20.10.2025 à 17:07
Jérémie Younes
« Meilleur observateur de la France contemporaine. »
- Sondologie et sondomanie : Sondages en tous genres / Ifop, SondagesQue la question porte sur les débats budgétaires, l'insécurité, les goûts culinaires des Français ou la musique country, les médias aiment s'entourer de sondeurs qui leur permettent, prétendent-ils, d'objectiver « ce que pensent les Français ». Portrait de l'un des plus éminents d'entre eux, le sondologue de l'Ifop Jérôme Fourquet.
« Qui est vraiment Jérôme Fourquet ? » C'est la question que se pose Le Figaro, en 2023. Ni sociologue ni économiste, pas tout à fait géographe et encore moins urbaniste, Jérôme Fourquet est ce qu'on appelle dans le jargon médiatique un « toutologue ». Et pas n'importe lequel ! Polyvalent, Jérôme Fourquet peut s'exprimer le matin sur l'implantation d'un McDonald's dans les Yvelines [1] et le soir sur les « intentions de vote des Français ». Depuis sa position de directeur du département « Opinion et stratégie d'entreprises » de l'institut de sondage et de marketing Ifop, il est devenu au fil des années un client incontournable des médias… et une référence intellectuelle pour toutes les droites.
Se lancer dans un comptage des passages télé ou radio de Jérôme Fourquet est un travail fastidieux : rien que sur la dernière année, entre le 1er octobre 2024 et le 1er octobre 2025, les archives de l'INA recensent pas moins de 85 apparitions dans l'audiovisuel français. Presque deux fois par semaine, souvent sur le service public : France Inter, France Info, France Culture, RTL, CNews, France 5, BFM-TV, France 2, Paris Première, Europe 1, LCI, Radio Classique… Fourquet est absolument partout pour commenter, en vrac, faits divers, questions politiques et pratiques de consommation : la taxe Zucman, le meurtre de Philippine, le narcotrafic, la mort des boulangeries artisanales, l'inéligibilité de Marine Le Pen, le site Vinted, la « guerre des clochers », etc. « Un jour d'élection, alors que je lui demande ce qu'il va raconter le soir à la télé, il me répond joyeusement : "Comme dans 'Top Chef', je vais faire avec les légumes du marché." », raconte au Nouvel Obs (5/10/23) son co-auteur Jean-Laurent Cassely. Même succès dans la presse écrite, où son nom est mentionné dans un nombre incalculable d'articles, sur des thèmes aussi variés que Charlie Kirk ou les paroles des chansons d'Orelsan. Les « titres » sous lesquels le sondeur est présenté par les médias varient en fonction des publications : parfois « essayiste », parfois « politologue », parfois même « géographe de territoires redessinés […], économiste d'une France dont le moteur est passé de la production à la consommation » (Les Échos, 5/12/24). Bien souvent, Jerôme Fourquet, qui est aussi « ethnologue » selon certains (Le Figaro, 12/10/21), est invité à présenter les résultats de sa dernière « étude d'opinion », dont les sujets varient puisqu'ils dépendent des désirs du client – des entreprises, comme Engie, Enedis ou Fiducial ; des médias, de CNews à L'Humanité ; ou des institutions, comme la fondation Jean-Jaurès, la CGT ou le Parti socialiste.
Jérôme Fourquet est aussi l'auteur de plusieurs « best-sellers ». « Prix du livre politique » en 2019, « prix du livre d'économie » en 2021, ses « tournées promo » ont peu d'équivalent. Pour son dernier livre, La France d'après (Seuil, 2023), le sondologue a fait presque toutes les matinales (France Inter, France Culture, Europe 1, RTL, Sud Radio, BFM-TV, France 2, CNews…) et la plupart des magazines de grande audience (« Quotidien », « C à vous »…), a eu le droit à des recensions dithyrambiques et à des entretiens en majesté dans la presse écrite. Le lancement de Yann Barthès dans l'émission « Quotidien » (12/10/23) dit tout de la place qu'il occupe dans le paysage médiatique : « Jérôme Fourquet continue d'autopsier notre pays en mille morceaux… le grand spécialiste du sondage d'opinion nous connaît mieux que personne, voici Jérôme Fourquet ! » En dehors de son activité de sondeur ou d'essayiste, Jérôme Fourquet est aussi régulièrement invité comme simple « témoin de l'actualité », que l'on discute des élections européennes, de la réforme des retraites, des Gilets jaunes, ou bien de Gaza. Il participe en outre plus directement à certaines productions médiatiques, comme dans la série d'été « Les mots de la République » sur France Culture – qui lui valut trois passages dans « Les Matins » en juin 2024 ! –, où il est invité à expliciter les « concepts » qu'il forge dans ses ouvrages. Jusqu'à des mises en scène au carré : « "La série montre le réel à ceux qui ne veulent pas le voir" : on a vu "La Fièvre" avec Jérôme Fourquet », titre par exemple Marianne (9/04/24). Le but ? Commenter avec Jérôme Fourquet cette série de Canal +, que beaucoup de commentateurs avaient auparavant décrite comme une adaptation des « thèses »… de Jérôme Fourquet. « Merde, on tourne en rond ! », comme dirait l'autre.
Que dit au juste cet expert de la France et des Français pour constituer un recours si systématique pour les médias ? Si les sujets qu'il aborde varient du tout au tout, une chose est constante : les opinions déguisées en analyses de Jérôme Fourquet coïncident presque toujours avec le prêt-à-penser médiatique, en particulier celui de la presse réactionnaire. Sur CNews (5/05/24), Fourquet s'appuie par exemple sur une « étude exclusive » commandée par le journal La Croix pour affirmer que « le développement de l'islamogauchisme a des motivations électorales en France ». Dans l'émission « C à vous » (France 5, 2/02), il s'appuie sur des études de l'Ifop « de 2006, 2011, 2017 et 2021 » pour dire que « 7 Français sur 10 souhaitent que la majorité pénale soit abaissée à 16 ans, pour que ce soit plus facile d'emprisonner des mineurs de 16 ou 17 ans ». Dans Les Échos (19/12/22), il affirme que, compte tenu de la démographie, il y a « sans doute nécessité à terme de réformer les retraites ». Au 20h de Léa Salamé (France 2, 8/09), invité à commenter la chute de François Bayrou, Fourquet estime que « deux sentiments dominent » chez les-Français, « l'inquiétude, chez les chefs d'entreprise, mais également chez les Français moyens » et puis « la colère » vis-à-vis de « l'instabilité politique ». Sur France Culture, il constate, bien désolé, que la majorité des Français a « une réaction viscérale » quand on parle d'augmenter les impôts, même ceux des plus riches. Il explique aussi en long et en large que la société « se fracture » sur des thèmes « ethnoculturels ». Dans son essai L'Archipel français (Seuil, 2019) par exemple, Fourquet calcule, à partir des prénoms donnés aux bébés nés en France, que « la part de la population issue des mondes arabo-musulmans représentera mécaniquement, du fait du renouvellement des générations, un habitant sur cinq, voire sur quatre, si la tendance haussière […] se poursuit. » Dans l'opus suivant, La France d'après, le sondeur compare l'implantation des permanences du parti communiste avec celle des mosquées en Seine-Saint-Denis, « laissant le lecteur s'imaginer que Marx est en quelque sorte (grand-)remplacé par Mahomet en Seine-Saint-Denis » [2].
Reproduit dans Jean Rivière, « Un récit anxiogène adossé à une géographie inventive », Métropolitiques, 18/01/24.
Il arrive aussi à Jérôme Fourquet de faire fructifier son capital médiatique, en participant comme invité d'honneur à de grands événements, comme lorsqu'il a ouvert le forum « Viva ! », tenu sous l'impulsion de plusieurs associations anti-IVG, aux côtés de l'ancien président de la Manif pour Tous. « On devine chez lui un léger tropisme droitier », lance timidement Eugénie Bastié (Le Figaro, 12/10/21), dans un panégyrique beaucoup moins timide à propos de son œuvre. Nous le décelons aussi : « Islamogauchisme », durcissement de la répression pénale, inquiétude des chefs d'entreprise, nostalgie de « la France d'avant », désir de stabilité politique, crainte de « débordements démographiques » : en somme, quel que soit le sujet, Jérôme Fourquet n'exprime que de banales opinions conservatrices, pour ne pas dire réactionnaires, souvent recouvertes, par un « abus de science » [3], du vernis de « l'étude d'opinion ». Dans un portrait qui lui était consacré en 2023, Le Nouvel Obs le qualifiait ainsi « d'oracle des déclinistes » (3/10/23).
Auréolé du statut de meilleur analyste de la société française, l'oracle Fourquet voit souvent sa parole être mise en avant pour contrebalancer celle… de véritables scientifiques. C'est même une habitude sur le service public : en octobre 2023, la matinale de France Inter place Fourquet face à l'économiste Thomas Piketty. Rebelote en mai 2024, quand le sondeur et le journaliste Nicolas Beytout (L'Opinion) sont opposés à l'économiste Michaël Zemmour. France Culture ne déroge pas à la règle : face à l'économiste Gabriel Zucman, le grand invité (10/09/25), la présence de Jérôme Fourquet a été jugée inévitable afin de bien rappeler que « les-Français » subissent déjà une forte « pression fiscale »… L'illustration la plus spectaculaire de ce dispositif et de la dynamique qu'on y observe est probablement le passage de Vincent Tiberj à la matinale de France Inter (3/09/24), flanqué, une nouvelle fois, de l'immanquable Fourquet. Le sociologue vient présenter son travail (Droitisation, mythes et réalités, PUF, 2024), qui, à l'inverse des constats de Fourquet, conteste l'antienne médiatique d'une « droitisation générale » de la société. Mais l'on sent bien, dès le début de l'entretien, à laquelle des deux thèses Nicolas Demorand accorde le plus de crédit : « Vincent Tiberj, ce qui dit Jérôme Fourquet sur le "régalien" [immigration et sécurité, NDLR], est-ce que ça vient limiter la portée de votre thèse ? » ; « Venons-en aux européennes, le total "gauche", 31%, et le total "droite/extrême droite", 44% […], est-ce que ça c'est atmosphérique, Vincent Tiberj ? » ; « Mais quand le RN recueille 31% des suffrages aux européennes, puis dans la foulée un nombre record de députés à l'Assemblée, est-ce que votre analyse, elle est pas un peu légère, là, Vincent Tiberj ? ». En face, les questions adressées à Jérôme Fourquet sont beaucoup plus amènes et l'invitent, en quelque sorte, à endosser le rôle d'arbitre des débats : « Comment recevez-vous l'analyse de Vincent Tiberj, Jérôme Fourquet ? » Le dispositif a donc un double effet : d'un côté, le temps de parole d'un sociologue qu'on entend rarement est divisé par deux, au bénéfice du temps de parole d'un sondologue qu'on entend tout le temps ; et de l'autre, le dispositif décrédibilise la recherche en sciences sociales, au profit d'une vision sondagière du « réel » qui, on le sent bien, a les faveurs du présentateur.
Les sentences prononcées par Jérôme Fourquet ont l'autre avantage, pour les journalistes, de receler une vision du monde extrêmement simpliste, qui tient parfaitement dans une interview de 4 minutes : « Le propos est clair et net, sans afféteries dandys, ni prétentions universitaires », s'enthousiasme ainsi Luc Le Vaillant dans Libération (03/05/19). À cet égard, Fourquet est le spécialiste pour lancer à la volée dans le débat public des concepts-en-deux-mots ou des problématiques faciles à digérer : « culture yankee », « indice de boboïsation », « France Triple A » contre « France backstage », « la France du barbecue et celle du quinoa », « civilisation périurbaine », « kebab contre blanquette de veau », « la France des Kevin et celle des Mohamed », « France hydroponique »... C'est avec ce genre de hochets « attrape-journaliste » que Fourquet « donn[e] le "la" de l'interprétation de la société française » [4] : « Moi, je dis ce que je vois, je le nomme, et après cela ne m'appartient plus », expliquait-il sérieusement au Nouvel Obs (5/10/23).
Au fil de ses passages médiatiques, le presque sociologue et pas tout à fait géographe est en tout cas devenu une référence intellectuelle, du « cercle de la raison » à l'extrême droite, d'Emmanuel Macron à Renaud Camus. Il suffit pour s'en convaincre de jeter un œil à l'accueil de ses ouvrages acclamés par toutes les nuances de la presse bourgeoise, depuis des années. « Aussi captivant que rigoureux » (Le Figaro, 18/11/21), Fourquet « ausculte la France et ses fractures » (La Dépêche, 8/10/23), dresse un tableau « aussi passionnant qu'inquiétant » (Le Figaro, 18/11/21), « exceptionnel de lucidité et de clarté », « quasi anthropologique » (Les Échos, 8/10/21) et « confirme son statut de meilleur observateur de la France contemporaine » (Ouest-France, 19/10/23), rien que ça :
Il semble connaître le bar-tabac de Marly-Gomont aussi bien que les Carrefour de la banlieue lyonnaise. On l'imagine avoir testé quelques pas de danse country dans le Béarn et dévoré des kébabs dans l'Est. À force d'analyser la France en tous sens, Jérôme Fourquet réussit à nous en rendre familier chaque recoin. On attend donc avec impatience chacune de ses cartes postales.
Des « cartes postales » encensées comme il se doit au Figaro, puisque Fourquet parle de « la France qui n'est plus la France » à cause de la « déchristianisation », de l'« immigration », ou encore de l'« américanisation » (Le Figaro, 23/10/24). Des thèmes qui inspirent des élans particulièrement lyriques au directeur délégué de la rédaction, Vincent Trémolet de Villers (5/12/24) :
C'est un étrange talent que celui de Jérôme Fourquet. Voilà des années qu'il décrit les métamorphoses françaises et, avec elles, la disparition du pays de notre enfance. Adieu les bouilleurs de cru, bonjour les dealers de coke. Fini la blanquette de veau, l'heure est aux tacos. Oublié la variété qui, en un refrain, faisait l'unité de tout un peuple, « y'a pas moyen Djadja », quand la Garde républicaine se dandine avec Aya Nakamura. Effacé les jeunes filles au prénom de Marie et, avec elles, l'ombre de la croix qui donnait à notre société son cadre et sa matrice. Tout change, nous dit Jérôme Fourquet.
Mais Jérôme Fourquet ne plaît pas qu'aux têtes pensantes du journalisme, parmi lesquelles les catholiques conservateurs du Figaro. Son omniprésence médiatique, et la capacité de ses sondages et de ses livres à rythmer le débat politico-médiatique, ont fait de lui quelqu'un que le pouvoir écoute. Son concept d'« archipelisation », par exemple, a fait florès dans la classe politique, de Laurent Wauquiez à Marion Maréchal, en passant par le président de la République. La société serait « disloquée » en catégories dont les intérêts sont antagonistes – jusqu'ici tout va bien – mais « il ne s'agit plus de classes sociales […], mais de ruraux, d'urbains, de péri-urbains, boomers et milleniums et – nous y voilà – de Français de souche et d'immigrés, de chrétiens ou de musulmans », relève Thomas Legrand (France Inter, 4/04/22). Où se dévoile un autre avantage du « fourquettisme », qui explique probablement l'attrait du monde médiatique pour ses « thèses » : l'effacement des classes sociales au profit des habitudes de consommation. En septembre 2023, Le Monde relate un autre épisode témoignant de l'insertion du sondologue dans les cercles de pouvoir : un déjeuner confidentiel à l'Elysée baptisé « déjeuner des sociologues », où, sur les 4 convives, un seul était vraiment sociologue – et ce n'était pas Fourquet ! C'est au cours de ce déjeuner, agissant « comme le conseiller occulte de Macron », que Fourquet va, selon Le Monde, souffler au président le terme de « décivilisation », que celui-ci réemploiera quelques mois plus tard. Le sondeur prétend emprunter ce terme au sociologue allemand Norbert Elias [5], mais on le retrouve beaucoup plus sûrement – et de façon beaucoup plus cohérente avec le reste des écrits de Fourquet – dans les livres du théoricien d'extrême droite Renaud Camus, ou dans la bouche de Philippe de Villiers.
Jérôme Fourquet a pris en quelques années une place prépondérante dans le débat public français. Non pas grâce à la solidité de ses travaux ou aux extraordinaires découvertes qu'il y ferait, mais grâce, au contraire, à la parfaite conformité des thèses qu'il présente avec les attendus journalistiques. Les problèmes posés par la centralité et les usages médiatiques des sondages (et des sondeurs) sont nombreux et documentés depuis de longues années. Jerôme Fourquet n'en est que l'une des incarnations modernes et participe, comme toutes les autres avant lui, bien plus de la fabrication de l'opinion que de sa mesure. En étroite collaboration avec le monde médiatique, contre les sciences sociales, et au profit de toutes les droites.
Jérémie Younes
[1] « "Une alternative aux kebabs" : comment McDo s'est emparé d'un petit village des Yvelines », Le Figaro, 28/09/25.
[2] « Un récit anxiogène adossé à une géographie inventive », Jean Rivière, Métropolitiques, janvier 2024.
[3] Expression empruntée au sociologue Pierre Bourdieu.
[4] « Les moutons de Monsieur Fourquet », La Grande Conversation, 25/04/23.
[5] Dans Libération, le docteur en science politique Christophe Majastre expliquera que Norbert Elias s'exprimait de son vivant « contre l'usage politique de sa théorie pour donner une caution scientifique au vague sentiment de dissolution des mœurs » (26/05/23).
17.10.2025 à 12:25
Jérémie Younes, Pauline Perrenot
En pâmoison devant le discours de politique générale du nouveau Premier ministre, émoustillé par la perspective de « non-censure » au point de désinformer sans entraves sur la question des retraites, le journalisme politique nous a encore gratifié d'une très grande scène de son théâtre habituel. Tandis que la co-production de l'information politique (en huis-clos) bat son plein, les grands médias pèsent de tout leur poids sur la recomposition du champ politique en général… et de « la gauche » en particulier.
Dans la foulée du discours de politique générale de Sébastien Lecornu, plateaux et journaux ne savaient plus se contenir : « Est-ce la fin de la crise politique ? » se demandait-on en chœur. « Suspension » de la réforme des retraites, promesse de renoncer au 49.3, accord de non-censure avec le Parti socialiste : la perspective, même momentanée, d'une éventuelle « stabilité politique », tant désirée par les partisans de l'ordre, a déclenché une nouvelle vague d'unanimisme éditorial, où la désinformation le dispute à la dépolitisation médiatique de la politique.
« Un discours habité de Sébastien Lecornu » ! Il est 16h05 ce mardi 14 octobre et le discours de politique générale vient d'être prononcé par le nouveau-nouveau Premier ministre. Les éditorialistes de LCI, emballés, ne savent plus quels qualificatifs enfiler : le discours est une « réussite » pour Élizabeth Martichoux, qui l'a trouvé « inédit », par « sa forme, sa durée », « son débit de mitraillette », mais aussi par « sa transgression, évidemment ». Patrice Duhamel le juge lui « extrêmement efficace, sobre, d'un pragmatisme tout à fait exceptionnel ». « Très efficace », confirme Renaud Pila. « Rusé, habile, très original » ajoute le sondeur Fréderic Dabi : « Il y avait du Rocard […], il y avait du Louis XI. » Il y avait aussi du Chaban-Delmas pour Valérie Nataf : « Un côté "nouvelle société" dans ce discours », qui était « d'une modernité absolument incroyable ! ». « Nous sommes en plein compromis », se réjouit plus tard David Pujadas, « et quel compromis ! Là, Sébastien Lecornu donne entière satisfaction ! » L'enthousiasme bat aussi son plein sur BFM-TV, avec le grand frère de Patrice, Alain Duhamel, qui a trouvé le discours « intelligent », « sobre » et « court ». Le journaliste Thierry Arnaud parle lui de « la promesse tenue de la rupture ». Même ambiance sur Franceinfo, où nous sommes « avec la crème de la crème de l'éditorialisme politique », dixit la présentatrice, à savoir Nathalie Saint-Cricq (épouse de Patrice Duhamel) et Gilles Bornstein. La directrice des rédactions nationales de France Télévisions a trouvé le discours de Sébastien Lecornu « efficace », « sérieux », « raisonnable », estime que « c'est malin » et que « ça devrait marcher ». Gilles Bornstein voit quant à lui « un style Lecornu qui est en train d'émerger », « sans esbroufe, sans emphase », « avec les mots attendus ».
L'allégresse est partagée par une large partie de la presse écrite. Libération a aussi trouvé Lecornu « plus malin que ses prédécesseurs », et salue, sur la forme, la fin du « ton sentencieux » et des « logorrhées digressives » (14/10), et sur le fond un Lecornu « humble », « combatif » et « revenu de loin » (15/10). Le Monde juge la déclaration de politique générale du Premier ministre « tout simplement décisive » (15/10). Dans son éditorial, titré « Savoir sortir d'une crise », le journal de référence se réjouit d'« un pas important sur la voie du compromis », et prévient : « censurer le gouvernement serait désormais incompréhensible » (15/10). Politico cite des sources parlementaires sans les nommer, qui permettent d'adresser des compliments indirects : « Il a sorti le grand jeu », « il a été extrêmement bon », etc. (15/10) Mêmes louanges au Progrès, qui félicite un Lecornu « politiquement habile », « les mains dans le cambouis » (15/10), quand La Dépêche applaudit la « tactique du moine-soldat » (15/10). Pour Ouest-France, le discours « sobre », « efficace » et « imparable » du Premier ministre constitue « une proposition qui ne se refuse pas ». L'extraordinaire uniformité de tous ces commentaires s'explique peut-être par ce qu'on apprend dans Midi Libre (15/10) : « Mardi matin, un proche conseiller du chef de l'État sollicitait la presse quotidienne régionale pour commencer à faire l'exégèse du discours de politique générale. » On peut le dire : opération réussie !
Avec une presse si bien disposée à l'égard du pouvoir, nulle surprise à observer le journalisme de cour redoubler d'effort pour matraquer la martingale du moment, commune au gouvernement de Sébastien Lecornu et au Parti socialiste, son allié de circonstance : la « suspension de la réforme des retraites ». Désignée par le PS comme une condition sine qua non de la « non-censure », annoncée par le Premier ministre dans son discours de politique générale, scrutée par tous les journalistes de France et de Navarre comme le signe d'une stabilité retrouvée, la « suspension » est naturellement sur toutes les lèvres… et à la Une de la quasi-totalité des journaux.
Peu importe qu'au moment de décider de tels gros titres, aucune rédaction ne connaisse les modalités concrètes de la mise en œuvre de cette « suspension ». Peu leur importe non plus – pour ne pas dire encore moins – que les plus fins connaisseurs du sujet aient immédiatement cherché à tempérer l'emballement, notamment en pointant l'usage équivoque du terme « suspension » : « Il ne s'agit pas d'un gel de la réforme ("suspension") au sens où la réforme n'est pas arrêtée au point qu'elle a atteint en 2025 », précise par exemple le chercheur Michaël Zemmour sur son blog d'Alternatives économiques (14/10), évoquant plutôt « un décalage du calendrier de la réforme de 2023, d'environ 3 mois pour les générations 1964 à 1968 » – ce qui, convenons-en, est tout de suite moins spectaculaire… « La suspension annoncée est en réalité un décalage de son application de quelques mois seulement, ajoute la CGT, qui dénonce par voie de communiqué une nouvelle manœuvre « au mépris de la mobilisation de millions de travailleurs et de travailleuses depuis 2 ans et demi. […] Décaler n'est pas bloquer, ni abroger ». Autant de voix qui pèsent peu dans le tohu-bohu médiatique : si, de la PQR aux chaînes d'info, des journalistes ont bel et bien cherché à nuancer l'emballement, on sentait les chefferies trop impatientes de surjouer le théâtre du « compromis » et de « l'abandon de la réforme des retraites ». Une comédie jouée à guichets fermés à peine le discours de politique générale terminé, dramatisation garantie.
Sur LCI (14/10), la présentatrice Marie-Aline Meliyi s'emballe : « La suspension de la réforme des retraites, c'est LE point clef du discours de politique générale prononcé il y a quelques minutes par Sébastien Lecornu [...]. C'est une rupture ! » Au même moment, à l'antenne de BFM-TV, son homologue Pauline Simonet dirait même plus : « La chute d'un totem d'Emmanuel Macron. » Le mot d'ordre infuse partout. « La chute du totem, la fin d'un tabou », proclame Sud Ouest (15/10). « Lecornu fait tomber un totem » avance également en Une Le Républicain lorrain. Du côté du Parisien (15/10), on multiplie aussi les hyperboles au moment d'expliquer aux lecteurs « pourquoi Lecornu a lâché le totem », la rédaction évoquant tantôt un « "bougé" majeur », tantôt une « concession majeure ».
L'AFP ne dément pas l'information, qui, par la voix du « spécialiste en communication politique » Philippe Moreau-Chevrolet, salue « une concession majeure » d'Emmanuel Macron « sur ce qui devait être son testament politique » (14/10). Une « concession majeure de Matignon », confirme L'Union (15/10). Une « décision majeure », reformule Libération (15/10), qui prend décidément son rôle de journal d'opposition très au sérieux. « Cette reculade macroniste est un tournant », se félicite d'ailleurs Paul Quinio, le directeur délégué de la rédaction, légèrement moins emphatique que Le Berry Républicain, qui nous apprend quant à lui que Sébastien Lecornu « a porté l'estocade finale à l'héritage de son bienfaiteur ». « Un dogme de l'ère macroniste vient de tomber », lâche aussi Olivier Pérou dans Le Monde (15/10). Le curseur de la dramatisation est poussé un cran au-dessus dans les pages du Figaro. « Lecornu sacrifie les retraites », titre sans honte le quotidien (15/10), qui n'en démord pas : « La concession est immense ». Tellement immense que Guillaume Tabard parle d'un « scalp de la réforme des retraites », là où son confrère Vincent Trémolet de Villers assimile le discours de politique générale à « une grande braderie d'automne ». Le directeur délégué de la rédaction n'était pas au bout de ses capacités : « Lecornu a reculé comme un lion ; Emmanuel Macron est revenu à la source de sa vie politique : le socialisme. » Carrément ! L'éditocratie radicalisée vit ce moment comme une telle révolution qu'Hubert Coudurier en a des sueurs froides : « Le chef du gouvernement risque d'être victime de la surenchère des socialistes pour le vote du budget », tremble-t-il dans Le Télégramme (15/10). Même son de cloche sur LCI : « Est-ce que le Parti socialiste va rester sur une position de chantage et va trouver une nouvelle ligne rouge ? », s'inquiète Élizabeth Martichoux (14/10).
Restent enfin quelques titres pour tester certaines formules plus innovantes au registre de la désinformation. La Voix du Nord (15/10) par exemple, qui soutient qu'« en une demi-heure chrono, Sébastien Lecornu a enterré [...] la réforme des retraites » ; Presse Océan, qui déclare en gros titre le « gel de la réforme » (15/10) ; Le Figaro, qui parle de « l'abandon de la seule réforme de ce second quinquennat » (15/10) ou encore Stéphane Vernay qui, dans son éditorial à la Une de Ouest-France (15/10), annonce aux lecteurs « une suspension complète de la réforme des retraites ». « S'il n'est pas permis de sacrifier son roi aux échecs, le Premier ministre a quand même décidé de bazarder une pièce majeure du camp macroniste : la réforme des retraites », s'avance également Midi Libre (15/10) qui, dans un article voisin, prétendait pourtant ne pas être dupe de la communication politicienne : « Le Château veut montrer qu'Emmanuel Macron cède sur ses fondamentaux, que les concessions faites ébranlent ses totems, qu'il est près [sic] à tous les sacrifices pour sortir de la crise. » Et comme d'habitude, il peut compter sur la presse française pour servir cette entreprise.
Comme du temps de la « pension minimale à 1200 euros » [1], faux scoop et dramatisation tiennent donc lieu d'information. Et si quelques accidents de « vérité » surviennent, ils ne pèsent pas grand-chose face au bruit médiatique dominant. Car un éditocrate préfèrera toujours aux faits… la bonne vieille tambouille politicienne. Exemple sur RMC (15/10), où l'économiste Michaël Zemmour dévie à 180°C du cadrage fixé par son intervieweuse en lui donnant, sobrement, une leçon de journalisme :
- Apolline de Malherbe : Lorsque vous avez entendu ces mots de Sébastien Lecornu hier, lorsque vous avez vu qu'il était applaudi sur les rangs des socialistes, est-ce que, comme eux, vous diriez que c'est une victoire de la gauche ?
- Michaël Zemmour : Euh… Ce que j'ai fait quand j'ai entendu le Premier ministre, c'est que j'ai essayé de comprendre quel était le contenu de la mesure.
Précisément la tâche à laquelle auraient dû se consacrer les rédactions. Las, sacrifiant toute déontologie sur l'autel de la dramaturgie politico-médiatique, les médias dominants signent une nouvelle fois le triomphe de la comm'. Il faut dire que l'enjeu était de taille… Tout à sa quête de stabilité – que lui commande sa fonction de gardien de l'ordre –, l'éditocratie n'avait qu'un seul cap depuis des semaines : éviter la censure d'un énième (et peut-être ultime) gouvernement macroniste. Et tout à ses obsessions politiciennes, elle a par conséquent scruté les positions du principal levier capable d'assurer cet objectif : le Parti socialiste.
À la recherche de tout indice permettant de nourrir l'espoir de survie du gouvernement Lecornu II, le journalisme politique s'occupe en commentant les moindres attitudes des uns et des autres : « Pendant le discours, on a vu François Hollande lancer les applaudissements », note LCI. « Les sourires socialistes ne trompent pas, selon Le Figaro (15/10), le hochement de tête victorieux d'Olivier Faure encore moins ». « Par ce hochement de tête, Olivier Faure acte sa victoire », confirme lui aussi David Pujadas (LCI, 15/10). « Sur les bancs socialistes, le soulagement et le contentement se lisent sur les visages », abonde Le Monde (15/10). Valeurs Actuelles n'a lui discerné « qu'un léger sourire » sur le visage d'Olivier Faure. La construction continue de la centralité du PS dans l'agenda et le commentariat médiatiques trahit le point de vue qu'adoptent à l'unanimité les rédactions : celui du gouvernement, suspendues qu'elles sont, comme lui, aux moindres faits et gestes des députés PS. À tel point que les journalistes leur courent après et le signifient à l'antenne. Guillaume Daret : « Allez, on va faire les couloirs du palais Bourbon pour essayer de vous trouver un socialiste qui veut parler ! » (BFM-TV, 14/10). Le landerneau politique se les arrache et leur réserve les plus hauts-lieux du PAF : « Toutes les caméras étaient bloquées sur vous aujourd'hui, c'est vous qui détenez la clef de la survie du gouvernement », résume Jean-Baptiste Boursier face à Olivier Faure, invité du 20h de TF1 (14/10). « Vous êtes le vice-Premier ministre », lui lance carrément Apolline de Malherbe, le lendemain matin, sur BFM-TV (15/10). « Le Premier ministre, c'est lui », confirme Guillaume Tabard (Le Figaro, 15/10). « Olivier Faure savoure »… et Libération profite : « Les socialistes peuvent revendiquer une victoire symbolique », explique Charlotte Belaïch (15/10). « Une victoire en forme de première étape », pour Le Parisien (15/10). « Les succès se font rares » pour le PS, note L'Écho Républicain (15/10) : « Celui glané hier dans l'Hémicycle est considérable. » « Le PS fait plier Lecornu sur les retraites » titre encore L'Union (15/10). Journaliste… ou attaché de presse ?
Et Élizabeth Martichoux de dévoiler un autre – si ce n'est le principal – motif de satisfaction parmi l'éditocratie (LCI, 14/10) :
Élizabeth Martichoux : Je parlais d'une victoire d'Olivier Faure mais elle est double, parce qu'effectivement, ce sera le coup de grâce [pour les Insoumis] ! Et là évidemment, LFI va se déchaîner, mais le Parti socialiste aura fait ce qu'il a manqué de faire depuis des années, du point de vue de ceux qui défendent la social-démocratie, c'est-à-dire couper court à un accord avec Jean-Luc Mélenchon et ses députés.
Trier le bon grain (« réformateur ») de l'ivraie (« jusqu'au boutiste ») ? Les prescriptions ordinaires de l'éditocratie. Diaboliser La France insoumise en applaudissant le « décrochage » du PS du NFP ? Son passe-temps depuis deux ans. Peser de tout son poids sur la définition de « la gauche » ? Son militantisme ordinaire. Ainsi les chefferies médiatiques profitent-elles de cette séquence de recomposition politique pour jouer les arbitres des élégances, bien décidées à s'assurer que le PS rentre dans le rang – l'avait-il déjà quitté ? « Ils ont été capables de montrer qu'ils pouvaient s'émanciper clairement de La France insoumise », les congratule la journaliste Marie-Aline Meliyi sur LCI (14/10). Rejointe sur cette ligne par sa collègue Ruth Elkrief, un peu plus tard dans la soirée :
Ruth Elkrief : C'est une victoire politique très importante pour [le Parti socialiste] dans leur chemin d'autonomisation par rapport à LFI et dans le chemin de reprise de leur ascendant au sein de la gauche. C'est un moment clef ! Donc il faudra bien profiter de ce moment-là...
Libération ne boude pas non plus son plaisir : Charlotte Belaïch décrit ainsi les Insoumis comme des rabat-joie, « concentrés à dégonfler la victoire brandie par les roses » (15/10). Toujours aussi brillant. « Les Insoumis [cherchent] à minorer la concession accordée ce mardi par Lecornu », regrette aussi Le Parisien (15/10). L'article ne s'attarde pas sur les critiques insoumises, mais prend tout de même le temps de dire qu'elles sont « balayées par le PS ». L'espoir d'une relégation de LFI réjouit bien sûr au Figaro, où l'on affirme que « les socialistes se sont même offert le luxe de s'émanciper [...] des Insoumis et de leurs acolytes écologistes » (15/10), comme au Télégramme (15/10), qui considère lui que les « socialistes se dégagent de l'emprise des Insoumis et abordent les municipales en meilleure posture ». Comme souvent, la synthèse est livrée dans Le Monde (15/10) : « Signe que la piste [de la suspension de la réforme des retraites] n'est pas inintéressante, cette perspective a semblé gêner Jean-Luc Mélenchon. » « Gêner LFI » devenu le critère d'appréciation des faits politiques dans toute la presse : aveu involontaire ? La meilleure version de ce refrain sera indubitablement chantée sur BFM-TV, dans une version crue et sans arrangements. Après que les députés Laurent Baumel (PS) et Alma Dufour (LFI) ont débattu en plateau, les journalistes-arbitres résument ce qu'ils veulent bien en retenir :
- Alain Marschall : [...] De ce qu'on peut voir sur notre plateau en direct, j'ai l'impression qu'en fait, la France insoumise va pourrir le débat parlementaire !
- Antoine Oberdorff (L'Opinion) : Va même souiller la copie en réalité !
La presse est donc à l'unisson : la « suspension » de la réforme des retraites est une « victoire majeure » pour le PS, le signe prometteur d'une renaissance de la « gauche de gouvernement » et une chance inespérée pour la stabilité du pouvoir macroniste.
Naturellement, les plus éminents journalistes politiques savent être au rendez-vous de cette vaste séquence de dépolitisation. Dans Le Monde (15/10), Olivier Pérou fait ainsi des « révélations », pas peu fier de nous faire profiter de son entregent ! Ayant visiblement accès aux SMS de François Hollande, la fine fleur nous narre les coulisses de cet accord de non-censure entre la macronie et le PS : théâtre dans le théâtre. Et comédie maximale sur LCI, où l'on ne sait plus quoi inventer pour prôner la non-censure. C'est Renaud Pila qui ouvre le bal : « Vous savez, je crois que plus on s'approche des fêtes de Noël, plus une immense majorité des Français va dire "mais c'est pas possible, on a la tête ailleurs, on a des problèmes de pouvoir d'achat". Et en novembre ou en décembre on va faire tomber le gouvernement ?! » Nous connaissions « les grèves doivent s'arrêter parce que Noël arrive », voici venu le temps de « Sébastien Lecornu doit rester parce que Noël arrive ». L'esprit de l'éditorialiste y voit néanmoins un lien logique, car qui dit stabilité retrouvée dit espoir de réforme :
- Pascal Perri : Je me réjouis qu'à court terme on ne rentre pas dans des guerres picrocholines... ou des élections... vous vous rendez compte ? Enfin, des élections... juste avant Noël, ou juste après Noël, dans un pays qui a une hypersensibilité politique.... on n'avait pas besoin de ça !
- David Pujadas : Donc le jeu en valait la chandelle ? Céder sur toutes les exigences du Parti socialiste, le jeu en valait la chandelle ?
- Pascal Perri : Oui, mais il faudra faire la réforme des retraites.
- David Pujadas : Plus tard ?
- Pascal Perri : Dès que possible.
Derrière les applaudissements de façade, les chiens de garde ruminent et veillent au grain. « Le sort économico-politique du paquebot France, toujours en proie à la voie d'eau d'un déficit incolmatable, attendra », se désole-t-on par exemple au Berry Républicain. « [F]aire l'autruche ne sera pas plus à la hauteur demain », prévient aussi Olivier Biscaye, directeur de la rédaction de La Provence (15/10). Même tonalité à la tête du Parisien (15/10), où le chef adjoint, Olivier Auguste, s'adresse fermement à tous les futurs candidats à l'élection présidentielle, lesquels « devront [...] bien expliquer que, sauf à se diriger vers l'effondrement du système par répartition, il faut trouver des façons acceptables de prolonger la carrière des Français […]. À moins de leur faire croire que, de la prolongation du déni, naîtra une solution […]. »
À l'été 2024, les grands médias réussissaient à faire oublier le résultat des élections législatives. Un an plus tard, obnubilé par la sauvegarde du gouvernement Lecornu, le journalisme de cour applaudit le sacro-saint « compromis » de la (non garantie) « suspension de la réforme des retraites »… pour mieux oublier tout le reste : accessoirement, un budget qui accumule les mesures anti-sociales [2] et « dont les principales mesures ressemblent furieusement à celles du budget Bayrou », selon la très gauchiste Dépêche (15/10). Le tout au mépris du pluralisme, mais aussi de la déontologie la plus élémentaire. Manifeste, la co-construction de l'information politique bat son plein, à mesure que les commentateurs distribuent leurs bons (et mauvais) points au sein de « la gauche », adoubant le PS, diabolisant LFI. Et si l'exercice relève parfois de la pratique routinière et dépolitisée du journalisme politique, la plupart des chefferies médiatiques campent résolument leur rôle d'acteurs politiques dans la séquence, au service d'un seul et même objectif : préserver l'ordre.
Pauline Perrenot et Jérémie Younes
[1] Voir également « Contre-réforme des retraites, éléments de langage médiatique », 14/03/2023 et « Retraites : les débats déséquilibrés de "C à vous" », 16/02/2023.
[2] Une « violente cure d'austérité » selon la CGT (15/10). Lire « Austérité, injustices, politique de l'offre : un budget Lecornu sans rupture », Alternatives économiques, 16/10.
15.10.2025 à 10:31
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