09.10.2025 à 12:04
Pablo Pillaud-Vivien
La République honore Robert Badinter, l’homme qui fit reculer la barbarie d’État. Mais tandis qu’elle célèbre sa mémoire, elle en trahit l’héritage : sous d’autres noms, les quartiers de haute sécurité renaissent.
Ce jeudi, la République se souvient et célèbre. Elle fait entrer au Panthéon Robert Badinter, figure humaniste tutélaire, abolitionniste de la peine de mort. Il fut aussi l’artisan de la fin de la pénalisation de l’homosexualité et, moins célébrée, de la fin des quartiers de haute sécurité. Dans ces zones d’ombre du système carcéral français, l’État, au nom de la sécurité, s’autorisait toutes les dérives. Robert Badinter et la gauche au pouvoir y mirent fin. Aujourd’hui, la République les réouvre. Le nom a changé, l’horreur reste la même.
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En 1982, Robert Badinter, garde des sceaux, signe une circulaire simple et courageuse : « Les quartiers de haute sécurité doivent être supprimés ». Pas un symbole, un acte. Les « QHS » étaient ces lieux d’isolement total où l’on enterrait vivants des prisonniers, souvent politiques ou simplement rétifs, au nom de l’ordre. Robert Badinter en dénonçait la « logique d’exception », l’« indignité d’un État de droit qui se nie lui-même ». Il estimait qu’aucune démocratie ne peut tolérer des zones d’inhumanité, fussent-elles derrière les murs d’une prison. Il croyait en une République qui se juge à la façon dont elle traite les plus haïs.
En 2024, Gérald Darmanin, garde des sceaux, annonce la création de prisons « ultra-sécurisées » pour « grands narcotrafiquants ». Un vocabulaire neuf pour une vieille idée : rétablir la relégation, inventer des sous-détenus, réactiver le fantasme du monstre qu’on enferme hors du monde. La droite applaudit. L’extrême droite jubile. Et une partie du centre-gauche s’incline. Bien que signataire depuis 1984 de la convention internationale contre la torture et autre peine cruelle, inhumaine ou dégradante, la France rouvre les QHS. On les repeint, on les renomme, on les justifie par la drogue ou le crime organisé, mais c’est la même logique d’exception qui revient, celle qu’un ministre de gauche avait eu le courage d’abolir.
À travers Retailleau, c’est l’héritage de Badinter qui vacille : la primauté du droit, la dignité de la personne, le contrôle des pouvoirs, la croyance qu’un État juste vaut mieux qu’un État fort. Aujourd’hui, les héritiers autoproclamés de la « fermeté » gouvernent contre cette idée-là.
Gérald Darmanin sera sûrement assis, ému, sous la coupole du Panthéon. Il sera assis près du ministre de l’intérieur démissionnaire, Bruno Retailleau. Celui-là même qui affirme que « l’État de droit n’est pas intangible ». L’anti-Badinter : l’homme pour qui la loi doit plier devant l’ordre, pour qui les juges gênent, pour qui la procédure est un obstacle et pour qui la justice ne vaut que si elle frappe fort. C’est lui qui s’est insurgé contre les décisions des tribunaux l’empêchant d’expulser à la hâte, qui accuse les magistrats d’entraver l’action publique, qui parle des règles juridiques « entravant notre capacité à protéger les Français ». À travers lui, c’est l’héritage de Robert Badinter qui vacille : la primauté du droit, la dignité de la personne, le contrôle des pouvoirs, la croyance qu’un État juste vaut mieux qu’un État fort. Aujourd’hui, les héritiers autoproclamés de la « fermeté » gouvernent contre cette idée-là.
La célébration d’aujourd’hui tourne à la profanation symbolique. On encense la vertu d’hier pour mieux piétiner son héritage aujourd’hui. On cite Robert Badinter à la tribune, puis on trahit Robert Badinter dans les décrets. La République se couronne de sa mémoire pendant qu’elle en piétine le sens.
09.10.2025 à 12:02
la Rédaction
Ce titre est, bien évidemment, provoquant. Et pourtant… Si, à force de laisser la paix entre les seules mains du président américain, on se retrouvait avec un Donald Trump lauréat du Nobel de la paix ? Ce mercredi 8 octobre, il a annoncé qu’Israël et le Hamas avaient accepté les termes de la première phase du plan de paix. Il l’assure : « Tous les otages seront bientôt libérés. Israël va retirer ses troupes le long d’une ligne négociée, comme premiers pas en direction d’une paix forte, durable et éternelle. Toutes les parties seront traitées de façon équitable ! » Ce matin encore, l’armée israélienne a bombardé Gaza. Voilà donc où l’on en est après deux années de génocide : un échange de prisonniers, une armée israélienne par-delà ses frontières et un cessez-le-feu. Le monde entier salue l’accord, du Hamas au gouvernement israélien (sauf sa frange extrémiste), en passant par toutes les chancelleries. Dans les deux pays, des scènes de liesse ont été observées : les otages enfin libérés, l’espoir de la fin des bombardements et le retour des soins humanitaires. La suite de l’histoire reste à écrire. Qu’adviendra-t-il de Gaza, de la Cisjordanie ? De la Palestine comme Etat ? Laissera-t-on encore un homme comme Donald Trump répondre seul à toutes ces questions ?
09.10.2025 à 11:35
la Rédaction
Ce jeudi, la République se souvient et célèbre. Elle fait entrer au Panthéon Robert Badinter, figure humaniste tutélaire, abolitionniste de la peine de mort. Il fut aussi l’artisan de la fin de la pénalisation de l’homosexualité et, moins célébrée, de la fin des quartiers de haute sécurité. Dans ces zones d’ombre du système carcéral français, l’État, au nom de la sécurité, s’autorisait toutes les dérives. Robert Badinter et la gauche au pouvoir y mirent fin. Aujourd’hui, la République les réouvre. Le nom a changé, l’horreur reste la même.
En 1982, Robert Badinter, garde des sceaux, signe une circulaire simple et courageuse : « Les quartiers de haute sécurité doivent être supprimés ». Pas un symbole, un acte. Les « QHS » étaient ces lieux d’isolement total où l’on enterrait vivants des prisonniers, souvent politiques ou simplement rétifs, au nom de l’ordre. Robert Badinter en dénonçait la « logique d’exception », l’« indignité d’un État de droit qui se nie lui-même ». Il estimait qu’aucune démocratie ne peut tolérer des zones d’inhumanité, fussent-elles derrière les murs d’une prison. Il croyait en une République qui se juge à la façon dont elle traite les plus haïs.
En 2024, Gérald Darmanin, garde des sceaux, annonce la création de prisons « ultra-sécurisées » pour « grands narcotrafiquants ». Un vocabulaire neuf pour une vieille idée : rétablir la relégation, inventer des sous-détenus, réactiver le fantasme du monstre qu’on enferme hors du monde. La droite applaudit. L’extrême droite jubile. Et une partie du centre-gauche s’incline. Bien que signataire depuis 1984 de la convention internationale contre la torture et autre peine cruelle, inhumaine ou dégradante, la France rouvre les QHS. On les repeint, on les renomme, on les justifie par la drogue ou le crime organisé, mais c’est la même logique d’exception qui revient, celle qu’un ministre de gauche avait eu le courage d’abolir.
Gérald Darmanin sera sûrement assis, ému, sous la coupole du Panthéon. Il sera assis près du ministre de l’intérieur démissionnaire, Bruno Retailleau. Celui-là même qui affirme que « l’État de droit n’est pas intangible ». L’anti-Badinter : l’homme pour qui la loi doit plier devant l’ordre, pour qui les juges gênent, pour qui la procédure est un obstacle et pour qui la justice ne vaut que si elle frappe fort. C’est lui qui s’est insurgé contre les décisions des tribunaux l’empêchant d’expulser à la hâte, qui accuse les magistrats d’entraver l’action publique, qui parle des règles juridiques « entravant notre capacité à protéger les Français ». À travers lui, c’est l’héritage de Robert Badinter qui vacille : la primauté du droit, la dignité de la personne, le contrôle des pouvoirs, la croyance qu’un État juste vaut mieux qu’un État fort. Aujourd’hui, les héritiers autoproclamés de la « fermeté » gouvernent contre cette idée-là.
La célébration d’aujourd’hui tourne à la profanation symbolique. On encense la vertu d’hier pour mieux piétiner son héritage aujourd’hui. On cite Robert Badinter à la tribune, puis on trahit Robert Badinter dans les décrets. La République se couronne de sa mémoire pendant qu’elle en piétine le sens.
Ce titre est, bien évidemment, provoquant. Et pourtant… Si, à force de laisser la paix entre les seules mains du président américain, on se retrouvait avec un Donald Trump lauréat du Nobel de la paix ? Ce mercredi 8 octobre, il a annoncé qu’Israël et le Hamas avaient accepté les termes de la première phase du plan de paix. Il l’assure : « Tous les otages seront bientôt libérés. Israël va retirer ses troupes le long d’une ligne négociée, comme premiers pas en direction d’une paix forte, durable et éternelle. Toutes les parties seront traitées de façon équitable ! » Ce matin encore, l’armée israélienne a bombardé Gaza. Voilà donc où l’on en est après deux années de génocide : un échange de prisonniers, une armée israélienne par-delà ses frontières et un cessez-le-feu. Le monde entier salue l’accord, du Hamas au gouvernement israélien (sauf sa frange extrémiste), en passant par toutes les chancelleries. Dans les deux pays, des scènes de liesse ont été observées : les otages enfin libérés, l’espoir de la fin des bombardements et le retour des soins humanitaires. La suite de l’histoire reste à écrire. Qu’adviendra-t-il de Gaza, de la Cisjordanie ? De la Palestine comme Etat ? Laissera-t-on encore un homme comme Donald Trump répondre seul à toutes ces questions ?
L.L.C.
« Un jour sans fin », avec Bill Murray. Un classique de 1993 qui ressemble de plus en plus à une allégorie du quotidien des Français depuis la dissolution. Lundi, Barnier… Mardi, Bayrou… Mercredi, Lecornu… Jeudi ?
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09.10.2025 à 10:40
Melaine Fanouillère
Retrouvez ci-dessous l’intégralité de la saison 6 du podcast L’Actu des Oublié.e.s, notre rendez-vous en terre de luttes.
Les oublié.es. Les invisibles, les précaires pris.es dans l’œil du cyclone capitaliste. Les peuples dont l’existence est menacée, celles et ceux qui lèvent le poing dans l’ombre, oublié.es des caméras et des micros. Leur résistance quotidienne, leur soulèvement spontané, leurs expériences sociales soufflent un espoir déterminé, sèment les graines des pratiques futures, s’érigent avec courage en rempart contre l’obscurantisme. Quand un peuple ou une portion du peuple retrouve sa liberté de parole, conquiert des espaces où se réunir et expérimente l’auto-organisation, la transformation sociale commence.
L’instant révolutionnaire où l’expérience sociale font dire à des millions de personnes « Nous ne reviendrons pas à la normalité ». Voilà ce que raconte l’Actu des Oublié.e.s, pour tendre et finalement soulever un espoir internationaliste face à la violence néo-libérale pour prendre soin de nous, des terres et de la diversité du vivant.
08.10.2025 à 17:30
Pablo Pillaud-Vivien
La veille du vote sur la motion de censure à l’égard d’Ursula Von der Layen et alors qu’en France, nous n’avons toujours pas de gouvernement, Manon Aubry, députée européenne, membre de LFI et co-présidente du groupe de La Gauche, est l’invitée de #LaMidinale.
08.10.2025 à 11:04
Pablo Pillaud-Vivien
Alors que le président des LR appelle à voter RN plutôt que PS lors d’une partielle à Montauban, la droite bascule un peu plus dans le rejet total du camp progressiste. Une réalité politique très inquiétante.
C’est un événement local qui pourrait n’avoir qu’une dimension locale. Une législative partielle à Montauban, dans le Tarn-et-Garonne. Une circonscription perdue dans la tempête politique du pays. Et pourtant, ce qui s’y joue dépasse de très loin les limites de ce bout de Sud-Ouest : c’est un moment de vérité pour la droite française. Car au second tour, alors que s’affrontent une socialiste et un candidat RN, Bruno Retailleau, patron des Républicains, a lancé un mot d’ordre qui restera comme un marqueur : « Pas une voix à la gauche ». Autrement dit : entre le candidat RN et la candidate de gauche, il faut voter RN. Le vernis « républicain » d’antan craque ; la mue s’achève.
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Depuis des mois, le discours de la droite traditionnelle s’est affûté contre LFI, devenue le bouc émissaire commode d’un système médiatique et politique qui ne veut surtout pas nommer ce qu’il rejette vraiment : la gauche en tant que telle. Ce que Bruno Retailleau vient d’énoncer ne souffre plus d’ambiguïté : il ne s’agit plus seulement de « tenir tête aux excès de Mélenchon », mais de refuser toute alliance, toute proximité, toute voix à l’ensemble du camp progressiste. L’épouvantail insoumis n’est qu’un prétexte : c’est toute la gauche qui est renvoyée dans le camp de l’ennemi. Et ce basculement n’est pas qu’un mot d’ordre électoral : c’est une recomposition idéologique. La preuve ? Ce matin, Sébastien Lecornu a annoncé qu’il allait recevoir « toute la gauche républicaine », sous-entendu tout le monde sauf LFI. Une manière d’entretenir la petite musique d’une « gauche non-républicaine », bonne à exclure du jeu démocratique. Ainsi, on trace des frontières imaginaires pour justifier des alliances impossibles, et on réduit le champ politique à ce qu’il reste de « raisonnable », c’est-à-dire à ce qui ne remet rien en cause. L’exclusion symbolique de LFI sert de prétexte au rejet global de la gauche et, plus largement, à la préparation d’un nouvel ordre politique où toute alliance à gauche serait jugée suspecte.
Pourtant, tout le monde n’adhère pas. À Montauban, le candidat LR battu au premier tour a refusé d’obéir à la consigne de son chef et a laissé les électeurs maîtres de leur vote. Un petit acte de résistance, sans doute voué à l’échec, mais révélateur des tiraillements internes : une partie de la droite ne veut pas de la confusion des droites. Car derrière Bruno Retailleau et ceux qui rêvent d’un bloc conservateur allant des « sociaux-chrétiens » aux zemmouriens, il reste un courant pour qui le RN demeure infréquentable. Pour eux, l’union des droites serait l’effacement de la droite. Ils se souviennent du « UMPS » brandi jadis par Jean-Marie Le Pen pour dénoncer un « système » prétendument unifié. Ironie de l’histoire : c’est aujourd’hui la droite classique qui risque de devenir la caution de ce système-là, celui du tout-RN.
Et comme toujours dans ces moments de bascule, les mots comptent. Lors d’une réunion avec les cadres LR hier, Bruno Retailleau a répété qu’il n’était « pas question d’une alliance avec le Rassemblement national ». Une manière de se rassurer ou de sauver les apparences. Mais le même jour, sur TF1, la stratégie qu’il a dessinée était pour le moins équivoque : il évoquait une « solution nationale » pour éviter la dissolution… autrement dit, une majorité alternative, un « autre socle commun ». Les mots sont choisis, prudents, mais le sens est clair. Et quand il précise les trois thèmes autour desquels cette « solution nationale » pourrait se bâtir (immigration, sécurité, lutte contre l’assistanat), difficile de ne pas y voir les piliers rhétoriques de l’extrême droite. La ligne de fracture avec le RN devient alors presque invisible.
Pendant ce temps, Marion Maréchal, sur tous les plateaux, distille la ligne : la droite et l’extrême droite doivent se retrouver, car « elles pensent la même chose sur l’essentiel ». Le travail idéologique est déjà bien avancé. La « droite identitaire » n’est plus un gros mot, c’est un projet politique. Le RN a changé de visage, la droite classique de boussole : la rencontre est désormais possible, presque naturelle.
Mais attention : au RN, on ne rêve pas d’un partage du pouvoir avec la droite, on rêve du pouvoir tout court. On l’a vu lors de l’épisode Lecornu, ce gouvernement éphémère dont la formation a aussitôt suscité la menace d’une censure venue de Marine Le Pen et Jordan Bardella. Mieux encore : le RN a refusé d’aller rencontrer le premier ministre démissionnaire qui refait un tour de table dans ses « ultimes négociations ». Le message est clair : le RN ne veut pas « davantage de droite » dans le système. Il veut être le nouveau système. Bruno Retailleau peut bien tendre la main, il ne récoltera qu’un bras arraché.
Ce qui se joue à Montauban, ce n’est pas un simple duel électoral. C’est un renversement moral et politique : une partie de la droite préfère le pire à la gauche. Ce basculement ne dit pas seulement la faiblesse de la gauche, mais la dérive d’un camp qui, jadis, faisait encore de la République un horizon commun. Le vieux « front républicain » est mort, tué non par lassitude populaire mais par calcul politicien. Bruno Retailleau l’a enterré sans trembler. Et avec lui, c’est une digue démocratique qui cède. « Pas une voix à la gauche » : cette phrase pourrait n’être qu’un slogan. Elle est en réalité le symptôme d’un pays où la droite ne sait plus ce qu’elle est, où la peur de la gauche a remplacé toute idée du bien commun, et où la route vers le pouvoir passe désormais par les ombres.