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23.07.2025 à 18:19

Le plan israélien de « migration volontaire » des Gazaouis

Nicolas Destrée
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Le Vent Se Lève publie une traduction partielle et commentée de l’analyse juridique de l’Euro-Med Human Rights Monitor relative au « plan de relocalisation » des Gazaouis promu par les responsables israéliens. Il inclut la mise en place de supposées « zones humanitaires » par la partie israélienne, qui sont au coeur des « négociations » avec la partie palestinienne sous […]
Texte intégral (2472 mots)

Le Vent Se Lève publie une traduction partielle et commentée de l’analyse juridique de l’Euro-Med Human Rights Monitor relative au « plan de relocalisation » des Gazaouis promu par les responsables israéliens. Il inclut la mise en place de supposées « zones humanitaires » par la partie israélienne, qui sont au coeur des « négociations » avec la partie palestinienne sous médiation internationale. L’avis de cet organisme juridique indépendant a été émis le 9 juillet 2025. Le lendemain, Kaja Kallas, Haute Représentante des Affaires Étrangères de l’Union européenne (UE), déclarait que l’Union aiderait Israël dans la mise en place de ces « zones humanitaires » ; plus tard, elle réitérait son refus de placer Israël sous sanctions ou de rompre l’accord préférentiel qui lie ce pays à l’UE. Pour l’Euro-Med Human Rights Monitor, le confinement des Palestiniens dans ces « zones humanitaires » équivaudrait à des pratiques de déplacement forcé et de détention indiscriminée. L’organisation estime que par son inaction continue, mais aussi par les déclarations de ses responsables, l’Union européenne est passible de complicité pour crime de génocide1. Traduction et commentaire par Nicolas Destrée.

Le plan israélien, annoncé par le Ministre de la Défense Israël Katz, visant à déplacer la totalité de la population de la bande de Gaza dans une soi-disant « zone humanitaire » située dans les ruines d’une partie de Rafah, dénote une dangereuse escalade dans le génocide en cours. Ce plan reflète un effort délibéré de dépeuplement de la Bande et d’imposition d’une nouvelle norme démographique ayant pour finalité la mise en place d’un projet colonial d’effacement de toute présence palestinienne.

La coercition s’étend au-delà de l’usage direct de la force militaire pour inclure la création de conditions insupportables qui rendent le maintien sur place pratiquement impossible

Le plan proposé a pour but, dans sa phase initiale, de regrouper des centaines de milliers de civils palestiniens dans la Bande de Gaza comme prélude à leur confinement dans une « zone humanitaire » bâtie sur les ruines d’une ville détruite, à laquelle manque même les moyens de subsistance les plus fondamentaux. La zone sera sera soumise à un strict contrôle sécuritaire, incluant de sévères restrictions relatives à la liberté d’aller et venir, y compris une interdiction de sortie de la zone. Cela revient à l’établissement d’un camp de concentration forclos, dans lequel la population sera détenue de force, en dehors de tout cadre juridique légitime.

NDLR : Le média israélien de gauche Haaretz évoque dans son éditorial du 10 juillet le terme de « camp de concentration » pour décrire lesdites « zones d’aides humanitaires ». Il estime que le strict parallèle entre « politique de concentration » et utilisation de chambres à gaz par le IIIè Reich (qui se trouvaient dans les camps d’extermination nazis et non de concentration) vise à museler les critiques. Ehud Olmert, ancien Premier ministre israélien, utilise la même dénomination2.

Le danger que représente ce plan est aggravé par l’approbation de ce que le Ministre de la Défense Israël Katz nomme une « migration volontaire » des Palestiniens, désignant clairement une politique de déplacement visant la population de Gaza

NDLR : Les déclarations de dirigeants israéliens sur le fait que les Palestiniens devraient « quitter volontairement Gaza » sont innombrables, et ont également été reprises par le Président Trump, et ce depuis plusieurs mois maintenant3.

Ce fait confirme que la concentration des personnes dans le sud n’est pas une mesure humanitaire mais une phase transitoire d’un plan systématique de dépopulation de Gaza. Celui-ci constitue une claire violation du droit international humanitaire, en particulier de l’interdiction absolue du déplacement forcé et de détention indiscriminée de populations protégées par la Quatrième Convention de Genève [article 49 NDLR]. Ces faits tombent sous le coup des chefs de déplacement forcé, de persécution, et d’apartheid, qui sont des schémas de politiques et pratiques qui tombent à elles seules sous le coup de crimes contre l’humanité selon le droit international humanitaire.

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Les déclarations du ministre de la Défense Israël Katz concernant l’exploitation du cessez-le-feu temporaire, actuellement en discussion, indiquent clairement qu’il n’aurait pas pour fonction de stopper le génocide mais de donner à l’armée israélienne le temps et les conditions logistiques pour établir des camps ayant pour fonction d’accueillir des centaines de milliers de civils, qui seront plus tard contraints de fuir sous la pression croissante des meurtres, de la famine, et du déplacement forcé. Selon le ministre israélien, le plan prévoit le transfert de 600 000 Palestiniens après les avoir assujettis à de soi-disant « contrôles de sécurité », leur imposant par là de sévères restrictions de mouvement et les empêchant de quitter la zone de sécurité [voir la déclaration initialement rapportée Haaretz NDLR]. Entre autres principes, le plan viole la norme impérative prohibant le génocide, qui ne peut être violée en aucune circonstance et impose des obligations légales immédiates à tous les États de prévention de ce crime, de mettre un terme à sa perpétration, et de tenir pour responsables les perpétrateurs de sa commission.

La contradiction entre l’annonce du Ministre de la Défense Israël Katz d’un plan de transfert forcé et de confinement des résidents de Gaza, avec celle du Chef de l’État Major de l’armée israélienne Eyal Zamir deux jours plus tôt arguant que le transfert de population n’est pas un objectif militaire, révèle une tentative de semer la confusion dans l’opinion publique et au sein de la communauté internationale. Alors que l’armée israélienne cherche à dénier de telles intentions, Israël Katz a révélé un plan détaillé qui concorde pleinement avec les agissements de l’armé israélienne sur le terrain : meurtres de masse, ordres d’évacuation forcées, ciblage délibéré des abris, confinement de centaines de milliers de personnes dans des zones assiégées.

NDLR : On en trouvera un compte-rendu dans le Times of Israel, qui note en introduction : « des universitaires israéliens de premier ordre ont averti que forcer les Palestiniens dans une aire confinée serait légalement injustifiable et constituerait un crime contre l’humanité ». Le plan vise, avec l’aide d’organisations « humanitaires » internationales privées, à l’image de la Gaza Humanitarian Foundation, à rassembler et concentrer la population de Gaza à Rafah, dans une zone dite « tampon », qui devrait s’étendre indéfiniment, avec des contrôles de sécurité biométriques à son entrée et l’interdiction d’en sortir par après, sous peine de déportation. Le ministre Israël Katz a affirmé que si la population palestinienne ne s’exécutait pas, ce serait « la ruine totale ou la destruction ».

Des preuves provenant du terrain démontrent que ces agissements constituent l’exécution d’un plan politique, et non le résultat d’opérations militaires d’urgence. Les déclarations de Katz, plus que le déni de l’armée, reflètent la véritable intention et la politique gouvernementale, ayant valeur de preuve conclusive d’un déplacement forcé mis en place sous couvert de prétexte militaire. L’utilisation de termes facteurs de confusion comme celui de « zone humanitaire » dans le contexte des crimes en cours, revient à tentative flagrante de dissimulation de ces crimes en tant que tel, et l’induction en erreur de la communauté internationale.

Les centres de distribution d’aide mis en place par la « Fondation Humanitaire de Gaza » [« Gaza Humanitarian Foundation »], située dans la soi-disant « zone humanitaire », est en effet devenue un lieu de pièges mortels, avec 758 Palestiniens tués et plus de 5000 blessés depuis l’ouverture du centre fin mai [Ce chiffre a entre-temps grimpé à mille selon l’ONU. La faim menace le personnel médical et les derniers journalistes sur place NDLR]. Ce fait constitue un avertissement de ce qui attend des centaines de milliers de civils si ces derniers étaient transférés de force dans cette zone sous un faux principe humanitaire.

Selon Reuters, le plan propose d’établir des « zones de transit » pour des Gazaouis qui y « résideraient temporairement », ouvrant potentiellement la voie à un transfert en dehors de la Bande. Ce modèle établit le déplacement forcé comme un objectif politique explicite ; des expressions comme « déradicaliser, ré-intégrer et préparer leur relocation s’ils le souhaitent » doivent être comprises comme autant d’outils rhétoriques visant à blanchir un processus pré-annoncé de nettoyage ethnique.

Le déplacement forcé constitue en tant que tel un crime selon le droit international, impliquant l’expulsion de personnes de zones où elles sont légalement présentes au moyen de la force, de la menace, et d’autres moyens coercitifs, et ce sans la moindre justification légale reconnue. La coercition, dans ce contexte, s’étend au-delà de l’usage direct de la force militaire pour inclure la création de conditions insupportables qui rendent le maintien sur place de la population pratiquement impossible et pose un risque grave à la vie, à la dignité, et aux conditions de subsistance. Cet environnement coercitif prend plusieurs formes : la peur de la violence, de la persécution, de la détention, de l’intimidation, de la famine, ou de n’importe quelle autre circonstance qui prive effectivement les individus de leur libre volonté et les oblige à partir.

Tout départ de la Bande de Gaza dans les conditions actuelles ne peut être considéré comme volontaire, du fait que la population est effectivement privée d’un choix libre et informé. Légalement, de tels départs constituent des déplacements forcés, ce qui est prohibé par le droit international.

L’indifférence des États parties et d’organisations des Nations Unies à l’encontre des politiques de déplacement forcé dans la Bande de Gaza ne peut être expliqué par leur inaptitude. Elle reflète le niveau de tolérance, et dans des cas particuliers, la complicité dans la mise en place de plans ayant pour but de dépeupler la Bande. Depuis l’émission du premier ordre d’évacuation massive par l’armée israélienne le 9 octobre 2023, des centaines d’autres ordres d’évacuation ont fait suite de manière continue, et ce sans la moindre pression effective pour stopper ce crime. Avec pour résultat que la majorité de la population de Gaza a été déplacée de force, laissée sans abri ni protection dans ce qui constitue l’un des cas les plus brutaux de déplacement forcé dans l’histoire contemporaine.

Cet article est une traduction partielle et commentée de l’Euro-Med Human Rights Monitor par Nicolas Destrée.

Note :

1 Une précision importante est nécessaire : selon les maigres informations disponibles à ce jour, la nécessité d’agir a fait consensus au sein des chancelleries européennes – ce qui semble confirmé par la déclaration du 21 juillet. Cependant, selon un article de Haaretz, un appel téléphonique entre Kaja Kallas, Haute Représentante des Affaires étrangères de la Commission et Gideon Sa’ar, Ministre des Affaires étrangères israélien, a permis de négocier le « soutien » à l’« aide humanitaire » en question, au mépris des règles démocratiques les plus élémentaires. Si des documents administratifs, comme le relevé d’appels téléphoniques, venaient confirmer ce fait, ce dernier tomberait sous plusieurs chefs d’accusations imprescriptibles : l’entente en vue de commettre le génocide – art. III b – et la complicité dans le génocide, en vertu de l’art. III e de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Organisation des Nations Unies, 9 décembre 1948, AGNU 260 A (III)).

2 Pour un aperçu historique plus général, on renverra à Aidan Forth, Camps, A Global History of Mass Confinment, (University Toronto Press, 2024), ainsi qu’à Julian Go, Policing Empires: Militarization, Race, and the Imperial Boomerang in Britain and the US (Oxford University Press, 2024).

3 Les « nouveaux historiens israéliens » ont montré comment depuis la Nakba, ou « catastrophe » de 1948, le thème de l’« émigration volontaire » est un prétexte servant à couvrir la colonisation. Voir Ilan Pappé, Le nettoyage ethnique de la Palestine, La Fabrique, 2024 [2000].

21.07.2025 à 15:50

Les Bulgares révoltés contre l’entrée de leur pays dans la zone euro

Charis Marantzidou
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Alors que les élites européennes ont applaudi le feu vert à l’entrée de la Bulgarie dans l’euro en 2026, la population doute fortement de cette transition monétaire. Outre les craintes légitimes sur une potentielle inflation durant le changement de monnaie, les Bulgares craignent aussi un scénario similaire à leur voisin grec, alors que leur pays est le plus pauvre de l’UE.
Texte intégral (2019 mots)

Alors que les élites européennes et bulgares ont applaudi le feu vert donné par la Commission européenne à l’entrée du pays balkanique dans l’euro, la population doute fortement de la pertinence de cette transition monétaire. Outre les craintes légitimes d’une potentielle inflation durant le changement de monnaie, les Bulgares craignent aussi un scénario similaire à leur voisin grec, alors que leur pays est le plus pauvre de l’UE. Une forte contestation a donc émergé dans ce pays moins europhile et moins atlantiste que la moyenne [1].

Ces dernières semaines, des milliers de Bulgares sont descendus dans les rues de la capitale, Sofia, pour protester contre l’adhésion du pays à la zone euro, qui doit prendre effet début 2026. Approuvée par la Commission européenne le 4 juin après de nombreuses tergiversations et négociations, la décision a déclenché un débat public féroce portant sur la politique fiscale et l’identité nationale. Des manifestants scandant « Non merci à l’euro » et dénonçant « l’euro-colonialisme » ont tenté de prendre d’assaut le Parlement et de mettre le feu à la mission de l’UE. Dans toute la ville, des slogans peints à la bombe en faveur de la monnaie nationale, le lev, suggèrent que la question est loin d’être réglée.

Autrefois État loyal au bloc soviétique, la Bulgarie s’est tournée vers l’Occident dans les années 1990. Tout les courants politiques, des ex-communistes aux anti-communistes historiques, ont affirmé leur souhait de rejoindre l’alliance euro-atlantique. La Bulgarie est d’abord entrée dans l’OTAN en 2004, puis dans l’UE trois ans plus tard. Pour l’establishment politique, l’adhésion à la zone euro est la prochaine étape logique, accordant au pays une place officielle au sein de l’Eurogroupe et lui permettant peut-être, à terme, de dépasser sa position périphérique.

La Bulgarie est d’abord entrée dans l’OTAN en 2004, puis dans l’UE trois ans plus tard. Pour l’establishment politique, l’adhésion à la zone euro est la prochaine étape logique, lui permettant peut-être, à terme, de dépasser sa position périphérique.

Le mouvement en faveur de l’adhésion est mené par un large bloc politique, comprenant le parti de centre-droit au pouvoir, les Citoyens pour le développement européen de la Bulgarie (GERB), ainsi que ses partenaires de coalition, le Parti socialiste de centre-gauche (BSP) et le parti nationaliste-populiste « There is Such a People » (ITN). Initialement prévue pour le 1er janvier 2024, la transition a été retardée de deux ans en raison de la montée en flèche de l’inflation, qui a dépassé les 15 % à la suite de la pandémie.

Ce retard a enhardi les détracteurs de la transition, tout comme la crise politique apparemment insoluble que traverse la Bulgarie, avec sept élections anticipées et huit premiers ministres au cours des quatre dernières années. À la suite des grandes manifestations contre la corruption qui ont eu lieu en 2020 et qui ont contribué à renverser le gouvernement de Boyko Borissov, le président du GERB, le pays a connu une série de coalitions fragiles et d’accords de partage du pouvoir. Le GERB reste le plus grand parti, mais avec une cote de popularité réduite à environ 25 % dans les sondages, il doit maintenant compter sur divers alliés pour maintenir sa majorité. L’actuel Premier ministre, Rosen Zhelyazkov, se présente comme une force stabilisatrice ayant pour mandat de faire baisser les prix et de soutenir les petites entreprises, mais il est considéré par beaucoup comme une marionnette de Borissov : faible, corrompu et désireux de s’attirer les bonnes grâces de Bruxelles.

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Les partisans de la zone euro, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Bulgarie, soulignent que le lev est depuis longtemps lié à l’euro. En 2020, la Bulgarie a en effet rejoint le mécanisme de change européen, conçu pour maintenir un système de change stable entre l’euro et les monnaies nationales des autres pays de l’UE, faisant ainsi de la « souveraineté monétaire » un fantasme nostalgique. Selon eux, l’achèvement de la transition permettrait à la Bulgarie de bénéficier d’un essor du tourisme et des investissements étrangers. La question plus profonde, bien sûr, est la position de la Bulgarie dans la sphère du pouvoir occidental. À Bruxelles et à Washington, le pays est depuis longtemps considéré comme le « maillon faible » de l’UE en raison de la fragilité de ses institutions politiques, sensibles aux pressions économiques et diplomatiques de la Russie, en particulier dans des domaines tels que l’énergie, les infrastructures et les secteurs des médias et de l’information. L’adhésion s’inscrit dans une tentative plus large de fortifier la frontière orientale de l’OTAN contre une telle influence et d’unifier « l’Occident ».

Le grand public, quant à lui, voit les choses différemment. Plus de 60 % d’entre eux déclarent ne pas considérer la Russie comme une menace. Certes, depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, Moscou est devenu de plus en plus impopulaire en Bulgarie, avec près de 34 % d’opinions négatives, mais cela ne se traduit pas par un soutien à l’alignement occidental. Il n’y a pas de majorité en faveur d’une alliance avec l’OTAN et l’UE. Il existe également une forte opposition à la poursuite de la guerre, ce qui a incité le gouvernement à envoyer des armes et des munitions de manière clandestine, par l’intermédiaire de pays tiers. Près de 30 % des citoyens déclarent ne pas savoir s’ils sont favorables à l’Ouest ou à l’Est. Sur la question de l’adhésion à l’euro, 51% des Bulgares y sont opposés et 43% y sont favorables.

51% des Bulgares sont opposés à l’entrée dans l’euro, contre 43% qui y sont favorables.

Jusqu’à présent, la gauche bulgare – qui comprend un large éventail de partis regroupés au sein de la coalition électorale « Gauche unie » du BSP – s’est principalement rangée du côté de l’establishment sur la question de l’intégration européenne, permettant au parti d’extrême droite Revival de s’imposer comme la principale opposition. Fondé en 2014, Revival est passé du statut d’outsider politique à celui de troisième parti de l’assemblée législative après les élections de 2022, au cours desquelles il a fait campagne sur une plateforme anti-vaccins, anti-LGBT et anti-UE. Avec environ 15 % des voix, il a joué un rôle de premier plan dans les récentes manifestations.

Le parti s’est joint au président bulgare Rumen Radev pour demander un référendum sur la question de l’euro, proposition que le gouvernement a rejetée. Il a également tenté d’entraver le processus au Parlement, en occupant le podium lors d’un vote crucial et en bombardant le gouvernement de motions de défiance. Certains hauts responsables du parti ont récemment rencontré une délégation des Républicains américains et ont proposé de lier le lev au dollar plutôt qu’à l’euro.

Comme la Bulgarie, la Grèce s’est efforcée de respecter les critères de Maastricht – en mettant en œuvre diverses réformes néolibérales – avant d’adopter l’euro en 2002. Cependant, l’accumulation d’une dette publique excessive et d’une croissance relativement lente, résultant de son rôle périphérique dans l’économie de l’UE, a conduit à une crise politico-économique.

Si l’opposition de l’extrême droite au changement de monnaie peut être motivée en partie par l’opportunisme, elle peut néanmoins invoquer des précédents. Comme la Bulgarie, la Grèce s’est efforcée de respecter les critères de Maastricht – en mettant en œuvre diverses réformes néolibérales – avant d’adopter l’euro en 2002. Cependant, l’accumulation d’une dette publique excessive et d’une croissance relativement lente, résultant de son rôle périphérique dans l’économie de l’UE, a conduit à une crise politico-économique d’une décennie qui s’est répercutée sur tout le continent, culminant dans une série de mesures d’austérité qui ont détruit la souveraineté fiscale du pays. La Banque centrale bulgare a cherché à minimiser ces comparaisons en présentant la débâcle grecque comme le résultat d’une mauvaise gestion politique plutôt que comme un problème structurel.

L’autre parallèle évident est la Croatie, qui est devenue en 2023 le vingtième État à adopter l’euro. Nombre de Croates accusent la nouvelle monnaie d’être à l’origine de l’augmentation du coût de la vie, car les entreprises ont arrondi le prix des produits de base tels que la nourriture et les vêtements lors de la conversion de la kuna (ancienne monnaie croate, ndlr) vers l’euro. Cette situation, ainsi que l’augmentation des factures d’énergie et des impôts, a affaibli le parti au pouvoir, le HDZ. Privé de sa majorité parlementaire lors des élections de 2024, il a été contraint de former une coalition avec le Mouvement de la patrie, parti d’extrême droite, qui s’est vu attribuer trois ministères et une série d’autres concessions. L’agitation populaire s’est poursuivie en janvier, lorsqu’une vague de boycotts des supermarchés par les consommateurs a déferlé sur le pays, obligeant la coalition à introduire des plafonds de prix sur des dizaines de produits.

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Le consensus des élites bulgare sur la nécessité de l’euro est donc très éloigné de l’opinion publique. En traitant la dissidence comme de la désinformation, le gouvernement a évité de répondre aux inquiétudes politiques légitimes. Le fossé n’a fait que se creuser ces derniers mois, alors que les politiques erratiques de Trump ont ébranlé les marchés financiers et déstabilisé les monnaies, tout en introduisant des incertitudes sur les relations entre les États-Unis et l’Union européenne. Pendant des années, la Bulgarie a été incapable de transcender son statut d’État le plus pauvre de l’UE. Lors des dernières élections, le taux de participation est tombé à un niveau historiquement bas de 34 %. Sans perspectives, beaucoup de Bulgares préfèrent partir vivre à l’étranger : depuis le sommet atteint à la fin des années 1980, la population a diminué de plus de 2,2 millions d’habitants (la Bulgarie comptait 6,4 millions d’habitants en 2023, ndlr). Le processus est bien connu dans les pays européens les plus isolés : stagnation économique, désillusion croissante et radicalisation de l’extrême droite. Une nouvelle monnaie non désirée pourrait accélérer ces tendances.

[1] Article issu de notre partenaire New Left RevMarantzidouiew, originellement publié .

19.07.2025 à 15:38

Jeannette Jara : une « communiste » à la tête du Chili ?

Julien Brain
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C’est dans la surprise générale que Jeannette Jara s’est imposée avec un score de 60 % (825 835 voix) lors de la primaire de la coalition « Unité pour le Chili ». Ancienne ministre du Travail et de la Protection sociale du gouvernement de Gabriel Boric, figure majeure de la gauche, elle se projette dans un duel avec […]
Texte intégral (4171 mots)

C’est dans la surprise générale que Jeannette Jara s’est imposée avec un score de 60 % (825 835 voix) lors de la primaire de la coalition « Unité pour le Chili ». Ancienne ministre du Travail et de la Protection sociale du gouvernement de Gabriel Boric, figure majeure de la gauche, elle se projette dans un duel avec José Antonio Kast, le candidat de l’extrême droite, aux élections présidentielles de novembre-décembre 2025. Si son appartenance au Parti communiste a mis en émoi la presse conservatrice, qui agite le spectre de la terreur rouge, Jara affiche un visage de modération. Refusant de « promettre des miracles », elle propose un « chemin possible pour améliorer la vie des Chiliens et Chiliennes ». Pour son équipe, la tentation est forte d’adopter une ligne conciliatrice… au risque de reconduire au pouvoir une gauche impuissante face aux élites économiques ?

Née en avril 1974 à Conchali dans la région métropolitaine de Santiago, Jeannette Jara est fille d’un ouvrier (technicien en mécanique) et d’une mère au foyer. Cette diplômée de l’Université de Santiago a mis en avant son parcours populaire durant la campagne. Jara commence à militer au sein des Jeunesses communistes chiliennes à l’âge de 14 ans et devient, au cours des années 1990, une dirigeante étudiante de l’Université de Santiago aux côtés de la figure communiste Gladys Marín, candidate lors de l’élection présidentielle de 1999-2000 et très critique vis-à-vis du centre gauche au pouvoir. Cette première participation communiste à la présidentielle chilienne est décevante : elle n’obtient que 3% des voix à l’issue d’un scrutin largement remporté par la coalition de la Concertation [coalition de partis de centre-gauche et de centre-droit née de l’opposition au régime d’Augusto Pinochet, qui a ensuite gouverné le Chili en y appliquant des réformes essentiellement libérales NDLR].

Si Jara s’inscrit dans sa lignée en tant que seconde candidate communiste de l’histoire chilienne, elle n’a rien d’une marxiste orthodoxe. Elle prend notamment ses distances vis-à-vis de Cuba – « régime démocratique distinct du nôtre » – et du Venezuela – « régime autoritaire ». Ces déclarations, qui se veulent conciliatrices, ont cependant gêné les dirigeants du Parti communiste autant que ceux du centre-gauche chilien, à l’image de Carolina Toha, candidate du Parti pour la démocratie (PPD), qui la juge insuffisamment critique de ces expériences gouvernementales.

Incarner l’héritage de la gauche, d’Allende à Bachelet

Tout au long de sa campagne, Jeannette Jara a préféré mobiliser la mémoire de Salvador Allende et le bilan de la coalition de Michelle Bachelet. La candidate travaille ainsi à construire une mémoire oecuménique de la gauche chilienne, de ses expériences les plus radicales aux plus pragmatiques. Lorsqu’elle démissionne du ministère du Travail et de la Protection sociale en avril 2025 après avoir été désignée candidate par son parti, la communiste est la figure la plus à gauche du gouvernement Boric. Elle incarne un certain nombre de réformes sociales : réduction du temps de travail à 40 heures, augmentation du salaire minimum ou réforme des retraites introduisant une cotisation patronale de 8,5%.

Celle-ci induit des avancées non négligeables, puisque les patrons étaient auparavant uniquement tenus de contribuer à hauteur de 1,38% (voire 1,5%) au sein d’une Assurance invalidité et survivants (SIS). Dans le détail, cette nouvelle cotisation est répartie entre une cotisation individuelle de 4,5% qui peut soit alimenter les Administrateurs de fonds de pension (AFP), soit le nouveau système de Sécurité sociale publique.

Le pensionné a le choix entre ces deux entités dans la gestion de sa capitalisation et peut faire hériter ou transférer cette capitalisation individuelle. Les 4% restants sont incorporés dans le nouveau système de Sécurité sociale administré par l’État et le Fonds autonome de protection des retraites (FAPP), qui permet d’assurer une nouvelle solidarité publique (orientée vers la réduction des inégalités de genre, des risques liés à la santé ou encore, la prise en charge des travailleurs précaires). Le nouveau système mixte chilien combine ainsi capitalisation individuelle et solidarité publique. Il corrige à minima les inégalités structurantes de l’ancien modèle en protégeant les plus précaires et en renforçant le rôle de l’État. Cette nouvelle cotisation permet en effet à ce dernier de garantir une aide publique de 250 dollars (soit 250 000 pesos), en complément de la Pension unique garantie (PUG) créée en 2018 et destinée aux plus de 65 ans.

Jara envisage de poursuivre cette pente réformiste, puisqu’elle s’est engagée ce lundi 14 juillet à mettre sur la table, en cas de victoire à la présidentielle et de majorité au Congrès, la suppression des AFPs1. La combinaison de ce volontarisme politique avec un bilan flatteur en la matière et un profil populaire assumé ont sans nul doute contribué à sa victoire. Sa propension à la construction de compromis et son leadership, qui l’ont amené à être comparée à l’ancienne présidente Michelle Bachelet, ont cependant tout autant pesé dans la balance – sans doute davantage que le caractère « communiste » de son projet2.

L’organisation de cette primaire, ne se sont cependant pas décidés en quelques mois : elle s’inscrit dans un processus entamé dès le début de la présidence Boric. Tandis que les quatre anciens présidents de centre gauche disposaient des coalitions électorales de la Concertation (1988-2010) et de la Nouvelle Majorité (2013-2018), le retour de la gauche au pouvoir s’est confronté à la division électorale entre la gauche du Front large (nouvelle gauche des années 2010 porteuse d’un discours plus radical que celui des forces composant traditionnellement la gauche chilienne) et le centre gauche lors des élections présidentielle et parlementaires de 2021.

Au-delà des renoncements de Gabriel Boric

Investi le 11 mars 2022, le jeune président de gauche Gabriel Boric subit un premier revers le 4 septembre de la même année. À l’issue d’une campagne ponctuée d’errances stratégiques et de maladresses, les chiliens rejettent alors largement une Constitution progressiste, censée mettre à bas l’héritage institutionnel de l’ère Pinochet. Rédigée par une majorité d’indépendants et des personnalités de gauche non partisane comme Elisa Loncón – première présidente élue de l’Assemblée constituante en juillet 2021 –, elle incarnait un horizon écologique, plurinational et d’État social. Deux jours après le scrutin, le 6 septembre, Gabriel Boric semble admettre une défaite majeure pour sa majorité politique (composée de la coalition de gauche radicale Approbation Dignité qui inclut notamment son parti Convergence sociale) puisqu’il nomme une majorité de ministres issus du centre-gauche.

Ce retour en force au sein du gouvernement du centre gauche – pourtant affaibli par les élections de 2021 (lors desquelles il obtient, avec seulement 815 429 voix, soit 11,60% des suffrages, son score le plus faible depuis le retour de la démocratie) – provoque la coexistence de deux « anneaux concentriques »3 ou « deux âmes »4 de gauche – pour reprendre les expressions utilisées par la presse chilienne – au sein du gouvernement de Gabriel Boric, partagé entre la coalition d’Approbation dignité (Gauche ou gauche radicale, Convergence sociale, Révolution démocratique, Fédération régionaliste verte sociale, Parti communiste) et la coalition du Socialisme démocratique (Centre gauche, Parti socialiste, Parti pour la démocratie, Parti radical, Parti libéral).

En octobre 2022, un mois après le remaniement, un comité politique des deux blocs appelle à un « conclave officiel » afin de définir une ligne gouvernementale cohérente. Il sonne le glas des ambitions réformatrices de Gabriel Boric. Mais il faut ajouter que dès son investiture, la nomination de ministres issus de l’establishment au poste des Affaires étrangères et de l’Économie verrouillait déjà les perspectives de changement structurel…

Face à l’échec de la première Assemblée constituante de 2022, une seconde est créée par l’ensemble de ces partis politiques. En janvier 2023, dans la perspective des deuxièmes élections constituantes en deux ans, l’Alliance gouvernementale entame des négociations entre Approbation Dignité et le Socialisme démocratique. Cependant, le 1er février, après un mois de réunions et négociations, l’Alliance annonce que la gauche partira divisée lors de ce scrutin, deux partis du centre gauche espérant conquérir des électeurs centristes pendant la campagne et élargir ainsi le nombre d’élus de gauche.

La gauche est alors divisée entre la liste de centre gauche Tout pour le Chili (composée du Parti pour la démocratie, du Parti radical et du Parti démocrate-chrétien) et son homologue Unité pour le Chili (réunissant les partis de la coalition Approbation dignité, mais également le Partis socialiste et Libéral). À l’issue de l’élection, la gauche subit un revers qui permet paradoxalement au Parti républicain chilien – force d’extrême droite ultraconservatrice et ouvertement nostalgique du pinochetisme – de dominer un organisme dont la raison d’être est précisément de réécrire la constitution héritée de la dictature.

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C’est face à ce désaveu que, le 9 octobre 2023, l’Alliance gouvernementale organise un nouveau conclave intitulé « Rencontre pour le Chili », en vue de relancer l’objectif de construire une stratégie électorale et une coalition plus solide en vue des élections régionales et municipales de 2024, en y incluant aussi le Parti démocrate-chrétien. Cela débouche sur la coalition Avec toi, pour un meilleur Chili (Chile Contigo Mejor) qui permet à la gauche de sauver les meubles, celle-ci perdant seulement trente mairies face à la droite de Chile Vamos, qui arrive en tête du scrutin. Un résultat qui aurait pu être aggravé sans l’unité entre la gauche et le centre gauche.

Dans la perspective des prochaines échéances électorales à la fin de l’année, la gauche ne souhaite pas reproduire les divisions de 2022/2023 et malgré le résultat en demi-teinte des scrutins de 2024, la gauche et le centre gauche signent un accord de coalition nommé Unité pour le Chili (Unidad por Chile) le 30 avril 2025. Une coalition qui remplace l’Alliance gouvernementale sur laquelle reposait la majorité fragile de Gabriel Boric depuis novembre 2022…

De quoi Jara est-elle le nom ?

C’est dans ce contexte d’une gauche unie mais en manque de personnalités marquantes, que la populaire ministre du Travail Jeannette Jara s’est imposée comme la candidate de son parti, malgré les velléités d’autres personnalités telles que l’ancienne ministre Camila Vallejo ou l’ancien maire de Recoleta (commune populaire au nord de Santiago, ndlr) Daniel Jadue. Le 8 avril 2025, la candidate communiste, tout juste désignée par son parti, se rend et débute sa campagne devant la statue de Salvador Allende, située place de la Constitution devant le palais de la Moneda à Santiago5. Dès cette prise de parole, le ton de la candidate est donné : un pragmatisme assumé combiné à une modération des propositions programmatiques.

Aidée par son charisme et un talent oratoire reconnu jusqu’à la presse conservatrice chilienne, Jara « ne pas promet de miracles » mais propose un « chemin possible pour améliorer la vie des Chiliens et Chiliennes ». La candidate communiste accentue son programme sur le renforcement de l’État-providence au travers d’un accès garanti aux soins essentiels, une attention portée à la santé mentale, un salaire minimum de 680 euros (soit 750 000 pesos, une hausse de 50%) et la construction de nouvelles lignes de train dans le nord du pays, désavantagé face à un sud déjà bien desservi6. L’ancienne ministre du Travail se démarque des autres candidats et insiste sur le fait que : « son histoire ne fait pas partie de l’élite » et cherche à construire un discours qui touche, non seulement les milieux urbains et favorisés, mais également les espaces ruraux7.

Pendant la campagne de la primaire, au travers des débats (le long du mois de juin) ou de leurs interventions publiques respectives, les invectives entre les deux candidates Jeannette Jara (PCCh) et Carolina Toha (PPD) se sont intensifiées. Au gré des différents sondages, la candidate du centre gauche concentre ses attaques sur Jara, estimant notamment qu’elle « représente un parti qui, là où il a régné dans le monde, a entraîné (…) l’extension de la pauvreté »8. L’équipe de campagne de la social-démocrate estiment que seul le centre gauche peut l’emporter au second tour de la présidentielle face à l’extrême droite, brandissant un argumentaire bien connu de modération et de pragmatisme.

De son côté, Jeannette Jara n’hésite pas à critiquer le bilan sécuritaire du gouvernement de Gabriel Boric, c’est-à-dire celui de Carolina Toha comme ancienne ministre de l’Intérieur, évoquant un manque d’actions quant à la formation des policiers (carabineros) et la lutte contre le trafic de drogue9.

Dès la publication des résultats de la primaire, l’ensemble des candidats déclarent cependant sans ambiguïté leur soutien à Jeannette Jara, respectant ainsi l’accord de coalition. Pendant son discours de victoire prononcé le 30 juin, Jara cite un certain nombre de personnalités ou figures historiques de la gauche : Clotario Blest (figure de la gauche révolutionnaire), Eloísa Díaz (féministe), Salvador Allende (ancien président socialiste), Michelle Bachelet (ancienne présidente socialiste), Luis Emilio Recabarren (fondateur du Parti communiste chilien) ou encore Gladys Marín (ancienne présidente du Parti Commmuniste chilien)10. Cette série de références démontre le souhait de la candidate communiste d’embrasser la pluralité de la mémoire de la gauche chilienne.

Cependant, une force politique manque à l’appel de cette union de la gauche et du centre gauche rapidement constituée : les centristes du Parti démocrate-chrétien (PDC), pourtant acteurs clés du mandat de Gabriel Boric et plus globalement du centre-gauche chilien depuis le retour de la démocratie dans les années 1990. Le lendemain de la victoire de Jara, le président du parti, Alberto Undurraga, annonce ne pas vouloir soutenir une candidature communiste, réitérant le fait que sa préférence penchait du côté de la candidate du Parti pour la démocratie (PPD), allié historique du PDC.

Dans les jours qui suivent cependant, 2 sénateurs, 1 député, 2 maires, ainsi que la secrétaire générale du PDC Alejandra Krauss, tous des cadres de l’aile gauche du Parti démocrate-chrétien (proches idéologiquement du PS ou du PPD), expriment leur soutien public à la candidature de Jeannette Jara11. Ces soutiens de certains démocrates-chrétiens rappellent les liens historiques entretenus par le Parti communiste avec les différentes coalitions de centre gauche (Concertation, Nouvelle Majorité), celui-ci ayant quasi systématiquement appuyé ces accords électoraux malgré de nombreuses critiques sur leurs politiques économiques. Les cadres de l’aile gauche du Parti démocrate-chrétien maintiennent ainsi une forme de pression vis-à-vis des plus centristes du parti dans l’attente de la décision qui doit être prise le 26 juillet lors d’un Conseil national12.

Dilemmes tactiques

D’ici-là, cet éventuel soutien interroge à la fois la stratégie de Jeannette Jara et des partis historiques : rassembler le plus d’étiquettes politiques, jusqu’à celle des centristes du Parti démocrate-chrétien (PDC), pour une large coalition dès le premier tour face à la droite et l’extrême droite ou se contenter de travailler à un soutien officieux pour ne pas trop compromettre son projet politique ? Afin de rassembler, la candidate communiste et les dirigeants du parti ont laissé fuiter pendant quelques jours la rumeur selon laquelle elle s’apprêterait à quitter le Parti communiste pour lui permettre de devenir uniquement la candidate de la coalition Unité pour le Chili.

Cependant, si ce geste pourrait permettre de rassembler plus largement, il serait quasiment inédit dans l’histoire de la gauche chilienne ; aucun des présidents de gauche n’a en effet quitté son parti, que ce soit pendant la campagne ou une fois au pouvoir, à l’exception du démocrate-chrétien Patricio Aylwin mais cette décision a été prise dans un contexte particulier : élu en janvier 1990, il s’agissait du premier président à accéder au pouvoir après la chute de la dictature militaire d’Augusto Pinochet13.

Cette rumeur n’a d’ailleurs finalement pas été confirmée et le fait que Daniel Jadue, poids lourd du parti, ait pris les devants pour annoncer publiquement cette éventualité pourrait être justement considéré comme une forme de pression exercée sur Jara en vue de faire avorter une décision aussi lourde de sens et limiter sa possible centrisation. Toujours est-il que le fait qu’un départ ait pu être envisagé traduit le caractère clivant d’un Parti communiste qui peut parfois diviser par ses propositions ou ses différentes critiques vis-à-vis du centre gauche au pouvoir, ce qui explique les réticences de nombre de cadres du parti démocrate-chrétien.

Ce dernier faisant cependant face à une crise existentielle causée par une hémorragie électorale sans précédent, il finira probablement, par pur pragmatisme, par convenir d’une liste parlementaire unique avec la coalition d’Unité pour le Chili14. Un accord qui, dans certaines régions et circonscriptions, pourrait être tout aussi fondamental pour cette dernière puisqu’il augmenterait la probabilité d’une majorité de gauche au Congrès de la République.

La victoire de Jeannette Jara, outre les raisons personnelles et de stratégie politique évoquées précédemment, s’explique également par la mort lente mais durable du centre gauche chilien, aujourd’hui incarné par la coalition du Socialisme démocratique. Les partis du centre gauche conservent leur force au Congrès en raison de leur implantation partisane et des élus historiques, mais sont hors-jeu de la présidentielle depuis 2021. Comme l’ont mis en avant certains observateurs de la campagne de la primaire, le centre gauche n’est plus que l’ombre de lui-même, sans aucune mesure phare et un héritage qu’il ne sait plus défendre15. Caractérisé par une logique de compromis visant à canaliser le néolibéralisme chilien sans le remettre fondamentalement en cause, celui-ci a en effet été remis en question par la gauche des années 2010, qui a fini par prendre le dessus sur ses prédécesseurs.

Le faible score obtenu par le candidat Gonzalo Winter, député membre du parti Front large dont est issu le président Gabriel Boric, vient cependant tout autant nuancer la consécration de cette gauche des années 2010. Si le député de la région métropolitaine de Santiago, proche de Boric, s’est peu à peu effacé pendant la campagne face à la dynamique de Jeannette Jara, deux raisons principales structurent son échec : Gonzalo Winter s’est entouré, au sein de son équipe de campagne, des principaux penseurs de la gauche critique des années 2010, qui ont conduit à la création de partis tels que Convergence Sociale ou Révolution démocratique.

Autrement dit, Winter a nommé au sein de son équipe de campagne des proches historiques de Gabriel Boric tels que Francisco Arellano ou Felipe Valenzuela, qui ont conçu un discours « anticoncertationniste », c’est-à-dire ouvertement opposé à l’héritage du centre-gauche et à la ligne idéologique qu’il porte depuis les années 199016. Face à l’engouement rencontré par Jeannette Jara dans les universités et auprès de la jeunesse, séduite par un discours se voulant plus optimiste quant à l’avenir du pays, la rhétorique de Gonzalo Winter semblait usée et trop idéologique, preuve d’une certaine incapacité à marginaliser totalement la gauche de compromis. La seconde raison tient au gouffre entre la radicalité du discours de Winter et la tiédeur des réformes de Gabriel Boric – ainsi qu’à la désillusion consécutive à son mandat dont les seules avancées sociales sont précisément incarnées par… Jeannette Jara.

Dans les jours qui suivent la victoire de Jeannette Jara, une dynamique dans les sondages s’installe, la candidate communiste étant donnée en tête avec près de 25 à 30% des voix, soit quelques pourcentages de plus que le candidat d’extrême droite José Antonio Kast. Cependant, ce dernier terminerait, selon les mêmes enquêtes, en tête du second tour avec près de 46% des voix contre 34 ou 35% pour Jara. Celle-ci fait donc face au défi de parvenir à convaincre les abstentionnistes et les indécis. Ceux-ci représentent en effet pas moins de 20% des électeurs, signe que la gauche a tout intérêt à élargir sa base électorale sans sacrifier ses propositions sociales ambitieuses.

Dans les prochaines semaines, plusieurs défis vont s’ouvrir pour Jeannette Jara : celle-ci pourrait choisir de modifier son programme politique et économique pour l’adapter aux exigences du centre gauche et convaincre ainsi plus de partis de rallier la coalition présidentielle, voire construire une liste parlementaire unique. Au risque de sacrifier ses ambitions initiales, et d’incarner une continuité avec un système oligarchique largement rejeté ?

Notes :

1 Ailyn Astorga, «“Teniendo un parlamento que me apoye, voy a promover el fin de las AFP”: Jeannette Jara habló sobre su propuesta para ser presidenta », El Pais Chile, 14 juillet 2025

2 Antonia Laborde, « Jeannette Jara, la ministra de Boric que explota un liderazgo similar al de Bachelet », El Pais Chile, 27 mars 2025.

3 Martín Browne, « Segunda etapa: Boric comienza a despedirse de su diseño original del gabinete », La Tercera, 29 août 2022

4 Alex von Baer, « Poner fin a tensiones entre las dos almas del Gobierno: el diseño de La Moneda para cónclave de Boric con parlamentarios », Ex-Ante, 24 mars 2022

5 PubliMetro, « Jeannette Jara en modo candidata: “Chile necesita un liderazgo que no mire desde arriba», 8 avril 2025

6 Mathieu Dejean, « Au Chili, les défis de la communiste Jeannette Jara pour battre l’extrême droite », Mediapart, 6 juillet 2025

7 Shelmmy Carjaval, « Jara marca su primera actividad como candidata del PC con mención a Allende y la promesa de “avanzar sin renunciar a los principios” », La Tercera, 8 avril 2025

8 CNN Chile, « El duro dardo de Carolina Tohá a Jeannette Jara y al PC: “Donde han gobernado los países se han estancado socialmente y ha cundido la pobreza” », 16 juin 2025

9 Alonso Aranda, « Duro cruce por seguridad entre Jara y Tohá marca nuevo debate del oficialismo en antesala de primarias », La Tercera, 3 juin 2025

10 Partido Comunista de Chile, Discurso de Jeannette Jara tras triunfo en la primaria presidencial de Unidad por Chile: «Vengo con la garantía que trabajaré incansablemente por nuestro país», 30 juin 2025

11 Daniel Lillo, « La arremetida de líderes de la DC para conseguir el apoyo a Jara y la fuerte división interna que podría desatar masiva renuncia de militantes », El Dinamo, 2 juillet 2025

12 Anibal Torres Duran, « Apoyo o no a Jara: la controversia dentro de la DC Biobío previo a la junta nacional », Diario Concepcion, 5 juillet 2025

13 Fundacion Patricio Aylwin, « Tengo que responder a todos los chilenos y no solo a la DC », 19 janvier 1990

14 Nuevo Poder, « Senador Flores (DC) cree posible lista única si hay generosidad partidaria », 4 juillet 2025

15 La Tercera, « El fracaso político del Socialismo Democrático », 6 juillet 2025

16 Jorge Palacios, « La cadena de errores que llevó al fracaso la candidatura de Winter y que dejó al Frente Amplio relegado al tercer lugar », The Clinic, 30 juin 2025

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