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05.09.2025 à 14:45

Université d'été de LFI : retour sur l'« affaire Olivier Pérou »

Mathias Reymond

« Une ligne rouge jusqu'ici traversée par l'extrême droite. »

- Politique / ,
Texte intégral (1560 mots)

En août 2025, l'université d'été de La France insoumise (LFI), les Amfis, a été le théâtre d'une nouvelle polémique médiatique : le refus d'accréditer Olivier Pérou, journaliste du Monde et co-auteur du livre La Meute, une enquête critique sur le fonctionnement interne du mouvement [1]. Cette décision, assumée par LFI, a déclenché une vague d'indignation dans les rédactions qui y ont vu une atteinte grave à la liberté de la presse.

Entre le 21 et le 23 août 2025, l'« affaire Pérou » s'est constituée en véritable sujet d'indignation politico-médiatique. Communiqués des journalistes politiques sur place (X, 22/08), communiqué d'une trentaine de SDJ (dont celles d'Arrêt sur images, Mediapart, Blast, BFM-TV, LCI, L'Humanité, Les Échos, etc.) dénonçant un « coup de semonce pour toute notre profession », communiqués des syndicats de journalistes, prises de position de personnalités politiques, d'éditorialistes et de figures publiques ou de maisons d'édition… Et une avalanche d'articles dans les grands médias, notamment dans Le Monde, Libération et Mediapart. Le Monde a publié au moins quatre articles, dont un billet virulent de son directeur, Jérôme Fenoglio, dénonçant une « entrave caractérisée à la liberté de la presse ». Libération a publié trois articles, dont un annonçant le retrait de son journaliste des Amfis en signe de « protestation » [2]. Mediapart, de son côté, a consacré un long article à l'affaire, accusant LFI de franchir une « ligne rouge jusqu'ici traversée par l'extrême droite » ; et sa présidente, Caroline Fouteau, s'est aussi fendue d'un billet de blog [3]. Exception faite d'une tribune publiée par Hors-Série, l'indignation est unanime…

Une indignation qui s'appuie pourtant en partie sur un faux constat : l'épisode serait inédit… et limité jusqu'à présent à la seule extrême droite. Or, ce n'est ni la première fois concernant Jean-Luc Mélenchon (« Le Petit Journal » en 2012, « Quotidien » en 2019), ni la première fois tout court dans le champ politique : le président Macron, par exemple, s'étant particulièrement illustré en la matière (dès 2017).

Cette indignation s'appuie aussi sur un double discours. La « liberté de la presse » constituerait ici un « principe » immuable : on ne trie pas les journalistes. Pourtant, il arrive que les « non-accréditations » de certains médias – perçus (parfois à juste titre) comme sulfureux – soient considérées comme tout à fait légitimes. Ce fut le cas par exemple pour RT, ou, plus récemment, pour Frontières (le groupe parlementaire Écologiste et Social demandant par exemple en avril dernier la « suspension temporaire et immédiate de l'accréditation de Frontières à l'Assemblée nationale »). Il est dans ce cas admis, et on le comprend aisément, que les pratiques journalistiques et les lignes éditoriales puissent être prises en compte dans la décision d'accréditer ou non un journaliste. En l'occurrence, LFI a justifié sa décision en accusant Pérou d'avoir « lourdement diffamé » le mouvement dans La Meute, co-écrit avec Charlotte Belaïch (Libération), un ouvrage qui dépeint LFI comme une organisation autoritaire centrée sur Jean-Luc Mélenchon.

L'accréditation est-elle un droit inaliénable des journalistes ?

Au-delà de critères « logistiques » (place limitée, sécurité), la question est donc celle-ci : les organisations politiques sont-elles légitimes à prendre en compte d'autres facteurs, comme les pratiques journalistiques ou la ligne éditoriale ? Ce n'est pas une question nouvelle : au début du XXe siècle par exemple, se posait, « dans les milieux syndicaux », « la question du rapport à entretenir avec les journalistes : faut-il continuer à les accueillir dans les congrès et à répondre à leurs sollicitations ? » [4] De même, les mobilisations sociales depuis au moins 20 ans font face à un enjeu récurrent : faut-il accepter certains journalistes lors d'assemblées générales ou de manifestations ? Ce sont bien deux légitimités qui s'affrontent.

Mais si la « polémique » de cet été, qui dépasse la question de l'accréditation en soi (la pratique est courante dans de nombreux autres champs : sport, culture, etc.), a pris tant d'importance, c'est pour trois raisons. D'abord parce qu'elle concerne un événement à caractère politique : si on comprend de ce point de vue l'exigence de transparence, on peut regretter l'absence de discernement entre ce que signifie ne pas accréditer un journaliste quand on est le pouvoir en place [5], et ce que cela signifie lorsqu'on est un parti d'opposition.

La deuxième raison, il faut bien l'admettre, tient à ce que les accusations contre LFI s'inscrivent dans un climat médiatique à charge : il ne faut qu'une pièce pour que le juke-box médiatique se mette à jouer à plein tube.

Enfin, on ne peut clore sans mentionner le haut corporatisme de la profession, et plus encore du journalisme politique, historiquement réticent à toute remise en question. Ce fut la même indignation généralisée, pour des motifs différents, lorsque LFI avait diffusé une affiche épinglant Nathalie Saint-Cricq. Et de ce point de vue, toucher à Olivier Pérou, et donc au Monde, c'est s'en prendre à l'élite journalistique.

Mathias Reymond


[2] Selon Sylvain Bourmeau, directeur du quotidien AOC et journaliste à France Culture, « Libération prend la bonne décision. Espérons que les autres journaux sérieux fassent de même » (Bluesky, 22/08/2025).

[3] Sur X, l'ancien directeur de Mediapart, Edwy Plenel, a rédigé pas moins de sept tweets en 24 heures pour comparer les méthodes de LFI à celles de l'extrême droite.

[4] Dominique Pinsolle, À bas la presse bourgeoise !, Agone, 2022, p. 85.

[5] En 2022, Reporterre s'est vu interdire l'entrée à un meeting d'Emmanuel Macron, sans que cela ne provoque une levée de boucliers comparable.

04.09.2025 à 15:50

La cigarette et le Soldat inconnu : généalogie et parcours d'une polémique raciste

Jérémie Younes

Retour sur un cas d'école.

- Faits et méfaits divers / ,
Texte intégral (1587 mots)

Au cœur de l'été, la vidéo d'un homme s'allumant une cigarette avec la flamme du Soldat inconnu, sous l'Arc de triomphe, a déclenché une intense séquence médiatique. Revenir sur le trajet de cette « polémique », depuis l'indignation de l'extrême droite sur X jusqu'au « courrier imaginaire » de Bruno Retailleau dans Le Figaro, en passant par l'indignation républicaine de la plupart des médias, s'avère éclairant sur les rouages de la mécanique médiatique. Retour sur un cas d'école.

Nous sommes le 5 août et les journaux n'ont pas grand-chose à imprimer sur l'actualité nationale. Heureusement, un comité de rédaction informel agit sur X et va leur dégoter un sujet tout frais. C'est à 9h48 que la vidéo est partagée une première fois sur le réseau social, par un compte anonyme d'extrême droite suivi par 70 000 personnes : « Alerte vidéo ! Un homme allume sa cigarette sur la flamme du Soldat inconnu, en plein cœur de Paris. Aucun respect. Et personne ne réagit. » Les commentaires racistes ne se font pas attendre : « Arabe épisode 458725 », « Sale rat de merde », « Bientôt ils viendront y faire griller des merguez », disent les trois messages les plus populaires sous la vidéo. La fachosphère s'emballe et une palanquée d'autres comptes anonymes d'extrême droite relaient la vidéo, toujours avec le même message en substance (« C'est honteux et personne n'intervient »). C'est avec exactement les mêmes éléments de langage que le premier gros compte non-anonyme, mais toujours d'extrême droite, va lui aussi partager la vidéo et donner le premier gros coup d'accélérateur à la polémique. Il s'agit du député européen RN et ancien syndicaliste policier Matthieu Valet, un habitué des plateaux de CNews [1].

Les premiers « médias » qui reprennent la vidéo sont des blogs, eux aussi d'extrême droite : Boulevard Voltaire, le site de Jean-Marc Morandini ou encore Police & Réalités. L'affaire aurait pu – et aurait dû – en rester là. Mais très vite, le deuxième coup d'accélérateur à la polémique va être donné par une ministre, sans doute à la recherche d'un peu d'exposition estivale. À 16h, Patricia Mirallès, ministre déléguée chargée de la Mémoire et des Anciens combattants, poste sur X un communiqué dans lequel elle annonce saisir le procureur de la République, accompagné du message suivant : « Je suis profondément indignée comme tous les Français ». Dans celui-ci, la ministre prévient : « Ce n'est pas une simple incivilité », « c'est une insulte à notre Nation ».

C'est le top départ qu'attendait la machine médiatique pour s'emballer. « L'affaire » devient une affaire nationale, et il serait beaucoup plus rapide d'énumérer les journaux qui n'y ont pas consacré d'article, plutôt que de se lancer dans un fastidieux recensement : la « profanation » de la flamme du Soldat inconnu est partout, de La Voix du Nord à Sud Ouest, de La Provence au Télégramme, dans Le Figaro et Libération, sur Europe 1 et France Info. Les chroniques et les éditos fusent, chacun y va de son indignation républicaine. Le journal en ligne 20 Minutes se permet même un chapô dans le registre familier : « Y a plus de respect ! On ne vous dérange pas trop monsieur ? » Ignorant ou feignant d'ignorer l'origine très située de cette polémique, France Info va elle-même reposter la vidéo sur son compte X avec le message suivant : « La vidéo montrant un homme allumer sa cigarette grâce à la flamme du Soldat inconnu a suscité l'indignation sur les réseaux sociaux. » Il eut été préférable que la chaîne de service public précise que la vidéo n'a pas « suscité l'indignation sur les réseaux sociaux » en général, mais dans ceux de la fachosphère en particulier.

« Le ministre a tranché »

Toujours en appétit, les médias vont pouvoir se rassasier d'un rebondissement le soir-même : vers 20h, l'homme est interpellé, et c'est au tour de Bruno Retailleau d'entrer dans la danse : « L'homme qui a profané la tombe du Soldat inconnu en allumant une cigarette avec la flamme du souvenir a été interpellé à Paris [...] Ce geste, indigne et misérable, porte atteinte à la mémoire de ceux qui sont morts pour la France. » Nouvelle tournée de reprises générales dans la presse, nouvelle tournée de commentaires racistes sur les réseaux sociaux. Le lendemain matin, c'est Valeurs Actuelles qui remet une pièce dans la machine, avec son traditionnel journalisme de commissariat, en « révélant » le casier judiciaire et la nationalité de l'homme – marocain – qui sera jugé en comparution immédiate. Quelques heures plus tard, c'est un média Bolloré, en l'occurrence Europe 1, qui se met dans les pas de la communication de Bruno Retailleau : « INFO Europe 1 - Bruno Retailleau va retirer le titre de séjour du Marocain qui a profané la tombe du Soldat inconnu ». Nouvel angle, nouvelle vie pour la polémique. « L'info » Europe 1 est reprise absolument partout, sans aucune distance critique avec les affirmations du cabinet du ministre. La chaîne BFM-TV postera même un visuel sur ses réseaux sociaux, avec la même « info », accompagnée d'une photo de Retailleau et du commentaire : « Le ministre a tranché ».

Quarante-huit heures après, Hakim H est jugé en comparution immédiate au Tribunal correctionnel de Paris. Relatant l'audience, un journaliste du Parisien lâche un aveu probablement involontaire sur la nature de ses préjugés : « On s'attendait à voir arriver un provocateur ». Ah bon ? Avant de poursuivre : « On a vu arriver un pauvre type que sa femme vient de quitter. Un malade souffrant de bipolarité... ». L'article nous apprend que celui à qui Bruno Retailleau voulait retirer le titre de séjour est arrivé en France il y a près de 40 ans, travaille comme conducteur d'engins sur des chantiers à 200 mètres sous terre, près de la place de l'Étoile, et dort sur des échafaudages la nuit, car ce travail difficile ne lui permet pas de se payer un hôtel, lui qui habite en Normandie. Dans son compte rendu de l'audience, Le Monde rappelle, ce qui n'a été fait par presque aucun autre média, que « l'interdiction de séjour en France [n'est] pas prévue par le code pénal pour cette infraction ».

Mais Le Figaro n'en avait pas encore terminé avec cette histoire… et ira jusqu'à publier une « lettre imaginaire » au Soldat inconnu, signée de Bruno Retailleau.

Cette séquence médiatique, montée de toutes pièces par l'extrême droite sur le dos d'un travailleur SDF et malade, n'aurait dû être qu'un léger remous dans les fanges de l'internet français. Mais la rapidité avec laquelle les médias se sont engouffrés dans ce faits divers, leur tendance à se reprendre les uns les autres, puis à faire de chaque déclaration de ministre une info en soi, auront permis à cette « polémique » de prendre une ampleur nationale. Un accaparement de l'espace médiatique qui se fait, encore une fois, au détriment d'autres sujets plus importants et au bénéfice d'une idéologie raciste.

Jérémie Younes


[1] Ironie de l'histoire, le même jour, le 5 août, Mediapart publiait une enquête sur ce député européen et sur son habitude de laisser prospérer sur ses réseaux sociaux des tombereaux d'injures racistes.

04.09.2025 à 12:01

Couverture des violences urbaines : la liberté de la presse menacée

Lire plus (408 mots)

Nous relayons ce communiqué du Syndicat national des journalistes (SNJ).

C'est une attaque en règle contre la liberté d'informer et d'être informé. En catimini, en plein été, le ministère de l'Intérieur a diffusé un schéma national des violences urbaines (SNVU). Ce document est destiné « à mettre à disposition des services territoriaux de la police nationale un guide pratique pour la gestion des violences urbaines. » « Ce document a vocation à répondre à toutes les situations de violences urbaines, jusqu'aux émeutes insurrectionnelles, caractérisées par une très haute intensité », explique la place Beauvau, qui s'est bien gardée d'informer les organisations de journalistes.

À la lecture de ce schéma, une phrase saute particulièrement aux yeux : « la prise en compte du statut des journalistes telle que consacrée par le schéma national du maintien de l'ordre, ne trouve pas à s'appliquer dans un contexte de violences urbaines ».

Cette incise est une insulte, une provocation envers toute la profession.

Déjà en 2021, le Syndicat national des journalistes, entre autres, avait déposé un recours devant le Conseil d'Etat contre le schéma national du maintien de l'ordre (SNMO), qui empêchait tout journaliste d'exercer sa mission d'informer le public. Le Conseil d'Etat a finalement donné raison aux organisations qui l'avaient saisie (SNJ, Solidaires, la CGT, la Ligue des droits de l'Homme).

Quatre ans après cette première lutte victorieuse contre un texte liberticide, le ministère de l'Intérieur persiste à vouloir invisibiliser d'éventuelles dérives policières lors de la couverture de violences urbaines en empêchant les journalistes de faire leur métier.

Le SNJ, première organisation de la profession, condamne cette tentative de vouloir museler la presse. Alors que des appels à manifestations et mobilisations sont lancées pour les 10 et 18 septembre partout en France, il a mandaté le cabinet Spinosi pour déposer une requête en urgence devant le Conseil d'Etat et un dossier au fond d'ici fin septembre.

Le SNJ appelle toutes les organisations attachées aux libertés fondamentales à le rejoindre dans cette procédure contre cette disposition du schéma national des violences urbaines.

Paris
Jeudi 4 septembre 2025

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