cinéma, c’est sa capacité à ouvrir des brèches dans l’imaginaire dominant. Même quand ces brèches n’attirent pas les foules. Mais elles existent, elles nourrissent.

Faire du cinéma, ce n’est pas seulement raconter des histoires : c’est une façon d’hériter, de critiquer, de bifurquer. La liberté des artistes et leur puissance de création ne se mesurent pas à l’aune de leur succès. Il faut de tout pour faire le cinéma.

Pablo Pillaud-Vivien

CHAMPION DU JOUR

Retailleau président !

Ouf ! Bruno Retailleau est élu à la tête de LR, ça va nous faire… un peu de vacances. Depuis deux mois, les infos politiques sont saturées par cet enjeu ridicule : qui de Retailleau ou de Wauquiez sera élu du micro parti que sont devenus les Républicains ?  Car, contrairement aux apparences, les LR compte pour moins de 5% à la présidentielle, pour 40 députés dans l’hémicycle et Retailleau est toujours jaugé sous les 10% dans les actuels sondages présidentiels. Et pendant ce temps le congrès des écologistes est advenu sans qu’on n’en sache quasiment rien, en tout cas rien sur leurs idées. Celui du PS qui approche passe sous les radars. Seul un livre, La Meute, a fait parler de LFI. La gauche sort de la conversation. Les idées rances peuvent se déployer ; Retailleau n’est pas un obstacle au déploiement des idées d’extrême droite… puisque son seul adversaire, c’est la « gauche melenchonisée ».

C.T.

ON VOUS RECOMMANDE…


« Œuvres controversées : la tentation de la réécriture », sur France Culture. Faut-il réécrire les textes du passé ? C’est sur cette intéressante question qu’était interrogée Laure Murat, professeur de littérature à l’UCLA, spécialiste du 19ème siècle. Son opinion est claire : « On ne peut supprimer aux dominés la connaissance de leur domination ». Cela vaut pour les statues qu’elle ne veut pas que l’on détruise, mais qu’on les remise. Elle plaide pour une explication, une contextualisation. Ses arguments sont percutants.

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