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06.11.2025 à 17:42

Aurélien Bernier: « La gauche crève de ses alliances avec la social-démocratie »

Un épisode lamentable comme le sauvetage du gouvernement Lecornu par le Parti Socialiste jette le discrédit sur toute la gauche auprès de l’électorat. Mais il y a pire: l’absence de convictions sur des sujets fondamentaux comme la question européenne, estime Aurélien Bernier, journaliste et essayiste, auteur de Que faire de l’Union européenne ? (éditions de l’Atelier, … Continued
Texte intégral (1948 mots)


Un épisode lamentable comme le sauvetage du gouvernement Lecornu par le Parti Socialiste jette le discrédit sur toute la gauche auprès de l’électorat. Mais il y a pire: l’absence de convictions sur des sujets fondamentaux comme la question européenne, estime Aurélien Bernier, journaliste et essayiste, auteur de Que faire de l’Union européenne ? (éditions de l’Atelier, 2025). La gauche ne veut pas assumer cette fracture interne, qui fut pourtant extrêmement visible lors du référendum sur le Traité constitutionnel européen du 29 mai 2005, entre une social-démocratie, porteuse du « oui », et une gauche du « non », largement majoritaire au sein de la population. Interview par Jonathan Baudoin

Quel regard portez-vous sur la crise politique en France depuis l’été 2024 ? 

Cette crise est évidemment pitoyable, et elle confirme à quel point la politique française est dans l’impasse. Le modèle néolibéral est à bout de souffle, rejeté par une grande majorité de la population. Les partis qui le soutiennent sont à des niveaux historiquement bas : les Républicains et les macronistes, mais également la social-démocratie (PS et EELV) qui ne porte aucun projet de changement structurel. Mais le pire est que la vraie gauche, qui prétend lutter contre le néolibéralisme, ne s’en donne pas les moyens en évacuant des questions centrales, comme celles du rapport à l’Union Européenne ou de l’affrontement avec les forces de l’argent. Reste le RN, qui prospère en dissimulant (mal) ses orientations pro-patronat derrière son discours sécuritaire. Actuellement, le progressisme n’a donc plus de débouché politique crédible. C’est ce qui rend la crise aussi grave.

Comment analysez-vous la tactique optée par le Parti Socialiste à l’égard du gouvernement Lecornu? 

Comme d’habitude, le Parti socialiste a fait le choix de secourir l’ordre néolibéral en place, ce qui ne devrait surprendre personne. Mais ce qui est dramatique, c’est que cette force politique agonisante jette le discrédit sur la gauche. C’est une sorte de syndrome de Stockholm : la gauche crève de ses alliances avec la social-démocratie, mais presque toutes ses composantes continuent à prôner l’union, comme s’il s’agissait du Graal. Et LFI a beau dire aujourd’hui « plus jamais PS », cela ne fait pas oublier la Nupes et le NFP (Nouveau Front populaire) qu’elle défendait il y a seulement quelques mois. S’il doit y avoir des alliances, elles ne peuvent plus se faire sur la base d’une étiquette « de gauche » attribuée par le ministère de l’Intérieur sur la base d’une histoire plus ou moins révolue. Elles n’auront de sens qu’en réponse à des questions concrètes : qui est pour le contrôle des capitaux? qui est pour une renationalisation de l’énergie, du transport ferroviaire, de la santé? qui est prêt à rompre avec l’Union Européenne pour y parvenir? De cette façon, nous pourrons redéfinir ce qu’est vraiment la gauche. Et il deviendra clair que la social-démocratie n’y a pas sa place.

Affiche de promotion de la NUPES, fondée en 2022 au moment des élections législatives post-présidentielle au sein de laquelle on retrouvait la majorité des partis de gauche, notamment LFI et le PS

Est-ce que la gauche française est capable de se réapproprier la thématique du protectionnisme ou reste-t-elle dans un blocage intellectuel total sur ce point?

Il y a un blocage intellectuel évident. Avec la crise de 2007-2008 et ses conséquences, le protectionnisme est devenu un sujet de débat, y compris à gauche. Mais dans le camp des sociaux-démocrates (socialistes et verts, toujours officiellement classés à gauche même s’ils sont dans une logique d’accompagnement du néolibéralisme) comme au sein de la gauche radicale, on n’envisage le protectionnisme qu’à l’échelle européenne, ce qui non seulement est illusoire mais serait au demeurant inefficace. 

Par ailleurs, le protectionnisme est souvent réduit  au seul contrôle des marchandises. Or, le contrôle des capitaux est un enjeu au moins aussi important. Mais personne n’en parle, y compris à gauche. On a donc un discours très flou et très insuffisant.

Estimez-vous que c’est une occasion de montrer qu’un protectionnisme de gauche est possible et si tel est le cas, comment le définir, notamment face à la crise climatique? 

Ce qui s’est imposé, c’est l’idée de réintégrer dans les prix, grâce à des barrières douanières, des coûts sociaux et environnementaux, pour réduire ou supprimer le dumping. C’est une intention qui est intéressante. Est-ce que cela suffit à définir un protectionnisme de gauche? Je ne pense pas. 

Par exemple, les droits de douane n’apportent aucune réponse lorsque l’industrie a été très largement délocalisée. Je pense, par exemple, à l’industrie textile ou à l’ameublement. Ou encore aux panneaux photovoltaïques qui sont, maintenant, importés d’Asie. Tout comme les principes actifs des médicaments. 

On voit bien que pour ces secteurs d’activité, la réflexion sur le protectionnisme ne suffit pas. Il faut aussi une réflexion sur la relocalisation. On peut mettre des barrières douanières mais s’il n’y a aucune production en France, on ne fait que renchérir le coût des importations. Sur cette question de la relocalisation, il y a aussi un manque théorique. Pour relocaliser l’économie, il ne faut pas compter sur les grandes multinationales françaises, sur un quelconque patriotisme du patronat français. Il faudra que l’État dispose de leviers pour l’imposer. Soit avec des entreprises publiques qui peuvent redévelopper des activités sur le territoire national, avec une autre logique que celle de la concurrence internationale. Soit avec des entreprises privées à qui on aura mis une contrainte suffisante pour qu’elles acceptent de relocaliser. 

20 ans après le « non » au référendum sur le traité constitutionnel européen (TCE), comment analysez-vous les atermoiements de la gauche sur la question européenne depuis cet événement?

Je pense tout d’abord qu’en 2005, le clivage entre la gauche et la social-démocratie est apparu comme structurant dans le paysage politique français. Nous avions, selon la terminologie officielle, une gauche du « non » et une gauche du « oui ». Cette « gauche du oui », c’est la social-démocratie – Parti socialiste et écologistes. La gauche du « non », antilibérale, est le seule véritable gauche. Cela a permis de clarifier le paysage politique durant la campagne.

Le 29 mai 2005 une majorité des Français avaient rejeté le projet de traité constitutionnel européen (TCE) par voie de référendum

Mais cette clarification n’a pas duré. Dès le soir des résultats, Marie-George Buffet, à l’époque à la tête du Parti communiste français, a appelé à une rapide réconciliation des « deux gauches » en vue des élections de 2007. D’autres forces ont tenté de continuer à incarner un « non » de gauche en opposition à la social-démocratie. Mais pour des raisons de stratégies électorales, pour favoriser des alliances, pour ne pas faire peur à un électorat qu’elles pensent modéré, elle vont tenir des positions fluctuantes, parlant parfois de désobéissance européenne, parfois de changement « de l’intérieur ». En 2017, Jean-Luc Mélenchon commence sa campagne en disant: « L’Europe, on la change ou on la quitte ». Mais à quelques semaines du premier tour de la présidentielle, un de ses porte-paroles déclare : « Notre programme est euro-compatible ».

Le discours sur l’Europe s’est encore brouillé avec la création de la NUPES, qui est un accord d’union de la « gauche », où les questions européennes, très clivantes, ont été mises de côté. Certes, après avoir fait élire à l’Assemblée nationale des gens comme François Hollande, la gauche du « non » et la gauche du « oui » semblent à nouveau se séparer, mais le mal est fait. Quel est le projet, le programme ? La gauche veut-elle désobéir aux règles européennes ou bien changer ces règles de l’intérieur ? Et comment y parvenir, car aucune de ces options n’est juridiquement possible ? Pour l’électorat, c’est totalement indéchiffrable.

Malheureusement, la ligne européenne de la gauche est une variable d’ajustement électoral. Quand on a besoin de rassurer les gens, on tient un discours. Quand on a besoin d’apparaître plus radical, on en tient un autre. Tout cela change en fonction des circonstances, des stratégies. Or, on ne peut pas construire un courant d’idées sur ces bases. Ce n’est pas possible. En 2011, dans mon livre « Désobéissons à l’Union européenne », je critiquais déjà cette absence de position claire. Malheureusement, c’est encore pire aujourd’hui qu’en 2011.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin

Aurélien Bernier est essayiste, journaliste, collaborateur au Monde Diplomatique. Il est l’auteur de Que faire de l’Union européenne ? (l’Atelier, 2025), de L’urgence de relocaliser (Utopia, 2021), de La gauche radicale et ses tabous (Seuil, 2014), et Désobéissons à l’Union européenne! (Mille et une nuits, 2011)

04.11.2025 à 22:00

« Racisme antiblanc : le débat interdit ? » avec François Bousquet, François Bégaudeau, Aude Lancelin

Aude Lancelin et François Bégaudeau ont reçu mardi 4 novembre François Bousquet, rédacteur en chef d’Éléments, qui publie aux éditions La Nouvelle Librairie un essai intitulé « Le racisme antiblanc. L’enquête interdite ». Une lourde charge contre une gauche blanche « bien-pensante » accusée de déni, de complaisance et même de masochisme à l’égard des … Continued
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Aude Lancelin et François Bégaudeau ont reçu mardi 4 novembre François Bousquet, rédacteur en chef d’Éléments, qui publie aux éditions La Nouvelle Librairie un essai intitulé « Le racisme antiblanc. L’enquête interdite ». Une lourde charge contre une gauche blanche « bien-pensante » accusée de déni, de complaisance et même de masochisme à l’égard des Français issus de l’immigration qu’il appelle « de papier ». Un neuvième épisode de « L’Explication » particulièrement disputé, mouvementé, et passionnant. Tous les thèmes du racisme systémique, de la possibilité d’une guerre civile à venir sur le sol français, ou de la « contre-colonisation », expression désormais couramment employée par des chroniqueurs sur des chaînes d’information en continu comme CNews, y sont méthodiquement décortiqués et frontalement discutés. À ne surtout pas manquer !

02.11.2025 à 10:36

Clotilde Leguil : « Consentir à l’événement amoureux revient toujours à désobéir »

Avec « La Déprise. Essai sur les ressorts intimes de la désobéissance » (éditions du Seuil), la psychanalyste Clothilde Leguil poursuit sa réflexion sur l’amour au temps de #MeToo entamée avec « Céder n’est pas consentir » et « L’ère du toxique« , tous deux parus aux PUF. Elle part cette fois de la bonne rencontre, celle qui fait événement et … Continued
Texte intégral (2473 mots)

Avec « La Déprise. Essai sur les ressorts intimes de la désobéissance » (éditions du Seuil), la psychanalyste Clothilde Leguil poursuit sa réflexion sur l’amour au temps de #MeToo entamée avec « Céder n’est pas consentir » et « L’ère du toxique« , tous deux parus aux PUF. Elle part cette fois de la bonne rencontre, celle qui fait événement et invalide toute idée de contrat de consentement amoureux. Où il apparaît que si s’éprendre, c’est se déprendre, c’est aussi entrer en désobéissance pour ne pas « céder sur son désir ». Entretien par Anne-Sophie Barreau

Quelle est cette déprise, que l’on entend comme l’envers de l’emprise, qui donne son titre à votre livre ?

Quand on entend le mot « déprise », on pense en effet spontanément à l’antonyme d’emprise. Le point de départ de ma réflexion était d’aborder l’emprise du point de vue de l’obéissance, quand un sujet en vient à ne plus pouvoir désobéir à ce qui s’impose à lui comme un commandement venant d’un autre ou un commandement intérieur. Ce qui m’intéressait, c’était la déprise impossible au fond. Mais cheminant dans ma réflexion, je me suis aperçue qu’il était difficile de penser l’emprise sans partir de la question du désir et du fait que celui-ci est toujours capté par le désir de l’autre. Le premier sens du mot déprise, c’est se déprendre de soi en faveur d’un autre, s’ouvrir à la rencontre, à l’événement amoureux, ne plus se murer derrière une position narcissique. C’est en partant de ce premier sens que j’ai trouvé mon élan pour questionner l’événement amoureux.

Il s’agit ici de l’événement amoureux au sens de la bonne rencontre, non de la mauvaise sur laquelle vous avez aussi écrit

Suite au mouvement #MeToo, j’ai en effet beaucoup travaillé sur la question du forçage du consentement et de la mauvaise rencontre. Se mettre, comme je le fais ici, à l’endroit de la bonne rencontre, me permet de battre en brèche l’idée selon laquelle toute rencontre comporterait nécessairement un risque d’assujettissement et d’abus. Je suis repartie de l’événement amoureux pour creuser un écart entre les mauvaises rencontres, celles qui confrontent à une imposition de jouissance forcée et instrumentalisent le désir, et le caractère toujours inattendu de la bonne rencontre. Remplacer le consentement par un contrat s’apparenterait à une autre forme de forçage, comme si la rencontre amoureuse pouvait être de l’ordre d’un calcul. L’événement amoureux, c’est justement ce qu’on ne maîtrise pas, ce qui vient faire coupure dans l’histoire, ce qui permet de redéfinir le sujet comme un être qui se laisse bouleverser et pas seulement un être néo-libéral qui chercherait à savoir à l’avance ce qu’il va gagner dans une rencontre. 

Dans cette première acception de la déprise, quels sont les ressorts intimes de la désobéissance ? 

Consentir à l’événement amoureux, c’est toujours désobéir à certaines normes qui se sont imposées à nous, à une certaine idée de ce que devrait être notre partenaire, à un certain idéal… Si on parle depuis l’inconscient, c’est aussi désobéir à quelque chose de l’ordre d’une destinée qui ferait que tout se répéterait selon le même programme. Il s’agit de penser l’événement amoureux comme étant de l’ordre d’une surprise qui nous conduit à nous déprendre d’un certain rapport au Surmoi mais aussi aux normes du moment. Pour essayer de radicaliser cette idée, je me suis aussi appuyée sur 1984 de George Orwell. La rencontre entre Winston et Julia, les deux protagonistes, dans ce régime où tout est interdit, suppose un acte de désobéissance.

Winston et Julia, le couple amoureux d’Orwell, respectivement interprétés par John Hurt et Suzanna Hamilton dans le film 1984 de Michael Radford

Vous venez de citer « 1984 ». Votre livre fourmille d’exemples empruntés de la littérature

Il y a d’un côté les hypothèses que j’ai voulues défendre, celles par exemple sur le consentement à l’événement amoureux qui n’est jamais seulement libre et éclairé mais expérience d’un bouleversement subjectif, et de l’autre, une plongée dans les textes de la littérature classique. On ne peut pas en effet parler du discours amoureux uniquement conceptuellement. J’ai laissé ces textes remonter en moi, comme par exemple, cette scène du Tartuffe de Molière où les deux amoureux disent exactement le contraire de ce qu’ils pensent pour faire en sorte que l’autre se dévoile. J’ai voulu montrer que le discours amoureux désobéissait déjà au niveau de la langue elle-même au sens commun. Comme le disait André Breton, « les mots font l’amour ». C’est très beau. La formule donne d’ailleurs son titre à un chapitre. On est du côté de quelque chose qui anime le corps et rend joyeux. Dans le discours amoureux, les mots font l’amour sans que cela réponde à aucune utilité. On pourrait aussi citer les mots de Lacan qui dit que l’amour est « un caillou riant dans le soleil ». 

Il y en un autre versant de « la déprise », celui que vous évoquiez au début de cet entretien, quand un sujet en vient à ne plus pouvoir désobéir. Pouvez-vous nous expliquer?

Il peut en effet y avoir une expérience de renversement. La déprise est d’abord de l’ordre du consentement à l’événement amoureux, puis dans un second temps, elle implique de pouvoir s’extraire de ce qui viendrait mettre en péril le désir. C’est ce second sens qui permet de penser cette dialectique de l’obéissance et de la désobéissance impossible. J’ai d’abord voulu explorer les raisons pour lesquelles un sujet féminin notamment pouvait vouloir « faire un » avec l’autre au point de céder à une pente sacrificielle. Cet angle m’a intéressée parce que c’est une question que pose déjà Simone de Beauvoir dans Le deuxième sexe. Elle pose cette question de façon politique, depuis la nécessité d’accéder à une forme d’égalité et de réciprocité dans la relation. Mais du point de vue psychique, les choses peuvent être plus compliquées. Lacan définit une sorte de jouissance féminine dans l’amour qui peut conduire à chercher à se définir à tout prix depuis le désir de l’autre au point de s’y perdre. 

Du côté masculin, vous mettez plutôt en avant des figures qui ne peuvent pas se déprendre en faveur de l’événement amoureux, à l’instar du Vicomte de Valmont. Que nous apprend cette figure?

Le Vicomte de Valmont dans Les Liaisons Dangereuses de Choderlos de Laclos est un très beau personnage pour interroger la question de la différence entre le désir et la jouissance, et penser la question de l’obéissance. Il est divisé entre l’événement amoureux, sa rencontre avec Madame de Tourvel, et cette croyance dans le libertinage comme étant le mode de vie lui garantissant d’être maître de la jouissance. Il est confronté à ce qu’il y a d’illusoire dans le libertinage. Le leurre se redouble d’ailleurs à différents niveaux. Au départ, quand il lui écrit, il pense qu’il fait semblant de tomber amoureux de Madame de Tourvel, elle n’est dans son esprit qu’une proie qu’il  va ramener comme un trophée à la marquise de Merteuil, mais finalement, les mots finissent par faire l’amour, et il ne maîtrise plus rien. 

Glenn Close (la marquise de Merteuil) et John Malkovich (le vicomte de Valmont),
dans « Les Liaisons Dangereuses » de Stephen Frears en 1989

Pour questionner la désobéissance, vous revenez aussi à la racine du mot désobéir

En effet, car ce questionnement implique aussi de savoir à quoi on obéit d’un point de vue inconscient, or l’étymologie d’obéir, nous apprend que obéir, c’est ouïr, « prêter l’oreille à ». Cette étymologie m’a permis d’interroger l’impossibilité de désobéir chez certains. Si on définit le sujet comme un être rationnel et autonome, qu’il suffit d’éduquer pour qu’il puisse désobéir à ce qui vient enterrer son désir, on ne comprend pas pourquoi il peut y avoir une désobéissance impossible. La voix est ce qui entre en nous sans notre consentement, elle s’incorpore, et cette incorporation permet peut-être de saisir pourquoi la question de la désobéissance suscite une angoisse au sens où le sujet est comme paralysé, et ne peut franchir en lui-même quelque chose qui s’impose comme un commandement.

Comment ce franchissement est-il malgré tout possible ?

C’est une traversée. Quand on est confronté à la question de ce qui exerce une emprise sur notre être, cela implique un déchiffrement qui n’est pas sans rapport avec l’expérience de la psychanalyse. A la fin du livre, je propose d’ailleurs de penser l’expérience de l’analyse comme une déprise. L’expérience analytique conduit à se déprendre de ce que Lacan appelle le « Dit premier », ou l’oracle qui serait venu me marquer et me conduirait à obéir sans le savoir à une forme de destin. 

Une héroïne a su désobéir: l’épouse de Barbe-bleue.

Le conte de Barbe-bleue est magnifique sur la question de la désobéissance. Sur un ton menaçant, Barbe-bleue dit à sa jeune épouse qu’elle peut aller où elle veut dans le palais mais qu’elle n’a pas le droit d’entrer dans le cabinet secret. Pourtant, elle désobéit à cette voix parce qu’elle veut savoir à qui elle a affaire. Elle est angoissée mais elle franchit le point d’angoisse, c’est ce qui la sauve.

Comment comprendre l’affirmation de Lacan, que vous reprenez à votre compte, selon laquelle il ne faut pas céder sur son désir ? 

Le consentement  à l’événement, s’il introduit du nouveau, ne s’arrache pas depuis un sujet qui serait une page blanche. Le sujet est déjà marqué par son histoire, par des expériences traumatiques aussi. Quelque chose le rattrape nécessairement du côté de ce qui peut se répéter et que la rencontre ne suffit pas à faire cesser. Elle l’a fait cesser dans l’instant mais ensuite cet événement est comme recouvert par cette répétition. Lacan propose cette phrase pour penser un rapport au désir qui serait éthique. Ne pas céder sur son désir ne veut pas dire imposer sa pulsion à l’autre, mais ne pas céder à la pulsion de mort et sauver le désir qui est aussi puissance d’agir. 

Comment cette phrase résonne-t-elle aujourd’hui ?

Elle invite à distinguer entre ce qui n’est que déchaînement pulsionnel et ce qui relève de la valeur du désir en tant que le désir fait limite à la pulsion. Cette phrase propose donc de se rendre responsable de son désir, et peut-être qu’elle esquisse pour notre époque une nouvelle éthique amoureuse.     

Propos recueillis par Anne-Sophie Barreau

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