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04.05.2024 à 15:31

Quelle fiscalité européenne ?

Équipe de l'Observatoire

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Les élections au Parlement européen se profilent, mais la fiscalité est largement absente du débat public. Elle est pourtant au cœur des enjeux sociaux, environnementaux et économiques et, par son incidence sur le pouvoir d'achat, les services publics et la protection sociale notamment, elle a un impact direct sur les conditions de vie des populations. Il est donc essentiel de revenir sur les principaux enjeux en la matière. Attac et la fondation Copernic publient un livre intitulé « Leur (...)

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Texte intégral (1920 mots)

Les élections au Parlement européen se profilent, mais la fiscalité est largement absente du débat public. Elle est pourtant au cœur des enjeux sociaux, environnementaux et économiques et, par son incidence sur le pouvoir d'achat, les services publics et la protection sociale notamment, elle a un impact direct sur les conditions de vie des populations. Il est donc essentiel de revenir sur les principaux enjeux en la matière. Attac et la fondation Copernic publient un livre intitulé « Leur Europe et la nôtre » (éditions Textuel) pour alimenter le débat public. Ce billet précise les enjeux fiscaux de la période.

La concurrence fiscale, véritable boussole de la fiscalité européenne

Alors qu'elle devrait avoir pour objectif de financer l'action publique, réduire les inégalités et inciter à des comportements vertueux, la fiscalité est l'un des principaux leviers utilisés par les États pour améliorer leur compétitivité économique et attirer les investissements. C'est particulièrement vrai au sein de l'Union européenne, qui a fait de la concurrence fiscale et sociale (entre États membres et avec le reste du monde) son principal axe. La libéralisation progressive des flux de capitaux, de biens et de services, leur rapidité de circulation, la numérisation de l'économie et la déréglementation sont autant de facteurs qui ont accéléré et aggravé cette concurrence globale.

Celle-ci se traduit notamment par une baisse de l'imposition de ce que l'on nomme les « facteurs mobiles » (les entreprises et les plus riches, c'est-à-dire des agents économiques que les États veulent attirer et/ou retenir sur leurs territoires) et une hausse des « facteurs immobiles » (le reste des populations). Pour financer les politiques publiques qui, bien qu'en retrait, occupent toutefois une place importante dans les économies, elle se traduit ainsi par une hausse des impôts indirects notamment, payés par les consommateurs. Au fil des années, c'est donc un véritable transfert de la charge fiscale des grandes entreprises et des plus riches vers l'immense majorité de la population et les PME qui s‘est opéré.

Le taux nominal de l'impôt sur les sociétés s'est effondré. En Allemagne, il est passé de 50 % (pour les bénéfices non distribués) et de 36 % (pour les bénéfices distribués) en 1990 à 29,83 % en 2023 (que les bénéfices soient distribués ou non). En France, il est passé de 50 % en 1986 à 25 % actuellement. En Belgique, il est passé de 43 % en 1990 à 25 % en 2023, etc. Dans le même temps, des taux spécifiques ont été instaurés sur les revenus financiers (comme le prélèvement forfaitaire unique en France), plus avantageux que l'imposition aux barèmes progressifs des impôts sur les revenus. Ceux-ci ont par ailleurs vu leurs taux les plus élevés s'abaisser. Comparer les taux est certes insuffisant : il faudrait pouvoir évaluer les assiettes auxquels ils s'appliquent mais également étudier les taux réduits (comme celui de 10 % sur les revenus de la propriété intellectuelle applicable en France) et les mesures dérogatoires comme les incitations en faveur de la recherche et de l'innovation (comme le crédit d'impôt recherche en France), mais cela ne ferait que confirmer le mouvement global..

L'Institut des politiques publiques relève que, « Comme pour la France (avec 65 %), les taux marginaux supérieurs étaient aussi plus élevés au début des années 1980 qu'à la fin des années 2000 : 72 % aux Pays-Bas et en Belgique, 62 % en Italie, 66 % en Espagne, 53 % en Allemagne (…), l'imposition marginale des hauts revenus a baissé dans la plupart des pays d'Europe entre 1995 (47,4 % en moyenne) et 2008 (38,9 % en moyenne) mais les évolutions divergent depuis (…) Depuis l'après-guerre, l'imposition réelle des 1 % les plus aisés a crû jusqu'en 1982 (taux moyen de 34,2 %) puis a diminué depuis (25 % en 1998) [1] ».

Autre illustration de la concurrence fiscale, dans la quasi-totalité des États, la fiscalité du patrimoine a baissé. Outre les mesures prises en faveur des revenus financiers, les impôts sur la fortune ont quasiment disparu et la fiscalité de la transmission du patrimoine a également été allégée. Cinq pays ont supprimé leurs droits de succession depuis 2000 (l'Autriche, la Norvège, la Slovaquie, la Suède et la République tchèque). Rapportées aux recettes fiscales globales, les droits de donation et de succession représentaient entre 0 % (là où ils n'existent pas) et 1,46 % (Belgique) en 2019. Ce faible ratio s'explique par l'existence de nombreux dispositifs (abattement sur donations et succession, mécanismes particuliers de donations) permettant de transmettre le patrimoine en franchise d'impôt.

La TVA en revanche a été singulièrement rehaussée. Entre 1980 et 2019, son taux normal est ainsi passé ; de 17,6 % à 20 % en France, de 13 % à 19 % en Allemagne, de 18 % à 21 % aux Pays-Bas ou encore de 14 % à 22 % en Italie. Le transfert de la charge fiscale des impôts directs, par nature les plus justes, vers les impôts indirects est particulièrement visible.

En finir avec la concurrence fiscale (et sociale) : pourquoi, comment ?

Il serait illusoire de penser que l'on peut unifier 27 régimes fiscaux différents, rapidement et sans débat de fond sur la nature de la construction européenne. Pour autant, il est nécessaire de neutraliser la concurrence fiscale et sociale pour rééquilibrer les systèmes fiscaux, dégager des marges de manœuvre budgétaires face aux enjeux sociaux et écologiques, réduire les inégalités et renforcer les services publics ainsi que les systèmes de protection sociale.

De ce point de vue, l'instauration de la taxation minimale de 15 % sur les bénéfices réalisés par les multinationales et groupes nationaux transposée dans le droit national de l'ensemble des 27 États membres de l'UE au 1er janvier 2024 est une mesure très insuffisante. Cette mesure ne concernera que les entreprises réalisant plus de 750 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel et exclut d'office les entreprises réalisant moins de 10 millions d'euros (en France, 570 entreprises françaises sont concernées). Quant à la proposition de la Commission d'harmoniser les bases de l'impôt sur les sociétés (le projet « Befit »), elle ne pourrait avoir d'impact positif que si elle s'accompagnait de la mise en place d'un taux minimal suffisamment élevé pour empêcher le développement de la concurrence fiscale. Enfin, il faut signaler que le projet de taxe sur les transactions financières est discuté au sein de l'Union européenne depuis 2011. La France empêche cependant sa mise en œuvre par son refus d'intégrer la coopération renforcée, Emmanuel Macron ayant fait le choix de concurrencer « La City » de Londres depuis le brexit. Autrement dit, en l'état actuel des choses, la concurrence fiscale a hélas de beaux jours devant elle.

Il faut donc aller beaucoup plus loin. Plusieurs propositions sont sur la table. Il en va ainsi de la création d'un impôt européen sur la fortune. Selon l'Observatoire européen de la fiscalité, la création d'un impôt mondial de 2 % sur le patrimoine des milliardaires permettrait de générer 40 milliards d'euros de recettes en Europe. Une pétition « Tax The Rich » (soutenue par Attac) a d'ailleurs été lancée au niveau européen par plusieurs parlementaires européens. Attac a par ailleurs lancé une action d'interpellation des candidats aux élections européennes en ce sens.

À l'image du serpent monétaire européen qui limitait les écarts entre les monnaies, un « serpent fiscal européen » [2] pourrait limiter les écarts entre les systèmes fiscaux grâce à plusieurs mesures.
L'harmonisation des assiettes de l'impôt sur les sociétés (IS), couplée à l'instauration d'un taux effectif d'IS « plancher » (calculé sur la base harmonisée). Relever le taux de 15% de l'imposition minimale des multinationales qui se décline au sein des États membres à 25 % constituerait un taux plancher en matière d'imposition sur les sociétés. Au-delà, l'IS doit prendre en compte des activités numériques. De manière générale, il s'agit d'éviter les transferts artificiels de richesse et de bénéfices pour imposer la richesse là où elle est créée.
Une véritable taxe sur les superprofits de l'ensemble des secteurs, telle que proposée par l'Alliance écologique et sociale (AES) dont Attac est membre.
L'harmonisation de la TVA et l'instauration d'un taux plafond afin d'éviter une dérive à la hausse et d'en finir avec la fraude carrousel, un mécanisme de fraude à la TVA intracommunautaire particulièrement couteux.
Le renforcement de la coopération afin de mieux lutter contre la fraude fiscale avec la création d'un système d'échange automatique d'informations (bancaires, juridiques et financières) et d'un cadastre financier européen, la mise en place d'une procédure européenne de contrôle fiscal ou encore le renforcement des obligations déclaratives (comptables et fiscales en cas de montages et de prix de transfert notamment). Une véritable « liste noire » des paradis fiscaux assortie de mesures dissuasives (comme la présomption de fraude pour tout lien avec ces territoires par exemple) est également nécessaire.
La création d'impôts européens (impôt sur les sociétés, impôt sur la fortune, taxe sur les transactions financières applicable à l'ensemble des transactions…) permettrait de revaloriser le budget européen et de mieux financer les solidarités européennes et internationales d'une part et la bifurcation sociale et écologique d'autre part.

Ces mesures indispensables à prendre pour réorienter l'Union européenne accompagnent le débat sur la nature de la construction européenne, le rôle de la politique monétaire, l'évolution des institutions européennes, etc. Autant de questions qu'une véritable campagne européenne devrait poser.


[1] Institut des politiques publiques, « 1914-2014, cent ans d'impôt sur le revenu », Les notes de l'IPP, n°12, juillet 2014.

[2] Voir notamment « Pour un serpent fiscal européen », Syndicat national unifié des impôts, éditions Syllepse, 2015.

09.04.2024 à 18:32

Le crédit d'impôt pour emploi d'un.e salarié.e à domicile en questions

Équipe de l'Observatoire

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Le crédit d'impôt pour emploi à domicile coûte 6 milliards d'euros par an. 46% vont aux foyers gagnant plus de 75000 euros. Dans le cadre d'une « revue des niches fiscales » proposée par Attac, la question de baisser le plafond de cette disposition se pose. L'objectif serait d'épargner les classes moyennes, de faire davantage contribuer les plus aisés et de maintenir l'effet incitatif de la mesure. Ce faisant, l'État pourrait gagner de 1,5 à plus de 2 milliards d'euros.
La Cour des (...)

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Le crédit d'impôt pour emploi à domicile coûte 6 milliards d'euros par an. 46% vont aux foyers gagnant plus de 75000 euros. Dans le cadre d'une « revue des niches fiscales » proposée par Attac, la question de baisser le plafond de cette disposition se pose. L'objectif serait d'épargner les classes moyennes, de faire davantage contribuer les plus aisés et de maintenir l'effet incitatif de la mesure. Ce faisant, l'État pourrait gagner de 1,5 à plus de 2 milliards d'euros.

La Cour des comptes a publié un rapport, mercredi 27 mars, soulignant la nécessité de revoir le soutien de l'État aux services à la personne. Plusieurs impositions sont visées, dont le crédit d'impôt pour emploi d'un·e salarié·e à domicile, jugé trop onéreux pour les finances publiques. De quoi faire bondir les ménages qui craignent de ne plus bénéficier de cette aide et les personnes qui pensent que revoir le dispositif va favoriser la hausse du travail non déclaré. Pour Attac, qui défend une « revue des niches fiscales et sociales », il est important de revenir en détail sur cette mesure.

Rappel du dispositif

Le crédit d'impôt au titre de l'emploi d'un salarié à domicile a été créé en 1992 (pour un montant maximum de 12 500 francs à l'époque), ce dispositif visait à combattre le travail non déclaré et à favoriser l'emploi dit « domestique ». Le plafond de ce dispositif a connu une histoire mouvementée pendant plusieurs années pour être finalement porté à 6 000 voire 7 500 euros comme indiqué ci-dessous.

La mesure consiste en effet à appliquer un taux de 50 % des dépenses engagées (incluant salaires et charges sociales), dans la limite de 12 000 euros par foyer (15 000 euros pour un couple avec deux enfants). Le crédit d'impôt atteint donc un maximum de 6 000 euros par foyer (ou 7 500 euros pour un couple avec deux enfants). Ce plafond est moins élevé pour certaines prestations (« petits bricolages », assistance informatique et Internet et petits travaux de jardinage). S'agissant d'un crédit d'impôt, si son montant dépasse le montant de l'impôt à payer, la différence est remboursée par l'administration fiscale.

Le crédit d'impôt en chiffres

Sur 40 millions de foyers fiscaux, 4,48 millions d'entre eux (soit 11%) bénéficiaient de cette mesure en 2023. Le coût budgétaire du crédit d'impôt, 5,92 milliards d'euros pour 2023, est estimé à 6,1 milliards pour 2024. Il s'accroît continuellement.

La moyenne du crédit d'impôt pour emploi d'un salarié à domicile était de 1 319 euros en 2023. Comme le crédit représente 50 % des dépenses engagées au cours d'une année, cela signifie que la dépense moyenne des 4,48 millions de foyers fiscaux qui bénéficient de cette mesure est de 2 638 euros (soit un peu moins de 225 heures sur une année sur la base d'un salaire horaire brut de 11,75 euros). Cela s'explique aisément : seule une infime minorité a les moyens de verser un salaire de 12 000 voire de 15 000 euros par an pour bénéficier à plein de la mesure. C'est là qu'intervient la question du dosage de la mesure pour qu'elle conserve son caractère incitatif tout en évitant les effets d'aubaine.

Quant à l'impact sur l'emploi domestique, le rapport de la Cour des comptes l'estime décevant : 75 000 emplois seulement ont été créés (ou régularisés) depuis 2005 dans les secteurs couverts par les aides fiscales à la personne.

Comment conjuguer justice fiscale et efficacité ?

Cette mesure permet à de nombreuses personnes appartenant aux classes moyennes et aux classes moyennes supérieures de pouvoir employer une personne à domicile, souvent pour quelques heures par semaine. Autrement dit, sur une année, le salaire versé par l'immense majorité des foyers est très loin d'atteindre le plafond prévu par cette disposition. La situation est différente chez les personnes les plus aisées : elles ont les moyens d'employer pour un nombre important d'heures un·e ou plusieurs salarié·es à domicile. Le crédit d'impôt dont elles bénéficient est élevé, mais la mesure s'avère alors moins incitative. En effet, avant sa création en 1992 de cette « niche », ces personnes déclaraient déjà leur emploi à domicile. Au reste, dans le passé, les relèvements du plafond de cette disposition ne se sont pas traduits par davantage d'embauches. Il existe donc, chez les plus aisés, un effet d'aubaine.

Le bénéfice de cette mesure est d'ailleurs très concentré. Pour les 75 premiers centiles de revenu, le taux de recours aux services à la personne est inférieur à 10 %, alors qu'il est supérieur à 50 % parmi les 3 % de foyers les plus aisés. Dans le détail, en 2020, 409.000 foyers fiscaux (soit 9 % du nombre de foyers concernés par cette « niche ») captaient plus de 1 milliard d'euros, un peu moins de 820.000 en captant plus de 35 % (soit 2 milliards).

L'État pourrait donc simplement baisser le plafond pour que les classes moyennes ne soient pas touchées (leurs dépenses sont loin d'atteindre le plafond actuel de 12 000 euros pour un célibataire, 15 000 euros pour un couple avec deux enfants, ce qui signifie employer une personne 1.276 heures sur l'année).
La baisse peut être plus ou moins importante.
En abaissant le plafond de sorte que 90 % des bénéficiaires de la mesure ne seraient pas perdants, l'État récupérerait près de 1,5 milliards d'euros qui proviendrait des contribuables qui bénéficient du montant maximum du crédit d'impôt ou qui s'en approchent.
En le baissant un peu plus tout en permettant à 80 % des bénéficiaires de la mesure de ne pas être touchés, ce sont 2,1 milliards d'euros qui pourraient être dégagés.

Au final, l'impôt progressif sur le revenu gagnerait quelques couleurs et les inégalités devant les services à domicile cesseraient d'augmenter. Ces recettes pourraient en effet être utilisées pour développer le service public (pour l'ensemble de la population et pas seulement ceux qui en ont les moyens) des aides à la personne, à prendre en charge la perte d'autonomie, améliorer les conditions de travail des salarié·es à domicile, etc.

10.03.2024 à 10:53

Où en est-on de l'impôt sur les sociétés ?

Équipe de l'Observatoire

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Évitement fiscal, taux minimal de 15 % sur les multinationales, débats sur le « poids » de l'imposition des entreprises, etc : c'est peu de dire que l'impôt sur les sociétés (IS) défraie régulièrement la chronique. Si les informations sont plutôt nombreuses en la matière, peu en revanche dressent un portrait fidèle de cet impôt qui, avec les impôts sur le patrimoine des particuliers, est le plus sensible à la concurrence fiscale internationale, et par conséquent souvent le plus trituré par (...)

- Comprendre la fiscalité
Texte intégral (1514 mots)

Évitement fiscal, taux minimal de 15 % sur les multinationales, débats sur le « poids » de l'imposition des entreprises, etc : c'est peu de dire que l'impôt sur les sociétés (IS) défraie régulièrement la chronique. Si les informations sont plutôt nombreuses en la matière, peu en revanche dressent un portrait fidèle de cet impôt qui, avec les impôts sur le patrimoine des particuliers, est le plus sensible à la concurrence fiscale internationale, et par conséquent souvent le plus trituré par les pouvoirs publics. Le présent billet revient sur l'évolution du taux de l'IS et présente les principales données et règles relatives à l'IS.

En 2017, Emmanuel Macron a décidé de baisser le taux nominal de l'IS pour le porter progressivement de 33,3 % à 25 %, pour un coût global sur le quinquennat estimé à l'époque à 11 milliards d'euros (rappelons que que le taux de l'IS était de 50% jusqu'en 1985 pour être abaissé à 33,3 % en 1986). Si l'IS était alors souvent présenté comme l'un des plus élevés au monde, aujourd'hui encore, on peut entendre ici et là qu'en dépit de cette baisse, le taux de l'IS reste dans la moyenne haute des taux nominaux de l'IS en vigueur dans de nombreux autres pays. Or, comparer les taux n'enseigne pas grand-chose si on n'analyse pas ce à quoi il s'applique et si on ne prend en compte ni les « niches fiscales », ni les sommes qui échappent à l'IS du fait de l'évitement fiscal.

L'IS français s'applique en effet à une base étroite : le bénéfice fiscal (qui découle du bénéfice comptable et de quelques retraitements ultérieurs) admet en déduction de nombreuses écritures comptables telles que les amortissements ou les provisions. Dans d'autres pays, comme l'Allemagne par exemple, ces déductions sont moins nombreuses. Lorsque le taux de l'IS s'applique à la base, celle-ci est déjà réduite du fait de ces déductions. Une fois le taux appliqué, un « IS brut » est déterminé. Pour calculer l'IS net réellement dû par la société, on déduit certaines « niches fiscales », comme le fameux crédit d'impôt recherche par exemple. Signalons en outre que certains régimes de groupes se montrent particulièrement avantageux également et permettent de réduire le taux d'IS réel au stade du groupe. Tout ceci concourt à expliquer pourquoi le poids de l'IS français (un indicateur intéressant sur le « poids de l'IS » dans l'économie) rapporté au PIB est peu élevé.

L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) publie régulièrement ses statistiques des recettes publiques. Celles-ci montrent que, contrairement à ce que prétendent les tenants des politiques néolibérales, l'IS français représente une faible part du produit intérieur brut (PIB). Il représentait en effet 2,5 % du PIB français en 2021, soit presque autant que l'Allemagne (2,4 %), présentée comme très avantageuse, contre 2,6 % en Espagne, 3,5 % en Irlande, 3,8 % aux Pays-Bas ou encore 4 % au Danemark.

Signalons par ailleurs que le taux d'imposition taux effectivement payé par les grandes entreprises est désormais proche de celui payé par les plus petites : en 2019, il s'élevait à 19,9 % pour les PME, 21,3 % pour les entreprises de taille intermédiaire (ETI), et 17,1 % pour les grandes entreprises. Soit un écart de tout de même 2,8 points calculé sur les bénéfices déclarés [1].Si l'écart s'est manifestement réduit au cours des dernières années, il est difficile d'en tirer la conclusion que l'équité fiscale progresse. Car ces taux réels d'imposition ne prennent pas en compte les stratégies d'évitement fiscal.

En effet, s'il est difficile de l'évaluer précisément et d'en tirer une conclusion sur le taux réel d'IS (soit l'IS payé par rapport aux bénéfices réellement réalisés), il est impossible de ne pas mentionner à ce stade les diverses stratégies d'évitement de l'impôt qui, par voie d'optimisation agressive, d'évasion et de fraude fiscales, viennent faire chuter le taux réel de l'IS. Le CEPII estimait ainsi qu'en matière de contournement de l'impôt : « Plusieurs instruments peuvent ainsi être utilisés : manipulation des prix de transfert sur les transactions entre filiales d'un même groupe (échanges de biens ou de services) et la localisation des dettes ou d'actifs générant des revenus (brevets, marques, dette) au sein du groupe génèrent artificiellement des flux internationaux de dividendes entre filiales et maisons-mères, des pays à faible fiscalité vers ceux à fiscalité élevée [2] ». Et selon Gabriel Zucman, 40 % des profits des multinationales réalisés à l'étranger sont logés dans les paradis fiscaux [3].

Annexe : comprendre l'IS

L'IS, c'est combien ?

En 2023, les recettes d'impôt sur les sociétés sont estimées à 61,3 milliards d'euros. En 2024, les recettes d'impôt sur les sociétés s'élèveraient à 72,2 Md€, soit 10,9 milliards d'euros de plus qu'en 2023, en raison principalement du fort dynamisme du bénéfice fiscal en 2023 du principalement aux superprofits. Par comparaison, l'impôt sur le revenu aurait rapporté 90,7 miliards d'euros en 2023. Quant à la TVA, elle, aurait rapporté 208,7 milliards d'euros en 2023.

Qui paie l'IS ?

L'impôt sur les sociétés (IS) concerne les entreprises exploitant en France, c'est-à-dire celles qui réalisent leur activité commerciale habituelle sur le territoire et y ont un établissement stable. Il concerne principalement les bénéfices de certaines sociétés et personnes morales. Il en va par exemple ainsi des sociétés de capitaux comme les sociétés anonymes notamment. Les sociétés passibles de l'IS ne sont imposables que sur les bénéfices qu'elles réalisent sur le territoire.

Quels sont les taux applicables ?

Le taux de l'impôt sur les sociétés est de 25 % à compter des exercices ouverts à partir 1er janvier 2022. Il était de 33,3 % en 2017 puis s'est progressivement abaissé depuis. Il existe cependant des taux spécifiques. Pour les PME (qui réalisent un chiffre d'affaires inférieur à 10 millions d'euros), le taux est ainsi de 15 % jusqu'à 42 500 euros de bénéfices (25 % au-delà).

Par ailleurs, certaines cessions d'éléments d'actif (cession de brevets, de titres de participations de licence d'exploitation, etc) relèvent du régime d'imposition des plus ou moins-values à long terme. Ces opérations sont imposées à des taux spécifiques qui, selon la nature de ces opérations de cession, oscillent entre :
• 0 % pour les plus-values nettes à long terme réalisées sur les cessions de titres de participations, autres que les titres de sociétés à prépondérance immobilière, sont imposées au taux de 0% (sous réserve de la réintégration d'une quote-part de frais et charges de 12 %) ;
• 19 % sur les plus-values nettes à long terme réalisées sur certaines opérations immobilières ;
• 15 % les autres plus-values à long terme ;
• 10 % sur certains revenus de la propriété intellectuelle.


[1] Rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, Les différences d'imposition sur les bénéfices entre PME et grandes entreprises, juillet 2023.

[2] Laurence Neyman et Vincent Vicard, « Les revenus des multinationales dans les paradis fiscaux », Blog du CEPII, 14 septembre 2018.

[3] Gabriel Zucman, « La richesse cachée des nations, enquête sur les paradis fiscaux », 2ème édition, collection La République des idées, Éditions du Seuil, novembre 2017.

21.02.2024 à 10:02

Nos concitoyens, les « prélèvements obligatoires » et la dépense publique

Équipe de l'Observatoire

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Alors que l'association Attac lance sa campagne en faveur de la justice fiscale, il est intéressant de revenir sur les rapports de nos concitoyens à l'impôt, sur la base des travaux du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO). Cette institution rattachée à la Cour des comptes a en effet publié la seconde édition du « Baromètre des prélèvements fiscaux et sociaux en France » en janvier 2024. Sur la base de sondage, le CPO mesure la perception que les français ont des prélèvements dans un (...)

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Texte intégral (989 mots)

Alors que l'association Attac lance sa campagne en faveur de la justice fiscale, il est intéressant de revenir sur les rapports de nos concitoyens à l'impôt, sur la base des travaux du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO). Cette institution rattachée à la Cour des comptes a en effet publié la seconde édition du « Baromètre des prélèvements fiscaux et sociaux en France » en janvier 2024. Sur la base de sondage, le CPO mesure la perception que les français ont des prélèvements dans un contexte de forte érosion du consentement à l'impôt et, plus largement, aux « prélèvements obligatoires » (soit l'ensemble des impôts , taxes et recettes sociales)

Le principal enseignement qui se dégage de cette étude est ainsi résumé dans le communiqué du CPO qui accompagne la sortie de l'étude : « Une majorité de Français continue à porter un jugement négatif sur le niveau et l'équité des prélèvements fiscaux et sociaux, mais considère aussi que le paiement des impôts et cotisations est un acte citoyen et soutient le renforcement de la lutte contre la fraude ».

Ce constat qu'Attac partage très largement n'a rien d'étonnant. Les mesures fiscales de la période passée ont choqué une large partie de la population ; ciblées principalement sur les plus riches et les grandes entreprises, elles ont nourri les inégalités, provoqué un sentiment d'injustice profonde et n'ont en rien soutenu l'activité économique. C'est peu de dire que, malgré les injustices fiscales et sociales, il est remarquable de voir qu'une majorité de personnes interrogées parvient à distinguer ce qu'il faut défendre, le principe d'une contribution commune, et la politique fiscale.

Dans le détail, on apprend certes que le niveau de prélèvements est trop élevé, ce que les tenants des politiques néolibérales ont salué. Ils oublient au passage que ce niveau n'est pas élevé pour tout le monde et que c'est précisément ce qui est par ailleurs dénoncé puisque le système de français est largement jugé « inéquitable ». Mieux, la majeure partie des sondés déclare ne pas être prête à accepter une baisse de la dépense publique en échange d'une baisse d'impôt. Très instructif, ce résultat montre que la population demeure très attachée aux services publics et à la protection sociale, malgré une dégradation provenant directement des choix politiques de ces dernières années. De la même manière, on ne peut pas être surpris de constater que l'immense majorité des personnes interrogées ne souhaitent pas un repli supplémentaire des services publics et de la protection sociale, même si l'injustice du système de prélèvements les conduit à espérer davantage de services publics sans hausse d'impôt. Pour Attac, il est aisé d'en conclure qu'une réforme fiscale mettant fin aux injustices serait particulièrement bien jugée en ce qu'elle permettrait une amélioration du système redistributif, au demeurant encore peu appréhendé dans les enquêtes d'opinion.

L'évitement de l'impôt occupe ici une place de choix ; « 79 % des personnes ayant répondu à l'enquête s'accordent ainsi pour reconnaître que payer ses impôts constitue un acte citoyen, tandis que 55 % d'entre eux souhaitent renforcer les moyens dédiés à la lutte contre la fraude ». Un niveau analogue à celui de 2019. Là aussi, il n'y a rien de surprenant vu l'ampleur de l'évitement fiscal, par voie d'optimisation ou de fraude et le nombre d'affaires en la matière.

L'étude montre en outre un faible niveau de connaissance du système de prélèvement et de redistribution et un besoin de pédagogie. À titre d'exemple, « 16 % des Français ne savent pas s'ils payent la CSG, et parmi ceux qui affirment la payer, 58 % ne connaissent pas son taux. Seuls 15 % des Français situent le taux de prélèvements obligatoires par rapport au PIB entre 40 % et 49 % en France ». Le CPO en déduit qu'il faut donc « améliorer l'information des contribuables sur la façon dont est utilisé l'argent public et les sensibiliser davantage au contrôle de cette dépense ». Mais la recommandation du CPO de « réinterroger régulièrement l'utilisation des prélèvements obligatoires par des revues de dépenses » est toutefois plus ambiguë. Le terme a en effet été utilisé, notamment par Bruno Lemaire, pour « tailler » dans les dépenses, notamment dans les dépenses sociales.

Pour Attac, si la pédagogie de l'impôt et des recettes sociales ainsi que de leur utilisation est une nécessité, ce débat ne doit pas être instrumentalisé par ceux qui mettent en œuvre des politiques qui affaiblissent le consentement à l'impôt et augmentent les injustices de toutes sortes. C'est la raison pour laquelle une campagne en faveur de la justice fiscale est lancée sur la base de propositions visant à renforcer la progressivité de l'impôt et à rééquilibrer la répartition de la contribution commune en faveur de davantage de justice fiscale. Il s'agit d'un enjeu citoyen majeur, notamment à l'heure où le gouvernement entend mettre chacun à contribution pour baisser les dépenses publiques mais refuse de revenir sur ses choix fiscaux alors qu'ils ont provoqué un important manque à gagner budgétaire, n'ont pas relancé l'activité économique et ont au surplus creusé les inégalités et les injustices.

03.02.2024 à 18:05

Qui paie l'impôt sur la fortune immobilière ?

Équipe de l'Observatoire

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En 2017, dans le cadre d'une réforme globale visant à baisser tout à la fois le taux de l'impôt sur les sociétés et l'imposition des revenus financiers, Emmanuel Macron a transformé l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI). Outre que cette réforme favorisait les distributions de dividendes, elle a également eu pour effet de ne plus imposer les actifs financiers (actions, parts de sociétés, etc) et des biens mobiliers (meubles mais aussi yachts, (...)

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En 2017, dans le cadre d'une réforme globale visant à baisser tout à la fois le taux de l'impôt sur les sociétés et l'imposition des revenus financiers, Emmanuel Macron a transformé l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI). Outre que cette réforme favorisait les distributions de dividendes, elle a également eu pour effet de ne plus imposer les actifs financiers (actions, parts de sociétés, etc) et des biens mobiliers (meubles mais aussi yachts, voitures de luxe, etc) sur leur valeur. Désormais, seuls les biens immobiliers le demeurent. Cette réforme a fait l'objet de nombreuses critiques et de plusieurs travaux qui ont tous conclu à son injustice et à son inefficacité. C'est dans ce contexte que la Cour des comptes a publié le 25 janvier 2024 ses « Observations définitives » sur l'IFI. Dans son rapport, elle livre une analyse de l'IFI depuis sa création en 2018 sur le profil des redevables et le contrôle de cet impôt.

Qui paie l'IFI ?

En 2022, près de 164 000 foyers ont reçu un avis d'impôt sur la fortune immobilière (IFI) pour un montant total d'environ 1,8 milliard d'euros. Ces foyers possèdent un niveau de patrimoine immobilier moyen de 2,5 millions d'euros quand la moyenne du patrimoine des Français s'élève à 126 200 millions d'euros. Ces foyers déclarent par ailleurs un revenu annuel de 301 600 euros en moyenne contre 26 100 euros pour les foyers fiscaux qui ne sont pas redevables de l'IFI. Fait notable, entre 2021 et 2022 le montant total des revenus déclarés par les redevables de l'IFI a augmenté de 31,7 % chez les foyers imposés à l'IFI contre 5,7 % chez les autres foyers.

La Cour précise également que les plus hauts patrimoines immobiliers sont aussi ceux qui déclarent les plus hauts revenus : leur revenu s'élève ainsi en moyenne à 2,7 millions d'euros alors que celui des ménages possédant un patrimoine immobilier compris entre 1,3 et 2,57 millions d'euros s'élève à 211 200 euros. La Cour a par exemple calculé que « Le revenu moyen des premiers a été multiplié par deux (+107 %) depuis 2018, alors que celui des seconds a cru de 12,8 % ». Signalons enfin que, sur près de 164 000 redevables de l'IFI en 2022, près de 41 500 foyers vivent à Paris (26 % des déclarants à l'IFI), 15 000 dans les Hauts-de-Seine et 7 600 dans les Yvelines.

En termes d'impôt payé par ces redevables, l'IFI moyen s'élève à 11 200 € en 2022, plus de la moitié des foyers fiscaux ayant un patrimoine inférieur à 1,8 M€ (44 % des foyers fiscaux IFI) s'acquittant pour leur part d'un IFI moyen de 4 000 €. En revanche, les 5 % des redevables de l'IFI, ayant un patrimoine imposable de plus de 5 M€, acquittent 35 % du total de l'IFI recouvré en 2022, une proportion qui reflète la concentration du patrimoine immobilier. La Cour rappelle d'ailleurs utilement, sur la base des travaux de l'INSEE (enquête patrimoine de 2021) la répartition du patrimoine des 1 % des ménages les riches : davantage d'actifs financiers que les autres ménages (27 % contre 20 % pour les autres) et de patrimoine professionnel (34 % contre 7 %) et relativement moins d'immobilier (36 % contre 67 %). Le rapport de la Cour des comptes confirme que la concentration du patrimoine immobilier est forte et rappelle qu'elle s'est accentuée depuis la création de l'IFI.

Le passage de l'ISF à l'IFI a procuré une importante économie d'impôt pour les personnes qui payaient l'ISF. La Cour estime que, « pour les redevables de l'ISF possédant les 0,1 % des patrimoines taxables les plus élevés en 2017 et qui sont restés assujettis à l'IFI, le montant moyen de leur imposition a fortement chuté entre l'ISF et l'IFI (hors effet PFU) : il passe de 399 600 € en 2017 (ISF) à 100 200 € en 2018 et 119 400 € en 2022 (IFI) ». Elle ne fait au fond que confirmer les travaux du comité d'évaluation des réformes de la fiscalité du capital de France stratégie.

Sans surprise, les foyers redevables de l'IFI se situent parmi les aisés et les plus riches, lesquels sont les grands gagnants d'une part, de la politique fiscale d'Emmanuel Macron et d'autre part, de la financiarisation de l'économie. Si l'effet « superprofits et superdividendes » des années 2021 et 2022 se fait clairement ressentir sur la hausse de leur revenu, donc par suite de leur patrimoine, l'intérêt de ce rapport est de montrer que la tendance est plus ancienne puisque l'étude porte sur les années 2018 à 2022 et qu'elle constitue un révélateur de la hausse des inégalités au profit des plus riches.

Comment l'IFI est-il contrôlé par l'administration fiscale ?

Le contrôle fiscal étant la contrepartie du système déclaratif, l'IFI fait donc l'objet d'un contrôle de l'administration fiscale. Ce contrôle peut conduire, suite à des relances de foyers n'ayant pas déposé l'IFI ou ayant commis des erreurs voire des irrégularités, à des régularisations ou des propositions de rectification (autrement dit, de redressements suite à contrôle).

La Cour relève environ 900 rectifications de déclarations d'IFI en 2022, ce qui représente 0,5 % des redevables de l'IFI. Elle note cependant qu'avec la mise en place de l'IFI et du fameux « droit à l'erreur », le nombre de rectifications a augmenté de manière significative : « par rapport à celles portant sur l'ISF après la mise en place du « droit à l'erreur » puisque par rapport à 2017, il a été multiplié par 3,5 la première année de sa mise en place, en 2018, et par 4,5 en 2019, première année pleine de mise en œuvre du dispositif ».

La Cour formule plusieurs critiques sur la stratégie et l'efficacité du contrôle de l'IFI. Rappelant que le contrôle porte principalement sur deux axes (l'absence de déclaration et la minoration d'assiette par la sous-évaluation des biens immobiliers), elle estime que la détection des risques de fraude peut s'améliorer. Si les contrôles semblent plus efficaces quant à l'évaluation de la valeur des biens déclarés et l'absence de déclaration (défaillance), les contrôles sont cependant concentrés sur ces deux dimensions et abordent moins certains risques liés à la détention indirecte et aux non-résidents. Or, en la matière, il faut renforcer les contrôles. En effet, pour la Cour, « le contrôle des biens détenus indirectement représente un enjeu croissant compte tenu du développement des sociétés civiles immobilières et des montages juridiques ». En clair, l'administration fiscale ne serait pas en capacité de savoir « qui » détient, de l'étranger et par l'intermédiaire de montages opaques, certains biens immobiliers.

Enfin, la Cour déplore « un manque d'outils pour le contrôle des non-résidents ou des biens à l'étranger (…) un taux de couverture qui reste faible et une absence d'estimation de la fraude » à l'IFI et de la fraude fiscale sur tous les impôts en général. Elle confirme ici sa préconisation de procéder à une véritable évaluation de la fraude fiscale, une préconisation déjà défendue dans son rapport de décembre 2019 consacré à la fraude aux prélèvements obligatoires.

Ce premier rapport du genre sur l'IFI confirme l'importance de l'économie d'impôt que la réforme de 2017 a offert aux plus riches. Il démontre également que cet impôt symbolique est loin d'être prioritaire en matière de contrôle.

28.01.2024 à 17:45

Entretien avec Julien BRIOT-HADAR

Équipe de l'Observatoire

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Julien BRIOT-HADAR est un expert en compliance doté d'une solide expérience dans le financement de projets, l'énergie et le secteur bancaire, tant en France qu'à l'international (Luxembourg, Maghreb et Sénégal). Il est également l'auteur de l'ouvrage « Dans les méandres de la fraude fiscale » (Ed. Legitech).
**** - On a beaucoup parlé, notamment depuis les Gilets jaunes, de l'effritement du consentement à l'impôt. D'où vient cet effritement et quelle distinction peut-on opérer entre « (...)

- Débats
Texte intégral (1116 mots)

Julien BRIOT-HADAR est un expert en compliance doté d'une solide expérience dans le financement de projets, l'énergie et le secteur bancaire, tant en France qu'à l'international (Luxembourg, Maghreb et Sénégal). Il est également l'auteur de l'ouvrage « Dans les méandres de la fraude fiscale » (Ed. Legitech).

- On a beaucoup parlé, notamment depuis les Gilets jaunes, de l'effritement du consentement à l'impôt. D'où vient cet effritement et quelle distinction peut-on opérer entre « civisme fiscal » et consentement à l'impôt ?

La répartition de la contribution fiscale émane du contrat républicain. Et pour cause, le droit fiscal est fondé sur une notion centrale, celle du « consentement à l'impôt », inscrite à l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée. [1] »

Ne l'oublions pas, dans une démocratie, le lien entre l'individu et la société s'effectue par l'impôt.

Malheureusement, certains l'ont oublié et ne font guère preuve de « civisme fiscale ». En effet, ils fraudent intentionnellement l'administration fiscale française ou, pour les plus ingénieux ou peut-être les moins risquophobes, pratiquent l'optimisation fiscale, via souvent des rescrits fiscaux (l'optimisation fiscale est légale, le problème que certains évoquent est un problème de moralité).

De la banalisation de la déviance fiscale par certains, qui délaissent l'ancienne morale publique du salut de la nation au profit d'une rationalité économique individualiste assujettissant le civisme fiscal à un calcul d'intérêt, naît un sentiment d'injustice fiscale dans la population. Ce dernier participe à la dégradation du consentement à l'impôt.

C'est ainsi qu'est né, en octobre 2018, le mouvement des Gilets jaunes qui a repris l'aphorisme de l'économiste anglais, Nicholas Kaldor « Les capitalistes gagnent ce qu'ils dépensent et les travailleurs dépensent ce qu'ils gagnent ».

- Quels sont les principaux défis en matière de renforcement du consentement à l'impôt ?

Le renforcement du consentement à l'impôt passe par la pédagogie. En effet, une action pédagogique visant à expliquer le rôle de l'impôt est déterminante. La complexité du sujet est extrême et conduit certains à des confusions. Dans un contexte de crise au sein duquel l'individualisme tend à se développer fortement, il est vital de faire comprendre que, quelle que soit la sensibilité politique et citoyenne de chacun, l'impôt joue un rôle majeur dans notre société. Ceci suppose de donner plus d'explications aux citoyens sur le rôle des impôts (notamment le rôle des politiques fiscales dans la financement des services publics) mais aussi sur l'organisation des impôts.

Le renforcement du consentement à l'impôt ne peut toutefois pas se borner à de la communication. Assurément, cela passe par la restauration d'un impôt progressif sur les patrimoines et les revenus :

• Augmenter les droits de succession sur les hauts patrimoines en comptabilisant l'ensemble des dons et héritages reçus tout au long de la vie ;
• Évaluer chacune des niches fiscales et supprimer les niches injustes ;
• Instaurer un impôt sur les entreprises basé sur l'activité réellement effectuée en France :
• Rétablir l'exit tax ;
• Revoir le barème de l'impôt sur le revenu ;
• Supprimer le prélèvement forfaitaire unique pour que tous les revenus (revenus financiers et plus-values financiers) soient imposés au barème progressif.

Pour finir, pour prouver son engagement, le gouvernement français doit créer un secrétariat d'État dédié à lutte contre la fraude fiscale et embaucher de nouveaux fonctionnaires au sein des services de recherche et de contrôle de la DGFiP ainsi que des services spécialisés. Dans les brigades départementales, par exemple, la suppression des effectifs d'appui (agents de catégorie C et D) a conduit les enquêteurs à effectuer des tâches chronophages de secrétariat en plus de leur mission de contrôle fiscal.

- Les élections européennes approchent, quelle devrait être l'orientation fiscale de l'Union européenne dans le monde actuel, tant en matière de fiscalité des entreprises que de fiscalité des particuliers ?

Le premier pilier concerne le principe de pleine concurrence applicable aux manipulations de prix de transfert. Il semble essentiel de remplacer le système de prix de transfert actuel et le principe de pleine concurrence par un système qui imposerait les multinationales sur la base de leurs bénéfices consolidés.

Harmoniser au niveau de l'Union européenne la TVA intracommunautaire semble le deuxième pilier. En effet, cela permettrait de modifier le principe selon lequel les livraisons intracommunautaires de biens, expédiés ou transportés d'un État membre à un autre, sont exonérées en France et les acquisitions intracommunautaires de biens, expédiés ou transportés à destination d'un État membre, sont imposables dans cet Etat membre. Cette mesure marquerait la fin de la TVA intracommunautaire dite « carrousel ».

Pour finir, il me semble nécessaire de modifier les traités pour permettre de prendre des décisions fiscales à la majorité fiscale. Certains pays de l'Union européenne ne font pas de la lutte contre la fraude fiscale un objectif mais disposent néanmoins d'un pouvoir de blocage. Il est essentiel de lutter contre la concurrence fiscale dommageable entre les États membres et de promouvoir la « bonne gouvernance fiscale ».


[1] M. Péclat, Représentations de la déviance fiscale en France du consentement sous contrôle à la concertation citoyenne, Thèse Université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, décembre 2016.

17.01.2024 à 08:25

L'évitement fiscal nuit à la bifurcation écologique et sociale

Équipe de l'Observatoire

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Les liens entre l'évasion (ou la fraude fiscale) et la transition écologique ne sont, a priori, pas évidents. Ils sont pourtant réels.
Le premier lien, ce sont bien sûr les sommes perdues pour les finances publiques et qui permettraient de faire face au besoin de financement de la transition écologique. Le rapport du Giec d'avril 2022 confirme que la question du financement est déterminante. Pour l'heure, les sommes engagées sont insuffisantes pour atteindre les objectifs fixés. Le Giec (...)

- Débats
Texte intégral (978 mots)

Les liens entre l'évasion (ou la fraude fiscale) et la transition écologique ne sont, a priori, pas évidents. Ils sont pourtant réels.

Le premier lien, ce sont bien sûr les sommes perdues pour les finances publiques et qui permettraient de faire face au besoin de financement de la transition écologique. Le rapport du Giec d'avril 2022 confirme que la question du financement est déterminante. Pour l'heure, les sommes engagées sont insuffisantes pour atteindre les objectifs fixés.
Le Giec estime que, pour limiter le réchauffement à moins de 2°C, les investissements annuels doivent être, entre 2020 et 2030, trois à six fois supérieurs à ce qu'ils sont actuellement. Or les experts estiment qu'« il y a suffisamment de capitaux et de liquidités mondiales pour combler ces déficits d'investissement. » C'est d'autant plus vrai si l'on s'attaque aux paradis fiscaux et à l'évasion fiscale internationale.
Pour la France, les estimations des besoins annuels de financement supplémentaire vont de 14 milliards d'euros (Institut pour le climat) à 66 milliards (rapport Pisani-Mahfouz pour France stratégie) voire 100 milliards (Ademe). Certes, ces estimations ne concernent pas les seules finances publiques, mais tous les travaux s'accordent pour dire que les politiques publiques doivent jouer un rôle majeur face à la recherche du profit à court terme des acteurs privés.
Autrement dit, la fraude fiscale empêche le financement de la transition écologique. Pour rappel, elle est estimée entre 80 et 100 milliards d'euros en France. Au niveau de l'Union européenne à 28, Richard Murphy, de l'Université de Londres, estimait la fraude aux recettes publiques, impôts et recettes sociales comprises entre 800 à 1 000 milliards d'euros.
Au-delà de ce lien évident, d'autres doivent être soulignés. Une étude de l'académie de Suède publiée le 13 août 2018 dans la revue Nature Ecology & Evolution montre ainsi le rôle des paradis fiscaux dans la dégradation de l'environnement et en particulier dans la déforestation de l'Amazonie et la pêche illicite.

Refuges pour activités climaticides

L'étude précise ainsi qu'« entre octobre 2000 et août 2011, 68 % de tous les capitaux étrangers ayant fait l'objet d'une enquête sur neuf sociétés spécialisées dans les secteurs du soja et du bœuf en Amazonie brésilienne [NDLR : soit 18,4 milliards de dollars] ont été transférés par l'intermédiaire d'un ou de plusieurs paradis fiscaux connus. Cela représente jusqu'à 90 voire 100 % des capitaux étrangers pour certaines entreprises faisant l'objet d'une enquête ». Les territoires concernés sont principalement les îles Caïmans (Royaume-Uni), les Bahamas et les Antilles néerlandaises.

Refuges pour activités climaticides

Par ailleurs, sur la base de données de l'Organisation internationale de police criminelle (Interpol) et des registres d'organismes régionaux, l'étude a établi que sur 209 navires impliqués dans des activités de pêche illicite, non déclarée et non réglementée, 70 % étaient enregistrés, ou l'avaient été, dans un pays répertorié comme un paradis fiscal.
Elle fait ainsi écho aux révélations des Panama Papers qui, en avril 2016, avaient établi que 80 % de la flotte du Panama (6 413 navires de marine marchande, soit la plus grosse flotte du monde) était alors composée de bateaux étrangers (pétroliers, cargos, porte-conteneurs…). Une stratégie permettant notamment d'éviter l'impôt et les lois sociales.
L'étude confirme des travaux antérieurs. Les Paradise Papers avaient par exemple déjà révélé que plusieurs entreprises du secteur des énergies fossiles (TotalEnergies, Engie, Glencore) utilisaient des sociétés offshore et des montages financiers transitant par les paradis fiscaux pour investir dans des projets charbonniers, gaziers ou pétroliers. L'étude lance donc « un appel à une prise de conscience politique de la nécessité d'ajouter la dimension environnementale aux débats sur les paradis fiscaux. »

Base arrière pour les riches pollueurs

Enfin, une récente étude, publiée par Bloomberg green en 2022, montre que les 1 % les plus riches du monde émettent 70 fois plus de carbone que la moitié la plus pauvre de la population mondiale. La pollution des plus riches augmente continuellement du fait de leur mode de vie (avion, yacht, SUV…).

Or, c'est au sein de ces populations que l'évitement de l'impôt est le plus répandu, en partie par l'utilisation de paradis fiscaux, comme les travaux de Gabriel Zucman l'ont montré à plusieurs reprises (8 % de la fortune mondiale serait ainsi détenue dans les paradis fiscaux).

De fait, outre la perte de recettes publiques qu'elle induit, cette fraude fiscale procure aux plus riches un surplus de revenus qui peut être utilisé pour effectuer plus de déplacements ou être investi dans des activités émettrices de CO2 (dans les énergies fossiles par exemple).

Par bien des façons, donc, l'évitement fiscal représente un obstacle à la bifurcation écologique et sociale.

(Tribune parue sur le site d'Alternatives économiques le 5 janvier 2024)

13.01.2024 à 10:02

LVMH : partenaire particulier pour le fisc

Équipe de l'Observatoire

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L'administration fiscale a renoncé à poursuivre LVMH pour fraude fiscale potentielle et à donner suite au contrôle fiscal qu'elle avait engagé en 2019 pour préférer accepter un « partenariat fiscal ». Révélée le 30 décembre dernier, l'affaire a de quoi interpeller : elle pose en effet non seulement la question de la stratégie gouvernementale en matière de contrôle fiscal mais aussi celle des rapports entre les grands groupes et le pouvoir. Comprendre les différents rouages ayant conduit à (...)

- Actualités
Texte intégral (1094 mots)

L'administration fiscale a renoncé à poursuivre LVMH pour fraude fiscale potentielle et à donner suite au contrôle fiscal qu'elle avait engagé en 2019 pour préférer accepter un « partenariat fiscal ». Révélée le 30 décembre dernier, l'affaire a de quoi interpeller : elle pose en effet non seulement la question de la stratégie gouvernementale en matière de contrôle fiscal mais aussi celle des rapports entre les grands groupes et le pouvoir. Comprendre les différents rouages ayant conduit à cette situation est nécessaire pour identifier les enjeux.

Qu'est-ce que le « partenariat fiscal » ?

Jusque-là peu connu du grand public, le « partenariat fiscal » a été instauré en mars 2019 suite à l'adoption de la loi « Pour un État au service d'une société de confiance » (ESSOC) en 2018. Rappelons que celle-ci a instauré un ensemble de mesures présentées comme permettant notamment de reconnaître le « droit à l'erreur », de favoriser les régularisations et de « renforcer la sécurité juridique » en matière de fiscalité. Opérant une véritable réorientation du contrôle fiscal, la loi ESSOC vise en réalité à favoriser l'attractivité fiscale en faisant le pari de prioriser l'accompagnement sur le contrôle fiscal.

Le partenariat fiscal s'organise de la manière suivante : une fois la candidature de l'entreprise retenue, un protocole d'accord est signé entre l'entreprise et le Service Partenaire (logé à la Direction des grandes entreprises qui appartient à la Direction générale des finances publiques, la DGFiP) qui désigne alors un interlocuteur unique. Ce dernier sera par la suite le point de contact régulier et privilégié de l'entreprise pour la mise en œuvre du partenariat fiscal. Le protocole prévoit ainsi que la DGFiP délivre des réponses aux questions de l'entreprise dans certains délais, l'entreprise devant pour sa part livrer les informations nécessaires au traitement de ses demandes. Tout ceci est censé sécuriser l'entreprise mais aussi mieux informer l'administration fiscale et ainsi, prévenir la fraude.

Un partenariat sous conditions

Le partenariat fiscal s'adresse aux grandes entreprises et aux entreprises dites de « taille intermédiaire ». Les entreprises concernées doivent employer au moins 250 salariés, réaliser un chiffre d'affaires d'au moins 50 millions d'euros ou présenter un bilan au moins égal à 43 millions d'euros. Certaines entreprises de moins de 250 salariés, mais dont le total de chiffre d'affaires et de bilan dépasse ces dernières limites, sont également éligibles au dispositif, les PME pouvant pour leur part accéder à un autre dispositif, baptisé « accompagnement fiscal des PME ».

La taille de l'entreprise ne suffit toutefois pas pour bénéficier de ce fameux partenariat. Pour être éligibles au « partenariat », les entreprises doivent également être à jour de leurs obligations déclaratives et de paiement et ne doivent pas avoir fait l'objet de pénalités pour manquement intentionnel à la suite d'un contrôle fiscal au cours des trois dernières années. L'entreprise candidate doit normalement faire l'objet d'une enquête préalable de moralité avant toute entrée dans le dispositif. L'objectif affiché de l'administration fiscale est de prioriser les entreprises respectueuses du droit fiscal.

C'est bien sur ce point que le partenariat avec LVMH dérange, outre, plus largement, la philosophie générale qui a présidé à la loi « ESSOC »
. L'administration fiscale avait de fortes présomptions de fraude fiscale au sein du groupe LVMH. Preuve en est qu'en 2019, elle a engagé une procédure de contrôle, soupçonnant notamment une fraude via la centrale de trésorerie du groupe installée alors en Belgique et fort opportunément rapatriée en France par la suite.

Des soupçons de fraude qui entachent le « partenariat »

En septembre 2019, l'administration fiscale a mené une perquisition sur plusieurs sites du géant français du luxe, dont le siège de LVMH, avenue Montaigne à Paris, dans une affaire de potentielle fraude fiscale. Une centrale de trésorerie, LVMH Finance Belgique SA (LFB), était au cœur des investigations. Hélas, la cour d'appel avait invalidé en 2020 cette perquisition et ordonné la restitution des pièces saisies à LVMH sans possibilité pour l'administration fiscale d'en garder copie. Entre-temps, LVMH avait donc rapatrié sa centrale de trésorerie en France et sollicité un partenariat fiscal avec la DGFiP en 2022. Une manière de reconnaître que LVMH avait été pris les doigts dans le pot le confiture...

En février 2023, la Cour de cassation a cassé la décision de justice qui invalidait la perquisition de 2019. En théorie, il était donc redevenu possible pour la DGFiP de poursuivre ses investigations, même s'il faut reconnaître qu'elles n'auraient plus eu l'effet de surprise d'une perquisition. C'est d'ailleurs officiellement ce qui a conduit la DGFiP à accepter le partenariat.

Vu les antécédents, on peut légitimement se demander si le groupe LVMH présente toutes les garanties nécessaires en matière de « moralité fiscale » pour bénéficier d'un tel partenariat… Le groupe pourra certes arguer qu'aucune pénalité n'a été appliquée ni aucune fraude démontrée. Or, chacun sait désormais que cela n'est dû qu'au renoncement de la DGFiP de poursuivre les procédures de contrôle. L'argument ne trompera donc personne. Un constat s'impose : le partenariat fiscal, pour discutable qu'il soit dans ses principes fondateurs et son application (moins de 15 agents traitent environ 70 partenariats fiscaux), est entaché. Censé accompagner les entreprises au comportement fiscal vertueux, il s'applique désormais à un groupe suspecté d'avoir fraudé.

Pour Attac, qui a dénoncé la philosophie et les mesures de la loi « ESSOC » (dans son rapport de mars 2022 intitulé « Fraude fiscale, sociale, aux prestations sociales, ne pas se tromper de cible » par exemple), il est indispensable qu'un travail de fond qui serait rendu public soit mené sur l'application effective des dispositifs de cette loi, notamment sur le partenariat fiscal. Plus largement, c'est bien d'un renforcement dont les services engagés dans la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales ont besoin. On n'en est toujours pas là...

07.01.2024 à 16:36

Crypto actifs/monnaies et délinquance financière

Équipe de l'Observatoire

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Nés de la crise de 2008 et de la numérisation de l'économie, les crypto-actifs (ou cryptomonnaies) nourrissent régulièrement le débat économique. Leur statut et les opérations qu'ils autorisent interrogent : quel est leur intérêt intrinsèque ? Quels sont les risques liés à leur utilisation ? Quelle régulation mettre en place ? Les travaux menés sur ce sujet complexe tentent de répondre à ces questions que nous nous efforçons de résumer le plus simplement possible ici.
** De quoi (...)

- Comprendre la fiscalité
Texte intégral (2091 mots)

Nés de la crise de 2008 et de la numérisation de l'économie, les crypto-actifs (ou cryptomonnaies) nourrissent régulièrement le débat économique. Leur statut et les opérations qu'ils autorisent interrogent : quel est leur intérêt intrinsèque ? Quels sont les risques liés à leur utilisation ? Quelle régulation mettre en place ? Les travaux menés sur ce sujet complexe tentent de répondre à ces questions que nous nous efforçons de résumer le plus simplement possible ici.

De quoi parlons-nous ?

Définissons tout d'abord les termes en présence. Pour l'Autorité des Marchés Financiers, « Les « cryptomonnaies », plutôt appelés « crypto-actifs », sont des actifs numériques virtuels qui reposent sur la technologie de la blockchain (chaîne de bloc) à travers un registre décentralisé et un protocole informatique crypté. Un crypto-actif n'est pas une monnaie. Sa valeur se détermine uniquement en fonction de l'offre et de la demande. Les crypto-actifs ne reposent pas sur un tiers de confiance, comme une banque centrale pour une monnaie. Il existe à ce jour plus de 1 300 "crypto-actifs » [1].

Les crypto-actifs représentent des actifs virtuels, car ils ne sont pas matérialisés à la différence de la monnaie fiduciaire. Ils sont stockés sur un support électronique permettant à une communauté d'utilisateurs les acceptant en paiement de réaliser des transactions sans avoir à recourir à la monnaie légale, ce qui les distingue des opérations monétaires dématérialisées. Juridiquement, une crypto-monnaie n'est pas une monnaie « classique » puisqu'elle ne dépend d'aucune institution et ne bénéficie d'aucun cours légal dans aucun pays. À la différence de monnaies comme l'Euro, elle échappe au réseau des banques centrales et au marché des devises. Elles ont toutefois une valeur qu'il est cependant difficile d'évaluer précisément.

Les cryptoactifs sont créés par des communautés d'internautes (les « miners ») sur la base d'un algorithme. Celui-ci génère des « jetons » qui sont distribués aux « miners » sur la base de critères divers. La technologie employée est celle de la « blockchain » [2] , qui conserve la trace des transactions et fonctionne comme une banque décentralisée et autonome de toute autorité. Ces jetons sont stockés dans des coffres-fort dématérialisés, logés sur ordinateur ou dans le cloud. Ils sont transférables via internet et anonymement au sein des membres de la communauté.

Les cryptoactifs ne s'échangent pas seulement en circuit fermé : ils peuvent être vendus contre d'autres cryptoactifs ou contre de la monnaie traditionnelle, être investis dans des secteurs à risque (le marché de l'art, l'immobilier…), etc. S'ils sont volatils par nature, certains cryptoactifs jouent cependant un rôle de stabilisateur. C'est le rôle des stablecoins, qui constituent une passerelle entre les cryptomonnaies et les monnaies fiduciaires classiques. À la différence des autres cryptomonaies, leur cours est en effet adossé à une valeur-refuge (comme le dollar américain ou l'or), ce qui réduit leur volatilité.

Depuis leur création, les crypto-actifs se développent et se démocratisent. La valorisation du marché des crypto-actifs représentait 1 100 Md$ fin 2023 et environ 14 millions d'utilisateurs au sein de la zone euro. En France, la moitié des nouveaux investisseurs aurait investi dans les crypto-actifs alors que ce chiffre s'établit à 25% pour les investisseurs traditionnels [3]. La Cour des comptes relève que « l'ADAN et le cabinet KPMG estiment que cinq millions de Français détenaient des actifs numériques en France en 2022, contre quatre millions de personnes en 2021 (…) les Français auraient investi entre 20 Md€ et 25 Md€ en actifs numériques en 2023 » [4]. Enfin, Chainalysis évalue à 3,5 Md€ les plus-values nettes réalisées en 2021 sur les portefeuilles d'actifs numériques en France [5].

L'AMF, qui tient une liste noire des entités à risque pour l'épargne, identifie plusieurs risques pour les personnes voulant investir dans les cryptomonnaies :
• la bulle spéculative, le cours des crypto-monnaies étant très volatil,
• de piratages informatiques (hacking) ;
• le blanchiment des capitaux.

Cryptoactifs, blanchiment et évasion fiscale

Les cryptoactifs sont mobiles, ils circulent sans intermédiaire et ne connaissent pas de frontière. Il est aisé de déplacer des montants d'un compte virtuel à un autre sans identification du donneur d'ordre. Ces montants peuvent ainsi transiter vers des utilisateurs eux-mêmes anonymes disséminés dans plusieurs pays, éventuellement même dans des paradis fiscaux et judiciaires. Ils peuvent ainsi échapper à toute règle et à tout contrôle.

Surtout, la monnaie virtuelle garantit la discrétion et l'anonymat. À titre d'exemple, le protocole Bitcoin n'exige pas et ne fournit pas d'identification et de vérification des participants. L'anonymat est une des caractéristiques principales de la blockchain, il est source de risques. La création d'un portefeuille virtuel sur Internet est gratuite et anonyme, elle ne nécessite pas de formalité particulière. Si les transactions sont enregistrées dans la blockchain et peuvent être inspectées ou que le solde de la quantité de crypto-monnaie dans une adresse est visible, le fait que les adresses crypto ne soient pas enregistrées sur la base du nom d'une personne, contrairement aux comptes bancaires, accroît l'utilisation des cryptoactifs dans des activités telles que le blanchiment d'argent ou encore le financement d'activité criminelles. De ce point de vue, les cryptoactifs offrent une opacité comme le secret bancaire pouvait l'offrir dans certains paradis fiscaux. Dans ces conditions, il est donc très difficile pour les organismes de contrôle de tracer les flux et d'identifier les bénéficiaires des transactions, les fraudes, etc.

La situation est d'autant plus préoccupante qu'il n'y a d'ailleurs jamais eu autant d'argent blanchi en cryptomonnaies qu'en 2022. Selon une étude de Chainalysis [6] , 23,8 milliards de dollars d'argent sale en cryptomonnaies ont ainsi transité sur la blockchain en 2022 pour y être convertis en monnaie sonnante et trébuchante. Une augmentation de 68% par rapport à l'année précédente.

Les règles applicables, longtemps dépassées (comme en matière de fiscalité numérique), tentent de s'adapter avec difficulté. Sur le plan fiscal, les règles actuelles sont les suivantes : sont imposables les cessions en contrepartie d'une monnaie ayant cours légal, mais pas celles en contrepartie d'une autre cryptomonnaie. Lorsqu'une plus-value est réalisée par exemple, les textes prévoient l'application du prélèvement forfaitaire unique. L'activité de « minage » quant à elle est imposable à l'impôt sur le revenu.

En pratique, la situation est toutefois plus complexe. Le développement des stablecoins permet d'échapper à l'impôt : un investisseur qui réalise une plus-value sur actifs numériques n'est plus obligé de transformer ses actifs en monnaie légale et peut transformer ses actifs en un stablecoin adossé à cette monnaie légale, sans être pour autant imposé dans la mesure où il ne sort pas du secteur des crypto-actifs. De leur côté, les émetteurs de stablecoins n'ont pas l'obligation de s'enregistrer auprès des autorités de régulation, ce qui garanti l'anonymat à leurs clients et les dispense de signaler les transactions susceptibles d'être illicites. Les stablecoins mondiaux, et plus globalement les cryptoactifs, posent donc un défi immense, tant pour la lutte contre la délinquance économique et fiscale que pour la stabilité financière.
L'écart entre les plus-values estimées par Chainalysis (3,5 Md€) et déclarées à la DGFiP (0,4 Md€) ne saurait s'expliquer par les seules plus-values issues d'échanges entre actifs numériques. Elle montre que les cryptoactifs nourrissent l'évasion et la fraude fiscales.

Au-delà de l'évitement de l'impôt, les cryptoactifs sont également utilisés dans le blanchiment par la conversion en actifs numériques des revenus tirés d'activités illicites, le blanchiment pouvant être réalisé « en utilisant des plateformes qui ne sont pas soumises à des obligations de LCBFT ou dont les contrôles sont défaillants, sur lesquelles les fraudeurs peuvent convertir des fonds illicites en crypto-actifs afin de les transférer vers d'autres comptes ou de les revendre contre des monnaies » [7]. Ils peuvent également alimenter la spéculation et le financement du terrorisme par exemple. Tracfin, qui s'alarme de l'utilisation croissante des cryptoactifs dans les activités illicites, estime la valeur des flux suspects à 5,1 % des échanges, soit près de 5,3 Md€ au plan mondial [8]. Autant de constats qui montrent qu'adapter le cadre législatif est urgent.


[1] Site de l'AMF : « Qu'est-ce qu'une cryptomonnaie ? »

[2] Technologie de stockage et de transmission d'informations permettant à ses utilisateurs connectés en réseau de partager des données sans intermédiaire.

[3] OCDE, AMF, « Les nouveaux investisseurs particuliers en France : attitudes, connaissances et comportements », Novembre 2023.

[4] Rapport de la Cour des comptes, « Les cryptoactifs : une régulation à renforcer », 19 décembre 2023.

[6] Crypto Money Laundering : Four Exchange Deposit Addresses Received Over $1 Billion in Illicit Funds in 2022
January 26, 2023.

[7] Rapport de la Cour des comptes précité.

[8] Communiqué de presse sur le Rapport annuel 2022 de Tracfin, « LCB-FT : état de la menace », octobre 2023

19.12.2023 à 09:39

4 piliers pour une architecture fiscale mondiale juste

Équipe de l'Observatoire

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C'est une mesure passée quasiment inaperçue dans le débat public alors qu'elle a suscité un intense débat ces dernières années : le projet de loi de finances 2024 transpose en droit interne la directive (UE) 2022/2523 issue de l'accord d'octobre 2021 de l'OCDE. Est ainsi inséré au code général des impôts une disposition prévoyant un taux minimal d'imposition des bénéfices des multinationales de 15 %, mesure que les États membres de l'Union européenne doivent transposer pour une entrée en (...)

- Débats
Texte intégral (785 mots)

C'est une mesure passée quasiment inaperçue dans le débat public alors qu'elle a suscité un intense débat ces dernières années : le projet de loi de finances 2024 transpose en droit interne la directive (UE) 2022/2523 issue de l'accord d'octobre 2021 de l'OCDE. Est ainsi inséré au code général des impôts une disposition prévoyant un taux minimal d'imposition des bénéfices des multinationales de 15 %, mesure que les États membres de l'Union européenne doivent transposer pour une entrée en vigueur le 1er janvier 2024.

Rappelons que l'accord de l'OCDE repose deux 2 piliers. Le taux minimum de 15 % en constitue le second. Le premier, qui prévoit l'imposition des entreprises là où elles réalisent leurs bénéfices et vise plus spécifiquement les géants du numérique, ne fait toujours pas l'objet d'un accord. Le projet initial de principe de l'OCDE n'est donc que partiellement appliqué.

Les premières estimations des recettes attendues de ce taux de 15 % vont de 1,5 à 4 milliards d'euros en France et jusqu'à 150 milliards d'euros au niveau mondial. Il faut mettre cette fourchette en rapport avec les travaux du département des affaires fiscales du FMI, qui estime que les pertes fiscales liées à l'évitement de l'impôt des grandes entreprises à plus de 600 milliards de dollars (565 milliards d'euros) par an. Ce qui fait dire à Joseph Stiglitz, ancien prix Nobel d'économie et coprésident de la Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des entreprises (Icrict) : « un taux de 15 % est bien trop bas. Au sein de l'Icrict, nous soutenons un taux de 25 % ».

On ne peut que soutenir cette position. Même calculée sur éventuelle future une base harmonisée que la Commission européenne souhaiterait voir entrer en vigueur le 1er juillet 2028, une imposition minimale de 15 % ne réglera pas le problème des écarts d'imposition entre grands groupes et PME. Elle ne freinera pas la concurrence fiscale puisqu'au nom de ce taux, on pourrait assister à l'avenir à un alignement des taux de l'impôt sur les sociétés vers le bas. Or, cette concurrence pèse de plus en plus lourdement sur les populations, les systèmes de protection sociale, les services publics et la capacité de l'action publique à faire face aux défis futurs, notamment environnementaux. Il faut en effet ajouter aux besoins de financement sociaux ceux de la bifurcation écologique. En la matière, les besoins de financement sont importants mais moins coûteux que l'inaction climatique, évaluée à 10 % du PIB par la Banque centrale européenne. Mais les systèmes fiscaux sont trop déséquilibrés pour y faire face, les politiques fiscales se traduisant par une hausse des inégalités, une inefficacité économique et un affaiblissement du consentement à l'impôt.

Si, au plan national, une réforme fiscale est nécessaire, au plan mondial, il reste beaucoup à faire. Relever rapidement le taux minimal à 25 % puis instaurer une taxation unitaire (qui imposerait les bénéfices globaux des multinationales, chaque État appliquant son taux d'impôt sur les sociétés à la quote-part lui revenant déterminée sur la base de critères objectifs comme les ventes réalisées, les emplois et les immobilisations), instaurer une imposition mondiale minimale sur les revenus et les patrimoines des particuliers (passant par un impôt sur la fortune européen par exemple), mettre en place une véritable taxe sur les transactions financières et combattre résolument l'évasion fiscale (par un renforcement de l'ensemble des moyens ; législatifs, humains et matériels) constitueraient les 4 piliers d'une architecture fiscale mondiale. Cette orientation, en faveur de la bifurcation sociale et écologique, qui doit s'accompagner d'une autre politique monétaire et de gestion de la dette, permettrait également de stabiliser l'activité économique et de renforcer la démocratie.

Face aux enjeux, un choix de société s'impose :
• laisser faire le « marché », ce qui passe par le développement de la finance privée dite « verte » et le repli de l'action publique et de la protection sociale sur fond d'austérité budgétaire,
• ou agir collectivement pour garantir l'intérêt général, en privilégiant les politiques publiques pour mieux répartir les richesses.

La justice fiscale, sociale et écologique plaide résolument en faveur du second.

(Tribune d'Attac parue sur le site du quotidien Le Monde le 6 novembre 2023)

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