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04.06.2024 à 16:02

Aaron Bastani : découvrez le manifeste du communisme de luxe

L'Autre Quotidien

Un manifeste provocateur et enlevé, pour montrer que seul le capitalisme contemporain et son avidité souvent machiavélique empêchent de réaliser à brève échéance une société d’abondance, écologique et sociale, sous le signe de la technologie triomphante, pour toutes et tous.
Texte intégral (1786 mots)

Un manifeste provocateur et enlevé, pour montrer que seul le capitalisme contemporain et son avidité souvent machiavélique empêchent de réaliser à brève échéance une société d’abondance, écologique et sociale, sous le signe de la technologie triomphante, pour toutes et tous.

Activiste et journaliste infatigable, co-fondateur du petit groupe de médias alternatifs Novara et collaborateur occasionnel du Guardian, de la London Review of Books, de Vice ou de openDemocracyAaron Bastani, par ailleurs docteur en sciences politiques (spécialiste des mouvements collectifs sous le règne de Thatcher), proposait en 2019 cet élégant brûlot chez le grand éditeur anglo-saxon de la gauche radicale qu’est Verso Books.

Accueilli avec une certaine fraîcheur par de nombreux compagnons de route « intellectuels » des gauches se prétendant « gouvernementales » ou « raisonnables » un peu partout dans le monde, mais adopté souvent avec une certaine ferveur complice (ayant bien saisi l’aspect « manifeste » plutôt que « mode d’emploi » de l’ouvrage) par beaucoup de chroniqueurs plus radicaux et plus ambitieux, « Fully-Automated Luxury Communism » (souvent abrégé en « FALC » en cette époque si friande d’acronymes, joueurs ou non) recense tous azimuts, parmi l’ensemble des technologies déjà existantes ou en cours de développement, les impacts décisifs ainsi organisables sur le travail (automatisation volontariste et non subie), l’énergie (décarbonation totale et soutenabilité sans limites), les ressources naturelles (mutualisation mondiale de l’exploitation d’astéroïdes), la santé (mise à disposition totale des avancées sans considération de coût) et l’alimentation (nourriture sans animaux).

“Tous ces événements partagent un certain sens de l'avenir. Les énergies renouvelables, l'exploitation minière des astéroïdes, les fusées qui peuvent être utilisées plusieurs fois et même voler vers Mars, les chefs d'entreprise qui discutent ouvertement des implications de l'IA, les bricoleurs qui se plongent dans le génie génétique à faible coût.

Et pourtant, ce futur est déjà là. Il s'avère que ce n'est pas le monde de demain qui est trop complexe pour élaborer une politique significative, c'est celui d'aujourd'hui. En essayant de créer une politique progressiste qui s'adapte aux réalités actuelles, cela pose un problème car, alors que ces événements semblent sortir de la science-fiction, ils peuvent aussi sembler inévitables. Dans un sens, c'est comme si l'avenir était déjà écrit, et que malgré tous les discours sur une révolution technologique imminente, cette transformation vertigineuse est liée à une vision statique du monde où rien ne change vraiment.

Mais si tout pouvait changer ? Et si, au lieu de nous contenter de relever les grands défis de notre époque - du changement climatique aux inégalités en passant par le vieillissement - nous allions bien au-delà, en laissant les problèmes d'aujourd'hui derrière nous, comme nous l'avons fait auparavant avec les grands prédateurs et, pour la plupart, avec les maladies. Et si, plutôt que de n'avoir aucun sens d'un avenir différent, nous décidions que l'histoire n'a pas vraiment commencé ?”

Quoique légèrement minée par son aspect de pot-pourri journalistique (néanmoins de fort bonne tenue), cette partie centrale consacrée aux technologies dans cinq domaines devant concrétiser l’avènement du « communisme de luxe totalement automatisé » n’est au fond que le pivot des deux autres parties, la première montrant comment la confiscation capitaliste au profit de quelques-uns, tout occupés de renouveler des courts termes profitables, empêche cette évolution indispensable (rejoignant ainsi plusieurs des démonstrations fictives conduites par Kim Stanley Robinson dans certains de ses derniers ouvrages, « New York 2140 » (2017) et « The Ministry for the Future » (2020) tout particulièrement), et la troisième jalonnant les chemins politiques d’une appropriation le plus authentiquement populaire possible.

Surtout, avec une ferveur salutaire et un enthousiasme électrique (au risque évidemment d’apparaître pour beaucoup comme très exagérément technophile – mais il s’en justifie précisément tout au long de l’ouvrage, et se situe extrêmement loin des consumérismes high tech dépolitisés à la Wired), Aaron Bastani, en communion avec l’esprit critique ambitieux et nourri de science-fiction productive dont témoignent le Ariel Kyrou de « Dans les imaginaires du futur » (2020) et l’Alice Garabédian de « Utopie radicale » (2022), ne propose rien moins que de fonder en raison pratique le pont qui sépare nos sociétés présentes de la formidable utopie post-rareté, fondée sur une liberté réelle et une curiosité inextinguible, construite patiemment par Iain M. Banks de « Une forme de guerre » (1987) à « La sonate Hydrogène » (2012). Qu’un éditeur français ait cru bon de s’approprier les droits dans notre langue du texte théorique fondateur de l’ensemble, « A Few Notes on the Culture » (à lire ici en V.O.), que son auteur avait voulu entièrement libre dès l’origine de l’internet, n’enlève évidemment rien à la profonde pertinence de cet élan utopique joueur sans lequel rien de grand et de vraiment émancipateur ne se peut vraiment concevoir.

“FALC n'est pas un manifeste pour les poètes à l'esprit étoilé. Il est plutôt né de la reconnaissance d'une vérité de plus en plus évidente : au milieu des changements de la Troisième Perturbation, le "fait" de la pénurie passe de la certitude inévitable à l'imposition politique. Ce n'est pas un livre sur l'avenir mais sur un présent qui n'est pas reconnu. Les contours d'un monde incommensurablement meilleur que le nôtre, plus égalitaire, plus prospère et plus créatif, sont visibles si seulement nous osons regarder. Mais la perspicacité seule ne suffit pas. Nous devons avoir le courage - car c'est ce qu'il faut - d'argumenter, de persuader et de construire. Il y a un monde à gagner.”

Une lecture qu’il faudra nécessairement prendre avec des pincettes, tant son caractère évidemment provocateur est parfois violemment affirmé (largement tempéré toutefois par les 30 pages de bibliographie détaillée, passionnantes par elles-mêmes), mais qui nous pousse de manière ô combien salutaire à une réflexion réellement radicale et audacieuse sur les blocages structurels des sociétés du capitalisme tardif.

Hugues Robert

L’ouvrage a été traduit en juin 2021 par Hermine Hémon aux éditions Diateino, on peut se le procurer ici.

28.05.2024 à 15:38

La coquille de l'escargot, par Giorgio Agamben

L'Autre Quotidien

Quelles que soient les raisons profondes du déclin de l’Occident, dont nous vivons la crise dans tous les sens, décisive, il est possible de résumer son aboutissement extrême dans ce que, reprenant une image emblématique d’Ivan Illich, on pourrait appeler le « théorème de l’escargot ». Qu’adviendra-t-il de l’escargot écrasé par sa propre coquille ? Comment survivra-t-il aux décombres de sa maison ? Telles sont les questions que nous ne devons pas cesser de nous poser.
Texte intégral (919 mots)

Quelles que soient les raisons profondes du déclin de l’Occident, dont nous vivons la crise dans tous les sens, décisive, il est possible de résumer son aboutissement extrême dans ce que, reprenant une image emblématique d’Ivan Illich, on pourrait appeler le « théorème de l’escargot ». «Si l'escargot», affirme le théorème, «après avoir ajouté un certain nombre de tours à sa coquille, au lieu de s'arrêter, continuait sa croissance, un seul tour supplémentaire augmenterait de 16 fois le poids de sa maison et l'escargot resterait inexorablement écrasé. » C’est ce qui se passe chez l’espèce qui se définissait autrefois comme homo sapiens en ce qui concerne le développement technologique et, en général, l’hypertrophie des dispositifs juridiques, scientifiques et industriels qui caractérisent la société humaine.

Ceux-ci ont toujours été indispensables à la vie de ce mammifère particulier qu'est l'homme, dont la naissance prématurée implique une prolongation de la condition infantile, dans laquelle le petit n'est pas en mesure de pourvoir à sa survie. Mais, comme cela arrive souvent, un danger mortel se cache précisément dans ce qui assure leur salut. Les scientifiques qui, comme le brillant anatomiste hollandais Lodewjik Bolk, ont réfléchi sur la condition singulière de l’espèce humaine, en ont tiré des conséquences pour le moins pessimistes sur l’avenir de la civilisation.

Au fil du temps, le développement croissant des technologies et des structures sociales produit une véritable inhibition de la vitalité, annonciatrice d’une possible disparition de l’espèce. L'accès au stade adulte est en effet de plus en plus différé, la croissance de l'organisme est de plus en plus ralentie, la durée de vie - et donc la vieillesse - se prolonge. «Le progrès de cette inhibition du processus vital», écrit Bolk, «ne peut dépasser une certaine limite sans vitalité, sans force de résistance aux influences néfastes de l'extérieur, bref, sans que l'existence de l'homme ne soit compromise.» Plus l’humanité avance sur la voie de l’humanisation, plus elle se rapproche de ce point fatal où le progrès signifiera la destruction. Et il n’est certainement pas dans la nature de l’homme de s’arrêter face à cela. »

C’est cette situation extrême que nous vivons aujourd’hui. La multiplication sans limites des dispositifs technologiques, la soumission croissante aux contraintes et autorisations légales de toutes sortes et espèces et la soumission totale aux lois du marché rendent les individus de plus en plus dépendants de facteurs qui échappent totalement à leur contrôle. Gunther Anders a défini la nouvelle relation que la modernité a produite entre l'homme et ses outils avec l'expression : « différence prométhéenne » et a parlé d'une « honte » face à la supériorité humiliante des choses produites par la technologie, dont on ne peut plus considérer nous-mêmes maîtres en aucune façon. Il est possible qu'aujourd'hui cette différence de niveau ait atteint le point de tension maximale et que l'homme soit devenu complètement incapable d'assumer la gouvernance de la sphère des produits qu'il a créés.

À l’inhibition de la vitalité décrite par Bolk s’ajoute l’abdication de cette même intelligence qui pourrait en quelque sorte freiner ses conséquences négatives. L’abandon de ce dernier lien avec la nature, que la tradition philosophique appelle lumen naturae , produit une stupidité artificielle qui rend l’hypertrophie technologique encore plus incontrôlable.

Qu’adviendra-t-il de l’escargot écrasé par sa propre coquille ? Comment survivra-t-il aux décombres de sa maison ? Telles sont les questions que nous ne devons pas cesser de nous poser.

Giorgio Agamben

15.05.2024 à 12:33

Giorgio Agamben : la technique et le gouvernement

L'Autre Quotidien

Les pouvoirs qui semblent guider et utiliser le développement technologique à leurs fins sont en fait plus ou moins inconsciemment guidés par celui-ci. Tant les régimes les plus totalitaires que les régimes dits démocratiques partagent cette incapacité à gouverner la technologie à un point tel qu'ils finissent par se transformer presque par inadvertance dans le sens requis par les technologies mêmes qu'ils pensaient utiliser à leurs propres fins.
Texte intégral (937 mots)

Certains des esprits les plus brillants du XXe siècle se sont accordés pour identifier le défi politique de notre époque comme étant la capacité à gouverner le développement technologique. La question décisive", a-t-on écrit, "est aujourd'hui de savoir comment un système politique, quel qu'il soit, peut être adapté à l'ère de la technologie. Je ne connais pas la réponse à cette question. Je ne suis pas convaincu qu'il s'agisse de la "démocratie". D'autres ont comparé la maîtrise de la technologie à l'entreprise d'un nouvel Hercule : "ceux qui parviendront à maîtriser une technologie qui a échappé à tout contrôle et à l'ordonner de manière concrète auront répondu aux problèmes du présent bien plus que ceux qui tenteront de se poser sur la lune ou sur Mars avec les moyens de la technologie".

Le fait est que les pouvoirs qui semblent guider et utiliser le développement technologique à leurs fins sont en fait plus ou moins inconsciemment guidés par celui-ci. Tant les régimes les plus totalitaires, comme le fascisme et le bolchevisme, que les régimes dits démocratiques partagent cette incapacité à gouverner la technologie à un point tel qu'ils finissent par se transformer presque par inadvertance dans le sens requis par les technologies mêmes qu'ils pensaient utiliser à leurs propres fins.

Un scientifique qui a donné une nouvelle formulation à la théorie de l'évolution, Lodewijk Bolk, voyait ainsi l'hypertrophie du développement technologique comme un danger mortel pour la survie de l'espèce humaine. Le développement croissant des technologies tant scientifiques que sociales produit, en effet, une véritable inhibition de la vitalité, de sorte que "plus l'humanité avance sur la voie de la technologie, plus elle se rapproche de ce point fatal où le progrès sera synonyme de destruction". Et il n'est certainement pas dans la nature de l'homme de s'arrêter face à cela". Un exemple instructif est fourni par la technologie des armes, qui a produit des dispositifs dont l'utilisation implique la destruction de la vie sur terre - donc aussi de ceux qui en disposent et qui, comme nous le voyons aujourd'hui, continuent néanmoins à menacer de les utiliser.

Il est donc possible que l'incapacité à gouverner la technologie soit inscrite dans le concept même de "gouvernement", c'est-à-dire dans l'idée que la politique est par nature cybernétique, c'est-à-dire l'art de "gouverner" (kybernes est en grec le pilote du navire) la vie des êtres humains et leurs biens. La technique ne peut être gouvernée car elle est la forme même de la gouvernementalité. Ce qui a été traditionnellement interprété - depuis la scolastique jusqu'à Spengler - comme la nature essentiellement instrumentale de la technologie trahit l'instrumentalité inhérente à notre conception de la politique. L'idée que l'instrument technologique est quelque chose qui, fonctionnant selon sa propre finalité, peut être utilisé pour les besoins d'un agent extérieur est ici décisive. Comme le montre l'exemple de la hache, qui coupe en vertu de son tranchant, mais qui est utilisée par le menuisier pour fabriquer une table, l'instrument technique ne peut servir la fin d'un autre que dans la mesure où il atteint la sienne. Cela signifie, en dernière instance - comme on le voit dans les dispositifs technologiques les plus avancés - que la technologie réalise sa propre fin en servant apparemment la fin d'autrui. Dans le même sens, la politique, comprise comme oikonomia et gouvernement, est cette opération qui réalise une fin qui semble la transcender, mais qui lui est en réalité immanente. La politique et la technique sont identifiées, c'est-à-dire sans résidu, et un contrôle politique de la technique ne sera possible que si nous abandonnons notre conception instrumentale, c'est-à-dire gouvernementale, de la politique.

Giorgio Agamben

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