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La Lettre de Philosophie Magazine

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13.05.2024 à 13:21

Sur la Station spatiale internationale, les bactéries s’adaptent plus vite que les hommes

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Sur la Station spatiale internationale, les bactéries s’adaptent plus vite que les hommes hschlegel

Des bactéries de l’ISS ont développé d’impressionnants « mécanismes de résistance » aux antibiotiques. Une situation qui inquiète et révèle qu’entre les murs confinés de l’habitacle, tout un écosystème invisible prolifère et évolue.

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  • Sous ses airs d’environnement artificiel séparé de toute « nature » par le vide intersidéral, et peuplé seulement de quelques rares êtres humains (une dizaine d’astronautes), la Station spatiale internationale grouille de vie ! Dans ses bagages, l’homme y a emmené diverses espèces animales pour étudier pendant quelque temps leur adaptation à l’apesanteur : des pleurodèles (un genre de salamandre), des embryons de souris ou plus récemment des bébés calamars et quelques milliers de tardigrades. En 2021, Thomas Pesquet s’est également envolé avec quatre blobs.

  • Mais ce sont surtout des végétaux qui poussent au-dessus de nos têtes, dans l’idée notamment de préparer des voyages spatiaux très longs, sans possibilité de ravitaillement alimentaire. Depuis 2014, différentes cultures de légumes sont étudiées au sein du Vegetable Production System (abrégé en Veggie) : des laitues, des radis, des pois, du cresson, du mizuna (une sorte de chou). Des herbes aromatiques, aussi : basilic ou ginseng. En 2016, la première fleur spatiale a même éclos – une zinnia – suivie bientôt par des pétunias. Ces cultures représentent un vrai défi. Mauvaise qualité de lumière, absence de pesanteur qui provoque des dysfonctionnements dans le métabolisme des plantes, très faible humidité de l’air, etc. : autant de problèmes que les scientifiques essaient de résoudre dans des environnements confinés.

  • Outre des végétaux, les équipes de l’ISS s’intéressent aussi à la culture de divers champignons. Entre les murs de la station, mais également sur son pourtour extérieur. Entre 2008 et 2011, les astronautes ont essayé de faire pousser des espèces de champignons et de lichen, d’abord dans le vide spatial puis dans des conditions proches de celles de la planète Mars. Avec succès ! Même dans le vide, ces étranges vivants sont parvenus, quoique souvent bien amochés, à survivre pour une bonne moitié d’entre eux. Peut-être certains continuent-ils de pousser là-haut ?

  • L’ensemble des ces organismes ont été sciemment implantés dans ou sur l’ISS, au sein d’environnement contrôlés. D’autres cependant, très nombreux, ont fait le voyage à l’insu de l’homme : des milliers de micro-organismes, bactéries, virus, micro-champignons, etc. Tous les équipements et toutes les cargaisons sont stérilisées avant le départ. Impossible, en revanche, de stériliser un être humain. Nous emportons tous, avec nous, dans nos entrailles, un essaim microbiotique. Nous sommes habités par des milliers d’êtres « étrangers », que nous ne cessons de déverser dans notre environnement. Résultat : 12 554 espèces microbiennes différentes ont été dénombrées dans l’ISS en 2017. Signe palpable de cette prolifération invisible : les astronautes doivent régulièrement lutter contre le développement de moisissures. Pas de quoi inquiéter toutefois, malgré la présence de certaines espèces pathogènes. « La diversité est généralement associée à un écosystème sain », soulignait David Coil, co-auteur de l’étude. La composition de ce microbiome en orbite ressemble beaucoup à celui des espaces anthropiques clos : immeubles, bureaux, hôpitaux. 

  • À défaut d’inquiétude, la prudence paraît cependant de mise. En 2021, une bactérie « inconnue », proche du Methylobacterium indicum, a même été découverte, qui a probablement réussi à muter rapidement au sein de l’environnement hermétique. Plusieurs aspects caractéristiques de ce milieu inhabituel et résolument inhospitalier pourraient favoriser le développement de résistances : faible circulation de l’air, puissance du rayonnement cosmique, etc. Peut-être est-ce là ce qui est arrivé aux Enterobacter bugandensis, bactéries qui ne présentent d’ordinaire pas de risque pour l’organisme, dont des chercheurs ont montré qu’elles ont développé d’impressionnants « mécanismes de résistance qui les classent au sein du groupe d’agents pathogènes ». Moins sensibles aux antibiotiques, les Enterobacter bugandensis se multiplient rapidement dans le vaisseau. « Sous l’effet du stress, les souches isolées de l’ISS ont muté et sont devenues génétiquement et fonctionnellement distinctes de leurs homologues terrestres », explique Kasthuri Venkateswaran du Jet Propulsion Laboratory. Conséquence : « Le risque de prolifération est à prendre très au sérieux » par les astronautes, qui consacrent déjà 10% de leur temps au nettoyage minutieux de la station. Le risque pèse d’abord sur les êtres humains en orbite dans la station ; mais la possibilité de ramener ces souches sur Terre éveille aussi certaines craintes.

  • La Station spatiale internationale est, à sa manière, un véritable écosystème quasi-clos, tel un terrarium autonome géant. Les hommes vont et viennent au fil des courtes missions dont la brièveté relative est nécessaire pour éviter les dommages physiologiques irréparables. La station n’est pas un nouveau milieu de vie pour l’espèce, qui définirait de nouvelles conditions évolutives. Les micro-organismes, là-haut, n’ont pas cette « chance ». Certains rentrent au bercail avec leurs porteurs humains, et d’autres nés sur Terre y sont transportés ; mais beaucoup sont condamnés à demeurer, toute leur courte existence durant, dans l’enceinte du vaisseau et doivent trouver un moyen d’y survivre. Ils y naissent, s’y reproduisent et y meurent, esquissant au contact de conditions environnementales uniques les contours de lignes évolutives nouvelles dont on ne peut prédire sur quoi elles déboucheront. Tout au plus peut-on imaginer, par rapport à l’homme, une bien meilleure adaptation de ces vivants à leur environnement dont nous sommes pourtant les concepteurs. D’autant plus que leur vitesse de mutation est bien supérieure à la nôtre. Comme le rapportent Patrice Debré et Jean-Paul Gonzalez dans Vie et mort des épidémies (Odile Jacob, 2013) : « Le temps de génération des virus et des bactéries est infiniment plus court et dès lors les occasions de mutation beaucoup plus nombreuses. Une vie humaine équivaut à près de 1,5 million de générations de bactéries mises bout à bout. […] Au regard de leur potentiel évolutif, l’adaptation des bactéries soumises à une pression de sélection est donc infiniment plus rapide et fréquente que celle des êtres humains. » 

13.05.2024 à 12:37

Vous avez dit “ultradroite” ?

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Vous avez dit “ultradroite” ? hschlegel

Ce samedi 11 mai, plusieurs centaines de militants d’ultradroite ont défilé dans les rues de Paris. Que désigne exactement ce vocable ? À la suite du même défilé, qui avait eu lieu il y a pile un an le 6 mai 2023, nous avions réalisé une typologie des forces en présence, des royalistes aux identitaires, en passant par les nationalistes-révolutionnaires.

13.05.2024 à 08:00

Mark Hunyadi : vers une “déclaration des droits de l’esprit”

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Mark Hunyadi : vers une “déclaration des droits de l’esprit” nfoiry

Alors que notre attention est une ressource captée, voire pillée, par les géants du numérique, le philosophe Mark Hunyadi propose de protéger l’esprit humain à travers la création d’une charte et d’une « haute autorité internationale ». Un entretien à retrouver également dans notre nouveau numéro, disponible chez votre marchand de journaux.

12.05.2024 à 08:00

“C'est quoi, être courageux ?” En parler avec les enfants

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“C'est quoi, être courageux ?” En parler avec les enfants nfoiry

Dans la nouvelle formule de Philosophie magazine, nous proposons la rubrique « Comme des grands ». Dans l'esprit des ateliers d’éveil à la philosophie, des enfants sont invités à répondre à une question posée par l’un d’eux. Puis l’animatrice et formatrice en philosophie avec les enfants Chiara Pastorini donne des éléments permettant d’amorcer une discussion. Ce mois-ci, Amir, 7 ans, se demande : « Comment on fait pour être courageux ? »

10.05.2024 à 16:00

Benjamin Pitchal : “Le surréalisme lie l’infini à la vie quotidienne”

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Benjamin Pitchal : “Le surréalisme lie l’infini à la vie quotidienne” hschlegel

L’année 2024 marque les cent ans de la publication du Manifeste du surréalisme, œuvre d’André Breton parue à l’automne 1924. Nous avons demandé à Benjamin Pitchal, auteur de La Classe verte (Gallimard) en 2018, mais aussi libraire spécialisé dans les ouvrages surréalistes, de revenir sur l’héritage de ce mouvement.

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Quel bilan peut-on tirer du surréalisme, un siècle après la première publication du Manifeste ?

Benjamin Pitchal : On peut considérer que la réussite de toute entreprise intellectuelle se mesure au fait qu’elle passe dans le langage commun et, à ce titre-là, le surréalisme a réussi, dans la mesure où l’adjectif « surréaliste » est largement passé dans le langage courant et est régulièrement utilisé dans les médias… C’est une forme de consécration, même si ce n’est pas exactement le sens que Breton, ou Apollinaire avant lui, avait voulu lui donner ! Du point de vue de l’histoire de la littérature ensuite, on peut reconnaître aux surréalistes le mérite d’avoir donné à des auteurs comme Rimbaud ou Lautréamont la place qu’ils occupent à nos yeux. Il y a des acquis très importants, et la marque qui a été imprimée par le mouvement est incontestable.

“Si la réussite de toute entreprise intellectuelle se mesure au fait qu’elle passe dans le langage commun, alors le surréalisme a indéniablement réussi”

 

Mais diriez-vous pour autant que le surréalisme est à la fête ? Ne vivons-nous pas actuellement une époque trop prosaïque pour être sensibles à la poésie surréaliste ?

La France de 1924 devait être assez prosaïque, elle aussi ! La victoire d’une idée, c’est aussi sa dissolution, puisqu’elle s’est répandue partout. C’est peut-être le malheur du surréalisme d’avoir triomphé. C’est également vrai de ses marges, de ceux qui n’appartenaient pas au groupe à proprement parler : par exemple, Henri Cartier-Bresson faisait dans les années 1930 une photographie dont la théorisation est directement issue du surréalisme. Il en va de même de L’Atalante de Jean Vigo, voire d’Histoire de l’œil de Georges Bataille. Ceux qui ont suivi, comme Samuel Beckett par exemple, ont essayé de dépasser le surréalisme, ce qui montre à quel point il a compté. Dans la littérature française, les expérimentations qui lui ont succédé, comme le Nouveau Roman, sont loin d’avoir laissé la même empreinte. Il faut ajouter que la peinture surréaliste occupe encore aujourd’hui une place majeure : René Magritte ou Dalí restent très à la page, même si à titre personnel je préfère Max Ernst, Yves Tanguy ou André Masson. Ces derniers ont d’ailleurs exercé une influence sur la peinture américaine lors de leur passage à New York pendant la guerre, comme sur Jackson Pollock, par exemple. Même chez des gens qui prennent ensuite des directions très différentes. Et puis on redécouvre actuellement les femmes peintres du mouvement comme Toyen, Leonor Fini ou Jane Graverol.

 

Et le surréalisme des origines ?

Sans doute les ouvrages les plus orthodoxes comme le Poisson soluble (1924) de Breton ou la poésie de Benjamin Péret sont-ils moins lus de nos jours, en raison de leur forme un peu affectée qui peut paraître plus datée. On découvre souvent le surréalisme par la lecture de L’Amour la poésie (1929) de Paul Éluard, de Corps et Biens (1930) de Robert Desnos, du Paysan de Paris (1926) d’Aragon et même de Nadja (1928) d’André Breton, qui sont davantage des témoignages de ce qu’a été l’activité du groupe. Et par l’Anthologie de l’humour noir (1940) aussi, qui inclut aussi bien des textes de Swift que de Gisèle Prassinos ou d’Arthur Cravan. C’est une très bonne porte d’entrée dans une certaine forme d’histoire de l’art et d’amour de la littérature.

 

Y a-t-il une relève aujourd’hui ? Peut-il d’ailleurs y avoir un sens à être surréaliste en 2024 ?

Ce serait pompier. C’est d’ailleurs l’impasse dans laquelle se situe une partie de l’art contemporain après Marcel Duchamp : la répétition à l’infini d’un geste subversif finit par élimer la subversion qui était présente à l’origine. Guy Debord dit que ce qu’il peut arriver de mieux à un mouvement d’avant-garde, c’est d’« avoir fait son temps », et je pense exactement cela, au double sens du terme.

“Le surréalisme est d’abord une esthétique – mais une politique aussi, et un rapport à l’existence, à la vie”

 

Comment définiriez-vous le surréalisme ?

« Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie », écrit Lautréamont… Mais il y a aussi une autre définition dans les Poésies qui est « beau comme le tremblement des mains dans l’alcoolisme ». Cette dernière définition lie l’infini à la vie quotidienne : il s’agit de faire une place à l’inconscient, au hasard, à l’intensité de l’instant, sans ignorer les dangers que font courir ce goût de l’absolu.

 

C’est par la beauté que dans les deux cas vous définissez le surréalisme.

Oui, car c’est d’abord une esthétique. Mais une politique aussi, et un rapport à l’existence, à la vie. Au fond, la formule de Mitterrand en 1981, « transformer le monde et changer la vie », c’est du pur plagiat. André Breton dit ça exactement : « Transformer le monde, a dit Marx. Changer la vie, a dit Rimbaud. Ces deux mots d’ordre pour nous n’en font qu’un. » Dans la génération qui a suivi immédiatement le surréalisme – je pense à Guy Debord et aux situationnistes –, il y a eu le sentiment que l’étape suivante était d’arrêter de faire de l’art et de la littérature pour appliquer le programme de la poésie dans la vie quotidienne.

“Au sein du groupe surréaliste, il ne s’en trouve pas un qui se soit compromis pendant l’Occupation. C’est le signe d’une école de pensée fonctionnelle !”

 

Et cet engagement politique a-t-il vécu ?

L’engagement du surréalisme, léniniste puis trotskiste, peut paraître dépassé, mais ce n’est qu’un aspect de l’activité politique du groupe. Leur dénonciation de la guerre du Rif ou de l’Exposition coloniale n’est pas sans rapport avec certains développements de la pensée contemporaine. L’essentiel est que la période du surréalisme « héroïque » (pour reprendre l’expression de Maurice Nadeau), c’est-à-dire du surréalisme du début, a été marquée par une critique puissante de l’Occident. Il y a notamment cette virulente « Lettre ouverte à M. Paul Claudel » dans laquelle les signataires surréalistes écrivent : « Nous souhaitons de toutes nos forces que les révolutions, les guerres et les insurrections coloniales viennent anéantir cette civilisation occidentale dont vous défendez jusqu’en Orient la vermine. » Sans compter les nombreux tracts révolutionnaires qui vont dans le même sens. Le compositeur Karlheinz Stockhausen n’a-t-il pas déclaré que les attentats du 11-Septembre constituaient « la plus grande œuvre d’art qui ait jamais été donnée » ? Je pense que les surréalistes auraient abondé dans son sens.

 

Ce qui n’est pas sans rappeler la formule de Breton dans le Manifeste, qui résonne étrangement à nos oreilles : “L’acte surréaliste le plus simple consiste, revolvers aux poings, à descendre dans la rue et à tirer au hasard, tant qu’on peut, dans la foule.”

Oui, bien sûr. Ce n’est pas une apologie du terrorisme au sens où on l’entend aujourd’hui mais certainement une esthétisation de la violence politique tournée contre l’Occident. Il y a même des textes plus survoltés encore, comme cette conférence d’Aragon prononcée à Madrid en 1925, où il déclare « Monde occidental, tu es condamné à mort. Nous sommes les défaitistes de l’Europe », et qui se termine par ces mots : « Riez bien. Nous sommes ceux-là qui donneront toujours la main à l’ennemi. » C’est ce même Aragon qui aura été le grand écrivain de la Résistance. Il aura en effet tendu la main à l’ennemi… mais au bon ennemi ! Il est remarquable qu’au sein du groupe surréaliste, qui compte une centaine de signataires si l’on compile toutes les déclarations collectives, il ne s’en trouve pas un qui se soit compromis pendant l’Occupation. C’est le signe d’une école de pensée fonctionnelle !

“La victoire d’une idée, c’est aussi sa dissolution, puisqu’elle s’est répandue partout. C’est peut-être le malheur du surréalisme d’avoir triomphé”

 

Existe-t-il une phrase du Manifeste ou de l’œuvre de Breton que vous chérissez particulièrement ?

Au Manifeste de Breton, je préfère personnellement le texte programmatique d’Aragon, Une vague de rêves (1924), ne serait-ce que dans sa manière d’associer la théorie à la pratique. Quand on lit les lettres d’Aragon à Breton, on s’aperçoit d’ailleurs que c’est le premier qui impulse l’énergie. Il est le plus talentueux du mouvement à mes yeux, et son départ en 1931 est aussi une manière de dire que le mouvement a fait son temps. D’un certain point de vue, je pense que ce départ a accordé au surréalisme une forme de jeunesse éternelle, en l’empêchant de devenir une école à part entière, tenue par une assemblée d’anciens combattants – même s’il y a eu des prolongements, bien sûr.

 

À titre personnel, éprouvez-vous une forme de nostalgie pour le mouvement surréaliste ?

Il faut rester fidèle aux écrivains qu’on a aimés à 17 ou 18 ans ! Ce qu’il y a de plus regrettable n’est pas tant la disparition du contenu que de la forme, c’est-à-dire du caractère collectif de l’entreprise. Mais ce n’est pas propre au surréalisme. Pour des raisons qui tiennent aussi bien à l’histoire des arts qu’à la sociologie, de telles aventures semblent plus difficiles aujourd’hui. Mais sans doute sommes-nous ignorants de la véritable avant-garde qui se trame et qui nous échappe.

10.05.2024 à 16:00

Taylor Swift : petite exégèse aristotélicienne de sa chanson “So High School”

hschlegel

Taylor Swift : petite exégèse aristotélicienne de sa chanson “So High School” hschlegel

Dans son dernier album, The Tortured Poets Department, la chanteuse américaine Taylor Swift affirme « connaître Aristote ». Le Stagirite aurait-il inspiré sa vision de l’amour ?

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« Je connais Aristote… », assure la chanteuse Taylor Swift dans le titre So High School, vingt-deuxième morceau de son dernier album The Tortured Poets Department. Y a-t-il donc quelque chose d’aristotélicien chez la pop star américaine ? La chanson en question décrit l’effet de l’amour comme une « ride dans le temps » : un retour aux émois adolescents, à la passion juvénile. « Je me sens tellement lycéenne chaque fois que je te regarde. […] En un clin d’œil / Je sombre, nos doigts entrelacés. Les joues roses sous les lumières scintillantes. […] Touche-moi pendant que tes potes jouent à Grand Theft Auto. »

 

➤ À lire aussi : Aristote : “Les vrais amis sont ceux qui se font du bien”

 

La passion amoureuse, tournée vers l’immédiateté des plaisirs, est bien l’affaire de la jeunesse, comme le dit Aristote dans Éthique à Nicomaque. « L’amitié chez les jeunes gens semble avoir pour fondement le plaisir ; car les jeunes gens vivent sous l’empire de la passion, et ils poursuivent surtout ce qui leur plaît personnellement et le plaisir du moment. » Feu d’artifice hédonique, la jeunesse est comme une ivresse. « Les jeunes gens […] sont dans un état semblable à celui de l’homme pris de vin, et c’est même là le charme de la jeunesse. » La musicienne américaine le dit également : « Je boirai ce que tu penses et je suis ivre / D’avoir fumé tes blagues toute la nuit. »

Amour ou amitié ?

Cette effusion des plaisirs a cependant une face plus sombre pour Aristote. Car l’agréable change sans cesse. Aucun plaisir n’est durable, ce qui engendre une insatisfaction et une fuite en avant. La passion est un pâtir, une aliénation. « Les jeunes gens vivent sous l’empire de la passion, et ils poursuivent surtout ce qui leur plaît personnellement et le plaisir du moment ; mais en avançant en âge, les choses qui leur plaisent ne demeurent pas les mêmes […] Ils aiment et cessent d’aimer avec la même rapidité, changeant plusieurs fois dans la même journée. »

De ce désarroi propre à la jeunesse, Taylor Swift ne dit mot. Mais n’est-ce pas que, précisément, elle n’est plus une adolescente ? Elle se sent « comme » telle, mais ne l’est pas. La médiation de la chanson souligne cette distance. La recherche effrénée du plaisir s’est assagie pour laisser place à autre chose : à une amitié plus profonde, plus vraie, plus durable – une relation qui, au croisement des jouissances égoïstes, substitue la reconnaissance et la bienveillance réciproque. L’amour mature de la chanteuse ressemble davantage à l’amitié fondée sur le bien, enracinée dans le sol stable de la vertu dont parle Aristote.

Le principe de plaisir

« Ces amis-là se souhaitent pareillement du bien les uns aux autres. » Amitié tournée vers l’autre au moins autant que vers soi – vers le bien de l’autre en tant que faire son bien participe à notre propre accomplissement. Le plaisir, en particulier le plaisir charnel, n’est pas déterminant dans cette amitié. La bienveillance pour l’autre consiste d’abord à contribuer à son épanouissement personnel qui se joue dans l’âme plus que dans les sens. Mais lui procurer quelque plaisir peut certainement y aider !

Et rien n’exclut non plus que l’on y trouve aussi un certain plaisir, même si ce n’est pas ce qui motive notre amitié. Un plaisir en surplus, en excédent, dont on peut d’autant mieux jouir que la relation est fondée sur un lien plus fort et plus profond, sur un socle plus solide. Si l’amitié véritable est le propre des « gens heureux », Aristote ajoute en effet que « les gens heureux recherchent les amis agréables » : non parce qu’ils en ont besoin mais pour le plaisir gratuit qu’ils peuvent procurer. Cette amitié permet de vivre des moments de jouissance sans aliénation : elle ouvre un espace de plaisirs où nous nous sentons rajeunir, mais d’une jeunesse plus libre que toutes les jeunesses que nous avons vécues. 

Le plaisir, gage d’authenticité relationnelle ?

L’amitié selon le plaisir, ajoute du reste le Stagirite, « ressemble davantage à la véritable amitié, quand les deux parties retirent à la fois les mêmes satisfactions l’une de l’autre et qu’elles ressentent une joie mutuelle ou se plaisent aux mêmes choses : telles sont les amitiés entre jeunes gens, car il y a en elles plus de générosité ». Plus que quoi ? Plus que l’amitié selon l’utilité que je peux retirer de la fréquentation de l’autre. Le lien du plaisir a quelque chose d’immédiat, d’insouciant et d’évident qui se conjugue aisément à l’amitié bienveillante.

L’amitié selon l’utilité des « âmes mercantiles », au contraire, introduit dans le rapport à l’autre une forme de calcul d’intérêt, une évaluation des coûts et des gains. Elle cherche à rationaliser, à optimiser ce que je peux tirer de l’autre. Cette médiation peut aisément déformer la relation humaine. Pas nécessairement, sans doute – il peut y avoir aussi de l’utilité dans la vraie philia. Mais elle s’accompagne souvent d’arrière-pensées et d’un peu d’hypocrisie. Nous apprenons à nous prêter à ce jeu de l’utile en grandissant. Mais devenir adulte, c’est sans doute aussi s’en déprendre. N’est-ce pas ce qui est arrivé à Taylor Swift ?

10.05.2024 à 15:48

Étudiants pro-palestiniens sur les campus : un bon usage de la liberté d’expression ?

hschlegel

Étudiants pro-palestiniens sur les campus : un bon usage de la liberté d’expression ? hschlegel

Depuis plusieurs semaines, les étudiants d’universités européennes et américaines manifestent pour la cause palestinienne : souvent par l’intermédiaire de conférences, de réunions, de déploiement de slogans ou de tracts, parfois par des occupations de locaux. Qu’en auraient pensé les grands défenseurs de la liberté d’expression, comme Voltaire ou John Stuart Mill ? Éclairage. 

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Pour Voltaire, grand esprit des Lumières, toutes les opinions doivent pouvoir être tenues dans l’espace public. Avant que la liberté d’expression ne soit un principe défendu dans l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le philosophe défend l’idée d’un libre parler pouvant prendre de nombreuses formes : livres, tracts, pamphlets sont nécessaires pour une vie politique saine. S’il ne dit mot sur la question des blocus de locaux comme des universités – pratique de fait plus récente, il affirme en revanche dans les Questions sur l’Encyclopédie (1758) qu’il « est de droit naturel de se servir de sa plume comme de sa langue, à ses périls, risques et fortune. Je connais beaucoup de livres qui ont ennuyé, je n’en connais point qui aient fait de mal réel ». Selon lui, une opinion ne peut jamais causer de mal et il appartient aux détracteurs de s’y opposer par un raisonnement pour l’invalider. La liberté d’expression repose donc sur le principe de la polémique (de polémos, πόλεμος, « combat », « guerre » en grec ancien), c’est-à-dire la confrontation verbale des propositions contradictoires.

Cette conception de la liberté d’expression, héritage sacré et célébré à notre époque, avait d’ailleurs valu à Voltaire d’être menacé. Lors du procès de Jean Calas dans les années 1760, commerçant protestant accusé d’avoir tué son fils pour sa conversion au catholicisme, Voltaire prend la parole publiquement contre la justice de son temps, convaincu que l’institution commet une erreur judiciaire et que Calas doit avoir droit à un procès équitable. Il écrira à cette occasion son Traité sur la tolérance (1763), où il affirme que l’injustice découle de « cette sombre superstition qui porte les âmes faibles à imputer des crimes à quiconque ne pense pas comme elles ». Ces prises de positions l’ont mené à l’exil, à la brouille avec certains hauts dirigeants et l’église catholique. Preuve que, pour Voltaire, la prise de parole pour défendre une idée que l’on juge supérieure est un acte de liberté qui suppose de prendre des risques. On peut considérer que les étudiants qui se mobilisent sur les campus pour dénoncer l’offensive sanglante en cours à Gaza, au risque de se faire arrêter par les forces de l’ordre, s’inscrivent dans une telle perspective.

Mill : l’exigence d’information

John Stuart Mill (1806-1873) a une conception de la liberté assez proche de celle de Voltaire, mais il en précise les conditions et la fonction. Dans On Liberty (De la liberté, 1859), le philosophe utilitariste et libéral défend la thèse selon laquelle non seulement toutes les opinions sont exprimables, mais qu’en outre, il n’y a pas de bénéfice à la répression d’une opinion. Qu’une opinion soit juste ou fausse, son énonciation est nécessairement un plus du point de vue de la quête de vérité : « Si l’opinion est juste [et qu’elle est réprimée], on prive [les individus] de l’occasion d’échanger l’erreur pour la vérité ; si elle est fausse, ils perdent un bénéfice presque aussi considérable : une perception plus claire et une impression plus vive de la vérité que produit sa confrontation avec l’erreur. » Mill estime par ailleurs que la liberté d’expression répond à une exigence d’information, soit une pluralité des conceptions de l’existence faisant vivre la société dans toute sa richesse : il faut que tout puisse être dit pour que les individus aient une idée des manières de vivre et de penser autres que la sienne. Ainsi, chaque opinion est un bien précieux à la fois à l’échelle de l’individu mais aussi pour la dynamique du groupe dans son ensemble.

La mobilisation des étudiants sur les campus semble relever d’une telle démarche. Ces derniers se font notamment le relai d’une parole institutionnelle qui n’a pas toujours été très audible ces derniers mois, bien qu’elle mérite d’être entendue : d’une part, la reconnaissance de la Cour internationale de justice (CIJ) du « risque réel et imminent », de « préjudice irréparable », du « risque plausible de génocide » ; d’autre part, l’affirmation par la Fédération internationale des droits humains (FDIH) qu’un génocide est déjà en cours. Il s’agit bien de positions argumentées et étayées, qui participent de la quête de vérité et de justice. Elles vont aussi dans le sens d’une meilleure information des populations en prenant soin de ne pas laisser un seul type de discours avoir l’ascendant dans les médias. Pour l’heure, les étudiants s’en sont tenus aux mots et n’ont pas eu recours ni appelé à la violence pour porter leur combat – radicalité physique qui aurait constitué une ligne rouge pour Mill comme pour Voltaire.

Marcuse : le leurre de la liberté d’expression dans un système inégalitaire

Une défense plus radicale de la liberté d’expression est à trouver à l’extrême gauche, du côté de la critique anticapitaliste. Le penseur Herbert Marcuse (1898-1979) estime ainsi que la liberté d’expression propre aux sociétés capitalistes apparaît comme un droit factice servant en réalité à conserver le statu quo des dominants par rapport aux opprimés. Cette liberté d’expression trop docile, il l’appelle « la tolérance répressive », dans un livre du même nom. Il y a tolérance répressive quand « la tolérance est passée d’un état actif à un état passif, de la pratique à la non-pratique : laissez-faire les autorités constituées ! Ce sont les gens qui tolèrent le gouvernement qui, à son tour, tolère une opposition dans le cadre déterminé par les autorités constituées ».

Penser la liberté d’expression dans le strict cadre du débat imposé par le pouvoir pose problème. La tradition de luttes ouvrières, syndicalistes et étudiantes enseigne que la liberté d’expression n’a pas d’efficacité s’il n’y a pas un corps qui s’introduit dans l’espace public pour devenir le relais des paroles opprimées, physiquement incarnées. Autrement, cette parole s’éteindrait avant même de naître. Comment en effet une parole pourrait-elle être émancipatrice si elle prend forme à l’intérieur des conditions d’expressions imposées par le pouvoir qu’il est question, précisément, de contester ? En France, où des manifestations et des conférences en soutien à Gaza ont été interdites, le rapport de force entre la cause israélienne et la cause palestinienne apparaît dissymétrique. Pour les étudiants mobilisés, il est nécessaire de forger des moyens d’expressions alternatifs : tracts, manifestations, blocus, occupations, pétitions, tags… Autant de moyens d’expressions informels, nécessaires pour rééquilibrer le rapport de force.

Dionys Mascolo : la liberté d’expression comme cri violent

Plus encore, on pourrait penser la question de la liberté d’expression sur le campus américains et européens dans une perspective décoloniale ou postcoloniale. Il s’agit dans ce cas de faire advenir une parole qui puisse saisir la violence du vécu colonisé, en l’occurrence celle des populations occupées en Cisjordanie et des victimes du siège à Gaza. En ce sens, la voix des étudiants n’est pas seulement institutionnelle, elle est aussi le relais des vécus palestiniens. Cette idée relève de ce que le philosophe marxiste Dionys Mascolo (1916-1997), théoricien d’une libération politique trouvant ses fondements dans la communication, appelle un « cri » (Le Communisme, 1953).

Le cri est la condition préalable à toute liberté d’expression. Il émerge quand le sujet énonce la certitude « Je ne peux plus vivre sans cela », quand les conditions matérielles d’existence sont réduites au « silence absolu ». Le cri fait jaillir une parole qui « rompt [ce] silence des âmes » et s’applique à exprimer « le besoin de dire ce sur quoi tout le monde s’efforce toujours de se taire [...] besoin de dire ce sur quoi le silence est fait ». Pour cette raison, le cri se constitue comme la certitude indubitable du sujet politique, et le fondement de toute communication puisqu’il prend pour point de départ les besoins impérieux dudit sujet. La fonction d’une telle parole est aujourd’hui portée par les étudiants mobilisés sur les campus. Elle est de déstabiliser un ordre politico-social qui ne permet pas de faire suffisamment entendre les voix palestiniennes. Et pour qu’un tel cri puisse être audible, il est peut-être nécessaire qu’il émane d’un lieu central, bien identifié, où les cris pourraient s’agréger pour porter plus haut leurs revendications. Par exemple, un campus d’université. 

10.05.2024 à 15:44

Rousseau, le peintre et le philosophe

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Rousseau, le peintre et le philosophe hschlegel

« Connaissez-vous Rousseau ? Pas Jean-Jacques, le philosophe, mais Théodore (1812-1867), le peintre, un amoureux de la nature lui aussi, précurseur de l’impressionnisme et des mouvements écologistes. Je vous propose de profiter du pont pour aller en forêt avec lui.

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“Un naturaliste entraîné sans cesse vers l’idéal”, dit de lui Baudelaire dans ses Curiosités esthétiques (1868). C’est que ses grands paysages romantiques peints sur le vif, ses ciels lourds et ses “portraits” d’arbres mélancoliques témoignent d’un grand geste panthéiste. Dans cet univers habité, les silhouettes humaines paraissent minuscules, fondues dans l’horizon. “M. Rousseau est un paysagiste du Nord, résume Baudelaire. Sa peinture respire une grande mélancolie : il aime les natures bleuâtres, les crépuscules, les couchers de soleil singuliers et trempés d’eau, les gros ombrages où circulent les brises, les grands jeux d’ombres et de lumière. Sa couleur est magnifique, mais non pas éclatante. Ses ciels sont incomparables pour leur mollesse floconneuse. Qu’on se rappelle quelques paysages de Rubens et de Rembrandt, qu’on y mêle quelques souvenirs de peinture anglaise, et qu’on suppose, dominant et réglant tout cela, un amour profond et sérieux de la nature, on pourra peut-être se faire une idée de la magie de ses tableaux.” Le musée du Petit Palais, à Paris, lui consacre une belle rétrospective jusqu’au 7 juillet. Où l’on découvre un peintre mais aussi un activiste, engagé pour la défense de la nature.

La toile de fond de son existence, c’est Barbizon. Dans ce village francilien, en lisière de la forêt de Fontainebleau, le peintre se replie après avoir été refusé au Salon. Il y est rejoint par une compagnie d’artistes parmi lesquels Jean-François MilletHonoré DaumierGustave Courbet… Dans cet atelier de plein air, ils peignent “sur le motif”, directement d’après nature. Mais bientôt leur art se transforme en protestation alors que le gouvernement du roi Louis-Philippe, en pleine révolution industrielle, entend couper les grands chênes de cette forêt inspirante pour y planter des pins, plus rentables. Rousseau emprunte à la Bible le motif du Massacre des Innocents, dont il fait le titre d’une toile que l’on peut admirer à la fin du parcours. Elle figure des arbres abattus. Un “comité de protection artistique” se forme, sollicitant les plus hautes figures de l’État et mobilisant l’opinion afin que Fontainebleau soit considéré comme un monument national.

George Sand est de ces voix qui répondent à l’appel de la forêt. En bonne disciple de Rousseau – le philosophe ! –, l’écrivain exprime le sentiment esthétique qui l’emplit au contact de la nature. Elle prend la plume en faveur des pétitionnaires et plaide ainsi dans Le Temps : “Ne réduisons pas notre horizon aux limites d’un champ ou à la clôture d’un jardin potager. Ouvrons l’espace à la pensée de l’enfant ; faisons-lui boire la poésie de cette création que notre industrie tend à dénaturer complètement avec une rapidité effrayante. Eh quoi ? dès à présent, le jeune homme qui sent vivement cette poésie est un être exceptionnel, car, dans la plupart des familles de nos jours, on est convaincu que contempler c’est perdre son temps, que rêver est habitude de fainéantise ou tendance à la folie. Et pourtant on est sensible à la beauté d’un paysage, et on ne voudrait pas que l’élève eût la brutalité de ne pas le voir.” Sand en est convaincue, “c’est un préjugé de croire qu’il faut savoir les délicatesses du langage, les ressources de la palette, la technique des arts pour être en soi-même un critique délicat et pour soi-même un sensitif exquis. Exprimer est une faculté acquise, mais apprécier est un besoin, par conséquent un droit universel.”

Les arguments des artistes portent leurs fruits. En 1861, un décret finit par protéger les sites “à destination artistique”, “soustraits à tout aménagement”. Des “réserves artistiques” sont créées. Les tout premiers parcs naturels au monde sont nés, confirmant un enseignement écologique plus que jamais d’actualité : il faut apprendre à aimer pour protéger. La politique est aussi une affaire d’émerveillement !

P. S. : Pour les Franciliens mélomanes, prêts au dépaysement mais qu’aller au bois ne motive guère, qui se demanderaient cependant que faire ce vendredi soir, notez, si vous n’êtes pas insensibles aux ambiances punk plus que romantiques, que nos collègues Noël Foiry et son groupe AlcorMusic ainsi qu’Apolline Guillot et son groupe Earthcake, se produisent ce soir à 20 heures au bar le Gambetta Club, dans le XXe arrondissement de Paris !
Bonne fin de semaine. »

10.05.2024 à 12:00

“Jusqu’au bout du monde” : le western féministe de Viggo Mortensen

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“Jusqu’au bout du monde” : le western féministe de Viggo Mortensen nfoiry

En mettant en scène à hauteur d'homme et de femme la lutte pour l'égalité des sexes, Jusqu’au bout du monde, le nouveau film de et avec Viggo Mortensen ainsi que l'actrice Vicky Krieps, redonne une nouvelle jeunesse au western, genre hautement politique.

“Jusqu’au bout du monde” : les colts sur la table

10.05.2024 à 08:00

“Symbiogénèse”, une autre histoire de la vie

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“Symbiogénèse”, une autre histoire de la vie hschlegel

Une algue et une bactérie ont fusionné pour former un nouvel organisme : c’est ce que révèle une étude récente menée par une équipe du Berkeley Lab. L’occasion d’interroger la notion de symbiogénèse, qui connaît depuis quelques décennies un fort regain d’intérêt.

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À la frontière entre les règnes, c’est une nouvelle forme de vie qu’a découvert, il y a peu, une équipe du Berkeley Lab, aux États-Unis : un nouvel être, résultat de la fusion de deux organismes, une algue d’une part (Braarudosphaera bigelowii) et une bactérie de l’autre (la cyanobactérie UCYN-A). Entrelacés l’un à l’autres, les deux forment une entité inextricable. Plus précisément, la petite bactérie est devenue, pour la plante, un organite pérenne – un élément cellulaire assurant une fonction déterminée. En l’occurrence, l’organite d’origine bactérienne permet d’extraire l’azote de l’environnement et de le convertir en une forme utilisable pour le métabolisme de l’organisme. Beaucoup de végétaux ont besoin de fixer l’azote et hébergent, à cet effet, diverses bactéries qui remplissent ce rôle à leur place. Mais dans le cas de Braarudosphaera bigelowii, on ne peut parler simplement d’hébergement : la fonction bactérienne est fondue dans son être

Degré extrême de collaboration

La découverte de cet étrange organisme est un nouvel exemple flagrant de ce qu’il est convenu d’appeler la symbiogénèse, du grec syn (σύν), « avec, ensemble », bios (βίος), « vie », et genesis (γένεσις), « origine, genèse ». Pablo Servigne et Gauthier Chapelle définissent la notion en ces termes dans L’Entraide. L’autre loi de la jungle (2017) : « Deux organismes peuvent fusionner pour former un nouvel être. » Il ne s’agit pas d’une simple symbiose. Les cas de coexistence symbiotique sont innombrables dans le monde vivant ; mais les entités ainsi associés restent, en général, individuelles et séparables (quand bien même la séparation pourrait conduire à la mort d’un ou des deux organismes). Or dans le cas de la symbiogénèse, l’association fond jusqu’à rendre indissociables les deux êtres pour former un nouvel organisme. La symbiose est inextricable et permanente : elle est reconduite d’emblée dans les nouvelles générations issues de la reproduction ou de la division.

Les exemples ne manquent pas. Le lichen, par exemple, est le fruit de la fusion entre un végétal et un champignon. Les coraux, des cnidaires, sont le produit de la fusion entre des polypes (petites méduses coloniaires) et des algues unicellulaires. La frontière entre symbiose et symbiogénèse n’est sans doute pas toujours très nette. Jusqu’où les êtres sont-ils séparables ? L’idée de symbiogénèse suggère surtout un degré extrêmement étroit de collaboration.

Une notion vieille d’un siècle

Le terme, remis au goût du jour dans les années 1960 par la microbiologiste Lynn Margulis, est vieux de plus d’un siècle. On le doit au scientifique russe Constantin Merejkovski qui l’utilise sans doute pour la première fois en 1905 dans son article « Über Natur und Ursprung der Chromatophoren im Pflanzenreiche » (en allemand, « De la nature et de l’origine des chromatophores dans le règne végétal ») et développe l’idée en 1910 dans « Theorie der zwei Plasmaarten als Grundlage der Symbiogenesis, einer neuen Lehre von der Entstehung der Organismen » (« Théorie des deux types de plasma en tant que fondement de la symbiogénèse, une nouvelle approche de l’émergence des organismes »). Merejkovski s’inspire des recherches du botaniste Andreas Schimper, qui observait dès 1883 que les chloroplastes, organites responsables de la photosynthèse dans les cellules végétales, se comportaient de manière semblable aux cyanobactéries, des bactéries photosynthétiques. Il notait, dans « Über die Entwicklung der Chlorophyllkörner und Farbkörper » (« Du développement des chloroplastes et pigments photosynthétiques »), que les chloroplastes « n’émergent pas par création à partir du plasma cellulaire », mais les uns des autres « par division », suivant une dynamique générative propre. Schimper en déduit que « leur relation avec l’organisme qui les contient suggère une symbiose ».

C’est cette hypothèse, tout juste esquissée en note, que Merejkovski va développer. Il envisagera, en plus de l’incorporation des cyanobactéries, que la formation des noyaux cellulaires est elle aussi le résultat de l’incorporation de bactéries endosymbiotiques. Quelques années plus tard, le biologiste Paul Jules Portier proposera également, dans Les Symbiotes (1918), une théorie symbiogénétique des mitochondries, les organites responsables de la production de l’énergie dans les cellules eucaryotes (dotées de noyaux). Les mitochondries, en effet, présentent un certain nombre de caractéristiques des organismes unicellulaires eucaryotes. L’idée est reprise par l’Américain Ivan Wallin dans « The Mitochondria Problem » (1923). Ces événements symbiotiques ont joué un rôle décisif dans l’évolution de la vie. « Tout ce qui est plus compliqué qu’une cellule bactérienne doit son existence à » des événements de ce genre, résume Tyler Coale du Berkeley Lab.

Virus et symbiogénèse

À ces exemples d’endosymbiose primaire, où un organisme incorpore en lui un autre qui acquiert une fonction décisive, on peut en ajouter d’autres moins évidents. Servigne et Chapelle listent notamment, au titre des « “réussites” de la symbiogénèse », « l’émergence des mammifères placentaires grâce à un virus permettant la formation du syncytium (cellule à plusieurs noyaux) ». Cette hypothèse d’un rôle actif des virus dans le développement des mammifères a bien des arguments à faire valoir. En dehors de la période gestative où se constitue le tissu placentaire, la formation d’un syncytium est l’effet de certains virus possédant une protéine de fusion induisant la génération d’une cellule multinucléée. Le placenta – caractéristique essentielle des mammifères – serait-il le résultat d’une telle incorporation durable d’ADN viral ? Probablement. Une chose est certaine : notre ADN contient, dans des proportions non négligeables, des séquences génétiques d’origine virale (8 à 10% chez l’homme).

Ce qui vaut pour l’être humain vaut pour l’essentiel des vivants. Une étude récente sur les algues du lac Yellowstone, aux États-Unis, présente vingt-cinq types d’ADN viral. Mathilde Fontez, rédactrice en chef du magazine Epsiloon, commente la découverte en ces termes : « Ces virus se reproduisent en infectant les algues rouges, et ils s’insèrent dans leurs gènes. […] Les virus sont particulièrement plastiques génétiquement », ce qui leur a permis de survivre dans les conditions souvent très hostiles de Yellowstone, qui ressemblent aux « conditions dans lesquelles la vie s’est développée » à l’origine. « Ils auraient donné aux algues les bons gènes pour résister, pour se développer. Ils les auraient aidées à s’adapter. Bref, avant de nous donner des rhumes, ou le Covid, les virus ont travaillé au développement de la vie. »

Néanmoins, peut-on vraiment parler de symbiogénèse dans ce cas ? Après tout, ce n’est pas l’organisme viral intégral qui s’insère dans un autre, mais seulement une partie de son matériau génétique. Y a-t-il vraiment fusion de deux êtres ? Il faudrait ici rappeler qu’un virus constitue essentiellement en un brin d’ADN ou d’ARN. Le virus n’est pas une cellule [au point où la question si un virus est un être vivant ou pas reste ouverte] ; il est formé presque exclusivement d’un « simple » matériau génétique qui s’efforce de se répliquer en infectant des cellules – c’est-à-dire en détournant le fonctionnement de l’usine cellulaire que représentent les organites de ces cellules, afin que celles-ci produisent et libèrent des virions. Bien souvent, le virus demeure, avec la cellule qu’il exploite, dans un rapport antagoniste. Il finit par tuer la cellule qu’il contamine avant d’en infiltrer d’autres. 

Pathogènes… et partenaires

Dans certain cas toutefois, le virus s’installe durablement dans la cellule en s’insérant dans le génome de la cellule hôte. On parle alors de rétrovirus. La cellule travaille d’une manière singulière pour le virus. Elle produit les protéines et l’ARN nécessaires à la formation de nouvelles copies du virus, ce qui peut engendrer différents dysfonctionnements ; mais elle participe également à la propagation de celui-ci lorsqu’elle se divise. La nouvelle cellule formée porte en son sein le génome viral. Lorsque les cellules germinales sont infectées, toutes les cellules du nouvel organisme qui en naît – et non seulement les cellules accidentellement infectées – présentent ce même ADN viral. On parle dans ce dernier cas d’endorétrovirus.

Différents mécanismes activés dès l’embryogenèse permettent d’inhiber en grande partie l’expression de ces gènes, donc de supprimer leur dangerosité potentielle pour l’organisme. Les cellules ne produisent plus de nouveaux virions. L’évolution, qui conduit à la mutation de l’ADN viral, contribue également à rendre l’endorétrovirus défectif. Cela n’empêche pas, parfois, l’expression de certaines séquences de son génome. Les effets peuvent être pathologiques, mais pas toujours. Au contraire, ces gènes peuvent procurer à l’hôte des outils précieux pour s’adapter à son environnement. Sans le « vouloir », ils aident parfois des organismes de plus grande taille à évoluer plus rapidement qu’ils ne le feraient tout seuls.

Vu sous l’angle de la symbiogénèse, le virus n’apparaît pas seulement comme un pathogène dangereux : il l’est souvent, mais il peut également devenir, au hasard des rencontres, un partenaire. Emanuele Coccia le formule avec enthousiasme dans Métamorphoses (idéalisant certes un peu l’influence « positive » des virus et minorant le risque inhérent à sa propagation) : « Un virus [...] est comme le mécanisme chimique, matériel, dynamique de développement et de reproduction de tous les êtres vivants [...] Le virus est la force qui permet à chaque corps de développer sa propre forme, comme s’il existait désincarné du corps, libéré, flottant, la pure puissance de métamorphose. Voilà ce qu’est l’avenir, une force de développement et de reproduction de la vie qui ne nous appartient pas, qui n’est pas une propriété exclusive d’un individu ni même commune et partagée, mais plutôt un pouvoir flottant à la surface de tous les autres corps. »

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