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05.09.2025 à 06:00

De Marseille à Tunis, des flottilles pour briser le siège de Gaza

Sophie Boutière-Damahi
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Depuis le dimanche 31 août, plusieurs dizaines de bateaux sont partis des ports de Marseille, Barcelone, Gênes et enfin Tunis dans le cadre de la Global Sumud Flotilla. Cet élan massif vise à briser le blocus autour de l'enclave palestinienne qui subit famine et génocide. Il suscite un soutien international croissant. C'est en trombe, le 31 août, que le voilier L'oiseau de passage, de l'initiative Thousand Madleens to Gaza (Un millier de Madleens pour Gaza) a levé l'ancre du quai du Musée (…)

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Texte intégral (2768 mots)

Depuis le dimanche 31 août, plusieurs dizaines de bateaux sont partis des ports de Marseille, Barcelone, Gênes et enfin Tunis dans le cadre de la Global Sumud Flotilla. Cet élan massif vise à briser le blocus autour de l'enclave palestinienne qui subit famine et génocide. Il suscite un soutien international croissant.

C'est en trombe, le 31 août, que le voilier L'oiseau de passage, de l'initiative Thousand Madleens to Gaza (Un millier de Madleens pour Gaza) a levé l'ancre du quai du Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (Mucem) de Marseille. Une foule est venue soutenir l'équipage du bateau, symboliquement escorté dans la rade de Marseille par une quinzaine de voiliers portant drapeaux palestiniens et keffiehs accrochés à leurs mâts. Avec ses 15 m³ de matériel médical, L'oiseau de passage est parti vers un point de rendez-vous en Méditerranée, tenu confidentiel pour des raisons de sécurité, pour rejoindre d'autres bateaux venus entre autres d'Espagne et de Turquie. Le nom de l'opération, Thousand Madleens, renvoie à la flottille Madleen qui a navigué vers Gaza en juin 2025, et à bord de laquelle se trouvait entre autres la militante suédoise Greta Thunberg, la députée européenne Rima Hassan ainsi que le journaliste de Blast Yanis Mhamdi. Il s'inscrit dans le cadre de l'initiative internationale Global Sumud Flotilla1.

Parmi ceux venus assister au départ, Baptiste André, le médecin marseillais qui se trouvait à bord du Madleen illégalement intercepté en juin 2025 par l'armée israélienne dans les eaux internationales. Il souligne l'importance symbolique de cet élan humanitaire bien qu'il ne soit pas du voyage cette fois :

Il y a deux mois et demi, vous étiez venus m'accueillir à la gare de retour du Madleen, et de voir qu'aujourd'hui un bateau va partir de ma ville, c'est un symbole extrêmement fort de mobilisation. Nous avons fait beaucoup de choses qui ont provoqué de l'émotion et de la motivation, mais là ça y est, c'est du concret, un nouveau bateau s'apprête à partir.

La délégation française du collectif avait annoncé fin août six bateaux de type voiliers, d'une capacité de 2 à 3 personnes, prêts à partir depuis les côtes françaises. Ils ont été préparés par une vingtaine de groupes locaux et financés par une cagnotte s'élevant à près de 200 000 euros.

Une vague mondiale

Au même moment, quatre bateaux partaient à leur tour du port de Gênes, en Italie, pour les rejoindre. Ils ont été acclamés par une foule de 40 000 manifestants et soutenus par les interventions des syndicats locaux de dockers. Le syndicat italien Unione sindacale di base (Union syndicale de base, USB) a même menacé de lancer une grève générale et de « paralyser l'Europe » si le contact avec les bateaux venait à être perdu « ne serait-ce que 20 minutes » au cours de leur expédition. L'intervention a été largement relayée sur les réseaux sociaux.

Le même jour encore, 25 bateaux avec plus de 300 activistes à leur bord sont partis de Barcelone, avant une escale à Tunis le 4 septembre. De là, en plus de la flottille maghrébine, une seconde vague de bateaux, provenant de Grèce et d'Italie, renforcera la vague de soutien humanitaire. Selon les organisateurs, une centaine serait attendue à cette dernière étape avant la navigation vers Gaza. Mais le nombre précis reste incertain : à Barcelone, les organisateurs déplorent une série de sabotages qui ont empêché une vingtaine de bateaux — sur les 43 initialement prévus — de partir.

La Global Sumud Flotilla, née d'une initiative citoyenne internationale, est organisée par quatre grandes coalitions incluant des collectifs ayant déjà participé à des actions terrestres et maritimes à Gaza : le Global Movement to Gaza, anciennement connu sous le nom de Global March to Gaza, mouvement populaire organisant des actions de solidarité mondiale en soutien à l'enclave palestinienne ; la Freedom Flotilla Coalition, qui a déjà lancé plusieurs flottilles comme le Madleen et le Handala (fin juillet 2025) ; la Maghreb Sumud Flotilla (Afrique du Nord) et la Sumud Nusantara, principalement originaire de Malaisie et impliquant huit autres pays d'Asie du Sud et du Sud-Est comme la Thaïlande.

Contourner par la mer

En juin 2025, la Marche mondiale vers Gaza lancée par près de 4 000 participants de plus de 80 pays qui se sont donné rendez-vous au Caire pour se rendre au poste-frontière de Rafah s'était confrontée à la répression des autorités égyptiennes, alors qu'un convoi maghrébin au départ de Tunis avait été stoppé dans l'Est de la Libye. Cet échec s'est soldé par l'arrestation de centaines d'activistes et des confiscations de passeports en Égypte comme en Libye. Aujourd'hui, le mouvement change de cap et s'inscrit parmi les initiatives maritimes pour tenter de briser le blocus.

La Global Sumud Flotilla a levé plus de 3 millions d'euros sur sa plateforme de financement participatif Chuffed. Une somme récoltée auprès de 60 000 contributeurs à travers le monde, qui a permis l'achat de 45 tonnes d'aide humanitaire et couvert les frais opérationnels liés à la logistique. De nombreuses structures de la société civile, comme le Climate Action Network (CAN), un réseau mondial d'organisations environnementales, ont exprimé leur solidarité avec la flottille, appelant les gouvernements à garantir le passage sûr des navires humanitaires. La Ligue tunisienne des droits de l'homme (LTDH) et le Syndicat des journalistes tunisiens (SNJT) comptent aussi parmi les soutiens de la Maghreb Sumud Flotilla.

La militante suédoise Greta Thunberg a de nouveau embarqué à bord de la Global Sumud Flotilla. Dans une lettre officielle, le président colombien Gustavo Petro a également donné son appui au mouvement. Il dénonce régulièrement le caractère génocidaire du gouvernement israélien dans son offensive contre les civils de l'enclave palestinienne et le « négationnisme historique » que la politique israélienne porte à la mémoire du génocide juif.

Depuis le mois de juillet, selon les chiffres communiqués par Global Sumud Flotilla, plus de 15 000 participants à travers 44 pays ont participé à sa mise en œuvre jusqu'au départ groupé ayant eu lieu à Barcelone le 31 août.

À Marseille, les prises de parole à l'occasion du lancement de la flottille du collectif Thousand Madleens ne manquent pas de souligner la dimension politique de ce mouvement citoyen : « Il ne s'agit pas que d'une crise humanitaire. Nous faisons le lien entre nos luttes locales contre le racisme et celle contre le colonialisme menée par le peuple palestinien », rappelle Lola Michel, présidente de l'association Marseille à Gaza.

Hanane2, navigatrice qui a mis ses compétences au profit de l'équipe du pôle mer, est lucide par rapport à ce qui attend les militants à bord de la flottille : « Depuis fin juin et notre retour du Caire, grâce aux cagnottes, on a acheté des bateaux et on les a réparés. Il nous faut des circuits d'eau douce, c'est important, car nous devrons peut-être rester très longtemps en mer sans pouvoir faire d'escale. » Elle rappelle que différents gouvernements des pays du bassin méditerranéen pourraient empêcher les bateaux d'amarrer ou de reprendre la mer une fois ravitaillés, d'autant que les bateaux prévoient notamment de longer les côtes libyennes et égyptiennes à l'approche de Gaza.

Une histoire qui n'a pas commencé le 7 octobre

Après la victoire du Hamas aux élections législatives de 2006, Israël impose un blocus terrestre et maritime à la bande de Gaza. À l'époque déjà, de petits navires affrétés par des activistes du Free Gaza Movement réussissent à atteindre les côtes gazaouies à cinq reprises. Mais après l'offensive israélienne de décembre 2008 — janvier 2009, Tel-Aviv durcit son blocus maritime, jusqu'à rendre impossible tout accostage de bateau étranger sur les côtes de l'enclave palestinienne.

Cette chape de plomb entraîne un durcissement dans la répression des flottilles approchant de Gaza. Le 31 mai 2010, la Flottille de la liberté, composée de six navires, dont le Mavi Marmara, et transportant plus de 300 militants, est attaquée par l'armée israélienne, toujours dans les eaux internationales. L'assaut fait dix morts et des dizaines de blessés. Dans la foulée, l'administration étatsunienne de Barack Obama bloque une enquête internationale de l'Organisation des Nations unies (ONU) et soutient une enquête israélienne « rapide et crédible »3. Joe Biden, alors vice-président, appuie le récit fourni par les Israéliens, soulevant des doutes sur la cargaison transportée par les bateaux et invoquant un risque pour la sécurité d'Israël4.

Depuis, d'autres flottilles ont cherché à atteindre Gaza, comme celle en soutien à la Grande marche du retour, en 2018, quand des milliers de Palestiniens ont manifesté le long de la frontière séparant Gaza et Israël. Selon les chiffres du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) de l'ONU, l'armée israélienne a tué 195 Palestiniens, dont 41 enfants, lors de ces manifestations, et fait plus de 29 000 blessés. Plusieurs bateaux comme Al-Awda Le Retour » en arabe) sont alors interceptés, encore une fois, dans les eaux internationales.

Le black-out médiatique aggrave le blocus de la bande de Gaza. Israël y refuse l'accès aux journalistes étrangers et les reporters palestiniens sont pris pour cible par son armée — plus de 210 journalistes ont été tués depuis le 7 octobre 2023 selon Reporters sans frontières (RSF)5. Le collectif Palestine Witness a lancé l'initiative Witness for Gaza, une flottille à bord de laquelle se trouvent des journalistes internationaux, des observateurs juridiques et des défenseurs des droits humains, visant à garantir symboliquement et pacifiquement un accès à Gaza et à documenter les événements. L'action, prévue à la veille de l'Assemblée générale de l'ONU (du 9 au 23 septembre 2025) s'ajoute à la liste d'initiatives maritimes en vue de briser effectivement ou symboliquement le blocus.

Rappelons enfin que le blocus imposé par Israël à Gaza est considéré comme illégal au regard du droit international humanitaire, au vu de ses effets disproportionnés sur la population civile. Selon la quatrième Convention de Genève, toute puissance occupante a l'obligation de ne pas priver les civils de biens essentiels tels que la nourriture, l'eau, les médicaments ou les services de santé, ce que le blocus restreint de manière sévère. Le droit international humanitaire garantit également le passage sûr de l'aide humanitaire vers les populations en détresse. L'interception répétée de navires transportant nourriture et médicaments constitue une violation supplémentaire de ces normes.

Samedi 30 août 2025, un responsable israélien a encore affirmé, sous couvert d'anonymat, que le gouvernement de Benyamin Nétanyahou allait bientôt suspendre « l'aide humanitaire » dans le nord de Gaza, alors que l'armée israélienne vient de déclarer la ville de Gaza « zone de combat ».

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1NDLR. Le terme soumoud n'a pas d'équivalent exact en français. Il renvoie au fait de tenir bon dans la résistance.

2Thousand Madleens demande de ne pas préciser leurs noms de famille pour leur garantir un minimum d'anonymat.

3Statement by the Press Secretary on Israel's investigation into the flotilla incident, The White House, 13 juin 2010.

4Richard Adams, «  Gaza flotilla raid : Joe Biden asks “So what's the big deal here  ?”  », The Guardian, 3 juin 2010.

5«  Plus de 210 journalistes tués à Gaza : RSF et Avaaz appellent les médias du monde entier à une mobilisation médiatique d'ampleur le 1er septembre  », RSF, 28 août 2025.

05.09.2025 à 06:00

« La responsabilité n'est pas celle de l'occupant, c'est celle de l'occupé »

Rami Abou Jamous
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Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, il a dû quitter en octobre 2023 son appartement de Gaza-ville avec sa femme Sabah, les enfants de celle-ci, et leur fils Walid, trois ans, sous la menace de l'armée israélienne. Ils se sont réfugiés à Rafah, ensuite à Deir El-Balah et plus tard à Nusseirat. Un mois et demi après l'annonce du cessez-le-feu de janvier 2025 — rompu par Israël le (…)

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Texte intégral (2491 mots)

Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, il a dû quitter en octobre 2023 son appartement de Gaza-ville avec sa femme Sabah, les enfants de celle-ci, et leur fils Walid, trois ans, sous la menace de l'armée israélienne. Ils se sont réfugiés à Rafah, ensuite à Deir El-Balah et plus tard à Nusseirat. Un mois et demi après l'annonce du cessez-le-feu de janvier 2025 — rompu par Israël le 18 mars —, Rami est rentré chez lui avec Sabah, Walid et le nouveau-né Ramzi. Pour ce journal de bord, Rami a reçu le prix de la presse écrite et le prix Ouest-France au Prix Bayeux pour les correspondants de guerre. Cet espace lui est dédié depuis le 28 février 2024.

Jeudi 4 septembre 2025.

Il y a quelques jours, j'ai reçu un appel téléphonique d'une amie qui vit en France :


— Rami, là apparemment c'est sérieux. Les Israéliens vont occuper toute la bande de Gaza et ils vont déporter la population. Le projet est sur la table et il va se faire. Est-ce que ce n'est pas mieux pour toi qu'on essaye de t'évacuer ?
— Pourquoi devrais-je partir ?
— Pour préserver ta vie et la vie de ta famille, de tes enfants. Pour ne pas, être massacrés.

Cela m'a fait penser à la question de la responsabilité. En fonction du choix que je ferais — ou ne ferais pas —, je serais responsable de ce qui peut m'arriver – voire nous arriver. De même, les mouvements armés palestiniens seraient responsables des massacres commis par les Israéliens. Cette idée a refait surface récemment dans les médias occidentaux. Et pas seulement par rapport à ce qui se passe aujourd'hui à Gaza : nous, les Palestiniens, nous serions responsables de tout ce que nous subissons depuis le partage de la Palestine, depuis 1948, et même avant !

En clair : tu vis dans une jolie maison tranquille, tu accueilles tout le monde chez toi, et d'un seul coup, il y a des gens qui ont décidé de promettre ta maison à un autre, parce que sa famille a été massacrée en Europe.

Le propriétaire de la maison a dit « Non, c'est ma maison. Si quelqu'un veut venir chez moi, je l'accueillerai avec grand plaisir. Mais c'est ma maison. Je ne la donne pas, je ne la partage pas avec quelqu'un d'autre. » Et voilà, grossière erreur ! Si le propriétaire refuse le partage de sa maison, décidé par l'Occident, il est responsable de ce qui va lui arriver. Pour le forcer à accepter, on va commettre des massacres, on va tuer ceux qui habitent cette maison, pour forcer les survivants à fuir. Ainsi, on obtient la moitié de cette maison. Mais c'est le spolié qui est responsable, pas ceux qui ont promis sa maison au voleur. Le propriétaire de la maison a juste fait le mauvais choix.

Le partage de la maison ne suffit pas. Le voleur veut maintenant l'occuper entièrement. Si le propriétaire veut tout de même rester dans ce qu'il reste de son foyer, s'il s'imagine pouvoir le récupérer, il doit être massacré. Et là encore, il sera responsable de sa propre mort.

Visiblement, nous n'aurions pas dû résister

Les Israéliens ont réussi à implanter cette idée dans les esprits des Occidentaux, parfois relayée, avec plus ou moins d'honnêteté. Mais elle infuse aussi chez les hommes et les femmes de bonne foi, qui veulent sincèrement notre bien. On dit que l'histoire est écrite par le plus fort. Il continue à la falsifier en direct. En plus de 77 ans d'occupation, et même en remontant plus loin dans le temps, aux accords Sykes-Picot et à la déclaration de Balfour, ils ont réussi à « cuire les pensées » de l'Occident, comme on dit chez nous, c'est-à-dire à influencer leur mode de pensée.

Sous le mandat britannique, les Palestiniens auraient eu tort de se révolter contre l'emprise grandissante du sionisme et de réclamer leur indépendance. Pour éviter d'accueillir les juifs persécutés, l'Europe et les États-Unis avaient dit « Allez trouver un autre endroit pour vous ».

Nos ancêtres et nos dirigeants ne l'ont pas accepté. Il y a eu plusieurs grandes révoltes sous le mandat britannique. Des groupes armés ont affronté les Anglais, puis les milices juives. En 1948, ces dernières ont commis des dizaines de massacres de civils à grand échelle, comme celui de Deir Yassine. Les Israéliens ont expulsé 800 000 personnes et détruit des centaines de villages. Mais visiblement, nous n'aurions pas dû résister. L'Occident a reconnu l'État d'Israël, mais pas celui de Palestine, et c'était encore la faute des Palestiniens, parce qu'ils avaient refusé le partage – alors qu'on ne leur avait même pas demandé leur avis. Voilà le narratif que l'on retrouve encore aujourd'hui dans de nombreux médias, ressassés par des ignorants.

Ces derniers recyclent toujours les mêmes arguments : des dirigeants palestiniens ont pris une mauvaise décision. Par conséquent, les Palestiniens méritent leur sort. La responsabilité n'est pas celle de l'occupant ni de ses soutiens, c'est celle de l'occupé. Je l'ai déjà dit, nous devons être des victimes gentilles, des victimes silencieuses. Nous ne devons pas résister. Et maintenant, nous devons partir. Certes, le monde commence à bouger un peu devant les massacres, les bombardements et la famine. Nous le voyons. Tout le monde veut que la guerre s'arrête, mais en même temps, la plupart des pays occidentaux continuent à soutenir Israël, politiquement, militairement et financièrement. Parce que les dirigeants du Hamas ont fait l'erreur du 7 octobre, 2,3 millions de personnes en sont toutes responsables, et donc méritent d'être tuées ou déportées.

Israël a le droit de s'étendre

Selon ce narratif, l'occupant n'est pas responsable parce que le Hamas est considéré comme un groupe « terroriste » partout dans le monde. C'est Israël qui en a décidé. Yasser Arafat a conclu un accord de paix, ce qui n'a pas empêché les Israéliens, par la suite, de recommencer à le qualifier de « terroriste ».

Pour Israël, toutes les factions qui résistent aux armes par les armes sont des terroristes. La victime ne doit pas bouger, elle ne doit même pas crier sa souffrance. Elle doit seulement se taire et surtout ne pas résister. Et à cause du 7 octobre, il faut expulser 2,3 millions de personnes.

Je sais que mon amie, celle qui me presse de partir, veut mon bien et celui de ma famille. Elle veut nous éviter la mort.

Mais quand j'entends « Rami, pense à ta famille », c'est comme si c'était moi le responsable si ma famille était tuée sous les bombes, dans les boucheries, les israéleries que nous sommes en train de vivre. Ce ne serait pas le tueur le responsable. On dira « il fallait partir ». Comme s'il n'avait pas fallu plutôt arrêter le génocide, l'occupation, libérer la Palestine. Non, ce serait seulement : vous avez fait une erreur, vous devez assumer collectivement. Si vous ne quittez pas Gaza, vous allez être massacrés et ce sera votre faute. Ainsi, tout ce qui arrive, et tout ce qui peut arriver à ma famille, c'est de ma faute. Ce ne serait pas la faute de l'occupant, pas la faute de celui qui appuiera sur la détente ou sur le bouton. Ce ne serait pas la faute des pays occidentaux qui vendent à Israël les armes qui nous tueront. Les Occidentaux disent qu'Israël a le droit de se défendre. Ils n'osent pas dire leur vraie pensée : qu'Israël a le droit de s'étendre.

Cela ne date pas d'aujourd'hui

Voilà les réflexions que m'ont inspirées cette proposition de départ, venant d'une amie chère, à qui je tiens beaucoup. Je la comprends, et en même temps j'ai compris à quel point l'Occident en est arrivé à renverser les valeurs. Comment on en est arrivé à admettre que seul Israël a le droit de se défendre, pas les Palestiniens. Comment il peut tout voler, la maison et le jardin. Et si les habitants de cette maison font quoi que ce soit contre les colons, s'ils tentent de dissuader ce voleur, il est normal qu'il se livre aussitôt à des massacres. Et ceux qui l'ont amené dans notre maison et qui le soutiennent comprennent très bien ce qu'il est en train de faire, parce que pour eux, c'est justifié. On arrive, à la fin, à ce qu'une amie me supplie de sortir de Gaza. Parce que si je reste et s'il arrive quoi que ce soit à ma famille, c'est ma responsabilité à moi. Tout ce qu'on a subi depuis 1948 et même avant comme massacres, déplacements, les colonies et l'annexion des territoires, tout cela c'est notre faute. Parce que nos leaders n'ont pas pris la bonne décision : accepter de céder notre Palestine.

Je parle souvent de la guerre médiatique. Mais celle-ci ne consiste pas seulement à empêcher les journalistes étrangers de couvrir les massacres de Gaza. C'est aussi d'agir en profondeur sur l'opinion publique, trouver des excuses aux massacres. Cela ne date pas d'aujourd'hui. Pendant la guerre de 2014, quand de 40 à 50 personnes étaient tuées dans le bombardement de leur immeuble, beaucoup de médias posaient tout de suite la question : « Est-ce qu'il y avait un membre du Hamas dans l'immeuble ? » Et si la réponse était oui, alors c'était justifiable. On pouvait tuer tout le monde parce qu'il y avait dans l'immeuble quelqu'un qui résistait par les armes. Un « terroriste », donc.

Le but est d'apprendre à la population de s'éloigner de toute personne qui veut résister, pour défaire le tissu social de notre société, pour détruire nos façons de penser et nous plonger dans l'incertitude. Est-ce qu'il faut céder ? Est-ce qu'il faut partir ? J'ai répondu à mon amie que, pour le moment, je préfère rester chez moi. Nous pouvons tous être tués, ma famille et moi. Cette décision-là, je l'assume. C'est celle de quelqu'un qui veut résister et rester dans son pays, tant qu'il peut le faire. N'oubliez pas : ce ne sera pas moi qui appuierai sur la détente. Mais ils diront que c'était ma responsabilité.

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Journal de bord de Gaza
Rami Abou Jamous
Préface de Leïla Shahid
Présentation de Pierre Prier
Éditions Libertalia, collection Orient XXI
29 novembre 2024
272 pages
18 euros
Commander en ligne : Librairie Libertalia

04.09.2025 à 06:00

Égypte. Les coptes catholiques, une minorité dans la minorité

Dina Ezzat
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En Égypte, l'Église copte catholique n'excède pas les 250 000 membres. Malgré son histoire ancienne et captivante, cette communauté semble aujourd'hui oubliée. Début mai 2025, une fumée blanche est apparue au-dessus du Vatican, la capitale des catholiques du monde. Quelques minutes après, la formule traditionnelle — « Je vous annonce une grande joie : nous avons un pape » —, a retenti, marquant la fin du pontificat du pape François et l'élection de l'Étatsunien Robert Francis Prevost, (…)

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Texte intégral (2252 mots)

En Égypte, l'Église copte catholique n'excède pas les 250 000 membres. Malgré son histoire ancienne et captivante, cette communauté semble aujourd'hui oubliée.

Début mai 2025, une fumée blanche est apparue au-dessus du Vatican, la capitale des catholiques du monde. Quelques minutes après, la formule traditionnelle — « Je vous annonce une grande joie : nous avons un pape » —, a retenti, marquant la fin du pontificat du pape François et l'élection de l'Étatsunien Robert Francis Prevost, désormais pape Léon XIV. En Égypte, sa nationalité a suscité des regrets parmi des coptes catholiques qui auraient préféré voir leur plus haut chef spirituel issu d'un pays du Sud.

Décrite comme une « minorité dans la minorité » ou parfois comme une minorité « fabriquée »1 l'Église copte catholique ne compte que 200 000 fidèles — soit moins de 1 % de la population, contre 10 % pour les coptes orthodoxes. Malgré ce nombre relativement modeste, les réactions négatives à l'élection d'un pape étatsunien confirment le fait que cette communauté n'est pas isolée de son environnement, où l'hostilité à l'égard des États-Unis est forte.

Le photographe Roger Anis partage ces regrets, mais indique cependant être conscient de l'extrême difficulté qu'il y a à « succéder à un pape d'exception ». Né à Al-Minya, un gouvernorat décrit comme le principal foyer de violences confessionnelles entre musulmans et chrétiens, ce trentenaire a grandi dans un « milieu pluraliste et tolérant » : chacun de ses deux parents appartient à l'un des deux groupes coptes égyptiens. Pourtant, se souvient-il, il a déjà entendu un prêtre, lors d'une messe dans une église orthodoxe, dire que « celui qui ne suit pas cette Église ne sera pas béni ». Comme si les coptes catholiques en Égypte étaient assiégés de tous les côtés.

Schismes et missionnaires

Si les historiens divergent quelque peu sur le début de l'établissement du catholicisme en Égypte, il y a consensus sur le fait qu'au moment du « Grand schisme » au sein du christianisme entre l'Église catholique d'Occident et l'Église orthodoxe d'Orient (XIe siècle), une minorité de coptes rejoint le Vatican. Mais certaines sources2 indiquent que tout au long du Moyen Âge, les coptes étaient vus comme des « hérétiques » en raison de la division première au sein du christianisme sur la nature du Christ : des coptes, plus tard qualifiés d'orthodoxes, avaient rejeté les conclusions du concile de Chalcédoine en 451 définissant la doctrine du dyophysisme ou celle de la double nature du Christ, divine et humaine.

La présence catholique en Égypte se développe ensuite au XIIIe siècle avec l'arrivée des missions franciscaines3. Elle se renforce ensuite au XVIe siècle, lorsque le Vatican commence à s'intéresser à l'Orient. En 1741, le pape nomme ainsi un vicaire apostolique pour la petite communauté de coptes catholiques égyptiens, composée d'à peine 2 000 personnes.

La véritable transition a lieu au XIXe siècle, durant le règne de Mohammed Ali (1805-1848), gouverneur d'Égypte4, puis de celui du khédive Ismaïl Pacha (1863-1879), son petit-fils. Dans le cadre des efforts qu'ils déploient pour se rapprocher de l'Europe — avec le double objectif de moderniser le pays et de rechercher un soutien face à l'empire ottoman — la présence catholique bénéficie d'un appui affirmé de la part des deux hommes. Ils encouragent ainsi les chrétiens souhaitant se convertir et rejoindre l'Église catholique, et, en 1829, Mohammed Ali autorise les coptes catholiques à construire leurs propres églises.

Pour Mohammed Afifi, professeur d'histoire à l'Université du Caire :

L'idée n'était pas d'imposer de rejoindre l'Église catholique, mais sa politique d'ouverture a permis des migrations vers l'Égypte, dont celle de fidèles de l'Église catholique. Ce qui a fait de la conversion un acte de sociabilité, fruit de la proximité et du contact plutôt qu'un acte à caractère religieux.

Le choix du catholicisme

Selon l'historien, l'Égypte est, à cette période, un pôle d'attraction pour le prosélytisme catholique. Cependant, il note le succès limité des missions en raison de l'attachement des coptes à l'orthodoxie. En outre, « l'Église orthodoxe était catégoriquement opposée à la conversion de ses fidèles au catholicisme ».

Il souligne également qu'à cette époque, ceux qui entrent en interaction avec les missions catholiques sont essentiellement chrétiens. Bien que les missions évangéliques œuvrent principalement dans les milieux pauvres de Haute-Égypte, où se concentrent les coptes, Mohammed Afifi note qu'une majorité de ceux qui choisissent de rejoindre l'Église catholique appartiennent aux membres les plus riches et les plus ouverts d'esprit de leur communauté. La plupart ont fait leurs études à l'étranger et sont influencés par la civilisation européenne. D'autres fréquentent des gens venus travailler en Égypte, notamment pendant le creusement du canal de Suez (inauguré en 1869) et, auparavant, lors de la campagne française en Égypte en 1798. Ainsi, l'Église copte catholique incarne, selon le site de l'église copte catholique St Mary (Los Angeles), « un mélange unique entre le patrimoine chrétien égyptien et la tradition catholique romaine ». Si elle est rattachée au Vatican, son identité reste copte en matière de rituels et d'héritage.

La conversion de Maallem Ghali, un copte de haut rang travaillant au bureau de comptabilité de Mohammed Ali, est considérée comme la plus importante de l'époque. Pour Atef Najib, chercheur en histoire et ancien directeur du Musée copte du Caire, si elle répond à une demande de Mohammed Ali, elle s'explique aussi par l'influence de la culture européenne. Maallem Ghali et d'autres coptes aisés ont été séduits par le catholicisme lors d'un voyage à l'étranger ou au contact de catholiques vivant en Égypte : Italiens, Maltais ou Français arrivés en Égypte au XVIIIe siècle, Syriens chrétiens ayant fui les persécutions au XIXe siècle, notamment les Arméniens.

Dans son roman semi-autobiographique Un village à l'ouest du Nil (1996, non traduit) — vivement critiqué par l'Église orthodoxe —, le Père Yohanna Kolta évoque aussi des expériences de conversion de l'orthodoxie au catholicisme davantage liées à la situation sociale qu'à des choix doctrinaux. Par exemple, des convertis choisissent le catholicisme parce qu'ils se sentent plus à l'aise avec les moines catholiques qu'avec les moines orthodoxes.

Mohammed Afifi pointe également qu'un des grands défis des missionnaires catholiques est l'expansion des missions protestantes en Égypte au XIXe siècle :

Le prédicateur protestant ne portait pas d'habit ecclésiastique traditionnel, mais un costume de ville, et parlait de questions profanes plutôt que religieuses, ce qui était pour beaucoup un facteur d'attraction.

Il ajoute : « On dit que Hassan Al-Banna, le fondateur de la confrérie des Frères musulmans, a été influencé par les méthodes de prédication des missionnaires protestants. »

La dimension culturelle

Atef Najib souligne que le Musée copte égyptien ne compte aucun vestige d'une présence catholique en Égypte. Mais Dalia Mahmoud, une ancienne élève d'une école catholique en Égypte, rappelle l'existence d'un dépositaire de l'empreinte culturelle des catholiques égyptiens : le Centre catholique égyptien du cinéma, installé dans l'Église Saint-Joseph des franciscains au Caire. Début mai 2025 s'est tenue la 73e session de son festival, fondé en 1952. Il est considéré comme l'un des plus anciens en Égypte et au Proche-Orient. Son président, le Père Boutros Daniel, compte parmi les plus importantes personnalités culturelles du pays.

Roger Anis, de son côté, mentionne les « espaces culturels » que la présence catholique a créés en Égypte. Il évoque, notamment, le Centre culturel des Jésuites, où de nombreux enfants de sa génération ont étudié différentes variétés d'art et de culture, mais aussi la grande bibliothèque des Dominicains dans le quartier d'Al-Abbassiya au Caire. Spécialisée dans les études islamiques et celles des textes arabes, elle est partenaire de plusieurs institutions comme l'Université d'Al-Azhar, l'Institut français d'archéologie orientale (IFAO) et la Bibliothèque nationale de France (BNF).

Le photographe confie que le « nombre de catholiques assistant à la messe est en déclin ». Il attribue cette baisse à l'émigration depuis le milieu du XXe siècle, au vieillissement des fidèles et à la tendance des jeunes à ne fréquenter l'église que pour les fêtes. Mais il insiste sur le fait que « l'intérêt des instances catholiques en Égypte pour la culture est la chose la plus chère au cœur du catholique copte ».

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Traduit de l'arabe par Hajer Bouden.


1Ana Carol Torres Gutiérrez, «  The other Copts : Between sectarianism, nationalism and catholic Coptic activism in Minya.  », The American University in Cairo, 2017.

2Site du Fellowship and Aid to the Christians of the East (Solidarité et aide aux chrétiens d'Orient), Londres.

3Voir le site web de l'église copte catholique St Mary, Los Angeles

4NDLR. L'empire ottoman donnait à Mohammed Ali le titre de wali, c'est-à-dire de gouverneur, mais lui se désignait comme khédive (suzerain, seigneur ou vice-roi en persan), même si ce titre n'a été officiellement reconnu qu'en 1867 à son petit-fils Ismaïl Pacha et la création d'un khédivat d'Égypte (1867-1914).

03.09.2025 à 06:00

Palestine. À New York, la subversion du droit international

Rafaëlle Maison
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La reconnaissance d'un État palestinien par plusieurs pays occidentaux est présentée comme le point fort de la prochaine réunion de l'Assemblée générale de l'ONU à New York, du 9 au 23 septembre 2025. En réalité, la France et l'Arabie saoudite chercheront à convaincre l'ensemble des États membres des Nations Unies de se rallier à une déclaration posant les principes de règlement du « conflit israélo-palestinien ». Un texte qui pourrait sceller l'abandon du droit international concernant la (…)

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Texte intégral (3967 mots)

La reconnaissance d'un État palestinien par plusieurs pays occidentaux est présentée comme le point fort de la prochaine réunion de l'Assemblée générale de l'ONU à New York, du 9 au 23 septembre 2025. En réalité, la France et l'Arabie saoudite chercheront à convaincre l'ensemble des États membres des Nations Unies de se rallier à une déclaration posant les principes de règlement du « conflit israélo-palestinien ». Un texte qui pourrait sceller l'abandon du droit international concernant la Palestine.

Il y a plus d'un an, dans son avis historique du 19 juillet 2024, la Cour internationale de justice (CIJ) a rappelé les éléments essentiels du droit international s'agissant de l'occupation par Israël du territoire palestinien, y compris Gaza. Donnant suite à cet avis, l'Assemblée générale des Nations unies (AGNU) a adopté, le 18 septembre 2024, une résolution engageant les États à adopter des mesures de sanction contre Israël afin de l'obliger à se retirer du territoire palestinien occupé, et ceci dans le délai d'un an, soit en septembre 2025. Par ailleurs, dans ses ordonnances relatives à Gaza, la Cour rappelait les obligations de tous les États Parties à la Convention sur le génocide aux fins de prévenir et de ne pas se rendre complices d'un génocide. Fin septembre 2024, le cadre était donc clairement posé aux Nations unies, sur la base d'une analyse objective du droit international. Mais plusieurs inflexions sont rapidement apparues.

D'abord, la majorité des États s'est abstenue de prendre les mesures exigées. Puis, l'Assemblée générale a décidé de soutenir une conférence internationale (résolution 79/81 du 3 décembre 2024) dont la présidence sera assurée par la France et l'Arabie saoudite. Enfin, au lieu d'accentuer ses demandes de sanctions face à un génocide mis en œuvre, notamment, par la privation de biens essentiels à la survie, l'Assemblée générale s'est contentée de demander à la CIJ un nouvel avis sur l'entrave à l'aide humanitaire sans même mentionner le génocide (résolution 79/232 du 19 décembre 2024). En présence de résolutions extrêmement décevantes, on pouvait s'attendre aux résultats de la Conférence de New York, présidée, fin juillet 2025, par la France et l'Arabie Saoudite, et à laquelle n'ont pourtant participé ni Israël ni les États-Unis. Ces résultats frappent tout de même par leur potentiel de subversion du droit rappelé par la CIJ en 2024.

Un État diminué

Le texte avancé sous la présidence française et saoudienne de la Conférence de New York annonce les principes de règlement du « conflit israélo-palestinien ». Cette « déclaration sur le règlement pacifique de la question de Palestine et la mise en œuvre de la solution des deux États » est aussi soutenue par les États ou organisations régionales ayant animé les « groupes de travail » de la Conférence. Se sont donc déjà ralliés à cette déclaration 15 États1, ainsi que la Ligue des États arabes et l'Union européenne. Tout l'enjeu est désormais, pour la France et l'Arabie saoudite, d'obtenir de l'ensemble des États membres des Nations unies qu'ils approuvent la déclaration, comme en témoigne la lettre adressée par la France et l'Arabie saoudite aux délégations étatiques à New York le 29 juillet 20252.

C'est bien sûr la « solution à deux États » qui est promue dans ce document. Mais la nature de l'État palestinien qu'il est question de soutenir rend cette solution plus qu'incertaine. Saluant les engagements récemment pris par le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, la déclaration souligne en effet que la Palestine « n'a pas l'intention de devenir un État militarisé ». Dans ce contexte, c'est un processus de « désarmement, démobilisation et réintégration » (DDR) qui doit être mené à bien, dans lequel le Hamas devrait remettre ses armes à l'Autorité palestinienne (§ 11 de la déclaration). D'un point de vue politique, il s'agit aussi d'écarter le Hamas du pouvoir à Gaza puis, après un cessez-le-feu, d'organiser des élections démocratiques dans le délai d'un an. Pourtant, la « compétition démocratique » envisagée ne serait soutenue que si elle s'organise « entre acteurs palestiniens engagés à respecter le programme politique et les engagements internationaux de l'OLP » (§ 22 de la déclaration). Sous couvert d'une aide à l'émancipation palestinienne, le texte soutient en réalité la création d'un État palestinien démilitarisé, qui sera donc soumis à l'expansionnisme israélien. Les expressions politiques autorisées dans le cadre des élections espérées seraient également limitées, de même, d'ailleurs, que les choix de politique économique que pourrait retenir le prétendu « État » de Palestine.

Car s'il est question de « promouvoir le développement économique de la Palestine », ce sera pour « faciliter le commerce » et « améliorer la compétitivité du secteur privé palestinien » sur la base d'une révision du Protocole de Paris relatif aux relations économiques, conclu dans le cadre du processus d'Oslo (§ 27 de la déclaration). L'assistance internationale, présentée comme relevant de « donateurs », devrait permettre à l'Autorité palestinienne de « mettre en œuvre son programme de réformes ». Ces « réformes crédibles » devront mettre l'accent « sur la bonne gouvernance, la transparence, la viabilité des finances publiques, la lutte contre l'incitation à la violence et les discours de haine, la fourniture de services, l'environnement des affaires et le développement » (§ 21 de la déclaration). Ces formules résonnent bien comme un programme libéral, obérant les choix souverains de l'État à venir et exigeant — de manière apparemment incongrue, mais en réalité significative — un contrôle sur la liberté d'expression.

Dans la même veine, résolument inquiétante, le texte envisage la fin de l'action de l'UNRWA, l'Agence onusienne en charge des réfugiés palestiniens, puisque celle-ci devrait « remettre ses “services publics” dans le territoire palestinien aux institutions palestiniennes dûment habilitées et préparées ». Ceci interviendra « lorsqu'une solution juste au problème des réfugiés » aura été trouvée (§ 14 de la déclaration), dans un « cadre régional et international apportant une aide appropriée au règlement de la question des réfugiés, tout en réaffirmant le droit au retour » (§ 39 de la déclaration). La formule, particulièrement floue, n'envisage pas de mettre en œuvre ou faciliter le droit au retour. Elle ne vise probablement que la compensation due en cas de non-retour, sur la base de la résolution 194 de l'Assemblée générale de décembre 1948.

Cet ensemble de principes semble bien soutenir en partie l'agenda israélien, qui, comme le souligne Monique Chemillier-Gendreau dans son dernier ouvrage, est de « rendre impossible un État palestinien »3. Il s'agit de rendre impossible un État souverain, en soutenant une entité sous contrôle, un État privé des attributs essentiels de la souveraineté. D'ailleurs, en matière sécuritaire, l'État à venir devra, « dans le rejet constant de la violence et du terrorisme », « travailler à des arrangements de sécurité bénéfiques pour toutes les Parties », en l'occurrence Israël (§ 20 de la déclaration). C'est donc le prolongement de la coopération sécuritaire de l'Autorité palestinienne avec Israël qui conditionnera le déploiement de la « mission internationale temporaire de stabilisation » annoncée dans la déclaration. Cette mission, comprenant des forces armées, viendrait faciliter le respect du cessez-le-feu et de l'accord de paix à venir, en apportant des « garanties de sécurité à la Palestine et à Israël » (§ 16 de la déclaration). Elle devrait être mandatée par le Conseil de sécurité, ce qui apparaît totalement illusoire et omet le rôle que pourrait tenir l'Assemblée générale dans le déploiement d'une opération visant à forcer le siège de Gaza.

Tels sont les principes qui sont présentés à l'ensemble des États membres de Nations unies : ils relèvent d'une ingénierie politique vouée soit à l'échec, soit à la soumission.

Condamnation de la lutte armée, innocence d'Israël

Mais une version encore plus radicale de ce programme, annonçant l'effacement des responsabilités d'Israël, est également présentée par plusieurs États lançant, fin juillet 2025, un « Appel de New York ». Il s'agit d'une brève déclaration de quinze États occidentaux, parmi lesquels on trouve étonnamment l'Espagne, l'Irlande et la Slovénie4. Cet appel vient, de manière quasi indécente, effacer la réalité des crimes commis par Israël et stigmatiser la lutte armée palestinienne.

L'appel commence par une référence au 7 octobre 2023, les États condamnant « l'odieuse attaque terroriste antisémite perpétrée ». Ils reprennent ainsi d'emblée la rhétorique israélienne, assimilant la lutte armée palestinienne à une entreprise visant, par nature, les juifs. S'agissant de la situation humanitaire contemporaine à Gaza, les États se limitent en revanche à exprimer « une vive préoccupation », sans imputer à quiconque la responsabilité « du nombre élevé de victimes civiles » (sic). Ce qui est soutenu immédiatement, pour Gaza, est beaucoup plus favorable à Israël que l'accord de cessez-le-feu pourtant présenté par les États-Unis au printemps 2024, et validé par le Conseil de sécurité avant d'être rompu par Israël en mars 2025. Les quinze États de l'appel de New York se contentent d'exiger « un cessez-le-feu immédiat, la libération immédiate et inconditionnelle de tous les otages détenus par le Hamas et la restitution de leurs dépouilles, ainsi que la garantie d'un accès humanitaire sans entraves ». Il n'est pas ici question d'échanges de prisonniers, ni du retrait de la bande de Gaza par Israël ou de la fin du siège génocidaire. Il s'agit plutôt d'une demande de reddition, teintée de considérations humanitaires, puisque le « jour d'après » à Gaza devra comprendre « le désarmement du Hamas ».

En définitive, l'appel de New York n'est pas un appel à la reconnaissance de la Palestine, dont on peut rappeler qu'elle est déjà reconnue par 148 États et considérée comme un État non membre de l'ONU depuis 2012. Il s'agit, littéralement, d'un appel à la normalisation, c'est-à-dire à la reconnaissance d'Israël par ceux des États qui ne l'ont pas encore formellement reconnu. Les quinze signataires affirment sans ambiguïté, en fin de texte, appeler « les pays qui ne l'ont pas encore fait à établir des relations normales avec Israël et à exprimer leur volonté d'entamer des discussions concernant l'intégration régionale de l'État d'Israël ». Les relations avec Israël doivent donc être « normales », alors même que des sanctions ont été soutenues, comme on l'a rappelé, par la CIJ puis l'Assemblée générale, en raison des violations patentes de normes fondamentales du droit international par cet État. Ces violations devraient plutôt conduire à envisager d'exclure Israël de l'ONU ou des travaux de son organe plénier. Dans l'appel, le soutien à la Palestine est, à l'inverse, étroitement conditionné aux engagements pris par Mahmoud Abbas qui sont dûment rappelés, comme dans la déclaration de New York évoquée ci-dessus. Les États « saluent » ainsi :

les engagements pris (…), à savoir : (i) condamner les attaques terroristes du 7 octobre (ii) appeler à la libération des otages et au désarmement du Hamas (iii) mettre un terme au système de versements aux prisonniers (iv) réformer le système éducatif (v) demander l'organisation d'élections dans l'année à venir pour insuffler un renouvellement des générations et (vi) accepter le principe d'un État de Palestine démilitarisé.

Dans l'appel, comme dans la déclaration, toute référence au génocide en cours est proscrite. Il n'y est même jamais question des ordonnances de la CIJ visant Israël ou l'Allemagne, et rappelant tous les États Parties à la Convention de 1948 à leurs obligations de prévenir ou de faire cesser le génocide.

Effacer les acquis judiciaires de 2024

La validation par l'Assemblée générale des Nations unies de la déclaration de New York scellerait donc une nouvelle trahison de la Palestine. Basée sur l'illusion prolongée d'une possible acceptation par Israël d'un État palestinien, elle préconise aussi une méthode éculée, celle de la négociation bilatérale sous influence occidentale. Il s'agit en effet de « soutenir la conclusion et la mise en œuvre d'un accord de paix entre Israël et la Palestine (…) conformément au mandat de Madrid, notamment le principe de l'échange de territoires contre la paix » (§ 7 de la déclaration). En l'absence de négociations entre les Parties, c'est la reconnaissance conditionnée de la Palestine qui devrait initier la solution politique promue (§ 25 de la déclaration).

Mais doit-on finalement parler d'illusion ? À ce stade génocidaire de l'oppression des Palestiniens, il ne s'agit plus seulement « d'illusions néfastes »,, mais d'un « aveuglement volontaire » prospérant sur une « ambiguïté entretenue » de soutien à la Palestine, des tendances déjà dénoncées par Monique Chemillier-Gendreau5, et qui ne trompent plus. Le projet franco-saoudien est bien la dernière étape, à ce jour, de la « guerre contre la Palestine » décrite par l'historien Rashid Khalidi6. En plus de l'effacement des obligations de prévenir et faire cesser le génocide, les sanctions devant être adoptées par les États pour mettre fin à l'occupation sont minimisées (§§ 32 et 33 de la déclaration). Et si le droit à l'autodétermination est bien évoqué dans la déclaration (§§ 25 et 30), son essence est profondément affectée par l'ingénierie retenue : pas de souveraineté politique ni économique pour l'État à venir, pas de capacités de défense, mais un système de police visant à assurer la sécurité d'Israël. C'est le prolongement d'Oslo, c'est-à-dire la garantie de l'inexistence d'un gouvernement palestinien indépendant. Certes, le projet ne consacre pas directement l'expansionnisme israélien ni le génocide de Gaza : c'eût été impossible. Mais il n'envisage jamais la responsabilité juridique d'Israël. En somme, on peut sérieusement affirmer que les promoteurs de la Conférence de New York ont cherché à effacer l'acquis judiciaire de l'année 2024. Ils n'ont pas plus l'intention de favoriser une autodétermination réelle qu'ils n'ont l'intention de forcer Israël à mettre un terme à son occupation illicite et au génocide, ou de mettre en œuvre la responsabilité de cet État.

L' Assemblée générale des Nations unies acceptera-t-elle en septembre 2025, contre ses propres résolutions, d'effacer le droit international dit par la CIJ en 2024 ? Il faudrait alors reconsidérer le sens que l'Assemblée générale a, un temps, donné à sa « responsabilité permanente » s'agissant de la Palestine, et admettre qu'elle soutient désormais, en situation de génocide, une injustice majeure, sous couvert de la reconnaissance d'un État palestinien fantoche. Les peuples doivent exiger de leurs gouvernements qu'ils ne contribuent pas à cet enterrement du droit international.

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Pour aller plus loin

Couverture d


Monique Chemillier-Gendreau
Rendre impossible un État palestinien, l'objectif d'Israël depuis sa création
Textuel, 160 pages, 2025.
17,90 euros.


1Il s'agit du Brésil, du Canada, de l'Égypte, de l'Espagne, de l'Indonésie, de l'Irlande, de l'Italie, du Japon, de la Jordanie, du Mexique, de la Norvège, du Qatar, du Royaume-Uni, du Sénégal et de la Turquie.

2Lettre du 29 juillet 2025 : «  Les 19 coprésidents encouragent votre mission permanente à approuver ce document final avant la fin de la 79e session de l'Assemblée générale à New York  ».

3Monique Chemillier-Gendreau, Rendre impossible un État palestinien, l'objectif d'Israël depuis sa création, Textuel, 2025.

4Les quinze sont : Andorre, Australie, Canada, Espagne, Finlande, France, Irlande, Islande, Luxembourg, Malte, Norvège, Nouvelle-Zélande, Portugal, Saint-Marin, Slovénie.

5Monique Chemillier Gendreau, op.cit.

6Rashid Khalidi, The Hundred years' war on Palestine, Profile Books, 2020.

02.09.2025 à 11:19

À Murcie, en Espagne, des Algériens désenchantés

Nadia Addezio
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Reportage Mi-juillet, dans le sud-est de l'Espagne, la région agricole de Murcie a été secouée par plusieurs nuits de ratonnades, dans un contexte politique local qui se radicalise. De jeunes Algériens témoignent des difficultés rencontrées dans leur quête d'une vie meilleure.

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Reportage Mi-juillet, dans le sud-est de l'Espagne, la région agricole de Murcie a été secouée par plusieurs nuits de ratonnades, dans un contexte politique local qui se radicalise. De jeunes Algériens témoignent des difficultés rencontrées dans leur quête d'une vie meilleure.

02.09.2025 à 06:00

Israël, allié de l'Azerbaïdjan contre l'Arménie

Tigrane Yégavian
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Tandis que les amis d'Israël s'alarment du sort des chrétiens d'Orient, un proche allié de Tel-Aviv a imposé son diktat à l'Arménie — le plus ancien pays chrétien du monde — en utilisant des armements israéliens. Bakou et Tel-Aviv sont engagés dans un partenariat géostratégique toujours plus approfondi, ancré dans une communion d'intérêts qui ne cesse de croître, aux dépens de l'Iran. Selon une enquête menée par le quotidien israélien Haaretz, basée sur des données aéronautiques (…)

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Tandis que les amis d'Israël s'alarment du sort des chrétiens d'Orient, un proche allié de Tel-Aviv a imposé son diktat à l'Arménie — le plus ancien pays chrétien du monde — en utilisant des armements israéliens. Bakou et Tel-Aviv sont engagés dans un partenariat géostratégique toujours plus approfondi, ancré dans une communion d'intérêts qui ne cesse de croître, aux dépens de l'Iran.

Selon une enquête menée par le quotidien israélien Haaretz, basée sur des données aéronautiques accessibles au public, au cours des sept dernières années, 92 vols de fret ont été effectués par un avion-cargo Iliouchine II-76 de la compagnie azerbaïdjanaise Silk Way Airlines. Tous ont atterri sur la base aérienne israélienne d'Ovda, au nord d'Eilat (sud du pays), le seul aéroport du pays d'où il est possible d'embarquer des explosifs. L'appareil était chargé en deux heures, puis redécollait pour regagner son terrain d'origine à Bakou, la capitale de l'Azerbaïdjan. Ces avions de transport — de Silk Way Airlines et d'autres compagnies — ont atterri à Ovda plus de 100 fois depuis la délivrance initiale du permis d'atterrir. À chaque fois que les vols vers Bakou se sont intensifiés — au milieu de 2016, fin 2020 et fin 2021 —, la guerre faisait rage dans le Haut-Karabagh/l'Artsakh1.

« Il y a de l'amour entre l'Azerbaïdjan et Israël », déclarait le président israélien Isaac Herzog, lors de sa visite à Bakou le 30 mai 2023. Une phrase qui illustre à l'envi le renforcement substantiel du partenariat stratégique israélo-azerbaïdjanais qui avait conduit le 31 mars de la même année à l'ouverture d'ambassades dans chacun des deux pays.

Pétrole contre armes

Principal fournisseur de pétrole d'Israël (40 % des importations totales), Bakou n'a jamais suspendu ses livraisons pendant les guerres israéliennes contre Gaza et le Liban après le 7 octobre 2023. Signe du développement accru de la coopération énergétique, la compagnie pétrolière publique azerbaïdjanaise (State Oil Company of Azerbaijan Republic, SOCAR) a récemment acquis pour 1,25 milliard de dollars (1,07 milliard d'euros) une participation de 10 % dans le champ gazier offshore israélien Tamar 2.

Tandis que l'Azerbaïdjan exporte en priorité du pétrole brut via le port turc de Ceyhan (sud-est du pays), sur la Méditerranée, pour un montant variant entre 800 millions et 1 milliard de dollars (entre 687 et 860 millions d'euros) par an, les exportations israéliennes demeurent largement composées d'armements, et le pays est devenu le premier pourvoyeur d'armes de l'Azerbaïdjan. De toutes les relations commerciales entre les deux États, celle des armes reste la plus opaque. Les contrats ne sont pas publiés, les montants exacts sont classifiés ou approximatifs, et les livraisons passent parfois par des sociétés-écrans ou tierces.

Israël fournit 70 % de ses importations d'armements en drones IAI Harop, Hermes 450 et 900 procurés par Elbit Systems, en systèmes de missiles balistiques tactiques LORA (Long-Range Artillery) pouvant frapper des cibles dans un rayon de 400 kilomètres, en systèmes d'artillerie à guidage de précision, sans oublier les équipements de surveillance électronique (radars, système anti-drone, renseignement électromagnétique). Autant d'armes qui furent massivement utilisées au cours de la guerre du Haut-Karabagh de 2020, conférant un indiscutable avantage à l'armée azerbaïdjanaise. Sans le matériel israélien et les livraisons de drones Bayraktar turcs, elle ne se serait pas assurée de la totale maîtrise du ciel.

En cela, il n'est pas exagéré d'avancer que la guerre de 2020 s'est avérée une victoire militaire et géostratégique double : azerbaïdjanaise et israélienne. Les services de renseignement israéliens ont pu ainsi se déployer sur le tronçon de frontière avec l'Iran jusque-là contrôlé par les forces de défense arméniennes du Haut-Karabagh — la frontière avec l'Iran cumulant 750 kilomètres. Cela a donné à Tel-Aviv l'occasion d'y installer sur de larges portions des bases de renseignement et d'observation avancée. Ces installations servent à intercepter des communications militaires ennemies, à surveiller les mouvements de troupes et les infrastructures nucléaires. De nouveaux bâtiments aéroportuaires ont également été construits à la suite de la reconquête partielle du Haut-Karabagh en novembre 2020 et du nettoyage ethnique qui a suivi en septembre 20232. Ils permettent l'infiltration des agents du Mossad et le soutien des opérations clandestines en territoire iranien, ce qui s'est vérifié durant la guerre des douze jours contre l'Iran. On l'aura compris, l'Azerbaïdjan pourrait, en cas de nouveau conflit direct entre Israël et l'Iran, servir de base logistique ou de voie de repli pour des chasseurs-bombardiers israéliens.

Un commerce bilatéral en plein essor

En 2023, l'ouverture de l'ambassade d'Azerbaïdjan en Israël a été suivie de forums économiques bilatéraux visant à diversifier les échanges au-delà du pétrole et de la défense. Ils avaient également pour objectif d'attirer des investissements israéliens dans les zones reconquises du Karabagh, ainsi que de développer une coopération dans les domaines de la sécurité alimentaire, du climat, de l'énergie solaire et de l'innovation. Pour compenser le déséquilibre de la balance commerciale, les deux pays ont augmenté leurs échanges. Sur la période 2022-2024, le commerce bilatéral a oscillé entre 1,2 et 1,7 milliard de dollars (entre 1 et 1,4 milliard d'euros) par an.

La crise alimentaire mondiale liée au conflit russo-ukrainien a conduit Israël à se tourner à nouveau vers son partenaire caucasien pour éviter le risque d'insécurité alimentaire. En effet, Israël connait une dépendance accrue aux importations de blé. Il n'en a produit que 116 691 tonnes en 2020, alors que le pays en consommait 1 900 000 tonnes la même année.

L'Azerbaïdjan, lui, a récolté 1 818 665 tonnes de blé en 2020. Une quantité non négligeable, mais insuffisante pour se lancer dans l'exportation, car le pays n'est toujours pas autosuffisant en termes d'alimentation — il ne se couvrait qu'à hauteur de 60 % en 2022. Il n'empêche que Bakou ambitionne de récolter assez de blé pour satisfaire la demande intérieure et dégager des surplus pour l'export.

Pour faire avancer ce projet, Israël a annoncé en 2022 son intention de fournir à l'Azerbaïdjan des technologies agricoles avancées en matière d'irrigation, de stockage et d'optimisation des cultures, en particulier pour le blé, avec l'objectif que, dès 2025, Israël puisse acheter une partie de la production. Par ailleurs, des médias israéliens ont fait état en avril 2025 du lancement des premières exportations agricoles d'Israël vers l'Azerbaïdjan.

Israël fournit également des systèmes d'irrigation de précision utilisés dans les zones rurales azerbaïdjanaises qui souffrent d'un stress hydrique croissant provoqué par le réchauffement climatique, la salinisation et la pollution des sols.

Grand jeu géopolitique

N'en déplaise aux chrétiens évangéliques étatsuniens et aux catholiques identitaires européens, fervents partisans du sionisme dans sa version suprémaciste, le facteur religieux ne joue qu'un rôle marginal dans ce grand jeu géopolitique qui se redessine sous nos yeux. L'Azerbaïdjan est certes un pays à majorité chiite : environ 65 à 75 % de la population appartient au courant du chiisme duodécimain (aussi appelé chiisme imâmite comme en Iran), contre 25 à 35 % de sunnites de rite hanafite.

Mais le régime de Bakou reste farouchement attaché à une forme de laïcité héritée de l'ère soviétique et qui est perçue d'un mauvais œil par le grand frère turc. En effet, depuis les années 2000, le Parti de la justice et du développement (AKP), le parti de l'actuel président turc Recep Tayyip Erdoğan, mène une offensive contre la laïcité kémaliste dans ses propres frontières.

Par ailleurs, il existe en Iran une population d'ethnie azérie dont le chiffre oscille entre 15 à 20 millions de personnes, regroupées dans les provinces septentrionales de l'Azerbaïdjan iranien ; soit quasiment le double de la population de la république d'Azerbaïdjan (autour de 10 millions d'habitants). Bakou craint et combat le prosélytisme chiite venu d'Iran tandis que Téhéran redoute l'irrédentisme panazéri qu'il perçoit comme un projet panturquiste d'encerclement.

Si l'Iran avait soutenu le droit de Bakou à recouvrir son intégrité territoriale lors du conflit de 2020 contre les Arméniens du Haut-Karabagh, à présent il s'oppose farouchement au projet d'établir un corridor extraterritorial dans le sud de l'Arménie pour opérer une jonction avec son enclave du Nakhitchevan qui dispose d'une étroite frontière avec la Turquie.

D'où le soutien diplomatique constant accordé par Téhéran à la petite Arménie exsangue et enclavée. Un soutien sans commune mesure à celui accordé par Israël à l'Azerbaïdjan, étant donné que les relations arméno-iraniennes n'impliquent pas d'aide militaire. En 2021, puis en 2022, l'Iran avait organisé des manœuvres militaires importantes près de la frontière azerbaïdjanaise, avec des messages explicites adressés à Bakou. Mais depuis les frappes israéliennes menées contre son territoire (2024-2025), Téhéran peine à maintenir le même degré de dissuasion, faisant craindre le pire à l'Arménie, dont le lâchage du protecteur russe en 2022 et 2023 bouleverse totalement son architecture de sécurité.

Appel à rejoindre les accords d'Abraham

Depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, une campagne s'est intensifiée, tant aux États-Unis qu'en Israël, pour intégrer l'Azerbaïdjan aux accords d'Abraham. Le Centre Begin-Sadat, influent think tank israélien, estime que Bakou serait un ajout idéal à ce club. Selon lui, « le “modèle azerbaïdjanais” de relations avec Israël peut servir de précédent pour d'autres pays à majorité musulmane » et non arabes « qui souhaitent adhérer aux accords d'Abraham ».3 Plusieurs rabbins influents, menés par le fondateur du Centre Simon-Wiesenthal de Los Angeles, Marvin Hier, et le principal rabbin des Émirats arabes unis, Eli Abadie (qui se trouve être un proche collaborateur de Jared Kushner, gendre de Donald Trump, lui-même déterminant dans l'élaboration des accords d'Abraham), ont également adressé une lettre au président américain, relayée par le Wall Street Journal et Forbes, pour promouvoir l'inclusion de Bakou dans ces accords.

Le véritable objectif de l'adhésion de l'Azerbaïdjan aux accords d'Abraham semble être d'intégrer les États-Unis à l'alliance bilatérale entre Tel-Aviv et Bakou. Le cabinet du premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a d'ailleurs annoncé qu'Israël cherchait à « établir des bases solides pour une collaboration trilatérale » avec les États-Unis et l'Azerbaïdjan. Dans une tribune publiée le 14 mars 2025 dans le Wall Street Journal, deux analystes conservateurs, Seth Cropsey et Joseph Epstein, ont expliqué qu'une telle alliance permettrait d'accroître significativement la pression sur la frontière nord de l'Iran4. Cela pourrait aussi encourager Bakou à adopter une position plus hostile à l'égard de l'Iran.

Placer l'Azerbaïdjan à l'avant-garde de la coalition anti-iranienne vise également à galvaniser l'importante population azérie d'Iran. Les néoconservateurs américains et leurs think tanks radicaux, comme la Fondation pour la défense des démocraties et l'Institut Hudson, ainsi que leurs homologues israéliens, plaident depuis longtemps pour encourager les minorités ethniques et religieuses iraniennes, y compris les Azéris, à se soulever contre le régime de Téhéran.

Cependant, un obstacle empêche la pleine réalisation de ce projet : l'article 907 de la loi sur le soutien à la liberté (Freedom Support Act). Promulgué par le Congrès américain en 1992 dans le contexte de la première guerre du Haut-Karabagh (février 1988 — mai 1994) à la demande des groupes de pression américano-arméniens, il interdit l'aide et les ventes d'armes étatsuniennes à l'Azerbaïdjan. Les soutiens israéliens et étatsuniens de l'Azerbaïdjan affirment que l'annonce d'un « accord de paix » imminent entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan constitue une bonne raison d'abroger l'article 907.

Certes, après la signature le 8 août 2025 d'une déclaration commune entre l'Arménie, l'Azerbaïdjan et les États-Unis lors d'un sommet à Washington, le président arménien Nikol Pachinian a reconnu une « paix désormais établie », dans un discours diffusé le 18 août, assumant, au nom du pragmatisme, les concessions territoriales unilatérales faites à Bakou. Mais le texte de l'accord ne mentionne pas les sujets qui fâchent entre les deux pays voisins, Bakou ne cessant de modifier les règles du jeu, multipliant les conditions et les revendications.

Plus inquiétant encore : la partie azerbaïdjanaise a intensifié ses messages selon lesquels l'Arménie préparerait activement « une guerre de vengeance ». Les affirmations sans preuve de Bakou semblent d'autant plus défier le bon sens que l'équilibre des forces dans la région suggère fortement qu'Erevan n'est pas en mesure de défier militairement un Azerbaïdjan soutenu par la Turquie et Israël. Cette stratégie pourrait s'expliquer par une volonté de maximiser sa domination actuelle pour exiger de nouvelles concessions territoriales d'Erevan, et ensuite imputer à l'Arménie la responsabilité de l'échec des pourparlers de paix.

Le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev revendique en effet depuis longtemps le Siounik, province méridionale de l'Arménie, comme terre ancestrale azérie, et s'est engagé à la « récupérer ». Cette demande n'est toutefois pas abordée dans le projet d'accord de paix actuel.

Carte du Haut-Karabakh, montrant limites et zones de conflit entre Arménie et Azerbaïdjan.

Reconnaissance de la Palestine

En réponse à la politique pro-azerbaïdjanaise de Tel-Aviv, l'Arménie a reconnu l'État de Palestine en juin 2025. Vu d'Erevan, Israël demeure insensible au discours de la promotion de la démocratie dans un espace proche-oriental rongé par l'autoritarisme. Israël n'avait jusque-là pas reconnu la réalité génocidaire de l'extermination des Arméniens de l'Empire ottoman. Une frange extrémiste s'appuie sur l'unicité absolue du génocide juif, pour qui toute reconnaissance du génocide de 1915 diluerait la gravité des crimes nazis, tandis que le pouvoir israélien s'en sert cyniquement comme une carte agitée à chaque regain de tension avec la Turquie, soutien du Hamas.

Mais le 26 août 2025, le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a reconnu pour la première fois le génocide des Arméniens. Cela s'est passé au cours d'un échange diffusé dans le podcast PBD, animé par le journaliste étatsunien d'origine assyrienne Patrick Bet-David. Interrogé sur le fait qu'Israël n'avait jamais officiellement reconnu l'extermination des Arméniens, ainsi que les massacres des Assyriens et des Grecs pontiques, Nétanyahou a répondu : « En fait, je pense que nous l'avons fait, car je crois que la Knesset a voté une résolution en ce sens. Mais si vous me demandez personnellement, oui, je le fais. » Ce propos n'équivaut toutefois pas à une reconnaissance officielle par Tel-Aviv, le parlement n'ayant pas à ce jour voté une loi ni une résolution attestant du caractère génocidaire de l'extermination des Arméniens pendant la Première Guerre mondiale.

Sur le plan bilatéral arméno-israélien, il n'y a toujours pas d'ambassade d'Israël à Erevan, son représentant diplomatique résidant à Tbilissi, capitale de la Géorgie. Par ailleurs, les relations entre le gouvernement d'extrême droite israélien et la petite communauté chrétienne de Palestine sont extrêmement tendues à mesure que cette dernière s'oppose à la politique de judaïsation du quartier arménien de Jérusalem menée par des promoteurs immobiliers juifs israéliens. Et l'on ne compte plus les actes de racisme anti-arabes, qui visent aussi bien chrétiens que musulmans, en Cisjordanie, œuvre de colons fanatiques.

Parallèlement, il existe en Israël une partie non négligeable de la communauté juive issue de l'Azerbaïdjan post-soviétique qui, épaulée par Bakou, pilote des actions de lobbying redoutables dans les médias de droite et dans l'opinion publique israélienne. Elle organise notamment des voyages de rabbins en Azerbaïdjan, « terre de tolérance » où vivrait en toute sérénité une communauté juive ancestrale, qualifiant les Arméniens d'« antisémites ».

Une réalité géopolitique que les amis d'Israël dans la diaspora, souvent en bons termes avec les communautés arméniennes, tentent de masquer derrière le paravent confortable de la realpolitik. Face à cette montée des confessionnalismes, quelques voix en Israël rappellent à leurs dirigeants ce devoir moral, à l'instar de l'historien Israël Charny (1931-2024), pionnier dans l'étude des génocides, et Yaïr Auron, auteur d'un ouvrage de référence sur Israël et le génocide arménien5. Mais la solidarité des naufragés de l'Histoire demeure à ce jour subordonnée à la froide réalité des rapports de forces géopolitiques.

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1Nom que les Arméniens donnent à la République du Haut-Karabagh.

2NDLR. La population du Haut-Karabakh était estimée à 120 000 personnes, majoritairement arménienne. Cette majorité prédominante a été derrière la création de la république d'Artsakh, un État séparatiste établi en 1991. Après la prise de contrôle du territoire par les troupes azerbaïdjanaises le 19 septembre 2023, et la signature du cessez-le-feu le lendemain, 100 000 personnes ont quitté l'enclave montagneuse, soit la quasi-totalité de sa population.

3Vladimir (Ze'ev) Khanin et Alexander Grinberg, «  Why Azerbaijan Perfectly Fits Into the Abraham Accords Framework : Clarifications  », Centre Begin-Sadat, 15 mars 2025.

4Seth Cropsey et Joseph Epstein, «  Azerbaijan Is Israel's New Friend in the Muslim World  », Wall Street Journal, 14 mars 2025.

5Yaïr Auron, Israël et le génocide arménien, Éditions Sigest, 2017

01.09.2025 à 06:00

Gaza. Le retour du Hamas à la tactique de la guérilla

Leïla Seurat
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Malgré la poursuite des bombardements sur Gaza, les lourdes pertes et l'assassinat de nombre de ses dirigeants, le Hamas a réussi à reconstituer ses forces. L'adaptation de ses tactiques à un combat urbain que l'organisation maîtrise rend difficile pour les troupes israéliennes l'occupation de la bande, malgré leur nette supériorité militaire. Le 18 août 2025, le Hamas a accepté une nouvelle proposition de cessez-le-feu à Gaza. L'accord soumis par l'Égypte et le Qatar reprenait largement (…)

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Malgré la poursuite des bombardements sur Gaza, les lourdes pertes et l'assassinat de nombre de ses dirigeants, le Hamas a réussi à reconstituer ses forces. L'adaptation de ses tactiques à un combat urbain que l'organisation maîtrise rend difficile pour les troupes israéliennes l'occupation de la bande, malgré leur nette supériorité militaire.

Le 18 août 2025, le Hamas a accepté une nouvelle proposition de cessez-le-feu à Gaza. L'accord soumis par l'Égypte et le Qatar reprenait largement les propositions antérieures des États-Unis — qu'Israël avait d'abord soutenues, sans les approuver. Il prévoyait la libération de dix des 20 otages israéliens encore en vie, en échange d'une trêve de 60 jours. Contrairement aux propositions précédentes, le Hamas n'a demandé aucune modification du document et l'a accepté en quelques heures. Jusqu'à présent, Israël n'a pas donné suite à cette offre.

Changement de tactique

De nombreux observateurs ont interprété cette approbation immédiate par la partie palestinienne comme une marque de faiblesse, voire de désespoir. Selon cette lecture, au terme de près de deux années de bombardements et de siège incessants menés par Israël sur Gaza, l'assassinat des principaux dirigeants du Hamas et les attaques massives contre ses alliés dans la région, y compris l'Iran et le Hezbollah, le Hamas aurait désormais très peu de cartes en main.

Néanmoins, l'acceptation rapide de l'accord pourrait être autant une manœuvre stratégique qu'un signal de détresse. Certes, l'organisation politique du Hamas a subi de lourdes pertes et son autorité sur Gaza en ruines est fragile. Pourtant, malgré la destruction croissante, ses combattants sont demeurés actifs. Depuis le printemps 2025, ils ont intensifié les attaques contre les forces israéliennes à travers la bande, y compris une offensive de grande ampleur contre une base israélienne le 20 août, ainsi que d'autres opérations en juin et juillet ayant tué plusieurs soldats israéliens. Dans le même temps, ils ont accru leur coordination avec d'autres groupes armés à Gaza et renforcé leurs rangs, alors que la famine s'est généralisée au sein de la population.

Espoirs déçus

La résilience du Hamas repose sur une évolution de son approche de la guerre, qui a encore relevé les enjeux. Elle pourrait transformer la nouvelle campagne israélienne visant à s'emparer de Gaza-ville en un désastre militaire autant qu'humanitaire.

Pour comprendre la stratégie de survie du Hamas, il est nécessaire de retracer la mutation de ses objectifs. Lorsqu'elle a ordonné ses attaques du 7 octobre, la direction du Hamas à Gaza pensait que l'opération entraînerait rapidement ses alliés régionaux dans la guerre et provoquerait un soulèvement généralisé des Palestiniens, voire du public arabe. En somme, elle s'attendait à une répétition en plus grand de mai 2021, lorsque la confiscation par Israël de maisons palestiniennes à Jérusalem-Est avait déclenché une réponse collective sans précédent : soulèvements en Cisjordanie et dans des villes israéliennes, tirs de roquettes du Hezbollah et d'autres alliés depuis le Liban et la Syrie et barrage massif de roquettes par le Hamas depuis Gaza. Le 7 octobre devait reproduire cette « union des fronts », mais à une échelle bien plus large.

Au terme de près de 700 jours de guerre, ces objectifs sont déçus. À la suite de l'attaque unilatérale du Hamas depuis Gaza, les Palestiniens d'Israël ne se sont guère mobilisés, tandis que ceux de Cisjordanie ont été soumis à une répression israélienne intense. La plupart des alliés régionaux du Hamas sont restés en retrait. Le Hezbollah, malgré son arsenal puissant au Sud-Liban, a cherché à contenir plutôt qu'à élargir le conflit ; puis, en septembre 2024, il a été décapité par l'« opération bipeurs » israélienne. En décembre 2024, [la chute du régime de Bachar Al-Assad a coupé des routes d'approvisionnement militaires cruciales.

L'effondrement de ces fronts extérieurs s'est ajouté aux difficultés rencontrées à Gaza. Après la rupture du cessez-le-feu en mars 2025, Israël a d'abord concentré ses efforts sur les bombardements aériens, limitant les incursions terrestres. L'absence de combats urbains a empêché le Hamas de prendre l'initiative, le réduisant souvent au rôle de spectateur impuissant face aux massacres. Entre-temps, Israël a réoccupé une grande partie de la bande. Associée au blocus total de l'aide imposé en mars 2025, cette nouvelle offensive israélienne a aggravé la détresse de la population.

Réévaluation tactique

Les forces du Hamas ont alors changé d'approche. Le 20 avril 2025, un petit groupe de combattants a organisé une embuscade depuis un tunnel à Beit Hanoun, dans le nord de Gaza, dans une « zone tampon » contrôlée par Israël. Utilisant des lance-roquettes et des bombes artisanales, ils ont renversé un véhicule militaire israélien, tué un soldat et blessé plusieurs autres. Depuis, des groupes similaires ont multiplié ces actions à travers la bande. Le 24 juin, les Brigades Al-Qassam, la branche armée du Hamas, ont tué sept soldats israéliens à Khan Younès, dans le sud de l'enclave. Le 7 juillet, encore à Beit Hanoun, ils ont attaqué un convoi de chars à quelques mètres de la frontière, tuant cinq soldats et en blessant quatorze. Le 15 juillet, à Jabaliya, toujours dans le nord, trois autres soldats ont été tués dans une embuscade visant une équipe d'ingénieurs israéliens. Le 22 juillet, à Deir El-Balah, une opération a ciblé un convoi militaire et un char de combat Merkava.

Ces attaques se sont intensifiées et ont gagné en audace. Mi-août, alors que l'armée israélienne reprenait ses incursions dans les zones résidentielles, les opérations du Hamas se multipliaient à l'est de Gaza-ville, notamment dans les quartiers de Tuffah, Zaytoun et Chajaya. Le 20 août, 18 combattants ont mené une attaque coordonnée contre un campement militaire israélien à Khan Younès, utilisant des roquettes et des mitrailleuses à courte portée — une opération d'ampleur, possiblement destinée à capturer des soldats, qui a exigé une préparation et une coordination considérables.

Ces actions s'inscrivent dans une réévaluation tactique du Hamas, qui cherche à transformer les objectifs élargis d'Israël en autant d'opportunités. Malgré la supériorité militaire écrasante de l'État israélien, l'organisation mise sur la guerre asymétrique et la détermination de ses combattants. Alors qu'Israël réduisait ses incursions urbaines, elle a commencé à cibler les soldats dans les « zones tampons ».

Comme l'ont reconnu des responsables israéliens, le Hamas a reconstitué ses forces, même dans des secteurs que l'armée pensait avoir « nettoyé ». Aujourd'hui, alors qu'Israël cherche à s'emparer de larges portions de Gaza-ville, il doit affronter une guérilla urbaine dans un terrain connu par cœur du Hamas. Ces tactiques pourraient être particulièrement efficaces dans le labyrinthe des ruines de Gaza-ville, où le Hamas dispose encore d'un vaste réseau et où Israël avait jusqu'ici évité des incursions majeures.

Une autre forme de puissance

En dépit de l'isolement extérieur et de la pression croissante, les combattants du Hamas ont fait preuve d'une étonnante capacité de résistance. La faculté du mouvement à renouveler ses effectifs est une caractéristique ancienne : il a toujours réussi à garder un ancrage fort dans la société palestinienne malgré de lourdes pertes. La guerre actuelle ne fait pas exception. La mort de dirigeants majeurs — Yahya Sinouar, chef du Hamas à Gaza et cerveau des attaques du 7 octobre ; Mohammed Deif, chef militaire ; et Marwan Issa, son adjoint — n'a eu que peu d'impact visible sur sa capacité opérationnelle.

Le nombre exact de combattants reste flou. Mi 2024, Israël affirmait que 17 000 militants avaient été tués depuis octobre 2023, dont « la moitié de la direction » militaire. Mais en mai 2025, des sources israéliennes reprises dans une base de données révélée par The Guardian et le magazine en ligne +972 reconnaissaient seulement la mort de 8 900 combattants (du Hamas et du Jihad islamique) nommément identifiés. Des services américains estimaient même que le Hamas avait pu recruter jusqu'à 15 000 nouveaux combattants depuis le début de la guerre. Si ces chiffres sont corrects, plus de 80 % des 53 000 morts recensés en mai 2025 depuis octobre 2023 sont donc des civils1.

Paradoxalement, l'escalade israélienne nourrit la résilience du Hamas. Le désespoir croissant des civils de Gaza a provoqué des protestations anti-Hamas, notamment après le blocus total de l'aide en mars. L'organisation palestinienne a tantôt toléré ces manifestations, tantôt les a réprimées. Mais Israël a aussi cherché à exacerber les divisions en armant une milice anti-Hamas à Rafah dirigée par Yasser Abou Shabab, un trafiquant notoire évadé de prison et qui a des liens avec le Fatah. Selon l'ONU, cette milice détourne des convois d'aide, alimentant l'idée que le Hamas volerait la nourriture — une stratégie de division qui vise à préparer le « jour d'après » à Gaza.

Cependant, cette approche a aussi renforcé la résistance populaire : de nombreux Gazaouis perçoivent désormais la guerre comme une entreprise d'extermination. L'impopularité de la milice d'Abou Shabab est telle que sa propre famille a demandé sa mort. Dans le même temps, de jeunes Palestiniens non formés rejoignent de plus en plus les Brigades Al-Qassam pour mener des actions de guérilla. Malgré les bombardements et la fragmentation du territoire, la capacité d'action armée n'est pas éradiquée.

Un autre atout essentiel du Hamas reste son réseau de tunnels. Même après des mois de bombardements et l'usage de technologies avancées, Israël n'a pas réussi à détruire cet « État souterrain », qui permet de cacher des otages, de protéger les combattants et de lancer des attaques. Cette incapacité est la marque de l'asymétrie du conflit : d'un côté, des systèmes d'armement sophistiqués et coûteux, de l'autre, des roquettes artisanales et des tunnels.

Isolé, mais pas seul

Bien que le Hamas ait espéré un soutien régional après le 7 octobre, son organisation à Gaza a toujours agi de manière autonome. Le groupe n'a pas partagé les détails de l'attaque avec ses alliés de l'« axe de résistance » et en a été manifestement le seul instigateur. En compensation, il a resserré ses liens avec d'autres factions à Gaza, notamment le Jihad islamique avec lequel il collabore depuis longtemps. Leur salle des opérations communes, créée en 2006, coordonne désormais une douzaine d'organisations palestiniennes.

Récemment, des fissures sont néanmoins apparues dans cette coalition : certaines factions ont demandé au Hamas de mettre fin à la guerre et critiqué sa lenteur à accepter un cessez-le-feu — ce qui pourrait expliquer l'acceptation immédiate de la proposition du 18 août 2025. Mais la détermination à continuer le combat reste partagée : pour les Brigades Al-Qassam, seule la pression militaire pourra forcer le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou à accepter un cessez-le-feu durable.

Israël entre le Hamas et l'enclume

Après deux ans de guerre, les forces et faiblesses du Hamas sont presque l'inverse de celles d'Israël. Celui-ci dispose d'immenses ressources militaires, mais peine à mobiliser assez de troupes pour son invasion de Gaza-ville ; le Hamas, malgré des pertes massives, continue de recruter. Tandis qu'il intensifie ses opérations, Israël perd davantage de soldats au sol et rencontre des difficultés à faire venir ses réservistes.

La proposition de cessez-le-feu du 18 août n'était pas nouvelle. Inspirée d'un plan antérieur de l'émissaire étatsunien Steve Witkoff, elle prévoyait un retrait total des troupes israéliennes et permettait à Israël de reprendre la guerre au terme de deux mois de halte. Le Hamas avait déjà accepté des versions similaires auparavant. Nétanyahou, cependant, aborde ces propositions non comme des négociations, mais comme un moyen d'obtenir par la politique ce qu'Israël n'a pu obtenir par la force. Fin août, il a exigé un accord « tout ou rien » que les médiateurs jugent irréalisable.

Nétanyahou tente désormais de pousser l'armée à entrer dans les tunnels de Gaza-ville, malgré l'opposition des responsables militaires qui estiment qu'une telle opération prendrait plus d'un an et serait extrêmement dangereuse. Faute d'avoir atteint ses objectifs contre le Hamas, Israël a intensifié ses attaques au Liban, en Syrie, au Yémen et même contre l'Iran, pour détourner l'attention de son échec à Gaza. Ainsi se creuse un gouffre entre l'image de la guerre que le gouvernement israélien veut projeter et la réalité sur le terrain.

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Traduit de l'anglais par Laurent Bonnefoy et reproduit avec l'autorisation de Foreign Affairs.

Cet article a été initialement publié le 26 août 2025 sous le titre « The New Hamas Insurgency. How the Embattled Group Is Drawing Israel Further Into an Unwinnable War ».
© 2025 Foreign Affairs


1Yuval Abraham, «  Israeli army database suggests at least 83% of Gaza dead were civilians  », +972 Magazine, 21 août 2025.

01.09.2025 à 06:00

Au rythme où les journalistes sont tués à Gaza par l'armée israélienne, il n'y aura bientôt plus personne pour vous informer.

Avaaz, Reporters sans frontières
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Texte intégral (2805 mots)

29.08.2025 à 06:00

Sonallah Ibrahim. La fiction comme quête de la vérité

Richard Jacquemond
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Critique du capitalisme et de l'hégémonie occidentale, communiste dans l'Égypte de Gamal Abdel Nasser, dont il fréquente les geôles, observateur incisif de la société, Sonallah Ibrahim a marqué la littérature arabe de son style épuré, incarnant très tôt l'avant-garde. Il est mort le 13 août, à l'âge de 88 ans. L'écrivain égyptien Sonallah Ibrahim nous a quittés il y a quelques jours, au terme d'une carrière littéraire longue de cinq décennies, qui l'a imposé comme l'une des incarnations (…)

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Critique du capitalisme et de l'hégémonie occidentale, communiste dans l'Égypte de Gamal Abdel Nasser, dont il fréquente les geôles, observateur incisif de la société, Sonallah Ibrahim a marqué la littérature arabe de son style épuré, incarnant très tôt l'avant-garde. Il est mort le 13 août, à l'âge de 88 ans.

L'écrivain égyptien Sonallah Ibrahim nous a quittés il y a quelques jours, au terme d'une carrière littéraire longue de cinq décennies, qui l'a imposé comme l'une des incarnations les plus réussies de l'idéal de la république arabe des lettres. Il portait en lui une littérature à la fois pure et engagée, une littérature prête à expérimenter tous les outils développés par la narrativité moderne, pourvu qu'ils servent l'ambition de l'écrivain, à savoir dire la vérité à la société, dans un contexte où dire la vérité est un acte politique, un appel au changement. Si beaucoup d'autres ont incarné cet idéal, chacun à sa manière, Sonallah Ibrahim occupe une place singulière dans le champ littéraire arabe parce qu'il s'est toujours efforcé de lui être fidèle dans son mode de vie et dans ses choix professionnels, jusqu'à un point où peu de ses pairs ont voulu ou pu le suivre.

Dans le contexte égyptien, cela signifie une série de choix difficiles, comme celui d'éviter autant que possible tout compromis avec les puissances extérieures qui entament la liberté du créateur. Sonallah Ibrahim n'a jamais occupé de poste public, à l'exception des deux années (1966-1968) où il est journaliste à la Middle East News Agency (Agence de presse du Moyen-Orient, MENA), l'agence de presse nationale ; fait rarissime dans le milieu littéraire égyptien et arabe, il s'est toujours tenu à distance de l'édition et de la presse sous contrôle de l'État (égyptien ou d'autres pays arabes) — rares exceptions, les ouvrages qu'il écrivit dans les années 1970 pour Dar Al-Fata Al-Arabi, la maison d'édition jeunesse créée par des intellectuels palestiniens avec l'appui de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP). Ces choix qui visent à préserver son autonomie l'amènent à renoncer aux ressources ordinaires des écrivains arabes et, comme il ne pouvait espérer un revenu suffisant de la vente de ses livres, l'homme s'astreint à un mode de vie frugal, à l'encontre de la convention sociale égyptienne qui veut que l'époux soit le principal soutien de famille.

L'intellectuel marginal

Pour le dire en termes bourdieusiens, la trajectoire de Sonallah Ibrahim est une expression remarquable de la quête d'autonomie de l'écrivain1, l'un des exemples les plus saillants, dans le champ littéraire égyptien contemporain, de la règle d'or du jeu à « qui perd gagne » : perdre en gains matériels signifie gagner symboliquement, c'est-à-dire gagner la reconnaissance du champ restreint, celle des pairs et de tous ceux, critiques et lecteurs, qui valorisent l'autonomie de l'écrivain.

Le point d'orgue en est sans doute ce jour d'octobre 2003 où il refuse le prix du Caire pour la création romanesque (et le chèque qui l'accompagne) qui lui était décerné par Farouk Hosni, ministre égyptien de la culture. En mettant en scène son geste dans un discours retentissant prononcé lors de la cérémonie même où il était censé recevoir le prix, Sonallah Ibrahim a acquis un prestige moral considérable non seulement auprès de ses pairs, mais aussi de nombre de ses compatriotes, au point que ce geste sera vu rétrospectivement, après la révolution de Tahrir, comme un des premiers clous plantés dans le cercueil du régime de Moubarak (1981-2011).

Cette trajectoire avait été inaugurée en 1966 par Cette odeur-là2, un très court roman censuré sitôt après sa parution, qui devient très vite le texte culte de la nouvelle avant-garde littéraire égyptienne, cette « génération des années 1960 » qui, à la suite des Naguib Mahfouz (1911-2006) et Youssef Idris (1927-1991), fait entrer la fiction arabe de plain-pied dans la modernité littéraire. Cette odeur-là, écrit à partir du journal que tient alors Sonallah Ibrahim, est une sorte d'autofiction où le narrateur, un jeune homme comme lui récemment libéré de prison, décrit ses frustrations au moyen d'une « écriture blanche »3, totalement neuve dans l'écriture arabe.

Pour comprendre la genèse de ce texte révolutionnaire, il faut revenir sur la biographie de son auteur — et sur une histoire familiale très particulière, dont il donnera quarante ans plus tard un écho poignant, également autofictionnel, dans Le Petit Voyeur4.

Sonallah Ibrahim est né du second mariage de son père avec la jeune garde-malade — de quarante ans sa cadette — qu'il avait embauchée pour soigner sa première épouse. Cette naissance inattendue serait à l'origine de ce prénom original, Son‘ Allah, « l'œuvre de Dieu ». Las, la jeune femme doit très vite être internée en hôpital psychiatrique et Sonallah est élevé par ce père, fonctionnaire à la retraite appauvri, qui lui transmet le goût de la lecture.

Ces circonstances, dans le contexte historique de l'après-seconde guerre mondiale, forment un adolescent révolté, passionné de littérature et très tôt politisé. À 18 ans, il perd son père et abandonne ses études pour devenir un militant à plein temps (et clandestin) au sein du Parti communiste égyptien. Les communistes ont beau soutenir Nasser, ils sont réprimés par le régime qui ne tolère aucun pluralisme politique. Le 1er janvier 1959, il est arrêté avec quelques centaines d'autres camarades. Il restera détenu jusqu'au printemps 1964. C'est dans ces années de prison, qu'il compare à une véritable université, qu'il décide d'abandonner la politique, sans, toutefois, renier ses idées, et de devenir écrivain.

Cette odeur-là porte en exergue une citation du romancier irlandais James Joyce : « Je suis un produit de cette race, de ce pays, de cette vie, et je m'exprimerai tel que je suis » (Portrait de l'artiste en jeune homme, 1916). Dans nombre des romans d'Ibrahim, on retrouve ce lien intime entre quête individuelle et recherche de la vérité sociale, qu'il exprime l'une et l'autre sans voile ni fioritures. Dans Étoile d'août en 19745, Le Comité en 19816 et Beyrouth Beyrouth en 1984 (non traduit), ces quêtes sont le fait d'un narrateur à la première personne qui ressemble à l'auteur : c'est un jeune intellectuel embarqué dans une tentative de compréhension du monde qui nous est présenté d'une manière propre à suggérer que sa position, celle de l'intellectuel marginal, sans liens ni allégeances, est la seule qui permette de dévoiler le fonctionnement des pouvoirs économique, politique et idéologique et révéler leur collusion sans les filtres auxquels les autres intellectuels doivent se soumettre parce que leur parole est soumise à des contraintes diverses. Les efforts de ces narrateurs n'aboutissent jamais complètement : ils recueillent des bribes de discours, des fragments de vérité — qui émaillent le récit fictionnel sous la forme de collages de documents ou de pseudo-documents —, mais ils ne parviennent pas à assembler toutes les pièces du puzzle. Cependant, ils se placent dans la meilleure position pour le faire, en restant en marge ou à l'extérieur de ces appareils.

Ces trois romans, ainsi que la parution en 1987 de la première édition non censurée et non expurgée de Cette odeur-là, ont consacré Sonallah Ibrahim comme membre éminent de l'avant-garde littéraire égyptienne et arabe. L'intellectuel marginal confronté aux pièges et aux persécutions des pouvoirs est désormais un écrivain au sommet de son art et de sa carrière.

L'écrivain consacré

La maîtrise de son écriture se donne à lire dans ses romans des années 1990 : Les Années de Zeth7, Charaf ou l'honneur8 et Warda9. Bien que très différents, ils forment une sorte de trilogie, comme l'indique leur titre correspondant au prénom de leurs héros et héroïnes — des prénoms soigneusement choisis pour leur signification.

Dans Les Années de Zeth, chef-d'œuvre d'ironie et d'humour noir, le narrateur omniscient instaure une distance maximale entre son héroïne, personnage aussi banal que médiocre, et lui-même. Tout se passe comme si, en inventant cet alter ego dérisoire10, Ibrahim avait finalement réussi non seulement à assumer pleinement sa marginalité sociale, mais aussi à en faire l'instrument par excellence de son programme de compréhension du monde.

Pour ce faire, il pousse à un haut degré de perfectionnement la technique du collage de coupures de presse qu'il avait déjà utilisée. La réalité telle qu'elle est présentée dans la presse égyptienne apparaît contradictoire, sujette à des récits incomplets et conflictuels, mais, en sélectionnant et en arrangeant les coupures de presse, Sonallah Ibrahim donne à son lecteur les clés pour la comprendre, tout en se plaçant dans une position souveraine : il est celui qui est à même de donner un sens à tout cela, de construire un tableau encyclopédique de l'Égypte des années 1980. Au narrateur omniscient des Années de Zeth correspond un auteur omniscient, un écrivain au sommet de ses moyens, qui nous donne une des plus belles réussites de la fiction arabe contemporaine.

Dans Charaf ou l'honneur, le héros est, à l'instar de Zeth, un Monsieur Tout-le-Monde sans aspérité, condamné à une lourde peine d'emprisonnement pour avoir défendu son « honneur » (sens du prénom Charaf en arabe). Le roman se déroule presque entièrement en prison, que l'auteur construit comme le miroir inversé d'une société rongée par la corruption. Et même si le milieu carcéral qu'il décrit, sur la base d'une véritable enquête ethnographique, est celui des années Moubarak et non celui qu'il a connu sous Nasser, son expérience s'y exprime de diverses manières, et notamment à travers l'autre héros du roman, Ramzi Boutros, cadre supérieur d'une multinationale pharmaceutique, piégé par ses patrons après qu'il a tenté de dénoncer les pratiques de corruption de l'entreprise en Égypte.

Dernier opus de cette trilogie, Warda est aussi le premier où Ibrahim nous présente un héros positif — une héroïne en l'occurrence : Warda, « rose » de la révolution, leader (fictionnelle) de la guérilla du Dhofar qui secoua le sultanat d'Oman dans les années 1960-1970. Le récit alterne entre 1992, moment où le narrateur, un intellectuel égyptien, séjourne à Mascate, et l'époque de Warda, occasion pour l'auteur de rendre un bel hommage aux idéaux de sa jeunesse, mais aussi de s'interroger sur les causes de l'échec du rêve révolutionnaire des années 1960 et sur l'état du monde arabe après la guerre du Golfe.

Tout comme Warda est inspiré par un séjour de Sonallah Ibrahim à Oman, plusieurs de ses romans suivants sont fondés sur ses voyages dans différents pays. Amrikanli, Un automne à San Francisco11, né de son séjour en tant que professeur invité à Berkeley à la fin des années 1990, aurait pu être intitulé « le déclin de l'empire américain », tandis que Le Gel12, écrit à partir de son journal d'étudiant à l'Institut de cinématographie de Moscou entre 1971 et 1974, brosse un tableau sans complaisance du « socialisme réel ». Outre la grande richesse documentaire de tous ces romans, un trait constant de l'écriture de Sonallah Ibrahim est sa manière extérieure, dénuée de tout jugement moral comme de tout tabou, de décrire l'intimité de ses personnages. De ce point de vue aussi, il sera resté toute sa vie fidèle aux idéaux de sa jeunesse.

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1NDLR. L'autonomie est un terme employé par les sociologues de la littérature pour penser l'organisation du champ littéraire au sein des sociétés modernes. Il désigne sa capacité à s'autodéterminer et à s'autoréguler en fonction de règles, d'intérêts et de hiérarchies qui lui sont propres. Pour Bourdieu, l'autonomie est une force de résistance contre l'instrumentalisation de la littérature au profit d'intérêts extérieurs qu'ils soient économiques, moraux, politiques ou religieux.

2Sonallah Ibrahim, Cette odeur-là, trad. Richard Jacquemond, Actes Sud, 1992.

3Style littéraire le plus neutre dans sa forme, visant au minimalisme, voire à une froideur clinique, afin de se focaliser sur le fond, les idées, les émotions, de manière directe.

4Sonallah Ibrahim, Le Petit Voyeur, trad. Richard Jacquemond, Actes Sud, 2008.

5Sonallah Ibrahim, Étoile d'août, trad. Jean-François Fourcade, Actes Sud (Babel), 2022 (1re éd. Sindbad, 1987).

6Sonallah Ibrahim, Le Comité, trad. Yves Gonzalez-Quijano, Actes Sud, 1992.

7Sonallah Ibrahim, Les Années de Zeth, trad. Richard Jacquemond, Actes Sud, 1993.

8Sonallah Ibrahim, Charaf ou l'honneur, trad. Richard Jacquemond, Actes Sud, 1999.

9Sonallah Ibrahim, Warda, trad. Richard Jacquemond, Actes Sud, 2002.

10«  Zeth  », est la transcription phonétique de «  ذات  », prénom de l'héroïne du roman, qui signifie entre autres «  soi, sujet  ». Comme le relève Samia Mehrez, Sonallah Ibrahim pourrait dire, à l'instar de Flaubert à propos de Madame Bovary : «  Zeth, c'est moi  !  » (S. Mehrez, Egyptian Writers between History and Fiction. Essays on Naguib mahfouz, Sonallah Ibrahim and Gamal al-Ghitani, Le Caire, AUC Press, 1994).

11Sonallah Ibrahim, Amrikanli. Un automne à San Francisco, trad. Richard Jacquemond, Actes Sud, 2005.

12Sonallah Ibrahim, Le Gel, trad. Richard Jacquemond, Actes Sud, 2015.

28.08.2025 à 06:00

Égypte – Israël. Répression des voix contre la normalisation

Adel Kamel
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La poursuite de l'offensive menée par Israël à Gaza et l'intensification de la famine organisée ont provoqué davantage de contestations du rôle joué par l'Égypte, accusée de complicité. Même si elles restent réduites et à portée limitée, les actions se sont multipliées. Ce qui n'entrave pas pour autant la relation entre Le Caire et Tel-Aviv. « Le gaz appartient à la Palestine ! » Ce slogan, parmi d'autres, a été tonné, le 13 août, par les dizaines de militants et journalistes rassemblés (…)

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Texte intégral (3322 mots)

La poursuite de l'offensive menée par Israël à Gaza et l'intensification de la famine organisée ont provoqué davantage de contestations du rôle joué par l'Égypte, accusée de complicité. Même si elles restent réduites et à portée limitée, les actions se sont multipliées. Ce qui n'entrave pas pour autant la relation entre Le Caire et Tel-Aviv.

« Le gaz appartient à la Palestine ! » Ce slogan, parmi d'autres, a été tonné, le 13 août, par les dizaines de militants et journalistes rassemblés au Caire sur les marches du syndicat des journalistes égyptiens. Ces derniers s'étaient donné rendez-vous à la suite de l'assassinat ciblé par Israël, trois jours auparavant, du journaliste Anas Al-Sharif et de cinq autres confrères gazaouis. Ils protestaient également contre l'annonce, le 7 août, par l'entreprise israélienne NewMed Energy, d'un amendement à son contrat d'exportation de gaz vers l'Égypte, évalué à 35 milliards de dollars (29 milliards d'euros) pour 130 milliards de mètres cubes sur quinze ans.

En 2008, l'Égypte était le principal exportateur de gaz vers Israël. Mais la situation s'est progressivement inversée avec la découverte par Tel-Aviv des champs gaziers de Léviathan et de Tamar 2 dans le bassin Levantin. Elle a aussi été bouleversée par la remise en cause des accords d'exportation après la chute du président Hosni Moubarak en 2011, ainsi que par la forte augmentation de la demande intérieure égyptienne. Bien que la compagnie italienne ENI ait découvert en 2015, au large de l'Égypte, le gigantesque gisement gazier de Zohr — le plus grand de Méditerranée orientale —, cette tendance n'a fait que s'accentuer. Et la guerre à Gaza depuis bientôt deux ans n'y a rien changé. Déjà en février 2024, un accord avait été signé pour augmenter la production et l'exportation de gaz depuis Tamar 2 vers l'Égypte. Des infrastructures terrestres d'exportation sont d'ailleurs en cours d'aménagement. Comme le précise NewMed Energy, un projet de pipeline entre les deux États au niveau du point de passage de Nitzana, dans le désert du Néguev, reste prévu pour 2029, malgré les retards.

Cela ne concerne pas uniquement la dépendance énergétique. Comme le révèle une enquête du média d'investigation Zawia3, les échanges commerciaux entre l'Égypte et Israël se sont aussi accrus depuis le 7 octobre 2023. Le Caire y exporte principalement des matériaux de construction, des matières premières alimentaires et des produits chimiques1. De manière générale, les ports égyptiens ne cessent d'accueillir des marchandises israéliennes — les échanges sont presque quotidiens comme le démontre le suivi en direct de la circulation maritime. Les frontières ne sont pas fermées aux touristes israéliens — preuve en est l'afflux d'Israéliens dans le Sinaï mi-juin, en plein conflit avec l'Iran. L'ambassade israélienne située dans le quartier chic de Ma'adi, dans le sud du Caire, reste également ouverte, malgré le refus égyptien d'accréditer Ori Rothman comme nouvel ambassadeur.

Maintien des accords de Camp David

En dépit de certaines menaces rhétoriques en cas d'attaque contre Rafah et d'occupation de l'axe de Philadelphie, les accords de paix de Camp David de 1979 n'ont pas été remis en cause. Par ailleurs, la requête d'un juriste égyptien de les soumettre à référendum est restée lettre morte2. Début 2025, l'Égypte a cependant fermement rejeté le plan de déplacement forcé de Gazaouis sur son territoire proposé par le président étatsunien Donald Trump. Et ce, pour plusieurs raisons pragmatiques de sécurité. D'abord, éviter de s'exposer à davantage de frappes israéliennes, même si des bombardements dans le Sinaï sont déjà avérés. Ensuite, par crainte de nourrir la rébellion irrédentiste et djihadiste du Sinaï. Enfin, par souci de limiter tout renforcement de l'influence des Frères musulmans sur son territoire. Dans le même temps, Israël a lancé une campagne diplomatique et médiatique contre l'Égypte. Il l'accuse de violer les accords de paix en raison d'une militarisation accrue du Sinaï. L'objectif est de mettre Le Caire sous pression et de l'amener à accepter le plan de déportation. En vain.

Le 25 juillet, le jour de sa libération après 41 ans de prison en France, le militant Georges Abdallah, à son arrivée à Beyrouth, a salué les actions collectives et la solidarité ayant permis sa sortie de prison. Il a aussi appelé à la poursuite de la résistance en Palestine et a accusé des « millions d'Arabes assis qui regardent » alors que des enfants meurent de faim. Avant d'ajouter : « Si deux millions d'Égyptiens descendaient dans la rue, le massacre ne continuerait plus, il n'y aurait plus de génocide. »

Multiplication des actions

Depuis l'été 2025, face à l'intensification de la famine organisée par Israël à Gaza — et, en particulier, ses ciblages délibérés dans les centres de distribution alimentaire de la Gaza Humanitarian Foundation (GHF) —, les actions de protestation contre l'Égypte ont augmenté et se sont diversifiées, d'aucuns l'accusant de complicité.

Mi-juin, plus d'un millier de personnes se sont rendues au Caire pour la Marche mondiale vers Gaza. Cette initiative émanait d'une coalition internationale d'associations et visait à rejoindre la frontière. Selon ses propres termes, il s'agissait de « négocier l'ouverture du terminal de Rafah avec les autorités égyptiennes, en collaboration avec les ONG, les diplomates et les organisations humanitaires ». Des centaines de participants ont toutefois été détenus par le régime — certains le sont encore aujourd'hui —, d'autres ont été molestés à Ismaïlia, dans le nord-est du pays. Karim* est arrivé par avion en Égypte avec une dizaine d'autres Tunisiens. Il s'était préparé aux interrogatoires des agents de renseignement à l'aéroport. Il s'estime heureux que son portable n'ait pas été fouillé. Avec sa délégation, ils se sont répartis dans différents hôtels, pour échapper à une surveillance omniprésente. Il décrit un climat de « suspicion généralisée », affirmant qu'avec son groupe ils ont cherché à se rendre à Ismaïlia, mais en ont été dissuadés en raison de la menace d'arrestation. La marche reste, pour lui, un succès étant donné qu'elle a « renforcé des réseaux de solidarité internationale » et qu'elle a mis en lumière « la complicité des autorités égyptiennes dans le génocide en cours ».

Le 25 juillet, le commissariat Al-Maasara, au sud du Caire, a été occupé plusieurs heures par un groupe de jeunes. Indignés par la situation dans l'enclave palestinienne et la répression en Égypte, ils demandaient aux fonctionnaires de police de « lever le siège de Gaza ». L'action a été filmée et largement diffusée sur les réseaux sociaux. Deux hommes, Mohsen Mustafa et Ahmed Wahab, soupçonnés d'y avoir participé, ont depuis été victimes de disparition forcée. Ce type d'actions, avec les risques évidents qu'il charrie, restent très rares depuis le coup d'État militaire de 2013.

C'est également fin juillet qu'un jeune égyptien, Anas Habib, s'est filmé attachant un antivol à la porte de l'ambassade égyptienne de La Haye. Il a ensuite répandu de la farine au sol, pour dénoncer la « fermeture de la frontière ». La vidéo a été aussi largement diffusée. Elle a, depuis, inspiré une myriade d'actions similaires à l'encontre des emprises diplomatiques égyptiennes dans le monde entier, comme à Londres, Copenhague, Bagdad, New York, Istanbul, Dublin, Helsinki, Tunis, Beyrouth, Vienne, Damas et même… Tel-Aviv. Le 21 août, alors qu'ils tentaient d'enchaîner la porte du consulat égyptien à New York, deux jeunes hommes ont été emmenés de force à l'intérieur et violentés par les agents consulaires, avant que la police n'intervienne. Dans un enregistrement audio fuité quelques jours auparavant, le ministre égyptien des affaires étrangères, Badr Abdelatty, avait prévenu que « quiconque s'en prendrait à l'ambassade, nous lui ferons payer » (littéralement : « Nous énucléerons l'œil de son père »). Des paroles et méthodes qui témoignent aussi de la tension actuelle.

Ces initiatives ont pour objectif de mettre à nu les conséquences de la normalisation entre Le Caire et Tel-Aviv. Cependant, elles sont loin de faire l'unanimité dans l'opinion publique qui estime qu'elles devraient se concentrer contre Israël et ses soutiens occidentaux.

Les militants rassemblés devant le syndicat des journalistes égyptiens, mi-août, ont également dénoncé cette normalisation : « On le répète génération après génération, nous ne reconnaîtrons jamais Israël. » Ahmed*, journaliste militant, était parmi eux : « Le régime prétend condamner le génocide alors qu'il arrête quiconque manifeste sa solidarité, cela n'a aucun sens. On ne peut plus tolérer cette hypocrisie, il est temps de changer de paradigme. » À la tête de ce syndicat, Khaled Al-Bashy, journaliste indépendant, reconduit pour un deuxième mandat en mai dernier, a permis d'accentuer la solidarité de cette structure avec la Palestine. Bien qu'il tisse des liens avec d'autres syndicats dans la région, celui-ci apparaît relativement isolé dans le plus peuplé des pays arabes.

Une solidarité risquée

La majorité de la société égyptienne est solidaire avec la Palestine, consciente de cette injustice historique et honteuse de la normalisation avec Israël. Cela s'est même traduit par des manifestations dans les rues du Caire, jusqu'à la place Tahrir, fin 2023 — un fait suffisamment inédit pour être souligné, même si elles étaient sous contrôle sécuritaire. Les symboles palestiniens (keffieh, drapeaux) restent valorisés dans l'espace public, et différentes campagnes de boycott économique ont été lancées en Égypte3. Dina*, journaliste égyptienne ayant travaillé sur le sujet, nous le confirme :

Le boycott économique se poursuit de manière continue, surtout de la part des classes populaires, à l'encontre des fast-foods, des boissons — gazeuses et eau minérale —, et même des produits d'hygiène et de soin pour femmes. Des branches d'entreprises internationales ont dû fermer et une pléthore d'alternatives locales ont émergé, malgré, parfois, des hausses de prix.

Mais cette solidarité n'est pas exempte de risques. Pour l'avoir exprimé publiquement, certains manifestants sont toujours en détention aux côtés de 60 000 autres prisonniers politiques, comme l'estiment plusieurs associations de droits humains. D'autres personnalités continuent d'être, encore aujourd'hui, harcelées par les autorités égyptiennes. C'est le cas d'Ahmed Douma, poète et figure de la Révolution. Il a été inculpé le 29 juillet par le parquet de la sûreté de l'État pour « diffusion de fausses informations » en raison de la publication sur X de messages de solidarité avec Gaza. Il avait notamment appelé à une coordination citoyenne pour livrer de la nourriture à l'enclave palestinienne par tous les moyens possibles. Ahmed Douma a déjà passé dix ans en détention, dont sept et demi en isolement, avant d'être libéré en août 2023. Il a pour l'heure été relâché sous caution.

Début août, la journaliste Lina Attalah, cofondatrice et rédactrice en chef d'une des rares voix indépendantes en Égypte, Mada Masr, a elle aussi été convoquée par ce même parquet. Elle est accusée de gérer un média sans licence et de « diffuser de fausses nouvelles à des fins de déstabilisation ». Mada Masr avait en particulier révélé, début 2024, dans une enquête très fouillée, le business des passages vers et depuis Gaza, aux mains du magnat Ibrahim Al-Argany, proche de l'appareil sécuritaire égyptien. Les coûts, exorbitants, pouvaient atteindre jusqu'à 11 000 dollars par Palestinien (environ 9 000 euros)4.

Une bataille narrative

Au-delà de la répression, et témoignant d'une certaine fébrilité, les autorités égyptiennes sont rapidement rentrées dans la bataille narrative. Elles ont accusé notamment les Frères musulmans d'être à l'origine de ces campagnes de dénigrement. Le président Sissi est intervenu personnellement plusieurs fois ces dernières semaines, à l'adresse « de tous les Égyptiens » et a dénoncé un « génocide systématique » à Gaza. Une conférence de presse a également été orchestrée à Rafah début août pour témoigner de la reprise des convois humanitaires. Même les forces armées ont diffusé une vidéo recensant l'ensemble de l'aide fournie aux « frères palestiniens » : 45 125 camions, pour 500 000 tonnes de nourriture et d'aide médicale (dont 70 % d'origine égyptienne), 209 ambulances, 168 opérations de parachutage et l'accueil de 18 560 blessés palestiniens. Elles ont aussi fustigé la destruction et le blocage des points de passage par Israël.

Ces interventions officielles se concentrent sur le volet humanitaire de la situation à Gaza, en occultant toute responsabilité et en se gardant de proposer d'autres horizons politiques. Elles s'inscrivent uniquement dans le cadre conceptuel des accords de paix de Camp David et de la dotation militaire de 1,3 milliard de dollars (1,1 milliard d'euros) transférée chaque année par Washington.

La menace de déstabilisation régionale constitue le credo de la contre-révolution autoritaire dans toute la région. Elle s'appuie sur les conflits en Libye à l'ouest, au Soudan et au Yémen au sud, ainsi qu'en Syrie plus à l'est. Ce discours trouve d'autant plus d'écho que la plupart des Égyptiens restent avant tout préoccupés par leur survie quotidienne dans un pays marqué par une forte dépréciation de la monnaie, une inflation autour de 30 % en 2024, et un taux de pauvreté qui a doublé en vingt ans. C'est peut-être en cela que la Palestine ne résonne plus comme une cause universelle pour tout le monde. Un péché d'indifférence universellement partagé.

Plume littéraire et critique sous tous les régimes de l'Égypte moderne, Sonallah Ibrahim est décédé le 13 août dernier. En 2003, il s'était excusé de devoir refuser un prix de la part du gouvernement Moubarak, qui « opprime son peuple, entretient la corruption et tolère la présence d'un ambassadeur israélien alors qu'Israël tue et viole ». Plus de deux décennies plus tard, ses paroles continuent tristement de résonner.

(*Les prénoms ont été modifiés afin de préserver l'anonymat)

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1«  Egypt and Israel : Trade Growth Amidst Political Tension  », Zawia3, 25 avril 2025.

2Abdul Karim Salim, «  Lawsuit in Egypt demands Sisi put 1979 Israel peace treaty to referendum  », The New Arab, 23 avril 2025.

3Mohamed Atef, Rabab Azzam, «  The Impact of Boycotting Israeli Products in Egypt  », Zawia3, 25 novembre 2023.

4«  The Argany peninsula  », Mada Masr, 13 février 2024.

10 / 10

 

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