Traditionnellement progressiste, la Silicon Valley aurait-elle viré à droite, dans le sillage de l’élection de Donald Trump ? Cette vision des choses est contestée par les journalistes Nastasia Hadjaji et Olivier Tesquet. Dans Apocalyspe Nerds : comment les technofascistes ont pris le pouvoir (Divergences, 2025), les auteurs analysent le courant « technofasciste », dont ils cherchent à retracer la genèse. Porté par Donald Trump, le technofascisme a peu avoir avec les envolées populistes du chef d’Etat américain. Foncièrement élitiste, il cherche d’abord à démanteler les institutions démocratiques. Eugéniste et réactionnaire, il s’inscrit contre l’idée d’Etat-nation, incarnation d’un égalitarisme honni. La thèse de cet ouvrage n’a pas fait l’unanimité au sein de la rédaction du Vent Se Lève, mais contient une série de réflexions stimulantes. Notre contributeur Nicolas Destrée s’est entretenu avec Olivier Tesquet, l’un des co-auteurs.
NDLR : Nastasia Hadjaji est également autrice de No Crypto. Comment Bitcoin a envoûté la planète (Divergences, 2023), dont LVSL avait publié un extrait.
Le Vent Se Lève – Comment définissez-vous le technofascisme ?
Olivier Tesquet – C’est une catégorie politique très chargée, très commentée, et qui ne fait toujours pas consensus. On [avec Nastasia Hadjaji] la manie avec précaution.
La première question qu’on s’est posée, c’était de savoir si dans le phénomène qu’on observait on retrouvait des invariants des fascismes historiques. Assez vite, on s’est rendu compte que oui, j’en vois trois : le premier, c’est qu’on est face à une contre-révolution contre la modernité culturelle, inspirée des anti-Lumières, avec les outils de la modernité technologique.
Deuxième aspect, qui est très visible avec les prises de parole et le durcissement aux États-Unis depuis l’assassinat de Charlie Kirk [militant d’extrême droite assassiné le 10 septembre 2025, NDLR], est la désignation de la gauche comme un ennemi intérieur, qui dénote une volonté face à une série de périls existentiels de régénérer le corps national par la purification.
Le technofascisme est l’anti-MAGA, ce n’est pas un mouvement de masse mais un mouvement élitiste
La troisième caractéristique est le primat de la race. Quand on revient sur une histoire longue de la Silicon Valley, on se rend compte qu’il y a toujours eu une popularité des théories racistes, eugénistes, etc., qu’on retrouve dans une obsession pour le QI, l’intelligence, le génie. On retrouve là aussi quelque chose qui peut être considéré comme un invariant de certains fascismes historiques.
Une fois qu’on investi ces invariants, la question est de savoir si le préfixe « techno » recompose le(s) fascisme(s) historique(s) tel(s) qu’on le(s) connaît, de se dire que ce n’est pas juste le fascisme avec des « bouts de code » ou des ordinateurs.
À lire aussi... Pourquoi les barons de la Silicon Valley se convertissent au…Notre postulat, c’est que le fascisme fondait la société dans l’Etat, alors qu’avec le technofascisme c’est l’Etat que l’on fond dans la plateforme, dans l’architecture technologique. Le technofascisme est à la fois une architecture du pouvoir, mais aussi un mode de circulation des idées, ce qui fait qu’on n’a pas affaire à une idéologie totalisante, unifiée, mais que l’on retrouve des itérations un peu différentes, différentes « marques » qui se déploient dans divers pays, en Argentine en passant par Gaza.
LVSL – Cette interface, ou architecture de pouvoir, constitue-t-elle selon vous une rupture avec le fascisme historique ?
OT – Le technofascisme provient davantage d’une émanation du libertarianisme américain, qui a toujours oscillé entre la droite et la gauche. A partir des années quatre-vingt-dix, une mouvance paléolibertarienne, ou libertarienne autoritaire, notamment portée par Murray Rothbart [économiste américain NDLR], pensait qu’il fallait s’allier aux conservateurs en se concentrant sur l’ordre spontané du marché, en délaissant les libertés individuelles au profit d’un mode de gouvernement autoritaire, où il ne s’agirait de vivre que parmi ses semblables.
Rappelons qu’un de leurs livres de chevet était celui de Hans-Hermann Hoppe [philosophe d’origine autrichienne aux inclinaisons monarchistes, NDLR], Démocratie, le Dieu qui a failli, qui était déjà un plaidoyer en faveur de la monarchie. Hoppe expliquait que pour réaliser le projet libertarien, il fallait éliminer de l’espace physique les gens menant un mode de vie alternatif, avec une idée de créer un corps social très unifié, ce qui peut être considéré comme un objectif fasciste. Les modes de vie alternatifs visés étaient les communistes, les homosexuels, etc. ; il y a donc une filiation directe entre fascisme et technofascisme, même si ce ne sont pas les racines habituelles du populisme de droite par exemple, qui s’écrit en miroir de ce dernier. Steve Bannon [stratège de Donald Trump et influenceur d’extrême droite, NDLR] déteste d’ailleurs prodigieusement les technofascistes.
Le technofascisme est l’anti-6 janvier, l’anti-prise du Capitole, ce n’est pas un mouvement de masse mais un mouvement bien plus élitiste.
LVSL – Comment situeriez-vous le technofascisme dans le gouvernement actuel de Donald Trump ?
OT – Musk, qui avait une fonction, a mis en place le Department of Governmental Efficiency (DOGE), mais il représente selon moi l’arbre qui cache la forêt. On a vu les grands patrons, les Marck Zuckerberg et co., se précipiter à la Maison Blanche, dans un espèce de rituel d’humiliation collective où il s’agissait de rivaliser de servilité face à Donald Trump, et ce pour des raisons économiques, pour pouvoir accumuler du capital, je ne pense donc pas que ces derniers soient des idéologues du technofascisme.
[Reponsable de milliers de licenciements, le DOGE est pourtant loin d’avoir tenu ses promesses. Promettant d’effectuer une coup de 2000 milliards de dollars dans l’Etat américain, il n’a pas même accompli 1% de ses objectifs avant d’être dissout NDLR],
En revanche, toute la mouvance libertarienne autoritaire que j’évoquais n’a jamais été aussi proche du pouvoir. Deux exemples se matérialisent de façon différentes : d’un côté, les idées de Curtis Yarvin. Celui-ci n’est pas, comme il le rêverait, le Raspoutine de l’administration Trump qui susurre à l’oreille du Président ; en revanche, certains de ses mots d’ordre tendent à trouver un écho au sein de l’administration républicaine, que l’on pense à son sigle « Rage » [« Retire all governments employees », NDLR] ou à son projet pour Gaza.
L’autre exemple, beaucoup plus concret, est que le vice-président J.D. Vance est un produit manufacturé de Peter Thiel, qui est le technofasciste en chef, qui a financé la campagne de Vance, et qui se place aujourd’hui à un endroit très stratégique qui est ce point de rencontre entre la droite religieuse américaine et le monde de la technologie. C’est quelqu’un qui est à la fois converti au catholicisme et qui vient du monde du capital-risque, ce qui en fait donc une figure clé.
LVSL – Vous montrez dans votre ouvrage qu’il y un aspect messianique qui permet de lier les divers courants des droites américaines contemporaines. Pourriez-vous revenir sur cet aspect ?
OT – Le libertarisme autoritaire est un peu la version sécularisée du technofascisme. Ce dernier ajoute une dimension mystique, voire religieuse à cette pensée. Je rappelle que Peter Thiel fait des séminaires sur la figure de l’Antéchrist, est obsédé par l’image de l’Apocalypse, on est donc dans un vocabulaire authentiquement religieux. C’est un élément important parce qu’on voit qu’il existe des tensions très fortes entre la droite religieuse et les technofascistes, mais on se demande si ces deux mouvances ne pourraient pas fonctionner ensemble. A certains égards, elles fonctionnent déjà de concert.
On retrouve cette dimension mystique dans les obsessions futuristes des technofascistes, qui veulent repousser les limites cognitives, biologiques, voire terrestres, dans une ambition démiurgique. Cette obsession de la longévité, de l’intelligence artificielle, de Mars, sont des manifestations de cette transcendance qui est très marquée par un héritage des anti-Lumières, qui fait du déclin inexorable de la civilisation occidentale quelque chose exigeant une refondation, et quand Thiel parle d’Apocalypse, il le fait au sens grec de « révélation », mais non pas une révélation pour les masses, mais pour ceux qui sauront en saisir les signes, qui en parleront la langue, et qui pourront ensuite la transformer en action politique afin de faire advenir un ordre nouveau.
LVSL – Un autre aspect de continuité entre fascisme et technofascisme est, pour vous, sa dimension eugéniste. Comment se manifeste-t-elle à vos yeux ?
OT – La Silicon Valley a longtemps été présentée comme un paradis progressiste, le fief des Démocrates. Elle a pourtant toujours été imprégnée de pseudo-sciences racistes du XIXe siècle. Dans le livre, nous citons Leland Stanford, fondateur de l’université du même nom qui est la fabrique à élites de la Silicon Valley, et qui était un eugéniste convaincu. William Shockley, co-inventeur du transistor aux première heures de la Silicon Valley pensaient qu’il existait une hiérarchie biologique des races, au point de préconiser de stériliser, ou d’indemniser les populations noires pour qu’elles se fassent stériliser, donc on voit un niveau de racisme assez démentiel.
Pour les technofascistes il faut dépasser l’Etat-nation, incarnation de tout ce qu’ils combattent – à commencer par l’égalitarisme
Aujourd’hui, on voit une obsession du QI, qui va de pair avec le culte du fondateur. Dans les entreprises de la tech, il y a des investissements dans ces pensées là, une forme de confutation de l’eugénisme et d’autres pseudo-sciences. Je suis assez convaincu qu’une lecture politique de la reconnaissance faciale en fait une technologie suprémaciste. Elle discrimine davantage les visages des personnes de couleur. On a des exemples documentés que des Afro-américains ont été arrêtés, voire jetés en prison parce qu’ils avaient été identifiés par reconnaissance faciale.
À lire aussi... « Le calcul social à la chinoise existe déjà chez nous » – E…Les fondateurs de la société Clearview [qui produit un logiciel de reconnaissance faciale, NDLR], qui a été fondée en marge de la Convention républicaine de 2016, blaguaient dans leur chambre d’hôtel en se demandant comment ils pouvaient ressusciter les pseudo-sciences du XIXe siècle comme la physiognomonie, qui permettrait de prédire les comportements des individus à partir des traits de leur visage. Aujourd’hui, ils travaillent avec la police de l’immigration [Immigration and Customs Enforcement (ICE), NDLR] pour identifier les personnes suspectes d’être sans papier sur le sol américain, donc on voit comment des entreprises se mettent au service d’une politique punitive et oppressive. On est en droit de se demander de savoir si ces technologies ne visent pas, comme l’ambitionnait l’eugénisme, de trier et hiérarchiser la société.
Selon moi, c’est la version américaine de la théorie conspirationniste du « grand remplacement ». Leurs obsessions pour la natalités d’un côté et de la longévité de l’autre, avec l’idée qu’il faudrait faire de plus en plus d’enfants que l’on choisi presque sur catalogue, donc l’idée de reproduire la race blanche à haut QI, issues de ces élites cognitives, pour affronter la natalité des pays du Majority World [ou « Sud global », NDLR], on s’ancre vraiment dans un trope des extrêmes droites européennes mais qui est réactualisé par un écosystème de la tech et de la finance.
LVSL – Le modèle politique de la « charter city », municipalité médiévale indépendante, est au coeur du technofascisme. Vous parler d’un « Moyen Age du futur » à ce propos. Qu’entendez-vous par là ?
OT – Pour les technofascistes, il faut dépasser l’Etat-nation, qui est pour eux l’incarnation de tout ce qu’ils combattent, à commencer par l’égalitarisme. Vivre dans un Etat-nation, c’est vivre dans un endroit où l’on vit des parmi des gens différents de nous, qui peuvent avoir des intérêts contradictoires, c’est la friction, la cohabitation, la démocratie. Les technofascistes veulent vivre sur des territoires dans lequel il vont choisir leur chef, non pas de droit divin mais qui serait le plus à même de diriger un peuple, mais un peuple qu’on aura choisi. C’est-à-dire que toutes les tentatives d’implanter des espèces de colonies, que ce soit le sea-steading en mer, ou avec Prospera au Honduras, ou Liberland à la frontière serbo-croate, ou que ce soit peut-être le Gaza de demain [un ensemble de micro-Etats indépendants du système international et de ses règles, NDLR], ce sont des projets coloniaux où l’ambition est comme à Sparte, ou l’on ne vit que parmi ses semblables au sein d’une élite.
Cela traduit un rapport à la frontière totalement paradoxal : d’un côté, ils abolissent la frontière pour le capital, pour la technologie, pour eux-mêmes, en allant s’implanter un peu partout où ils veulent aux quatre coins de la planète, un modèle politique qui est celui de Dubaï, de Singapour ; et dans le même temps, ils absolutisent la frontière sur l’humain et le social – on voit comment aux Etats-Unis cette question qui était déjà au coeur de la première administration Trump du franchissement de la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis de manière illégale entraîne l’expulsion. Il y a là le coeur de la pensée d’extrême droite sur la frontière qui délimite le territoire national, mais également une pensée qui est totalement déterritorialisée, avec des gens qui disent que les Etats sont imaginaires, et c’est la cohabitation de ces deux mondes là qui donnent un président isolationniste qui fait du colonialisme « new look » à Gaza.
LVSL – On a pu spéculer sur le fait que le plan en vingt points de Donald Trump semble inspiré d’une idée de Curtis Yarvin. Dans quelle mesure les technofascistes influencent-ils sa politique étrangère ?
OT – Curtis Yarvin avait échafaudé il y a quelques mois ce qu’il appelait « Gaza Inc. », qui allait plus loin que le plan de Trump en expulsant la population palestinienne et en leur proposant un « token » [un jeton numérique échangeable contre leur propriété, NDLR], le temps de bâtir cette « Riviera » du futur. Dans ce plan, on pouvait les envoyer dans des camps au Mozambique, faire un Gaza sans les Palestiniens, de manière complètement assumée, ce qui ne figure pas dans le plan de Trump.
Je suis assez surpris que la couverture médiatique de ce plan parle de « paix », dirigé par un « comité pour la paix », où on loue un pragmatisme en se disant que ça va permettre de mettre fin à la guerre et aux milliers de morts palestiniens, en semblant oublier dans le même temps que ce projet est l’expérimentation d’une souveraineté privée, car on fait de Gaza une forme de laboratoire où on enjambe l’autodétermination des peuples pour la remplacer par la gestion de capitaux. Le « comité pour la paix » de Trump est un board, un conseil d’administration qu’il préside et dans lequel on imagine qu’il y aura tout un tas d’intérêts privés. C’est en fait revenir à une sorte de mandat britannique de la Palestine du début du XXe siècle, sauf qu’on remplace la Société des Nations par un conseil d’administration.
Le rôle que pourrait jouer un Tony Blair [ancien Premier ministre britannique reconverti dans la consultance, NDLR] dans ce plan, qui au travers de son Institut, fait un lobbying forcené pour Oracle [société de bases de données et de surveillance, NDLR], la société de Larry Ellison, qui vise à devenir un acteur incontournable de la gouvernance à l’intérieur des Etats, avec l’obsession d’avoir des grandes bases de données unifiées ; Blair démontre que le technofascisme peut complètement s’arrimer à des personnalités de ce qu’on appelle encore « l’arc républicain ».
Au Royaume-Uni, Peter Thiel ou l’entourage de J.D. Vance ne discute pas avec Nigel Farage [fondateur du parti d’extrême droite UKIP, NDLR], mais avec l’aile droite du Labor – le « Blue Labor », sorte de mouvance « travailliste conservatrice » – ce technofascisme peut aussi proliférer sur les décombres des grandes forces politiques du XXe siècle, sans s’arrimer à la marge de l’extrême droite. Ce qui rassemble également tout ce petit monde est une vision très néolibérale de la société.
LVSL – Kaja Kallas, Haute représentante aux affaires extérieures de l’Union européenne, s’est proposée de rejoindre ce conseil d’administration de Gaza. Les idées technofascistes infusent-elles au sein de sphères libérales plus consensuelles ?
OT – Malheureusement, c’est évacuer rapidement la portée civilisationnelle, la volonté de transformation anthropologique de l’homme qui est portée par certains de ces technofascistes, de ces milliardaires et entrepreneurs. Sur Gaza, c’est ne voir que l’horizon très proche, la fin de guerre, en négligeant les visuels partagé par Trump sur la « Riviera de Gaza » qui sont d’une obscénité sans nom.
Qu’il y ait une porosité entre ces partis de gouvernement et ces idées ne me semble pas surprenant. Quand Elon Musk prend la tête du DOGE, on a des responsables politiques en France, à l’image de Valérie Pécresse qui fait partie de ce fameux « arc républicain », qui trouve ça super. Quand Sébastien Lecornu est nommé Premier Ministre, sa première annonce est de dire qu’il va identifier les dépenses inutiles, les agences qui ne servent à rien, les autorités indépendantes qui se « gavent d’argent public », toujours cette idée de l’« Etat obèse ». On a des responsables politiques qui adoptent cette « rhétorique de la tronçonneuse » [référence au Président argentin Javier Milei, NDLR] . L’erreur me semble de ne pas voir que derrière ce discours qui pourrait sembler un discours néolibéral classique se cache une véritable dimension autoritaire.
LVSL – Comment voyez-vous l’appréhension du technofascisme par les forces politiques progressistes en Europe ?
OT – Les forces politiques progressistes ont depuis beaucoup trop longtemps laissé la réflexion sur la technologie à des forces conservatrices. On voit bien que sur la préhension de certains outils numériques, l’extrême droite a gagné à certains égards.
Il faut rendre à ce phénomène son historicité, il faut arrêter de penser que les dirigeants de la Silicon Valley sont de sympathiques libertariens assez inoffensifs, pour comprendre ce qu’il y a en face de nous, il y a besoin de correctement les situer dans l’espace politique, avec les difficultés que cela représente.
Un reproche, que j’adresse à nous-même avec Nastasia Hadjaji, c’est qu’aujourd’hui, il y a une capacité à mettre en branle des récits qui est présente chez les technofascistes, et une grande capacité à détourner l’attention des choses importantes. Peter Thiel, avec son séminaire sur l’Antéchrist, est intéressant au vu de l’importance de Thiel, il est donc important de l’analyser. Mais au vu du nombre d’écrits publiés sur cet aspect on oublie que d’une autre main, Thiel est en train d’investir dans des sites industriels aux Etats-Unis pour enrichir de l’uranium, avec l’idée de privatiser l’énergie pour faire tourner les centres de données. Les discours eschatologiques et mystiques nous détournent de la matérialité des projets qui sont déjà à l’oeuvre. C’est la même chose sur l’IA : on oublie qu’on est face à une industrie de la promesse, alors que derrière il y a des travailleurs exploités, des ressources extraites, une prédation territoriale – qui sont des invariants du colonialisme.
Il est très important de se rattacher à la matérialité sans se laisser hypnotiser. Je suis très critique des discours qui s’inscrivent en miroir du discours des technofascistes, opposer à ce qui passe le champ lexical de la sidération, du récit, de la cognition, etc., ce qui est assez dangereux parce que c’est jouer avec les armes de l’adversaire et au final lui rendre service. Il nous faut des outils critiques, matérialistes, à l’image d’Ursulah Le Guin [romancière de science-fiction progressiste, NDLR] qui rappelait qu’il y a une histoire qui s’écrit non pas par les hommes conquérants et leurs armes, mais que le premier objet qui avait été inventé par l’humanité est un panier dans lequel on rassemblé des choses. Plutôt qu’une histoire qui s’écrirait par la conquête, l’histoire pourrait s’écrire par le collectif, le soin, les marges, la voix des sans voix.
Il est important dans le traitement de ce que font les technofascistes à notre commun de ne pas oublier les gens qu’ils s’acharnent à invisibiliser.
