13.11.2025 à 09:55
Pesticides : quand les équipements censés protéger exposent davantage
Texte intégral (1857 mots)

Peu adaptés aux conditions de travail réelles des agriculteurs, les équipements censés les protéger des expositions aux pesticides se révèlent bien souvent inefficaces voire même néfastes. La discipline de l’ergotoxicologie tâche de remédier à cela en travaillant auprès des premiers concernés.
Alors que la loi Duplomb a été adoptée, ouvrant la voie à la réintroduction de pesticides interdits et à la remise en cause de garde-fous environnementaux, un angle mort persiste dans le débat public : qui, concrètement, est exposé à ces substances, dans quelles conditions, et avec quelles protections ?
Loin des protocoles théoriques, la réalité du terrain est plus ambivalente. Porter une combinaison ne suffit pas toujours à se protéger. Parfois, c’est même l’inverse. Une autre approche de la prévention s’impose donc en lien avec les personnes travaillant en milieu agricole.
Avec le programme PESTEXPO (Baldi, 2000-2003), en observant le travail en viticulture en plein traitement phytosanitaire, une réalité qui défiait le bon sens est apparue : certaines personnes, pourtant équipées de combinaisons de protection chimique, étaient plus contaminées que celles qui n’en portaient pas.
Grâce à des patchs cutanés mesurant l’exposition réelle aux pesticides, l’équipe de l’Université de Bordeaux et de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a confirmé un phénomène aujourd’hui bien documenté : la perméation, c’est-à-dire la traversée des tissus protecteurs par les molécules chimiques.
Sous l’effet de la chaleur, de l’humidité et de l’effort, la combinaison piégeait en fait les pesticides à l’intérieur du vêtement, empêchant leur évaporation et créant un effet piège, favorisant leur contact prolongé avec la peau. Ce n’était pas seulement un échec de protection : c’était un facteur aggravant.
Cette situation soulève une question centrale : comment des équipements conçus pour protéger peuvent-ils exposer davantage ?
Une protection illusoire imposée… et mal pensée
Les équipements de protection individuelle (EPI) portés par les agriculteurs relèvent en grande partie d’une conception industrielle. Leur homologation repose sur des tests réalisés en laboratoire, par les fabricants eux-mêmes, selon des protocoles standardisés dans des conditions semi-contrôlées, déconnectées du travail réel. Les conditions extrêmes du terrain – chaleur, humidité, densité – et les variabilités du travail ne sont pas prises en compte.
Dans les exploitations, ces équipements sont portés sur des corps en action : monter et descendre du tracteur, passer sous les rampes, manipuler les tuyaux, se faufiler entre les rangs, porter des charges, travailler au contact des machines ou de végétaux abrasifs. Les combinaisons ne suivent pas toujours ces gestes. Elles peuvent gêner la précision, limiter l’amplitude, se coincer ou se déchirer. Et parce qu’elles sont conçues sur un gabarit standardisé, elles s’ajustent mal à la diversité des morphologies, notamment des femmes, pour qui la coupe, la longueur ou l’encombrement des tissus rendent certains mouvements plus difficiles, voire plus risqués.
Pourtant, la réglementation impose le port de ces équipements. En cas de contrôle, ou d’accident, la responsabilité incombe aux propriétaires ou aux gestionnaires de l’exploitation. Cette logique repose sur une fiction rassurante : le port d’un EPI serait une protection suffisante. La réalité est tout autre.
Les personnes qui travaillent au contact des pesticides le savent bien. Lors des manifestations, on a pu entendre le slogan « Pas d’interdiction sans solution », qui résume bien leur colère : trop de normes, trop peu de moyens pour les appliquer.
Porter une combinaison étanche, par 30 °C, retirer ses gants à chaque étape, se rincer entre deux manipulations, tout en assurant la rentabilité de l’exploitation… Cela relève souvent de l’impossible. De plus, les combinaisons sont pour la plupart à usage unique, mais compte tenu de leur coût, elles peuvent être réutilisées de nombreuses fois.
On ne peut pas simplement reprocher aux agriculteurs et agricultrices de ne pas faire assez. C’est tout un système qui rend la prévention inapplicable.
L’ergotoxicologie : partir de l’activité réelle pour mieux prévenir
Face à ces constats, l’ergotoxicologie propose un autre regard. Issue de la rencontre entre ergonomie et toxicologie, cette approche s’attache à comprendre les situations d’exposition telles qu’elles se vivent concrètement : gestes, contraintes, matériaux, marges de manœuvre, savoirs incorporés. Elle repose sur une conviction : on ne peut pas prévenir sans comprendre le travail réel.
Dans notre démarche, nous utilisons des vidéos de l’activité, des mesures d’exposition, et surtout des temps de dialogue sur le travail, avec et entre les travailleurs et travailleuses. Ce sont elles et eux qui décrivent leurs gestes, les développent, et proposent des ajustements. Nous les considérons comme des experts de leurs expositions.
Dans le projet PREVEXPO (2017-2022), par exemple, un salarié de la viticulture expliquait pourquoi il retirait son masque pour remplir la cuve et régler le pulvérisateur :
« Il était embué, je n’y voyais rien. Je dois le retirer quelques secondes pour éviter de faire une erreur de dosage. »
Ce type de témoignage montre que les choix en apparence « déviants » sont souvent des compromis raisonnés. Ils permettent de comprendre pourquoi la prévention ne peut pas se réduire à une simple application de règles abstraites ou générales.
Co-construire les solutions, plutôt que blâmer
En rendant visibles ces compromis, les personnes concernées peuvent co-construire des pistes de transformation, à différentes échelles. Localement, cela peut passer par des ajustements simples : une douche mobile, un point d’eau plus proche et assigné aux traitements, un nettoyage ciblé du pulvérisateur ou du local technique, des sas de décontamination entre les sphères professionnelle et domestique, une organisation du travail adaptée aux pics de chaleur.
Encore faut-il que l’activité de protection soit pensée comme une activité en soi, et non comme un simple geste ajouté. Cela implique aussi de créer les conditions d’un dialogue collectif sur le travail réel, où risques, contraintes et ressources peuvent être discutés pour mieux concilier performance, santé et qualité du travail.
Mais cela va plus loin : il s’agit aussi d’interroger la conception des équipements, les normes d’homologation et les formulations mêmes des produits.
Faut-il vraiment demander aux agriculteurs et agricultrices uniquement de porter la responsabilité de leur exposition ? Ces réflexions dépassent leur seul cas. La chaîne d’exposition est en réalité bien plus large : stagiaires personnels et familles vivant sur l’exploitation, saisonniers et saisonnières qui passent en deçà des radars de l’évaluation des risques, mécaniciens et mécaniciennes agricoles qui entretiennent le matériel, conseillers et conseillères agricoles qui traversent les parcelles… Sans parler des filières de recyclage, où des résidus persistent malgré le triple rinçage.
Faut-il leur imposer à toutes et tous des EPI ? Ou repenser plus largement les conditions de fabrication, de mise sur le marché, d’utilisation et de nettoyage des produits phytopharmaceutiques ?
L’ergotoxicologie ne se contente pas de mesurer : elle propose des objets de débat, des images, des données, qui permettent de discuter avec les fabricants, les syndicats, les pouvoirs publics. Ce n’est pas une utopie lointaine : dans plusieurs cas, les travaux de terrain ont déjà contribué à alerter les agences sanitaires, à faire évoluer les critères d’évaluation des expositions, ou à modifier des matériels et équipements agricoles.
Ni coupables ni ignorants : un savoir sensible trop souvent ignoré
Contrairement à une idée reçue, les personnes qui travaillent dans l’agriculture ne sont pas ignorantes des risques. Elles les sentent sur leur peau, les respirent, les portent parfois jusque chez elles. Certaines agricultrices racontent que, malgré la douche, elles reconnaissent l’odeur des produits quand leur partenaire transpire la nuit.
Ce savoir sensible et incarné est une ressource précieuse. Il doit être reconnu et pris en compte dans les démarches de prévention. Mais il ne suffit pas, si l’organisation, les équipements, les produits et les règles restent inadaptés et conçus sans tenir compte du travail réel.
Prévenir, ce n’est pas culpabiliser. C’est redonner du pouvoir d’agir aux personnes concernées, pour qu’elles puissent faire leur métier sans abîmer leur santé au sens large et celle de leur entourage. Et pour cela, il faut les écouter, les associer, les croire, et leur permettre de contribuer à la définition des règles de leur métier.
Dans le contexte de la loi Duplomb, qui renforce l’autorisation de produits controversés sans se soucier des conditions réelles d’usage, ce travail de terrain collaboratif et transdisciplinaire est plus que jamais nécessaire pour une prévention juste, efficace, et réellement soutenable.
📽️ Le film documentaire Rémanences, disponible sur YouTube (Girardot-Pennors, 2022) illustre cette démarche collaborative en milieu viticole.
Alain Garrigou a reçu des financements de ANR, ECOPHYTO
Fabienne Goutille ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
12.11.2025 à 16:39
Programme 13-Novembre : comprendre et réparer la mémoire traumatisée
Texte intégral (3944 mots)
En avril 2016, quelques mois après les attentats du 13 novembre 2015 qui ont endeuillé la France, démarrait un ambitieux projet de recherche, le Programme 13-Novembre. À l’initiative du neuropsychologue Francis Eustache et de l’historien Denis Peschanski, des spécialistes de tous horizons allaient travailler ensemble pour tenter de mieux comprendre ce moment traumatique et ses conséquences sur les individus et la société, sur le temps long. Une décennie plus tard, voici ce qu’il faut retenir de ces travaux dans le champ de l’étude de la mémoire traumatique. L’occasion de démonter quelques idées reçues.
Lorsqu’un événement traumatisant percute une société de plein fouet, pourquoi certains témoins vont-ils développer un trouble de stress post-traumatique, et pas d’autres ? Quels sont les mécanismes neurologiques à l’œuvre ? La façon dont est construite et évolue la mise en récit par la société peut-elle faciliter – ou contrarier – la guérison ? Autrement dit, comment s’articulent les mémoires individuelles, collectives, sociales (ou sociétales) ?
Pour répondre à ces questions, le Programme 13-Novembre a conjugué l’expertise de chercheurs de nombreux horizons : neurobiologistes, psychopathologues, sociologues, historiens, neuropsychologues, spécialistes d’intelligence artificielle, de big data, linguistes… Une décennie plus tard, leurs travaux ont permis de faire avancer les connaissances sur ces sujets. Avec l’espoir de mieux prendre en charge les conséquences des événements traumatiques, au niveau individuel comme au niveau collectif.
La mémoire n’est pas figée
Une erreur, en matière de représentation de notre mémoire, est de s’imaginer une sorte de système de stockage dans lequel seraient emmagasinés des souvenirs et des connaissances inaltérables, un peu à la manière d’un disque dur d’ordinateur.
En réalité, notre mémoire n’est pas figée. Nos souvenirs évoluent au fil du temps, en fonction des relations que l’on a avec notre environnement, de nos aspirations, de nos projets, de nouveaux événements qui surviennent autour de nous. Notre mémoire autobiographique, celle qui nous définit et se compose de connaissances générales sur nous-mêmes ainsi que de souvenirs stockés sur le temps très long, se construit en lien avec les autres et se modifie au fil de notre existence. En vieillissant, nous changeons notre perception du passé, car nos souvenirs évoluent au fil de nos relations, de nos rencontres, de nos convictions et de nos paroles.
Mais il arrive que la mécanique se grippe. En cas d’exposition à un choc intense, la mémoire autobiographique peut être bouleversée. Dans une telle situation, chez certaines personnes, la mémoire semble se figer : le traumatisme envahit l’ensemble de l’identité de la personne, phénomène qui transparaît dans son récit. C’est, de fait, ce qui arrive aux individus souffrant de trouble de stress post-traumatique, contraints de revivre en boucle des éléments saillants de l’événement qui a menacé leur existence.
Le symptôme principal de ce trouble est la survenue de ce que l’on appelle des reviviscences (ou des « intrusions ») : les personnes revoient des images (ou réentendent des sons, perçoivent des odeurs, etc.) de la scène du traumatisme. Il ne s’agit pas de « souvenirs traumatiques », comme cela est trop souvent écrit, mais elles « reviviscences de la scène sous forme de « flashbacks ».
Les intrusions ne sont pas des souvenirs
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Les intrusions ne doivent pas être confondues avec des souvenirs, et encore moins avec des souvenirs flash (alors qu'ils constituent une manifestation inverse du fonctionnement de la mémoire). Le souvenir flash est un “vrai” souvenir, particulièrement intense: il nous donne l'impression subjective de nous souvenir très précisément de conditions dans lesquelles nous avons appris la survenue d'un événement marquant, qui nous a surpris et a déclenché en nous une forte émotion.
Les intrusions, elles aussi très émotionnelles, correspondent à des éléments disparates, désorganisés, chaotiques, très sensoriels. L'individu qui en est victime les perçoit comme si l'événement se produisait à nouveau, dans le présent (au contraire des souvenirs qui appartiennent au passé), ce qui empêche la blessure psychique causée par le traumatisme de se résorber. Pour s'en protéger, la personne développe des mécanismes d'évitement qui finissent par avoir un impact sur sa vie sociale (et ainsi la priver du soutien social). À quoi s'ajoutent les stigmates de la blessure psychique que sont les cauchemars, les sursauts, les troubles du sommeil, les pensées négatives, etc., et parfois d'autres troubles (comorbidités): dépression, anxiété, addictions…
Comment cette expression particulière de la mémoire traumatique, puisée dans l’horreur du passé et envahissant le quotidien, peut-elle à nouveau évoluer au fil du temps et retrouver sa plasticité ? Pour le comprendre, le Programme 13-Novembre s’est articulé autour de deux études principales : l’étude « 1 000 » (pour 1 000 participants) et l’étude biomédicale « Remember ».
Deux études pour mieux comprendre la mémoire traumatique
L’étude 1 000 a consisté à diviser les participants en quatre cercles, selon leur proximité avec les attentats du 13-Novembre. Le cercle 1 correspond aux personnes directement exposées aux attentats. Le cercle 2, aux personnes qui vivent ou travaillent dans les quartiers visés, mais n’étaient pas présentes au moment des attaques. Le cercle 3 est constitué par les personnes qui vivaient en région parisienne à l’époque (à l’exclusion des personnes des deux premiers cercles). Enfin, dans le cercle 4, on retrouve des personnes qui vivaient en province, plus précisément dans trois villes : Caen (Calvados), Metz (Moselle) et Montpellier (Hérault). Les personnes des cercles 2, 3 et 4 ont appris la survenue de l’attentat à la radio, à la télévision, par téléphone, sur les réseaux sociaux, etc.
Les participants ont d’abord intégré l’étude 1 000, qui consiste en des entretiens filmés, avec l’appui de l’Institut national de l’audiovisuel (certains extraits ont donné lieu à la réalisation d’un film 13-Novembre, nos vies en éclats).
Dans un second temps, 200 personnes (parmi les 1 000), appartenant uniquement aux cercles 1 (120 personnes) et 4 (80 personnes), ont intégré l’étude Remember. Elles ont alors bénéficié d’examens médicaux, psychologiques, et d’imagerie cérébrale (IRM) afin de décrypter les mécanismes impliqués dans le développement d’un trouble de stress post-traumatique (TSPT), ainsi que les éléments qui les renforcent ou les résorbent. Les objectifs de l’étude étaient ainsi de comprendre, à différents niveaux d’analyse, les facteurs favorisant le TSPT ou au contraire la résilience.
Dans l’étude Remember, le groupe des personnes exposées aux attentats (venant du cercle 1) a été subdivisé en deux sous-groupes, selon qu’elles ont développé un trouble de stress post-traumatique ou non. Les membres des deux sous-groupes ont ensuite été appariés en fonction de leur situation face aux scènes des attentats (dans la fosse du Bataclan, sur une terrasse, plus loin…) et de leur rôle (public, policiers, médecins, etc.).
Un défaut de contrôle des intrusions
Pour comprendre les mécanismes neurologiques à l’œuvre, les chercheurs ont eu recours à l’IRM de haute résolution. L’activité cérébrale des participants a été analysée pendant qu’ils se livraient à une tâche expérimentale appelée « think – no think ». Ce paradigme, adapté à la compréhension du TSPT par le chercheur Pierre Gagnepain au sein du laboratoire, consiste à faire surapprendre aux participants des associations entre des couples de concepts. Par exemple, le mot bateau et l’image d’une maison. Après cet apprentissage, quand le participant lit le mot bateau, immédiatement lui vient à l’esprit l’image d’une maison, de façon quasi irrépressible.
De cette façon, la survenue d’une « intrusion expérimentale » et éphémère est provoquée, mais sans réactiver le traumatisme, ce que nous voulions bien sûr éviter. Après toute cette phase d’apprentissage, les participants sont ensuite installés dans l’IRM. Lorsque le mot bateau leur est montré écrit en lettres vertes, ils doivent laisser s’imposer dans leur conscience l’image associée (celle d’une maison dans cet exemple). C’est la partie « think ». Si le mot est écrit en rouge, au contraire, ils doivent bloquer l’image de la maison qui survient. On mesure l’activité du cerveau dans cette situation précise.
Les résultats montrent que la capacité à réfréner les intrusions, qui permet la résilience, est liée à des capacités de contrôle de cette forme de mémoire reposant sur des structures en réseau coordonnées par le cortex préfrontal, situé à l’avant du cerveau.
Quand, dans l’exemple précédent, une personne résiliente cherche à repousser l’intrusion de l’image de la maison, toutes les connexions neuronales de cette zone se synchronisent avec d’autres structures cérébrales impliquées dans les perceptions, les émotions, la mémoire et tout particulièrement les hippocampes, structures clés pour cette fonction. Ce couplage permet ainsi au cortex préfrontal de contrôler les régions du cerveau impliquées dans ces différentes fonctions et in fine d’inhiber les intrusions intempestives.
Point intéressant : chez les personnes résilientes, ce contrôle est particulièrement efficace. Ce travail ne met donc pas seulement en évidence des mécanismes défaillants, mais aussi ceux qui sont préservés et dans certains cas amplifiés pour permettre aux victimes de surmonter l’adversité.
Ces résultats ont été confirmés lorsque, deux ans plus tard, en 2018, nous avons réanalysé l’activité cérébrale de personnes chez qui le trouble de stress post-traumatique était devenu chronique et que nous l’avons comparée avec celle de personnes qui n’en souffraient plus (dites « rémittentes »). Nous avons découvert que le retour à la normale des processus de contrôle inhibiteur, qui régulent la résurgence des intrusions, prédisait non seulement la rémission du syndrome de stress post-traumatique, mais précédait également la réduction des intrusions.
Cette amélioration de ces mécanismes de contrôle était en outre associée à l’interruption de l’atrophie induite par le stress observée dans une région spécifique de l’hippocampe.
Souvenirs et émotions
Le trouble de stress post-traumatique est une pathologie de la mémoire émotionnelle. On sait que la mémorisation d’un souvenir est renforcée par le contexte dans lequel il se produit.
L’exemple typique est le « souvenir flash » : lorsque l’on ressent une émotion forte au cours d’un événement marquant, le souvenir est particulièrement durable. Si l’on demande aux gens ce qu’ils faisaient lorsque les attentats du 13 novembre se sont produits, l’immense majorité a l’impression subjective de se souvenir de ce qu’ils faisaient à ce moment-là (97 % des personnes interrogées par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc) – lors d’une première enquête menée en juin 2016 dans le cadre du Programme 13-Novembre).
Mais si l’émotion est extrême, comme chez les victimes, l’activité de certaines régions du cerveau impliquées dans les émotions (le circuit amygdalien notamment) devient désordonnée. La mémorisation ne fonctionne plus correctement, et des éléments disparates issus de l’événement traumatique vont devenir des intrusions.
Les personnes rappellent alors des éléments sensoriels : des odeurs (la poudre, le sang…), des sons (des bruits « de pétards » correspondant aux détonations des cartouches…). Parfois, on constate aussi que certains éléments du contexte de l’événement ont été « oubliés » (on décèle parfois une réelle amnésie, dite dissociative) ou au contraire que les gens se sont focalisés sur des éléments spécifiques, qu’ils jugent a posteriori saugrenus, ce qui peut être une réaction de mise à distance du danger.
Après l’événement, les victimes vont essayer d’intégrer ces éléments étrangers à leur vécu, en entamant spontanément un travail de réflexion qui va parfois modifier profondément leurs vies, en changeant leurs priorités, leurs perspectives, leurs façons de voir le monde.
Améliorer les thérapies existantes, en élaborer de nouvelles
Les travaux menés dans le cadre de l’étude Remember se poursuivent actuellement au cours d’une troisième phase de recueil de données. En parallèle, de nombreuses données collectées en psychopathologie et en neuropsychologie font l’objet d’analyses approfondies qui portent notamment sur l’évolution des symptômes et de diverses modifications cognitives.
Ce qui ressort de ces travaux, c’est que le trouble de stress post-traumatique affecte le traitement précoce des informations fortement émotionnelles, comme l’expression des visages, ce qui a des conséquences sur leur compréhension et leur mémorisation, et peut contribuer à rompre des liens sociaux. Toutefois, il faut se garder de décrire une situation univoque car les trajectoires sont extrêmement diverses d’une situation et d’une personne à l’autre.
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Une autre piste d’analyse des données, qui prend place aux confins de l’étude 1 000 (les récits enregistrés) et de l’étude Remember, porte sur la mémoire autobiographique. Les récits des personnes souffrant de trouble de stress post-traumatique sont en effet envahis par le traumatisme lui-même. Ce dernier affecte le passé, le présent et obère toute projection dans l’avenir.
Les travaux visent à comprendre les mécanismes de raisonnement autobiographique qui permettent de « sortir » progressivement du trauma. Menés conjointement avec des psychopathologues et reposant sur l’emploi des outils de l’intelligence artificielle, ils ouvrent des pistes fructueuses pour élaborer de nouvelles formes de thérapies, ou apporter des éléments théoriques et méthodologiques supplémentaires à des thérapies existantes.
Trouble de stress post-traumatique : éviter la tentation du déterminisme
Lorsque l’on parle de traumatisme, il faut intégrer le fait qu’il existe des différences interindividuelles notables. Les gens ne réagissent pas tous de la même façon. Néanmoins, si l’on parle en terme statistique, on constate que plus le traumatisme correspond à un événement lié à une intention de faire du mal, et plus l’impact sera délétère sur la victime. Typiquement, un attentat ou un viol vont avoir un impact plus délétère qu’une catastrophe naturelle ou un accident de voiture, par exemple, car, dans ces derniers cas, il n’y a pas cette intentionnalité.
On parle là d’événements qui ne se répètent pas. Le cas d’événements traumatiques qui se répètent sur des durées longues, comme dans le cas de conflits armés, pose d’autres problèmes. Lors d’une guerre, les traumatismes sont récurrents et multiples. Leur impact va être différent, et mener à un trouble de stress post-traumatique différent lui aussi, dit « complexe ». C’est également le cas des violences intrafamiliales.
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Il faut cependant se garder, lorsqu’on aborde la question du traumatisme, d’adopter une vision déterministe : être exposé à un événement traumatique ne mène pas systématiquement à développer un trouble de stress post-traumatique.
La trajectoire la plus fréquente est la résilience, qui concerne environ 75 % des gens. Ce chiffre va évoluer au fil du temps. Durant les premières heures, les premiers jours, 90 % des gens vont faire des cauchemars, repenser à tout cela. Au bout d’un mois, environ 50 % des gens vont faire des cauchemars, avoir un sentiment de stress augmenté, être méfiants dans la rue… Au-delà de cette période, 25 % vont développer un trouble de stress post-traumatique. Et parmi ces 25 %, environ 15 % finiront par se remettre avec le temps.
Pour bien accompagner les personnes concernées, il est essentiel de comprendre pourquoi, chez certains, survient un « point de rupture » émotionnel et ce qui l’influence : la nature de l’événement, la façon dont la personne l’a ressenti, dont elle va être aidée ensuite… Nos travaux ont par exemple révélé que les professionnels (policiers, membres des professions médicales…) étaient mieux protégés vis-à-vis de ce trouble que les autres victimes. Probablement en raison de leur formation, et du fait qu’elles sont intervenues avec un rôle précis et selon un protocole d’intervention bien rodé.
Comprendre ces phénomènes, la façon dont ils vont impacter la mémoire émotionnelle et son évolution est essentiel. Le soutien social, en particulier, est primordial, car les chemins de la résilience passent par une synergie des mémoires.
Mémoire individuelle, mémoire collective, mémoire sociale
S’agissant d’un traumatisme collectif comme les attentats du 13-Novembre, la mémoire de la société tout entière joue un rôle important dans la guérison des individus qui ont directement vécu l’événement.
La mémoire collective va elle aussi influencer, positivement ou négativement, le devenir des individus traumatisés. Cette représentation du passé, qui participe à la construction identitaire de la société dans son ensemble ou de groupes spécifiques, va retenir certains événements et pas d’autres. Or, les traumatismes continuent de s’écrire en lien avec le monde qui évolue autour de la victime. Ils peuvent être réactivés par certains événements (guerres, nouveaux attentats…).
La façon dont on souvient collectivement (ou dont on ne se souvient pas) de l’événement va aussi avoir un impact sur les victimes. Dix ans après, on constate que les attentats du 13-Novembre deviennent parfois « les attentats du Bataclan ». On imagine l’effet que peut avoir ce raccourci sur les personnes qui étaient présentes au Stade de France ou sur les terrasses des cafés parisiens attaqués…
Après un événement traumatique majeur, la mémoire sociale qui se construit influence profondément la mémoire individuelle. Les individus qui ont vécu un traumatisme doivent être accompagnés dans ces différentes strates de mémoire. Si on ne prend pas en compte ces dimensions collectives et sociales en plus de la dimension individuelle, il n’est pas possible de comprendre les pathologies qui en découlent.
Prendre soin de notre mémoire commune, c’est donc soigner l’individu et la société.
Pour aller plus loin
Le site du Internet du Programme 13-Novembre, Memoire13novembre.fr.
Le livre Faire face. Les Français et les attentats du 13 novembre 2015, éditions Flammarion, 2025.
Le documentaire 13-Novembre, nos vies en éclats.
Remerciements
L’auteur exprime sa reconnaissance à toutes les personnes qui se sont portées volontaires pour participer aux études mentionnées dans cet article, aux associations de victimes qui ont soutenu ce projet ainsi qu’à tous les chercheurs impliqués, en particulier Denis Peschanski, Carine Klein-Peschanski et Pierre Gagnepain.
Ce travail a bénéficié d’une aide de l’État gérée par l’Agence nationale de la recherche (ANR) au titre de France 2030 portant la référence ANR-10-EQPX-0021. Ces études sont réalisées dans le cadre du « Programme 13-Novembre », parrainé par le CNRS et l’Inserm et soutenu administrativement par l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, regroupant 35 partenaires).
Francis Eustache a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche (ANR) pour le Programme 13-Novembre.
12.11.2025 à 16:37
Faut-il partager ou épargner les terres ? Pourquoi le dilemme agriculture-biodiversité est dépassé
Texte intégral (2838 mots)

Ce dilemme ne vous dit peut-être rien, mais il a constitué une question centrale chez tous ceux qui veillent à la protection de la biodiversité. C’est celui du land sparing ou du land sharing.
Depuis plus de vingt ans, un débat anime les chercheurs qui travaillent sur la protection de la biodiversité : faut-il séparer les espaces agricoles des espaces naturels, ou les faire cohabiter ? Ce débat oppose deux visions connues sous les termes anglais land sparing (épargner les terres) et land sharing (partager les terres).
Formulé au milieu des années 2000 par des chercheurs de l’Université de Cambridge, ce dilemme part d’une idée simple :
soit on intensifie la production agricole sur des surfaces restreintes, pour préserver le reste des terres pour la nature (sparing),
soit on intègre des pratiques plus favorables à la biodiversité directement dans les champs (sharing), par exemple via l’agriculture biologique, l’agroforestierie, ou d’autres formes de diversification des cultures.
Pourquoi opposer agriculture et biodiversité ?
Dans la logique du land sparing, agriculture et biodiversité sont pensées comme deux mondes séparés : l’un occupe l’espace productif, l’autre les zones mises à l’écart. L’agriculture y est vue comme l’adversaire du vivant. Et dans l’état actuel des pratiques, ce constat n’est pas infondé. Le rapport mondial de la Plateforme intergouvernementale pour la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) rappelait en 2019 que l’agriculture était le principal facteur de pression sur les écosystèmes, du fait de l’intensification des pratiques, de la pollution, et de la fragmentation des paysages qu’elle engendrait.
Une réalité confirmée par un rapport récent
- Le rapport EAT-Lancet publié il y a quelques jours confirme cette responsabilité à une échelle plus globale. Il montre que les systèmes alimentaires figurent parmi les principaux moteurs du dépassement de plusieurs limites planétaires, notamment pour la biodiversité, l’usage des terres et les cycles de l’azote et du phosphore. Pour la première fois, ce rapport propose des « limites alimentaires sûres » qui relient directement nos modes de production et de consommation à la stabilité écologique de la planète.
Au milieu des années 2000 et 2010, des travaux, comme ceux des zoologues anglais Rhys Green en 2005 puis Ben Phalan en 2011, concluaient ainsi que le land sparing était la meilleure stratégie pour préserver les espèces. Ces travaux ont eu un large écho, confortant l’idée que l’intensification agricole « durable » pourrait sauver la biodiversité.
Mais entre land sparing et land sharing, faut-il vraiment choisir ? Des travaux récents montrent plutôt qu’aucune de ces deux options n’est une solution miracle généralisable partout, et qu’il est de plus en plus nécessaire de dépasser l’opposition stricte entre agriculture et nature.
Quand les modèles rencontrent la réalité
Les critiques du land sparing se sont de fait accumulées au fil des années. Les modèles initiaux reposaient sur des hypothèses simplificatrices : ils ignoraient les coûts sociaux et environnementaux de l’intensification. Or, intensifier l’agriculture suppose en général des intrants (engrais, pesticides, semences améliorées), de la mécanisation lourde et des infrastructures de marché. Cela favorise souvent les grandes exploitations au détriment des petits producteurs, qui peuvent être marginalisés, expulsés ou contraints de coloniser de nouvelles terres. De plus, certaines pratiques liées à l’intensification, comme la promotion des organismes génétiquement modifiés, renforcent le contrôle de certaines grandes firmes sur la production agricole.
Ces modèles simplifiaient aussi le rôle de la biodiversité. Pourtant celle-ci fournit de nombreux services écosystémiques essentiels à l’agriculture et aux sociétés : pollinisation, régulation des ravageurs, qualité de l’eau, stockage du carbone… L’agriculture intensive maximise souvent la production alimentaire, mais peut aussi générer des risques pour la santé ou les activités humaines.
Une agriculture intensive qui appauvrit également notre résilience alimentaire
- L’agriculture intensive réduit largement la diversité des espèces et des variétés cultivées, érodant ainsi la diversité génétique de notre système alimentaire et agricole. Cette réalité peut entraîner la disparition de cultures présentant des propriétés nutritionnelles uniques, des capacités d’adaptation aux aléas climatiques et d’autres valeurs potentiellement déterminantes pour le futur. La perte de ce type de biodiversité qui soutient notre système alimentaire amplifie le risque d’épidémies et d’infestations parasitaires ainsi que la vulnérabilité de la chaîne de valeur alimentaire aux chocs climatiques, commerciaux et tarifaires.
Les tentatives d’évaluation économiques montrent de fait que la valeur de ces services dépasse souvent de plusieurs fois celle des produits agricoles eux-mêmes. Par exemple, la valeur annuelle des services écosystémiques des forêts françaises surpasse largement le revenu issu de leur exploitation. Fonder les stratégies sur la seule valeur marchande des produits agricoles est donc une démarche incomplète.
Le land sparing présente également des limites face aux changements globaux. Les polluants agricoles – engrais et pesticides – ne restent pas confinés aux champs. Ils contaminent les cours d’eau et les sols, et peuvent même être transportés dans l’atmosphère, jusqu’à être détectés dans des nuages à des centaines de kilomètres des zones cultivées.
Ainsi, les zones protégées ne garantissent pas toujours la survie des espèces : par exemple, les grenouilles rousses (Rana temporaria) et les crapauds communs (Bufo bufo) déclinent dans certaines régions d’Europe, car les pesticides utilisés dans les champs voisins contaminent leurs habitats aquatiques. Les abeilles sauvages et domestiques subissent également les effets des néonicotinoïdes, réduisant la pollinisation et perturbant les services écosystémiques essentiels à l’agriculture.
De plus, l’argument central du sparing – « produire plus pour convertir moins » – ne se vérifie pas toujours. Les économistes parlent alors d’effet rebond ou « Jevons paradox » : augmenter la productivité peut accroître la rentabilité des terres agricoles, incitant à en exploiter davantage au lieu d’en libérer. Ce phénomène a été documenté dans plusieurs études, notamment en Amérique latine ou en Asie du Sud-Est, où l’intensification locale de la culture de soja ou de palmier à huile a alimenté la déforestation importée.
Mais le land sharing n’est lui non plus pas exempt de limites. Intégrer la biodiversité directement dans les champs – par exemple, à travers l’agroforesterie caféière en Amérique latine, des bandes fleuries pour les pollinisateurs en Europe, ou des haies favorisant les auxiliaires de culture – peut améliorer à la fois la production et la biodiversité.
Cependant, ces pratiques ne suffisent pas toujours à protéger les espèces. Certaines espèces très spécialisées, comme les oiseaux forestiers de la forêt humide du Costa Rica ou certaines abeilles sauvages européennes, ont besoin de grands habitats continus ou de corridors connectés entre les zones naturelles pour survivre : des bandes fleuries ou quelques arbres isolés dans les champs ne leur apportent pas ce dont elles ont besoin.
Autre limite souvent pointée : la productivité. Les critiques du land sharing se sont concentrées sur le fait que les pratiques favorables à la biodiversité – comme l’agroforesterie, les haies ou les bandes fleuries – peuvent réduire légèrement les rendements agricoles par hectare. Si ces rendements ne suffisent pas à couvrir les besoins alimentaires ou économiques, cela pourrait théoriquement pousser à exploiter davantage de surface agricole, réduisant ainsi l’espace disponible pour la nature. Par exemple, certaines études en Europe centrale montrent que l’intégration de bandes fleuries ou de haies peut diminuer de 5 % à 10 % la surface cultivable productive. Dans ce cas, si les agriculteurs compensent en étendant leurs cultures sur d’autres terres, le gain pour la biodiversité pourrait être annulé.
Enfin, le succès du sharing dépend fortement de l’adhésion et de la capacité des agriculteurs à appliquer ces pratiques. Sans soutien technique, économique ou incitatif, les bandes fleuries ou l’agroforesterie peuvent être abandonnées après quelques années, et l’impact sur la biodiversité disparaît.
Un débat qui s’enrichit
Aujourd’hui, la recherche montre que sparing et sharing ne sont pas des solutions exclusives, mais deux pôles d’un continuum d’options. Selon les contextes, les deux approches peuvent se combiner. Protéger des zones à haute valeur écologique reste essentiel, mais il est tout aussi crucial de rendre les paysages agricoles plus accueillants pour la biodiversité et d’aménager des corridors écologiques entre zones protégées trop petites pour assurer seules la survie de certaines espèces.
Par exemple, une étude récente souligne que de 20 % à 25 % au moins d’habitat semi-naturel par kilomètre carré sont nécessaires dans les paysages modifiés par l’être humain pour maintenir les contributions de la nature aux populations humaines. En deçà de 10 %, la plupart des bénéfices fournis par la nature sont presque complètement perdus.
Mais œuvrer à des pratiques agricoles hospitalières pour la biodiversité ne signifie pas qu’il faille renoncer à améliorer les rendements. Cela ne signifie pas non plus que « tout ne se résout pas à l’échelle de la parcelle ou de la ferme ».
Dans certaines régions, maintenir une productivité suffisante est nécessaire pour réduire la pression sur les terres. L’enjeu est donc de l’inscrire dans une stratégie multifonctionnelle, combinant protection d’espaces naturels, diversification agricole et politiques alimentaires.
L’agroécologie propose des pratiques concrètes : associer cultures et arbres, maintenir haies et prairies, ou diversifier les rotations. Ces actions soutiennent à la fois la production et les services écosystémiques essentiels, comme la pollinisation, la régulation des ravageurs et la fertilité des sols. Par exemple, introduire des bandes fleuries ou des haies favorise les prédateurs naturels des insectes nuisibles : dans certaines cultures maraîchères européennes, cela a permis de réduire jusqu’à 30 % l’incidence des ravageurs tout en maintenant les rendements.
À l’inverse, l’agriculture intensive peut parfois voir ses rendements diminuer : l’usage répété de pesticides favorise la résistance des ravageurs, et les systèmes monoculturaux sont plus vulnérables aux aléas climatiques, comme la sécheresse ou les vagues de chaleur. L’agriculture de conservation, qui limite le labour et favorise le développement de couvertures végétales, peut ainsi augmenter la production tout en préservant la santé des sols, alors que le labour intensif et l’usage accru d’intrants conduisent souvent à une dégradation progressive du sol.
Une synthèse de 95 méta-analyses, couvrant plus de 5 000 expériences à travers le monde, montre que ces pratiques augmentent en moyenne la biodiversité de 24 % et la production de 14 %. De manière complémentaire, 764 comparaisons dans 18 pays indiquent que des rendements équivalents ou supérieurs à ceux de l’agriculture conventionnelle sont souvent possibles, même si cela dépend du contexte et des pratiques adoptées.
Les baisses de production restent généralement limitées et sont fréquemment compensées par d’autres bénéfices écosystémiques. Autrement dit, diversifier les cultures est réalisable et peut être gagnant-gagnant dans de nombreux cas, mais il n’existe pas de solution universelle.
Enfin, les politiques agricoles doivent dépasser la seule logique du rendement pour inclure des indicateurs de bien-être humain, d’équité sociale et de résilience écologique. Cela suppose d’impliquer les agriculteurs et les communautés locales dans la définition des priorités, plutôt que d’imposer des modèles dits « universels ».
Dans une étude que nous avons publiée en 2025, nous avons voulu dépasser le faux dilemme entre intensification et partage. Nous montrons que se focaliser uniquement sur les rendements agricoles est une impasse : cela occulte les coûts cachés des systèmes alimentaires (estimés à plus de 10 000 milliards de dollars, ou 8,6 milliards d’euros, en 2020 en équivalent pouvoir d’achat).
Par exemple, les systèmes agricoles actuels utilisent de grandes quantités d’eau, qui peuvent limiter et polluer l’accès à l’eau potable des personnes, générant des coûts qui sont imputés à d’autres secteurs, comme celui de la santé. De la même manière, ces systèmes agricoles produisent de plus en plus de situations de malnutrition, de famine ou d’obésité, qui ont des coûts énormes pour les sociétés qui doivent les assumer. D’autres coûts sur les écosystèmes (par émission de gaz à effet de serre, par exemple) doivent également être pris en compte.
Nos travaux soulignent qu’une approche centrée sur le rendement risque d’accélérer la perte de biodiversité et d’agrobiodiversité, tout en renforçant la dépendance des petits producteurs aux intrants et aux grandes firmes. Or les transitions agricoles ne sont pas de simples choix techniques. Ce sont des processus socio-écologiques, qui engagent des questions de pouvoir, de justice et de culture. On les observe, par exemple, dans les zones dites de frontière agricole, où des populations autochtones, ou premières nations, sont déplacées par les porteurs de nouveaux modèles techniques, avec toutes les conséquences sociales engendrées par ces déplacements.
Un tournant pour la science et les politiques
Le débat entre land sparing et land sharing a eu le mérite d’ouvrir une réflexion structurante sur les liens entre agriculture et biodiversité. Mais les solutions ne passent pas par des choix binaires. La réalité impose de penser la durabilité à travers des solutions hybrides et contextualisées qui intègrent les dimensions écologiques, sociales et économiques.
En fin de compte, la question n’est pas seulement « Comment produire plus avec moins », mais « Comment produire mieux, avec et pour la biodiversité ». C’est ce changement de perspective qui peut réellement orienter les transitions agricoles vers des systèmes à la fois productifs, justes et respectueux du vivant.
Sarah Jones is part-funded by CGIAR donors, through the CGIAR Multifunctional Landscapes and Policy Innovations science programs.
Bruno Rapidel et Damien Beillouin ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.
12.11.2025 à 16:35
L’Irlande a une présidente de gauche, mais la vie politique reste dominée par des hommes de droite
Texte intégral (2561 mots)
La victoire d’une femme de gauche à la présidentielle qui vient de se tenir en Irlande ne signifie pas que la politique du pays sera significativement changée. Contrairement à la France, la présidence, en Irlande, est une fonction secondaire, l’essentiel du pouvoir exécutif se trouvant entre les mains du chef du gouvernement.
Le vendredi 24 octobre, le corps électoral irlandais s’est rendu aux urnes pour choisir sa future présidente. Le suspense a été de courte durée : Catherine Connolly, candidate indépendante et soutenue par les partis de gauche, est arrivée largement en tête. Elle devance Heather Humphreys, sa rivale investie par le parti de centre droit Fine Gael.
Connue pour ses engagements en faveur de la justice sociale et de la protection du climat, Catherine Connolly a fréquemment dénoncé le génocide du peuple palestinien durant sa campagne, n’hésitant pas à critiquer ouvertement les actions de Donald Trump. Peu après sa victoire, elle a assuré, en irlandais et en anglais, qu’elle serait « une présidente inclusive ».
Cette large victoire ne signifie pourtant pas qu’une politique de gauche sera désormais mise en œuvre en Irlande, les prérogatives de la présidence irlandaise étant nettement moins étendues que celles de son homologue française.
Le classement : l’originalité du mode de scrutin irlandais
Au premier abord, ce sont les similitudes entre les deux fonctions qui frappent. En France, comme en Irlande, c’est le peuple qui est directement chargé de désigner la personne qui occupera la fonction. Les modalités de ce vote sont pourtant très différentes.
En France, l’élection se déroule au scrutin majoritaire uninominal à deux tours, et le corps électoral s’exprime en sélectionnant un candidat à chaque tour. Le système irlandais est plus complexe, mais offre plus d’espace à l’expression démocratique. Le scrutin se fait à la proportionnelle et repose sur un vote unique transférable.
Dans l’isoloir, chaque personne à la possibilité de classer les candidates et les candidats. La première préférence sera systématiquement comptabilisée. Si aucun candidat n’a atteint la majorité absolue après le premier dépouillement des premières préférences, le candidat arrivé en dernier est éliminé et le transfert débute. Si le candidat classé premier sur un bulletin est éliminé après le dépouillement des premières préférences, le vote sera transféré au candidat classé deuxième et ainsi de suite jusqu’à ce qu’un candidat ou une candidate soit élue. Vendredi dernier, aucun transfert n’a été nécessaire pour élire Catherine Connolly puisqu’elle a obtenu 63,36 % des premières préférences.
Des compétences constitutionnelles en apparence similaires
Les dispositions consacrées à la présidence dans les Constitutions française et irlandaise confirment les ressemblances. Dans les deux pays, la présidence est normalement assurée de mener son mandat à terme (elle ne peut être forcée à la démission par le Parlement que dans des circonstances exceptionnelles ; en France comme en Irlande, aucune destitution n’a jamais abouti). Elle est également, à la tête des forces armées, chargée de promulguer les lois, de nommer le premier ministre et son gouvernement, et de prononcer la dissolution de la chambre basse du Parlement. Pourtant, des détails importants distinguent les deux fonctions.
Le pouvoir de nomination de la présidence irlandaise n’est pas libre : il s’exerce systématiquement sur avis du Dáil Éireann (la chambre basse du Parlement irlandais), comme le veut la pratique traditionnelle des régimes parlementaires. Le pouvoir de dissolution est lui aussi conditionné à la demande du Taoiseach, le premier ministre irlandais. La présidente peut néanmoins refuser une telle demande si le premier ministre ne dispose plus de la confiance de l’Assemblée. À ce jour, aucun refus n’a jamais été exprimé.
La présidente irlandaise peut également transférer un projet de loi à la Cour suprême pour contrôler sa conformité à la Constitution – l’équivalent d’une saisine du Conseil constitutionnel par la présidence française –, mais cette compétence est également rarement utilisée.
Une présidence irlandaise moins genrée car moins puissante
Lorsqu’elle est entrée en fonctions le 11 novembre, Catherine Connolly est devenue la troisième femme à occuper la présidence irlandaise.
La première, Mary Robinson, a été élue en 1990 et a démissionné en 1997 afin de devenir Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme. L’élection qui a suivi la démission de Mary Robinson a vu le succès d’une autre Mary. Mary McAleese, présidente pendant quatorze ans, entre 1997 et 2011, a été la première présidente née en Irlande du Nord.
En comparaison, la fonction présidentielle française, qui n’a jamais été occupée par une femme, est plus marquée par les normes de genre. Cependant, il ne faut pas en tirer de conclusions hâtives. La gouvernance en Irlande est menée par le Taoiseach (le premier ministre). L’histoire irlandaise n’a vu que des hommes se succéder à cette fonction. En France comme en Irlande, jusqu’ici, jamais une femme n’a exercé le rôle principal et chargé de mener la politique du pays (la présidence en France et le Taoiseach en Irlande).
La composition de l’actuel gouvernement irlandais, dirigé par le Taoiseach Micheál Martin (Fianna Fáil, centre droit), confirme tristement l’actualité de ces stéréotypes de genre, puisqu’il ne compte que 3 femmes sur 15 membres, ce qui reflète le classement de l’Irlande à la dernière place en Europe en termes de proportion de femmes députées.
Une présidence qui préside, l’autre qui gouverne
Les différences les plus significatives entre les présidences française et irlandaise se révèlent dans la pratique de ces fonctions et dans leur relation au pouvoir politique.
La présidence irlandaise ne s’aventure pas dans le jeu politique et la politique du pays, sphère confiée au Taoiseach et au gouvernement. Pourtant, Eoin Daly rappelle que la présidence irlandaise peut être amenée à un jouer un rôle d’arbitre dans la procédure législative, notamment en cas de conflits entre les deux chambres de l’Oireachtas, le Parlement irlandais.
Dans les faits, l’émergence de majorités stables au sein des deux assemblées du Parlement a cantonné les occupants de la présidence à un rôle cérémonial.
Les occupants de la présidence irlandaise ont démontré beaucoup de réticences à s’immiscer dans les questions de politique intérieure. On peut tout de même noter une tendance grandissante de la présidence à exprimer des positions politiques depuis les années 1990 et le mandat de Mary Robinson. Le président sortant, le populaire Michael D. Higgins, est connu pour ses positions critiques à l’égard de certaines politiques gouvernementales. Il a notamment dénoncé l’incapacité des politiques publiques à contrôler la crise du logement en Irlande.
Dans le contexte français, dès 1958, positionner la présidence dans la posture d’un arbitre ne satisfaisait pas. Face au Conseil d’État, Michel Debré (qui a dirigé le groupe de rédaction de la Constitution de la Vᵉ République, ndlr) esquissait à l’époque, une présidence qui serait « bien plus qu’un arbitre entre les partis », une véritable « clé de voûte » des institutions, selon la célèbre formule. Le président, élu au suffrage universel depuis 1962, dispose de prérogatives dispensés de contreseing, dont l’usage n’est pas conditionné à l’aval du Parlement.
C’est là une différence majeure avec la présidence irlandaise. Sous la Ve République, l’Élysée est devenu le centre gravitationnel du pouvoir, son occupant étant souvent simultanément chef de l’État, chef de parti et chef de majorité politique à l’Assemblée nationale. La réunion de ces trois fonctions autour d’une figure populairement désignée a notamment permis l’émergence d’une pratique présidentialiste du régime.
La Constitution faite « par et pour le pouvoir exécutif » a néanmoins aussi vu des présidents en difficulté. Cependant, même lorsqu’un président s’est retrouvé en retrait, soit parce qu’il devait cohabiter avec un premier ministre d’une autre formation politique, soit parce qu’il n’était plus soutenu par une majorité stable, comme Emmanuel Macron depuis 2022, les présidents sont restés – sous différentes formes et par divers moyens – des figures actives dans la gouvernance du pays.
Les paradoxes des présidences française et irlandaise
Pour Eoin Daly, la campagne présidentielle précédant l’élection de Catherine Connolly a illustré les paradoxes de la fonction. Alors que, durant la campagne, les débats ont longuement évoqué les positionnements politiques des deux candidates sur des problèmes politiques actuels, la fonction est presque exclusivement cérémoniale après l’élection.
Aussi, les conséquences de la large victoire de la candidate de gauche ne doivent pas être surestimées. L’Irlande a déjà eu des présidentes de gauche, mais elle n’a jamais eu un gouvernement de gauche.
Le journaliste Fintan O’Toole y voit le grand paradoxe de la vie politique irlandaise :
« les victoires présidentielles de la gauche n’ont pas inauguré la social-démocratie, mais un capitalisme financier féroce. »
L’élection directe par le peuple d’une personnalité ne vaut pas adoption de son positionnement politique à l’échelle nationale. Daly souligne ainsi que les candidats doivent ainsi « faire campagne pour obtenir un mandat du peuple, mais une fois en fonction, ils ne trouvent aucun moyen réel, autre que la parole, pour remplir ce mandat ». Bref, l’élection éclipse la fonction.
Ce déséquilibre est absent du contexte français, tant la présidence a progressivement gagné en pouvoir depuis 1962. Pourtant, les événements politiques des deux dernières années ont ravivé le paradoxe propre à la pratique du mandat présidentiel français. La présidence n’a pu s’imposer qu’en comptant sur des majorités parlementaires dévouées et disciplinées. Une fois ce socle fragilisé (en 2022) puis rompu (en 2024), elle s’est éloignée des schémas connus jusqu’ici et tente désormais de maintenir un équilibre précaire. Du fait des compétences que lui attribuent la Constitution, la présidence française, contrairement à la fonction irlandaise, ne sera jamais uniquement réduite à la parole, même si la valeur de celle-ci peut drastiquement baisser dans certaines circonstances.
Camille Barbe ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
12.11.2025 à 14:49
Le marché des chevaux de course : entre passion, économie et patrimoine vivant
Texte intégral (2280 mots)

Derrière le glamour des courses hippiques se joue un marché mondial des chevaux de course évalué à 300 milliards de dollars (ou 259,2 milliards d’euros). Véritables actifs vivants, les pur-sang attirent investisseurs et passionnés dans un univers où performances sportives, pedigree et spéculation s’entremêlent. Mais entre prestige et rentabilité, le rapport rendement/risque reste souvent défavorable.
Le monde des courses de chevaux n’est pas seulement un sport, c’est un écosystème économique et culturel, où un actif unique, le cheval de course, concentre enjeux financiers, prestige et tradition. Comprendre ce marché, c’est plonger dans un univers où la performance sportive rencontre l’investissement et la passion. Notre contribution questionne ainsi le risque et le rendement de cet investissement.
Définition et catégories d’un cheval de course
C’est un équidé élevé, dressé et entraîné spécifiquement pour participer à des compétitions officielles de vitesse ou d’endurance. Il ne faut pas le confondre avec un cheval de sport qui est utilisé dans d’autres disciplines équestres, comme le saut d’obstacles, le dressage ou le concours complet. Sa valeur dépend à la fois de sa performance sportive, de sa lignée génétique et de son potentiel de reproduction. Les chevaux de course sont classifiés en fonction de leur âge.
Marché des chevaux de course et ventes aux enchères
Contrairement à un actif financier, un cheval est un actif vivant qui peut courir, gagner des compétitions, générer des revenus, participer à la reproduction et être vendu. C’est un marché où la performance sportive et la valeur économique sont fortement liées. Ce marché, mondial, est évalué à 300 milliards de dollars (259,2 milliards d’euros).
La France, le Royaume-Uni et l’Irlande représentent 133 milliards de dollars (114,9 milliards d’euros). Les États-Unis et le Canada totalisent 118 milliards de dollars (101,9 milliards d’euros). Le reste des ventes se répartit entre l’Asie-Océanie (Australie, Chine, Hong-kong et Japon), l’Afrique du Sud, et le Moyen-Orient (Arabie saoudite et les Émirats arabes unis).
L’événement phare en France est la vente de yearlings d’août aux enchères de Deauville (Calvados), organisée par Arqana, des pur-sang dans leur deuxième année. Depuis plusieurs années, les records dans les ventes aux enchères s’accumulent. Par exemple, le 9 décembre 2023, lors de la vente d’élevage de Deauville, Place-du-Carrousel, une jument de 4 ans a été adjugée 4,025 millions d’euros. Lors de la même vente en 2022, Malavath, une pouliche d’entraînement, a été adjugée 3,2 millions d’euros. Enfin, une pouliche de Dubawi, acquise en 2015 pour 2,6 millions d’euros par Godolphin, l’écurie du cheikh Mohammed Al-Maktoum, émir de Dubaï, détient le record pour un yearling vendu aux enchères publiques en France.
Construction d’un indice de prix pour déterminer le risque et le rendement
Nous utilisons 28 310 ventes aux enchères provenant du site Arqana entre novembre 2016 et novembre 2023. Avec 12 097 ventes, les yearlings sont majoritaires, suivis des juments (4 951 ventes) et des chevaux d’entraînement (3 417 ventes).
Plus de 93 % des ventes sont réalisées à Deauville ; le reste, 1 054 à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), 553 en ligne, 87 à Chantilly (Oise) et 29 à Auteuil (Paris XVIᵉ). Les amateurs représentent 22 % des acheteurs. La difficulté de l’analyse repose sur le fait que chaque cheval possède des caractéristiques uniques (généalogie, pays d’origine, sexe, âge). Afin d’extraire une tendance des prix qui mesure l’évolution de la valeur globale des chevaux de course en prenant en compte leurs attributs spécifiques, nous construisons un indice de prix hédonique.
La tendance générale est à la hausse, avec une accélération des prix après la pandémie de Covid-19. Cependant, l’analyse des indices par catégorie révèle des évolutions de prix très différentes. Alors que les chevaux de deux ans, les chevaux d’entraînement et les juments ont connu des tendances stables, voire en baisse, après la pandémie de Covid-19, les yearlings et les pouliches ont atteint des sommets.
Rendements et risques d’un investissement dans les chevaux de course
Nos résultats indiquent des rendements positifs mais faibles. Tous les rendements trimestriels et semestriels sont positifs, suggérant qu’investir dans les chevaux de course pourrait être une opportunité, mais sont généralement inférieurs au taux sans risque.
Par conséquent, investir dans les chevaux de course semble davantage relever de la passion que de la rentabilité financière. Par catégorie, les yearlings sont les plus attractifs pour les investisseurs prêts à prendre des risques, surtout depuis la pandémie de Covid-19.
Autres caractéristiques des chevaux à prendre en compte pour mieux appréhender les rendements
Certaines informations ne sont pas prises en compte dans notre modèle et permettraient probablement d’affiner les résultats. La valeur d’un cheval de course dépend aussi de ses caractéristiques physique, morale et esthétique. Un corps bien proportionné, un cœur puissant, un métabolisme efficace et une récupération rapide sont des éléments clés de la performance et de la longévité. Le tempérament du cheval joue également un rôle crucial. La couleur de la robe, bien qu’elle n’ait aucune influence sur les aptitudes physiques, peut susciter l’attrait commercial. Enfin, dans certaines catégories, les informations sur les performances passées peuvent peser significativement sur le prix.
Compte tenu de ces facteurs, le retour sur investissement des chevaux de course est une équation complexe. Il dépend de la différence entre les prix de revente et d’achat, ou des bénéfices actualisés, incluant le prix de revente. Supposons que l’investissement consiste à acheter un cheval de sa conception à sa mort. Dans ce cas, la valeur actuelle nette prend en compte négativement les prix actualisés de la saillie, de l’élevage, de l’entraînement, du transport et de l’entretien post-carrière, et positivement les bénéfices actualisés des courses et de l’élevage. Il est également nécessaire de prendre en compte les risques de blessure, de maladie et de sous-performance potentielle.
Les chevaux de course représentent-ils davantage un investissement de prestige ou de passion ?
Comme nous le démontrons, les chances de profit sont faibles, et il peut être plus facile de considérer cet investissement comme une dépense récréative. Investir dans un cheval de course peut être émotionnellement gratifiant. Pour les passionnés, le prestige et la passion justifient les pertes.
Posséder un cheval de course pour les élites et la communauté équestre, surtout s’il remporte des courses prestigieuses, est synonyme de reconnaissance. Ainsi, certains investisseurs sont davantage motivés par l’amour des chevaux, la passion des sports équestres et l’excitation des courses que par la rentabilité financière. Il s’agit d’un loisir coûteux, comme les voitures de collection.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.