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17.12.2025 à 17:34

Les états désunis du dollar

Laurent BARONIAN
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« Dans les événements historiques, écrivait Tolstoï, les prétendus grands hommes ne sont que des étiquettes qui doivent leur nom à l’événement ». C’est aussi vrai des hommes grotesques que l’histoire appelle parfois à la rescousse lorsque les grandes issues sont bouchées. Ainsi la publication en novembre 2024 du Guide de l’utilisateur pour la restructuration du commerce […]
Texte intégral (5663 mots)

« Dans les événements historiques, écrivait Tolstoï, les prétendus grands hommes ne sont que des étiquettes qui doivent leur nom à l’événement ». C’est aussi vrai des hommes grotesques que l’histoire appelle parfois à la rescousse lorsque les grandes issues sont bouchées. Ainsi la publication en novembre 2024 du Guide de l’utilisateur pour la restructuration du commerce mondial1par Stephen Miran, futur conseiller économique de Donald Trump, nous révèle qu’avec sa personnalité brutale et imprévisible, l’homme d’affaires est, avant de provoquer des situations politiques nouvelles, l’homme de la situation. Car dans la conduite d’une guerre tarifaire débutée déjà de longue date par les États-Unis, « l’incertitude quant à savoir si, quand et dans quelle mesure cela se produira renforce le pouvoir de négociation en suscitant la peur et le doute »2. Mais de quelle négociation s’agit-il ?

Le dollar : du privilège exorbitant au fardeau exorbitant

Le rapport de Miran s’appuie sur un constat désormais classique sur la position commerciale des États-Unis. Le dollar étant demandé comme monnaie de réserve internationale en plus de ses fonctions domestiques, il est surévalué relativement à l’état de la balance commerciale des États-Unis. Or cette surévaluation ne cesse d’aggraver son déséquilibre avec le reste du monde, étant donné qu’un dollar fort grève la compétitivité de l’industrie domestique et rend meilleur marché les produits importés. C’est pourquoi le privilège exorbitant du dollar, qui permet à son émetteur de financer indéfiniment ses déficits courants – par l’émission de bons du Trésor –, s’est transformé selon Miran en un fardeau exorbitant, à mesure que décline la part des États-Unis dans la croissance du PIB mondial.

Stephen Miran, économiste américain (photo : Al Drago)

Car plus cet écart de croissances s’élargit, plus la demande de dollar comme monnaie de réserve augmente relativement à la part déclinante des États-Unis dans le commerce mondial, et plus aussi se creusent les déficits courants3. Or avec cet écart, augmente du même coup le risque d’une perte de confiance dans le dollar, et surtout dans le bon du Trésor, placement favori de l’épargne mondiale, grâce auquel l’État finance son déficit. Il s’agit donc de prendre les mesures qui restaurent la compétitivité des États-Unis, mais sans affaiblir le dollar dans son statut d’actif de réserve. Bref : un dollar fort pour sa fonction de réserve de valeur, et faible pour sa fonction de moyen d’échange.

L’impossible répétition de l’Accord Plaza

N’est-ce pas ce qu’avait su faire Reagan en 1985, en faisant signer à l’hôtel Plaza de New York un accord des pays du G5 sur une action concertée de dépréciation du dollar sur le marché des changes ? Le dollar pouvait bien baisser, il était en ce temps-là la monnaie de réserve incontestée du capitalisme mondial. Mais surtout, Miran sait bien que la Chine de 2025 n’a pas les dispositions conciliantes du Japon de 1985, que l’UE n’a plus l’aisance commerciale de l’Allemagne d’hier.

À défaut de nouveaux Accords du Plaza4 avec les grandes puissances économiques du moment, Miran appelle au lancement d’une guerre commerciale ouverte frappant leurs exportations, et les forçant à s’ouvrir aux produits états-uniens. Bien plus, cette offensive tiendrait lieu de guerre préventive avant la signature d’un nouvel accord, cette fois sous les ornements douteux de la résidence floridienne de Trump à Mar-a-lago. Les experts ont beaucoup ironisé sur la malheureuse comparaison entre les Accords du Plaza et d’hypothétiques Accords de Mar-a-Lago : non seulement les États-Unis ne sont plus entourés de leurs bons alliés de l’après seconde-guerre mais, surtout, Reagan voulait justement éviter, par ses Accords, des mesures tarifaires agressives que les Démocrates du Congrès réclamaient contre le Japon et l’Europe. En 1985, les États-Unis ménageaient leurs alliés pour consolider un marché mondial dont ils étaient le grand commissaire-priseur : quelques jours après leur signature, Reagan lançait en effet les négociations de l’Uruguay Round dans le cadre du GATT, en vue d’abaisser les barrières douanières dans la perspective de la création de l’Organisation Mondiale du Commerce.

Quarante ans plus tard, c’est avec le pistolet commercial sur la tempe que les États-Unis arracheraient un accord, avec cette fois l’OTAN comme institution d’appui : « Supposons que les États-Unis imposent des droits de douane à leurs partenaires de l’OTAN et menacent d’affaiblir leurs obligations de défense commune au sein de l’OTAN s’ils sont frappés par des droits de douane de rétorsion »5. Si bien que les motifs avancés pour une guerre des douanes se contredisent entre eux : les taxes doivent servir tantôt de moyen de pression, voire de rétorsion, contre les partenaires commerciaux des États-Unis, tantôt à financer durablement les déficits budgétaires et les réductions d’impôts aux entreprises, et l’abaissement des charges sociales, qui sont pour Trump les deux piliers du MAGA. Or avec des droits de douane sur les importations, il faudra s’attendre à une hausse de l’inflation du fait du renchérissement des biens étrangers (les derniers chiffres le confirment6) qui poussera la Fed à relever les taux d’intérêt. Mais des taux élevés stimulent la demande de dollar et donc la hausse du taux de change – et un dollar plus fort qui s’ensuivra augmentera à son tour le déficit commercial des États-Unis.

Et si l’on imagine un instant que les mesures produisent l’effet attendu d’une baisse du dollar, Miran admet qu’elle entraînerait une baisse massive de la valeur de l’épargne mondiale investie en bons du Trésor et donc aussi une vente massive de ces titres qui précipitera davantage encore la baisse de leur valeur. Comme cette vente entraînera une hausse des taux d’intérêt sur ces bons7 et donc une hausse du déficit courant, on forcera les détenteurs étrangers à les échanger contre des obligations à cent ans « zéro coupon », c’est-à-dire ne portant pas intérêt. « Afin d’atténuer les conséquences financières indésirables potentielles (telles que la hausse des taux d’intérêt), la vente de réserves peut s’accompagner d’un allongement de la durée des réserves restantes. La demande accrue de dette à long terme par les gestionnaires de réserves contribuera à maintenir les taux d’intérêt à un niveau bas […] Si l’allongement de la durée se fait sous la forme d’obligations spéciales à cent ans, […] la pression financière sur les contribuables américains pour le financement de la sécurité mondiale s’en trouve considérablement allégée. Le Trésor américain peut effectivement racheter la durée sur le marché et remplacer cet emprunt par des obligations à cent ans vendues au secteur officiel étranger [banques centrales, agences publiques, fonds souverains, etc.]. De tels accords de Mar-a-Lago donnent forme à une version du XXIe siècle d’un accord monétaire multilatéral »8. Mais il faudrait d’abord prendre la mesure XXIe siècle où ce ne sont pas seulement les supposés signataires des accords, mais le dollar lui-même qui a changé de résidence. Aujourd’hui seuls 16 % des réserves en dollars sont entre les mains des banquiers centraux étrangers, contre plus de 60 % circulant entre les comptes des institutions privées du système financier international9. C’est que le dollar n’est plus seulement la grande devise des réserves des institutions officielles de l’axiomatique capitaliste, il s’impose comme le premier véhicule du capitalisme mondial.

Le nouveau dilemme de Triffin

On a beaucoup critiqué Miran pour ses incohérences et simplifications10. Mais ses détracteurs lui font un mauvais procès, car il se débat au milieu d’une contradiction plus profonde, qu’ils feignent d’ignorer plus que lui encore, entre le degré d’autonomie relative du dollar par rapport à son pays émetteur et le niveau de déclin relatif du rôle économique des États-Unis eux-mêmes. En un sens, le dollar est devenu le problème des États-Unis parce qu’il n’est plus seulement, et depuis longtemps, la monnaie des États-Unis. Ainsi dans le commerce, 54 % des transactions sont toujours facturées en dollars, soit 5 fois plus que la part des États-Unis dans le commerce mondial, tandis que sa part dans le PIB mondial n’est plus que de 15 %. Dans les coffres des banques centrales, plus de 60 % des réserves sont déclarées en dollars et ces chiffres sous-estimeraient la réalité du phénomène selon le FMI. En outre, plus de la moitié des pays de notre globe ancrent leur monnaie au dollar et 50 % environ du PIB mondial est ancré au dollar11. Par cet arrimage universel, que le marché des changes manifeste par l’usage du dollar dans près de 90 % des transactions, le dollar jouit plus d’un privilège d’insularité (privileged insularity) que d’un privilège exorbitant : une variation du taux de change n’affecte pas les prix des biens importés libellés dans des monnaies ancrées au dollar. C’est bien cette autonomie qui explique la tournure embarrassée du plaidoyer de Miran, c’est elle qui joue comme un retour du refoulé à chaque objection qu’il fait à ses propres propositions. Il le reconnaît en un sens, en qualifiant la situation des États-Unis de « monde de Triffin » dans lequel « les actifs de réserve constituent une espèce de masse monétaire mondiale, et leur demande dépend du commerce mondial et de l’épargne mondiale, et non de la balance commerciale intérieure ou des caractéristiques de rendement du pays détenteur des réserves »12.

Mais que ce monde a changé depuis que l’économiste Robert Triffin a énoncé son fameux dilemme en 196013 ! Il remarquait que le système monétaire international ne pouvait fonctionner que si le pays émetteur de la monnaie de réserve, les États-Unis donc, créait une quantité suffisante de liquidités pour le commerce mondial. Mais créer de la liquidité, cela revient à financer son commerce sans contrepartie, c’est donc créer des déficits extérieurs (c’est-à-dire des déficits commerciaux et plus généralement des déficits de la balance des paiements du pays émetteur) en alimentant le marché mondial en dollars créés par la planche à billets. Or ces déficits continuels risquaient de saper la confiance dans la monnaie de réserve, car les autres pays se mettraient à douter de la capacité de l’émetteur à garantir la convertibilité du billet vert en or (sur laquelle reposait la valeur du dollar, en tant que monnaie pivot du système de Bretton Woods). Donc, si le pays émetteur ne fournit pas assez de liquidités, le commerce et la croissance mondiaux sont freinés ; s’il en fournit trop en accumulant des déficits, la valeur et la stabilité de sa monnaie sont remises en cause.

La variable ultime : le travailleur états-unien

Triffin ne craignait donc pas tant les déficits (la balance commerciale des États-Unis était excédentaire à son époque) que la convertibilité d’un dollar surabondant sur les marchés mondiaux. Pourtant, la fin de la convertibilité du dollar décidée par Nixon en 1971 n’a pas fait disparaître le dilemme : elle l’a déplacé au niveau de la capacité fiscale des États-Unis à soutenir leur dette publique, et honorer leurs obligations vis-à-vis de ses créanciers. Et ce déplacement tient au rôle nouveau des obligations du Trésor des États-Unis. C’est que, non seulement les banques centrales conservent des dollars sous la forme de bons du Trésor, mais cette quasi-monnaie portant intérêt constitue désormais l’actif sûr pour toutes les opérations financières intervenant aussi bien sur les marchés financiers que dans les systèmes de paiements des banques onshore et offshore dans lesquels le dollar est la monnaie véhiculaire. Aussi le dilemme de Triffin trouve-t-il à s’exprimer désormais dans la contradiction entre l’accroissement des déficits de la balance des paiements (nécessaire à la fourniture de liquidité en dollars pour le reste du monde), et la capacité fiscale des États-Unis à émettre de la dette (pour garantir au dollar sa fonction de réserve de valeur).

D’où l’équation impossible de Miran : baisser la valeur du dollar, c’est affaiblir le statut d’actif sûr qu’est le bon du Trésor, c’est donc augmenter son prix et par là-même le déficit budgétaire des États-Unis. Mais augmenter le déficit, c’est provoquer plus d’inflation et donc baisser la compétitivité des produits domestiques. Miran reconnaît ces difficultés et, devant la fragilité de ses propres mesures, finit toujours par recourir à la seule variable économique encore aux mains du politique en matière de dollar : la force de travail. Si le taux de change augmente par suite de la hausse des tarifs – du fait de la hausse de la demande de dollar qui s’ensuivra, « [l]es décideurs politiques peuvent en partie atténuer les freins aux exportations par un programme de déréglementation agressif, qui contribue à rendre la production américaine plus compétitive »14. Et même si, comme l’espère Miran, le taux de change n’augmente pas, ce sera au travailleur américain de payer pour la hausse des tarifs en achetant plus cher ses biens de consommation, d’où, là aussi, une baisse de son salaire réel.

Les fissures chinoises du mur tarifaire

Jusqu’ici nous avons à peine évoqué la Chine. C’est elle pourtant qui justifie la tournure martiale du commerce extérieur voulue par Miran : « Les pays qui souhaitent bénéficier du parapluie militaire doivent être aussi sous le parapluie du commerce équitable. Un tel outil peut être utilisé pour faire pression sur d’autres nations afin qu’elles se joignent à nos droits de douane contre la Chine, créant ainsi une approche multilatérale en matière de droits de douane »15. Dix-huit siècles après que la Chine a débuté la construction de la Grande Muraille pour repousser les menaces de ses voisins barbares, c’est au tour de ces derniers d’ériger autour d’elle un « Mur tarifaire mondial ». On dirait que l’administration Trump a inventé une nouvelle variante de la formule de Clausewitz qui fait du commerce l’anticipation de la guerre par d’autres moyens que la politique. Pour le secrétaire au Trésor Scott Bessent, une segmentation plus claire de l’économie internationale en zones fondées sur des systèmes économiques et de sécurité communs contribuerait à mettre en évidence la persistance des déséquilibres et à introduire davantage de points de friction pour y remédier »16. C’est au fond la seule certitude de Miran : quels qu’en soient les effets, ses mesures dessineront une démarcation plus nette entre amis et ennemis, et élèveront les risques de sécurité.

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Mais Miran s’attend aussi à ce que ces grandes manœuvres précipitent la recherche d’alternatives au dollar, déjà en marche avec le yuan qui, même s’il ne représente encore que 4% des paiements internationaux et 2% des réserves de change mondiales, a vu sa part doubler depuis 2022. Dans le commerce chinois, son usage dans le règlement des transactions est passé de 14% en 2019 à plus de 30% aujourd’hui, et plus de 50% des flux transfrontaliers sont désormais effectués dans cette devise, contre moins de 1% en 2010. Si l’on veut savoir pourquoi Trump cherche à sortir du bourbier ukrainien, il faut moins consulter les chiffres du Trésor états-unien que les statistiques du système bancaire chinois :  la Banque centrale chinoise a fourni 4,5 trillions de yuans (environ 630 milliards de dollars) de lignes de swap à 32 banques centrales, et le système de paiement CIPS, l’équivalent chinois de SWIFT, accueille désormais plus de 1 700 banques, soit une augmentation de 3% depuis 2022 et gère un volume de paiements qui ont grimpé de 43% en 2024, atteignant 175 trillions de yuans (environ 24 trillions de dollars). Quant aux prêts extérieurs des banques chinoises en yuan, ils ont triplé depuis 202217. La Chine ne s’oppose pas à la mondialisation par une réorganisation sino-centrée du marché mondial18, elle relance la mondialisation de tous les marchés en renouvelant les institutions de la finance mondialisée.

Le retour du réel après le Liberation Day

Près de huit mois après le « Liberation Day » dont Trump espérait surtout qu’il libèrerait les États-Unis des lois du commerce international, son administration semble admettre au moins que, si la hausse des droits de douanes a des effets incertains sur les prix, une baisse de ces droits doit assurément diminuer les prix des biens concernés. Aussi face à un pouvoir d’achat qui ne cesse de s’éroder, elle s’est résolue à une baisse drastique des droits de douane sur certains produits alimentaires, textiles, et même pharmaceutiques, importés d’Amérique latine.

Mais ce n’est pas tout : le « Liberation Day » devait aussi, grâce au recours à la loi sur les pouvoirs économiques d’urgence internationaux (IEEA), libérer Trump du droit de regard du Congrès dans la conduite de sa guerre commerciale. Il a sans doute touché ici aux limites institutionnelles que même ses plus fervents partisans à la Cour suprême ne sont pas prêts à voir repousser. Ainsi la Cour a récemment émis un avis plus que réservé sur cet expédient, manière de mettre en doute l’urgence sécuritaire de la balance commerciale de la première puissance mondiale19. C’est pourtant bien à l’Est de l’Occident que se découvrent les grandes différences avec l’époque des Accords du Plaza : en 1985, Gorbatchev jetait, avec la perestroïka, l’URSS dans les bras sauvages du capitalisme ; en 2025, Xi Jinping invite tous les chefs d’État du Sud Global à contempler la grande armée chinoise qui bientôt montera la garde partout où transitera son commerce universel. Tandis qu’à la Maison Blanche, aujourd’hui, la spéculation immobilière a remplacé la conquête du Far West.


  1. Stephen Miran, « A User’s Guide to Restructuring the Global Trading System », Hudson Bay Capital, Novembre 2024 : https://www.hudsonbaycapital.com/documents/FG/hudsonbay/research/638199_A_Users_Guide_to_Restructuring_the_Global_Trading_System.pdf ↩
  2. Stephen Miran, Op. Cit., p. 22. ↩
  3. Un déficit courant signifie qu’un pays importe plus qu’il n’exporte de biens et services, même s’il faut inclure dans la balance courante les revenus nets comme les intérêts et dividendes, ainsi que l’aide à l’étranger. ↩
  4. Les pays signataires des Accords du Plaza s’étaient engagés à stimuler la demande intérieure pour favoriser leurs importations et à intervenir sur le marché des changes par des ventes de dollars et des achats d’autres devises. ↩
  5. Stephen Miran, Op. Cit., p. 26. ↩
  6. https://www.bls.gov/news.release/cpi.nr0.htm ↩
  7. Les rendements obligataires étant fixes, une baisse du cours des obligations fait monter le taux d’intérêt et inversement. ↩
  8. Stephen Miran, Op. Cit., p. 29. ↩
  9. Michael Bordo et Robert McCauley, “Miran, we’re not in Triffin land anymore”, VoxEU.org, 7 avril 2025 : https://cepr.org/voxeu/columns/miran-were-not-triffin-land-anymore ↩
  10. Kenneth Rogoff, « Trump’s Misguided Plan to Weaken the Dollar », Project Syndicate, 6 Mai 2025 : https://www.project-syndicate.org/commentary/trump-administration-mar-a-lago-plan-to-weaken-dollar-is-deeply-flawed-by-kenneth-rogoff-2025-05 ↩
  11. https://www.federalreserve.gov/econres/notes/feds-notes/the-international-role-of-the-u-s-dollar-2025-edition-20250718.html ↩
  12. Stephen Miran, Op. Cit., p. 6. ↩
  13. Robert Triffin, The gold and the dollar crisis: the future of convertibility, Princeton University Press, 1960. ↩
  14. Stephen Miran, Op. Cit., p. 17. ↩
  15. Ibid., p. 23. ↩
  16. Ibidem. ↩
  17. https://www.economist.com/china/2025/09/10/china-is-ditching-the-dollar-fast ↩
  18. Benjamin Bürbaumer, Chine/États-Unis, le capitalisme contre la mondialisation, La Découverte, 2024. ↩
  19. https://www.ft.com/content/f4420b48-0ed3-4f32-9b72-7ff90365ff93 ↩

10.12.2025 à 17:41

Pourquoi Mélenchon va gagner en 2027

Manuel CERVERA-MARZAL
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Jean-Luc Mélenchon constitue, pour l’ordre établi, une menace d’une rare intensité. Les grandes fortunes, dont l’influence s’exerce bien au-delà de leurs entreprises, voient dans ses propositions fiscales et sociales une remise en cause frontale de leurs intérêts. Bernard Arnault ou Vincent Bolloré comprennent parfaitement qu’un gouvernement appliquant la lutte contre les oligopoles, la taxation massive […]
Texte intégral (5105 mots)

Jean-Luc Mélenchon constitue, pour l’ordre établi, une menace d’une rare intensité. Les grandes fortunes, dont l’influence s’exerce bien au-delà de leurs entreprises, voient dans ses propositions fiscales et sociales une remise en cause frontale de leurs intérêts. Bernard Arnault ou Vincent Bolloré comprennent parfaitement qu’un gouvernement appliquant la lutte contre les oligopoles, la taxation massive des dividendes et la démocratisation des médias porterait atteinte à des positions héritées depuis des décennies. Les forces de l’ordre savent également que Mélenchon est l’un des rares responsables politiques à dénoncer explicitement les violences policières et à proposer des mécanismes institutionnels pour les prévenir et les sanctionner. Les tenants du productivisme et ceux qui profitent de l’écocide redoutent la planification écologique des insoumis, pensée pour rompre avec l’impunité climatique. Enfin, les partisans du macronisme – qu’il s’agisse des élites politiques qui ont bénéficié du quinquennat ou de ceux qui profitent de la casse sociale menée au nom de la raison – identifient en lui le seul adversaire capable de renverser l’ordre qu’ils ont patiemment construit.

Le candidat qui dérange

C’est pour ces raisons qu’il est depuis dix ans la cible de tentatives de disqualification systématiques : tantôt présenté comme un chef autoritaire, tantôt comme un agent d’influence poutinien, tantôt comme un antisémite qui s’ignore, il est aujourd’hui attaqué sur un tout autre terrain. On ne conteste plus ses idées, son programme, ni même sa stratégie. On affirme simplement qu’il serait battu d’avance au second tour face à Jordan Bardella.

Cet argument révèle moins la faiblesse supposée de Mélenchon qu’il ne dévoile la vacuité doctrinale de ses rivaux, incapables d’articuler une critique de fond et condamnés à répéter les prophéties de cabinets de sondage appartenant à des groupes possédés par des milliardaires ou par des individus dont l’accointance avec l’extrême droite est dûment documentée. Ces instituts se sont lourdement trompés pour les législatives de 2024 – sur 31 sondages réalisés, 31 donnaient le Rassemblement national vainqueur, devant le Nouveau Front Populaire. Aucun d’entre eux n’a présenté le début d’une excuse. Aucun n’a procédé à la moindre réforme de ses « méthodes » (les guillemets s’imposent à la lecture de la récente enquête d’Hugo Touzet, qui dévoile le vide abyssal sur lequel repose leurs données). Il serait naïf, et coupable, de leur accorder une autorité prédictive sur une configuration aussi inédite qu’un duel entre la gauche radicale et l’extrême droite.

Une progression électorale continue mais sous-estimée

Pour comprendre pourquoi l’hypothèse d’une victoire de Jean-Luc Mélenchon en 2027 est la plus probable, il faut revenir à la réalité des dynamiques électorales. En trois candidatures présidentielles, Mélenchon a constamment progressé, en nombre absolu de voix comme en pourcentage. De 11 % en 2012, il est passé à près de 20 % en 2017 puis 22 % en 2022, manquant le second tour d’un cheveu : 420 000 voix. Cette trajectoire ascendante résulte certes de facteurs exogènes – l’affaissement historique du Parti socialiste, la crispation identitaire du Parti communiste, l’absence de cohérence au sein d’EELV – mais aussi d’un travail stratégique extrêmement structuré. En 2017 comme en 2022, la majorité des électeurs se déclarant plus à gauche ou plus à droite que Mélenchon ont pourtant voté pour lui. Pour de vastes pans de l’électorat, Mélenchon est devenu le point d’agrégation, la figure centrale autour de laquelle se recompose l’espace de la gauche.

Ce phénomène, observé ailleurs en Europe, répond à une double dynamique : le discrédit des partis de gouvernement incapables de proposer une issue sociale à la crise économique, et la montée de nouvelles mobilisations syndicales, féministes, écologistes, populaires et antiracistes dont les revendications infusent aujourd’hui l’agenda politique. La France insoumise a capté cette énergie, elle a construit un corpus doctrinal et programmatique compatible avec ces attentes.

Février 2025 (source : page Facebook de Jean-Luc Mélenchon)

Le spécialiste de la remontada

À cette évolution structurelle s’ajoute un phénomène récurrent des campagnes mélenchonistes : sa montée en puissance tardive. Ce qu’il a lui-même théorisé sous le nom de « tortue sagace », et que les fans de football qualifient de remontada. Historiquement, Jean-Luc Mélenchon réalise l’essentiel de sa progression dans les six derniers mois précédant l’élection. Les courbes de 2017 et de 2022 montrent des hausses de quinze points sur cette période – ce que ne fait aucun autre candidat. Dans le dernier mois, il peut engranger presque dix points. Les ressorts sont connus : ses talents de débatteur, sa capacité à créer des contrastes nets lors des grands rendez-vous télévisés, l’inventivité et l’ampleur de ses meetings, et le recours au porte-à-porte de ses nombreux groupes d’action produisent une dynamique cumulative unique en France. Déjà en 2017, chaque débat majeur lui apportait deux à trois points. En 2022, malgré une concurrence accrue due à la candidature de Fabien Roussel, les tendances furent similaires. Les meetings ont été des dispositifs de mobilisation massifs et spectaculaires, de l’hologramme aux meetings olfactifs, répliquant une mécanique parfaitement maîtrisée.

Cette montée tardive s’explique aussi par la sociologie de son électorat. Les jeunes, les classes populaires, les abstentionnistes intermittents, n’apparaissent dans les sondages qu’à partir du moment où ils commencent à s’intéresser aux débats. Leur intensité participative est faible hors période électorale. Les enquêtes d’opinion les sous-représentent systématiquement. Ainsi, les mêmes enquêtes surestiment l’extrême droite et sous-estiment le vote insoumis. Rien d’étonnant donc à ce que Mélenchon démarre bas : son électorat est, en dehors des échéances électorales, statistiquement invisible. De là découle une évidence analytique : les sondages de décembre 2025 ne nous apprennent rien sur les dynamiques de mars-avril 2027.

            Mélenchon est aujourd’hui placé à 13% par les sondeurs. A la même période, pour les deux précédentes présidentielles (c’est-à-dire 18 mois avant les scrutins de 2017 et de 2022), il était mesuré à 8% – soit cinq points de moins. Si sa trajectoire des dix-huit prochains mois suit la même courbe ascendante qu’en 2017 et 2022, il finira à environ 26% en mai 2027, un score synonyme de qualification assurée pour le second tour.

            Au même (ca)niveau que les sondages erronés, il convient de rappeler les fausses prophéties journalistiques, qui sont moins des prévisions fondées sur des faits que l’expression de désirs à moitié avoués. Après l’épisode des perquisitions au siège de la France insoumise, en octobre 2018, les grands médias ont répété durant deux ans que la carrière politique de l’intéressé était définitivement enterrée ; à la présidentielle suivante, il surclassait une nouvelle fois le reste de la gauche. La même « mort » lui avait été annoncée lorsqu’avant la présidentielle de 2017 il avait émis l’hypothèse d’une sortie de l’UE.

La fragmentation du bloc macroniste, une fenêtre d’opportunité historique

            Un autre élément, rarement analysé à sa juste mesure dans les prévisions actuelles, concerne la conjoncture politique, et plus précisément l’état d’effritement avancé du bloc central construit autour d’Emmanuel Macron depuis 2017. Ce bloc, qui avait rassemblé une partie de la droite, le centre et l’aile gestionnaire du Parti socialiste, n’a jamais constitué une force idéologiquement unifiée. Il reposait sur la conjonction improbable entre un rejet momentané des partis traditionnels, l’adhésion des élites économiques à un projet néolibéral décomplexé et la personnalisation extrême du pouvoir autour de la figure d’un président jeune, disruptif et au capital symbolique alors intact. Or ce capital s’est plus que dégradé. Il s’est abaissé à un niveau record dans l’histoire du pays : 11% de confiance en novembre 2025. Et contrairement à l’idée que cette usure serait simplement le produit d’une décennie d’exercice du pouvoir, tout indique que la fragmentation actuelle résulte aussi d’un calcul stratégique du président sortant.

Il est désormais établi – par une série d’enquêtes journalistiques convergentes – qu’Emmanuel Macron a souhaité et encouragé, directement ou indirectement, la victoire du Rassemblement national lors des législatives de 2024. La dissolution a été décidée dans des conditions qui, de l’aveu même de certains proches du président, avaient moins pour objectif de clarifier la situation parlementaire que de provoquer un choc politique dont le RN sortirait vainqueur. Les appels passés à des candidats pour qu’ils retirent leur candidature dans certaines circonscriptions stratégiques, la passivité assumée de la majorité présidentielle face aux triangulaires défavorables au camp progressiste, et les consignes contradictoires envoyées aux fédérations locales ont construit un scénario où le RN devenait le maillon d’une stratégie de long terme. L’hypothèse la plus plausible est désormais la suivante : Macron ne souhaite pas qu’un héritier naturel s’impose à la tête de son camp, que ce soit Édouard Philippe, Gabriel Attal, Gérald Darmanin ou François Bayrou. Il sait que toute figure trop solide, trop autonome, qui s’installerait à l’Elysée, serait susceptible de lui fermer la porte d’un retour. En favorisant l’éparpillement et l’affaiblissement de son propre bloc, il laisse ouverte la possibilité d’une recomposition ultérieure (en 2032) où il reviendrait comme recours face à une droite extrême arrivée au pouvoir mais en situation d’échec.

Dans ce contexte, l’extrême centre est plus fragmenté que jamais. Édouard Philippe, malgré une image d’homme d’État, n’a ni parti structuré ni base militante ; Gabriel Attal est prisonnier de son identification au macronisme ; Gérald Darmanin mise sur un électorat réactionnaire qui lui préfère déjà le RN ; et François Bayrou ne dispose plus d’aucun crédit depuis son passage à Matignon. Aucun de ces prétendants n’est en mesure d’incarner un pôle suffisamment large pour empêcher leur dispersion et forcer ses rivaux à se retirer. Le bloc central se présentera désuni en 2027, s’annihilant mutuellement et rendant extrêmement improbable la présence d’un candidat macroniste au second tour. Ajoutons à cela que tout candidat de ce camp portera le fardeau de son prédécesseur, désormais désavoué par ses soutiens les plus fidèles et, surtout, par les segments de la population qui constituèrent pourtant sa base électorale en 2017 et 2022. Cette absence d’un pôle centriste crédible et unifié constitue une des données les plus déterminantes pour l’élection à venir : elle ouvre mécaniquement un espace pour un duel Mélenchon–Bardella (ou Mélenchon – Le Pen).

Une concurrence inconsistante

Du côté de la gauche, les candidatures alternatives – Glucksmann, Tondelier, Ruffin, Autain – ou celles de fossiles que certains rêvent encore de ressusciter – Hollande, Cazeneuve, Royal, Duflot – bénéficieront d’une visibilité et d’une bienveillance médiatique certaines. Les grands groupes de presse, appartenant à des puissances économiques hostiles à LFI, ont tout intérêt à fabriquer une « gauche raisonnable », rassurante pour les marchés, inoffensive pour les oligarques, et docile sur les sujets européens et géopolitiques. Ce scénario n’est pas nouveau : on l’a vu en 2017 avec Benoît Hamon, porté un temps comme incarnation d’une social-démocratie combative avant de s’effondrer ; en 2022, avec Yannick Jadot ou Christiane Taubira, dont les dynamiques médiatiques n’ont jamais trouvé de traduction populaire. Les raisons sont les mêmes : ces candidatures manquent d’un programme structuré, d’un appareil militant robuste, d’une cohérence idéologique, et surtout de l’ancrage social nécessaire pour dépasser un public composé essentiellement de diplômés urbains. Elles ne disposent pas de l’infrastructure indispensable pour mener une campagne présidentielle dans la durée : pas de réseau territorial significatif, pas de corpus doctrinal travaillé, pas de capacité de mobilisation numérique ou physique. Même portées artificiellement par les médias mainstream, ces figures ne parviennent pas à transformer l’essai dans la durée.

En face, Mélenchon s’appuie sur un appareil qui, depuis 2016, a acquis une solidité sans équivalent dans le champ politique français. LFI n’est plus le mouvement « gazeux » des premiers temps, ni le parti en manque d’implantation territoriale qui enjambait à contre-cœur les élections municipales de 2020 : c’est désormais une organisation structurée, dotée d’un groupe parlementaire nombreux, d’équipes d’assistants rodées à la production législative et communicationnelle, d’un outil intellectuel – l’Institut La Boétie – capable de produire des notes doctrinales et programmatiques de haute qualité (outil que d’autres, à gauche, tentent d’imiter), d’un réseau de cadres formés, d’une stratégie numérique maîtrisée, et d’une capacité logistique impressionnante. L’élaboration du programme L’Avenir en commun, travaillée depuis dix ans et enrichie par des consultations régulières avec experts, ONG, associations et professionnels, a donné naissance à un document cohérent, reconnu y compris par ses adversaires comme le plus complet, le mieux chiffré, le plus sérieux de l’offre politique française. Cette base programmatique, pensée pour durer, assortie d’une quarantaine de livrets thématiques, confère à Mélenchon une longueur d’avance que ses concurrents auront du mal à combler.

Dans ces conditions, la qualification de Mélenchon pour le second tour apparaît comme un scénario très probable. L’impopularité et la fragmentation du centre, l’absence d’assise populaire de la gauche décaféinée et le savoir-faire accumulé par les insoumis offrent à leur leader un boulevard.

Reste la question du second tour lui-même.

Un second tour inédit et une dynamique démographique favorable

Les sondeurs affirment que Mélenchon serait écrasé par Bardella. Mais ces prédictions n’ont aucune validité scientifique. Les instituts se trompent régulièrement sur des élections simples, dans des configurations connues et maintes fois répétées. Ils seront encore plus démunis face à un duel totalement inédit : jamais dans l’histoire de la Ve République un candidat de gauche radicale n’a affronté un candidat d’extrême droite au second tour. Les comportements électoraux dans une telle situation ne relèvent d’aucune loi préexistante.

On peut craindre que les électeurs LR basculent massivement vers le RN : c’est déjà le cas aujourd’hui. On peut anticiper qu’une partie des dirigeants macronistes se rallient à Bardella ou appelle à « faire barrage à Mélenchon » ; ce qui revient au même. Mais les électeurs centristes sont moins alignés sur leurs élites qu’on ne le croit. Une part d’entre eux demeure attachée à l’État de droit, à la séparation des pouvoirs, à l’indépendance de la justice et aux libertés individuelles. Pour ces électeurs, Mélenchon représente, malgré la longue liste de reproches qu’ils lui adressent, une menace moins grande que l’arrivée au pouvoir d’un parti ouvertement illibéral. Quant à l’électorat social-démocrate ou libéral-libéral (culturellement et économiquement), celui qui se reconnaît dans Glucksmann, il peut détester Mélenchon, il peut le vouer aux gémonies lors des diners de famille et des afterworks entre collègues, mais dans l’isoloir, seul avec lui-même, face au risque d’un basculement autoritaire, il se comportera rationnellement : il votera pour la gauche, fût-elle bruyante, radicale, populiste ou même « poutinienne » ; il le fera par prudence autant que par intérêt.

Mélenchon devra impérativement recentrer son discours, peut-être aussi son programme, pour conquérir au second tour les orphelins de Glucksmann et de Macron. Ce recentrage, il l’a déjà amorcé. Le « bruit et la fureur » de 2010 se sont progressivement atténuées. Le dialogue a été renoué avec des représentants du patronat, l’attache a été prise avec des gradés de l’armée, des collaborations peu visibles mais bien réelles sont à l’œuvre avec un bataillon de hauts fonctionnaires. Mélenchon et ses lieutenants misent désormais sur le sérieux institutionnel, la compétence technique et la respectabilité étatique, tout en conservant la capacité à incarner la radicalité impulsée par les mouvements sociaux et désirée par leur électorat populaire. Concilier ces deux registres n’est pas chose facile. L’art de préserver l’ambiguïté n’est pas donné à tout le monde. Mais cet art caractérise la trajectoire politique du leader insoumis, ex-militant mitterrandien, ex-sénateur socialiste et ex-ministre de Jospin d’un côté, mais aussi tribun de la révolution citoyenne, théoricien du dégagisme et désormais pourfendeur des violences policières et du génocide à Gaza. La faculté caméléonesque de Jean-Luc Mélenchon – chacun voit en lui ce qu’il veut y voir – est un atout considérable.

Enfin, si la victoire de Mélenchon apparait plus probable que jamais, cela tient aussi au fait que la France ne s’est pas droitisée, en tout cas pas dans les proportions que la droite tente de nous faire croire. Les jeunes générations penchent massivement à gauche, et les valeurs de tolérance et d’égalité progressent y compris chez les segments les plus âgés dont le vote va pourtant à Macron ou Fillon. Mélenchon est le seul candidat dont la base s’appuie sur les classes d’âge en expansion démographique. Le temps joue pour lui.

Une France politiquement de droite mais sociologiquement de gauche

Depuis plusieurs décennies, un paradoxe travaille la France : le pays vote majoritairement à droite mais sa population pense de plus en plus à gauche. Si l’on se limite aux résultats électoraux et aux sondages mis en scène sur les plateaux télé, on croit assister à une inexorable droitisation du pays. Mais dès qu’on quitte ce regard myope pour observer les évolutions de long terme des valeurs – génération par génération, en suivant des dizaines d’enquêtes accumulées depuis les années 1980 – le décor se renverse. Sous la surface d’un paysage institutionnel et médiatique monopolisé par la droite, on voit se déployer une lente et puissante dynamique de « gauchisation par le bas » : l’attachement à l’égalité, à la redistribution, à la protection sociale, à la tolérance, aux libertés publiques progresse doucement mais surement. C’est l’enseignement principal du livre que le politiste Vincent Tiberj a consacré au mythe de la droitisation.

Sur le plan socio-économique, les données longitudinales produites par mon collègue montrent qu’une majorité de Français restent durablement favorables aux services publics et à la protection sociale. Si l’on construit un indice de préférences sociales allant de 0 (libéralisme pur, marché roi) à 100 (égalitarisme maximal), la moyenne ne bascule dans la moitié la plus libérale que sur une courte période, au milieu des années 1980, au moment du tournant austéritaire et de la contre-offensive idéologique menée contre le bref épisode social du début du mitterrandisme. Depuis le début des années 2000, la courbe remonte nettement : les préférences redistributives se renforcent, l’adhésion à l’État social se stabilise à un niveau élevé et la demande de régulation augmente après chaque crise financière ou sociale. Autrement dit, malgré quarante ans de propagande néolibérale, la population n’a pas intériorisé la doxa du « trop d’impôts », « trop de fonctionnaires », « trop d’État ». Elle reste, en moyenne, plus proche d’un imaginaire social-démocrate que du catéchisme patronal.

Extension du domaine progressiste

Sur le plan culturel, le mouvement est encore plus spectaculaire. L’indice d’ouverture sur les questions de mœurs et de libertés publiques qu’a créé Vincent Tiberj montre une progression continue depuis la fin des années 1970 : ce qui semblait minoritaire, voire scandaleux, à l’époque (égalité femmes-hommes, droits des minorités sexuelles, lutte contre l’antisémitisme et le racisme) est devenu, pour une large majorité, un horizon de normalité. L’exemple le plus parlant est celui de l’homosexualité. Au début des années 1980, moins d’un tiers des personnes interrogées considéraient que c’était une manière acceptable de vivre sa vie ; aujourd’hui, cette proportion frôle les 90 %. De même, sur les questions d’immigration, un indice de tolérance élargie montre une progression régulière de l’acceptation des étrangers et de leurs descendants. La part de ceux qui estiment qu’« il y a trop d’immigrés » baisse, tandis que progresse celle de ceux qui voient dans l’immigration un facteur d’enrichissement culturel et jugent légitime la revendication d’égalité des droits. Loin de la fable d’un pays saisi par une obsession identitaire, une majorité silencieuse accepte la diversité, rejette les politiques ouvertement discriminatoires et se montre réceptive à un discours d’hospitalité encadrée plutôt qu’à la rhétorique de la forteresse assiégée. Ces données sont confirmées par les travaux d’une autre politiste de renom, Nonna Mayer.

Juin 2025 (page Facebook de Jean-Luc Mélenchon)

D’où vient alors cette impression oppressante d’une France « passée à droite » ? D’abord d’une droitisation « par le haut ». Le petit monde des responsables politiques, des fast thinkers et des grands groupes médiatiques exerce une guerre psychologique : il martèle, sondage après sondage, chronique après chronique, que le camp de l’égalité serait minoritaire, ringard, coupé du réel. Les sondages les plus anxiogènes – sur l’« insécurité culturelle », le « sentiment de submersion migratoire », la supposée lassitude face au féminisme ou au « wokisme » – sont commandés, mis en forme et commentés par des groupes qui ont tout intérêt à naturaliser l’idée d’une France droitisée. Cette mise en scène produit un effet d’optique : une minorité réactionnaire, mieux équipée médiatiquement, crie très fort et apparaît comme majoritaire, tandis qu’une majorité plus ouverte, plus égalitaire, moins bruyante, est reléguée à l’arrière-plan. L’extrême droite et l’extrême centre se servent de ce récit pour s’octroyer une légitimité démocratique ; la gauche molle s’en empare pour justifier ses renoncements ; et certains militants radicaux s’y réfugient pour expliquer leurs échecs sans avoir à interroger leur stratégie.

Majorité électorale et minorité sociale

Le cœur du paradoxe réside dans ce que les politistes appellent l’« abstention différenciée ». Le résultat des scrutins ne reflète pas ce que pense l’ensemble de la société, mais ce que pense une fraction socialement privilégiée et générationnellement située. Les bourgeois et les baby-boomers sont les fractions sociales les plus politisées au sens traditionnel du terme, c’est-à-dire les plus assidues pour se rendre aux urnes. Les générations plus jeunes, plus diplômées, plus précaires, plus tolérantes, plus égalitaristes, s’éloignent massivement du vote sans forcément décrocher de la politique. Elles se mobilisent sur les réseaux, sur les places publiques, sur les rond-point, dans les mobilisations féministes, écologistes ou antiracistes, mais boudent des élections perçues comme inutiles et/ou déconnectées de leurs préoccupations. Comment leur donner tort lorsqu’on voit comment le président traite le résultat des urnes en 2024, et lorsqu’on se souvient du sort qui a été fait au « non » du referendum de 2005 ? Résultat : la majorité électorale ne représente plus qu’une minorité sociale. Les partis qui dominent l’offre politique se calent sur les peurs et les intérêts de ce segment restreint. Les classes populaires, quant à elles, se réfugient dans l’abstention intermittente ou systématique. On obtient ainsi une configuration où des valeurs globalement de gauche cohabitent avec des institutions verrouillées par différentes nuances de droite.

Sur cet arrière-plan paradoxal, la possibilité d’une victoire mélenchoniste prend une autre portée. Elle ne serait pas le triomphe improbable d’une gauche « extrême » sur un pays massivement droitisé mais la résolution d’un paradoxe devenu intenable : celui d’une France sociologiquement de gauche mais politiquement gouvernée par la droite. En rassemblant les cohortes les plus jeunes, les classes populaires encore prêtes à voter, les secteurs attachés à l’État social et aux libertés publiques, Mélenchon a compris cette réalité que les élites préfèrent ne pas voir. Sa victoire en 2027 serait moins une rupture qu’un rattrapage. Pour la première fois depuis longtemps, les valeurs majoritaires – égalité, protection sociale, tolérance, démocratie – trouveraient enfin leur traduction dans les urnes.

Février 2024 (source : page Facebook de Jean-Luc Mélenchon)

Transformer l’essai

Au regard de ces éléments – progression constante de Mélenchon depuis quinze ans, savoir-faire inégalé pour les campagnes, les débats et les meetings, sous-évaluation systématique de son électorat par les sondeurs, usure du pouvoir, impopularité et fragmentation du bloc central, absence d’alternative crédible à gauche, supériorité organisationnelle, faculté caméléonesque du candidat, dynamique démographique favorable et gauchisation par le bas du pays – un constat s’impose : la victoire de Jean-Luc Mélenchon le 25 avril 2027 n’est pas seulement possible ; elle constitue le scénario le plus plausible.

Je ne le dis ni par volontarisme ni par militantisme, mais par analyse froide des tendances qui travaillent en profondeur la société française. Les seules certitudes auxquelles s’accrochent ses opposants – les sondages prématurés et les emballements médiatiques – relèvent de la panique plus que de la raison. Les faits, eux, dessinent un autre horizon. Mélenchon a déjà approché la victoire. Les conditions politiques, sociologiques et historiques sont plus alignées que jamais pour qu’il l’atteigne.

Pour prolonger :

Trois livres :

  • Yves Déloye, Nonna Mayer (dir.), Analyses électorales, Bruxelles, Bruylant, 2017
  • Vincent Tiberj, La droitisation française. Mythes et réalités, Paris, PUF, 2024
  • Hugo Touzet, Produire l’opinion. Enquête sur le travail des sondeurs, Paris, Editions de l’EHESS, 2025

Trois émissions à (re)voir sur notre site :

04.12.2025 à 17:45

Bugonia : la soupe au miel

Daniel ZAMORA
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Parmi les mythes classiques de l’Antiquité grecque figure l’histoire du demi-dieu Aristaeus. Connu comme l’Apollon « pastoral », il était célèbre pour avoir instauré un rituel appelé « bugonia ». Ce rituel vit le jour après qu’Aristaeus eut remarqué que ses abeilles mouraient lentement et s’adressa aux dieux afin de repeupler ses ruches. La réponse exigeait qu’il […]
Texte intégral (2880 mots)
Emma Stone dans Bugonia

Parmi les mythes classiques de l’Antiquité grecque figure l’histoire du demi-dieu Aristaeus. Connu comme l’Apollon « pastoral », il était célèbre pour avoir instauré un rituel appelé « bugonia ». Ce rituel vit le jour après qu’Aristaeus eut remarqué que ses abeilles mouraient lentement et s’adressa aux dieux afin de repeupler ses ruches. La réponse exigeait qu’il sacrifie plusieurs taureaux, draine leur sang et laisse leurs carcasses se décomposer. Trois jours plus tard, il retourna aux autels pour y trouver de nouvelles abeilles bourdonnant autour de la chair en décomposition. Une telle épreuve était probablement inspirée par la croyance ancienne selon laquelle des créatures vivantes pouvaient surgir spontanément de la chair morte.

Les fausses croyances et les abeilles sont précisément le sujet du dernier film du réalisateur grec Yórgos Lánthimos, Bugonia, un remake du film sud-coréen de 2003 Save the Green Planet!. Mais contrairement à la notion ancienne de bugonia – tirée de l’observation directe des mouches émergeant de la chair en décomposition – les fausses croyances du protagoniste du film proviennent de l’intuition inverse. Pour Teddy, travailleur solitaire et apiculteur, le monde n’est pas ce qu’il semble être. Derrière les apparences se cache une vérité plus profonde, ce qu’il appelle un « principe organisateur plus large » qui explique tout : du coma de sa mère à la mort lente de ses abeilles. La cause de son désespoir est donc hors de son contrôle, dans une économie dirigée par de grandes entreprises impersonnelles. « Ce n’est pas nous qui dirigeons le navire, dit-il à son cousin Don, c’est eux. »

Politique à l’ère de Trump

Mais « eux », selon Teddy, ne sont pas seulement des capitalistes, mais des extraterrestres appelés Andromédiens, venus d’une autre planète pour contrôler les humains. Afin de négocier le retrait des extraterrestres de la Terre, Teddy décide d’enlever Michelle Fuller, la PDG de la société pharmaceutique pour laquelle il travaille – et qu’il croit être une Andromédienne de haut rang. Enfermée et torturée dans un sous-sol, elle reçoit l’ordre d’organiser une rencontre avec les envahisseurs avant la prochaine éclipse lunaire. Le film se transforme alors en un huis clos claustrophobe, formellement intensifié par le format étroit de l’image et l’utilisation de gros plans pendant les scènes de dialogue. Les deux personnages incarnent clairement deux types de la société américaine contemporaine : un « déplorable » paranoïaque opposé à une femme brillante, carriériste et passée maître dans l’art du double langage des relations publiques. Il est un « looser » et elle est une « winner », comme l’indiquent les dialogues. Dans ce contexte, la communication entre eux est impossible. Teddy ne s’informe plus à travers les médias classiques, mais à partir de sites web marginaux et de podcasts, tandis que Michelle lit The New York Times et suppose qu’il est mentalement malade. « Je ne peux pas te faire changer d’avis« , lui dit-elle, après avoir réalisé que tout ce qu’elle dit ne fait que confirmer sa conviction qu’elle est bel et bien une extraterrestre.

Jesse Plemons dans Bugonia

Le rebondissement le plus surprenant du film survient avec son dénouement final. Dans un revirement inattendu, nous apprenons que les extraterrestres existent bel et bien et que ce que nous pensions être les délires de Teddy, inventés pour faire face à sa vie tragique, étaient en fait réels. Michelle, le personnage joué par Emma Stone, se révèle être l’impératrice d’Andromède. Elle explique que son espèce a créé l’humanité, mais que « l’expérience » a clairement échoué, étant donné la violence et la soif de pouvoir dont font preuve les humains. Selon elle, le problème réside dans leur « gène suicidaire ». Pour y remédier, les Andromédiens ont même essayé de mettre au point un traitement destiné à reprogrammer l’ADN humain, le même traitement qui a plongé la mère de Teddy dans le coma. Mais après avoir découvert que Teddy avait torturé et tué des dizaines d’autres personnes, dont deux extraterrestres, et que le projet visant à changer la nature humaine avait échoué, Michelle retourne au vaisseau mère et décide d’exterminer l’humanité.

Aidan Delbis, Jesse Plemons et Emma Stone dans Bugonia

Allégories de la totalité

Le film s’inscrit manifestement dans le genre plus large des films conspirationnistes tels que The Parallax View d’Alan Pakula (1974), Invasion of the Body Snatchers de Philip Kauffman (1978) et They Live de John Carpenter (1988). Dans ces films, les extraterrestres ou les conspirateurs sont généralement dépersonnalisés afin de pouvoir les faire fonctionner efficacement comme métaphores du « système ». On peut considérer ces films comme une tentative de thématiser le conflit dans le capitalisme tardif, c’est-à-dire une contradiction qui ne peut plus s’exprimer en termes de lutte des classes. Pour les travailleurs atomisés, la théorie du complot fournit une « fiction utile » pour saisir la totalité sociale elle-même. Il s’agit, comme l’a si bien écrit Fredric Jameson, de « la cartographie cognitive des pauvres à l’ère postmoderne« . Comme Teddy le déclare lui-même dans Bugonia, il n’est pas un « activiste » et il n’y a pas de « mouvement » : il a mené seul « une tonne de recherches » prouvant que « tout est lié ».

À une époque où la fragmentation sociale s’est considérablement intensifiée et où la capacité des travailleurs à agir collectivement a été radicalement sapée, les théories du complot apparaissent comme des tentatives désespérées d’individus impuissants pour représenter la logique abstraite du capital. Elles doivent être considérées comme le symptôme du fait que les individus sont submergés d’informations mais ne disposent pas d’une théorie leur permettant de donner un sens à l’ensemble disparate d’événements qui façonnent leur vie.

Comme Theodor Adorno l’avait lui-même observé en analysant la diffusion de l’astrologie, les sociétés capitalistes avancées présentent « d’une part, une richesse matérielle et intellectuelle, mais la relation est davantage celle d’un ordre formel et d’une classification que celle qui permettrait d’éclairer les faits par l’interprétation et la compréhension« . En d’autres termes, l’astrologie comble ce vide en offrant un moyen de donner un sens aux « faits ». Jacques Rivette a un jour fait remarquer que « le changement le plus crucial qui touche notre civilisation est qu’elle est en train de devenir une civilisation de spécialistes ». « Chacun d’entre nous », a-t-il ajouté, « est de plus en plus enfermé dans son petit domaine et incapable d’en sortir« . Dans un tel contexte, la tâche de l’humanité consiste précisément à lutter contre cette tendance et à essayer « de rassembler les fragments épars de la culture universelle qui est en train de se perdre ». Le récit conspirationniste dans les films des années 70 et 80 avait, de ce point de vue, une double fonction : d’une part, il représente une forme dégradée de conflit de classe dans le capitalisme tardif ; d’autre part, il indique la tentative du récit ou du film lui-même de sauver l’idée même de totalité. Le héros assume généralement le rôle de détective, permettant au public d’imaginer ce que pourrait signifier le fait de rassembler ce qui a été fragmenté. En d’autres termes, le film va à l’encontre de la logique du capital en allégorisant le sens de l’ensemble.

Platitudes libérales

Mais c’est là que Lánthimos s’écarte sérieusement d’une telle ambition. La structure du film inverse la logique habituelle : le rebondissement final révèle que, plutôt que de fonctionner comme une métaphore de la totalité sociale, la conspiration ne renvoie qu’à elle-même, comme un effet de l’effondrement de la confiance et de la corruption de la sphère publique par les fausses nouvelles. Comme Lánthimos l’a indiqué aux critiques, « la dystopie (…) n’est pas vraiment fictive », mais « reflète plutôt le monde réel ». Si la fin rend la conspiration réelle, et place donc le film dans ce genre, elle sert en fin de compte un objectif externe : tromper le spectateur. Fidèle aux platitudes libérales sur la désinformation et la polarisation, Lánthimos utilise le film comme un dispositif moral pour nous confronter à nos propres préjugés. Comme il l’explique, il « remet en question tous ces préjugés que nous avons sur les gens, qui sont renforcés par la technologie et la compartimentation ». En d’autres termes, en rendant la conspiration réelle, il veut que nous reconnaissions en nous-mêmes les mécanismes psychologiques qui poussent Teddy à y croire. Le fait de penser qu’il était paranoïaque révèle nos propres préjugés. Mais ce faisant, plutôt que de transcender une analyse psychologique de notre présent (tout provient de nos préjugés psychologiques innés et des algorithmes), le film l’embrasse.

Emma Stone et Yorgos Lanthimos sur le tournage de Bugonia

De plus, l’opposition entre Teddy, le personnage solitaire joué par Jesse Plemons, et l’extraterrestre a un objectif ambigu. D’une part, elle fonctionne clairement comme une métaphore du conflit de classes dans une société démobilisée. D’autre part, Lánthimos sape cette idée même en dépeignant les deux personnages comme assez similaires, afin de servir son propre message pessimiste. Tous deux sont en fait des créatures sans pitié, marquées par un manque d’empathie et de remords. Teddy se « castre » chimiquement pour se débarrasser de ses « compulsions psychiques », tandis que le personnage d’Emma Stone traite les humains comme de simples rats de laboratoire.

Un cinéma misanthrope

La scène finale – qui s’écarte de la version sud-coréenne où la planète entière est détruite – montre une Terre paisible sans humains vivants, accompagnée de la chanson de 1962 Where Have All the Flowers Gone? : « Quand apprendront-ils enfin ? », interroge la chanson, transformant ce qui aurait pu être une fiction utile sur les conspirations et le capitalisme en une série de platitudes sur la nature humaine. Elle nous offre une fin misanthrope mais incohérente, car l’idée même d’une planète mieux lotie sans les humains est déjà une façon de l’humaniser. En d’autres termes, de lui appliquer un jugement proprement humain. Et c’est peut-être là que réside la véritable limite du cinéma de Lánthimos. Son esthétique désormais caractéristique et son engagement envers l’absurde servent généralement à dissimuler des banalités que l’on pourrait acheter dans n’importe quelle librairie d’aéroport. La surcharge visuelle, la théâtralité stylistique et la mise en scène exagérée ne parviennent guère à masquer le fait qu’il n’a pas grand-chose à dire : l’extravagance est une piètre alternative à l’originalité.

Une version initiale de ce texte a été publiée en anglais sur Sabzian

Pour prolonger

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