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13.12.2025 à 00:30

Zadistes relaxé·es mais zadistes traqué·es

Laëtitia Giraud

Le procès de trois occupant·es de la Barzad d'Avignon s'est clôt vendredi 7 novembre dernier. Après un mois d'occupation contre un chantier routier, la zad avait été expulsée le 17 avril 2024. Malgré la relaxe obtenue, l'affaire montre à nouveau comment la justice pénale est utilisée à des fins de répression politique. Plus d'un an et demi après que la zad ait été expulsée, le procès mettant en cause trois des occupant·es pour « installation en réunion, en vue d'y établir une habitation, (…)

- CQFD n°247 (décembre 2025) /
Texte intégral (958 mots)

Le procès de trois occupant·es de la Barzad d'Avignon s'est clôt vendredi 7 novembre dernier. Après un mois d'occupation contre un chantier routier, la zad avait été expulsée le 17 avril 2024. Malgré la relaxe obtenue, l'affaire montre à nouveau comment la justice pénale est utilisée à des fins de répression politique.

Plus d'un an et demi après que la zad ait été expulsée, le procès mettant en cause trois des occupant·es pour « installation en réunion, en vue d'y établir une habitation, même temporaire, sur un terrain privé » s'est terminé sur une relaxe. Pas de surprise pour les avocat·es : il s'agit d'un « dossier vide ». En revanche, iels dénoncent une justice pénale « utilisée à des fins d'expulsions, avec la volonté d'écraser toutes revendications politiques et oppositions au projet ».

Chasse aux zadistes

En mars 2024, suite à un signalement de l'Association de sauvegarde de la ceinture verte d'Avignon (ASCVA) au sujet de la destruction prochaine d'un corps de ferme, le mas de Barre, une dizaine de militant·es de plusieurs collectifs se mobilisent pour l'occuper. Les bâtiments sont la propriété de la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) de la région Sud. Celle-ci les a acquis dans le cadre du projet de la « Liaison Est-Ouest », dit LEO, visant à créer un contournement routier de la ville d'Avignon. Problème : le tracé passe pile-poil dans une zone agricole, que défendent de longue date des associations comme l'ASCVA au nom de la préservation des terres nourricières et de l'autonomie alimentaire.

Insupportable espace de vie et de lutte, que le préfet du Vaucluse – fraîchement débarqué de Mayotte – se dépêche de faire évacuer

À partir du 7 mars, le mas de Barre devient donc une zone à défendre « pour dénoncer et bloquer le chantier » explique Pablo*, membre d'un collectif de soutien aux personnes prévenues dans l'affaire. La zad est aussi « un lieu d'accueil, où même une famille avec des enfants s'est installée ». Insupportable espace de vie et de lutte, que le préfet du Vaucluse, fraîchement débarqué de Mayotte1, se dépêche de faire évacuer manu militari. Le 17 avril 2024, à huit heures du matin, et sans qu'aucun avis d'expulsion n'ait été notifié, les personnes présentes « sont nassées dans un hangar, insultées et intimidées ». Neuf sont envoyées en garde à vue.

Magouille pénale

C'est là que la magouille commence. « D'abord placé·es en garde à vue sur délit de squat, les militant·es ressortent accusé·es d'installation en réunion sur un terrain privé », détaille l'une des avocat·es. Autrement dit, « ils ont changé le chef d'inculpation au milieu de la procédure ». Sept personnes écopent alors d'une ordonnance pénale, à laquelle trois d'entre elles décident de faire opposition. Selon Pablo, « cette procédure a été mise en place pour tenir le plus longtemps possible les occupant·es à distance pendant qu'ils muraient la maison ». En effet, dans une procédure civile d'expulsion classique, les militant·es auraient dû être préalablement averti·es, et l'évacuation aurait pris plus de temps.

« Si on ne peut plus condamner des gens sans preuves, on ne pourra plus jamais condamner personne »

Un an plus tard, alors que les trois prévenu·es se présentent devant le tribunal correctionnel d'Avignon, la juge s'exclame : « Qu'est-ce qu'ils font ici ceux-là, ils vont contester l'autorité jusqu'au bout ? » Oui, madame la présidente. « Et vous allez plaider la relaxe ? Super. » Les zadistes y tiennent, car selon eux, le délit est nul : « Rien n'indique qu'ils étaient sur place avant le jour de l'évacuation des lieux », affirme Pablo. Une relaxe qui, selon les avocats , aurait fait grincer le procureur : « Si on ne peut plus condamner des gens sans preuves, on ne pourra plus jamais condamner personne. »

Les trois militant·es ont appris leur relaxe le 7 novembre dernier, mais iels sont désormais inscrit·es au fichier du traitement d'antécédents judiciaires (TAJ). Le projet LEO, quant à lui, est enterré. Et Pablo de conclure : « Pénalement, ils ont raté leur coup mais politiquement, ils ont gagné. »

Laëtitia Giraud

1 Préfet de Mayotte entre juillet 2021 et mars 2024, Thierry Suquet était notamment aux manettes de l'opération Wuambushu.

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13.12.2025 à 00:30

« Propulser l'élan vital »

Émilien Bernard

Nathalie Quintane n'est pas seulement une belle plume, aiguisée depuis la fin des années 1990 au fil d'une bibliographie prolifique, c'est aussi un regard transperçant et curieux. Dans Soixante-dix fantômes, elle laisse libre cours à cette vocation, en quête de fâcheux stigmates politiques. Rencontre téléphonique avec une météorologue du quotidien. En exergue de son dernier livre, il y a cette citation du barde Bob Dylan : « Because something is happening here / But you don't know what is (…)

- CQFD n°247 (décembre 2025) / ,
Texte intégral (1695 mots)

Nathalie Quintane n'est pas seulement une belle plume, aiguisée depuis la fin des années 1990 au fil d'une bibliographie prolifique, c'est aussi un regard transperçant et curieux. Dans Soixante-dix fantômes, elle laisse libre cours à cette vocation, en quête de fâcheux stigmates politiques. Rencontre téléphonique avec une météorologue du quotidien.

En exergue de son dernier livre, il y a cette citation du barde Bob Dylan : « Because something is happening here / But you don't know what is »1. Soit : « Quelque chose est train de se passer, mais tu ignores ce que c'est ». À voir. Car si ignorance il y a, elle se dissipe vite à la lecture des pages tricotées par Nathalie Quintane. Les indices pullulent. Des voix auparavant discrètes qui soudainement se lâchent pour brailler leurs insanités réacs. Les regards noirs portés sur les habitués d'un kebab. Les écrans où s'agitent de sinistres haineux à gueules de préfets collabos.

« Soixante-dix fantômes se veut une sorte de manuel d'éducation au regard, des récits pour décrypter dans ses détails l'avancée du fascisme »

Autant de symptômes que la poétesse et écrivaine a décidé de traquer au lendemain de la dissolution de juin 2024 obnubilée par la marée faf. Elle en a tiré Soixante-dix fantômes (La Fabrique, 2025), chronique à fleur de plume d'un quotidien qui bascule.

Vent froid de secteur brun

Dans un autre morceau mythique, « Subterranean Homesick Blues », Dylan chantait « Pas besoin d'un météorologue / Pour savoir dans quelle direction souffle le vent ». C'est à moitié vrai. Un regard extérieur acéré éclaire parfois d'un jour nouveau les dépressions saisonnières. C'est l'une des ambitions de ce petit livre. « Soixante-dix fantômes se veut une sorte de manuel d'éducation au regard, des récits pour décrypter dans ses détails l'avancée du fascisme, explique Nathalie Quintane. Le message : Sachez déceler. »

Installée dans une petite ville de province provençale, où elle bosse comme prof de français dans un collège, environnement2 qu'elle qualifie d'« excellent poste d'observation », elle se focalise dans Soixante-dix fantômes sur les remous fachos à hauteur d'homme, loin du pouvoir. « Comme j'y suis installée, je peux avoir une vision des choses qui n'est pas surplombante mais ancrée dans le quotidien, détaille-t-elle. Je croise les habitants dans mon quotidien, au bar, au plan d'eau, à la caisse du supermarché. Je suis dedans. »

Flottant autour d'elle, ce qu'elle appelle la « brouillasse », atmosphère confuse et pesante où les signaux surgissent en flashs. Ces enseignants à qui l'on dit sur le marché « Rentrez chez vous ! Allez bosser ! Les profs c'est dans leur classe ou chez eux ». Un pauvre hère mis à la porte du Lidl, houspillé par « l'employé qui l'insult[e], le rabaiss[e] ». Ou cette pancarte « propriété privée – défense d'entrer » qui soudain bloque l'accès à la rivière. Autant de percées plus ou moins directes d'un nivellement par le faf. Aux yeux de l'autrice, le pire serait de s'habituer à ce climat, de « prendre le pli ».

Le temps des salauds

Pour caractériser ce décryptage à hauteur d'humain, Nathalie Quintane parle d'enquête de « basse intensité ». Une forme de microscope social. Par le passé, elle s'est aussi frottée à la « haute intensité », immersion par le haut et les ordures. « Dans Les Enfants vont bien3 j'ai étudié le discours public autour des personnes exilées au lendemain du démantèlement de ladite jungle de Calais, explique-t-elle. Il s'agissait alors de compiler des textes allant de paroles de ministres de l'intérieur à des décrets particulièrement marquants, en passant par des fragments de textes de loi ou des articles de La Provence. » Une recension minutieuse visant à dévoiler les conditions de l'avancée de l'extrême droite, aux discours validés en haut lieu – par des « patrons à la santé mentale chancelante » ou « des yoyos maniaques ».

Le tableau a beau être sombre, Nathalie Quintane n'abdique pas

Pour appuyer son propos, elle cite cette phrase reprise par Hugues Jallon dans son récent essai Le Temps des salauds (Divergences, 2025) : « Le fascisme, ça commence avec les fous, ça se réalise grâce aux salauds et ça continue à cause des cons. » Lesdits salauds, ce sont les irresponsables au pouvoir qui, dit-elle, « s'emploient à rendre le projet fasciste acceptable, raisonnable ». Des strates et des strates de paroles iniques qui ont propulsé ce « bruit de fond diffus » jusque dans son refuge du Sud-est, où le vote RN atteint les 30 %.

Les mots à la rescousse

Le tableau a beau être sombre, Nathalie Quintane n'abdique pas. « Il est impératif de ne pas démissionner face à ce mouvement de fond », insiste celle qui dit avoir été profondément marquée par l'épisode Nuit debout. Elle n'idéalise pas le pouvoir politique de la littérature, qui n'est « pas là pour fournir un répertoire d'actions inédites » et ne saurait en rien se substituer à l'intelligence collective déployée dans les mouvements sociaux. Mais elle estime dans le même temps qu'elle peut offrir un shoot de motivation : « Cela fait 30 ans que je m'emploie à propulser l'élan vital, à le transmettre par la langue et à faire en sorte que la phrase en elle-même retranscrive une dérive, une fantaisie, une imagination en action. Quand tu sors d'un bon livre ou du cinéma, ta vision des choses est décentrée, tu ne vois plus la rue de la même manière. Cette respiration, c'est le rôle de la littérature, de la musique du cinéma. C'est grâce à l'élan qu'ils provoquent que les gens ne se laissent pas mourir, résistent. »

Et ne pas s'y tromper : si Soixante-dix fantômes aborde un thème noir (brun) au possible, il laisse une grande part au sourire et à l'absurde. Il y a par exemple ces moqueries sur la « tête réduite » du ministre de l'Intérieur et les « zombies catholiques » qui l'adulent. Ou bien cette pancarte de manif proclamant « Faf fuffit », avec la tête de Titi (l'ennemi de Gros Minet) propulsé guerrier antifa. Car l'écriture de Nathalie Quintane se permet des écarts, des plongées dans les replis de son cerveau. Le premier texte de l'ouvrage, « L'île des esclaves », offre ainsi un fantasme de résistance. Alors qu'un élève à la fois baraqué et fort intelligent passe son oral de français sur ce texte de Marivaux, elle se prend à rêver d'une improbable chasse aux fascistes, menée par une bande d'ados alliant muscles et neurones : « J'imagine une milice qui aurait lu Marivaux […], ils avancent à la main de longues tiges de roseaux [...] ils jambisent4 de leurs longs fouets les fafs […], ils les font courir sur le pont, les poursuivent et s'arrêtent sur la rive opposée ».

Une oasis poétique qui permet d'opposer un souffle d'imaginaire à la décrépitude du présent. D'où son premier objectif en tant qu'autrice : « ouvrir un espace où l'on peut respirer et trouver de la joie ». Elle ajoute : « Si toute forme de plaisir a disparu, il n'y a plus qu'à rester couché, au sens littéral du terme ». Debout les damnés de la brouillasse !

Émilien Bernard

1 « Ballad of a thin man », 1965.

2 Environnement plus détaillé dans Un hamster à l'école, La Fabrique, 2021.

3 POL, 2019.

4 Référence à une pratique violente utilisée par certains partisans de la lutte armée en Italie contre des cibles politique : une balle dans la jambe.

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10.12.2025 à 14:36

Survivre deux fois : l'inceste et le naufrage judiciaire

Laëtitia Giraud

En France, moins de 1 % des plaintes pour inceste aboutissent à des condamnations. Pour le reste, le parcours judiciaire inflige une deuxième vague de souffrance aux victimes et à leur parent protecteur, presque toujours les mères. Pourquoi un enfant qui dénonce des faits d'inceste n'est-il pas protégé ? D'abord le trauma, mourir une fois, mourir à chaque fois, l'inceste. Et puis, la parole, tenter de parler, quand on a trois ans ou six ans, quatorze ans peut-être. Pour que cela cesse. On (…)

- CQFD n°247 (décembre 2025) / ,
Texte intégral (2069 mots)

En France, moins de 1 % des plaintes pour inceste aboutissent à des condamnations. Pour le reste, le parcours judiciaire inflige une deuxième vague de souffrance aux victimes et à leur parent protecteur, presque toujours les mères. Pourquoi un enfant qui dénonce des faits d'inceste n'est-il pas protégé ?

D'abord le trauma, mourir une fois, mourir à chaque fois, l'inceste. Et puis, la parole, tenter de parler, quand on a trois ans ou six ans, quatorze ans peut-être. Pour que cela cesse. On croit qu'on va nous protéger. Parce que c'est ce qu'on nous a toujours dit. Que les grandes personnes étaient là pour nous protéger, et que c'est pour ça qu'il faut les écouter.

L'inceste est « le seul crime où l'on force un enfant à rester aux mains de son bourreau »

Mais quand les enfants parlent, on ne les croit pas. Iels mentent c'est sûr. Ou non, pire, c'est leur mère qui les manipule, qui veut faire souffrir papa, qui invente tout ça. Et puis, il ne faudrait pas éloigner l'enfant de ses parents, et surtout pas de son père, ce « bon père de famille ». Alors la mère qui en fait trop, décidément ça suffit, il faut la mettre à distance, la faire taire. Totale inversion de la culpabilité.

Pour comprendre pourquoi nous cautionnons encore que ce schéma se répète inlassablement, il faut se demander : en quoi le naufrage de la justice est-il l'une des manifestations du système-inceste ? C'est ce que Romane Brisard, journaliste, a tenté de documenter dans son livre Inceste d'État (Stock, 2025). Elle y montre que la faillite des institutions judiciaires n'est pas la cause de cette tragédie, mais bien « la conséquence de notre tolérance envers la domination masculine sur le corps des femmes et des enfants ».

Famille à tout prix

Le point de départ de l'enquête de Romane Brisard est une contradiction : six enfants sur dix qui révèlent des faits d'inceste ne sont pas mis en sécurité1. Alors que 33 % des agressions sont commises par le père, l'inceste est « le seul crime où l'on force un enfant à rester aux mains de son bourreau ». Pour quelle raison ? Le juge Édouard Durand, qui a présidé la Ciivise, parle de l'injonction à la « préservation de l'équilibre parental », car « ce qui fait horreur au corps social que nous sommes, c'est de délier un enfant de son géniteur2 ». Romane Brisard décrit quant à elle une « imprégnation idéologique » de tous les corps de la justice jusqu'à l'Aide sociale à l'enfance (ASE), « biberonnés au syndrome d'aliénation parentale ».

« On n'est pas là pour écouter des histoires qui sortent de la tête d'une petite fille »

Le syndrome d'aliénation parentale, inventé en 1987 par le psychiatre américain Richard Gardner, ouvertement misogyne et défenseur de la pédocriminalité, assimile les enfants à des menteur·ses manipulé·es par leur mère dans le cadre du « conflit parental ». Ce pseudoconcept scientifique a progressivement infusé dans les institutions judiciaires, encouragé par des thérapeutes comme Paul Bensussan et relayé lors d'affaires telles que celle d'Outreau. Au point que, comme l'écrit Romane Brisard, le réflexe des magistrat·es est désormais à la « présomption de manipulation » qui pèse sur les enfants et leur parent·e protecteur·ice. Cette idéologie, pur produit du système patriarcal et de l'adultisme, sous-tend un véritable « acharnement judiciaire » qui prend forme au travers d'une « chaîne de défaillances » dont souffrent de manière quasiment systématique toutes les affaires d'inceste sur mineurs.

Défaillance ou complaisance ?

Dans son enquête, la journaliste décrit quatre maillons de cette chaîne de « dysfonctionnements ». Des défaillances, qui sont en réalité plus à comprendre comme un laissez-faire complaisant de la part des institutions baignant dans la culture de l'inceste, que comme des manquements involontaires. En premier lieu, après le dépôt d'une plainte pour inceste3 par la mère de l'enfant, celui-ci va être auditionné au commissariat. Or aujourd'hui, ni les espaces mis à disposition ni les protocoles d'audition ne sont en mesure de permettre d'accueillir la parole des enfants comme il le faudrait. Souvent, les questions posées transpirent le syndrome d'aliénation parentale. Romane Brisard retranscrit ainsi des extraits d'auditions entre un officier de police et Anouk, une petite fille de neuf ans dont la mère a porté plainte suite à ses révélations d'inceste paternel : « Tu sais Anouk, je vais te dire un truc. En fait, nous on est des policiers, d'accord ? On n'est pas des psychologues. On n'est pas là pour écouter des histoires qui sortent de la tête d'une petite fille. »

Pour décider des suites de l'affaire, une enquête doit être menée. Insuffisante du fait du manque de moyens et de formation des enquêteurs – quand ce n'est pas purement de la négligence – elle dure deux ans en moyenne. Deux années pendant lesquelles l'enfant continue dans la plupart des cas d'être remis aux mains de son agresseur dans l'attente d'une décision pénale. Deuxième maillon de la chaîne.

Juge pénal, juge aux affaires familiales, juge des enfants... Personne ne se parle, mais tou·tes ont à cœur leur mission : « maintenir l'équilibre familial »

Pour les mères, une seule solution pour faire cesser cette torture : saisir le juge aux affaires familiales pour demander à suspendre les droits de visite et d'hébergement du père. Une procédure civile, en parallèle de la procédure pénale, qui voit « toutes les juridictions se renvoyer la balle ». Juge pénal, juge aux affaires familiales, juge des enfants… Personne ne se parle, mais tou·tes ont à cœur leur mission : ne pas couper les liens du père avec l'enfant pour « maintenir l'équilibre familial ». Et même les travailleur·ses de l'ASE, sollicité·es pour intervenir auprès des familles, y participent. Troisième maillon. Voilà comment le système judiciaire laisse la présomption d'innocence prendre le pas sur le principe de précaution.

Ce sont des résistantes

Alors, ces mères protectrices deviennent « à leur corps défendant des résistantes ». Lorsqu'elles décident de ne plus remettre leurs enfants à leur père incestueux, elles s'exposent à des poursuites pour « non-représentation d'enfant ». « Un délit qui devient […] une nouvelle arme judiciaire pour certains hommes », comme l'explique Romane Brisard. Car le·a juge aux affaires familiales, saisi·e par le père empêché, s'empresse ici de faire son travail : suspendre l'autorité et les droits parentaux de la mère. Et lorsqu'iel se voit opposer par celle-ci l'affaire d'inceste en cours de jugement au tribunal pénal, le·a magistrat·e de rétorquer : « Ne nous prenez pas la tête avec ces affaires d'inceste. On n'est pas là pour juger ça. »4 Quatrième et dernier maillon de la chaîne. Couperet final.

Le système judiciaire laisse la présomption d'innocence prendre le pas sur le principe de précaution

Certaines mères finissent donc par fuir, avec leurs enfants. Calvaire en cavale. Que peuvent-elles faire d'autre ? Aux yeux de la justice, elles deviennent des hors-la-loi. Comme Gladys, qui témoigne dans le livre, elles savent qu'elles risquent jusqu'à la prison : « Jamais sans ma fille, même si demain, je dois payer. » Pour Romane Brisard, elles sont bien au contraire au-devant de la loi : « Dans quelques années on parlera d'elles comme on parle aujourd'hui des premières femmes qui avaient publiquement déclaré avoir avorté. » En attendant, des collectifs comme Incesticide France se sont formés pour dénoncer la violence inimaginable de cette inversion de culpabilité qui conduit à la criminalisation des mères. Ils réclament notamment la création d'une commission d'enquête parlementaire sur le traitement judiciaire de l'inceste parental. Leur combat : « Mettre un terme à l'impunité qui enrobe [l'inceste] comme une seconde peau. » En gardant une chose en tête : les textes de loi ne suffiront pas à protéger les enfants tant que le système inceste continuera à s'immiscer dans leur pratique.

Laëtitia Giraud

Signaler, accompagner et soigner

Des associations existent pour accueillir la parole des victimes et des proches et proposer des suivis thérapeutiques ou juridiques.

À Marseille, l'association Agir avec les Bonnes Mères, Renaître après l'inceste accompagne les survivant·es de l'inceste et leurs proches avec des permanences, la mise à disposition d'une liste de thérapeutes formés à la prise en charge des psychotraumatismes liés à l'inceste ou encore l'organisation d'un groupe de parole mixte entre pairs.

L'association propose aussi une préparation et un accompagnement au parcours judiciaire pour les adultes qui souhaiteraient s'y (re) lancer. Au regard du risque de retraumatisation lors de ces parcours, Béatrice Duluc, référente de l'association, insiste sur « l'importance de la préparation en amont afin de détenir tous les éléments », car « on sait à quel point chaque mot compte pour que la plainte ait une chance d'aboutir ». Les Bonnes Mères met donc à disposition une liste d'avocat·es certifié·es, en plus des professionnels du soin. L'association offre également la possibilité d'être présente lors du dépôt de plainte.

Tous les numéros d'urgence : www.lesbonnesmeres.fr/numeros-durgence/


1 Rapport public de la Ciivise, « Violences sexuelles faites aux enfants : on vous croit », 17 novembre 2023.

2 « Inceste : le grand déni ? », C ce soir sur France TV (12/11/2025).

3 L'inceste n'est pas considéré comme un délit en tant que tel, mais comme une circonstance aggravante d'agression sexuelle ou de viol.

4 Une phrase que Romane Brisard a entendu de nombreuses fois lors des auditions auxquelles elle assistait.

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