22.11.2024 à 16:15
Mateo Cordier, Maître de conférences en économie et membre de la Coalition scientifique pou un traité plastique efficace (https://ikhapp.org/scientistscoalition/), Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay
Alors que les pays du monde entier s’apprêtent à discuter d’un traité mondial sur le plastique, certains font valoir une crainte : celle du coût économique causé par une réduction possible de la production de plastique. Mais ne rien faire coûterait bien plus cher en nettoyage de la pollution marine, gestion des impacts sur la santé publique et des déchets montre une nouvelle étude.
Acheter une bouteille de Coca-Cola ou une barre de Snickers ne pèse pas lourd sur le portefeuille. Ces produits sont relativement bon marché. Mais que se passerait-il si le coût réel de leur emballage plastique était inclus dans le prix que nous payons à la caisse ? Prenons par exemple le coût de nettoyage de la pollution générée par la fabrication de ce plastique, ou encore celui de la gestion de l’emballage une fois que vous l’avez jeté. Sans oublier les frais médicaux liés aux menaces sanitaires provoquées par les plastiques, ainsi que les dommages infligés à la faune terrestre et marine, et aux écosystèmes tout entiers. Ce ticket de caisse serait longuissime.
Du 25 novembre au 1er décembre 2024, 175 pays se réuniront à Busan, en Corée du Sud, pour la cinquième et dernière session de négociations sur un traité mondial sur les plastiques. Au cœur des débats : la question de savoir si le traité inclura des objectifs contraignants pour réduire la production de plastiques.
Bien que la communauté scientifique s’accorde sur le fait que réduire la production plastique est essentiel pour résoudre les crises climatiques, environnementales et sanitaires qu’elle engendre, certains pays s’inquiètent des impacts potentiels sur leur économie nationale. Mais les travaux de recherche que nous sommes plusieurs à mener en France et dans le monde en économie et en sciences de l’environnement montrent que ces pays devraient s’inquiéter de l’inverse : l’absence de réduction de la production de plastiques pourrait poser une menace économique bien plus grande.
La production effrénée de plastiques engendre une pollution aux impacts croissants, qui entraînera des coûts considérables à mesure que les crises qu’elle suscite se multiplieront. En ce qui concerne la crise climatique, l’industrie plastique est responsable de 5,3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (chiffres de 2019). Si rien ne change, ces émissions pourraient doubler, voire tripler d’ici 2050. En matière de crise environnementale, les conséquences sur la biodiversité sont alarmantes. Des microplastiques, issus de la dégradation des déchets plastiques, sont désormais présents (assimilés par ingestion) dans 26 % des poissons marins, un chiffre qui a doublé au cours des dix dernières années. Enfin, la crise sanitaire est déjà là. Dans l’Union européenne, par exemple, au moins 1,8 million de personnes souffrent de maladies liées à l’exposition aux produits chimiques contenus dans les plastiques (chiffres de 2010). Face à ces constats, réduire la production plastique devient une urgence environnementale et sanitaire.
À lire aussi : Traité mondial contre la pollution plastique : en coulisses, le regard des scientifiques français présents
Les coûts liés à la pollution plastique dans le monde sont vertigineux. Dans notre dernière étude, nous avons tâché d’analyser les données existantes pour estimer ces coûts. Nous avons constaté que, dans un scénario d’inaction, la pollution plastique accumulée dans les écosystèmes mondiaux depuis 1950 pourrait coûter entre 13 700 milliards et 281 800 milliards de dollars américains en dommages environnementaux entre 2016 et 2040. À titre de comparaison, cela équivaut à 4 à 93 fois le PIB de la France en 2023, ou à 5 à 113 fois les pertes économiques mondiales causées par la chute du PIB liée à la crise du Covid-19.
Derrière ces sommes faramineuses, on trouve une large gamme de dépenses et de dommages. Premièrement, il y a les coûts de gestion des déchets plastiques : la collecte, le tri, le recyclage et l’élimination des déchets municipaux. Ces coûts, compensés en partie par les revenus tirés de la vente de plastiques recyclés et de l’électricité générée par l’incinération, sont estimés entre 643 milliards et 1 612 milliards de dollars dans le monde entre 2016 et 2040. Ils sont principalement supportés par les municipalités ou les entreprises privées chargées de gérer les déchets ménagers, mais sont en fin de compte payés par les contribuables.
Ensuite, il y a les dommages aux écosystèmes, notamment marins. Des animaux comme les tortues, les poissons, les oiseaux marins et de nombreuses autres espèces subissent des dégâts en ingérant des déchets plastiques. Les coûts de ces dommages écologiques sont estimés entre 1 862 milliards et 268 498 milliards de dollars pour la même période.
La pollution plastique a également des impacts importants sur la santé humaine. Les additifs présents dans les plastiques, tels que les perturbateurs endocriniens, sont liés à de graves problèmes de santé : troubles hormonaux, infertilité, cancer, obésité, diabète et déficiences intellectuelles. Les coûts des maladies liées à ces substances chimiques ont été estimés à 384–403 milliards de dollars par an aux États-Unis, 44 milliards de dollars par an dans l’Union européenne, et 18 milliards de dollars par an au Canada (en prix de 2010). Ajustés à 2021 et cumulés sur la période 2016–2040, ces coûts de santé s’élèvent à 11206–11692 milliards de dollars. Mais ces chiffres sont probablement très sous-estimés, car les coûts annuels augmenteront avec la production croissante de plastiques et la croissance démographique.
En résumé, lorsque nous additionnons ces trois catégories – pollution marine, impacts sur la santé publique et gestion des déchets – le coût total mondial de la pollution plastique pour la période 2016–2040 se situe entre 13 700 milliards et 281 800 milliards de dollars, soit l’équivalent de 548 à 11 272 milliards de dollars par an sur cette période de 25 ans. Ces chiffres montrent l’énorme poids économique de la crise plastique, bien au-delà du prix d’une bouteille de Coca ou d’une barre chocolatée.
Mais ces coûts ne semblent pas pris en compte par les pays qui cherchent à diluer l’ambition du traité en se concentrant uniquement sur la gestion des déchets, négligeant ainsi la racine du problème, à savoir la production de plastiques. Avec une production en augmentation constante, les systèmes de traitement auront de plus en plus de mal à suivre, ce qui entraînera une fuite croissante de plastiques dans la nature. Or si rien ne change, le volume de plastique rejeté dans les écosystèmes pourrait doubler d’ici à 2050 et atteindre 121 millions de tonnes par an (contre 62 millions de tonnes par an en 2020). Si nous ne réduisons pas la production de plastiques, nous continuerons donc à dépenser toujours plus pour nettoyer une pollution qui aurait pu être évitée – comme si nous essayions de vider une baignoire sans fermer le robinet qui l’alimente en eau.
Malheureusement, ces chiffres sont probablement très sous-estimés car nous nous sommes basés sur les données économiques disponibles, qui présentent d’importantes lacunes : elles excluent les coûts sanitaires dans les pays hors Europe, États-Unis et Canada, les dommages aux écosystèmes terrestres, le coût de nettoyage des micro et nanoparticules de plastiques (seuls les macroplastiques peuvent être nettoyés actuellement), ainsi que les frais de nettoyage des plastiques ayant coulé jusque dans les fonds océaniques, pour n’en citer que quelques-uns.
D’autres études montrent également que le coût de la pollution plastique n’est pas partagé équitablement : son coût est dix fois plus élevé dans les pays à faible revenu, bien qu’ils soient peu responsables de la production et de la consommation de plastiques. En outre, les pays du sud seront davantage impactés par la pollution plastique que les pays du nord. Dans le top 15 des pays les plus touchés par la pollution plastique des océans, on retrouve (par ordre décroissant) : la Chine, l’Indonésie, les Philippines, le Vietnam, le Sri Lanka, la Thaïlande, l’Égypte, la Malaisie, le Nigeria et le Bangladesh, l’Afrique du Sud, l’Inde, l’Algérie, la Turquie et le Pakistan. À l’inverse, seuls quelques pays tirent profit de la production et de la vente de plastiques : 75 % des capacités mondiales de production pétrochimique, essentielle pour fabriquer des plastiques, sont détenues par dix pays seulement. En tête, on retrouve la Chine, suivie des États-Unis, de l’Inde, de la Corée du Sud et de l’Arabie saoudite. Viennent ensuite le Japon, la Russie, l’Iran, l’Allemagne et Taïwan. Les pays riches jouent donc un rôle central dans le commerce mondial des déchets plastiques en exportant une partie de leurs déchets vers des pays en développement pour y être recyclés. Cependant, ce processus ne garantit pas toujours un recyclage effectif, augmentant ainsi les risques de fuite de débris plastiques dans les écosystèmes locaux.
Les principaux importateurs nets de déchets plastiques sont aujourd’hui des pays comme la Chine, la Turquie, le Vietnam, l’Inde et la Malaisie, qui reçoivent des volumes importants en provenance de grandes nations exportatrices telles que le Japon, les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France. Malgré une réduction récente de la part des pays en développement dans ces importations, ils restent les principales destinations des flux mondiaux de déchets plastiques, avec des conséquences environnementales et sociales préoccupantes. Ce commerce met en lumière une inégalité mondiale où les déchets des pays riches alimentent des problèmes de gestion et de pollution dans les pays moins développés.
Si l’on continue de regarder ce que le plastique coûte aux différents pays, il est également important d’avoir en tête que non seulement les pays paient les coûts de la pollution plastique, mais ils financent aussi sa production. Selon un rapport du Fonds monétaire international (FMI), les subventions mondiales aux combustibles fossiles s’élevaient à 7 000 milliards de dollars en 2022, soit 7,1 % du PIB mondial. Or la majorité des plastiques sont fabriqués à partir de pétrole et de gaz naturel. Éliminer les subventions aux plastiques permettrait de récupérer 30 milliards de dollars par an rien que dans les 15 principaux pays producteurs de polymères plastiques.
Loin d’être un frein, réduire la production de plastiques pourrait même être économiquement bénéfique. Nos recherches montrent que les coûts de l’inaction (13 700-281 800 milliards de dollars) pourraient être jusqu’à deux fois plus élevés que ceux des mesures de réduction de la production et de la pollution (18 300-158 400 milliards de dollars). Par ailleurs, une transition bien menée vers une économie post-plastiques, où seuls les plastiques essentiels seraient autorisés, pourrait stimuler la croissance économique en créant des emplois dans le secteur du réemploi et des consignes locales. Bien que toute transition ait un coût à court terme pour le secteur privé, éviter les dommages environnementaux liés à une production continue de plastiques conduit à un bénéfice net à long terme – et peut-être même à court terme, étant donné l’ampleur sous-estimée des coûts actuels. En d’autres termes, réduire la production de plastiques pourrait non seulement éviter une facture salée, mais aussi stimuler les économies nationales et mondiales. Certains économistes vont même jusqu’à affirmer qu’un plafonnement international de la production serait bénéfique pour l’industrie plastique elle-même.
Dans une économie post-plastiques, seuls les produits plastiques essentiels – comme les tubes de perfusion utilisés dans les hôpitaux, par exemple – resteraient en usage, tandis que d’autres, comme les plastiques à usage unique (bouteilles, sacs, même réutilisables, par exemple), seraient interdits. Des systèmes locaux de consigne pour les articles réutilisables (bouteilles, couverts, gobelets, contenants alimentaires, plateaux, emballages) seraient également mis en place.
Se concentrer sur des solutions locales est essentiel pour éviter les émissions de gaz à effet de serre liées aux transports longue distance. Cependant, cette approche doit être mise à l’échelle mondiale pour un impact écologique maximal, en suivant le principe « penser globalement, agir localement ». Ce changement créerait un secteur entier dédié au réemploi des contenants et des emballages, stimulant une croissance économique bénéfique pour tous sans nuire à la santé humaine ou aux écosystèmes.
Si les dirigeants ne prennent pas des mesures fortes lors des négociations du traité sur les plastiques fin novembre 2024, ce sont les citoyens consommateurs qui en paieront le prix pendant des décennies. Avec un coût de la pollution plastique qui ne cesse d’augmenter, nous ne pouvons plus nous permettre d’attendre.
Cet article est dédié au chercheur en sciences de l’environnement Juan Baztan qui nous a quitté bien trop tôt après une chute accidentelle à Lanzarote, à la fin de la conférence internationale MICRO-2024 sur la pollution plastique. Ses travaux traitaient des impacts des activités humaines sur les écosystèmes marins, notamment la question des débris plastiques dans les océans, et les interactions entre les communautés côtières et la pollution. Il explorait également les approches transdisciplinaires pour promouvoir une relation durable entre les êtres humains et l’océan. L’interface science-société était importante pour lui. Par une approche transdisciplinaire de la recherche, il voulait contribuer à la transformation de la société vers un avenir qui respecte le vivant dans son ensemble. Son travail relevait d’une éthique exigeante sur le plan humain qu’il appliquait à la recherche sur la pollution plastique avec rigueur.
Mateo Cordier a reçu des financements de la JSPS KAKENHI (Société Japonaise pour la Promotion de la Science - Subventions pour la recherche scientifique), numéro de subvention 19KK0271. Site web: https://www.jsps.go.jp/english/e-grants/
22.11.2024 à 13:15
Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po
Peu après l’autorisation donnée par Joe Biden à Kiev d’utiliser des armes fournies par les Américains pour frapper en profondeur le territoire russe, Vladimir Poutine a modifié sa doctrine nucléaire, frappé le territoire ukrainien avec un missile balistique vide mais capable d’emporter une charge nucléaire – ce qui est sans précédent – et tenu un discours solennel dans lequel il a ouvertement menacé les alliés de l’Ukraine. Quelle posture faut-il adopter face à cette nouvelle montée des tensions ?
L’apocalypse nucléaire n’est pas pour demain en Europe mais un cran a incontestablement été franchi dans les menaces nucléaires proférées par la Russie. L’adoption d’un nouveau décret sur la doctrine nucléaire le 19 novembre et l’utilisation d’un missile balistique RS26 le 21 novembre contre l’Ukraine – que Vladimir Poutine a justifiée quelques heures plus tard par la nécessité de répondre à des tirs de missiles ATACMS (d’origine américaine) par les forces armées ukrainiennes contre le territoire russe dans la région de Briansk – exigent une analyse lucide.
Selon les termes du général Schill, chef d’état-major de l’armée de terre française, il s’agit d’un « signalement stratégique » important. Il doit être décrypté comme tel, avec gravité mais sang-froid.
Sommes-nous à la veille d’une attaque nucléaire sur l’Ukraine ? Ou, pour le dire en termes techniques, la Russie a-t-elle abaissé drastiquement le seuil de déclenchement d’un tir nucléaire ?
La menace est crédible car elle provient d’un État qui possède têtes nucléaires et vecteurs en grand nombre, une chaîne de commandement fonctionnelle et une doctrine établie. Kiev et ses soutiens font aujourd’hui face non pas à une attaque nucléaire imminente mais à une mise en garde pressante : toute attaque d’ampleur sur le territoire russe exposera l’Ukraine à des représailles, y compris nucléaires. Écouter et comprendre les déclarations russes n’est pas s’en faire le porte-voix et encore moins l’avocat. C’est une précaution indispensable pour assurer la sécurité des Européens.
Évaluer le risque nucléaire est toujours extrêmement délicat car ce risque comporte tout à la fois un absolu et une gradation.
Son caractère absolu tient au fait que les armes nucléaires ont un potentiel militaire de destruction sans équivalent dans le domaine conventionnel et un poids politique qui confine au tabou depuis leur utilisation par les États-Unis contre le Japon les 6 et 9 août 1945. Risque absolu, mais réalisation graduée : pour produire ses effets, la dissuasion nucléaire exige une doctrine solide, complexe, crédible et en partie publique, comme le rappelle Bruno Tertrais dans Pax Atomica (Odile Jacob, 2024). L’escalade nucléaire est lente, jalonnée et démonstrative.
Avec le nouveau décret sur la doctrine nucléaire adopté le 19 novembre puis le tir assumé contre la ville ukrainienne de Dnipro d’un missile balistique vide mais capable d’emporter une charge nucléaire et la déclaration subséquente de Poutine selon lequel la Russie s’estime en droit de frapper « les installations militaires des pays qui autorisent l’utilisation de leurs armes contre nos installations », Moscou s’est-elle réellement rapprochée de l’utilisation d’armes nucléaires contre l’Ukraine et/ou contre ses soutiens occidentaux ? En déclarant que le conflit en Ukraine prenait une dimension mondiale, Poutine prépare-t-il une Troisième Guerre mondiale inaugurée par une frappe nucléaire ?
Rappelons que l’invasion de l’Ukraine a été placée, depuis son lancement en février 2022, sous l’ombre de la menace nucléaire.
Au fil du conflit, le président russe, ses ministres de la Défense, son ministre des Affaires étrangères et son porte-parole ont régulièrement rappelé que la Russie était un État nucléaire, qu’elle disposait d’un tiers des têtes nucléaires au monde, qu’elle maîtrisait plusieurs vecteurs ou types de missile pour les mettre en œuvre et qu’elle était disposée à relever le niveau d’alerte et de mobilisation de ses forces nucléaires. Ces déclarations n’ont pour autant jamais été suivies d’effets militaires. Plusieurs analystes ont dès lors estimé qu’il s’agissait d’effets de manche, de propagande sans contenu concret ou de gesticulations.
Il est vrai que, jusqu’ici, ces menaces répétées n’ont – heureusement – pas été mises à exécution. Pour autant, une telle hypothèse est-elle à absolument écarter ? Et envisager que la Russie puisse utiliser l’arme suprême entraverait-il par définition le soutien occidental à la défense de l’Ukraine ?
C’est tout le contraire : entendre et comprendre cet avertissement n’est pas céder au chantage. C’est déchiffrer la grammaire complexe mais explicite de la dissuasion nucléaire russe.
Les messages envoyés par le Kremlin cette semaine sont clairs. Analysons les principales évolutions que comporte le décret présidentiel sur la doctrine nucléaire du 19 novembre : à l’article 11 de ce décret, la Russie s’ouvre la possibilité de répliquer par l’arme nucléaire à une attaque contre son territoire conduite par un État non nucléaire soutenu par un État nucléaire. Ce changement n’est ni cosmétique ni révolutionnaire. La doctrine nucléaire russe est constante dans son fondement : l’arme nucléaire peut être utilisée si l’existence de l’État ou le territoire de la Fédération sont menacés par des armes étrangères. Une attaque massive menée contre eux exposera donc l’Ukraine et ses fournisseurs d’armes à des répliques, y compris nucléaires.
La ligne rouge est nette : la Russie a pu faire face à l’opération militaire terrestre limitée dans l’oblast de Koursk, mais elle ne laissera pas se prolonger les attaques de missiles en profondeur sur son sol comme celles qui ont visé il y a quelques jours une base dans la région de Briansk.
Plus largement, tout risque d’invasion ou de tentative de changement de régime depuis l’extérieur peut donner lieu à une réplique nucléaire. Le tir du missile RS-26 sans tête nucléaire contre la ville de Dnipro le 21 novembre renforce dans les actes la crédibilité de cette doctrine, dont la Russie rappelle ainsi qu’elle ne se réduit pas à une posture de papier. Car il ne s’agit plus, pour Moscou, de la victoire ou de la défaite en Ukraine. Il s’agit de la protection de son territoire et donc de l’autorité de l’État.
Toute la difficulté est aujourd’hui de résister à la panique nucléaire sans céder à la négligence politique ou à l’interprétation non informée. Depuis 2022, la Fédération de Russie a placé son offensive sous protection nucléaire. Aujourd’hui, elle place la défense de son territoire (et de ses bases militaires) sous ce même parapluie. C’est odieux, mais rationnel. En effet, les menaces nucléaires ont permis à la Russie depuis 2022 (et en réalité depuis 2014) d’engager un affrontement bilatéral avec l’Ukraine sans s’exposer à la mise sur pied d’une coalition internationale comme celle qu’a affrontée la Serbie dans les années 1990. Elles lui ont permis, également, de réduire les capacités opérationnelles des armements occidentaux fournis à l’Ukraine. En somme, la menace nucléaire a contraint les Européens et les Américains à s’en tenir à soutenir l’auto-défense de l’Ukraine sans chercher ni la victoire en Russie ni le changement de régime au Kremlin. Ce parapluie nucléaire russe a profondément façonné les modalités du conflit et la forme du soutien occidental à la légitime défense ukrainienne.
En Europe et aux États-Unis, on a souvent tendance à minimiser les déclarations du président russe et de ses principaux ministres. Lire et écouter leurs propos passe souvent pour un signe de naïveté, voire pour un acte de trahison. Pourtant, il y a loin de la compréhension à la complaisance et à la compromission.
Bien entendu, dans un rapport de force stratégique, il est essentiel de ne céder ni à la panique ni au chantage. Il serait inacceptable d’accepter toutes les revendications de la Russie au motif qu’elle est une grande puissance nucléaire, un membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations unies, un leader revendiqué du Sud Global ou l’allié le plus puissant de la République populaire de Chine. Renoncer au rapport de force aurait conduit l’UE à ne pas s’élargir aux anciennes démocraties populaires (Pologne, Tchéquie, Slovaquie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie) et aux anciennes Républiques socialistes soviétiques (Estonie, Lettonie, Lituanie). Le cours de la construction européenne aurait été interrompu, les aspirations des peuples souverains d’Europe orientale auraient été bafouées et la sécurité du continent aurait été rendue précaire. Face à la Russie, la fermeté diplomatique est essentielle pour faire face à la rhétorique révisionniste.
Toutefois, il est symétriquement irresponsable d’organiser une surdité volontaire envers les déclarations officielles russes, au motif qu’elles constitueraient une propagande vide de contenu. Les relations entre, d’une part, la Fédération de Russie et, d’autre part, les forums occidentaux (UE, OTAN, G7-8, etc.) sont marquées par une incompréhension qui dépasse la simple résistance aux revendications russes : ne pas écouter les discours de Moscou conduit souvent les Occidentaux à des erreurs de jugement stratégique.
Plusieurs discours jalonnent cette route faite de malentendus, de mésinterprétations et de propagande.
Le discours de Vladimir Poutine à la Conférence sur la Sécurité de Munich en 2007 a été tout à la fois surévalué et sous-évalué : le président russe y traçait ses lignes rouges, notamment la non-extension de l’OTAN à ses frontières et son refus des systèmes de défense anti-missiles autour de la Fédération de Russie. Certains l’ont surestimé, au sens où ils y ont vu – surtout a posteriori – l’annonce d’une entrée en guerre différée contre l’OTAN et le premier jalon d’une route conduisant inéluctablement à la confrontation.
Mais d’autres ont considéré qu’il s’agissait de menaces vaines de la part d’un État ayant rejoint le consensus occidental en raison de sa propre faiblesse : la Russie était en effet alors associée à l’OTAN dans le cadre du Conseil OTAN-Russie, au G7 avec la création du G8, et à l’OMC. Moins qu’un programme révisionniste mais plus qu’une simple protestation, il s’agissait d’une revendication sur la zone d’influence que la Russie considère comme vitale. Face à une revendication, rien n’est pire que l’abdication… si ce n’est la négligence.
Autre exemple de surdité : la réception de la déclaration d’entrée en guerre contre l’Ukraine. La volonté affichée de « dénazifier » l’Ukraine a paru si insensée en Occident qu’elle a rapidement été rangée au rayon des prétextes historiques grotesques pour justifier l’injustifiable. Ce tumulte idéologique paraît inévitablement délirant à ceux qui ne connaissent pas le détail de la Seconde Guerre mondiale dans cette partie de l’Europe. Surtout, il a masqué les autres messages du président russe : le but de son invasion était d’éviter un élargissement de l’OTAN et de l’UE dans un pays limitrophe de la Fédération de Russie. Le recours aux armes pour entraver la souveraineté d’un pays est inacceptable – sans discussion. Mais prêter une oreille attentive – non complaisante – à cette déclaration aurait permis de saisir la portée réelle de l’invasion.
La posture adoptée ces derniers jours par Vladimir Poutine n’est ni une gesticulation vide ni un engrenage vers l’apocalypse nucléaire. C’est un ensemble d’actions destinées à rappeler, par la menace, la crédibilité de la dissuasion russe. Un signalement stratégique brutal et net. Il ne s’agit pas d’un bluff ou d’un coup de poker, mais d’une montée en puissance dans un bras de fer ancien.
Face à ces actes et à ces propos, les Européens doivent conserver leur posture stratégique : l’utilisation de l’arme nucléaire contre un État non nucléaire est inacceptable ; l’invasion et l’occupation de l’Ukraine sont illégales ; la stratégie des sanctions économiques, diplomatiques et politiques contre la Russie est justifiée et adaptée ; les attaques militaires directes contre le territoire et le régime russe doivent être évitées dans la mesure où elles exposent l’Ukraine et l’Europe au feu nucléaire.
Le soutien des Européens à la souveraineté ukrainienne ne peut être efficace s’il s’aveugle : la menace nucléaire russe doit être prise au sérieux mais elle peut toujours être contrée. Dans la présente crise, l’essentiel pour les Européens est de conserver leur posture stratégique et de renforcer leurs outils de pression tout en décryptant correctement les signaux russes.
Cyrille Bret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
21.11.2024 à 17:21
Bertrand Valiorgue, Professeur de stratégie et gouvernance des entreprises, EM Lyon Business School
Xavier Hollandts, Professeur de stratégie et entrepreneuriat, Kedge Business School
L’accord de libre-échange avec le Mercosur (Argentine, Brésil, Uruguay et Paraguay) pourrait être adopté en décembre 2024 par l’Union européenne. En France, les agriculteurs français se mobilisent pour s’opposer à cette décision. Les normes sanitaires et environnementales imposées aux agriculteurs européens ne sont pas respectées par les pays du Mercosur. Cette différence a des conséquences importantes sur les coûts de production. L’Europe envoie donc un message contradictoire, demandant aux agriculteurs de respecter des normes strictes tout en ouvrant ses portes à des produits bien moins contrôlés.
L’agriculture française (et européenne) est l’une des plus sûres au monde grâce aux normes sanitaires et environnementales imposées par le régulateur français et européen.
Une simple comparaison des pratiques agricoles actuelles avec celles des années 1990 permet de prendre la mesure de ce saut qualitatif (abandon de certaines molécules, prise en compte de la biodiversité, qualité de l’alimentation du bétail, par exemple).
On a tendance à oublier que ces démarches d’amélioration ne se réalisent pas sans investissements ni surcoûts. La substitution d’une technique de production par une autre n’est pas qu’un simple changement d’habitude.
C’est un investissement, un apprentissage et un risque nouveau qu’il faut apprendre à gérer.
On oublie aussi régulièrement que ces investissements et surcoûts sont très difficilement répercutés sur les prix, du fait de la structure et du fonctionnement des marchés des matières premières agricoles.
Un agriculteur soucieux de l’environnement et de ses pratiques n’est pas un agriculteur qui est mieux rémunéré. C’est un agriculteur qui doit fournir un effort supplémentaire qui n’est pas intégré dans le prix de vente des denrées alimentaires qu’il produit.
Cette dure loi économique, que l’on retrouve dans le secteur agricole, porte le nom d’« effet tapis roulant ». Elle a été introduite pour la première fois par l’économiste Willard Cochrane.
Pour rester compétitifs et présents sur les marchés, les agriculteurs doivent procéder à des investissements et à l’incorporation de nouvelles technologies qui les rendent plus productifs. Cela engendre une plus grande disponibilité de denrées alimentaires commercialisées sur les marchés des matières premières et une baisse concomitante des prix.
Il faut alors procéder à de nouveaux investissements et à l’incorporation de nouvelles technologies pour rester sur le marché. On a, à l’arrivée, des agriculteurs toujours plus efficients mais dont les rémunérations stagnent. Ils doivent toujours courir plus vite sur le tapis roulant sans que leurs situations économiques progressent pour autant.
Le même effet (tapis roulant) s’observe au niveau de la préservation de l’environnement.
Les agriculteurs incorporent des normes environnementales toujours plus exigeantes sans jamais bénéficier d’augmentation des prix.
La signature du traité de libre-échange du Mercosur touche directement à cette question en faisant entrer sur le territoire européen et français des denrées alimentaires produites selon des normes bien moins strictes, voire tout simplement interdites aux agriculteurs hexagonaux : utilisation d’antibiotiques comme activateurs de croissance, variétés issues de la transgénèse, farines animales, recours à certaines molécules chimiques, culture de céréales génétiquement modifiées…
Cet accord pourrait contribuer à déverser sur le marché français et européen des matières premières agricoles et des denrées alimentaires moins chères et produites dans des conditions peu soucieuses de l’environnement et dans des proportions très significatives.
Liste des matières premières agricoles concernées par le traité Mercosur :
99 000 tonnes de viandes de bœuf
160 000 tonnes de viande de volaille
25 000 tonnes de viande porcine
180 000 tonnes de sucre
650 000 tonnes d’éthanol
45 000 tonnes de miel
60 000 tonnes de riz
Si le traité venait à être ratifié, les filières et les agriculteurs concernés devront faire face à une concurrence déloyale et un dumping environnemental orchestré par l’Union européenne qui au même moment renforce ses exigences environnementales et sanitaires à l’égard des producteurs agricoles localisés dans la zone Europe.
Cette réalité brutale pousse les agriculteurs français et européens à descendre dans la rue afin de dénoncer une concurrence déloyale, réalisée au détriment de l’environnement et de leurs exploitations. L’Europe envoie un message contradictoire à ses agriculteurs, leur demandant de respecter des normes strictes tout en ouvrant ses portes à des produits bien moins contrôlés.
Elle accélère de la sorte la vitesse de rotation du tapis roulant tout en augmentant les charges que doivent supporter les agriculteurs. Ces derniers progressent de manière continue sur le respect de l’environnement sans que les marchés récompensent les efforts accomplis.
L’opposition des agriculteurs français à l’égard du Mercosur est emblématique d’une inquiétude croissante à l’égard des politiques menées par l’Europe.
La littérature sur le management des paradoxes a montré qu’à partir d’un certain niveau de contradiction, les acteurs exposés à des injonctions paradoxales s’engagent dans des dynamiques de repli et de contestation de l’autorité jugée comme étant à l’origine de la situation dans laquelle ils se retrouvent plongés.
Quand le niveau de contradiction est trop fort, la conflictualité devient la seule issue possible afin de retrouver une situation plus équilibrée et cohérente.
La contestation des agriculteurs à l’égard du traité Mercosur est révélatrice d’un niveau de contradiction fabriqué par les politiques de l’Union européenne que les agriculteurs français n’arrivent plus à supporter.
Ce niveau de contradiction est vécu avec intensité par les agriculteurs français qui mettent une pression politique sur leur gouvernement.
Il en va autrement dans les autres pays européens, comme l’Allemagne ou l’Espagne, favorables à l’accord avec le Mercosur. Sans mouvement des agriculteurs à l’échelle de l’Union et sans veto d’au moins 4 pays de l’Union européenne, il est probable que le traité soit validé en décembre prochain.
Cette ratification placerait les agriculteurs français dans un grand désarroi et enclencherait de nouveaux mouvements de contestation susceptibles d’être de plus en plus virulents.
Frédéric Courleux, agroéconomiste et conseiller au sein du Parlement européen, est co-auteur de cet article
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
21.11.2024 à 17:21
Jérôme Ballet, Maître de conférences en sciences économiques et éthique, Université de Bordeaux
Damien Bazin, Maître de Conférences HDR en Sciences Economiques, Université Côte d’Azur
24 ans après Gladiator, Ridley Scott signe le retour de son protagoniste tout en muscles. Dans les salles depuis le 13 novembre 2024, Gladiator II dépeint un personnage héroïque et franc-tireur. En réalité, l’entraide et la solidarité ont parfois été au cœur du système des gladiateurs.
Les gladiateurs sont souvent perçus comme des figures héroïques, capables, par leurs exploits et leur courage, de gravir les échelons de la société pour accéder à la liberté et à la richesse. Une ascension sociale qui aurait un prix : un engagement physique total dans le combat, avec un risque de mort omniprésent.
Les gladiateurs étaient assez éloignés de la vision romantique dépeinte dans les péplums ou dans les films à gros budgets. Plusieurs conditions sociales coexistaient : prisonniers de guerre, criminels condamnés à mort mais de naissance libre, forçats obligés de purger leur peine sous le statut de gladiateurs, et engagés volontaires (dans une moindre mesure).
Devenir gladiateur nécessitait un apprentissage et le respect de règles, cela se rapprochait de l’exercice d’un métier. De nombreuses écoles impériales de gladiateurs existaient : Ludus Magnus, Dacius, Matutinus et Gallicus, pour n’en citer que quelques-unes. Elles assuraient une professionnalisation qui devait permettre de concilier spectacle (durée et beauté du combat) et survie des intervenants.
Sous Auguste, le premier empereur romain (27 av. J.-C. à 14 apr. J.-C.), les combats étaient une représentation théâtrale. A cet effet, les combattants devaient garantir un spectacle de qualité devant un public exigeant. Il s’agissait d’assurer le « show » avec ce qui peut ressembler de nos jours à une chorégraphie (précision du geste, diversité des armes « spectaculaires » et des techniques de combats). L’objectif des gladiateurs n’était pas de trucider l’adversaire mais de proposer un divertissement. Ainsi, il n’était pas rare d’opposer un combattant lourdement équipé à un adversaire légèrement armé (évoquant le duel entre David et Goliath). Techniquement, les assauts étaient maîtrisés et on s’assurait que les armes n’étaient pas trop affûtées. Il s’agissait surtout de provoquer des blessures qui conduisaient à l’abandon d’un des combattants. Les coups fatals étaient plutôt rares.
Certes, les combats étaient sanglants, mais sous Auguste, le sang coulait avec mesure, car il s’agissait de garder les gladiateurs en état de combattre et de les maintenir « en forme » afin qu’ils puissent divertir les citoyens venus assister en nombre aux combats.
Assez rapidement, les combats sont devenus des activités économiques comparables à ce qu’une entreprise dans le secteur du spectacle peut représenter de nos jours. Tout était organisé comme une attraction : musique, contrôle des billets, « chauffeurs » de salle… Les ambulanciers étaient grimés en démons et transportaient les combattants sur des civières pour assurer une touche burlesque. Boissons et nourritures circulaient dans les gradins.
La qualité du spectacle se jaugeait au travers du respect de règles. À cet égard, toute une « équipe » s’efforçait de livrer au public une « prestation de qualité ». Les gladiateurs n’étaient que la partie visible de l’iceberg. Chaque membre de l’équipe était hautement valorisé. Dans l’arène, des arbitres de jeu faisaient respecter les règles. Mais c’est le président (juge-arbitre) qui détenait le pouvoir décisionnaire et souverain sur la vie et la mort des « sportifs ». En cas de désinvolture dans le combat, le président pouvait demander que le fouet, le fer et le feu soient préparés en guise d’avertissement.
Sous l’empereur Auguste, si le vaincu reconnaissait sa défaite et demandait pitié au vainqueur, le vaincu avait habituellement la vie sauve, sous condition que le combat fut de qualité. Dans le cas contraire, le corps arbitral pouvait refuser la demande de clémence et réclamer une prolongation afin qu’une mise à mort survienne.
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Plusieurs recherches ont ainsi souligné le dilemme auquel étaient confrontées les parties prenantes qui vivaient de la gladiature : inciter à un combat esthétique et dramatique (donc violent, avec un risque de mort important après de multiples blessures) ou recommander un combat minimisant le risque de décès.
Pour trouver cet équilibre, il était essentiel que le spectacle soit de qualité… Et les gladiateurs coopéraient pour s’en assurer.
En tant que professionnels dont l’objectif était de gagner de l’argent, de la gloire, tout en survivant, les gladiateurs s’organisaient pour que l’objectif des combats ne soit pas la recherche de la mort. Les premières formes de coopération entre gladiateurs semblent s’être structurées au travers de sodalitats (confréries) religieuses. Grâce à cette entente, sous l’empereur Auguste, les combats obéissaient à des règles tacites convenues entre les « écuries » de gladiateurs avant les combats, garantissant une durée suffisante, une diversité des techniques favorisant l’esthétisme du spectacle, tout en étant « raisonnablement » violent pour ne pas apparaître comme une simple mise en scène.
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Certaines ententes dépassaient même ce cadre, se rapprochant à certains égards d’un système de solidarité mutuelle. Au sein des Familiae gladiatoria (troupes de gladiateurs), il n’était pas rare que les guildes de gladiateurs (sorte d’associations de gladiateurs) se réunissent pour discuter de la prise en charge de frais d’obsèques de l’un d’entre eux, lorsque la mort survenait durant les jeux ou à la suite de blessures.
Loin d’être des héros solitaires, sous Auguste, les gladiateurs avaient mis la coopération au cœur de leur (sur)vie.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
21.11.2024 à 17:20
Thomas Forte, Docteur en sociologie et chercheur associé au Centre Émile Durkheim, Université de Bordeaux
Lors de l’affaire McKinsey, les débats ont notamment porté sur l’argent public utilisé à mauvais escient. Mais comment définir quand un marché public est réussi ? Est-ce que la loi l’établit simplement ? En réalité, un marché public est construit par un travail administratif et fait intervenir de nombreux acteurs et documents.
Quand on aborde les marchés publics, on pense avant tout aux dépenses qu’ils représentent ainsi qu’aux scandales auxquels ils sont associés dû à leur opacité (le recours abusif aux cabinets de conseil mis en exergue par l’affaire McKinsey, la corruption…). Deux dimensions centrales des marchés publics sont absentes de ces débats : le marché public en tant qu’objet administratif, et les personnes qui les rédigent (comme les conseillers, les rédacteurs et les chefs de projet). L’une comme l’autre sont pourtant centrales, puisque c’est le travail de rédaction de ces contrats qui détermine en partie les conditions dans lesquelles l’argent public est dépensé et les missions que les attributaires devront remplir.
Ce travail de rédaction consiste à déterminer les qualités qu’un marché doit posséder. Elles ne se réduisent pas à un rapport binaire au droit (légal ou illégal), mais à de multiples formes auxquelles un marché peut prétendre afin d’être considéré comme « bon » ou « mauvais » par les services administratifs, juridiques et les entreprises.
Par exemple, quel critère de sélection des offres choisir ? Faut-il intégrer une clause environnementale ? Comment allotir, c’est-à-dire séparer le besoin en lot, afin de permettre à toutes les entreprises de répondre ? Comment être sûr que les documents seront compris par les candidats ?
L’analyse sociologique que j’ai menée montre que l’allocation de l’argent public est avant tout le résultat d’un travail administratif, dans lequel un objet juridique est produit (le marché public) et où un sens de la règle juridique est déterminé. Étudier ce travail permet de dépasser les discours rigides sur l’État de droit et de porter une attention aux conditions dans lesquelles l’allocation de l’argent public est réalisée.
Un marché public est attribué par la mise en concurrence de candidats, qui peuvent être des organisations publiques ou privées. Il répond à un besoin déterminé par le Code de la commande publique et par les missions de l’organisation qui l’émet. Il permet ainsi aux organisations publiques d’assurer leur fonctionnement. Le papier toilette, les ordinateurs, les forfaits téléphoniques, les goodies, etc., sont achetés par son intermédiaire. Cette mise en concurrence est permise par des critères de sélection des offres, généralement distingués en deux catégories : le prix et le technique.
Ce dispositif repose sur le principe que la qualité des offres et l’optimisation de l’allocation de l’argent public sont assurées par la mise en concurrence du secteur marchand. Cette justification n’est pas nouvelle, elle est mobilisée dès la Révolution, lors des premières réglementations relatives aux marchés publics, afin de rompre avec les abus en matière de finances publiques sous la Monarchie.
Cet argument est d’ailleurs repris par l’enquête de Cash investigation diffusée le 17 septembre dernier, lorsque les journalistes mettent en rapport le coût du marché public de conseil avec l’utilité des livrables produits par le cabinet McKinsey. Le reportage souligne également comment le recours aux cabinets de conseil articule, dans les débats, une finalité d’entrisme dans les prises de décision avec une critique de l’administration publique. Autrement dit, comment, de manière plus large, le travail du secteur public est « empêché », ce qui se traduit par un manque de temps et de moyens qui ne permet pas aux personnes de réaliser convenablement leur travail.
Dans le cas des marchés publics, mon analyse du travail de rédaction au sein d’un conseil Départemental montre comment ce contexte a également des conséquences sur le rapport aux droits au sein de la collectivité. Tout en étant encadré par des textes européens et nationaux, le marché public est le résultat d’un travail administratif, bureaucratique. Il nécessite la circulation des documents qui constituent le marché entre les bureaux de plusieurs organisations.
C’est au cours de cette circulation que les documents vont être lus et écris afin d’évaluer s’ils ont les qualités juridiques attendues. Ce travail requiert une forte expertise dans la mesure où il mobilise des savoirs juridiques, économiques et opérationnels, qui dépassent l’appartenance rigide à une profession et une organisation.
Au sein des organisations publiques, le répertoire des métiers de la fonction publique liste treize métiers liés au travail de rédaction de ce dispositif. Ils peuvent être divisés en quatre catégories : acheteur (qui vise la performance économique), rédacteur, conseiller (qui contrôlent les documents) et chef de projet, à l’initiative du besoin.
Il est difficile d’établir un profil type de ces professions, que ça soit en termes de statuts (fonctionnaire, contractuel) et de modalités de recrutement (catégorie C, B, A). De plus, avoir une formation en droit n’est pas une obligation. Leur travail est cependant proche. Il est caractérisé par la gestion du flux de dossiers. Dans le conseil Départemental étudié, cela représente 448 marchés publics par an. Un marché est produit en moyenne en six mois. En pratique, les dossiers se chevauchent dans le temps et ils demandent de maîtriser des sujets variés (les techniques de construction d’une route, le droit, les normes d’un secteur d’activité…).
C’est là où réside l’expertise inhérente à la rédaction d’un marché. Une rédactrice, par exemple, articule dans son travail le cadre juridique, l’environnement économique des entreprises (forte concurrence, monopole, TPE/PME) et les objectifs de l’organisation (les gains budgétaires, le développement de l’économie locale).
Un marché est composé d’une dizaine de documents qui forment un réseau où chacun a un rôle spécifique. Ces documents sont déposés sur une plate-forme numérique afin que les candidats puissent déposer leurs offres. S’y ajoute enfin le rapport d’analyse des offres (RAO) qui synthétise les étapes d’analyse et d’attribution du marché.
Dans chaque document se trouvent plusieurs catégories d’information. On peut distinguer les informations techniques (les caractéristiques du besoin), juridiques (références au Code), économiques (le prix) ou administratives (les modalités de mise en concurrence, le calendrier). Ces informations sont d’autant plus importantes qu’elles se retrouvent dans plusieurs documents à la fois (le prix est présent dans sept pièces) et que le droit détermine un ordre de valeur entre les pièces contractuelles.
Ainsi, les informations présentes dans l’acte d’engagement (qui engage les parties lorsqu’il est signé) – pièce la plus haute placée dans la hiérarchie – prévalent sur celles d’un cahier des clauses techniques et particulières (CCTP, qui définit le besoin technique) lors de l’exécution du marché ou lors d’un contentieux. Une contradiction peut alors avoir des conséquences sur la résolution des conflits, mais aussi sur les manières dont une prestation est réalisée.
Une première conclusion serait de considérer que ce travail d’écriture ne consisterait qu’à vérifier l’exactitude des informations dans les documents afin de garantir qu’elles ne se contredisent pas. Pourtant, ce travail administratif demande d’articuler la variété de ces informations, de se repérer dans des documents qui peuvent faire plusieurs dizaines de pages, ainsi que de considérer les effets des pratiques d’écriture sur les offres potentielles.
Le cas suivant illustre une partie de ce travail. Une rédactrice fait des remarques sur un marché d’insertion de jeunes par un service civique au sein de la collectivité étudiée. Dans trois pages différentes du CCTP, des paragraphes abordent différemment le transport des jeunes vers leur lieu de stage. À la lecture, la rédactrice tisse des liens entre eux, bien qu’ils soient isolés dans une somme d’informations relativement importante (le CCTP seul fait trente pages). Dans un des paragraphes, c’est le prestataire qui doit garantir ces moyens de transport, alors que dans un autre, ils reposent sur une aide de la collectivité, dont les conditions d’utilisation sont définies dans deux autres paragraphes qui se contredisent.
Cette répétition a trois enjeux importants. D’une part, la recherche d’information pour les futurs candidats : trois informations sur un même sujet sont réparties dans trois pages différentes. La seconde est juridique, puisqu’il y a une contradiction dans le rôle des cocontractants sur les aides. Enfin, il y a un enjeu économique puisque dans le cas où l’aide est versée par le Département, les candidats n’ont pas à l’intégrer à leur offre financière.
Cet exemple, qui paraît anodin d’un point de vue administratif, illustre les allers-retours nécessaires afin de résoudre ces incohérences, mais aussi le lien direct entre le travail d’écriture et le droit. Les conseillères, rédactrices, chefs de projet et acheteurs rédigent ensemble des documents qui permettent d’attribuer l’argent public. Ces documents juridiques sont opposables devant un juge et leurs termes s’imposent dans le cadre d’une relation contractuelle. Produire un marché public ne se réduit pas à une mise en forme stéréotypée du droit qui lui donnerait de facto une force légale.
Si les rédactrices et les conseillères rédigent les marchés publics, ils circulent auprès d’autres acteurs qui peuvent aussi émettre des jugements. Par l’intermédiaire d’une plate-forme numérique, un candidat peut faire remonter qu’un critère n’est pas nécessaire pour juger les offres. Un élu, lorsqu’il signe un rapport d’analyse des offres en commission, peut juger que l’attributaire aurait dû être une TPE/PME. Les services du comptable public peuvent rejeter un marché selon leurs propres interprétations de la règle. Par ailleurs, des organisations privées (Le Moniteur, Décision achat) et publiques (comme la direction des affaires juridiques) se sont spécialisées dans l’édition de recommandations quant aux manières dont les marchés publics doivent être produits.
L’ensemble de ces jugements s’articulent autour de trois rapports au droit que j’ai identifié dans ma recherche : la sécurité juridique (le droit est une sphère distincte, qui s’impose et qu’il faut suivre), l’opérationnalité (le droit est une contrainte à l’activité qui augmente la charge de travail et diminue l’efficacité) et la politique achat (le droit est un outil permettant d’atteindre des objectifs poursuivis par l’organisation).
L’articulation de ces trois rapports au droit est déterminée par les contextes où le travail se réalise. Par exemple, être en sous-effectif et gérer la surcharge de dossiers laisse peu de temps pour optimiser certaines clauses ou discuter de la pertinence des critères choisis. L’opérationnalité est alors privilégiée. Dans certains cas, cela se traduit par le recours à des cabinets d’avocat pour réaliser le travail de rédaction alors même que les services de la collectivité disposent de ces compétences. Ainsi, le droit est le résultat d’un travail, c’est-à-dire que sa place et sa production s’inscrivent dans des opérations administratives ordinaires. Des professionnels, que l’on considère généralement éloignés du droit, l’interprètent, le manipulent et le transmettent aux autres.
Ce faisant, produire un marché public, c’est produire un cadre contractuel acceptable, moins par rapport à un cadre juridique national, qu’à des attentes locales qui répondent aux contraintes relatives au contexte de travail des personnes impliquées. La dégradation des conditions de travail du service public touche alors directement la capacité des collectivités et de l’État à déterminer les cadres contractuels qui leur permettent d’allouer l’argent public.
Thomas Forte ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
21.11.2024 à 17:20
Aurélie Leclercq-Vandelannoitte, Chercheuse, CNRS, LEM (Lille Economie Management), IÉSEG School of Management
Emmanuel Bertin, Expert senior, Orange. Professeur associé, Télécom SudParis – Institut Mines-Télécom
Présentées comme des espaces de liberté, les plates-formes numériques conditionnent en réalité nos comportements. Et depuis le rachat de Twitter par Elon Musk, qu’il renomme par la suite X, la façade de neutralité s’effondre. Après son implication et celle de son réseau dans la campagne de Donald Trump, les utilisateurs sont de plus en plus nombreux à quitter le navire pour chercher des espaces numériques qui remplissent cette promesse originelle. Peine perdue ?
Les grandes plateformes numériques de Meta (Instagram, Facebook), TikTok ou X (anciennement Twitter) exercent une forme de pouvoir sur leurs utilisateurs, et à travers eux sur nos sociétés. Mais quelle est la nature de ce pouvoir ? Nous nous sommes intéressés à cette question dans un travail de recherche récemment publié.
Nous proposons une perspective issue des travaux de Michel Foucault. Le philosophe a en effet consacré la majeure partie de son œuvre à l’étude des mécanismes d’exercice du pouvoir au cours de l’Histoire.
La première question à se poser est de savoir si ces plates-formes cherchent à exercer un pouvoir, c’est-à-dire, au sens de Foucault, à « conduire les conduites » de leurs utilisateurs. Autrement dit, on doit se demander si ces plates-formes sont simplement des outils techniques ou des outils de gouvernement des personnes.
Un outil technique peut certes influencer notre façon d’appréhender le monde (« Toute chose ressemble à un clou, pour celui qui ne possède qu’un marteau », écrivait le psychologue américain Abraham Maslow), mais ne vise pas dans sa conception même à produire un certain type de comportement. Ainsi, un traitement de texte comme Word, malgré un nombre d’utilisateurs qui n’a rien à envier à celui des plates-formes, reste un outil technique.
A contrario, les plates-formes numériques cherchent à produire un certain type de comportement chez leurs utilisateurs, d’une façon liée à leur modèle économique. Une plate-forme sociale comme X ou Facebook vise ainsi à maximiser l’engagement des utilisateurs, en les exposant à des contenus dont leur algorithme a déterminé qu’ils les feraient réagir. Les contenus mis en avant sont ceux susceptibles de produire des émotions intenses afin de pousser les utilisateurs à les relayer vers leurs contacts puis à en guetter les réactions, et ce faisant, maximiser leur temps passé sur la plate-forme et donc leur exposition aux publicités. Autre exemple : le jeu Pokemon Go, conçu par la firme Niantic (fondée par Google), guide ses utilisateurs vers les restaurants ou magasins qui ont payé pour cela.
Dans ses écrits sur le libéralisme, Foucault décrit comment la liberté devient un instrument de pouvoir bien plus efficace que la contrainte, car guidé par l’intérêt particulier de chacun. Par exemple, lorsque l’État met en œuvre des incitations fiscales, il joue sur l’intérêt particulier pour obtenir un comportement souhaité, plutôt que sur la contrainte. Dans le modèle des plates-formes sociales, cette liberté est guidée par les émotions, notamment l’indignation, ce qui conduit par exemple X à rendre le plus visible les publications les plus controversées. À partir d’un certain seuil, cela a un impact indirect sur l’ensemble de la société, en donnant par exemple une grande audience à des publications complotistes ou de désinformation.
S’il est clair que ces plates-formes exercent un pouvoir sur leurs utilisateurs, comment peut-on le caractériser ? Il nous semble qu’il s’inscrit dans un type de pouvoir décrit par Foucault : le « pouvoir pastoral », ainsi nommé en référence à la figure du pasteur, qui à la fois guide son peuple dans son ensemble et connait individuellement chacun de ses membres. Autrement dit, ce type de pouvoir est à la fois englobant et individualisant (« Omnes et Singulatim », comme l’écrit Foucault). Englobant, car les plates-formes gèrent tous leurs utilisateurs avec les mêmes technologies et algorithmes, ce qui permet des économies d’échelle massives. Individualisant, car elles s’adaptent de façon ciblée à chaque utilisateur afin de maximiser sa conformité au comportement souhaité.
Les technologies de capture et d’exploitation massive de données permettent de porter cette individualisation à un niveau jamais atteint auparavant. Ces technologies ne visent pas explicitement tous les aspects de la vie, mais cherchent tout de même à en capturer le maximum d’information, y compris via les objets connectés.
La création d’un pouvoir pastoral entièrement désincarné, car s’exerçant à travers une plate-forme purement numérique, est une nouveauté. Là où le rôle de pasteur s’est incarné dans l’Histoire par des clercs puis par les représentants de l’État, il n’est désormais plus une personne, mais une plate-forme. À certains égards, cela pourrait apparaître comme un progrès : la plate-forme est apparemment neutre, elle ne favorise personne et n’a pas d’intérêt personnel. Ses algorithmes sont censés être objectifs, hormis sans doute avec quelques biais venus de leur programmation, mais qu’il suffirait d’identifier pour les corriger. Tout cela n’est pourtant qu’une illusion, et Elon Musk le démontre clairement depuis son rachat de Twitter en octobre 2022.
Car les plates-formes ont un propriétaire, et dans le monde de la tech ce propriétaire est la plupart du temps un homme seul (à l’exception d’Alphabet, société mère de Google, contrôlée par deux hommes). Jusqu’à Elon Musk, ces propriétaires cultivaient l’illusion de la neutralité, se retranchant derrière de nobles discours promouvant le bien de l’humanité, le rejet des actions mauvaises (selon l’ancien slogan informel de Google : « Don’t be evil ») ou mettant en place des comités éthiques, purement consultatifs.
Elon Musk fait voler en éclat cette façade, en supprimant explicitement les équipes de modération ou les mécanismes de suppression de faux comptes (qui propagent usuellement de fausses nouvelles), ouvrant ainsi la porte à une vague de contenus complotistes. Et cela tout en se faisant en même temps passer pour un utilisateur quelconque de X, en relayant des contenus parfois eux-mêmes proches du complotisme, ou en faisant activement campagne pour Trump.
Avant Elon Musk, le bannissement de Trump de Twitter par Jack Dorsey, son précédent propriétaire, pouvait d’ailleurs être tout autant considéré comme une décision politique, mais réalisée sous couvert d’une « violation des conditions d’utilisations », afin de préserver l’illusion de neutralité de la plate-forme.
Pour autant, Elon Musk n’est pas le pasteur de X, pas plus que Zuckerberg, celui de Facebook ou Instagram, c’est bien la plate-forme qui joue ce rôle. Mais derrière la façade, ces plates-formes sont bel et bien sous l’influence de leur propriétaire qui peut modifier telle règle ou tel paramètre algorithmique de façon discrétionnaire en fonction de ses objectifs – et dans le cas d’Elon Musk, de ses opinions politiques.
Emmanuel Bertin travaille chez Orange comme expert senior, et est également professeur associé à Télécom SudParis.
Aurélie Leclercq-Vandelannoitte ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.