01.12.2025 à 14:31
Arnaud Galliere
L'arrivée de Léa Salamé au 20h de France 2 a été annoncée en grande pompe. Publicité, portraits à sa gloire : impossible de passer à côté. Plusieurs mois après son arrivée, quel bilan tirer de ce changement au sein de ce qui est parfois présenté comme le « vaisseau amiral » de la chaîne publique ? Au-delà des « bourdes » et autres « moments gênants » largement commentés par ailleurs [1], que nous raconte le 20h de Léa Salamé ? Et comment ?
Nous avons regardé les 20h présentés par Léa Salamé entre le 1er septembre et le 31 octobre 2025, soit 31 JT [2]. L'analyse porte sur les reportages, les interventions de journalistes en plateau, les duplex, les interviews et les brèves [3]. Cela équivaut à 482 sujets (auxquels il faut ajouter les brèves) soit environ 23h30 d'information [4].
Près de 50% des sujets (brèves exclues) durent moins de 2 minutes. Très courts, ceux-ci sont principalement diffusés dans la première moitié du 20h, qui dure au total environ 50 minutes. La deuxième moitié du JT est souvent consacrée à un « grand format », qui consiste soit en une série de petits sujets sur la même thématique, soit en un ou deux reportages plus longs. Ainsi, 54 sujets (soit environ 11% des 482 contenus) font plus de 5 minutes et seulement 11 (environ 2%) dépassent les 8 minutes. Le 16 septembre par exemple, un reportage de 10'31 est consacré au trafic de cocaïne. Mais la majorité de ces très grands formats (6 sur 11) sont en fait… des interviews de personnalités politiques.
Le 20h a ainsi consacré une part non négligeable de son temps à des interviews. En durée cumulée, il s'agit même de la première catégorie de sujets : environ 4h30, réparties sur 26 JT (soit environ 19% de la durée totale des contenus). Au total, ce sont 36 personnes qui ont été interviewées : des politiques (12), des artistes (6), des patrons (2), des économistes (3). Notons aussi la présence d'une syndicaliste (CFDT), d'une scientifique de l'institut Pasteur et de l'omniprésent Jérôme Fourquet [5]. Les durées d'interviews varient énormément : de 3'44 (entretien avec Gabriel Zucman le 10/09) à 27'30 pour l'interview avec Sébastien Lecornu le 08/10.
Un premier constat s'impose : « l'actualité » consiste en une suite décousue de reportages sans qu'aucune logique de hiérarchisation de l'information ne se dégage. Ce constat est particulièrement vrai pour la première partie du JT, où les formats très courts s'enchaînent. Cette impression de zapping est accentuée par le choix régulier de la rédaction de saucissonner certaines thématiques : le 16 octobre, la problématique de l'IA est abordée en première partie du journal… puis à nouveau à la fin du JT. De même le 7 octobre : le journal commence avec l'actualité politique française, enchaîne avec Israël, quelques sujets « magazine » (dont la sortie l'album de Taylor Swift)… avant d'entamer une nouvelle boucle : actualité politique française d'abord, Israël ensuite.
Au-delà de cette discontinuité, un autre aspect du 20h interpelle : l'appétence pour les sujets « magazine » et les « actus insolites ». Assurément, le 20h de Léa Salamé en contient (presque) chaque soir : « Chute libre : un couple à 280 km/h » (1/09) ; « Vol Paris‑Ajaccio : le contrôleur s'endort, l'avion tourne en rond » (17/09) ; « Pêche : le chant des coques » (20/09) ; « Piment : le gout de l'extrême » (30/09) ; etc. Ces sujets, qui représentent un peu moins de 8% de la durée totale des contenus, sont caractéristiques d'un traitement par le prisme du « fait divers » : décontextualisation et déconnexion des aspects sociaux, économiques et historiques, dépolitisation et sensationnalisme. Ils n'en répondent pas moins à la consigne qu'avait fixée la PDG de France Télévisions Delphine Ernotte à Léa Salamé : un 20h « "plus accessible", "moins anxiogène" et [qui] perce sur les réseaux sociaux », selon des propos rapportés par Télérama (1/09).
Le procès Jubillar est un exemple parfait de ce mode de traitement de l'actualité. Si les sujets qui lui sont consacrés sont tous de courte durée [6], le procès est l'un des rares « événements » déconnectés de l'actualité politique et internationale à bénéficier d'un traitement régulier : entre le 22 septembre et le 16 novembre, il a été abordé dans 9 des 16 JT observés, pour une durée totale d'environ 24 minutes. L'approche « fait-diversière » domine partout : loin de couvrir cette actualité sous l'angle des féminicides, du travail de la police criminelle ou de celui des juges par exemple, le JT a opté pour un mode de traitement de l'information façon « chaîne en continu » : au menu, détails morbides et « péripéties ». Le 6 octobre, par exemple, le JT relate les « rebondissements » liés au bornage du téléphone de l'amant de Delphine Jubillar. Et le 1er octobre, Léa Salamé s'enorgueillit de diffuser « en exclusivité » un enregistrement de Cédric Jubillar : « Vous n'aviez pas entendu sa voix. Dans un enregistrement audio que nous vous diffusons en exclusivité, Cédric Jubillar se confie quelques heures seulement après la disparition de sa femme, et, fait troublant, il parle déjà d'elle à l'imparfait. » De fait, le 20h de Léa Salamé a presque systématiquement privilégié les angles sensationnalistes pour rendre compte de ce procès.
36 reportages ont été consacrés aux questions d'insécurité au sens large : agressions, drogue et délinquance routière. Répartis sur 20 JT – soit presque 2 soirs sur 3 ! –, ces sujets sont très souvent construits de la même manière : un « rappel des faits » accompagné d'images « choc », le témoignage des victimes, de proches et/ou des riverains, Léa Salamé accentuant souvent le caractère impressionnant ou « exceptionnel » des faits – « Ces images saisissantes cet après-midi à Marseille » (2/09). Le journalisme de préfecture n'est évidemment jamais très loin : la proximité avec les sources policières est criante… et se révèle d'ailleurs au grand jour dans le cadre de reportages « embedded » – le 17 septembre par exemple, à l'occasion d'un sujet titré « Violences familiales : des policiers en première ligne ».
La combinaison quasi systématique de trois biais – absence de contextualisation, mise en scène spectaculaire et dépendance aux sources policières et/ou judicaires – contribue à imposer un cadrage largement sécuritaire de ce type d'« actualités », lequel prédomine également dans la couverture des mobilisations sociales. Sur les 26 sujets consacrés aux manifestations de septembre-octobre, 14 (soit un peu plus de la moitié) commencent par là : « Mouvement bloquons tout : un dispositif policier XXL » (9/09) ; « "Bloquons tout" : Rennes sous tension » (10/09) ; « 80 0000 policiers mobilisés : le risque des casseurs » (17/09) ; etc. Si les témoignages de manifestants ne sont pas absents (12 reportages), ils prennent la forme de l'inévitable micro-trottoir : comme ailleurs, la dépolitisation fait loi. Quant à la question des violences policières, elle est inexistante, ou tout comme, dans les 20h de Léa Salamé. Ainsi, suite aux manifestations du 18 septembre, elle annonce qu'un correspondant de France TV à Lyon a été blessé mais préfère renvoyer manifestants et policiers dos à dos plutôt que de pointer la responsabilité des policiers : « Une pensée ce soir pour notre collègue correspondant à Lyon qui a été blessé au dos lors de heurts entre les forces de l'ordre et un groupe de jeunes en marge des manifestations. Il a été pris en charge et transporté à l'hôpital. Nous pensons à lui ce soir. » [7]
Les enjeux politiques et économiques, en revanche, y occupent une place prépondérante : combinés, ils représentent 134 reportages (soit environ 28% du nombre total de sujets et un peu moins de 23% de la durée totale des contenus étudiés).
Ces deux mois ont d'ailleurs confirmé une tendance qui préexistait évidemment à l'arrivée de Léa Salamé : l'amour du 20h pour la politique politicienne. « Le pouvoir dans l'impasse : une journée sous tension » (7/10) ; « Crise politique : la journée de la dernière chance » (8/10) ; etc. Les sujets relatant les dernières péripéties de l'exécutif, à coups de citations de députés, de conseillers de l'Élysée ou de Matignon, de « proches » de personnalités politiques, souvent anonymes, ne manquent pas. « Les pronostics vont bon train et les noms qui circulent… on va vous les donner maintenant. Les coulisses, aussi, d'une journée de tractations dans les partis. C'est le feuilleton politique du jour ! », annonce par exemple Léa Salamé le 10 octobre : une belle synthèse du mode de traitement de l'actualité politique dans les médias dominants ! En réduisant ainsi les événements aux calculs politiciens de couloir, en reprenant – souvent sans le moindre recul – la communication du personnel politique, le 20h participe activement à la dépolitisation de la politique.
Le suivisme à l'égard du pouvoir continue lui aussi d'aller bon train. Concernant les débats autour du budget par exemple, seule la vision de l'exécutif a eu droit de cité. Le projet politique porté par le gouvernement Lecornu a ainsi bénéficié de plusieurs reportages : « Pouvoir d'achat : serez-vous les gagnants du prochain budget ? » (13/10) ; « Impôts, retraites : que prévoit le budget 2026 » (14/10) ; « Médicaments, arrêts maladies : coup de rabot sur la santé » (15/10) ; « Pouvoir d'achat : les mauvaises surprises du budget » (16/10). Si des critiques voient le jour ici ou là, le cadrage de l'exécutif n'est pas remis en question : « il-faut-baisser-les-dépenses ». Dans le même temps, les contre-projets des oppositions, mais aussi ceux des syndicats ou des ONG, sont maintenus totalement hors-champ dans le 20h, qui se contente de médiatiser certaines propositions débattues à l'Assemblée nationale et/ou très discutées dans le débat public (la taxe Zucman par exemple).
Bref, le message est simple : « il n'y a pas d'alternative ». Et si cet agenda à sens unique n'avait pas clarifié les choses, les interviews sont là pour enfoncer le clou. On y observe en effet un quasi-monopole pour le gouvernement et ses alliés : Gérard Larcher (2/09), François Bayrou (4/09), Bruno Retailleau (8/09 et 7/10), Yaël Braun-Pivet (2/10), Sébastien Lecornu (8/10), Jean-Pierre Farandou (14/10). Ajoutons à cela deux figures du PS, alors en négociation avec le gouvernement : Olivier Faure (7/10) et François Hollande (13/10). Restent quatre interviews, distribuées entre Jean-Luc Mélenchon (8/09), Dominique de Villepin (22/09), Henri Guaino (25/09) et Jordan Bardella (13/10).
S'agissant des enjeux économiques non plus, le pluralisme n'est pas au rendez-vous. Les thèmes sont, certes, variés : coût de la vie (« Voitures d'occasion : le temps des bonnes affaires », 23/09) ; actualité des entreprises (« Petit bateau : la marque bientôt sous pavillon américain », 04/09) ; emploi (« Mécaniciens, carrossiers : les embauches accélèrent », 4/09) ; impôt (« Impôt : le ras le bol des contribuables ? », 9/09) ; ou encore santé (« Arrêt maladie : vos congés pourront être reportés », 11/09) ; etc. Mais la quasi-totalité d'entre eux s'inscrit dans une même perspective « micro-économique », au détriment de tout un pan de la macro-économie et des enjeux sociaux. Comme nous le décrivions dans un épisode de « 4e pouvoir », « l'objet est moins d'informer des citoyens sur le système économique capitaliste dans lequel ils vivent que de donner à des individus les recettes pour évoluer au mieux à l'intérieur de ce système. »
La question du coût de la vie, typiquement, est presque uniquement abordée sous cet angle : « Fournitures scolaires : comment payer moins cher » (1/09) – 9'23 de reportage ! – ; « Pommes de terre : bientôt moins chères ? » (2/09) ; « Pouvoir d'achat : leur fin de mois arrive le 15 » (16/09) ; etc. Si certains reportages se veulent davantage « analytiques » (« Hausse des frais bancaires : pourquoi payez-vous si cher ? », 7/10), un grand nombre se contente de « donner la parole aux Français », sous couvert de « proximité » avec le public. Le 1er septembre par exemple, on suit plusieurs familles qui font leurs courses dans un supermarché et le 16 septembre, d'autres qui ont du mal à finir leur fin de mois. Si ce type de reportage visibilise des catégories socioprofessionnelles traditionnellement sous-médiatisées, les conditions de prise de parole restent particulièrement médiocres. Ces reportages privilégiant en outre un point de vue très individuel sur les difficultés vécues par ces familles, ils permettent surtout de décontextualiser et de dépolitiser les enjeux économiques et sociaux. C'est d'ailleurs une constante au 20h de Léa Salamé. Si la pauvreté est évoquée ici ou là (de manière superficielle), elle est surtout « naturalisée » : les sujets en question ne portent jamais sur les causes de ces problèmes et s'accompagnent encore moins d'une remise en question des acteurs et des politiques qui en sont responsables.
À cet égard, le monde économique – très souvent réduit au témoignage de quelques chefs d'entreprise, parfois accompagné de celui de quelques salariés – apparaît la plupart du temps comme un spectateur passif, quand il n'est pas décrit en victime de l'instabilité politique : « Instabilité politique : ces patrons qui gèlent leur embauche » (11/09) ; « Le pays dans l'impasse : inquiétude dans les entreprises » (8/10) ; « Crise politique : le coût de l'instabilité » (8/10) ; etc. Un récit dominant à front renversé, là encore : de l'impact du patronat et des forces économiques sur le champ politique, il ne sera jamais question. Cette vision unilatérale des interactions entre instabilité politique et crise économique est représentative d'un JT qui, comme nous le disions précédemment, n'aborde que peu les questions macroéconomiques, bien souvent focalisées sur la croissance, elle-même traitée de manière prédictive – « les prévisions de croissance », qui n'ont fait l'objet que d'une brève le 11/09. Ajoutons qu'au 20h de Salamé, la question du chômage est, à peu de chose près, un non-sujet.
Ces biais se couplent à une vision unilatérale de la question de la dette et de la réduction des déficits publics. Le nombre de reportages consacrés à la dette et au budget est assez limité : 7 reportages pour une durée d'environ 18 minutes. Le sujet est néanmoins évoqué à travers les interviews d'hommes et femmes politiques, d'« experts » et de patrons ainsi que dans certains sujets internationaux (concernant l'Italie, par exemple). Reprenant le leitmotiv médiatico-politique d'une dette insoutenable qu'il faut à tout prix baisser, le 20h ne questionne jamais cette vision du monde. Certains reportages ont beau souligner les difficultés auxquelles sont confrontés certains acteurs – économiques, généralement… – face à la réduction des budgets, les journalistes n'en tirent aucune conclusion. La dette apparaît ainsi comme le principal (si ce n'est le seul) indicateur utilisé pour évaluer les politiques publiques. Le reportage consacré à la réforme des retraites en Italie – « Italie : travailler plus pour réduire la dette » (29/09) – fournit un bon exemple de ce cadrage général passablement orienté, résumé par la journaliste de France 2 en fin de sujet : « Une loi difficile pour les travailleurs, mais indispensable pour les finances publiques italiennes. »
Les conditions de travail de ces travailleurs ne sont pas, quant à elles, considérées comme un indicateur pertinent pour évaluer une politique publique. Aucun responsable politique n'est d'ailleurs questionné sur cet enjeu dans le 20h de Salamé. À l'exception d'un reportage consacré à des travailleurs saisonniers au Maroc (1/10), cette question est reléguée aux marges et le temps de parole des travailleurs excède rarement la dizaine de secondes. Le 8 octobre par exemple, les conditions de travail d'un conducteur de travaux sont très rapidement évoquées dans un sujet consacré à ladite « suspension » de la réforme des retraites – « Qu'en pensent les futurs retraités ? » L'exception qui confirme la règle. Laquelle consiste, pour le 20h, à davantage traiter les débats sur la réforme des retraites au prisme du financement du régime par répartition plutôt qu'en informant sur les impacts concrets de cette réforme (et des modifications attenantes) sur les conditions de vie en bonne santé ou sur les accidents du travail, par exemple.
Quel que soit l'angle par lequel on observe le traitement des questions économiques et sociales, un seul constat s'impose : sans grande surprise, le prêt-à-penser néolibéral triomphe dans la grand'messe du 20h, qui n'hésite pas à recourir aux pires clichés de l'idéologie dominante. Le « grand format » du 20 octobre en a donné un exemple caricatural. Sobrement intitulé « Bienvenue en Absurdistan » [8], l'annonce lors des titres par Léa Salamé donne le ton : « On vous emmène ce soir au pays de l'absurde : et malheureusement, c'est chez nous. On a enquêté sur ces normes qui rendent fous les chefs d'entreprise, sur ces ponts construits pour rien, sur ces documents administratifs qu'on met des heures à remplir. » Composée de 4 reportages [9], cette « page spéciale » reprend à son compte une obsession historique de la droite traditionnelle et de l'extrême droite – le poids des « normes » et le carcan de l'État « mammouth » – sur un ton sensationnaliste et tapageur que ne renierait sans doute ni RMC, ni Europe 1 [10]. Elle n'en témoigne pas moins de la force que peut impulser un cadrage biaisé – et rabâché depuis des décennies. Si les voix discordantes ne sont pas absentes, elles sont complétement écrasées par l'angle et le registre choisis par les journalistes de France 2 : la dénonciation de normes jugées absurdes. Les aspects environnementaux et sociaux sont quant à eux absents de cette page spéciale.
Avec un peu moins de 25 minutes cumulées réparties sur 9 jours, les sujets liés à l'écologie n'ont pas fait l'objet d'une couverture supérieure à celle du procès Jubillar (environ 24 minutes cumulées) [11] ! Cette invisibilisation se mesure également au fait qu'aucun responsable politique n'a été interrogé sur des enjeux environnementaux, et encore moins sur l'impact écologique de son programme économique. Au 20h, l'impact environnemental n'est d'ailleurs jamais considéré comme un indicateur pertinent lorsqu'il s'agit de discuter d'une mesure économique : il en va, là encore, d'un angle mort structurant dans les grands médias.
« Pire » : dans les reportages liés à l'environnement, la part consacrée plus spécifiquement au réchauffement climatique est... quasi nulle : un unique et court reportage (1'42) vulgarise une étude scientifique sur l'impact du réchauffement climatique sur les coraux (« Disparition des coraux : une menace pour l'humanité », 13/10). À cela, il faut ajouter quelques mentions qui, au gré des reportages, évoquent ici ou là des phénomènes météorologiques (« Tornade meurtrière dans le Val-d'Oise : ces phénomènes sont-ils prévisibles en France ? », 21/10). Le 20h réussit même l'exploit d'invisibiliser le réchauffement climatique à l'occasion d'un grand format pourtant consacré aux « événements climatiques extrêmes », diffusé le 15 octobre. « [Ils] se multiplient mais sommes-nous prêts à les affronter ? » se demande Léa Salamé. En guise de réponse : 4 reportages pour près de 13 minutes [12]… mais l'impact du réchauffement climatique n'est évoqué qu'à une seule reprise ! Bref, comme le veut le mode de traitement dominant des enjeux environnementaux, les causes sont systématiquement éludées au profit de la télégénie des catastrophes et de la description des conséquences, notamment économiques.
Avec 92 reportages pour environ 3h48 (brèves inclues), on pourrait considérer que l'information internationale est traitée en longueur (environ 16% des contenus). Il s'agit d'un constat en trompe l'œil. Tout d'abord, la durée varie énormément en fonction des jours : 50% des éditions y ont par exemple dédié moins de 6 minutes et demi. À l'inverse, certains 20h ont pu y consacrer une part significative, notamment lorsque le sujet fait l'objet de la deuxième partie du journal (le « grand format »). Ce fut le cas le 3 septembre, lorsqu'un grand format sur l'Ukraine a occupé près de la moitié du JT (47%). Ce fut également le cas un mois plus tard, le 1er octobre, avec la diffusion d'une page spéciale sur le Maroc (55% du 20h). Mais en moyenne, l'information internationale n'a le droit qu'à 7'30 par JT, c'est-à-dire environ 17% de la durée totale d'un journal.
Dans le détail, on constate par ailleurs que les pays ayant retenu l'attention du 20h sont peu nombreux : 26 sur près de 200 [13]. Des régions entières sont donc quasiment absentes : l'Océanie (aucune mention), l'Amérique du Sud (1 reportage sur le Venezuela), l'Afrique (une page spéciale de 4 reportages sur le Maroc ainsi qu'une brève sur Madagascar), le Proche et Moyen-Orient (seul Israël et la Palestine sont abordés – nous y reviendrons) et l'Asie du Sud-Est (1 reportage et 1 mention sur Taïwan). L'Inde n'est quant à elle abordée qu'à une reprise (et mentionnée une fois). Quant à la Chine, elle fait l'objet de 3 sujets et apparaît dans un reportage plus général sur l'Asie.
Concernant les pays évoqués, ils n'ont en fait bénéficié que d'une médiatisation ponctuelle. C'est d'ailleurs l'une des caractéristiques du traitement de « l'international » par le 20h : à quelques exceptions près (sur lesquelles nous reviendrons), il n'y a aucun suivi sur le long terme. Ainsi, sur la période étudiée (deux mois), 46% des pays n'ont été traités que lors d'un unique JT et 62% lors de deux JT ou moins [14].
Il n'est pas étonnant, dans de telles conditions et face à une telle rareté de l'information, que le 20h braque son regard sur tel ou tel pays uniquement dans le contexte d'une actualité dite « chaude » : catastrophe naturelle et/ou humaine (« Tremblement de terre : près de 1000 morts en Afghanistan », 1/09 ; « Jamaïque : les images d'un pays dévasté », 30/10 ; « Accident du funiculaire : le Portugal en deuil », 4/09) ; tensions géopolitiques et conflits internationaux (« Donald Trump : le Venezuela dans sa ligne de mire », 16/10) ; élections (« Ingérence russe : les élections moldaves sous surveillance », 25/09) ; mouvements sociaux (« Maroc : une jeunesse en colère », 1/10). En disparaissant aussi rapidement qu'elles sont venues, les caméras du 20h sont vouées à livrer de ces événements une approche superficielle et/ou par le haut, qui invisibilise largement le vécu des habitants – et rend évidemment difficile, pour ne pas dire impossible, une fine compréhension des enjeux.
Trois sujets bénéficient cependant d'une médiatisation sur la durée : Israël et la Palestine d'abord (24 reportages pour un total de près de 54 minutes), l'actualité liée à la Russie (8 reportages sur les ingérences russes et 11 reportages liés à la guerre avec l'Ukraine, pour un total d'environ 56 minutes) et enfin, les États-Unis (8 reportages pour environ 18 minutes).
Le traitement d'Israël et du génocide à Gaza mérite qu'on s'y arrête. Si le nombre de reportages et leur durée totale n'est pas négligeable (même si elle ne représente même pas 4% de la durée totale des reportages), ils sont très inégalement répartis dans le temps :
Le traitement est surtout disparate. Ainsi, le quotidien des Palestiniens de Gaza n'a bénéficié que de 4 reportages en 31 JT (pour un total d'environ 7'30), répartis sur 4 soirées. Quant à la Cisjordanie, elle n'a été abordée qu'à une unique reprise, au cours d'un reportage certes plus long que la moyenne (7'25). À cela, on peut ajouter quelques mentions superficielles, disséminées dans des reportages plus généraux sur la situation de la région.
Cette invisibilisation du quotidien vécu par les Palestiniens prend d'autres formes. À l'instar de ce qui s'observe ailleurs dans les médias dominants, le phénomène du deux poids, deux mesures donne le ton. Là où les otages israéliens ont bénéficié de portraits à part entière et de témoignages de leurs proches [15], la libération de prisonniers palestiniens est effleurée – et à une seule reprise –, reléguée à la toute fin d'un reportage largement consacré aux otages israéliens (13/10). Le titre parle d'une « journée historique »…mais seulement d'un certain point de vue : sur près de 3 minutes, seules 34 secondes sont consacrées aux Palestiniens. Aucun nom n'est donné, aucun portrait n'est fait d'eux.
Cette invisibilisation passe par d'autres angles morts pour le moins problématiques. La qualification de génocide est ainsi totalement ignorée : ni l'avis de l'Association internationale des chercheurs sur le génocide, ni les conclusions de la Commission d'enquête de l'ONU n'ont fait l'objet de reportage ! Et lorsque Dominique de Villepin évoque la question le 22 septembre, Léa Salamé évacue le sujet :
- Dominique De Villepin : La communauté internationale, elle est là pour rappeler Benjamin Netanyahou à ses devoirs, à sa responsabilité à un moment où un génocide se déroule à Gaza.
- Léa Salamé : Vous employez le mot de génocide, qui n'a pas été pour l'instant qualifié par la justice internationale…
- Dominique de Villepin : Elle a parlé de risque plausible de génocide. Dans la convention de 1948, il est prévu que c'est une nécessité de prévention et de répression…
- Léa Salamé : Oui, mais…
- Dominique De Villepin : … c'est-à-dire que tous les États sont obligés de prendre des mesures conservatoires pour empêcher ce risque génocidaire de se produire.
- Léa Salamé : Oui, mais pour l'instant, la Cour internationale de justice n'a pas jugé sur le fond de cette affaire-là. Les mots ont un sens, mais au-delà de Benjamin Netanyahou, que répondez-vous ?
Verrouillage, encore et toujours.
Disons-le : le 20h de France 2 n'a pas attendu Léa Salamé pour manifester les biais ici passés en revue. Du traitement pour le moins questionnable des JO ou de la question palestinienne, les archives d'Acrimed sont là pour en témoigner. Faut-il en déduire que ces errements sont intrinsèques au format du 20h ? Si les contraintes pèsent lourd, la « mal-information » n'est pourtant pas une fatalité. Pour s'en convaincre, il suffit de se tourner… vers le 20h.
Car parmi les 482 reportages, tous ne témoignent pas d'une faillite journalistique. On a pu mesurer, par exemple, la plus-value (et les bienfaits) d'un long reportage international lorsque celui-ci n'est pas préalablement verrouillé par la direction parisienne. Ce fut le cas lors du grand format consacré au Maroc (1/10). C'est d'ailleurs à l'occasion de cette page spéciale qu'a été diffusé l'un des rares reportages principalement axés sur les conditions de travail. De même, le JT a montré qu'il était possible, dans une certaine mesure, de faire de la vulgarisation scientifique (« Pesticides : les riverains des vignes contaminés », 15/09 ; interview de la directrice de l'institut Pasteur, 9/10). Enfin, citons le reportage « Mineurs délinquants : au cœur d'un tribunal pour enfant » (2/09). D'une durée de près de 13 minutes, ce sujet montre qu'un traitement de fond est possible (et même souhaitable) et qu'il permet, dans une certaine mesure, de contourner les réflexes simplistes et immédiats du cadrage sécuritaire traditionnel de ces questions. Ces reportages ne sont pas exempts de défaut. Cependant, leur existence montre à quel point la médiocrité d'ensemble du 20h est d'abord et avant tout la conséquence… de choix éditoriaux : oui, un autre JT est possible !
Arnaud Galliere
[2] Autrement dit les 20h du lundi, mardi, mercredi et jeudi. Les 20h présentés par Laurent Delahousse et Sonia Chironi, le vendredi, samedi et dimanche, n'ont pas été inclus dans cet article ; de même que ceux présentés par Jean-Baptiste Marteau les 22, 23, 27, 28 et 29 octobre.
[3] Les titres du journal ne sont pas inclus dans les décomptes, tout comme les lancements des reportages, sauf dans certains cas (lorsqu'ils apportent une information supplémentaire et quand ils sont particulièrement longs). Les titres et lancements peuvent cependant être mentionnés dans le cadre d'une analyse plus qualitative.
[4] Nous avons utilisé 3 sources pour les décomptes : (1) nos propres minutages, (2) les durées indiquées sur le site de France 2, (3) les durées indiquées sur le site de l'INA. Nous avons noté quelques légères différences ici et là entre les chiffres de l'INA et ceux du site de France 2. Dans la mesure du possible, nous avons privilégié nos chiffres et ceux du site de France 2.
[5] Les interviewés restants sont, par ordre de passage : Anne-Charlène Bezzina, le cardinal François Bustillo, Anastasia Fomitchova, le général Patrick Dutartre, l'avocat Christophe Ingrain, Delphine Horvilleur, Gaëlle Paty, Alexis et Félix Lebrun, Cédric Sapin-Defour.
[6] 9 reportages durant entre 1'16 et 2'09 ; un reportage de 2'55 et un autre de 4'27.
[7] De manière plus générale, la question des violences policières est largement absente des 20h de France 2. Parmi les quelques rares reportages consacrés à cette question, on peut citer le 20h du 7/09 présenté par Laurent Delahousse : « Vidéo d'un jeune giflé : enquête ouverte contre des policiers ».
[8] Le grand format est aussi à plusieurs reprises appelé « Grand travaux : le tour de France de l'absurde ».
[9] « Argent public : des ponts construits pour rien » ; « Administration : l'enfer des formulaires Cerfa » ; « Normes : à quand la simplification » ; « Inde : des morts pourtant bien vivant ».
[10] Où la chronique d'Emmanuelle Ducros (journaliste à L'Opinion) s'intitule d'ailleurs… « Voyage en absurdie ».
[11] Un constat d'autant plus accablant que nous avons compté dans « écologie » des sujets qui auraient pu être classés ailleurs. C'est le cas par exemple d'un reportage consacré à un éboueur-influenceur : « Réseaux sociaux : l'éboueur star des ados » (23/09).
[12] Pour être précis : « Inondations : les naufragés du Giers » (3'58) ; « Inondations : des travaux XXL pour y échapper » (3'29) ; « Tempête de grêle : quand la facture s'alourdit » (3'48) ; « Vallée d'Aspe : un an après retour sur des inondations dévastatrices » (1'38).
[13] Afghanistan, Chine, Corée du Nord, Inde, Iran, Taïwan, Albanie, Danemark, Espagne, Finlande, Grèce, Italie, Moldavie, Pologne, Portugal, Royaume-Uni, Ukraine, Russie, Israël, Palestine, États-Unis, Jamaïque, Haïti, Venezuela, Madagascar, Maroc.
[14] Sur les 10 pays ayant bénéficié de reportages sur plus de 2 JT, 5 sont européens : Danemark, Espagne, Italie, Ukraine, Royaume-Uni. Les 5 autres pays sont : Chine, États-Unis, Israël, Palestine, Russie.
[15] « Gaza : l'espoir des familles d'otages » (7/10) ; « Document : les retrouvailles d'une famille après 738 jours » (13/10) ; « Otages israéliens : révélations sur leur détention » (14/10).
28.11.2025 à 18:35
Jérémie Younes
Mercredi 19 novembre, devant le Congrès des maires de France, le chef d'état-major des armées, le général Fabien Mandon, a estimé que la France était « en risque » face à la « Russie de Vladimir Poutine » si le pays n'avait pas la « force d'âme » d'accepter « de perdre ses enfants » à la guerre. Sans attendre, de nombreux médias se sont emparés de cette déclaration pour décréter la mobilisation générale…
« À quoi nous prépare le général Mandon ? » demande inquiet Maxime Switek, sur BFM-TV. Il est 21h08 ce mercredi 19 novembre quand le présentateur prend connaissance des « propos chocs » du chef d'état-major des armées. Un bandeau accompagne sa lecture de la déclaration : « Si notre pays flanche – écoutez-bien – insiste Maxime Switek, si notre pays flanche parce qu'il n'est pas prêt à accepter de perdre ses enfants, alors on est en risque ». Léger moment de sidération sur le plateau – qui jusqu'ici parlait de la neige. La mine grave, la journaliste maison Elsa Vidal lui répond : « Une guerre, c'est finalement la confrontation de deux volontés, et il est important que "l'arrière", les civils, soient disposés à ce que cette guerre ait lieu ! Mais la formulation du chef d'état-major est quand même… j'ai envie de le dire… malheureuse. »
Les déclarations « chocs » de Fabien Mandon vont en effet, dans un premier temps, provoquer un « tollé » dans la classe politique. Les politiciens de presque tous les bords s'en indignent, et les premiers articles, publiés dans la foulée de la dépêche AFP rapportant le discours du général, portent presque tous sur ces réactions politiques assez univoques. À peine prononcés, voilà en tout cas les mots du chef d'état-major des armées propulsés à la Une de l'actualité. Le lendemain, le ton change, avec la ministre des Armées Catherine Vautrin qui « vole au secours » (JDD, 20/11) du général Mandon, expliquant (sur X) que ses propos ont été « sortis de leur contexte » et qu'il était parfaitement fondé à les tenir.
La machine médiatique se met en branle à toute vitesse, et les réactions des politiciens sont rapidement recouvertes par le commentariat des éditorialistes, qui ont reçu l'incitation de la ministre et se font les exégètes du général Mandon. « Vous voyez bien que la guerre est revenue en Europe et que la menace existe, justifie Didier François, « éditorialiste défense BFM-TV », à peine une heure après les déclarations du chef d'état-major : ce qui est important c'est de dissuader l'ennemi […] pour cela, il faut que nos adversaires soient persuadés qu'on est prêts, qu'on sera prêts à se battre et qu'on acceptera la bagarre ». « Ça fait peur ! » réagit la présentatrice Julie Hammett, avant de se tourner vers un nouvel éditorialiste, Ulysse Gosset : « Effectivement, les mots sont très forts et ils sont inquiétants, et quand les Français les entendent, ils se disent, "est-ce que la guerre est pour demain ?" » Selon l'éditorialiste, qui se demande à voix haute si « les Français sont prêts à entrer en guerre », ce n'est pas encore « un appel à la mobilisation générale, mais c'est un appel à la prise de conscience ». Les Français ne sont d'ailleurs pas les seuls inquiets, ajoute Gosset, « les services allemands, les services britanniques, disent tous la même chose ». Didier François rebondit : « Pour ceux qui croient que c'est politique… » « Ça c'est un message à Jean-Luc Mélenchon », relève la présentatrice.
Le lendemain matin (20/11), sans doute prise de court par l'actualité, BFM-TV déploie un procédé pour le moins surprenant : l'invité de la matinale de Laurent Neumann n'est nul autre que… Didier François, « l'éditorialiste défense » maison, encore lui. BFM-TV interviewe BFM-TV, et cette fois, la fonction d'exégète du général Mandon que remplissait symboliquement la veille au soir l'éditorialiste est explicitée littéralement sur le bandeau : « Chef des armées : que voulait-il dire vraiment ? » Didier François va nous le dire : « On a cru pendant des années, enfin pendant les 30 dernières années, que la parenthèse exceptionnelle de paix que nous avons vécue était la norme ! Bah on est en train de se réveiller… Alors c'est évidemment difficile pour l'autruche de sortir la tête du sable, parce que c'est désagréable… honnêtement ça gratte. Mais la vérité c'est ça, c'est qu'on revient à un monde normal tel qu'on le connaissait avant ». Un monde « normal » est celui où la guerre plane sur chaque enfant.
Sur RTL, dans l'émission d'Anne-Sophie Lapix (20/11), le ton est moins familier, mais le fond n'est pas bien différent : « La Russie de Vladimir Poutine, manifestement, nous considère comme un adversaire », avance son invitée Muriel Domenach, ancienne ambassadrice de France à l'OTAN. « Nous sommes déjà en guerre », explique quant à lui l'immanquable Michel Goya, ancien colonel et « expert en stratégie militaire », qui explique qu'il fulmine en entendant les pacifistes s'insurger des déclarations du chef d'état-major : « Si la nation n'est pas prête à cela, si elle considère que ce sacrifice n'est pas utile ou nécessaire, et bah c'est pas la peine quoi… on perd, en réalité, la vraie force… la vraie force des nations c'est dans cette volonté en réalité, de prendre des risques, pour essayer d'obtenir quelque chose… » Anne-Sophie Lapix passe ensuite la parole à Jean-Marie Bockel – ex-ministre sous Mitterrand et sous Sarkozy dont le fils, militaire, a été tué au Mali. Puis à Michel Duclos, ancien diplomate, qui parle de la « menace russe aux portes de l'Europe » et explique qu'il y a un vrai « besoin de pédagogie » à ce sujet. Anne-Sophie Lapix constate que son plateau est à sens unique et le verbalise : « On va parler dans un instant des réactions […] qui ne sont pas forcément très positives ou aussi unanimes que sur ce plateau… » Ce sera après la pub, et ce qui fera office de contradictoire est un petit « sonore » de Jean-Luc Mélenchon. La même unanimité se retrouve sur le plateau de LCI, dans l'émission « 24h Pujadas » (20/11) : « J'ai d'abord envie d'entendre le colonel, le colonel de réserve Servent, Pierre, est-ce que c'est alarmiste ou est-ce que c'est indispensable cette déclaration du chef d'état-major ? » « Indispensable », répond sans hésiter son invité, qui est éditorialiste sur la chaîne. Jean-Dominique Merchet introduit une petite nuance et trouve que ce discours « doloriste » est une « formidable erreur de communication », même s'il n'en conteste pas le fond (« Je ne suis pas un pacifiste », dira-t-il) À ses côtés, Isabelle Lasserre du Figaro est beaucoup plus enthousiaste : « Pour qu'un bâtard [1] puisse être tué, il faut que la dissuasion de la France soit rétablie ! La guerre étant un affrontement des volontés, il faut rétablir la volonté des Français et des Européens, qui pour moi, fait complètement défaut. » La journaliste du Figaro va plus loin :
- Isabelle Lasserre : Ce qui me choque moi en fait dans toute cette histoire, c'est qu'on a l'impression que la France sort lentement du déni qui était le sien depuis le début des années 1990 […]. Donc on se réveille depuis 2014, et surtout depuis 2022, mais tout le monde ne se réveille pas ! Alors effectivement, le chef d'état-major, lui, a pris pleinement conscience de la menace russe… c'est la Russie qui nous a déclaré la guerre ! C'est pas la France qui a déclaré la guerre…
- David Pujadas : Qui nous a déclaré la guerre ?
- Isabelle Lasserre : C'est la Russie, c'est Poutine…
- David Pujadas : … Qui a déclaré la guerre à l'Ukraine…
- Isabelle Lasserre : Non, non, à nous aussi ! Non, Vladimir Poutine considère qu'il est en guerre contre l'Union Européenne. Il lance tous les jours des actes de guerre hybride contre les pays d'Europe occidentale. […] Les extrêmes droite et gauche qui protestent contre ces propos sont celles qui depuis le début sont complètement pro-russes et défendent la…
- David Pujadas : Attendez y'a pas que les extrêmes ! Y'a pas que les extrêmes…
- Isabelle Lasserre : C'est surtout les extrêmes […]
- David Pujadas : C'est du défaitisme ?
- Isabelle Lasserre : C'est une tentation de l'apaisement, une tentation munichoise […]. C'est pas comme ça qu'on va protéger les enfants de la France
En face, Jean Quatremer parle lui aussi de Munich, de 1940 et de « désarmement moral », et se réjouit des déclarations du chef d'état-major : « C'est très bien que ça choque ». Ces tirades inspirent une question à David Pujadas : « Pour refamiliariser [les jeunes] avec l'idée de guerre, est-ce qu'il faut d'abord mettre l'accent sur la mort ? »
Les « experts militaires » ou les militaires tout court vont ainsi se succéder sur les plateaux et dans les colonnes des journaux. L'amiral Nicolas Vaujour, chef d'état-major de la Marine, est sur RTL (20/11) dès le lendemain matin des déclarations du général Mandon. Le général Vincent Desportes pointe sur RTL (20/11), RMC (21/11), Europe 1 (27/11) et Marianne (26/11). Michel Goya est lui sur RTL (20/11), BFM-TV (21/11), France 5 (22/11), ainsi que dans Le Point (21/11). L'ancien chef d'état-major de l'Armée de l'air Jean-Paul Paloméros est sur France Info (21/11), BFM-TV (21/11), CNews (21/11, une journée chargée !), ou RMC (24/11). Pierre Servent passe lui presque tous les jours sur les chaînes de son employeur, TF1 ou LCI, mais aussi occasionnellement sur France Inter (27/11). Le général Mandon sera lui-même invité dans « C à Vous » (France 5, 22/11), pour réitérer ses propos tout en s'excusant d'avoir pu heurter. Bref, un véritable « journalisme de caserne » au service, pendant toute une semaine, de l'objectif admis par Pujadas : refamiliariser la population avec l'idée de guerre.
La séquence éditoriale déclenchée par le discours du chef d'état-major est massive, et il est quasiment impossible d'en faire une revue exhaustive. On peut néanmoins en dégager le message de fond, qu'une dépêche AFP, reprise telle quelle ici et là, résume lapidairement : « Les autorités françaises tentent de préparer les esprits à la guerre » (20/11). La dépêche note que le gouvernement français a, le même jour, publié en ligne « un guide de survie » en cas de catastrophe ou de conflits armés. « Les autorités tentent, depuis des mois, de préparer les esprits des Français à des sacrifices en cas de guerre. Mais le message peine à infuser », regrette ainsi Le Télégramme (21/11), dans un article titré « Pourquoi la France doit se préparer à la guerre ». « Le message passe mal », confirme un autre titre régional, Le Maine Libre (21/11). « Depuis qu'il est devenu chef d'état-major des armées, le 1er septembre, [Fabien Mandon] n'a de cesse de frapper les esprits, afin que la population civile se prépare à "un conflit de haute intensité" contre la Russie » retrace Le Parisien (21/11). « Menace russe : l'opinion, la première bataille », rappelle le bien nommé L'Opinion (21/11).
Dans Libération, les papiers oscillent entre les reproductions de dépêches sur la classe politique qui « bondit » (20/11), les « débats » lancée à la cantonade par la directrice adjointe de la rédaction Alexandra Schwartzbrod (« Faut-il accepter de perdre nos enfants, comme l'a dit le chef d'état-major des armées ? », 21/11), et les critiques très mesurées contenues dans les éditos de Thomas Legrand, qui eux non plus ne contestent pas le fond : « L'Europe est devenue un îlot de démocratie libérale assiégée. Si l'on est attaché à la préservation de ce modèle, qui a fait de notre continent le petit bout de terre le plus libre du monde, il faut effectivement se préparer à se battre et, sans doute, à faire des sacrifices. ». Mais l'on trouve aussi, dans les pages de Libé, des papiers beaucoup plus ouvertement favorables aux déclarations du général Mandon, comme celui de Jean Quatremer (20/11) : « Un appel à la mobilisation morale et économique de la nation absolument nécessaire pour que l'industrie de la défense française passe enfin en mode "économie de guerre" et que l'opinion publique comprenne enfin qu'il va falloir faire des choix budgétaires douloureux pour permettre la montée en puissance de l'armée française. Afin de décourager les nuisibles d'attaquer nos démocraties. »
Dans un long papier, titré « Derrière les polémiques stériles, ce qu'a vraiment dit le chef d'état-major des armées » (21/11), le magazine Challenges estime que le discours de Fabien Mandon « n'a rien d'une sortie de route », et que ceux qui le condamnent font preuve « de déni ou d'angélisme » : « Oui, la guerre fait des morts, écrit le journaliste Vincent Lamigeon, faire comme si cette réalité n'existait pas, comme si ce sacrifice n'était pas consubstantiel à toute intervention armée, comme si un chef d'état-major n'avait pas le droit de la rappeler, c'est faire preuve d'un déni étrange, ou d'un angélisme qui ne peut que faire les affaires de Moscou ». Le constat est le même dans les colonnes de Ouest-France (23/05), où c'est le général Daniel Brûlé qui donne son point de vue : « L'hypothèse d'une guerre impliquant la France n'est pas un objet de débat mais une réalité. » Le Monde se lance lui sur le terrain de la comparaison internationale (« Les propos du général Mandon, une position partagée en Europe », 24/11) puis regrette dans un autre papier que « la pédagogie de l'effort de défense » se déroule « en terrain miné » (25/11) : « S'exprimer sur le rapport que la nation peut entretenir à sa défense est un exercice extrêmement sensible, voire périlleux. Le chef d'état-major des armées, Fabien Mandon, en a fait l'expérience […] », écrit le journal de référence. Le Point, qui n'aime rien tant que la guerre, est bien sûr au rendez-vous. C'est d'abord Sophie Coignard qui s'y colle, avec un angle que son titre résume bien : « Royal, Mélenchon, Roussel : derrière le pacifisme, le carriérisme » (21/11). Puis c'est Kamel Daoud qui se laisse aller dans sa chronique à un lyrisme guerrier : « La France est-elle prête à envoyer ses enfants se faire tuer à la guerre ? Cette question lancée par le chef d'état-major est cruciale : c'est celle par laquelle s'affirme une nation. » Le registre de l'humour est aussi employé : c'est par exemple Sophia Aram qui fustige sur France Inter (25/11) les « patriotes en carton » et proclame toute sa confiance au général Mandon. Les Échos, enfin, par l'intermédiaire de son chroniqueur « philosophe » Gaspard Koenig, s'avance sur la question morale : « Au nom de quoi perdre ses enfants ? » (27/11) Bonne question.
Au fil de la semaine et des commentaires qui ont suivi les déclarations du général Mandon, la presse a commencé à bruisser d'une rumeur : le chef d'état-major était-il en « service commandé » (Libération, 21/11) pour le véritable chef des armées, le président de la République ? A-t-il pu faire des déclarations de ce type sans l'aval d'Emmanuel Macron, dont il est notoirement proche, puisqu'il fut l'un de ses conseillers ? La question est posée dans le 20h de Léa Salamé du 20 novembre. Dans le sujet diffusé, France 2 cite anonymement « un conseiller de l'Élysée », qui affirme que Macron n'avait pas supervisé le discours du général, mais qu'il en validait le fond : « La phrase isolée est angoissante bien sûr mais il faut prendre le propos dans son ensemble. Une prise de conscience est nécessaire », cite le JT. Un autre sujet est lancé dans la foulée par Salamé, pour faire « l'état précis de la menace russe ». Dans celui-ci, on peut entendre « l'expert » de l'IFRI, Thierry Gomart, dire que « la Russie a déclaré la guerre à l'Europe, d'une certaine manière ». Mais nous n'en saurons pas plus sur la « certaine manière » avec laquelle la Russie a « déclaré la guerre à l'Europe ». Dans le même JT est évoquée une rumeur qui va être, tout au long de la semaine, la deuxième jambe de la marche médiatique vers la guerre : « Selon nos informations, le président de la République doit faire des annonces dans les prochaines semaines sur la création d'un service militaire volontaire. »
Les uns après les autres, les journaux font part de leurs informations exclusives en provenance de l'Élysée et très vite le calendrier se précise : ce ne sera pas « dans les prochaines semaines », comme initialement annoncé par le JT de France 2, mais dès ce jeudi 27. Lundi 24 novembre, depuis un déplacement en Angola, Emmanuel Macron accorde un entretien à RTL et M6, diffusé le lendemain sur les deux antennes, dans lequel le président de la République apporte son soutien à son chef d'état-major – « Son propos a été déformé » – et confirme « la transformation du Service national universel vers une nouvelle forme ».
Débats de plateaux, tribunes, entretiens, éditos, comparaisons internationales, sondages, le « retour du service militaire » ouvre illico une nouvelle page de cette séquence militaro-médiatique. L'idée est chaudement accueillie par une très large partie de la presse.
Jeudi 27 novembre, depuis Varces (Isère), Emmanuel Macron annonce donc le retour du service « volontaire » et « purement militaire » de 10 mois que la presse avait teasé depuis une semaine. Sur LCI, Renaud Pila ne sait plus comment contenir son enthousiasme :
- Éric Brunet : Nous avons Renaud Pila qui lève le doigt comme un enfant sage, il veut prendre la parole. Dès qu'il y a la chose militaire, je le vois extrêmement mobilisé.
- Renaud Pila : Moi, je suis discipliné hein ! J'ai fait mes classes !
- Éric Brunet : Très bien. On vous écoute.
- Renaud Pila : […] Il va y avoir dans les jours qui viennent énormément de débats sur : « Oui mais ça ne sert à rien de faire un service national si on ne fait pas nation, s'il n'y a pas un but collectif du pays et si l'armement moral n'est pas sur l'économique et le social, mais vous comprenez… » Mais enfin ! Ça, c'est des questions, franchement… Ça, c'est des questions pour prendre le thé le dimanche à 17h ! Mais avant de prendre le thé le dimanche à 17h et de se poser dix milliards de questions philosophiques […], on met son treillis, on s'engage si on est volontaire, on s'engage ! Le cœur de cible, 18 ans, 19 ans, on s'engage pour dix mois. […] Lorsqu'on était dans les années 70, 80, 90, on ne se posait pas toutes ces questions ! On avait le service militaire obligatoire et […] on ne se disait pas « Mais oui, mais non, mais est-ce que je vais faire mon service parce que, la France, où sont les fondamentaux ? » Mais non ! À un moment donné, il y a une menace. […] [Macron], c'est le chef des armées. Lorsque le chef de l'État quel qu'il soit dit « Il y a une menace » – on la voit tous les jours, sur LCI on informe tous les jours, depuis des années il y a eu 800 morts français sur les théâtres africains ou en Afghanistan, il y a tous les jours des soldats qui risquent leur vie –, eh bien aujourd'hui, il y a une menace, il y a une menace claire, il faut demander aux Baltes, il faut demander aux Polonais, eh bien, on s'engage ! Et les débats philosophico-philosophiques, on pourra les faire le dimanche à 17h ! Là il y a quelque chose qui est clair et il y a un besoin du pays !
Caricatural chez Renaud Pila, l'enthousiasme éditorial pour cette idée macroniste va être très largement partagé, sous diverses modalités, par la quasi-totalité du paysage audiovisuel. « C'est une très bonne chose, réagit dans la foulée le général Dutartre sur BFM-TV, moi je pense que ça va faire l'unanimité ! ». « Quand vous êtes volontaire pour dix mois, ajoute le chef du service international, Patrick Sauce, à moins d'une très mauvaise expérience, en fait vous êtes, je dirais non pas fana-mili [sic], mais un ami de la famille militaire pour la vie ! »
Même euphorie sur CNews, dans l'émission de Laurence Ferrari : « Moi, je trouve que c'est une initiative formidable que de remettre quelques jeunes sous les drapeaux ! On est d'accord ? » « Absolument, on peut terminer le débat », acquiesce son invité, le général Bruno Clermont. Éric Naulleau y est aussi « favorable dans l'ensemble », mais regrette que le service ne soit que volontaire : « Si c'est sur la base du volontariat, ce n'est pas ceux qui ont le plus besoin d'être remis d'équerre qui iront ». « Ce n'est qu'une première étape, le rassure le lieutenant-colonel Vincent Arbarétier sur France Info, les Allemands ne sont pas dupes : leur service militaire volontaire va se transformer tôt où tard en service militaire obligatoire ». Sur LCI, Ruth Elkrief exulte : « Il y a une dimension de réarmement moral, et elle est bienvenue parce qu'il y a une demande en fait ! […] Il y a une sorte de vide et un besoin existentiel de but dans la vie, d'objectif, de beauté en quelque sorte, d'idéal ! Et là on en offre un, qui est cadré, qui est clair, et qui est pour la France avec ses valeurs. Quoi de mieux ? »
Le soir de l'annonce, le journal de Léa Salamé se charge du service après-vente. La présentatrice reçoit la ministre des Armées, Catherine Vautrin, et consacre une grande partie de son interview… à expliquer aux jeunes concernés comment candidater à ce nouveau service militaire volontaire : « Si y'a des gens qui nous regardent là, s'il y a des jeunes de 17-18 ou 19 ans qui nous regardent… ils veulent s'inscrire, qu'est-ce qu'ils doivent faire concrètement ? ». « Et on sera rémunéré 800 euros ? », relance Salamé. « Rémunéré, nourri, logé, blanchi, et avec une carte de réduction SNCF de 75% ! » répond la ministre. Léa Salamé s'inquiète : « Si dans les prochains jours vous recevez des milliers de candidatures – imaginons – comment vous allez les sélectionner ? » Les questions de Salamé sur la réalité de la « menace russe » arriveront bien après cette séquence « numéro vert », mais là encore, elles ne seront pas bien déstabilisantes pour la ministre : « Il avait raison [le général Mandon] de le dire ? C'est ça dire la vérité aux Français ? » ; « La menace elle est sérieuse ? Elle est là, elle est sérieuse ? » ; Certaines de ses relances ne sont même pas des questions : « Il faut se préparer à sacrifier nos enfants dans les prochaines années… On ne pourra pas échapper à une confrontation avec la Russie d'ici 3 ou 4 ans… »
L'unanimisme éditorial que nous documentons sur de nombreux sujets s'est donc donné à voir dans un nouvel épisode fort impressionnant. Et on le sait : face à la propagande de guerre, les médias se mettent au garde-à-vous.
Jérémie Younes
[1] Isabelle Lasserre rebondit ici sur la prise de parole antérieure de Jean-Dominique Merchet : « Moi j'admire le général George Patton qui disait à ses soldats : "L'objet de la guerre ce n'est pas de mourir pour son pays, c'est de faire que le bâtard d'en face meurt pour le sien". »
25.11.2025 à 15:29
Maxime Friot
CNews, 18 novembre 2025.
« J'ai quitté le plateau de Morandini sur CNews ce matin. Un sondage sur l'Islam de France, commandé par Le Figaro à l'Ifop, basé sur un échantillon de 1 000 sondés, ne peut résumer la position des jeunes musulmans de France », tweete, ce 18 novembre, la conseillère municipale d'Ivry-sur-Seine (et macroniste) Rachida Kaaout. Au programme du plateau ce jour-là : un sondage de l'Ifop sur les « musulmans de France » – celui-là même qui sera démonté par Mediapart deux jours plus tard. Ce n'était, ô surprise, pas l'angle d'attaque du jour. Au contraire même, puisque la prise de distance avec ce sondage, tentée par Rachida Kaaout, va lui valoir les foudres de Jean-Marc Morandini, animateur au sinistre pedigree.
Au départ, il y a cette question : « Rachida Kaaout, votre regard sur ces trois chiffres ? Je voudrais juste qu'on se concentre sur ces trois chiffres, parce que pour moi ils sont très significatifs sur les jeunes de moins de 25 ans. »
Mais, problème, la conseillère municipale n'apporte pas la réponse attendue : « Moi, ce qui me pose problème, c'est la radicalisation. Après, maintenant, si je dois commenter votre sondage, je vais vous dire, sur un échantillon de 1 000 personnes, c'est ça ? Pour moi, il n'est pas représentatif de la réalité… » C'en est (déjà) trop pour Morandini, qui va recouvrir la voix de son invitée par des invectives et une même question, serinée à l'infini : « Un sondage politique, ça se fait sur combien de personnes ? »
Précisons-le d'emblée : les échanges qui suivent se basent sur une intox : si l'échantillon du sondage en général est bien de 1 005 « personnes musulmanes », celui sur les moins de 25 ans est en fait de 291 personnes [1].
Ni Morandini, ni personne d'autre sur le plateau, ne le précisera. L'animateur était semble-t-il trop occupé à rabrouer son invitée : « Quand le thermomètre dit de mauvaises choses, on casse le thermomètre en fait. » ; « Soyons sérieux ! » ; « Vous pouvez pas dire le sondage vaut rien parce qu'il vous plaît pas ! » ; « Là, c'est un sondage énorme, qui a été fait sur des centaines de personnes et on a retenu 1 000, qui étaient musulmanes en plus ! » ; « Mais enfin, c'est les sondages, c'est comme ça que ça se fait un sondage, vous dites n'importe quoi ! » ; « Arrêtez, vous répétez la même chose, vous êtes une machine à répéter la même chose ! » ; « Alors, je [ne] vous interroge plus. Je ne vous interroge plus. Je-ne-vous-interroge-plus ! » ; « Rachida Kaaout, essayez de répondre à ma question, autrement vous arrêtez de parler. » ; « Arrêtez, ça n'a aucun intérêt ce que vous dites… » ; « Arrêtez ! » ; « C'est pas parce que vous répétez 25 fois la même chose que c'est une vérité ! » ; « Vous répétez 25 fois n'importe quoi ! » ; « Stop ! » ; « Ça suffit ! »
Et de conclure ce premier acte avec un aveu… cristallin : « Ça m'intéresse pas de parler avec vous. »
15 minutes plus tard, c'est le feu d'artifice. Alors que Rachida Kaaout tente à nouveau de participer au débat, Morandini s'interpose : « Non, non, non, non, non ! Je ne vous donne pas la parole sur ce sujet ! »
Et de recouvrir, une nouvelle fois, son invitée : « Rachida, vous n'avez pas la parole. Ce sondage ne vous intéresse pas, il ne vaut rien, je ne vous donne pas la parole sur ce sujet ! » ; « Vous m'entendez ou pas ? Est-ce que vous m'entendez, Rachida ? » ; « Moi, je vous le dis, je ne vous donne pas la parole ! Je ne vous donne pas la parole sur ce sujet ! » ; « Mais vous [ne] constatez rien ! » (4 fois) ; « Vous faites de l'intox. » (3 fois) ; « Je vous donne pas la parole. » ; « Vous faites du vent. » ; « Vous faites du bruit avec votre bouche, c'est tout ce que vous faites. » (2 fois) ; « Ce que vous dites ne sert à rien. » « Non, parce que vous n'avez pas de solution, vous faites du vent. » ; « C'est du vent. » ; « Vous n'avez pas la parole… » ; « Est-ce que vous m'entendez ? Est-ce que vous m'entendez ou vous avez un problème d'audition ? » (2 fois) ; « Je veux que vous répondiez aux questions ou alors que vous ne parliez pas ! » ; « Alors répondez aux questions ! » ; « Non ! Non, non, vous ne répondez jamais aux questions. Vous n'avez pas la parole, ça vous l'entendez ? » ; « Est-ce que vous entendez que vous n'avez pas la parole ? » ; « Est-ce que vous entendez que vous n'avez pas la parole ? »
Et une troisième fois, fatale :
- Jean-Marc Morandini : Est-ce que vous entendez que vous n'avez pas la parole ?
- Rachida Kaaout : Alors, je m'en vais.
- Jean-Marc Morandini : Eh ben au revoir !
- Rachida Kaaout : Et bien, au revoir, très bien…
- Jean-Marc Morandini : Au revoir, merci d'être venue.
- Rachida Kaaout : Je ferai [inaudible] mon commentaire, merci…
- Jean-Marc Morandini : Vous ferez votre commentaire toute seule puisque vous parlez toute seule de toute façon.
- Rachida Kaaout : Vous ne voulez pas de solution !
- Jean-Marc Morandini : Non, je veux avoir des gens qui répondent aux questions, et pas des gens qui font du bruit avec leur bouche juste histoire d'occuper le terrain. Merci, au revoir !
On est certainement là face à un chef d'œuvre d'interrogatoire journalistique – un de plus dans le (long) palmarès de Jean-Marc Morandini. D'où cette question, lancinante : que fait-il encore sur un plateau de télévision ? Et, qui plus est, sur une chaîne qui bénéficie d'une fréquence publique ? Allô l'Arcom ?
Maxime Friot
[1] « Sur les 1 005 personnes musulmanes interrogées par l'Ifop, 291 ont été identifiées comme faisant partie de la catégorie des "15-24 ans". C'est sur ces jeunes personnes que se sont focalisés un grand nombre de médias, reprenant le cadrage de l'Ifop, qui propose un "zoom sur les musulmans âgés de 15-25 ans" » (Mediapart, 20/11).