
19.12.2025 à 11:48
Loïc Le Clerc
Sur les réseaux sociaux, l’ère de #MeToo est révolue, le backlash commence à peine. Exclusivement américains, les GAFAM avancent au rythme de Donald Trump pour influencer le monde.
« Alors nous ça nous fait marrer. Douze millions de vues ! » Ce mardi 16 décembre, alors qu’il est face à des lecteurs du quotidien La Provence, à Marseille, Emmanuel Macron ironise. Il raconte qu’un de ses « collègues africains » lui a envoyé un message pour s’inquiéter du coup d’État en cours en France. Une vidéo tourne sur les réseaux sociaux dans laquelle on voit une journaliste évoquer ce putsch, « dirigé par un colonel ».
Cette vidéo, entièrement générée par intelligence artificielle, n’en est qu’une parmi des millions qui circulent sur internet. Le président français affirme avoir, en personne, demandé à Meta (l’entreprise de Mark Zuckerberg qui possède notamment Facebook, Instagram et Whatsapp) de retirer ladite vidéo. Réponse du géant américain : « Ça ne contrevient pas à nos règles d’utilisation ».
L’anecdote dit tout de l’époque qui vient. Une fois n’est pas coutume, Emmanuel Macron dit juste : « Vous voyez qu’on n’est pas équipés comme il faut. […] Ces gens-là se moquent de nous, ils se foutent de la sérénité des débats publics, ils se moquent de la souveraineté des démocraties et donc ils nous mettent en danger. »
La manipulation de l’information n’est pas un dérapage, elle est le cœur du réacteur des réseaux sociaux. C’est elle qui crée le buzz, qui nourrit l’algorithme. Dans le genre, on pense spontanément à Elon Musk et son X (ex-Twitter), véritable bourbier d’extrême droite. Mais si X est le pire, Meta ou Google sont loin d’être les meilleurs.
Dès l’élection de Donald Trump, les Zuckerberg, Bezos et Musk ont prêté allégeance. Cette guerre ne vient pas, elle est déjà là. Les Américains annoncent ouvertement soutenir les partis « patriotes » en Europe dans leur guerre aux migrants, aux wokes. Derrière les « petites » censures et laisser-faire de Meta, c’est la liberté et la démocratie qui sont en péril.
Il y a quelques jours, le Nouvel Obs publiait une tribune signée par des associations comme le Planning familial, la Fondation des femmes, Nous Toutes, ou encore Amnesty International. Elles y dénoncent « un choix politique » : « L’invisibilisation des associations féministes sur Meta ». Le procédé est fourbe et insidieux : Meta prétend lutter contre la propagande mais aussi censurer les messages de haine, de violence ou à caractère pornographique – et donc tout ce qui pourrait contenir les mots « viol » ou « violences sexuelles » par exemple. Sauf qu’à l’évidence, la « propagande » concerne uniquement le féminisme, les comptes masculinistes se portant très bien.
La presse connaît le même phénomène. Ces dernières années, Google et Facebook ont modifié leurs algorithmes, invisibilisant fortement les médias indépendants et les obligeant à trouver des astuces, des feintes pour exister malgré tout – n’avez-vous pas remarqué le boom des newsletters ?
Nuit et jour, on nous inquiète avec la guerre hybride menée par la Russie, cette grande menace pour la vérité et la démocratie. Cette inquiétude est fondée. Mais il est une autre guerre hybride : celle avec les entreprises américaines protégées par et inféodées à Washington. Dès l’élection de Donald Trump, les Zuckerberg, Bezos et Musk ont prêté allégeance. Cette guerre ne vient pas, elle est déjà là. Les Américains annoncent ouvertement soutenir les partis « patriotes » en Europe dans leur guerre aux migrants, aux wokes, et dans leur projet de société traditionnelle fondée sur des valeurs religieuses où le pilier serait la famille. Derrière les « petites » censures et laisser-faire de Meta, c’est la liberté et la démocratie qui sont en péril.
Que faire alors ? S’équiper comme il faut. Un monde sans les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) est possible. Techniquement, la Chine en est la preuve : 1,4 milliards de personnes vivent sur cette Terre sans les géants du web américains. Évidemment, Pékin n’est absolument pas un contre-exemple. Son internet est un univers de surveillance et de censure. Mais voilà, si les Chinois ont réussi à s’extirper des GAFAM, nous aussi nous le pouvons.
19.12.2025 à 11:47
la Rédaction

par Loïc Le Clerc
« Alors nous ça nous fait marrer. Douze millions de vues ! » Ce mardi 16 décembre, alors qu’il est face à des lecteurs du quotidien La Provence, à Marseille, Emmanuel Macron ironise. Il raconte qu’un de ses « collègues africains » lui a envoyé un message pour s’inquiéter du coup d’État en cours en France. Une vidéo tourne sur les réseaux sociaux dans laquelle on voit une journaliste évoquer ce putsch, « dirigé par un colonel ».
Cette vidéo, entièrement générée par intelligence artificielle, n’en est qu’une parmi des millions qui circulent sur internet. Le président français affirme avoir, en personne, demandé à Meta (l’entreprise de Mark Zuckerberg qui possède notamment Facebook, Instagram et Whatsapp) de retirer ladite vidéo. Réponse du géant américain : « Ça ne contrevient pas à nos règles d’utilisation ».
L’anecdote dit tout de l’époque qui vient. Une fois n’est pas coutume, Emmanuel Macron dit juste : « Vous voyez qu’on n’est pas équipés comme il faut. […] Ces gens-là se moquent de nous, ils se foutent de la sérénité des débats publics, ils se moquent de la souveraineté des démocraties et donc ils nous mettent en danger. »
La manipulation de l’information n’est pas un dérapage, elle est le cœur du réacteur des réseaux sociaux. C’est elle qui crée le buzz, qui nourrit l’algorithme. Dans le genre, on pense spontanément à Elon Musk et son X (ex-Twitter), véritable bourbier d’extrême droite. Mais si X est le pire, Meta ou Google sont loin d’être les meilleurs.
Il y a quelques jours, le Nouvel Obs publiait une tribune signée par des associations comme le Planning familial, la Fondation des femmes, Nous Toutes, ou encore Amnesty International. Elles y dénoncent « un choix politique » : « L’invisibilisation des associations féministes sur Meta ». Le procédé est fourbe et insidieux : Meta prétend lutter contre la propagande mais aussi censurer les messages de haine, de violence ou à caractère pornographique – et donc tout ce qui pourrait contenir les mots « viol » ou « violences sexuelles » par exemple. Sauf qu’à l’évidence, la « propagande » concerne uniquement le féminisme, les comptes masculinistes se portant très bien.
La presse connaît le même phénomène. Ces dernières années, Google et Facebook ont modifié leurs algorithmes, invisibilisant fortement les médias indépendants et les obligeant à trouver des astuces, des feintes pour exister malgré tout – n’avez-vous pas remarqué le boom des newsletters ?
Nuit et jour, on nous inquiète avec la guerre hybride menée par la Russie, cette grande menace pour la vérité et la démocratie. Cette inquiétude est fondée. Mais il est une autre guerre hybride : celle avec les entreprises américaines protégées par et inféodées à Washington. Dès l’élection de Donald Trump, les Zuckerberg, Bezos et Musk ont prêté allégeance. Cette guerre ne vient pas, elle est déjà là. Les Américains annoncent ouvertement soutenir les partis « patriotes » en Europe dans leur guerre aux migrants, aux wokes, et dans leur projet de société traditionnelle fondée sur des valeurs religieuses où le pilier serait la famille. Derrière les « petites » censures et laisser-faire de Meta, c’est la liberté et la démocratie qui sont en péril.
Que faire alors ? S’équiper comme il faut. Un monde sans les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) est possible. Techniquement, la Chine en est la preuve : 1,4 milliards de personnes vivent sur cette Terre sans les géants du web américains. Évidemment, Pékin n’est absolument pas un contre-exemple. Son internet est un univers de surveillance et de censure. Mais voilà, si les Chinois ont réussi à s’extirper des GAFAM, nous aussi nous le pouvons.
FUSION DU JOUR
« Ma conviction est qu’un jour, socialistes et écologistes devront se fondre dans une même formation politique parce que social et écologie sont intimement liés. Je ne suis pas en mesure de l’imposer à qui que ce soit mais nos électrices et électeurs finiront par nous l’imposer. » Cette petite réflexion est passée sous les radars, pourtant, Olivier Faure l’a bien évoquée à Libération ce 11 décembre. Il y a de la cohérence : écologistes et socialistes sont très régulièrement alliés lors des diverses élections. À l’Assemblée, leurs votes convergent : lors du vote du budget de la Sécu de Lecornu, par exemple, l’abstention des écologistes et le vote « pour » des socialistes ont permis l’adoption du texte. Néanmoins, le chemin sera encore long avant que la vision du premier secrétaire n’advienne. Vous imaginez un parti avec Carole Delga, Jérôme Guedj, Marine Tondelier et Sandrine Rousseau ? La gueule du Congrès ! Déjà qu’Olivier Faure peine à rassembler les socialistes sur une ligne…
L.L.C.

« Faust » du réalisateur allemand Friedrich Wilhelm Murnau, un film de 1926 disponible gratuitement sur MK2 Curiosity (une excellente plateforme qui met en ligne chaque semaine un film gratuitement). Sommet du cinéma expressionniste, cette fable politique sur la faillite des élites savantes, prêtes à pactiser avec le diable quand le peuple meurt de la peste impressionne toujours autant. Dans une Allemagne de Weimar hantée par la misère et la peur, le film rappelle que le salut ne viendra ni des puissants ni du marché des âmes, mais d’un amour qui résiste à l’ordre moral et à la violence sociale. Salutaire autant que puissant.



La porte-parole du gouvernement nous donne enfin une définition du macronisme !

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18.12.2025 à 12:02
Pablo Pillaud-Vivien
Les printemps arabes n’ont pas disparu : ils ont transformé durablement les consciences politiques. La révolution dure longtemps.
Quinze ans… c’est long et c’est court. Suffisant pour que les éditorialistes pressés rangent les printemps arabes dans le tiroir des illusions perdues, entre « fin de l’histoire » et « révolutions Facebook ». Suffisant aussi pour que les autocrates se sentent confortés : regardez, disent-ils, la révolte mène toujours au chaos.
Et pourtant, ce qu’il reste des printemps arabes, ce n’est certes pas des régimes politiques stabilisés et démocratiques. Mais ce qu’il reste, c’est une rupture irréversible : en 2011, de Tunis au Caire, de Sanaa à Damas, quelque chose s’est fissuré qui ne s’est jamais réparé. Les peuples ont cessé de croire à leur impuissance. Ils ont découvert qu’un pouvoir peut vaciller. Et ça, aucun appareil sécuritaire ne peut l’effacer complètement.
C’est en Tunisie, le 17 décembre 2010, que le jeune vendeur ambulant Mohamed Bouazizi s’est immolé par le feu, conduisant à des révoltes qui permirent l’éviction du président Ben Ali. Le pays a connu une parenthèse démocratique réelle : élections pluralistes, libertés publiques, débats politiques. Et puis, à partir de 2021, le retour autoritaire, méthodique, sous couvert de lutte contre la corruption et d’efficacité. Pourtant, tout n’est pas revenu à l’avant-2011. La société tunisienne a changé. Les syndicats, les médias, les jeunes générations ont fait l’expérience de la liberté. Ils savent ce qui leur a été confisqué. Gouverner contre cette mémoire-là, c’est gouverner sur du sable.
Ce qui s’est joué en 2011 n’était pas un simple moment révolutionnaire : c’était l’entrée des sociétés arabes dans une nouvelle ère politique, où l’autorité n’est plus jamais totalement légitime, où la jeunesse ne croit plus aux récits nationaux figés, où les mots dignité, justice sociale, corruption ont cessé d’être abstraits.
Bien sûr, les contre-révolutions ont gagné des batailles. L’Égypte, laboratoire brutal de la restauration autoritaire, en est le symbole le plus glaçant. Après l’espoir de la place Tahrir, le pays est redevenu une prison à ciel ouvert : des milliers de condamnés à mort dans des procès collectifs, des dizaines de milliers de prisonniers politiques, une presse muselée, une opposition écrasée. Mais le régime d’al-Sissi ne repose pas sur l’adhésion, seulement sur la peur, la surveillance et l’aide internationale. Le mythe, entretenu par le pouvoir, d’un peuple égyptien éternellement soumis s’est effondré en 2011.
La Syrie est devenue un charnier stabilisé par des soutiens internationaux, la Libye un marché de la violence, le Yémen un champ de ruines. Les monarchies du Golfe ont perfectionné leur gouvernance autoritaire. Mais réduire les printemps arabes à leur écrasement, c’est croire le point de vue des vainqueurs, pas celui de l’histoire longue.
Ce qui s’est joué en 2011 n’était pas un simple moment révolutionnaire : c’était l’entrée des sociétés arabes dans une nouvelle ère politique, où l’autorité n’est plus jamais totalement légitime, où la jeunesse ne croit plus aux récits nationaux figés, où les mots dignité, justice sociale, corruption ont cessé d’être abstraits. La fragilisation des accords d’Abraham, conçus sur le dos des Palestiniens, est aussi le fruit de cette prise de parole par les rues arabes.
En Algérie, avec le Hirak de 2019, des millions de personnes, semaine après semaine, sont descendus pour dire non à un régime fossile. Le mouvement n’a pas renversé le système. Il a été étouffé, fragmenté, réprimé. Mais il a imposé une évidence : le pouvoir ne peut plus gouverner comme avant. Le slogan « Dégage » qui a résonné dans les rues tunisiennes a résumé ce que 2011 avait ouvert dans toute la région : la fin de la résignation politique.
Les soulèvements de 2019 en Algérie et au Soudan, les mobilisations au Liban, en Irak, en Iran même (qui n’est pas arabe mais partage la même géographie politique de la colère) sont les héritiers directs de 2011. Même quand ils échouent, ils parlent le même langage. Même quand ils sont réprimés, ils posent la même question : pourquoi obéir ? Et c’est sans doute cela que redoutent les régimes autoritaires : le danger de gouverner des sociétés qui ne croient plus, qui n’adhèrent plus, qui encaissent mais n’avalent plus.
Quinze ans après, les printemps arabes n’ont pas accouché de démocraties stables. Mais ils ont détruit un mensonge : celui de peuples supposément immobiles, culturellement réfractaires à la liberté, condamnés à l’autoritarisme. La question n’est donc pas « À quoi ont servi les printemps arabes ? », mais qui a travaillé à les faire échouer ?