25.10.2025 à 13:51
Lucile Carillo
« Nous avons, aujourd'hui, un taux de chômage qui est le plus bas depuis quinze ans », fanfaronnait Emmanuel Macron quelques mois avant sa réélection. Sa solution : réduire la durée d'indemnisation et allonger celle nécessaire pour ouvrir des droits. Résultat : des demandeurs d'emploi sous pression, contraints d'accepter un job « quoi qu'il en coûte ». « Et infirmière, c'est sympa ça non, infirmière ? » Premier rendez-vous à France Travail après dix ans de journalisme au SMIC et un (…)
- CQFD n°245 (octobre 2025) / Alex Less« Nous avons, aujourd'hui, un taux de chômage qui est le plus bas depuis quinze ans », fanfaronnait Emmanuel Macron quelques mois avant sa réélection. Sa solution : réduire la durée d'indemnisation et allonger celle nécessaire pour ouvrir des droits. Résultat : des demandeurs d'emploi sous pression, contraints d'accepter un job « quoi qu'il en coûte ».
« Et infirmière, c'est sympa ça non, infirmière ? » Premier rendez-vous à France Travail après dix ans de journalisme au SMIC et un burn-out. Les secteurs qui recrutent : le BTP, la restauration et le social. « Parce que vous savez, c'est pas valorisant d'être au chômage. Si dans trois mois vous ne trouvez pas dans votre secteur, il va falloir penser à une reconversion. France Travail finance de moins en moins de formation. Et puis les contrôles vont se durcir. Après, ce sera les ménages. » Nous devrions nous estimer chanceux d'être parmi les derniers à avoir pu profiter d'une rupture conventionnelle : trop d'abus à ce que disent les politiques. Dorénavant, ce sera le licenciement, une fin de contrat à durée déterminée ou la démission. Sourire compatissant, le conseiller nous colle un suivi 100 % dématérialisé et à une première visio. Entre temps, trois mails par jour de France Travail en moyenne : « Vous êtes en retard sur vos démarches », « Participez au salon des métiers de la sécurité », « Speed dating au Quick sans CV ».
« On vous a bloqué de 10 à 14 heures, mais ne vous inquiétez pas, ça ne prendra qu'une heure. » Nous sommes une dizaine, éclatés en petites fenêtres sur l'écran. Seule la conseillère débite : les chômeurs, « demandeurs d'emploi », ont surtout des devoirs. Premier impératif catégorique : s'actualiser tous les mois et remplir un bilan en ligne mensuel dont la page est régulièrement en maintenance. Il faut être maintenu en activité par tous les moyens : déposer des lettres de motivation sans adresse dans l'espace candidat, constituer un « Parcours emploi », remplir des « tests Pix », pour évaluer nos compétences numériques. Une série interminable d'exercices lunaires pour apprendre à utiliser une boîte mail : « Vous êtes un policier infiltré dans la mafia dirigée par Al Capone. Dans la messagerie ci-dessous, envoyez le courrier électronique suivant à Al Capone (alcapone@pixmail.org) en mettant secrètement en copie votre collègue policière Tatiana (tatiana@pixmail.org). » De quoi justifier les 15 heures d'activité par semaine exigées par le ministère du Travail.
En 2017, l'institution, qui s'appelait encore Pôle Emploi, publiait une infographie sur la journée type du demandeur d'emploi : 7 heures 45, « on se réveille par une petite séance d'exercices à jeun ! Des études prouvent que le sport au réveil permet de booster votre motivation » ; 8 heures 30, douche, « on en profite pour réfléchir à nos objectifs » ; 9 heures 15, « c'est parti pour une recherche efficace » ; 13 heures, « on prend une heure pour répondre à des petits boulots » ; 16 heures, « une heure pour réseauter » ; et ainsi de suite jusqu'à 17 heures 30. La réforme de l'assurance-chômage de 2025 a deux mantras : 3,6 milliards d'économies à mettre sur l'autel de la dette, et durcir les conditions d'accès aux indemnités, pour lesquelles, rappelons-le, le travailleur a cotisé. L'idée : rendre plus coûteux le non-retour à l'emploi qu'accepter un boulot précaire, durant six mois minimum pour avoir droit à l'aide au retour à l'emploi. Mettre la France au travail ou faire fructifier la misère ?
25.10.2025 à 13:47
La Sellette
En comparution immédiate, on traite à la chaîne la petite délinquance urbaine, on entend souvent les mots « vol » et « stupéfiants », on ne parle pas toujours français et on finit la plupart du temps en prison. Une justice expéditive dont cette chronique livre un instantané. Toulouse, chambre des comparutions immédiates, septembre 2025 Le tribunal juge Missoum T., 50 ans, pour avoir insulté et menacé par téléphone sa conseillère France Travail. Le conflit a commencé au début de (…)
- CQFD n°245 (octobre 2025) / Chronique judiciaireEn comparution immédiate, on traite à la chaîne la petite délinquance urbaine, on entend souvent les mots « vol » et « stupéfiants », on ne parle pas toujours français et on finit la plupart du temps en prison. Une justice expéditive dont cette chronique livre un instantané.
Le tribunal juge Missoum T., 50 ans, pour avoir insulté et menacé par téléphone sa conseillère France Travail.
Le conflit a commencé au début de l'année quand l'agence lui a demandé le remboursement d'un trop-perçu. Interrogé par la présidente, le prévenu reconnaît les insultes mais dit ne pas avoir voulu faire peur à sa conseillère :
— J'ai du mal à gérer ma colère.
— Les agents ne font que leur travail ! Vous comprenez que votre colère est mal dirigée ?
Le prévenu a l'air un peu hésitant, mais acquiesce. Il commence à expliquer que sa vie est vraiment difficile quand la présidente le coupe :
— Est-ce que ça justifie de vous en prendre à ces gens qui ont peut-être eux-mêmes des difficultés à joindre les deux bouts ?
Elle précise que si le parquet a envoyé le prévenu en comparution immédiate, c'est probablement en raison de son casier judiciaire :
— 24 mentions ! Des condamnations pour menaces de mort, des violences… Vous avez été condamné à cinq mois de prison en 2021, avec une obligation de soin, notamment pour votre impulsivité. C'est une réponse pénale graduée : on essaye de tenir compte des faits, d'avoir un encadrement, de vous aider à vous en sortir. Et vous, est-ce que vous avez entamé des démarches ?
— Je suis allé voir un psychanalyste, mais à 80 euros la séance et à raison de deux séances par semaine ce n'était pas possible, alors j'ai arrêté. Je cherche un psychologue spécialisé dans la gestion de la colère, mais ils ont trop de patients pour en prendre des nouveaux.
L'avocate de France Travail trouve regrettable « de voir ce type d'agression verbale pour obtenir des allocations chômage » :
— Comme si les agents ne travaillaient pas dans l'intérêt des allocataires pour s'assurer qu'ils touchent leurs indemnités ! Monsieur croyait avoir droit à l'allocation retour à l'emploi. Mais en fait non. Ça lui avait été très bien expliqué.
Le procureur ne s'embête pas trop à justifier les six mois de prison avec maintien en détention qu'il demande : après tout, « comme le prévenu le dit lui-même, il a du mal à gérer sa colère ». Il ajoute 500 euros pour l'outrage à une personne chargée d'une mission de service public.
Pour l'avocat de Missoum T., l'incarcération va réduire à néant tous ses efforts d'insertion :
— Depuis qu'il est sorti de prison en décembre 2023, il a un appartement, il est couvreur-zingueur en intérim, il travaille tous les mois. D'accord ce qu'il a fait est grave, mais est-ce que ça justifie la prison ? Pendant six mois, on est tranquille, mais est-ce que c'est utile ?
Le dernier mot est au prévenu :
— Retourner en prison, ce serait… C'est déjà assez dur. La situation actuelle est…
Sans attendre qu'il finisse sa phrase, un des assesseurs s'est déjà levé pour aller délibérer. Quand le tribunal revient, la présidente annonce la sentence :
— Le tribunal vous condamne à quatre mois assortis d'un sursis probat… Euh, je voulais dire huit mois ! Dont quatre avec un sursis probatoire. Au regard des éléments de personnalité – vous avez un logement stable et un travail –, le tribunal aménage cette peine sous la forme d'un bracelet électronique.
25.10.2025 à 13:44
Le 14 septembre, 100 000 manifestants ont occupé le centre de Madrid et arrêté avec succès la dernière étape de la Vuelta, course cycliste nationale espagnole. Le journal Viento Sur revient sur les leçons politiques de l'évènement. Blocages, intrusions : le parcours de la Vuelta a été quotidiennement perturbé jusqu'à la dernière étape de la course cycliste espagnole, jusqu'à empêcher le peloton de l'équipe Israël-Premier Tech d'arriver à la capitale. Les manifestants dénonçaient le (…)
- CQFD n°245 (octobre 2025) / Morceaux volésLe 14 septembre, 100 000 manifestants ont occupé le centre de Madrid et arrêté avec succès la dernière étape de la Vuelta, course cycliste nationale espagnole. Le journal Viento Sur revient sur les leçons politiques de l'évènement1.
Blocages, intrusions : le parcours de la Vuelta a été quotidiennement perturbé jusqu'à la dernière étape de la course cycliste espagnole, jusqu'à empêcher le peloton de l'équipe Israël-Premier Tech d'arriver à la capitale. Les manifestants dénonçaient le blanchiment de l'État hébreu génocidaire au travers des institutions sportives. Une victoire populaire que le gouvernement de Pedro Sánchez s'est empressé de saluer, mais aussi de réprimer par blindés et flashballs. Víctor de la Fuente, membre d'Anticapitalistas, partage son opinion dans Viento Sur, loin des récits qui encensent le rôle du chef du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE).
[…] Ce type de grande explosion sociale peut paraître spontané. Or, pour réussir le déclic, il faut d'abord un embryon : un travail militant préparatoire de nombreuses années qui rend possible le moment de débordement […]. Cette victoire peut s'expliquer par la combinaison entre une évidence objective – le fait que le gouvernement espagnol ne rompt pas les relations avec l'État génocidaire d'Israël, le magma politique de solidarité avec la Palestine semé pendant des années dans l'ensemble du territoire espagnol, et la capacité à instaurer un rapport de force face à nos gouvernements soutenants de l'impérialisme occidental.
Après deux ans de génocide, Sanchez et son gouvernement ont été incapables de répondre concrètement aux exigences populaires d'une rupture avec Israël. […]
D'un côté, Sanchez annonce un embargo qui n'arrive jamais et permet la persistance du sionisme dans l'état espagnol ; de l'autre, il reporte toute mesure qui concrétiserait cette rupture et déploie le 14 septembre à Madrid un dispositif de plus de 1500 policiers, équivalent à celui du dernier sommet de l'OTAN […].
Conscient de la situation et de manière opportuniste, Sánchez a salué les manifestations avec l'intention de surfer sur la vague de solidarité active avec la Palestine. Il faudra donc être attentifs aux prochaines annonces du conseil de ministres. Au vu des antécédents, il sera crucial de prêter attention aux détails, car le gouvernement a tendance à esquiver le conflit et à masquer l'absence de mesures significatives sous le masque du symbolisme. Il y aura cette fois-ci un prix à payer, puisqu'en reconnaissant la légitimité du mouvement, le PSOE ne peut se permettre d'ignorer ses revendications.
La leçon est très claire : nous devons continuer à travailler dans la construction d'un mouvement unitaire et expansif, avec vocation de massification et des revendications politiques claires, indépendant du cadre gouvernemental. La condition est de garder toujours la même boussole : la nécessité de créer un rapport de force face à notre propre gouvernement et l'UE, les deux garants de l'État d'Israël. C'est sur cette force que nous devons bâtir la mobilisation du 4 octobre, appelée par RESCOP2 [pour demander un embargo total et rupture définitive des liens avec Israël] ».
25.10.2025 à 13:00
Livia Stahl
Quand on fait grève, en général, on ne se repose pas. À courir de manif en piquet, de réunion en AG, le cerveau est dopé et ne s'arrête plus de tourner. Le 17 septembre dernier, on débattait avec les grévistes de la CGT Mines et Énergie de la nationalisation de leurs outils de production. Dans le secteur de l'énergie, cette rentrée est bien remplie. Préparés depuis trois mois à lancer une grève d'ampleur, les énergéticiens sonnent le clairon de la mobilisation dès le 2 septembre en (…)
- CQFD n°245 (octobre 2025) / Le dossierQuand on fait grève, en général, on ne se repose pas. À courir de manif en piquet, de réunion en AG, le cerveau est dopé et ne s'arrête plus de tourner. Le 17 septembre dernier, on débattait avec les grévistes de la CGT Mines et Énergie de la nationalisation de leurs outils de production.
Dans le secteur de l'énergie, cette rentrée est bien remplie. Préparés depuis trois mois à lancer une grève d'ampleur, les énergéticiens sonnent le clairon de la mobilisation dès le 2 septembre en totalisant 250 piquets partout en France. À Marseille, c'est sur le site d'Enedis, boulevard Gueidon, que se construit jour après jour ce qui ressemble de plus en plus à une installation de festival : canapés et fauteuils, coin hamacs pour passer les nuits, frigo, gazinière, bar, table de réunion pour les banquets barbeuc et, inévitablement, brasero à l'entrée sur fond de drapeaux CGT, piqués sur des pneus dressés en haie d'honneur. Forcément à CQFD, on y a pas mal traîné.
« L'argent ne partait pas pour enrichir les actionnaires, il était réinvesti pour construire les moyens de production »
Plus que les soirées match au vidéoproj', ce qui nous a vraiment enjaillés, c'est le caractère de leur grève, plus politique qu'à l'accoutumée. Ils exigent l'alignement de leur grille de salaires sur l'inflation, mais pas seulement : également l'abrogation d'une mesure survenue sournoisement cet été qui fait passer la TVA sur l'énergie de 5,5 % à 20 % et qui promet d'exploser la facture des usagers. Mercredi 17 septembre, veille de journée de grève nationale, le piquet a même organisé une soirée projection du film Main basse sur l'énergie, de Gilles Balbastre (2019). Une pépite made by la FNME-CGT, qui raconte comment le patronat, aidé de l'État, se saisit de la mine d'or que représente la production d'énergie en France. L'occasion de débattre : la nationaliser oui, mais sous le contrôle de qui, de l'État, ou des travailleurs ?
Dans le film, des syndiqués CGT sont déguisés en pontes de la mafia. Autour d'une table, ils comptent leurs billets. Ils acclament à la télé les ministres de tous bords, qui se succèdent depuis 2012 dans un même acte de communion : saucissonner le monopole d'État de l'énergie, conquis en 1946 par le vénérable Marcel Paul, ministre PCF de la Production industrielle. Objectif : en vendre (pas cher) des parts (très lucratives) au privé. Ouvrant le débat sur le piquet, un ancien du PCF se lève furibard : « Et si je comprends bien, l'État va ensuite racheter cette électricité au privé, qui n'a rien fait pour la produire et qui en fixe tranquillement les prix ? ! J'attends de vous des explications ! ». Géraldine, à la tribune, lui répond. Avec la construction européenne, la France s'est vue contrainte de vendre ses monopoles, jugés « déloyaux » vis-à-vis de la concurrence. « Alors que tout ce que notre entreprise a construit pendant 80 ans, ce sont les Français qui l'ont payé avec leurs impôts. Cet argent-là ne partait pas pour enrichir les actionnaires, il était réinvesti pour construire les moyens de production : centrales thermiques, nucléaires, hydrauliques. Ces biens, ils appartiennent aux Français. Comme leur appartenaient les autoroutes. »
Le film raconte aussi l'histoire de l'éolien comme une véritable ruée vers l'or, Total en première ligne. Cette « énergie verte » permet non seulement au géant du pétrole un bienvenu greenwashing, que l'État applaudit des deux mains, mais lui octroie aussi d'utiles « bons à polluer » pour ses activités moins eco-friendly. « L'hydraulique aussi a été l'objet de convoitise, explique un moustachu à la tribune. Et pas des moindres : c'est le seul vrai moyen de stocker de l'énergie. L'eau retenue dans les barrages est en réalité de l'électricité potentielle avant qu'on ouvre les vannes. Évidemment, le privé voulait les barrages, pour pouvoir refuser de les faire tourner, et ainsi spéculer et faire grimper les prix. Mais grâce aux travailleurs du secteur qui ont lutté sans merci, ils ont abandonné ». Acclamations dans l'assistance.
Nationaliser, c'est aussi s'assurer du bon entretien des infrastructures. « L'État avait provisionné une somme pour 40 ans d'entretien du réseau de gaz. Après l'entrée d'actionnaires privés au capital, cette enveloppe a été étalée non plus sur 40 ans, mais sur 100 ans. Ils ont aussi drastiquement réduit le nombre d'agents sur le terrain, augmentant de fait tous les délais d'intervention en cas de fuite de gaz », explique Renaud Henry, secrétaire général de la Fédération nationale des mines et de l'énergie CGT de Marseille. « Plus que de changer de statut pour redevenir un EPIC [Établissement public d'intérêt commercial], on veut être une instance de lien avec les usagers pour que les décisions soient prises démocratiquement. Il va y avoir de grandes décisions à prendre ces prochaines années, sur la transition écologique et énergétique. »
Nationaliser, ça tombe sous le sens. Mais comment s'assurer que le pouvoir de décision restera entre les mains des travailleurs et des usagers ? Peut-on vraiment espérer qu'il fera de l'énergie un bien de première nécessité, gratuit pour les usagers ? Pourra-t-on refuser d'alimenter les entreprises qui produisent des armes ? Comment penser un modèle, non pas national, mais internationaliste de l'énergie, qui mettra fin à la concurrence des travailleurs, et à l'exploitation de ceux qui, dans les « anciennes » colonies françaises, triment pour extraire des mines le précieux uranium nécessaire au nucléaire ?
La soirée, riche en débats et en paëlla, se termine tard. Et confirme que la grève, en plus de bloquer l'économie, a ce pouvoir magique de débloquer les consciences.
25.10.2025 à 13:00
Camila Flores
Le jeudi 18 septembre, les militant·es qui bloquaient l'usine Eurolinks ont rejoint par hasard le piquet de grève des salariés sous-traitants en charge du nettoyage des métros et bus marseillais de la RTM, la Régie des transports métropolitains. Une rencontre entre deux univers de lutte. Le 18 septembre, après une deuxième action de blocage à l'usine Eurolinks réprimée par des flics en robocop, les militant·es dispersé·es ont fait une rencontre à laquelle iels ne s'attendaient pas. Sur la (…)
- CQFD n°245 (octobre 2025) / Alex Less, Le dossierLe jeudi 18 septembre, les militant·es qui bloquaient l'usine Eurolinks ont rejoint par hasard le piquet de grève des salariés sous-traitants en charge du nettoyage des métros et bus marseillais de la RTM, la Régie des transports métropolitains. Une rencontre entre deux univers de lutte.
Le 18 septembre, après une deuxième action de blocage à l'usine Eurolinks1 réprimée par des flics en robocop, les militant·es dispersé·es ont fait une rencontre à laquelle iels ne s'attendaient pas. Sur la route du retour vers le centre-ville, iels sont tombé·es sur des sous-traitants d'Atalian, le prestataire qui, depuis septembre 2024, a le marché de la propreté des transports en commun de Marseille. Alors que le cortège de bloqueur·euses passe, l'un des salariés les invite à rejoindre leur piquet de grève – dont personne ne semblait connaître l'existence.
Cela fait plus d'un an que les sous-traitants de la RTM sont en lutte.
Le groupe hésite. Certain·es prennent le parti de rejoindre les salariés d'Atalian, mais d'autres voix divergent. Comme cette femme, d'une quarantaine d'années, qui lance à la cantonade : « Qu'est-ce que j'en ai à foutre moi de la RTM alors que nos frères et sœurs se font tuer en Palestine ? En plus, ils me mettent des amendes ! » Difficile pour celleux qui veulent rejoindre le piquet d'expliciter le rapport entre une grève de sous-traitants de la RTM et une lutte pour soutenir les Palestinien·nes contre le génocide. Le mantra de la convergence des luttes, l'idéal de la grève générale pour une société plus juste… Ça ne s'explique pas en quelques minutes après neuf heures de blocage.
Une partie du groupe se met finalement en route pour rejoindre le piquet des salariés d'Atalian. En grève depuis le matin, ils sont réunis autour d'un barbecue, non loin de l'entrée du dépôt de bus de Château-Gombert (13e arrondissement). Sourires, bonne humeur, les victuailles se partagent entre deux groupes qui ne se ressemblent pas : des hommes, dans la quarantaine ou la cinquantaine, racisés pour beaucoup, et des bloqueur·euses aux traits tirés, autour de la vingtaine, principalement des femmes et des personnes queers.
Quand la question est posée de savoir quelle organisation soutient leur lutte, les grévistes répondent vaguement : « Les Gilets jaunes, la CGT, CNT… »
Cela fait plus d'un an que les sous-traitants de la RTM sont en lutte. Des grèves régulières qui poursuivent le même objectif : obtenir de leur employeur le versement des salaires, l'envoi des fiches de paies et l'intégration de quatorze anciens membres de leur équipe – des salarié·es de l'époque Laser, l'entreprise titulaire du marché avant la reprise d'Atalian en 2024. Sur leur piquet, pas de tracts ni de drapeaux de syndicats. Quand la question est posée de savoir quelle organisation soutient leur lutte, les grévistes répondent vaguement : « Les Gilets jaunes, la CGT, CNT… ». L'appartenance syndicale n'est pas claire, mais les motifs de convergence, eux, ne manquent pas : « Si vous me permettez, regardez-nous, on est des barbus et des bronzés. Ça n'y est pas pour rien dans la façon dont ils nous traitent », explique un des grévistes. « Et on soutient à fond la Palestine nous aussi, vous inquiétez pas ! »
Les tenants du piquet expliquent la suite de leur plan : un journaliste de La Provence est en route, ils vont l'attendre pour faire une action symbolique. Le groupe va se mettre sur la chaussée, sans bloquer le dépôt des bus – « pour rester dans la légalité » – mais en ralentissant la circulation. S'ensuit une demi-heure de joyeux bordel : les sous-traitants sont équipés en fumigène et tous et toutes s'appliquent à donner de la voix devant la caméra de La Provence. Alors que les nouvelles et nouveaux venu·es demandent quels slogans il faut chanter, il y a comme un blanc. « Payez-nous ! » et « Stop au complot… » Une formulation qui fait tiquer certain·es des bloqueur·euses… Mais n'empêche pas le groupe de s'élancer à la rencontre des voitures arrêtées devant le piquet pour expliquer le combat des sous-traitants d'Atalian, puisque la paire de banderoles accrochée aux grilles mettant en cause l'entreprise est difficilement déchiffrable. Puis, avec l'enthousiasme du nombre, les bus sont finalement bloqués.
1 Une première action de blocage d'Eurolinks avait eu lieu la semaine précédente, durant la journée du 10 septembre. Lire l'article page 5.
25.10.2025 à 13:00
Niel Kadereit
Dans leur dernier livre Marxistes et libertaires : affinités révolutionnaires, Olivier Besancenot et Michael Löwy retracent l'histoire des alliances et solidarités entre ces deux courants, avec l'espoir de voir advenir un futur rouge et noir. Entretien. Paru une première fois en 2014, le livre Marxistes et libertaires : affinités révolutionnaires a été réédité en mai dernier par Libertalia. Des débuts de la CGT à la guerre d'Espagne, en passant par le mouvement surréaliste, Olivier (…)
- CQFD n°245 (octobre 2025) / Élias, Le dossier
Dans leur dernier livre Marxistes et libertaires : affinités révolutionnaires, Olivier Besancenot et Michael Löwy retracent l'histoire des alliances et solidarités entre ces deux courants, avec l'espoir de voir advenir un futur rouge et noir. Entretien.
Paru une première fois en 2014, le livre Marxistes et libertaires : affinités révolutionnaires a été réédité en mai dernier par Libertalia. Des débuts de la CGT à la guerre d'Espagne, en passant par le mouvement surréaliste, Olivier Besancenot, porte-parole du NPA et guichetier à la Poste, et Michael Löwy, sociologue et philosophe marxiste, montrent que l'histoire des luttes est jalonnée d'amitiés et de ponts entre anarchistes et communistes. Plus qu'une doctrine achevée, le marxisme libertaire est une sensibilité, une affinité, écrivent les deux militants. Il repose sur « une certaine démarche politique et intellectuelle : la volonté commune de se débarrasser, par la révolution, de la dictature du capital pour bâtir une société désaliénée, égalitaire, libérée du carcan autoritaire de l'État ». Autant d'aspirations que l'on retrouve au cœur des derniers mouvements sociaux en France. Ainsi, l'ouvrage nous offre des perspectives pour penser la période et saisir les contours d'un possible anarcho-communisme.
Pourquoi avoir écrit ce livre ?
« Les marxistes ont beaucoup à apprendre de l'idée radicale de la liberté des anarchistes, de leur refus de toute tyrannie, domination et oppression »
« Michael et moi sommes issus de la tradition marxiste, pourtant nous avons toujours voulu développer des convergences avec la mouvance libertaire, apprendre de leurs idées et de leurs pratiques. Les affinités entre anarchisme et communisme sont anciennes, à commencer chez Marx lui-même. Au lendemain de la Commune, il voit dans cette expérience la forme d'émancipation enfin trouvée qui a aboli l'appareil d'État. De son côté, le philosophe anarchiste Bakounine écrit qu'il a manqué au peuple de Paris un gouvernement et une armée révolutionnaire. On voit à travers ces deux exemples que les passerelles existent dès l'origine. L'historien et théoricien du marxisme libertaire Daniel Guérin parlait même d'un “Lénine libertaire”. Le but de ce livre est donc de dépasser les sempiternelles querelles entre les deux traditions révolutionnaires pour montrer qu'il y a eu des complicités, des combats communs, des figures communes. Et qu'il serait bon de retisser ce fil-là aujourd'hui, où l'on a besoin de se serrer les coudes. »
Justement, on voit à travers les exemples cités tout au long du livre que les alliances n'ont jamais été aussi fortes que face à un ennemi commun.
« Effectivement, en général c'est au pied du mur que les convergences s'effectuent, contre le fascisme et les contre-révolutions bureaucratiques. C'est le cas en Espagne par exemple, lors de la guerre civile de 1936 à 1939. Jusqu'en 1937, le pays est le théâtre d'une révolution authentique : collectivisation des terres par les paysans, réappropriation des usines par les ouvriers, réquisition des transports publics par les travailleurs et la population. Durant certains de ces épisodes, communistes et anarchistes combattent ensemble. Au début du mois de mai de l'année 1937, une insurrection ouvrière éclate à Barcelone pour contrer la tentative de saisie par la police d'État de la centrale téléphonique, alors sous contrôle des travailleurs. La Confédération nationale du travail (CNT), syndicat anarchiste, et le Parti ouvrier d'unification marxiste (POUM) se retrouvent alors du même côté des barricades. »
Une fois que la question de l'exercice du pouvoir se pose sérieusement, c'est là que les divergences se font plus fortes ?
« Sûrement. Quand Louise Michel dit que le pouvoir est maudit, malheureusement, elle a raison. Pour autant, il faut continuer de se poser la question de son exercice, et hélas, on souffre du manque d'espaces communs pour discuter stratégie. Il faut que l'on arrive à penser la prise de pouvoir sans subir sa malédiction. Il y a une citation de Daniel Guérin, qui, à ce sujet, me parle beaucoup : “En prenant un bain d'anarchisme, le marxisme peut sortir nettoyé de ses pustules et régénéré.” Les marxistes ont beaucoup à apprendre de l'idée radicale de la liberté des anarchistes, de leur refus de toute tyrannie, domination et oppression. Guérin parle aussi d'un “sérum anarchiste”, c'est-à-dire l'autogestion et la place centrale de l'individu dans un projet d'émancipation collective, à injecter dans les marxismes pour les voir se régénérer.
Vous évoquez, dans le livre, les municipalités autonomes rebelles zapatistes du Chiapas, le Rojava kurde et la Commune, comme quelques-unes des expériences les plus abouties d'alliance du marxisme et de l'anarchisme. Est-ce que cela signifie que celle-ci n'est possible qu'à l'échelle infra-étatique ?
Pour Rosa Luxemburg, l'étincelle de la conscience et de la volonté révolutionnaire s'allume dans le combat, dans l'action des masses »
« Peut-être, mais il faut pourtant bien penser la politique au-delà de l'échelon local. L'autarcie, ce n'est pas la solution lorsqu'on prend en compte ne serait-ce que la crise environnementale. Elle nécessite des espaces de coordination entre les différentes assemblées locales. Comment fait-on cela sans que ne naisse un monstre bureaucratique, corps séparé du reste de la société ? C'est une vraie question qui ouvre le débat sur la place de la délibération collective, le rôle des mandats – impératifs ou non – et la manière de contrôler les mandataires. »
Au cœur du geste de rapprochement entre marxistes et libertaires, il y a l'auto-organisation. C'était aussi un des mots d'ordre fort du mouvement du 10 septembre. Est-ce qu'à travers l'histoire que vous retracez il y a des figures qui vous semblent importantes pour penser le mouvement social actuel et l'aiguiller ?
« Rosa Luxemburg est toujours inspirante. Pour elle, l'étincelle de la conscience et de la volonté révolutionnaire s'allume dans le combat, dans l'action des masses. Elle résulte de l'action directe et autonome des travailleurs et ne peut s'apprendre “dans les brochures ou dans les tracts”. Ce qui est intéressant c'est qu'elle prend le mouvement social et analyse comment il peut se politiser lui-même.
« Un cadre auto-organisé se construit là où il a besoin de se construire : si les assemblées du 10 septembre se sont structurées ainsi, c'est que cela répond à une demande »
Durant la période des retraites quand l'intersyndicale dit “on n'empêche personne de reconduire la grève au jour le jour”, cela montre bien que les bureaucraties syndicales ne se donnent plus vraiment les moyens de s'opposer effectivement aux réformes. Et en même temps, la pression de la base a eu du mal à s'imposer au-delà du cadre des journées saute-mouton. Pour l'appel à la grève du 18 septembre, c'est pareil. Il s'est fait sous la pression de la base mais en même temps la réalité n'était pas à la reconduction le 19, y compris au sein des secteurs les plus combatifs. Penser par le bas nous oblige donc à nous interroger sur nos propres limites. »
Les assemblées générales, qui se sont multipliées un peu partout en France autour du 10, ont tenté de s'instituer comme espace d'auto-organisation du mouvement, qu'est-ce que vous en avez pensé ?
« Ces assemblées étaient significatives, car elles ont réussi à ramener du monde. Et c'est ça qui a donné de la force au 10. Il y avait beaucoup de jeunes dans les assemblées et c'est une très bonne chose. Mais c'est aussi une des limites du genre, car cette population jeune, citadine et diplômée ne représente pas l'ensemble de la population dans son rapport de force réel du point de vue de la lutte des classes. »
Les discussions des assemblées étaient plus opérationnelles que politiques, vous y voyez un problème ?
« Moi ça ne m'inquiète pas personnellement. Je pense qu'un cadre auto-organisé se construit là où il a besoin de se construire. Si ces assemblées se sont structurées ainsi, c'est que cela répond à une demande. Préparer une action, c'est la base sur laquelle se constitue un noyau collectif, qui, au fur et à mesure de sa pratique, aura la maturité de discuter d'autre chose. Renouer, ne serait-ce que partiellement, avec ces assemblées c'est déjà important. Et puis le fait que l'on sorte d'une séquence des retraites où l'on avait perdu, alors que nous étions des millions dans la rue, ça aurait pu nous plomber durablement. Là, mine de rien, le gouvernement a dû remballer certaines mesures sous la menace. Même si ce n'est que partiel et que les attaques sont maintenues. Ce qu'il vient de se passer, quoi qu'il en soit, redonne de la confiance. Si cela s'arrête, ce sera sur un sentiment de frustration mais ce ne sera pas un sentiment de défaite. »